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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Lundi 22 octobre 2012

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition de M. Michel Bouvard, président-directeur général du Crédit Immobilier de France, et de M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, sur la situation et les perspectives du Crédit Immobilier de France

– Présences en réunion

La Commission entend M. Michel Bouvard, président-directeur général du Crédit immobilier de France, et M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, sur la situation et les perspectives du Crédit immobilier de France.

M. le président Gilles Carrez. Nous sommes heureux d’accueillir notre ancien collègue M. Michel Bouvard, nouveau président-directeur général du Crédit immobilier de France – CIF –, et M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. M. Bouvard est accompagné de MM. Patrick Amat, Claude-Michel Desbordes, Bernard Sevez, Frédéric Delmas et Pascal Gorge ; M. Fernandez est accompagné de MM. Hervé de Villeroché, Corso Bavagnoli, Jérôme Reboul et de M. Alexis Zajdenweber.

Le projet de loi de finances pour 2013 comporte, dans son article 66, une demande d’autorisation d’engagement de la garantie de l’État au groupe CIF pour des montants de 12 et 16 milliards d’euros. Le CIF est un établissement financier qui a pour activité exclusive le prêt immobilier aux particuliers. Ces prêts sont notamment octroyés à un public très social, ne disposant que d’un faible apport personnel : l’établissement les fait alors bénéficier des aides mises à disposition par les pouvoirs publics et les organismes sociaux – prêt à taux zéro, le PTZ –, prêt à l’accession sociale – PAS – ou prêt social location-accession – PSLA.

Le CIF dispose d’environ 2,5 milliards d’euros de fonds propres. Ses encours de prêts s’élèvent à 34 milliards et, en dépit des caractéristiques d’une partie de sa clientèle, il présente un taux de sinistralité analogue à celui des autres établissements financiers. L’histoire des fonds de garantie à l’accession sociale à la propriété montre d’ailleurs que ce taux est toujours resté très raisonnable au cours des vingt-cinq dernières années.

Toutefois, le CIF a un modèle économique atypique : en l’absence de dépôts, il recourt exclusivement au marché pour se refinancer. En août, l’agence Moody’s a mis sous perspective négative la note de la caisse dite 3CIF, qui est la centrale de trésorerie du groupe, en raison de ce modèle, de fait vulnérable en temps de crise des marchés financiers.

Le recours à la garantie de l’État s’est donc révélé indispensable, au moins le temps de trouver une solution. Celle-ci consistera-t-elle en l’adossement à un établissement financier ou à l’extinction ordonnée – run-off – de l’activité du groupe ? Les questions sont multiples, qu’elles concernent la capacité de l’État à assurer un nouvel engagement financier de grande ampleur, le respect des règles européennes en matière d’aides d’État, la possibilité d’adossement du CIF, les modalités d’extinction des activités du groupe si cet adossement apparaît impossible, les perspectives d’accession à la propriété des populations les plus modestes ou la situation des personnels du groupe.

La presse s’est faite l’écho des points de vue des dirigeants du CIF – les anciens et l’actuel – ainsi que des représentants de l’État sur l’avenir de l’établissement ; apparemment, ils ne concordent pas tout à fait.

Depuis la table ronde organisée au Sénat le 3 octobre dernier, le ministre de l’économie et des finances a rencontré les représentants des banques, et un nouveau président-directeur général a été élu, il y a une dizaine de jours, par le conseil d’administration du CIF. Il nous a paru indispensable de l’auditionner, malgré le calendrier très chargé de notre Commission.

M. Michel Bouvard, président-directeur général du Crédit immobilier de France. Pour tout vous dire, chers anciens collègues, j’aurais préféré vous retrouver dans d’autres circonstances. Le Crédit immobilier de France, dont le conseil d’administration m’a demandé d’explorer toute solution alternative au run-off, est confronté à trois problèmes.

Le premier est de nature financière. La dégradation par l’agence Moody’s est intervenue, rappelons-le, après une série d’avertissements concernant 114 établissements bancaires en Europe. L’une des difficultés de celui que je préside est l’absence de dépôts, difficulté d’autant plus grande qu’il ne bénéficie pas d’adossement et distribue des prêts de long terme à des « primo-accédants » : 48 % de ses clients ont ainsi des revenus inférieurs à deux SMIC, contre 15 % en moyenne dans le secteur bancaire.

Si l’on fait abstraction de ce problème de liquidités, la situation de l’établissement est saine : ses fonds propres se montent à 2,4 milliards d’euros ; quant à ses bénéfices, ils ont atteint 78 millions en 2011 et 37 millions au premier semestre de 2012. Une procédure de run-off se traduirait par un boni de liquidation quasi certain.

Revenir sur les responsabilités passées est inutile ; le fait est que les nombreuses tentatives d’adossement ont échoué.

L’avenir du CIF intéresse aussi l’économie, puisque le groupe y injecte chaque année de 4 à 5 milliards de prêts. En régions, de nombreux constructeurs sont dépendants de son activité, les prêts consentis représentant au bas mot 30 000 opérations de construction par an
– je rappelle qu’en 2008, au début de la crise financière, la reprise d’un nombre équivalent d’opérations de vente en l’état futur d’achèvement – VEFA – par les organismes HLM et par la Société nationale immobilière était jugée essentielle pour les secteurs de la promotion et de la construction. D’autre part, la moitié des prêts consentis par le CIF concerne des travaux de rénovation dans l’habitat ancien, le plus souvent confiés à des artisans : si le CIF venait à disparaître, comment le relais serait-il pris par d’autres établissements, et dans quels délais ? Enfin, pour notre clientèle, l’acquisition d’un logement relève aussi de l’épargne de précaution, si bien que l’argent qui ne serait plus investi là irait à d’autres formes d’épargne, et non à l’économie.

Le troisième problème est social : les « primo-accédants » concernés libèrent des logements dans le parc social. Ils font l’objet d’un accompagnement de notre part. Leur apport personnel étant souvent faible, voire nul, et leur profil mal connu des autres établissements bancaires, il n’est pas évident que ceux-ci puissent les prendre en charge, à supposer que leurs contraintes leur permettent d’accueillir de nouveaux clients : cette question se pose par exemple pour le Crédit foncier ou pour la Banque postale, tous deux présents sur ce marché. D’une façon générale d’ailleurs, compte tenu des nouvelles règles prudentielles, le marché des « primo-accédants » a plutôt tendance à décroître.

Je rappelle enfin que 2 400 salariés sont concernés, principalement dans le secteur bancaire, à un moment où quelque 500 salariés de Dexia devront être reclassés et où la tendance, dans le secteur, n’est pas à l’augmentation des effectifs, même si les départs en retraite entraînent un certain nombre de recrutements.

Comme je l’ai dit devant le conseil d’administration, il n’est pas sûr qu’il existe une autre solution que le démantèlement ordonné. La production de prêts nouveaux ayant été arrêtée, le problème de liquidités se posera de façon cruciale dès le début de l’année prochaine. Il est donc légitime que le Parlement se saisisse de cette question d’intérêt public. En tout état de cause, le statu quo est assurément impossible. Nous avons donc proposé aux pouvoirs publics d’étudier, dans des délais compatibles avec le calendrier budgétaire, toute solution alternative au run-off, ou le scénario d’un run-off portant sur le seul stock, ce qui permettrait au CIF de se recentrer sur son cœur de métier, à savoir l’accession sociale à la propriété. Mais il reste à vérifier que cette seconde hypothèse est compatible avec le droit communautaire, et qu’elle est susceptible d’assurer la couverture des charges fixes de l’établissement. Il faut aussi se demander quels seraient les actionnaires de cette nouvelle structure qui, selon les éléments dont nous disposons, pourrait trouver son équilibre et s’assurer une part de marché significative à une échéance de cinq ou sept ans. Je me tiens évidemment à la disposition des deux commissions des Finances du Parlement, mais aussi de la direction du Trésor, pour en discuter.

Même si les stratégies d’adossement ont jusqu’à présent échoué, et si le scénario d’un adossement total me semble malheureusement peu crédible, la préservation de cet outil qui a fait ses preuves dans la durée est à mon sens de l’intérêt général. Certes, il est aujourd’hui malmené par l’absence de dépôts, comme d’autres établissements financiers, mais il dispose d’un savoir-faire et d’une connaissance du secteur irremplaçables, tous atouts qui seraient perdus en cas de démantèlement.

M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. Je souscris à la plupart des analyses de M. Bouvard. Sans m’appesantir sur l’historique, j’aimerais exposer certains éléments de nature à éclairer le contexte, issus du travail que nous effectuons sur ce dossier depuis six mois. J’évoquerai, dans un premier temps, la spécificité du modèle économique du CIF, pour expliquer pourquoi ce qui a fonctionné ne fonctionne plus ; puis je reviendrai sur les raisons qui ont conduit l’État, à la fin du mois d’août, à proposer sa garantie afin d’éviter une liquidation immédiate, ainsi que sur les implications de cette intervention ; enfin, j’évoquerai les solutions envisageables pour l’avenir.

Le CIF est un établissement spécialisé dans l’octroi de crédits principalement hypothécaires. Puisqu’il ne collecte aucun dépôt, il dépend entièrement de l’accès aux marchés pour son refinancement ; en d’autres termes, il ne peut fonctionner que si ces derniers lui sont ouverts. De ce modèle, le CIF est le dernier représentant indépendant dans notre pays. Et les désastres survenus en Europe, dans certains secteurs, venaient d’un type d’activité tout à fait analogue.

Certes, la situation n’a pas été découverte hier. En 2006, le Parlement avait voté une loi de banalisation du statut du groupe, loi dont l’objet était précisément d’ouvrir la possibilité d’un adossement.

M. Jean-Louis Dumont. Tout le monde évite de rappeler que le ticket d’entrée était à 500 millions d’euros ! Qu’en aurait-il été des ratios de solvabilité ?

M. Ramon Fernandez. Le problème du CIF n’est pas la solvabilité, puisque son ratio en la matière est très élevé, mais le besoin de liquidités. On peut évidemment se pencher sur la question que vous soulevez, monsieur le député, mais, même sans la décision de 2006, la situation actuelle du CIF serait exactement la même.

Si le système ne fonctionne plus, c’est en premier lieu parce que les marchés, à partir de 2008, se sont fermés au CIF, qui a progressivement perdu de ce fait toute capacité d’émettre tandis que sa notation évoluait ; et en second lieu parce que l’entrée en vigueur prochaine des nouvelles normes prudentielles de Bâle III, relatives aux liquidités, condamnent toute activité bancaire privée de dépôts.

Les problèmes du CIF sont aggravés par son insuffisante rentabilité, laquelle n’a été maintenue, au cours des dernières années, qu’à la faveur d’un déséquilibre croissant de son bilan, de sorte que la banque est devenue très vulnérable à l’évolution des marchés. La marge qu’elle dégage sur ses crédits est telle que son résultat ne reste positif qu’à la condition qu’elle se refinance à un coût très bas, ce qui l’oblige à émettre sur des durées de plus en plus courtes et l’expose tout particulièrement à une hausse des taux d’intérêt. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les montants à garantir sont si élevés. Si le CIF émettait sur des durées plus longues, lui assurant une vulnérabilité moindre, son résultat ne serait pas positif.

Enfin, le groupe présente un bilan plus risqué que la moyenne des banques françaises, notamment parce qu’il distribue des crédits relativement atypiques à une partie de sa clientèle, en l’occurrence des crédits à taux variable pas toujours plafonnés ou à maturité révisable. Les autres banques ont abandonné ce type de pratiques en raison des risques qu’elles faisaient peser sur les emprunteurs, particulièrement en cas de hausse des taux.

Dans ce contexte, les évaluations des agences de notation ont été des révélateurs, plutôt que des causes, des difficultés rencontrées par le groupe. En mars 2012, les dirigeants de celui-ci ont saisi la Banque de France et la direction générale du Trésor, dans le contexte plus général d’une revue des notes des banques par l’agence Moody’s, pour nous alerter sur les conséquences potentiellement fatales d’une dégradation. Ils ont donc sollicité la garantie de l’État. Pourquoi celui-ci n’est-il pas intervenu immédiatement ? Parce que, s’il l’avait fait, il privait la banque de toute chance de trouver un repreneur durable. Nous avons donc demandé aux dirigeants du CIF, qui ont mis quelque temps à se faire à cette idée, d’envisager une solution d’adossement auprès d’un établissement bancaire. Au mois de juin, une data room, en d’autres termes une chambre de données, a été ouverte afin de permettre aux établissements intéressés de prendre connaissance du dossier. Un candidat, la Banque postale, s’est penché sur celui-ci avant de décider, au terme d’un examen approfondi, de ne pas donner suite.

Au-delà du problème de liquidités du CIF, qui aurait dégradé sa propre situation en la matière, la Banque postale a souligné, auprès de son actionnaire public, la rentabilité insuffisante du portefeuille de crédits, qui l’obligerait à importer des pertes dans un environnement de taux moins favorable que celui connu par le CIF au cours des dernières années. Elle a également estimé que ce portefeuille, plus risqué que la moyenne en raison des caractéristiques très atypiques de certains prêts, ne correspondait pas aux normes de distribution qu’elle souhaitait mettre en œuvre en ce domaine dans son propre réseau. Le taux de surendettement est d’ailleurs relativement élevé au sein de la clientèle du CIF.

Enfin, la Banque postale a jugé qu’en dépit de la solvabilité satisfaisante du CIF, l’intégration de celui-ci dans son capital, loin d’augmenter ses fonds propres, serait susceptible de dégrader ses propres ratios de solvabilité, compte tenu de l’obligation de réévaluer l’actif net de ce groupe.

Plus généralement, elle a souligné que cette opération, qui ne présentait pour elle aucun intérêt stratégique, lui faisait en outre courir des risques accrus à un moment où elle se trouve engagée dans une profonde transformation. Elle a néanmoins confirmé son intérêt de principe pour ce marché, y compris à destination des populations modestes ; elle a annoncé publiquement qu’elle développerait son offre d’accession sociale à la propriété et pourrait ainsi prendre le relais du CIF sur ce créneau. Est-ce à dire qu’elle serait en mesure de couvrir l’ensemble du marché aujourd’hui occupé par le CIF ? La question reste posée. En tout état de cause, la Banque postale s’est engagée, tout comme le Crédit foncier, à intervenir sur ce segment du marché.

Dès le 31 août, c’est-à-dire avant que l’État ne décide d’apporter sa garantie, le directeur de cabinet de M. Moscovici et moi-même nous sommes rendus devant le conseil d’administration du CIF, pour lui indiquer les conditions juridiques sous lesquelles l’État pouvait intervenir. C’est au vu de ces conditions que le conseil d’administration a sollicité ladite garantie. J’ajoute que l’État a conjointement précisé qu’il s’attendait à ce que le président-directeur général renonce à ses indemnités de départ, lesquelles lui avaient été octroyées par son conseil d’administration… au mois de juin 2012.

Compte tenu de toutes ces données, le Gouvernement doit avoir trois objectifs : préserver l’accession sociale à la propriété ; préserver certaines missions sociales des actionnaires du CIF que sont les SACICAP ; enfin, trouver une solution pour les salariés de l’établissement, victimes et non responsables de la situation.

L’accession sociale à la propriété fait partie des priorités du gouvernement. Une des manières de la préserver pourrait en effet consister à recentrer l’activité du CIF sur l’octroi de crédit aux populations les plus fragiles, ce qui résoudrait une partie du problème social. Nous expertisons donc cette piste en liaison avec le nouveau président de l’établissement, mais j’observe que l’activité de l’établissement s’inscrit dans un cadre concurrentiel, y compris pour ce qui est des prêts au logement sous conditions de ressources : ainsi le CIF distribue seulement 10 % de la première tranche du prêt à taux zéro – PTZ –, tout le reste l’étant par d’autres banques.

De façon plus générale, peut-on identifier une population d’emprunteurs qui n’aurait accès au crédit que par l’entremise du CIF ? Il n’apparaît pas que l’établissement présente une spécificité telle que d’autres banques ne puissent offrir les mêmes services. Plus de 85 % de ses clients gagnent plus de 2 500 euros par mois, ce qui n’est certes pas un gros salaire mais est tout de même plus que le revenu médian.

Pour autant, l’État ne saurait sans réagir laisser l’offre de prêts en accession sociale à la propriété s’amoindrir, sous l’effet d’une extinction progressive de l’activité du CIF. C’est pourquoi, le 9 octobre dernier, le ministre chargé de l’économie a réuni l’ensemble des banques de la place pour les convaincre de la nécessité d’une action urgente. À la suite de cette rencontre, la Fédération des banques françaises – FBF – a confirmé que ses membres étaient disposés à développer leur offre sur le segment concerné. La Banque postale a également indiqué qu’elle était prête à se mobiliser, y compris en faveur des personnels.

Le Gouvernement regarde comme essentielle à la politique du logement la pérennisation des missions sociales assumées par les actionnaires du CIF, en particulier du soutien qu’ils apportent à l’Agence nationale de l’habitat – ANAH – dans sa lutte contre l’habitat indigne et la précarité énergétique, conformément à la convention passée entre l’État et l’Union économique et sociale pour l’accession à la propriété – UES-AP. Il faut éviter toute confusion entre l’activité de crédit de l’établissement et ces interventions, qui relèvent des activités propres des SACICAP même quand elles prennent la forme de prêts ou de subventions. Cependant, dans la mesure où elles sont en partie financées par les dividendes du CIF, il importe d’évaluer l’impact qu’aura sur elles la disparition de ces dividendes, pour y remédier. C’est à quoi le Gouvernement s’emploie.

L’État a interposé sa garantie afin d’éviter une liquidation judiciaire immédiate du CIF et de disposer ainsi du temps nécessaire pour organiser le reclassement des salariés. Des discussions ont été engagées avec les établissements bancaires de la place sur ce sujet qui vient au tout premier rang des préoccupations du Gouvernement.

Le dossier a été mis sur la place publique le 31 août dernier. Nous disposons encore de quelques jours pour explorer d’éventuelles solutions alternatives mais la Commission européenne attend de notre part une notification définitive – nous n’avons pu lui adresser qu’une notification préalable faute d’avoir disposé de tous les éléments d’information – et le CIF ne continue de fonctionner que grâce à des dispositifs d’urgence qui ne peuvent être maintenus longtemps. Il faudra donc arrêter une décision définitive avant la fin de la discussion budgétaire.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Comment peut-on nous dire, d’une part, que le CIF ne peut poursuivre ses activités, le modèle étant condamné, et, d’autre part, que c’est un établissement sain, qui ne connaît pas un taux de sinistres supérieur à la moyenne et qui remplit une mission utile en favorisant l’accession sociale à la propriété et en finançant 25 à 30 000 constructions de logement par an ?

Nous n’avons pas entendu d’explications convaincantes du refus opposé par la Banque postale. Quelles en sont les raisons ? L’État ne peut-il inciter cet établissement à reprendre plus que les activités qu’il juge à sa portée, sachant que la Fédération française des banques se dit prête à se substituer au CIF sur ce marché du crédit ? Nous assistons là à une démission collective absolument sidérante.

Je ne comprends d’ailleurs pas comment on a pu en arriver à la situation actuelle : des alertes avaient pourtant été lancées depuis plusieurs années et, en 2009 déjà, on évoquait pour le CIF des formules d’adossement…

En quoi consisterait le recentrage du CIF sur le cœur de ses activités, monsieur Bouvard ? À lui laisser le travail le plus difficile, celui que les autres banques ne veulent pas faire, ce qui reviendrait à le condamner à un taux de sinistres élevé et donc à le condamner à mort ? Un dossier dans un tel état ne peut que susciter notre colère.

M. Dominique Baert. Nous avons tous reçu des notes dont la teneur ne concorde pas avec vos propos à tous deux. Ainsi, selon l’une d’elles, « en échange de l’octroi par l’État d’une garantie rémunérée sur une partie des emprunts en cours du CIF », la direction du Trésor voudrait « imposer un plan d’extinction définitive de celui-ci : arrêt immédiat de toute production des prêts et de toute distribution éventuelle de dividendes aux SACICAP ; licenciement de l’ensemble du personnel correspondant ; transfert des encours de prêts, donc des actifs, du CIF à une autre entité ; enfin, dissolution du CIF et attribution à l’État du boni de liquidation, soit une appropriation allant de 2,5 à 5 milliards d’euros selon les scenarii. » Dans un journal régional, M. Florent Le Grelle, directeur général de Procivis-Nord – un des actionnaires du CIF – dénonce de même une politique à courte vue de la direction du Trésor, qui chercherait à mettre la main sur les fonds propres du CIF au risque d’effets en chaîne désastreux.

Cette présentation des faits est troublante pour les élus locaux que nous sommes aussi. Pouvez-vous la confirmer ou l’infirmer ?

Mme Arlette Grosskost. Quel est l’encours des prêts consentis par le CIF ? Quelle est la moyenne des taux d’intérêt pratiqués ? Ceux-ci sont-ils toujours variables ou y a-t-il eu des renégociations ? Compte tenu de la clientèle spécifique de l’établissement, une forme de titrisation des prêts est-elle envisageable ?

M. Jean-Louis Dumont. La situation du CIF ne pose pas seulement un problème d’algèbre. Nous avons connu, dans la décennie quatre-vingt-dix, des difficultés comparables avec des organismes qui, aujourd’hui, continuent de prospérer – je veux parler du mouvement des « Coop » – et, d’autre part, les méthodes de la direction du Trésor sont bien connues… L’histoire tend d’ailleurs à se répéter : il y a quelques années, c’est le Crédit foncier qui se trouvait, à la place de la Banque postale, invité à absorber le CIF. On ne cesse donc de mettre en cause l’accession sociale à la propriété et l’accompagnement du parcours résidentiel des populations fragiles – par exemple des gens du voyage, parfois sédentarisés depuis quatre générations, pour qui les SACICAP étaient le seul recours.

En plein mois d’août, au moment où le mouvement du logement social était peu mobilisé, l’agence Moody’s a décidé de dégrader la note du CIF et, aussitôt, tout s’est accéléré. La Banque postale, après avoir refusé que l’établissement s’adosse à elle, s’apprête aujourd’hui à récupérer pour presque rien son savoir-faire et ses missions. Rien de tout cela n’est sain, ni rigoureux, ni clair. Nous avons le sentiment d’un échec et d’un très mauvais coup.

M. Olivier Carré. Le boni de liquidation du CI a-t-il déjà été évalué ?

Est-il exact que les autorités européennes ont demandé si l’aide de l’État pouvait être octroyée sans que les actionnaires principaux en aient été préalablement informés ?

A-t-on effectué des simulations pour savoir quel taux de fonds propres serait nécessaire pour absorber une remontée des taux d’intérêt ?

Enfin, plutôt que de recourir à la Banque postale et au secteur bancaire, ne serait-il pas plus approprié de s’adresser aux compagnies d’assurances, et plus précisément aux groupes mutualistes ?

Mme Valérie Rabault. Sait-on à quel niveau il aurait fallu fixer la soulte pour que la Banque postale accepte de rependre le portefeuille du CIF ?

M. Dominique Lefebvre. Je partage la colère du rapporteur général. Errare humanum est, perseverare diabolicum. Aujourd’hui, le CIF n’est pas mis en défaut, grâce notamment à la garantie de l’État, mais le calendrier est extrêmement contraint, la Commission européenne devant donner sa position en février 2013. Quelles seraient les conséquences financières d’un refus d’autorisation de sa part ? Sachant qu’elle ne donnera de réponse positive que si l’on s’engage dans une extinction progressive de l’activité du CIF, où en sont les discussions entre la présidence de l’établissement et la direction du Trésor, en particulier sur le sujet essentiel du plan d’accompagnement social des salariés, qui n’en peuvent mais ?

M. Laurent Grandguillaume. On comprendrait mal qu’aucune solution ne soit trouvée : le savoir-faire du CIF doit être préservé et l’essentiel de ses prêts ne comporte pas de risques importants. Alors qu’elles bénéficient déjà de garanties nombreuses, notamment de l’Union européenne, les banques voudraient récupérer les activités rentables de l’établissement et laisser à d’autres le soutien à l’accession à la propriété. Il importe donc que chacun se mobilise pour imposer une autre issue.

M. Marc Goua. La dégradation de la note du CIF serait due au fait que les bénéficiaires de ses prêts ne sont pas des ménages fortunés. Or, d’une part, les risques sont atomisés et, d’autre part, il apparaît peu probable que le système bancaire traditionnel se résolve à financer les prêts aux plus démunis. Tout un pan de l’accession sociale à la propriété risque donc de disparaître au moment où les pouvoirs publics souhaitent justement la relancer.

M. Éric Alauzet. Je sens un certain flottement dans les explications. D’un côté, on nous explique que le CIF joue un rôle essentiel et dispose de personnels compétents ; de l’autre, que les banques pourraient se substituer à lui pour 85 % de son activité. Est-ce à dire que tout le débat se résume à savoir si la puissance publique va prendre en charge les 15 % de cas les plus difficiles ?

M. Yves Censi. Je crois savoir qu’aux termes de la convention d’avril 2007, les SACICAP se seraient engagées à produire 25 000 logements et à affecter tous leurs bénéfices, entre 340 et 500 millions d’euros, à leurs missions sociales. Les difficultés du CIF réduisent-elles à néant cette convention, qui aurait dû s’appliquer jusqu’en 2017, ou peut-on l’invoquer pour imposer une obligation de suivi ?

D’autre part, peut-on connaître l’état exact des discussions avec la Banque postale ?

M. Jean-Luc Laurent. Je suis moi aussi en colère. La semaine dernière, entendus par la commission des Affaires économiques, le PDG de La Poste et le président du directoire de la Banque postale ont confirmé que cette dernière pourrait reprendre une partie des salariés et une partie des activités du CIF mais cela signifie que, continuant de gérer son portefeuille d’encours, cet établissement sera maintenu pendant plusieurs années encore. Dès lors, il faut également préserver la mission que n’assumeront jamais les banques du secteur concurrentiel, à savoir aider les plus modestes à accéder à la propriété, sans se limiter aux personnes vraiment en difficulté. Il en va d’ailleurs de l’équilibre du budget du logement et de l’investissement public en faveur du secteur locatif.

M. Ramon Fernandez. Je comprends votre colère. Mais, depuis 2006, nous avons, de manière répétée, demandé aux dirigeants du CIF de s’adosser à un autre organisme car nous connaissions le risque que courait l’établissement. Ils ne nous ont pas entendus. Entre le début de mars de cette année et le moment où le président du CIF a bien voulu rendre possible la recherche d’un partenaire, il s’est écoulé plus de trois mois, en dépit de notre insistance. L’État n’est donc pas responsable de la situation.

Les informations qui vous ont été communiquées, monsieur Baert, selon lesquelles l’État réclamerait le licenciement immédiat des personnels ou le transfert de la totalité des portefeuilles de prêts, sont aussi fausses qu’absurdes ! C’est justement pour éviter des licenciements que l’État se bat depuis des mois et qu’il a interposé sa garantie.

Le CIF dispose aujourd’hui de 2,5 milliards de fonds propres, certes, mais nous ne saurons que dans dix ou quinze ans s’il y aura, ou non, un boni de liquidation.

La Banque postale n’est jamais allée jusqu’à avancer un prix qu’elle accepterait de mettre, mais elle a étudié le dossier de très près, posant 667 questions et examinant l’ensemble du portefeuille de crédits, ainsi que la solvabilité et la liquidité du CIF. Après quoi, elle n’a pas souhaité donner suite… Si l’établissement représentait en soi une si bonne affaire, pourquoi aucun fonds ne s’y est-il intéressé ? Mais, sur certains segments très spécifiques du marché, ce pourrait être le cas de certaines banques. C’est pourquoi nous avons engagé de nouvelles discussions, beaucoup plus approfondies, avec la Banque postale et avec le Crédit foncier. Ne désespérons pas de notre capacité à les mobiliser, pour reprendre à la fois des salariés et une partie d’une activité qui, je le répète, n’est pas le monopole du CIF. Notre priorité est que d’autres acteurs, dont certains sont récents, s’affirment sur ce marché.

On ne peut donc pas parler de démission collective, mais seulement d’une situation qui s’est dégradée en dépit de multiples mises en garde des pouvoirs publics et du régulateur bancaire.

Pour sortir de la situation actuelle, deux voies sont possibles, sous réserve d’un examen technique complémentaire. La première consisterait à placer le CIF en extinction progressive. La seconde serait un scénario alternatif de recentrage du CIF. Mais l’expertise doit être menée à bien dans un temps très restreint si l’on ne veut pas prendre un retard qui serait préjudiciable aux salariés du CIF comme à ses activités.

M. Michel Bouvard. Le CIF propose une offre de prêts diversifiée à un public à revenus modestes. L’encours des prêts à taux zéro n’est pas nécessairement la référence la plus pertinente. D’une part, pendant un certain temps, le PTZ n’était destiné qu’à l’acquisition de logements neufs. Or le CIF couvre un marché important d’acquisitions dans l’ancien, d’ailleurs adapté à sa clientèle. D’autre part, le PTZ s’adressait, avant sa réforme, à une clientèle beaucoup plus large, ce qui explique que l’établissement n’ait distribué qu’une part relativement faible de ces prêts – mais cette proportion remonte aujourd’hui.

Il convient de souligner que 63 % des clients du CIF empruntent sans apport personnel et que l’apport moyen s’établit à 4,2 % du prix des acquisitions, contre 18 % dans les réseaux bancaires classiques. Avec les nouvelles normes prudentielles, le niveau d’apport personnel exigé va augmenter, ce qui va poser problème à toute une catégorie de primo-accédants.

Pour répondre à M. le rapporteur général, le scénario d’un recentrage du CIF sur son activité principale est envisageable si l’on considère qu’il s’agit de missions d’intérêt général dans un secteur qui n’est pas, ou qui n’est que relativement peu concurrentiel. Et il y a bien certaines catégories d’emprunteurs pour lesquelles le CIF a une exclusivité : les intérimaires, par exemple, ou encore les personnes âgées qui souhaitent financer des travaux d’adaptation de leur logement. Une banque classique ne leur prêterait pas.

Le volume total des prêts du CIF s’établit à 34 milliards d’euros. L’établissement a octroyé 600 000 prêts à 400 000 clients. S’agissant des prêts à risque ou supposés tels, les prêts à taux variable non plafonnés ne représentent que 3 % de l’encours. Quant aux prêts à remboursement in fine, ils sont consentis non pas en vue d’une acquisition, mais dans le cadre de programmes de construction. Enfin, le CIF a procédé à la titrisation de ses créances, à un taux qui s’établit aujourd’hui en moyenne à 4,5 %.

Pour répondre à la question de M. Carré sur le boni de liquidation, nous avons réalisé des projections et, de son côté, l’Autorité de contrôle prudentiel juge que les pertes in fine sur le portefeuille de prêts seraient d’un montant bien inférieur à celui des fonds propres. Ces estimations doivent naturellement être considérées avec les précautions d’usage.

Le taux de sinistralité enregistré par le CIF – et que l’affaire Apollonia a fait remonter – est aujourd’hui un peu plus élevé que dans le secteur bancaire classique. Cependant, le taux de perte à l’arrivée n’est que très légèrement supérieur, car les emprunteurs du CIF sont accompagnés tout au long de leur parcours, le contentieux étant géré en interne. De plus, ils doivent souscrire des assurances contre certains aléas – accidents de la vie, chômage – auprès de deux organismes, dont l’un est la Caisse nationale de prévoyance
– CNP ; ce système s’est révélé relativement efficace. Au bout d’un certain nombre d’années, il est également possible de modifier les modalités du prêt, par exemple en passant d’un taux variable à un taux fixe. Le CIF a donc développé un véritable savoir-faire dans les relations avec la clientèle à revenus modestes, ce qui lui permet de développer son offre en prenant des risques raisonnables.

Cet accompagnement de l’accession sociale à la propriété – je le souligne – ne coûte rien à l’État. Si, demain, celui-ci devait créer un produit spécifique pour ce type de clientèle, son budget devrait en supporter le coût.

S’agissant des écrits qui circulent ici et là et que M. Fernandez a critiqués, je veille depuis mon arrivée à ce que les documents émanant du CIF soient désormais identifiés comme tels, même si tout ne peut pas être contrôlé dans une structure fédérale. Par ailleurs, l’inquiétude des syndicats est compréhensible. Il ne faut pas donner à ces écrits, certes désagréables, plus d’importance qu’ils n’en ont réellement.

M. le président Gilles Carrez. Dans quel délai, monsieur Fernandez, connaîtrons-nous la position de Bruxelles ?

M. Ramon Fernandez. La notification de l’aide d’État constitue un préalable à l’engagement de discussions avec Bruxelles. À ce stade, comme je l’ai dit, nous n’avons procédé qu’à une notification incomplète dans la mesure où ne disposions pas de toutes les informations nécessaires, faute de coopération de la part de l’ancien président-directeur général du CIF. Dès que nous serons en mesure de fournir un dossier complet, les discussions pourront s’engager.

M. Michel Bouvard. La notification doit intervenir avant le vote de la garantie, c'est-à-dire avant l’adoption définitive de la loi de finances.

M. le président Gilles Carrez. Il le faut en effet.

M. Jean-Louis Dumont. Pourrons-nous interroger le gouverneur de la Banque de France sur le CIF ?

M. le rapporteur général. Nous avons prévu de l’auditionner sur la restructuration du réseau de la Banque de France. Il convient de l’informer que nous souhaitons l’interroger aussi sur le CIF.

M. le président Gilles Carrez. Je le lui ferai savoir.

Je vous remercie, messieurs Bouvard et Fernandez, de ce premier contact.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du lundi 22 octobre 2012 à 14 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Jean-François Lamour, M. Dominique Lefebvre, M. Jean-François Mancel, Mme Valérie Rabault, M. Nicolas Sansu, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Gaby Charroux, M. Jean Launay, M. Thierry Robert, M. Michel Vergnier

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Luc Laurent

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