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Commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Mardi 19 mai 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 49

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Présidence de M. Éric Ciotti, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux

La séance est ouverte à 16 heures 15.

Présidence de M. Éric Ciotti, président

M. le président Éric Ciotti. Madame la garde des Sceaux, merci d’avoir bien voulu revenir aujourd’hui devant notre commission. Nous vous avions entendue au début de notre longue série d’auditions, quelques jours après les attentats qui ont cruellement frappé notre pays en janvier dernier. À cette époque, nous avions dû interrompre votre audition, tant les questions de nos collègues membres de la commission d’enquête étaient nombreuses, et nous avions convenu de nous retrouver à l’issue de nos travaux.

Cela nous permettra de mesurer certaines évolutions et de prendre en compte certains phénomènes dans la mesure où, malheureusement, la menace terroriste reste maximale. En auditionnant ce matin M. Bernard Cazeneuve, votre collègue ministre de l’intérieur, j’ai repris l’expression utilisée par l’une des personnes que nous avons auditionnées, qui parlait du « long chemin tragique » sur lequel notre pays se trouve engagé.

De fait, depuis le début des travaux de notre commission, des évènements graves ont continué à frapper notre pays, avec l’attaque contre TV5, qui pose la question du cyberterrorisme, et l’attentat partiellement avorté commis par un terroriste qui s’est littéralement tiré une balle dans le pied à Villejuif après avoir vraisemblablement perpétré un crime sordide. Nous mesurons combien la situation reste préoccupante et dangereuse.

En préambule, j’évoquerai des thématiques qui nous préoccupent et qui sont au cœur de notre rapport, et notamment la radicalisation en prison. Depuis votre première audition, à l’occasion de la discussion sur le projet de loi relatif au renseignement, une divergence s’est fait jour entre la majorité des députés et vous-même à propos de la question du renseignement pénitentiaire. Nous aimerions connaître votre position, qui a étonné nombre d’entre nous dans la mesure où nous considérons que celui-ci doit jouer un rôle essentiel dans la détection de la radicalisation et dans la prévention du terrorisme.

De façon plus globale, nous souhaiterions, madame la garde des Sceaux, que vous fassiez le point sur l’évolution des procédures judiciaires aujourd’hui ouvertes en matière de terrorisme. Vous nous aviez déjà communiqué des chiffres lors de votre précédente audition, et nous vous en remercions.

Voilà, très sommairement, les thématiques que je vous propose d’aborder, au-delà des questions qui seront posées par nos collègues. Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer le degré d’avancement du plan annoncé le 21 janvier 2015 par le Premier ministre, s’agissant de votre ministère ? Combien d’emplois sont actuellement pourvus parmi ceux qui ont été annoncés, selon quelle répartition, et à quelle date seront pourvus ceux qui ne le sont pas encore ?

Mais auparavant, madame la garde des Sceaux, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. À cet effet, je vous demande de lever la main droite et de dire « Je le jure ».

(Mme Christiane Taubira prête serment).

Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice. Merci, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, de m’accueillir à nouveau dans cette commission. Vous m’avez auditionnée une première fois le 3 février, c’est-à-dire après les attentats, qui ont donné une densité et un relief particulier à vos travaux.

Le 3 février, je n’étais restée qu’une heure et demie avec vous, mais la demande d’information était si dense que je n’avais pu répondre à toutes les questions ; je devais en effet me rendre aux Invalides où le Président de la République rendait hommage aux soldats qui avaient péri en Espagne.

Je me réjouis de revenir devant vous au bout de quatre mois, durant lesquels un certain nombre de choses ont été mises en place, et je trouve tout à fait légitime que vous souhaitiez savoir où nous en sommes dans la mise en œuvre du plan gouvernemental annoncé le 21 janvier 2015 par le Premier ministre.

Le ministère de la justice était fortement impliqué dans un premier plan interministériel, qui datait d’avril 2014. Mais le plan du 21 janvier 2015, qui accorde des moyens exceptionnels à plusieurs ministères, et particulièrement au mien, est beaucoup plus dense.

Monsieur le président, je me propose, conformément à votre demande, de vous fournir des chiffres actualisés. Comme vous avez auditionné ce matin le ministre de l’intérieur, je passerai sur ceux qui relèvent de son autorité. Je m’en tiendrai aux procédures judiciaires en cours, celles qui sont traitées et celles qui ont déjà fait l’objet de décisions.

Cent quarante-sept procédures judiciaires en lien avec la Syrie ont été ouvertes au pôle antiterroriste de Paris, qui a été renforcé à plusieurs reprises – d’abord, sur la base d’une décision que j’avais prise en 2014, puis deux fois depuis janvier 2015. La transparence de fin janvier était une transparence spécifique au pôle antiterroriste de Paris.

Sur ces 147 procédures, 122 sont toujours en cours, dont 69 informations judiciaires et 53 enquêtes préliminaires. Quatre affaires, concernant onze personnes, ont déjà été jugées. La première affaire a été jugée le 7 mars 2014. La deuxième l’a été devant le tribunal correctionnel de Paris le 13 novembre 2014, et a conduit à la condamnation à sept ans d’emprisonnement d’un ressortissant français qui avait combattu en Syrie. La troisième, jugée le 10 mars 2015, également devant le tribunal correctionnel de Paris, a abouti à la condamnation à trois ans d’emprisonnement d’un homme ayant apporté son aide à une mineure de quatorze ans qui avait, sans succès, tenté de gagner la Syrie pour y épouser un combattant djihadiste. Enfin, la quatrième s’est conclue le 11 avril 2015 par la condamnation à des peines allant de deux à six ans d’emprisonnement à l’encontre de cinq ressortissants tchétchènes ; ceux-ci étaient impliqués dans une filière d’acheminement de combattants djihadistes vers la Syrie, implantée en région lyonnaise.

Cent soixante-dix personnes sont actuellement mises en examen : 105 sont en détention provisoire, 65 sous contrôle judiciaire. Quatorze femmes, majeures ou mineures, sont mises en examen dans le cadre d’informations judiciaires en lien avec la Syrie ; deux d’entre elles sont écrouées à ce jour, une autre l’a été après révocation de son contrôle judiciaire. Onze mineurs sont mis en examen ; dix sont placés sous contrôle judiciaire, le onzième est en détention provisoire, étant impliqué dans un meurtre.

Comment avons-nous fait évoluer la réponse de la justice au terrible défi lancé par le terrorisme ?

Nous avons d’abord mobilisé la totalité du ministère de la justice, c’est-à-dire l’ensemble des directions du ministère de la justice : aussi bien l’administration pénitentiaire que la protection judiciaire de la jeunesse et les services judiciaires. Nous avons ensuite mobilisé nos partenaires internationaux. Comme je vous l’avais dit la dernière fois, nous travaillons avec les pays qui sont confrontés aux mêmes défis que nous, et qui ont commencé à y apporter des réponses. Nous portons un intérêt réciproque à ce qui est fait face au terrorisme et à la radicalisation violente.

Nous avons organisé des rencontres internationales de magistrats antiterroristes, qui se sont tenues à Paris entre le 27 et le 29 avril 2015. Mon intervention aux Nations unies devant le Comité contre le terrorisme et les rencontres que j’avais faites à New-York et à Washington m’avaient en effet conduite à penser que Paris pourrait prendre l’initiative de rencontres de magistrats antiterroristes à un niveau opérationnel – de hauts magistrats très fortement impliqués, soit dans la mise en place de la lutte contre le terrorisme, soit dans la conduite de l’action publique.

Nous avons ainsi reçu deux cents magistrats antiterroristes de haut niveau, représentant des pays de tous les continents : pour les États-Unis l’adjoint de l’Attorney general ainsi que le responsable de la lutte antiterroriste au département d’État ; pour le Brésil, le Procureur national ; pour la Grande-Bretagne, la Procureure de la Couronne ; pour l’Italie, le Procureur national antimafia, qui est chargé de la lutte contre le terrorisme ; pour l’Espagne, le procureur de l’Audience nationale ; pour l’Égypte, le Procureur national... Nous avons également reçu les représentants de structures internationales comme : l’Organisation des Nations unies, représentée par le président du Comité contre le terrorisme ; l’Union européenne, représentée par le Coordonnateur de la lutte contre le terrorisme ; le Conseil de l’Europe, représenté par le président du Comité d’experts sur le terrorisme (CODEXTER) ; Eurojust, l’unité de coopération judiciaire de l’Union européenne, était représenté par sa présidente.

Les travaux se sont tenus à huis clos pendant trois jours, autour de sept ateliers thématiques. Mon objectif était que ces magistrats apprennent à mieux se connaître, établissent des relations individuelles favorisant la coopération, et puissent parler très librement de sujets extrêmement sensibles. Nous avons tiré de ces rencontres plusieurs enseignements.

Premièrement, la mutation profonde et durable du phénomène terroriste à travers son extension, sa militarisation, son internationalisation, ainsi qu’une véritable stratégie d’ancrage territorial.

Deuxièmement, l’évolution des sources de financement du terrorisme, qui peuvent être considérables, notamment grâce à la maîtrise et au contrôle de territoires ou de larges portions de territoire. Les terroristes peuvent ainsi financer des structures militaires ou paramilitaires, et mettre en place des micro-financements pour mener des actions terroristes très localisées.

Troisièmement, l’importance majeure prise par les technologies de l’information et de la communication, aussi bien comme instruments de propagande que comme instruments de circulation et de transmission des informations, et comme outils de fonctionnement des groupes terroristes.

Quatrièmement, la convergence des moyens entre la criminalité organisée et le terrorisme, ce que nous avions déjà pressenti : dans la circulaire sur les détenus particulièrement signalés que j’ai diffusée en novembre 2012 et actualisée en novembre 2013, nous avions fait figurer aussi bien les détenus liés à la criminalité organisée que ceux liés au terrorisme. Nous avions perçu, à partir de certaines procédures, une très forte porosité entre ces deux formes de criminalité.

Pendant ces trois jours, un certain nombre de propositions ont été faites sur la base de notre volonté affichée de faire de cet espace un lieu opérationnel de rencontre et d’efficacité. Par exemple, le Procureur national d’Égypte a proposé à tous les parquets généraux et aux autorités de poursuites pénales des pays du Bassin méditerranéen de s’unir autour d’un projet qui leur permettrait de travailler ensemble et de coopérer de façon systématique. Le directeur général des affaires criminelles du Maroc a proposé, quant à lui, que notre rendez-vous devienne annuel ; et de fait, tous les magistrats sont très demandeurs. Évidemment, je leur ai dit que Paris se tiendrait à leur disposition, et que nous pourrions recommencer l’année prochaine, tout en étant réceptifs à des propositions d’autres capitales. En tout état de cause, nous diffuserons à tous les participants les actes de ces trois jours de travaux et, sur la base de ces actes, nous mettrons en place le rendez-vous de l’année prochaine.

J’ai par ailleurs demandé à l’École nationale de la magistrature (ENM) d’organiser à la fin de ce mois de mai trois jours de session de formation. Cette formation serait ouverte à des centaines de personnels du ministère de la justice, qu’ils viennent de l’administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse ou des services judiciaires. Seraient plus particulièrement concernés, au sein des services judiciaires, les magistrats référents antiterroristes, dont le réseau a été créé le 5 décembre 2014. Ces magistrats antiterroristes sont, dans nos juridictions, les correspondants de la section antiterroriste du parquet de Paris, et les interlocuteurs de tous nos partenaires, préfectures et états-majors de sécurité – notamment pour gérer les informations qui parviennent par le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR) et les cellules départementales de suivi.

Ces trois jours de formation se tiendront à la Mutualité. Y interviendront des chercheurs français et étrangers, des professionnels français et étrangers, de la magistrature et de l’administration pénitentiaire ; sans oublier nos partenaires habituels, la préfecture de police de Paris et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES).

J’en viens, monsieur le président, à la mise en œuvre du plan gouvernemental du 21 janvier 2015.

Je rappelle que le ministère de la justice a pu bénéficier d’un effort particulier de l’État, en particulier en termes de créations d’emplois. Ainsi, en plus des 1 834 emplois dont la création a été prévue sur trois ans, nous pourrons disposer d’une capacité supplémentaire de 950 emplois : un peu plus de la moitié est réservée à l’administration pénitentiaire. Sans compter des moyens supplémentaires en investissement et en fonctionnement s’élevant à 302 millions d’euros sur trois ans. Et je précise que nous avons obtenu, par décret d’avance du 9 avril 2015, les 108 millions de crédits nécessaires à la mise en œuvre des dispositions contenues dans notre plan antiterroriste. Nous aurons donc une capacité de création d’emplois de 2 784 emplois nouveaux sur le prochain triennal, ce qui fait du ministère de la justice le deuxième ministère pour les créations d’emplois.

Qu’avons-nous fait en quatre mois, depuis que nous nous sommes vus ?

Je commencerai par ce qui a été fait dans l’administration pénitentiaire.

Je vous avais parlé de la « recherche-action », que j’avais lancée dès l’été 2014. La procédure s’était achevée en décembre 2014, et sa mise en œuvre a commencé début 2015. Cette recherche-action permettra de mieux former les personnels à l’identification et à la prise en charge des personnes radicalisées et violentes, ou en passe de le devenir. Nous faisons par ailleurs un effort particulier sur la formation, et nous sommes en train d’élaborer un kit de formation pour des formateurs relais. Ce travail est assuré par l’ENM.

Nous lançons également un plan massif de formation des personnels pénitentiaires. Ce plan va se déployer dès l’année qui vient. Il est en phase de finalisation avec l’aide de la MIVILUDES et du Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD). Ce dernier a d’ailleurs effectué en avril une session de formation à laquelle 65 de nos personnels pénitentiaires ont pu participer.

Je rappelle qu’une formation, ouverte aussi bien aux magistrats qu’aux personnels pénitentiaires et à ceux de la protection judiciaire de la jeunesse, se tiendra du 26 au 28 mai prochains à la Mutualité, sous l’autorité de l’ENM.

Je vous avais déjà parlé de notre décision de mettre en place une formation obligatoire pour tous les arrivants dans tous les établissements pénitentiaires : les arrivants séjournent entre huit et quinze jours dans un quartier spécifique ; pendant cette période, une formation sur la laïcité, la citoyenneté et les institutions républicaines leur sera dispensée.

Nous sommes également en train de finaliser, avec la direction générale de l’enseignement scolaire, des modules de formation pour tous les détenus de moins de 25 ans. Et je vous rappelle que trente aumôniers musulmans seront recrutés cette année, et que trente autres le seront l’année prochaine – comme en 2013 et en 2014.

Enfin, nous intervenons sur la sécurisation des établissements. Nous avons identifié vingt-six sites sensibles et précisé les besoins en brouillage. Dix établissements sont déjà équipés, et les marchés sont en cours pour les seize autres. Nous avons renforcé les effectifs : 21 postes dans les directions interrégionales ; 32 postes de surveillants ; 56 postes pour les fouilles sectorielles dans les établissements ; 15 postes de surveillants affectés dans les équipes cynotechniques – deux nouvelles équipes ayant été créées.

Après l’administration pénitentiaire, les services judiciaires.

Je vous avais parlé de la création de 114 postes supplémentaires de magistrats, de 114 postes supplémentaires de greffiers, et d’une trentaine de postes d’assistants de justice et d’assistants spécialisés. Nous avons déjà mobilisé 89 postes de magistrats ; cela nous a amenés, alors que nous étions proches de la clôture des candidatures aux concours d’entrée à l’ENM, à en repousser la date de deux semaines. Par ailleurs, 39 postes ont été ouverts pour cette année au concours complémentaire, dont les lauréats suivent une formation plus courte et arrivent donc plus rapidement en juridiction. Bien sûr, cela vient s’ajouter au nombre de postes qui avaient déjà été prévus sur l’année.

Je vous avais parlé aussi des efforts faits pour le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, notamment pour sa section antiterroriste que j’avais déjà renforcée par une transparence fin 2014 – les postes ont été pourvus début 2015.

Une nouvelle transparence du 14 janvier 2015 apportera deux magistrats supplémentaires au parquet, un juge d’instruction, un avocat général et un conseiller à la cour d’appel. Nous avons également renforcé les postes au siège – des juges d’application des peines et des juges des enfants. Enfin, le président du TGI de Paris a annoncé la création d’un neuvième poste de juge d’instruction antiterroriste. En fait, nous essayons de faire progresser parallèlement les effectifs au parquet antiterroriste et ceux des juges d’instruction spécialisés contre le terrorisme.

Ce sont des postes fléchés, dont je pourrai vous donner le détail. J’ajoute que, sur les 114 greffiers supplémentaires prévus, 83 sont venus compléter la liste des concours dès le mois de mars 2014, et 31 compléteront le deuxième concours.

Je terminerai par la protection judiciaire de la jeunesse.

Je vous avais indiqué que nous allions mettre en place un réseau d’éducateurs référents « laïcité, citoyenneté », à raison d’un référent par direction interrégionale. Sur ces dix référents, neuf ont déjà été recrutés et sont en formation. Nous avons également procédé au recrutement de 45 psychologues non titulaires en attendant l’arrivée des psychologues titulaires qui seront en poste en janvier 2016. En outre, six éducateurs seront affectés à l’accompagnement des mineurs en risque de radicalisation. Les formateurs eux-mêmes ont été formés : 26 formateurs-relais l’ont été en février dernier, ainsi que cinq cadres en charge des formations en mars.

Vous avez soulevé, monsieur le président, la question spécifique du renseignement pénitentiaire, qui a fait l’objet d’un désaccord au moment de la discussion du projet de loi sur le renseignement. À cette occasion, j’avais été amenée à présenter un amendement pour rétablir le texte du Gouvernement, modifié à la suite d’un premier amendement adopté en commission des Lois.

Je rappelle que le renseignement pénitentiaire a vu ses effectifs renforcés en 2012 et 2013, et qu’il a été restructuré en 2014. Il compte aujourd’hui 159 personnes, contre 72 en 2012. En 2016, il comptera 185 personnes aux compétences diverses. Nous avons notamment recruté des informaticiens et des analystes veilleurs, et mis en place une cellule de veille rassemblant, en plus des personnels pénitentiaires, des chercheurs et des spécialistes des questions internationales.

Les liens avec les services spécialisés du renseignement ont été développés et stabilisés, et même formalisés. C’est ainsi qu’après avoir travaillé plus d’un an avec les services spécialisés du renseignement, et avec l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), nous avons demandé et obtenu l’accord du ministère de l’intérieur pour intégrer, au sein de l’UCLAT, un directeur des services pénitentiaires. C’est chose faite depuis janvier 2015 : celui-ci participe donc à ses réunions hebdomadaires.

Nous avons signé un protocole entre l’administration pénitentiaire et l’UCLAT, ainsi qu’avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la direction générale de la police nationale (DGPN). Enfin, le ministre de l’intérieur et moi-même avons diffusé quatre circulaires communes pour la mise en œuvre des dispositions que nous avons prises dans le cadre du plan antiterroriste.

Les relations entre le renseignement pénitentiaire et les services spécialisés du renseignement ont donc été formalisées. Elles existaient déjà, dans la mesure où le renseignement pénitentiaire collecte des informations, repère, détecte et signale. C’est d’ailleurs sa mission : conformément au décret de 2008, il a pour mission de veiller à la sécurité des établissements, de prévenir tout risque d’évasion et de procéder à l’analyse des informations qui peuvent justifier un transfèrement.

Le renseignement pénitentiaire informe systématiquement les services de renseignement spécialisés, et cela doit continuer. Mais nous avions observé que si le renseignement pénitentiaire fournissait de l’information aux services spécialisés, il n’y avait pas, ensuite, de remontée d’information vers lui. Le personnel pénitentiaire nous avait fait remarquer que c’était une vraie difficulté que de signaler un détenu sans en avoir de retour. Comment assurer un suivi sans connaître l’évolution de la situation du détenu ?

C’est dans cet esprit que j’ai travaillé à la formalisation et à la systématisation des relations, et en particulier à l’intégration d’un directeur des services pénitentiaires au sein de l’UCLAT. Aujourd’hui, les services de renseignement spécialisés, qui sont chargés de la sécurité intérieure sur l’ensemble du territoire, interviennent déjà dans les établissements pénitentiaires, notamment par la mise sur écoute de téléphones portables interdits, signalés par les personnels pénitentiaires. À cette fin, les services de renseignement spécialisés doivent présenter une demande d’autorisation auprès de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS).

La question qui a été posée à l’occasion du débat sur le projet de loi relatif au renseignement était de savoir si ce sont les services de renseignement pénitentiaire qui, avec les nouvelles techniques qui ont été mises à leur disposition, vont assurer cette surveillance dans les établissements pénitentiaires, ou si c’est aux services spécialisés de renseignement de le faire.

Je continue de penser que c’est aux services spécialisés de le faire.

D’abord parce que, lorsque le renseignement pénitentiaire va au-delà du décret de 2008 sur la sécurité des établissements pénitentiaires, il faut maîtriser un certain nombre de techniques, ce qui suppose des personnels spécialisés, des moyens logistiques, des bases de données. Or, ce n’est pas le cas des services du renseignement pénitentiaire, alors que c’est le cas des services spécialisés de renseignement. Il me paraît donc souhaitable que ce soient les services spécialisés qui interviennent, à partir des signalements que les services du renseignement pénitentiaire continueront à leur fournir.

Ensuite parce que la qualité et l’efficacité du travail de renseignement supposent que la personne surveillée ne soit pas isolée de son environnement. C’est le cas des détenus qui reçoivent et envoient du courrier, qui reçoivent et passent des appels téléphoniques, qui reçoivent des visites et ont droit à des sorties. Les détenus ont donc des relations avec l’extérieur, et surveiller un détenu exclusivement à l’intérieur de la prison, en rupture avec toute surveillance qui pourrait s’effectuer à l’égard des personnes en relation avec le détenu et se trouvant à l’extérieur de la prison, ne me paraît pas une garantie d’efficacité, mais plutôt, au contraire, un risque de sous-interprétation et de mauvaise analyse des informations.

J’ajoute que les personnels, les officiers du renseignement pénitentiaire ne sont ni identifiés ni identifiables, et j’entends que cela continue. Or, à partir du moment où l’on dira que le service de renseignement pénitentiaire peut faire le travail d’un service de renseignement spécialisé, l’ensemble des personnels pénitentiaires se trouvera exposé. Indépendamment de ce risque qui n’est pas négligeable, il me paraît absolument évident qu’il ne faut pas confier le renseignement dans les établissements pénitentiaires à des services qui ne sont pas spécialisés dans le renseignement, qui n’ont ni la logistique, ni les bases de données, ni les outils, ni les personnels pour cela. Ou alors, comme je l’ai déjà dit pendant la discussion en commission des Lois et dans l’hémicycle, il faut aller jusqu’au bout et faire des services de renseignement pénitentiaire des services spécialisés de renseignement. Cela suppose de leur accorder suffisamment d’effectifs – et ceux que nous avons prévus, même s’ils sont conséquents, ne sont pas suffisants – et de moyens : base de données, logistique, techniques, etc.

Monsieur le président, je terminerai sur les évolutions législatives, que vous n’avez pas abordées. J’irai très vite, même si je reste disponible pour vos questions.

Nous avons introduit par amendement la création d’un fichier sur les personnes condamnées pour acte terroriste. En effet, nous n’avions pas pu intégrer cette disposition dans le texte du projet de loi gouvernemental, car il nous fallait attendre l’avis de la CNIL ; or celui-ci est arrivé alors que l’examen du texte avait déjà commencé en commission. Mais vous avez adopté cet amendement, et je vous en remercie au nom du Gouvernement.

Enfin, nous envisageons quelques ajustements de procédure pénale, notamment des audiences à huis clos, pour améliorer la protection des témoins et des victimes et gagner en efficacité.

M. le président Éric Ciotti. Merci, madame la garde des Sceaux. Je vais maintenant donner la parole à ceux de mes collègues qui souhaitent vous poser des questions.

M. Christophe Cavard. Merci, madame la garde des Sceaux, pour les précisions que vous avez apportées. Il se trouve que je suis à l’origine de l’amendement adopté en commission des Lois sur le service de renseignement pénitentiaire. S’il est inutile de refaire le débat, je trouve néanmoins intéressante la façon dont la commission d’enquête s’est saisie de ce dossier.

Le texte pose plusieurs conditions à l’utilisation, par les services de renseignement pénitentiaire, de certaines techniques de renseignement : dans la mesure où l’on considère que c’est utile ; dans des cas très précisément définis ; sur la base d’un décret. Ensuite, il convient de souligner que ces techniques ne sont pas réservées aux six services de renseignement spécialisés. D’autres services, comme par exemple ceux du ministère des finances, pouvaient déjà y accéder. Voilà pourquoi il m’avait semblé intéressant de faire en sorte que, sous certaines conditions, les services de renseignement pénitentiaire puissent y accéder aussi. Enfin, à aucun moment, nous n’avons eu la volonté de faire rentrer les services de renseignement pénitentiaire dans la grande maison des services de renseignement. Nous souhaitons simplement que l’on puisse faire appel à d’autres services que les services spécialisés du renseignement, à savoir aux services appartenant au « deuxième cercle » qui, en suivant directement certaines situations sur le terrain, pourraient venir en soutien.

Cela étant précisé, madame la garde des Sceaux, je tiens à vous dire que nous nous inquiétons de la surpopulation carcérale. En effet, certaines personnes condamnées non pour des faits de terrorisme, mais pour des faits relevant du droit commun, se retrouvent dans des conditions difficiles. Je suis député du Gard, et la maison d’arrêt de Nîmes est occupée à 200 %. Ces personnes sont malheureusement amenées à en rencontrer d’autres qu’il vaudrait mieux ne pas rencontrer.

Enfin, vous avez parlé de la protection judiciaire de la jeunesse et des éducateurs, dont je fais partie. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur le dispositif que vous envisagez et sur la formation dont les personnels pourront bénéficier ? La plupart d’entre eux connaissent mal les questions liées au djihadisme et à la radicalisation, et ne sont donc pas capables d’analyser le phénomène.

M. Claude Goasguen. Madame la garde des Sceaux, je ne vais pas vous interroger sur les moyens, mais sur le fond du droit. J’ai bien regardé les textes en vigueur, et je me suis aperçu que la loi n’avait pas été modifiée, même si les moyens ont été accrus. Nous restons dans le système issu de la dernière loi sur le terrorisme.

En étudiant les décisions prises par le tribunal de Paris, compétent en la matière, on s’aperçoit que le terrorisme est considéré comme un acte international, dans la mesure où la nationalité des terroristes n’est pas prise en considération. Même si nous sommes très faibles en matière de sanctions sur la nationalité, il ne s’agit pas ici de remettre en cause le droit. Reste qu’on ne saurait assimiler un terroriste français à un terroriste tchétchène. En effet, le Livre IV du code pénal, élaboré il y a quelques années, permet précisément de faire la distinction entre le terroriste étranger, qui est coupable, et la circonstance aggravante que représente le fait d’être français quand on est terroriste.

Sur quelque cinquante pages, une multiplicité d’articles détaillent toutes les situations qui n’ont pas été, pour le moment, envisagées par les procureurs. S’il est établi qu’un Français a travaillé pour une organisation étrangère, en l’occurrence Daech, Al-Qaïda ou Jabhat Al-Nosra, le code pénal est précis : en temps de paix, il encourt des sanctions qui sont visées par le code pénal ; en temps de guerre, les contacts que peut avoir un Français avec une organisation étrangère pour lutter contre les intérêts de la Nation, que l’on peut qualifier d’actes de trahison à l’égard de son pays, doivent être considérés comme des circonstances aggravantes.

La sanction infligée dans la deuxième affaire dont vous avez fait état au début de votre intervention est de sept ans. Cela peut paraître sévère, la loi sur le terrorisme prévoyant un maximum de huit ans. Mais huit ans, avec les dispositions actuelles du code pénal, peuvent se réduire à quatre ou cinq ans. Or, quatre ou cinq ans pour un acte de guerre contre la Nation dont on est issu me semblent constituer une sanction extrêmement faible. En effet, le code pénal, dans son titre IV, est beaucoup plus précis et prévoit vingt-cinq ans de réclusion criminelle.

Faire la guerre à l’étranger contre son propre pays est un acte symbolique fort. On remet ainsi en cause l’attachement que l’on a pour la Nation, que l’on y soit né ou que l’on ait été naturalisé. La Nation a des droits sur l’individu qui va la combattre. Or je n’entends jamais requérir sur cette infraction gravissime qui consiste à trahir son pays. Jamais !

J’avais demandé à M. Trévidic, lorsqu’il était encore au pôle antiterroriste, si l’on pouvait considérer que le fait, pour un terroriste, d’être français, constituait une circonstance aggravante – selon lui, ce n’était pas impossible – ou s’il fallait considérer le terrorisme comme un acte international, qui n’a pas de nationalité. C’est la première question que je vous poserai.

Ma seconde question, qui rejoint ma remarque précédente, porte sur le rôle du juge d’application des peines. La loi me paraît devoir être révisée dans la mesure où elle n’est pas assez répressive ni dissuasive à l’égard de ceux qui pourraient s’engager contre la France. S’engager contre la France est en effet un acte extrêmement grave, et c’est d’ailleurs pourquoi j’utilise le terme de trahison. Mais je ne vise pas le jeune qui n’est pas un islamiste et qui avait simplement a envie d’en découdre et d’aller faire la guerre ; celui-ci peut bien sortir au bout de quatre ans, car c’est presque un droit commun.

Avec la nouvelle loi, qui est votre loi, le juge de l’application des peines (JAP) est devenu, dans les faits, le maître de l’application des peines. Il est juridiquement souverain. J’aimerais donc savoir, lorsque quelqu’un a été condamné pour terrorisme, si le JAP est informé qu’il s’agit peut-être d’un individu qui continuera à avoir des relations avec le terrorisme, et s’il peut le prendre en considération. Juridiquement, non. Or il est tout de même important de savoir que cette personne est suspecte auprès de la DGSI ou d’un autre service de renseignement, qu’elle a été signalée comme telle au juge antiterroriste et qu’elle est susceptible de commettre un nouvel acte terroriste.

Je sais comment les choses se passent. Il peut arriver qu’un JAP, après avoir discuté avec le parent d’un détenu qui fait état d’une promesse d’embauche comme menuisier, en déduise – et décide – que ce dernier est capable de se réinsérer... Quels sont les moyens d’intervention – sinon législatifs, du moins dans les faits – que l’on peut avoir à l’égard du JAP ?

Mme la garde des Sceaux. Monsieur Cavard, vous vous inquiétez, à juste raison, des conséquences de la surpopulation carcérale. Je crois vous avoir dit en commission, peut-être même lors de la précédente audition, que nous nous étions interrogés sur la méthode de sélection employée pour mener, à Fresnes, l’expérience de séparation portant sur vingt-deux personnes incarcérées dans l’établissement. En effet, le directeur qui a lancé cette opération a choisi des personnes qui étaient détenues ou prévenues pour actes terroristes ou pour complicité. Or ce n’est peut-être pas le seul critère pertinent : des personnes qui sont impliquées comme complices, à un niveau simplement correctionnel, peuvent ne pas être dans un processus de radicalisation violente, alors que, dans le même établissement, des personnes condamnées pour des faits de droit commun qui n’ont rien à voir, peuvent être en train de glisser dans un tel processus. D’où l’intérêt de la « recherche-action » en cours et, en particulier, de la détection des signaux faibles, c’est-à-dire des premiers indicateurs qui permettent de comprendre que quelqu’un est déjà dans l’ébranlement.

Les quartiers dédiés permettent une séparation du reste de la population carcérale, et une séparation entre les détenus – qui sont dans des cellules individuelles. Cette double séparation permet à la fois de limiter les tensions et d’isoler les personnes susceptibles d’avoir une influence sur le reste de la population carcérale. Cela n’empêche pas que nous recherchions, parmi les personnes qui ne sont pas incarcérées pour actes terroristes ou pour complicité, celles qui sont susceptibles de passer sous l’influence des prosélytes et de glisser dans un processus de radicalisation violente.

Par ailleurs, depuis plus de deux ans maintenant, nous renforçons les effectifs. En plus des postes qui sont créés chaque année, j’ai obtenu en juillet 2014, par arbitrage du Premier ministre, la création de 534 postes supplémentaires pour la seule administration pénitentiaire, notamment pour soulager les personnels affectés dans les coursives, car il n’y a plus, bien souvent, qu’un seul surveillant par coursive. Mais les nouveaux personnels ne sont pas encore là : les postes ont été obtenus en juillet et les formations ont commencé en septembre. Les 200 premiers postes devraient être pourvus au premier trimestre 2016.

Le renfort des effectifs s’accompagnera de la rénovation des établissements et de l’augmentation du nombre de places. Nous nous sommes engagés à construire, sur le triennal en cours, 6 500 places supplémentaires ; nous allons tenir à peu près les délais. Sur le prochain triennal, nous nous sommes engagés, à raison d’un milliard d’euros d’autorisations d’engagement, à construire 3 200 places supplémentaires. Je précise qu’il s’agit de créations nettes, car nous fermons aussi des établissements vétustes ou des ailes, ce qui nous amène à supprimer des places.

Voilà comment nous répondons à la surpopulation carcérale. J’ajoute que certaines des dispositions de la réforme pénale permettent également d’y répondre. En effet, pour certaines personnes, l’incarcération n’est pas un élément de réinsertion, ni de lutte contre la récidive : je pense, par exemple, aux personnes incarcérées pour non-paiement récurrent de pension alimentaire, ou pour dégradations liées à des addictions – à l’alcool ou aux stupéfiants. La contrainte pénale, qui est assortie d’obligations, d’interdictions, d’un suivi, d’un ajustement au cours du suivi, d’une évaluation, etc., sera plus profitable à ces personnes-là, tout en contribuant à la réduction de la surpopulation carcérale. Il faut reconnaître que l’incarcération désocialise et peut rendre encore plus difficile le respect des obligations fixées par le juge. Je pense tout particulièrement au paiement des pensions alimentaires : l’incarcération du débiteur peut provoquer une rupture d’emploi et aboutir à l’inverse de ce que l’on veut obtenir.

Je répondrai maintenant à M. Goasguen, dont l’exposé appelle quelques précisions.

J’entends votre préoccupation, monsieur le député. Je vous rappelle simplement que les conditions dans lesquelles les infractions de trahison ont été introduites dans le code pénal ne permettent pas de prononcer des sanctions plus lourdes que celles qui sont prévues pour l’association de malfaiteurs, ou même pour l’entreprise individuelle terroriste.

M. Claude Goasguen. Je vous assure que si ! Le code prévoit vingt-cinq ans de réclusion criminelle…

Mme la garde des Sceaux. Monsieur le député, de toutes les façons, les magistrats jugent en droit.

M. Claude Goasguen. Vous pouvez requérir !

Mme la garde des Sceaux. Le procureur, sans doute. Mais pas moi !

La loi du 25 juillet 2013 interdit toute instruction individuelle. Le garde des Sceaux ne peut qu’envoyer des circulaires générales et impersonnelles…

M. Claude Goasguen. Vous pouvez rédiger une circulaire, ou requérir sur la base du livre IV. Je peux vous donner une consultation juridique gratuite !

Mme la garde des Sceaux. Mettriez-vous en doute la capacité des magistrats ? Vous ne supposez tout de même pas qu’ils appliquent un droit plus clément aux personnes qu’ils jugent pour actes terroristes ?

M. Claude Goasguen. C’est que, dans la conception actuelle, le terrorisme n’est pas un acte national…

Mme la garde des Sceaux. Il y a des situations différentes. Je vous rappelle que la loi de décembre 2012 permet de sanctionner un Français qui a commis un acte à l’étranger même s’il n’a porté atteinte à aucun Français ni à aucun intérêt français. Cela me paraît répondre à votre interrogation.

M. Claude Goasguen. Imaginez qu’un individu soit allé en Irak et qu’il reconnaisse, au cours de l’interrogatoire, être allé combattre aux côtés de Daech. Certains l’ont fait, et ils ont été condamnés à ce titre. Ils n’avaient d’ailleurs même pas besoin de combattre : il suffisait qu’ils aient obéi à l’organisation étrangère Daech pour être susceptibles de tomber sous le coup du Livre IV. Je vous assure que c’est très important. Je suis prêt à vous offrir une consultation juridique…

Mme la garde des Sceaux. Monsieur Goasguen, j’apprécie votre offre, mais je la décline !

Je dirai un dernier mot sur les juges d’application des peines. Aucune disposition, dans la réforme pénale, n’a modifié la nature des droits et des pouvoirs du JAP. On ne peut donc pas affirmer qu’il est devenu souverain et que ses missions ont changé. Ce n’est pas exact !

M. Claude Goasguen. C’est parce qu’avant, il y avait des « peines plancher » !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Madame la garde des Sceaux, vous avez balayé l’ensemble des domaines qui sont de votre compétence, depuis les procédures judiciaires elles-mêmes jusqu’aux procédures de protection judiciaire de la jeunesse, en passant par l’administration pénitentiaire. De mon côté, j’ai été particulièrement intéressée par ce que vous avez dit sur le travail mené au niveau international. Mais, peut-être est-ce un défaut de vigilance de ma part, je n’avais pas vu trace, dans la presse, de cette rencontre à huis clos, qui a réuni à Paris, autour d’atelier thématiques, des magistrats de très haut niveau. Le terrorisme étant, par essence, international, il est très important de tenir ce type de réunions, aussi structurées et à un tel niveau. Vous avez dit que l’on pourrait recommencer tous les ans, éventuellement ailleurs. Où en est-on ? Ne pensez-vous pas que la France devrait s’assurer de la pérennité de ces rencontres ? Nous pourrions évoquer la question dans notre rapport.

Ensuite, je voudrais connaître votre point de vue sur les méthodes de déradicalisation qui relèvent, au moins partiellement, de votre compétence. Là encore, ne pourrions-nous pas nous inspirer de ce qui se fait à l’étranger ?

Enfin, je voudrais souligner combien j’approuve les propos que vous avez tenus sur le renseignement pénitentiaire. Je pense qu’avec le texte que nous avons malheureusement voté en première lecture, nous nous trouvons au milieu du gué. Vous l’avez dit avec force et justesse : autant aller jusqu’au bout et doter le renseignement pénitentiaire de tous les moyens d’un service de renseignement, depuis la logistique jusqu’aux bases de données. En ne le faisant pas, nous risquons de modifier le métier de surveillant et de donner une fausse vision de la pénitentiaire. Dans leur majorité, les détenus ne sont pas, autant que je sache, des gens à surveiller. La surveillance est importante, mais elle doit être faite par ceux dont c’est le métier.

M. Jacques Myard. Premièrement, je suis un peu surpris, madame la garde des Sceaux de ce que vous avez dit à propos des moyens, en particulier à propos des créations de postes. Les tribunaux que je connais se plaignent en effet d’être, de manière chronique, en sous-effectifs. Il semble qu’il y ait un hiatus entre la théorie du plan et la réalité du terrain.

Deuxièmement, il me semble qu’il y a encore beaucoup à faire en matière de coordination judiciaire au niveau international, notamment avec les pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Ce n’est pas imputable à la France, mais à un certain nombre d’États qui jouent un double jeu, voire un triple jeu. Pouvez-vous, sans créer d’incident diplomatique, nous donner quelques précisions ? Que souhaiteriez-vous dans ce domaine, et quelles initiatives pourriez-vous prendre ?

Mme la garde des Sceaux. Madame Bechtel, deux séquences de ces rencontres internationales ont été couvertes par la presse : l’ouverture, à l’occasion de laquelle j’ai prononcé un discours, et la clôture, à l’occasion de laquelle le Premier ministre a prononcé le sien. En dehors de ces deux séquences, les trois jours de travaux se sont déroulés à huis clos à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), dont le siège est à l’École militaire.

La tenue de ces rencontres témoigne d’une certaine confiance vis-à-vis de Paris. Comme je vous l’ai dit, ce n’est que vers le 8 février que j’ai pris la décision de tenir ces journées, qui se sont déroulées du 27 au 29 avril. Malgré ce court laps de temps, quelque 200 magistrats de haut niveau, venant d’une quarantaine de pays, ainsi que les représentants de toutes les institutions internationales – Nations unies, Conseil de l’Europe, Union européenne, Eurojust, etc. – ont accepté de se déplacer loin de chez eux pour assister à trois jours de travaux.

J’avais écrit à tous les ministres de ces pays pour les informer de l’esprit de ces rencontres, en précisant que je souhaitais qu’elles se tiennent à un niveau opérationnel. Je m’étais adressée, par politesse, à l’Attorney General des États-Unis, Loretta Lynch, qui venait de remplacer à ce poste Eric Holder mais ce sont son adjoint et le responsable du terrorisme au département d’État des États-Unis qui sont venus.

Les participants ont été « enfermés » à l’INHESJ pendant trois jours – nous avons un sens assez militaire de l’accueil… Et ce sont eux-mêmes qui ont émis le souhait que soit pérennisée la rencontre.

De telles rencontres permettent à des hauts magistrats de se connaître, d’échanger leur numéro direct, et donc de communiquer plus facilement par la suite. Par exemple, lorsque le parquet de Paris a besoin d’obtenir très rapidement l’autorisation de se joindre à une enquête, donc de prendre un avion pour se rendre sur place, il vaut mieux pouvoir appeler les intéressés que de passer par les bureaux d’entraide pénale internationale, d’envoyer du courrier sous pli, etc. On y gagne en efficacité.

Vous m’avez ensuite interrogée sur notre politique de déradicalisation, que nous menons depuis maintenant deux ans. Nous avons signé un partenariat avec l’École pratique des hautes études, avec l’Ecole des hautes études en sciences sociales, avec l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman et avec l’Institut du monde arabe. Nous travaillons par ailleurs avec la préfecture de police de Paris et avec la MIVILUDES.

Depuis le milieu de l’année 2014, nous avons mis en place des programmes de formation pour les personnels pénitentiaires, y compris les conseillers d’insertion et de probation, les éducateurs, et les aumôniers. Ces formations portent sur la laïcité, la citoyenneté et les institutions de la République, sur la prévention de la radicalisation, sur l’emprise sectaire et sur l’enseignement des religions.

Nous avons étudié les quatre programmes mis en place au Royaume-Uni. L’un d’eux y a d’ailleurs été suspendu il y a quatre mois. Nous nous sommes beaucoup intéressés aussi à ce qui se fait en Allemagne. Les Allemands ont en effet institué des formations spécifiques, notamment dans les universités. Ils disposent aujourd’hui d’un vivier de personnes ressources qui interviennent dans les établissements pénitentiaires, que nous envions un peu. Mais nous allons très vite les rattraper…

Nous travaillons aussi avec le Danemark, avec la Suède, la Finlande, qui font la même chose que nous. Enfin, les Canadiens sont également très intéressés par ce que nous faisons : ils sont venus nous voir récemment et je me suis moi-même rendue au Canada pour signer une convention avec eux.

Monsieur Myard, lorsque nous sommes arrivés, il y avait presque 400 postes vacants dans les juridictions, et nous avons pu estimer à 1 400 le nombre de départs à la retraite prévisibles au cours du quinquennat. D’après nos calculs, il fallait ouvrir 300 postes chaque année, de façon à combler au moins les départs à la retraite. Mais, selon moi, il fallait même aller au-delà et augmenter les effectifs de la magistrature.

Nous avons donc ouvert en moyenne 300 postes chaque année. L’année qui vient, la prochaine promotion sera de 360 postes. Nous avons donc battu tous les records. Cela dit, il faut trente et un mois pour former un magistrat.

C’est seulement à partir de septembre 2015 que les arrivées en juridiction seront plus nombreuses que les sorties. La situation va donc s’améliorer, mais je reconnais que la transition aura été pénible. J’ai d’ailleurs dû rappeler des magistrats qui étaient en détachement ou à disposition dans d’autres organismes, pour qu’ils reviennent en juridiction.

Monsieur le député, vous avez par ailleurs soulevé la question de la coordination judiciaire avec les pays du Proche et Moyen-Orient, dont plusieurs ont participé à ces rencontres internationales.

Nous avons passé avec ces pays, soit des conventions régionales, au sein de l’Union européenne ou au sein du Conseil de l’Europe, soit des conventions bilatérales qui permettent une coopération. En l’absence de conventions régionales ou bilatérales, nous sommes tenus par des conventions multilatérales dont certains de ces pays sont signataires et qu’ils ont ratifiées. Ces conventions multilatérales peuvent porter sur la lutte contre le terrorisme, mais aussi sur la lutte contre les trafics de stupéfiants ou la corruption, deux domaines avec lequel le terrorisme présente des convergences.

Mais je perçois derrière votre question une autre question, à savoir : comment construire ensemble des politiques d’intervention et de lutte contre le terrorisme ? Je vous répondrai donc que ces rencontres y contribuent.

M. Georges Fenech. Madame la garde des Sceaux, nous avons entendu ce matin M. Cazeneuve, qui nous a présenté un solide programme axé sur la prévention et le renseignement. Vous mettez vous-même l’accent sur la prévention, que ce soit en termes d’effectifs, de renseignement, de déradicalisation, de fichiers ou de protection des témoins. On ne peut que l’approuver. Mais il manque, dans cette politique gouvernementale de lutte contre le terrorisme, tout un volet consacré à la répression. C’est là que le bât blesse.

Vous avez parlé de surpopulation carcérale. Mais nous n’avons pas de problème de surpopulation carcérale en France : nous avons un problème de sous-équipement immobilier carcéral. Certes, vous nous annoncez la création nette de 3 200 places de prison. Mais vous savez très bien – tout comme M. Pueyo, qui ne me contredira pas… – qu’il en manque, dans notre pays, 20 000 à 30 000 !

Je suis par ailleurs extrêmement surpris de ce que vous avez dit à propos de la contrainte pénale. Jusqu’à présent, vous l’aviez présentée comme une mesure d’individualisation de la peine, ce que l’on peut d’ailleurs concevoir. Mais aujourd’hui, vous la présentez comme une façon de résoudre les problèmes de sous-équipement pénitentiaire !

Vous avez donné l’exemple des personnes qui ne paient pas leur pension alimentaire et qui, selon vous, n’ont rien à faire en prison. Cela risque de faire sursauter les créancières d’aliments, ces mères de famille qui, au bout de plusieurs plaintes et condamnations, n’arrivent pas à nourrir leurs enfants ! Quant à l’autre exemple que vous nous avez donné, celui des revendeurs de stupéfiants, il était tout aussi malvenu.

Loin de moi l’idée de m’opposer méchamment à votre politique pénale, que vous assumez parfaitement. Simplement, je tiens à vous dire que votre politique, dans la mesure où elle ne comporte pas de volet répressif, ne permettra pas de mieux protéger nos concitoyens.

Qu’envisagez-vous de faire ? La Chancellerie a-t-elle engagé une réflexion sur la question de l’aménagement des peines, évoquée par Claude Goasguen ? Je vous avais interrogée dans l’hémicycle sur les réductions de peines, notamment automatiques. En effet, vous aviez pris le soin d’adresser des circulaires à tous les parquets en leur rappelant que les récidivistes devaient bénéficier des mêmes réductions de peines que les primodélinquants.

Comme vous l’avez fait remarquer, il y a une porosité croissante entre la criminalité et le terrorisme. Mais ceux qui s’en rendent coupables seront-ils sanctionnés plus sévèrement ? C’est la question qui nous vient à l’esprit, puisque vous n’avez pas prévu – c’est un fait – de volet répressif pour lutter contre le terrorisme. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas être totalement satisfaits de la politique gouvernementale.

M. Joaquim Pueyo. Dans les établissements pénitentiaires, certains dispositifs permettent de repérer les détenus : quartiers « arrivants », commissions pluridisciplinaires, qui jouent un rôle important dans la prise en charge des détenus. Dans les maisons centrales ou les établissements pour peine, les projets d’exécution de peine prennent en compte la personnalité des détenus.

À condition d’en augmenter les effectifs, nous avons les moyens de renforcer les services de renseignement pénitentiaire, et de coordonner les observations des surveillants ; car c’est bien eux qui se trouvent au centre du système. On peut donc faire évoluer le renseignement pénitentiaire en améliorant les dispositifs existants.

Madame la garde des Sceaux, je crois beaucoup aux expérimentations, comme celles qui ont été lancées à Fresnes puis à Fleury-Mérogis sur la prise en charge des détenus radicalisés. Il conviendrait d’en tirer le bilan. Pour protéger la population pénale la plus fragile des détenus les plus durs, je pense qu’il faut expérimenter les quartiers dédiés, voire placer les leaders dans les quartiers d’isolement.

Je suis intéressé par ce qui se fait dans les pays étrangers, et j’observe que l’administration pénitentiaire a été marquée par les règles pénitentiaires européennes. Celles-ci ont été validées par la loi pénitentiaire défendue par Mme Rachida Dati quand elle était garde des Sceaux. De la même façon, Mme Dati avait renforcé les aménagements de peine.

Un collègue nous dit que les juges d’application des peines ont tous les pouvoirs. Je dirais qu’ils ont moins de pouvoir qu’il y a vingt ans. En effet, des commissions juridictionnelles ont été mises en place, et toutes les décisions des JAP peuvent faire l’objet d’un recours.

Ce qui est important selon moi, c’est de pouvoir détecter les détenus les plus dangereux ; ensuite, de décider d'une prise en charge adaptée dans des quartiers dédiés ; enfin, de suivre et de contrôler le détenu après sa sortie.

Enfin, vous avez annoncé la programmation de 6 500 places de prison. On pourrait augmenter un peu ce nombre, mais sans le porter à 20 000 ni à 30 000, comme le souhaite M. Fenech : ce serait impossible, à la fois financièrement et matériellement, puisque, une fois qu’elle a été décidée, la construction d’un établissement prend sept à huit ans. Il faut donc trouver des dispositifs intermédiaires. Je pense que l’on pourrait effectivement renforcer les aménagements de peine sur certains types de délits – bien sûr, pour les personnes qui ont commis les infractions les moins graves, et celles qui posent le moins problème en matière d’ordre public.

M. le président Éric Ciotti. Merci, monsieur Pueyo, d’avoir porté courageusement ce témoignage en réponse à l’interpellation pertinente de M. Fenech sur le cruel manque de places de prison dont souffre notre pays.

M. Meyer Habib. En avril dernier, le hasard ou la chance a permis d’appréhender Sid Ahmed Ghlam qui, après avoir assassiné Aurélie Châtelain, s’était tiré une balle dans le pied. Mais on ne peut pas compter sur la chance. On ne naît pas djihadiste, on le devient à la suite d’un parcours. C’est en cela que je vous rejoins : il faut prendre des mesures d’éducation et de prévention. Mais il faut aussi, et c’est indispensable, appliquer des sanctions.

Le parcours d’un djihadiste commence souvent en prison. J’ai appris que l’on y avait saisi près de 27 000 téléphones portables. Certains détenus peuvent même se connecter sur Internet et passer des appels vidéo via FaceTime à partir de leur portable. Bien sûr, il y aura toujours des téléphones, mais peut-on limiter les appels téléphoniques depuis la prison ?

J’en viens à un autre sujet : les informateurs. Le ministre de l’intérieur nous a dit ce matin que le petit frère de Sid Ahmed Ghlam, un enfant de neuf ans, avait informé la justice ou la police du dérapage progressif de son frère…

M. Patrick Mennucci, rapporteur. Le ministre de l’intérieur n’a pas dit cela…

M. Meyer Habib. Quoi qu’il en soit, il me semble que, si l’on veut arriver à des résultats, il faut utiliser des informateurs au sein des prisons, et procéder à des écoutes téléphoniques.

Ensuite, nous n’avons pas encore parlé de la question des sources de financement. Lorsque la commission s’est déplacée aux Baumettes, puis à Nice, elle a auditionné des imams, plutôt modérés. Ceux-ci nous ont expliqué que, soudainement, certains jeunes gens disposaient d'argent, et que cet argent pouvait venir de l’étranger. Sans doute s’agit-il de pays comme le Qatar, l’Arabie saoudite voire l’Iran.

Enfin, dernier point et non le moindre : Internet, sur lequel j’ai interrogé ce matin le ministre de l’intérieur. Les gens s’y défoulent en diffusant à flots continus des insultes antisémites, antisionistes ou autres. Des circulaires ont-elles été adressées au parquet à ce propos ? Des sanctions ont-elles été prises ? La question est fondamentale, madame la garde des Sceaux.

M. Jean-Claude Guibal. Madame la garde des Sceaux, vous avez évoqué au début de votre propos les mutations profondes du terrorisme et, en particulier, les convergences de moyens avec la grande criminalité. Est-ce que ces relations sont stabilisées, structurées ? Quelles formes prennent-elles ? Est-ce une grande criminalité internationale, ou plutôt nationale ? Comment traiter de ces relations entre terrorisme et grande criminalité ?

Mme la garde des Sceaux. Je constate que vous portez beaucoup d’intérêt à ces questions et je tenterai de vous répondre le plus précisément possible.

Monsieur Guibal, nous percevons les relations existant entre la criminalité et le terrorisme à travers un certain nombre de procédures.

Il y a déjà deux ans, j’ai décidé de renforcer les huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Malgré le manque d’effectifs de magistrats, toutes sont maintenant en effectif complet, voire, pour certaines, en surnombre, aussi bien au parquet qu’au siège. Elles emploient d’ailleurs aussi des personnes qui ne sont pas des magistrats mais qui travaillent auprès d’eux et sont spécialisées, par exemple, dans les financements internationaux. Ces assistants spécialisés, qui ont des qualités particulières, sont extrêmement utiles.

Le réseau des JIRS a été réorganisé dans le cadre de la loi du 6 décembre 2013 contre la délinquance économique et financière. Son périmètre de contentieux a été précisé. Nous avons supprimé, sauf en Corse, les pôles économiques et financiers, et nous avons créé le parquet financier national. L’architecture de la lutte contre cette criminalité organisée a donc été complètement revue.

De la même façon, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), créée en 2011, a été fortement renforcée. Elle intervient à notre demande dans toutes les juridictions, aussi bien au parquet qu’au siège.

J’ai donné comme instruction, par circulaire, de faire de la saisie patrimoniale un élément de l’enquête pénale. Ainsi, dès le moment de l’enquête, les saisies sont faites. Celles-ci sont importantes puisque, selon les derniers chiffres de 2014, elles atteignaient 1,7 milliard d’euros. Par la suite, elle est confirmée par la confiscation.

Certes, il y a un délai entre la saisie et la confiscation, laquelle ne peut intervenir qu’au terme de la procédure. Mais au cours de ces deux dernières années, nous avons constaté que si les saisies étaient importantes, qu’il s’agisse d’immobilier, de mobilier, y compris de bateaux, de comptes bancaires ou d’espèces, les confiscations l’étaient moins. J’ai donc demandé à l’AGRASC de se mobiliser fortement auprès des magistrats du siège. Nous avons procédé à un travail de sensibilisation, ce qui nous a amenés à mettre au point un guide qui a été diffusé au début de cette année.

Restent les échanges de procédure. Le réseau de magistrats référents que j’ai mis en place en décembre 2014 est extrêmement important. C’est une porte d’entrée dans tous les tribunaux de grande d’instance. Le magistrat référent est un interlocuteur pour le pôle antiterroriste de Paris, pour les JIRS, pour la préfecture. Les informations sont regroupées, ce qui évite toute déperdition d’informations et de temps.

Cela étant, il faut arriver à assécher financièrement le terrorisme. La loi du 6 décembre 2013 contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a augmenté considérablement les amendes : certaines sont passées de 75 000 à 500 000 euros. En outre, il est maintenant possible de saisir la totalité du patrimoine – y compris sa partie licite – par décision de justice.

Monsieur Habib, vous avez parlé des 27 000 téléphones portables qui auraient été saisis. Il ne s’agit pas de téléphones, mais d’éléments téléphoniques – téléphones, mais aussi puces, batteries, etc. Reste que c’est trop, de toutes façons. Dans mon intervention liminaire, j’avais évoqué notre action en matière de brouillage. Je précise que nous avons lancé l’année dernière une expérimentation sur une nouvelle technologie de brouillage, qui s’est avérée concluante. Nous n’en faisons pas tapage, pour des raisons que tout le monde peut comprendre, mais nous avons déjà équipé une dizaine d’établissements, et nous allons en équiper seize autres. En effet, nous avons identifié 26 établissements particulièrement sensibles. Voilà ce que nous faisons pour mettre un terme à l’usage des téléphones portables.

Vous avez également évoqué les informateurs. Vous savez que la loi de 2004 avait créé un statut de repenti, mais que le décret d’application n’avait pas été pris. Nous l’avons pris l’année dernière. Depuis, nous disposons à la fois d’un cadre juridique et réglementaire, mais également de moyens puisque c’est sur les fonds de l’AGRASC que nous finançons ce dispositif. La commission nationale de protection et de réinsertion est en place. Elle a commencé à travailler l’année dernière aussi, et peut décider de l’attribution du statut de repenti et de sa prise en charge. Nous utilisons déjà des repentis dans les programmes de déradicalisation, pour intervenir auprès d’un certain nombre de détenus.

S’agissant d’Internet, vous avez parfaitement raison. C’est d’ailleurs bien pourquoi nous allons modifier la loi de 1881. On ne peut laisser impuni ce qui passe sur internet – s’agissant au moins des infractions de paroles et d’écrits.

Par ailleurs, Internet a considérablement modifié le fonctionnement des groupes terroristes eux-mêmes. Ceux-ci utilisent beaucoup ces technologies, aussi bien pour faire circuler l’information que pour faire de la propagande. Mais la loi du 13 novembre 2014 donne aux enquêteurs du parquet ou du siège les moyens d’intervenir. Nous travaillons depuis deux ans avec les grands opérateurs, afin d’obtenir facilement la suspension et le blocage de sites. Opérateurs, éditeurs et hébergeurs se renvoyaient la balle, mais nous avons réussi à mettre un terme à cela. Reste à régler la question de la compétence juridictionnelle, qui est liée à la localisation du siège. Nous le ferons en obligeant les opérateurs à avoir une représentation en France. C’est à cela que nous nous employons en ce moment.

Monsieur Pueyo, merci de ces précisions. Je rappelle que nous allons construire 3 200 places supplémentaires, et que ce sont 3 200 places nettes – nous allons en fermer 1 082.

À propos des expérimentations et des quartiers, vous avez parfaitement raison. C’est d’ailleurs ce que nous faisons : les leaders ne sont pas dans les quartiers dédiés, mais en isolement. Dans les quartiers dédiés, nous mettons des personnes qui sont en phase de radicalisation, sur lesquels nous estimons qu’il est possible de faire un travail. Nous n’appliquons pas le même régime à ceux qui ont de l’assurance, qui sont structurés mentalement et intellectuellement, qui ont du charisme et la volonté d’influencer et de convertir les autres détenus. Ceux-ci sont en isolement – certains y sont depuis plus d’un an. Ils font l’objet de transfèrements. Ils font l’objet d’une surveillance permanente et sont régulièrement fouillés.

M. le président Éric Ciotti. Madame la garde des Sceaux, je souhaiterais une précision : vous avez parlé tout à l’heure de 6 500 places supplémentaires, puis de 3 200 places nettes supplémentaires. Faut-il additionner les deux chiffres ?

Mme la garde des Sceaux. Absolument.

M. Joaquim Pueyo. On arrive donc à 10 000 !

M. le président Éric Ciotti. S’agit-il de 6 500 places nettes ?

Mme la garde des Sceaux. Oui, car nous avons aussi fermé des places.

Les autorisations d’engagement sont déjà dans le budget.

M. Jacques Myard. Sur quel budget ?

Mme la garde des Sceaux. Le budget triennal. Plus précisément : les 6 500 places sont sur le premier budget triennal, et les 3 200 places sur le budget triennal engagé.

Donc, les autorisations d’engagement sont déjà dans le budget – pour un milliard d’euros. Ce n’était pas le cas des 80 000 places annoncées par la précédente majorité.

M. Georges Fenech. Pas 80 000 : 20 000 !

Mme la garde des Sceaux. Vous avez raison : ces 80 000 places représentaient la capacité d’accueil totale prévue. Quoi qu’il en soit, il n’y avait pas le premier euro pour financer les 20 000 ou 23 000 places supplémentaires !

Monsieur Fenech, je ne peux pas vous empêcher de cultiver des idées fixes. Vous prétendez qu’il n’y a pas de répression, mais uniquement de la prévention – détection, surveillance, signalement, etc. Je vous fais remarquer que c’est tout de même au sein des établissements pénitentiaires que cette prévention s’exerce. Se trouver à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire me paraît déjà constituer l’aboutissement d’une répression.

Ensuite, les textes eux-mêmes permettent la répression.

La loi du 13 novembre 2014 donne aux enquêteurs les moyens, que certains ont d’ailleurs trouvés abusifs, de réprimer. Les tribunaux jugent. Et contrairement à l'ancienne majorité, nous donnons aux tribunaux les moyens de juger – effectifs de magistrats au parquet et au siège, effectifs de greffiers, frais de justice, formations, moyens logistiques.

En 2014, j’ai présenté un plan d’action pour le ministère public qui comprend 19 points, dont l’attribution de téléphones et de tablettes pour pouvoir travailler.

Alors, on peut me donner toutes les leçons de la terre…

M. Georges Fenech. Je voulais parler de l’aménagement des peines.

Mme la garde des Sceaux. J’y viens. Mais vous n’avez pas parlé que de cela. Vous avez dit qu’il n’y avait pas de répression, car c’est là votre tourment.

Lorsque j’ai parlé des procédures judiciaires en cours, j’ai indiqué que plus de 60 % des personnes mises en examen étaient en détention provisoire. Je veux bien que ce ne soit pas de la répression, mais j’observe que contrairement au droit commun, en matière de terrorisme, la détention provisoire est pratiquement la règle.

M. Georges Fenech. C’est encore heureux !

Mme la garde des Sceaux. En effet. Mais ce n’est pas moi qui décide de la détention provisoire : ce sont les magistrats. Cessez de dire qu’il n’y a pas de répression ! Ou dites que tous les magistrats sont en vacances, qu’ils ne font rien, qu’ils sont irresponsables, qu’ils ne punissent pas…

M. Georges Fenech. Nous n’avons pas dit cela !

Mme la garde des Sceaux. C’est ce que vous dites quand vous prétendez qu’il n’y a pas de répression. La répression, ce sont les personnes en prison, qui sont en détention provisoire ou ont déjà été condamnées, et c’est l’ensemble des décisions de justice !

Au lieu de raconter aux gens des choses afin de les rassurer, nous cherchons à assurer leur sécurité. Comme nous voulons neutraliser et éradiquer le terrorisme, nous sanctionnons les actes ou les présomptions d’actes de terrorisme. Mais en même temps, comme nous voulons éviter que certains ne basculent et que les actes de terrorisme ne se démultiplient, nous menons des actions de déradicalisation.

Il ne s’agit pas de faire plaisir à certains à un moment donné, il s’agit d’avoir une politique responsable. C’est notre cas.

M. Georges Fenech. Et les réductions de peine ?

Mme la garde des Sceaux. Monsieur Fenech, en tant que magistrat, vous savez parfaitement que la loi sur les réductions de peine date de 2004. Je remercie celui d’entre vous qui a rappelé que c’est en 2009 que la loi pénitentiaire a été mise en conformité avec les règles européennes – la seule chose correcte qui ait été faite.

M. Claude Goasguen. On a réduit les peines parce qu’il y avait des peines plancher.

Mme la garde des Sceaux. Oui, il y avait des peines plancher, qui faisaient des dégâts considérables ! 98 % des sorties des établissements pénitentiaires étaient des sorties sèches. C’étaient de véritables bombes à retardement, mettant en péril la sécurité des Français. D’ailleurs, les statistiques le montrent : le taux de récidive a triplé entre 2001 et 2011 ! Cela donne la mesure de l’efficacité de cette politique.

Nous, nous avons mis dans la loi que le juge d’application des peines pouvait prendre une décision de retrait de réduction de peine. Mais cela, vous ne le signalez pas. Alors, arrêtez de nous faire des procès sur ce que nous ne faisons pas. Faites-nous des procès sur ce que nous faisons, parce que nous, nous l’assumons.

Monsieur Fenech, vous nous donnez des leçons en matière d’individualisation des peines. Pour ma part, je n’avance pas masquée : je considère que l’individualisation des peines restitue aux magistrats de la liberté d’appréciation ; elle leur permet de prendre la décision la plus ajustée, la plus juste et la plus efficace. Mais elle n’interdit aucune incarcération. Aujourd’hui, un magistrat peut décider d’une incarcération de quinze, voire de huit jours. Pour autant, nous le savons bien, certaines incarcérations désocialisent…

M. Claude Goasguen. Pas les terroristes : ils le sont déjà !

Mme la garde des Sceaux. Je ne parle pas des terroristes.

M. Fenech me reproche d’avoir pris en exemple les débiteurs de pensions alimentaires et les revendeurs de produits stupéfiants. Je précise que je ne parlais pas des revendeurs de stupéfiants, mais de personnes qui, sous le coup d’une addiction, ont commis des dégradations. Je considère en effet qu’il vaut mieux placer ces personnes en soins contraints plutôt que de les incarcérer, de les laisser sortir en sortie sèche au bout de deux mois, pour qu’elles retombent dans leur addiction et se retrouvent à nouveau incarcérées. Et cette politique pénale, je l’assume.

J’ajoute que vous êtes les derniers à pouvoir nous donner des leçons en matière de pensions alimentaires, car c’est ce gouvernement qui a mis en place le recouvrement par huissier sans aucun frais pour le créancier – le plus souvent une créancière – et qui a permis l’intervention de la caisse d’allocations familiales (CAF).

Dans ce domaine, le juge dispose d’éléments d’appréciation. Nous mettons en place, justement par des recrutements, les moyens d’étudier la situation – contrairement à ce qui se faisait auparavant. Nous avons augmenté de 25 % le corps des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Nous mettons également en place les moyens de faire des enquêtes.

Lorsque le débiteur est de mauvaise foi et a la capacité de payer, le juge peut prendre une décision d’incarcération à son encontre. Mais il arrive que le débiteur connaisse des difficultés psychologiques, professionnelles ou financières. Dans ce cas, mieux vaut – y compris pour la créancière – faire en sorte que le débiteur soit en capacité de payer la pension alimentaire, plutôt que de se décharger du problème en le mettant deux mois en prison sans se préoccuper de ce qui se passera ensuite.

Voilà donc ce qu’est réellement notre politique pénale, que nous assumons parfaitement. Et pardonnez-moi, une fois de plus, d’avoir cédé à quelque ardeur.

M. le président Éric Ciotti. Madame la garde des Sceaux, vous reconnaissez vous-même avoir cédé à l’ardeur. Cela vous a amenée à énoncer quelques contrevérités, notamment sur la récidive. À vous entendre, celle-ci a été multipliée par trois. Or c’est totalement faux, comme le démontrent plusieurs études.

Mme la garde des Sceaux. Je peux vous donner les chiffres : 4,9 % en 2001, 12,4 % en 2011 !

M. le président Éric Ciotti. Vous ne nous convaincrez pas sur la pertinence de votre politique pénale, mais c'est un autre sujet qui dépasse le champ de notre commission.

M. le rapporteur. Monsieur le président, le climat de cette audition n’est pas celui que nous avons connu jusqu’à maintenant. Je tiens dire à Mme Taubira qu’en ce qui nous concerne, nous regrettons que l’urbanité qui a caractérisé les cinquante-et-une réunions précédentes n’ait pas perduré. Mais sans doute est-elle habituée. Chaque fois, il y a, de la part de certains de nos collègues, comme une volonté de…

M. Georges Fenech. Qu’est-ce que c’est que ce procès ?

M. le rapporteur. Mais c’est extraordinaire ! Vous ne supportez donc pas la critique ?

M. le président Éric Ciotti. Chacun s’est exprimé avec la courtoisie qui sied de part et d’autre. La ministre a répondu. Il est inutile d’en rajouter.

M. Georges Fenech. Cela s’est bien passé avec Mme la garde des Sceaux !

M. le rapporteur. Est-ce que cela gêne M. Fenech que je parle ?

M. Georges Fenech. C’est une prise à partie !

M. le rapporteur. Je ne parlais pas de vous particulièrement, mais de tous ceux qui, chaque fois que Mme Taubira vient devant cette commission, se sentent obligés de gâcher le climat. Cela a l’air de ne pas vous faire plaisir, mais c’est mon sentiment. Et je pense qu’il est partagé par de nombreux collègues.

M. le président Éric Ciotti. Si cela peut faire plaisir à notre rapporteur, je reconnais que c’est le seul moment où j’ai trouvé le climat un peu tendu. (sourires).

Madame la garde des Sceaux, je vous remercie de votre présence.

La séance est levée à 18 heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, Mme Valérie Boyer, M. Christophe Cavard, M. Éric Ciotti, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Georges Fenech, M. Claude Goasguen, M. Jean-Claude Guibal, M. Meyer Habib, M. François Loncle, M. Patrick Mennucci, M. Jacques Myard, M. Patrice Prat, M. Joaquim Pueyo, M. Patrice Verchère