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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 24 octobre 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, sur la modernisation du réseau de la Banque de France et sur le financement de l’économie par les banques

– Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, sur la modernisation du réseau de la Banque de France et sur le financement de l’économie par les banques.

M. le président Gilles Carrez. Nous accueillons M. Christian Noyer, que nous interrogerons sur la modernisation du réseau de la Banque de France à l’horizon de 2020 et sur le financement de l’économie par les banques. En marge du second sujet, nous évoquerons le dossier du Crédit immobilier de France, qui appelle des décisions rapides, compte tenu de la garantie d’État demandée dans le projet de loi de finances et du dépôt prochain d’une demande d’autorisation documentée auprès de la Commission européenne.

M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. Je vous remercie de votre invitation. Les défis de notre époque n’épargnent pas le Banque de France, et je suis heureux de pouvoir m’en expliquer devant vous.

Au niveau local, la Banque de France exerce trois métiers. Elle gère la monnaie fiduciaire dans ses caisses : elle introduit les billets, les trie, les vérifie et, quand ils sont usagés, les retire de la circulation. Elle traite les dossiers de surendettement. Enfin, elle exerce une activité entreprises, qui tourne autour de leur cotation et de la médiation du crédit. Ces métiers, qui obéissent à des logiques différentes, ne sont pas traités de la même façon dans la réforme.

Durant la prochaine décennie, la Banque connaîtra une évolution démographique rapide – 5 000 agents partiront en retraite, dont 2 600 dans le réseau –, une évolution technologique lourde – le nouveau matériel utilisé pour tri les billets permettra, comme les logiciels dont nous nous servirons dans nos autres métiers, des gains de productivité – et une évolution territoriale. Il faut améliorer les services et réduire leur coût, car la Banque doit participer à l’effort national de rationalisation des dépenses publiques.

La réforme comprend deux phases. Entre 2013 et 2015, nous fermerons quelques services de caisse et bureaux d’accueil et d’information – BAI –, dont la fréquentation est trop faible. Entre 2016 et 2020, nous finaliserons le réseau de caisses et, pour nos deux autres métiers, nous réaménagerons les succursales, en spécialisant les unes dans le traitement de fond des dossiers, tandis que les autres seront essentiellement tournées vers l’accueil, le contact et l’animation. La réforme s’inscrit dans un temps long destiné à ménager une évolution douce, qui permettra de profiter des départs naturels à la retraite et d’offrir aux agents une visibilité sur leur avenir professionnel. Le maillage départemental sera maintenu, comme l’avait décidé mon prédécesseur en 2003. Chaque département conservera une succursale regroupant un directeur, un service d’accueil aux particuliers et un service entreprises chargé du contact, des visites et de la médiation du crédit. Le directeur départemental restera le médiateur du crédit départemental et assurera le secrétariat de la commission de surendettement. Sans cesser d’être présente sur le territoire, la Banque regroupera les centres de traitement pour améliorer tant sa capacité d’analyse que sa force de frappe, tout en gagnant en productivité, grâce à de nouveaux outils informatiques et à une meilleure organisation.

La réforme sera nécessairement longue. J’ai proposé aux organisations syndicales de négocier un accord de méthode pour le dialogue social. La concertation durera plusieurs mois pendant lesquels nous serons également à la disposition des élus départementaux ou régionaux pour leur expliquer la situation et écouter leurs observations.

M. Christian Eckert, rapporteur général. La Banque de France continuera-t-elle à gérer directement la monnaie fiduciaire ou envisage-t-elle des externalisations, ce qui pose, entre autres, des problèmes de sécurité, car on ne peut fermer des caisses sans multiplier les transports de fonds ou les stocks extérieurs ?

Le traitement du surendettement, que vous exercez pour le compte du Trésor, donne-t-il lieu à une rémunération et, si oui, celle-ci est-elle suffisante ? Les restructurations prévues sont-elles compatibles avec l’augmentation du nombre des dossiers ?

Pour la médiation du crédit, l’échelon régional, que vous semblez privilégier, est-il le plus pertinent ?

Enfin, comment s’étonner que des BAI qui ne sont ouverts qu’une demi-journée par semaine ne connaissent qu’une faible affluence ?

Mme Christine Pires Beaune. Alors qu’on a traité 235 000 dossiers de surendettement en 2011, le projet de réorganisation prévoit de mettre en place un portail de télé-déclaration et d’autres outils permettant de dématérialiser, d’automatiser et d’externaliser les procédures. On envisage de faire aider les particuliers par des partenaires spécialement formés, comme les centres communaux d’action sociale – CCAS –, ce qui signifie que la constitution des dossiers sera assurée par des tiers. Est-ce à dire que la Banque de France se désengage ? Comment les CCAS aux moyens humains et budgétaires inégaux, garantiraient-ils à nos concitoyens une égalité de traitement ? Comment des outils efficients mais déshumanisés pourraient-ils accompagner les familles ? Je crains au contraire qu’ils n’excluent les foyers en grande difficulté, notamment en milieu rural.

M. Laurent Baumel. Quel intérêt la restructuration du réseau présente-t-elle pour l’économie française ou pour les contribuables ? Son impact sur l’emploi sera-t-il compensé par des économies ou par un gain en termes de pouvoir d’achat ?

Mme Carole Delga. Pour atteindre le seuil de 1 000 encontres par an, les bureaux de Saint-Gaudens et de Millau, ouverts le mardi entre neuf heures trente et quinze heures trente devraient recevoir 20 personnes dans la journée, ce qui est impossible. Les fermer, comme 25 autres BAI, créera une rupture d’égalité dans l’accès aux services. Faut-il vraiment obliger particuliers et entreprises à se rendre à la Banque de France de Toulouse, à une heure et demie de trajet, alors que, dans la région Midi-Pyrénées, le nombre de dossiers de surendettement a progressé de 40 % ?

La transformation des sites départementaux en front office nuira à la connaissance du territoire. En 2020, dans les régions Midi-Pyrénées, Centre et Bourgogne, de grandes zones n’accueilleront plus aucune Banque de France.

Dans quel but entreprenez-vous de moderniser le réseau ? Après la suppression de 3 000 emplois entre 2004 et 2006, celle de 2 500 emplois sur un total de 6 300 équivalents temps plein n’améliorera pas le service public. Tout au plus éloignera-t-elle le traitement des dossiers de surendettement et fragilisera-t-elle la médiation du crédit, pourtant indispensable en période de crise économique.

M. Pascal Cherki. M. Marc Goua, que je représente, regrette que le projet de réorganisation des établissements ait été établi sans concertation avec les instances représentatives du personnel. Le regroupement des succursales éloignera les usagers des décisions, dépersonnalisera la gestion du surendettement et privera les entreprises de conseils personnalisés. Il videra le département du Maine-et-Loire, où les antennes d’Angers et de Cholet seront particulièrement touchées, d’une partie de sa substance. Il est dommage que la Banque de France renonce ainsi à être un service public de proximité.

M. Pascal Terrasse. Confirmez-vous que la Banque de France conservera son implantation dans chaque département ?

Vous choisissez de régionaliser la veille économique, mais, au moment où les départements rencontrent des difficultés de restructuration, la Banque de France joue un rôle majeur dans les territoires. Le préfet n’a plus d’autre interlocuteur dans les départements ruraux, où les services économiques préfectoraux n’existent plus. En Ardèche, les services de l’État ne bénéficieront plus d’aucune expertise si vous regroupez cette activité à Lyon.

Au lieu de concentrer les hauts fonctionnaires en milieu ultra-urbain, ce qui est de plus en plus coûteux en termes d’espace et de salaire, vous pourriez faire de la régulation salariale en plaçant les employés là où la tension immobilière est moins forte et les transports moins coûteux. La Banque de France agirait de manière exemplaire si elle décentralisait une partie de la fonction publique, ce qui est facile, grâce aux nouveaux modes d’information et de communication. Selon le président du Crédit agricole, qui s’est engagé dans cette voie, c’est un pari gagnant pour les territoires comme pour les salariés. Alors, pourquoi ne pas apporter un peu d’originalité à la gestion du service public ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Depuis qu’une antenne de la Banque de France a quitté ma circonscription, il y a trois ans, les relations avec les entreprises, qui se gèrent désormais à Saint-Claude ou Lons-le-Saunier, n’ont pas changé. Nous n’avons pas investi dans le haut débit pour ne pas l’utiliser ! Quant aux dossiers de surendettement, ils se traitent par courrier, comme partout ailleurs. Il est suffisant que la Banque de France conserve une antenne dans chaque département.

M. Jean-Louis Dumont. La Banque de France est-elle dotée d’un schéma pluriannuel de stratégie immobilière ?

M. Christian Noyer. Je me réjouis que les services de la Banque de France soient appréciés et demandés par les élus, ce que je ne manquerai pas de transmettre à ses agents. Nous cherchons à concilier maintien d’une présence sur le terrain et gain de productivité, car le service public n’a pas vocation à être inefficace ni dispendieux. Si nous ne vivons pas des crédits budgétaires, nous reversons en partie notre résultat à l’État par le biais de l’impôt sur les sociétés et du dividende. Une réforme qui peut nous rendre plus efficients contribue donc au budget de l’État.

Chaque département conservera un directeur, un service de surendettement et un service entreprises. L’accueil des particuliers dans la succursale sera donc maintenu, la seule réduction concernant le BAI. J’entends l’argument selon lequel des horaires limités ne favorisent pas une fréquentation intense, mais, lors de leur création, en 2003-2005, ils étaient ouverts entre deux et quatre jours par semaine, avant que nous n’adaptions leurs horaires à leur fréquentation. Il faut à présent s’interroger sur leur rapport coût/avantages.

Nous ne cherchons pas à mettre à contribution les services sociaux, qui sont de facto très sollicités, mais, puisqu’ils proposent souvent aux personnes surendettées d’établir leur dossier, nous leur proposons notre aide en formation, en soutien et en appui. Nous ne cherchons donc pas à nous désengager. Raisonnons par analogie : les cartes d’identité que délivre le ministère de l’Intérieur ne sont pas fabriquées dans chaque mairie ou dans chaque commissariat. Il est donc légitime de distinguer le front office – où s’effectuent l’accueil, l’aide à remplir le dossier et sa prise en charge – de l’endroit où s’accomplit le travail de fond.

La Banque de France souhaite continuer à gérer la monnaie fiduciaire. C’est la seule banque centrale avec la Bundesbank, à vouloir trier au moins la moitié les billets, alors que les autres ont largement délégué cette tâche au secteur privé.

M. le rapporteur général. Pourquoi tenez-vous à trier la moitié, et non le tiers ou le quart de la monnaie fiduciaire ?

M. Christian Noyer. En dessous de 50 %, nous ne serions plus en mesure de garantir sa qualité. Aujourd’hui, où nous sommes à 80 %, nous ne formons aucun plan pour abaisser ce taux, 50 % constituant pour nous un plancher.

Dans tous les pays, l’évolution technologique contraint les banques centrales à avancer. Dans les dix prochaines années, elles mettront en place des équipements dont les prototypes sont déjà connus. Chaque unité pourra traiter la masse qui est triée aujourd'hui dans une région ou une demi-région. La Bundesbank, qui réforme son réseau, réduira à 30 le nombre de ses unités, alors qu’il circule en Allemagne deux fois plus de billets qu’en France. L’Italie passera de 40 à 30 caisses. Les capacités accrues des nouveaux équipements, qui amélioreront les conditions de travail, expliquent ces réaménagements.

Dans un souci de sécurité, nous avons étudié le nouveau dessin du réseau avec le ministère de l’Intérieur. Nous choisissons avec lui l’emplacement de chaque caisse, que nous négocions également avec les transporteurs de fonds. S’ils nous conseillent de conserver ou de modifier une implantation, nous étudierons leur proposition.

Dans le cadre du surendettement, nous agissons pour le compte de l’État, qui nous rembourse au coût complet, comme l’a demandé la Cour des comptes, c’est-à-dire qu’il nous verse l’intégralité de la somme que nous exposons. Cela dit, le ministre du Budget n’entend pas augmenter les crédits alloués à cette activité. L’augmentation des dossiers doit donc s’accompagner de gains de productivité. Il faut mettre en place des logiciels pour gagner en efficacité et concentrer la matière grise sur le cœur du dossier, ce qui est plus facile si l’on regroupe des équipes de traitement. Notre but est de conserver la même présence sur le terrain et de remplir le même service avec une analyse et une rapidité égales ou supérieures.

Pour le métier entreprises, nous n’avons pas retenu le niveau régional, puisqu’il faudra en tout 40 implantations pour regrouper des équipes d’analystes suffisamment nombreuses. Avec ses enquêtes de conjoncture, la Banque contribue à la connaissance du substrat d’entreprises industrielles et de services par les autorités publiques. Son statut fait qu’elle sélectionne aussi les crédits qui servent de collatéral aux opérations de politique monétaire. Par ce biais, elle intéresse les banques au financement des PME puisqu’une partie du crédit aux PME est utilisable en garantie des opérations de refinancement de l’Eurosystème. En outre, elle vérifie la nature des risques grâce à ses modèles de supervision bancaire. Il faut donc constituer des équipes très professionnelles.

Pour autant, nous n’optons pas systématiquement pour une concentration en milieu urbain qui induirait des coûts supplémentaires. Afin de créer deux caisses de grande puissance, nous quitterons le 1er arrondissement de Paris pour La Courneuve et l’agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing pour Sainghin-en-Mélantois. Ce choix, qui obéit à un souci de rationalité, a été concerté avec les collectivités locales et validé tant par le ministère de l’Intérieur que par les transporteurs de fonds.

M. Goua peut être rassuré : notre droit social impose de saisir d’emblée les représentants du personnel d’un projet complet et cohérent. Sauf à encourir un risque pénal, je n’avais donc d’autre choix que d’ouvrir la réforme à la concertation. J’ai insisté auprès des organisations syndicales pour signer avec elles un accord de méthode qui déroge aux délais relatifs aux plans de réorganisation et de sauvegarde de l’emploi. Le dialogue avec les représentants du personnel durera plusieurs mois. J’entends le mener jusqu’au bout, non seulement au niveau du comité central d’entreprise mais avec les représentants du personnel, dans chaque région concernée.

Pour les BAI, nous allons encore repeigner le projet. Notre but n’est pas de les rendre moins accessibles, mais, dès lors qu’ils pèsent sur le budget de l’État, on ne peut les maintenir au-dessous d’une certaine fréquentation. Il faut trouver l’équilibre, en tenant compte de la géographie et d’autres particularités, entre la présence sur le terrain – la densité de notre réseau n’ayant pas d’équivalent dans les pays comparables ; peut-être qu’en Russie ou en Chine on trouve quelque chose de comparable – et l’efficacité.

M. Alain Fauré. Pour la gestion du surendettement, pourquoi ne pas mutualiser les services de l’État – notamment ceux de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – DIRECCTE – plutôt que ceux des conseils généraux ? Par ailleurs, l’efficacité de la Banque de France en matière de médiation du crédit a-t-elle été mesurée à l’échelle départementale et régionale ? La Banque de France peut-elle jouer un rôle de prévention à l’égard des produits toxiques, par exemple en contrôlant les offres de prêt ? Quelle est l’efficacité de GEODE ? Les PME qui recourent à vos conseils sont-elles plus performantes ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous entendez recourir massivement à l’informatique et à internet pour traiter des dossiers de surendettement, mais en Seine-Saint-Denis, où leur nombre ne cesse d’augmenter, le taux d’équipement informatique est très faible, tout comme la maîtrise du français. Supprimer les implantations et réduire les effectifs – alors même que le traitement d’un dossier est déjà très long –, c’est réduire le service public. Le schéma national ne peut pas s’appliquer dans mon département, où les problèmes se concentrent et s’entrecroisent.

M. le rapporteur général. Le réseau de notre banque centrale est beaucoup plus dense que celui de nos voisins, mais ses missions ne sont-elles pas plus étendues ? Par ailleurs, envisage-t-elle de quitter certains bâtiments particulièrement vastes et cossus pour intégrer des locaux plus fonctionnels et moins onéreux ?

Mme Christine Pires Beaune. Considérer les CCAS comme d’éventuels partenaires est une fausse bonne idée. Dans les trente-neuf communes du Puy-de-Dôme, un seul CCAS a embauché du personnel, en l’occurrence trois personnes, qui ne suffiraient pas à assurer le secrétariat administratif d’un service de surendettement !

Mme Carole Delga. Le projet d’implantation des caisses est inégalitaire. La région Midi-Pyrénées, qui en accueille actuellement trois – à Tarbes, Toulouse et Rodez – n’en abritera plus qu’une, alors que les régions Rhône-Alpes, PACA et Languedoc-Roussillon disposeront rétrospectivement de trois, quatre et deux caisses.

Enfin, je confirme l’analyse de Mme Pires Beaune : seules quatre des 284 communes de ma circonscription disposent d’un CCAS qui emploie du personnel.

M. Lionel Tardy. Selon la recommandation 21 du rapport d’information sur les Autorités administratives indépendantes de MM. Dosière et Vanneste, France Domaine pourrait étudier le relogement ou la renégociation des implantations non incluses dans le marché public des baux de l’État. Comment voyez-vous la situation de l’Autorité de contrôle prudentiel – ACP – et de l’Autorité des marchés financiers – AMF –, qui se réclament de l’autorité exclusive de la Banque de France ?

Monsieur le président Gilles Carrez. Quel sera l’impact de la future Union bancaire sur le rôle, les missions et l’organisation de la Banque de France ?

M. Christian Noyer. Je note que les députés sont sensibles à l’avenir des BAI et que le recours aux CCAS est peut-être une fausse bonne idée.

La réorganisation ne réduira pas notre capacité d’accueil des particuliers et des entreprises dans chaque département. Je le répète : ce n’est pas nécessairement là où s’établit le contact avec le public et les autorités administratives que l’on traite le fond des dossiers. À certains égards, la réorganisation améliorera même le service. Aujourd’hui, quand une personne se rend à la Banque pour connaître l’avancement de son dossier, il faut un certain temps pour le sortir. Il arrive même qu’il ne soit pas disponible. En revanche, la succursale départementale pourra consulter à tout moment le dossier informatisé, même s’il est traité ailleurs. Elle pourra indiquer où en est la procédure et quels éléments peuvent éventuellement y manquer.

Nous avons été pragmatiques lors de la création des BAI accueillis tantôt par les administrations sociales, tantôt par les sous-préfectures, tantôt par des installations professionnelles privées comme les maisons de service public. Nous continuerons à travailler ainsi. Notre but est non de supprimer les contacts avec le public mais de démultiplier les capacités tout en assurant une meilleure information. Dès lors, les gens se sentiront mieux accueillis, orientés et accompagnés, ce qui ne peut être que bénéfique.

M. Fauré m’a interrogé sur les prêts toxiques. La Banque n’exerçait pas de devoir de surveillance avant que la loi Lagarde, qui a créé l’ACP, ne la charge d’une mission sur la commercialisation des produits financiers. J’espère que nous pourrons intervenir dans ce domaine. Au demeurant, je ne m’étendrai pas sur la question très complexe des produits toxiques, dont certains n’auraient jamais dû être conçus.

Nous avons rencontré avec GEODE des succès spectaculaires. Nous avons signé des contrats longs avec des PME et des entreprises de taille intermédiaire – ETI –, qui se sont montrées très satisfaites. Nous avons également fourni des prestations concernant certains secteurs d’activité. Le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales
– GIFAS– prévoit de commander une actualisation annuelle. Enfin, nous avons réalisé des études pour des conseils régionaux sur des bassins d’emplois ou des filières professionnelles particulières. Pour établir cette analyse économique et financière de haut niveau, l’équipe est d’autant plus efficace qu’elle est regroupée.

En Seine-Saint-Denis, nous sommes installés à Saint-Denis et à Pantin. Or, pour l’accueil du public, les premiers locaux sont plus difficiles à utiliser que les seconds. Nous examinerons à nouveau le problème. Quoi qu’il en soit, nous ne nous désengageons pas de la Seine-Saint-Denis, puisque nous allons créer à La Courneuve le premier centre fiduciaire de France. En accord avec le département et la commune, nous allons racheter et viabiliser un ancien terrain industriel. Nous en céderons la moitié à la commune à des conditions avantageuses, pour qu’elle y construise des logements sociaux. L’usine de traitement des billets, sur le modèle de celles qu’on trouve aux États-Unis, au Japon et Singapour – et bientôt dans la Ruhr –, sera l’une des plus modernes du monde. Bientôt, nous en construirons une autre dans le Nord.

L’activité de caisse est globalement la même en France, en Italie et en Allemagne. Pour un territoire de la même taille que le nôtre mais pour une masse de billets deux fois plus importante, l’Allemagne possède quarante caisses contre soixante et onze chez nous. Son objectif est d’arriver à trente caisses et le nôtre à trente-deux. Une caisse traitera donc deux fois moins de billets en France qu’en Allemagne, mais elle couvrira quasiment le même territoire. Les autres activités de la Bundesbank sont moins développées. Le traitement du surendettement est une particularité française.

Le schéma pluriannuel de stratégie immobilière concerne les administrations et les personnes publiques soumises à la réglementation domaniale, ce qui n’est pas le cas de la Banque de France. Celle-ci, en tant que personne publique sui generis, bénéficie d’un statut indépendant, qui ne lui interdit pas d’élaborer une stratégie immobilière. Dans le réseau des succursales, nous avons systématiquement réétudié l’adéquation des locaux aux services. Dans certains cas, nous les avons vendus pour louer des bureaux plus modernes et resserrés. À Paris, nous avons entrepris une complète réorganisation de notre implantation.

Si l’ACP, située dans les locaux de l’ancienne Commission de contrôle des assurances et des mutuelles, est adossée à la Banque de France, l’AMF est indépendante et a son propre budget.

Dans la région Midi-Pyrénées, où le territoire permet une desserte facile, les flux se concentrent spontanément sur Toulouse. D’autres régions font apparaître deux centres très différents. En Bretagne, ils se situent chacun à une extrémité du territoire. Quoi qu’il en soit, l’activité de caisse est indépendante des frontières régionales et départementales. Les transporteurs de fonds ne considèrent pas que les billets distribués ou ramassés dans une région doivent être apportés à la Banque de France de cette région. L’irrigation du territoire obéit à des flux parfois surprenants.

Au cours de la négociation, nous revérifierons précisément avec nos interlocuteurs la couverture du territoire. Par exemple, nous avons maintenu la caisse de Gap ou les deux caisses de Corse, qui s’accommoderont d’équipements légers, compte tenu de leur petit volume, même si ces installations, comparables à celles de l’outre-mer, ne sont pas optimales en termes de sécurité ou de confort.

L’Union bancaire devrait reposer sur une organisation très décentralisée, de type fédéral, à l’instar des États-Unis qui combinent deux systèmes de supervision, le premier sous l’égide de la Fed qui contrôle les grandes banques, le second sous l’égide du FDIC, l’agence fédérale de garantie des dépôts, qui est chargé des petites banques. L’équipe centrale réunit environ 5 % de la force de travail, le reste, réparti localement, inspecte les établissements et analyse le reporting. Le niveau central intervient, lui, par sondage ou par thème. Concrètement, cela signifie pour nous que, sur les 700 personnes travaillant au contrôle des banques, il faudra peut-être en détacher 35 à Francfort. En revanche, l’Union bancaire changera sans doute beaucoup les méthodes de travail – nous serons amenés à participer à des inspections conjointes organisées par la BCE en cas de problème ponctuel, et à recevoir l’appui de collègues pour mener certaines missions – qui tendront à rendre le contrôle plus homogène.

S’agissant du financement bancaire de l’économie, je ne voudrais pas vous donner l’impression que nous défendons les banques ; nous leur avons mis souvent l’épée dans les reins ces dernières années. Nous exerçons notre vigilance et n’avons pas jusqu’à maintenant décelé les prémices d’un credit crunch. La croissance des crédits aux entreprises continue de ralentir – + 0,6 % en septembre sur un an, contre + 4,5 % un an plus tôt – mais elle reste positive. Par rapport à l’ensemble de la zone euro, nous sommes en deuxième position, juste derrière l’Allemagne, la moyenne de la zone euro étant négative : –1,3 %, sachant que ce taux tombe à –3 % au Royaume-Uni.

Cela étant, ce chiffre recouvre deux évolutions contrastées, mais rassurantes. Premièrement, les crédits consentis aux PME ont augmenté de 3,3 % alors que ceux des grandes entreprises ont baissé parce qu’elles ont profité des bonnes conditions pour aller sur le marché, à l’incitation parfois des banques elles-mêmes. Autrement dit, les PME s’en tirent relativement bien. Deuxièmement, les crédits d’investissement sont encore relativement dynamiques – +2,9 % en croissance annuelle – tandis que les crédits de trésorerie ont baissé de 5,3 % parce que les besoins en fonds de roulement ont diminué à cause soit du déstockage, soit d’une réduction de l’activité. Cette analyse doit être recoupée par d’autres données, ce qui me donne l’occasion de vous répondre à propos de la médiation du crédit.

Depuis 2008, la Banque de France a traité plus de 33 000 dossiers ; 27 000 ont abouti avec un taux de réussite de 62 %. Cela représente environ 15 000 entreprises et 259 000 emplois. Le nombre de dossiers déposés est un indicateur intéressant. Or, ce chiffre n’a pas augmenté depuis un an. Si nous examinons maintenant non pas nos enquêtes auprès des banques mais les résultats de la dernière enquête trimestrielle que nous menons depuis un an auprès de 4 000 PME de tous secteurs et de toutes localisations, ils montrent, comme le trimestre précédent, que plus de 90 % des demandes de crédit d’investissement sont satisfaites et 75 % des demandes de crédit de trésorerie. Nos chiffres se situent un peu au-dessus des chiffres allemands. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes individuels mais, au niveau macroéconomique, il n’y a pas de restriction de l’offre de crédit. C’est la demande qui se contracte.

L’évolution des crédits aux ménages suit une évolution comparable. La distribution de crédits à l’habitat reste en croissance même si le rythme se ralentit – + 3,5 % en septembre – et le ralentissement devrait se poursuivre ; tandis que les crédits à la consommation sont très peu dynamiques, puisqu’ils n’ont augmenté en septembre que de 0,9 %. Au sein de cette catégorie, le recul des crédits renouvelables est très sensible, conformément aux souhaits des pouvoirs publics compte tenu de leur rôle dans le surendettement, au profit du crédit classique remboursable.

L’encours des crédits aux collectivités locales, hors Dexia et Caisse des dépôts, est en progression de 5,2 % sur an. J’avais exprimé devant vous ma crainte de voir les autres banques chercher à se désengager mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

M. Dominique Baert. Le volume est là, mais pas la durée.

M. le président Gilles Carrez. À quel horizon voyez-vous la création de la structure censée remplacer Dexia ?

M. Christian Noyer. Il faut impérativement qu’elle ait vu le jour avant la fin janvier. Sinon, DCL aura de sérieux problèmes de refinancement. Idéalement, il aurait fallu plus tôt, mais la négociation avec la Commission a été très difficile. Nous avions prévu que la société foncière DMA soit encore utilisée par DCL et par la nouvelle entité Banque Postale-Caisse des dépôts, mais la Commission a exigé une séparation complète. Par ailleurs, les discussions avec l’État belge ne sont pas faciles non plus, si bien que les négociations tripartites se sont révélées très complexes.

M. le rapporteur général. M’inspirant largement des réflexions d’Henri Emmanuelli, je vous demanderai comment vous vérifiez le respect par les banques du taux de centralisation de l’épargne réglementée – livret A et livret de développement durable  – et, surtout, l’utilisation des fonds qu’elles conservent par-devers elles. Il était entendu que les banques devraient faire un rapport sur la destination de ces sommes, en guise de contrepartie – modeste – de la banalisation du livret A. Nous n’en avons pas vu le début de la moitié du commencement, la Fédération bancaire française – FBF – renvoyant la balle à la Banque de France au prétexte qu’elle ne lui fournit pas les données suffisantes, et vice-versa.

Par ailleurs, la rémunération des banques pour la distribution de l’épargne réglementée devait être décroissante. La marge a d’ailleurs été ramenée de 0,6 % à 0,5 % ou 0,58 %, selon mes informateurs, mais nous sommes encore loin des 0,4 % évoqués par le rapport Camdessus.

M. le président Gilles Carrez. Depuis la banalisation du livret A, la FBF se contente toujours, pour nous répondre, de comparer l’encours des prêts aux PME, et son évolution, à celui des fonds collectés. Comme le premier est – heureusement – toujours très supérieur au second, elle nous explique que, du fait de la fongibilité des ressources, la totalité de l’épargne réglementée va bien aux PME. Comment obtenir une plus grande étanchéité ?

Mme Christine Pires Beaune. Au titre de la médiation du crédit, le réseau de la Banque de France a été très sollicité, ce qui a permis de préserver le financement de notre tissu économique local, et par voie de conséquence nombre d’emplois. Ne croyez-vous pas, monsieur le gouverneur, que ce succès repose essentiellement sur une connaissance fine du tissu économique local acquise grâce aux relations que vous entretenez avec l’ensemble des acteurs économiques et sociaux au plus près des territoires ? Ne craignez-vous pas que l’éloignement des implantations ne leur complique la tâche et les rende moins accessibles aux entreprises ?

M. Christian Noyer. S’agissant du taux de centralisation, les banques financent les PME bien au-delà des seuils exigés par les textes. La tentation est grande de considérer que, comme les établissements bancaires feraient de toute façon des crédits aux PME, ils devraient en faire encore plus. Mais un tel raisonnement suppose le fléchage des fonds. Outre qu’il serait extraordinairement coûteux, la facilité qu’il y aurait à le détourner le rendrait vain. C’est pourquoi le ministère des Finances a proposé un texte centré sur le crédit aux PME, qui a tout de même le mérite de créer une incitation, sinon une obligation, à rester actif puisque c’est la variation de l’encours net qui est prise en considération. Nous nous faisons communiquer les chiffres banque par banque pour les agréger et les fournir à l’observatoire de l’épargne réglementée qui les publie. Vous avez raison, monsieur le rapporteur général, chaque banque devait communiquer et commenter ses propres chiffres. Cela est fait en principe, mais je m’engage à vérifier et à vous transmettre le résultat de mes investigations.

Nous avons conçu notre nouvelle organisation de façon à conserver notre savoir-faire dans la médiation du crédit. L’équipe entreprises présente dans chaque département sera constituée d’un ou deux analystes confirmés, habitués au contact avec les entreprises et aptes à la négociation. Au cas où nous serions amenés à fermer un centre secondaire dans un département, nous mettrions en place, comme nous l’avons déjà fait, des directeurs délégués de pôle économique, qui continueront d’habiter sur place et maintiendront le contact de proximité avec les entreprises du pôle économique. Que la cotation soit faite ailleurs, sous la responsabilité du directeur, n’empêchera pas les visites de terrain ni le dialogue avec le service de cotation, si bien que la médiation se fera comme aujourd'hui. En tout cas, tel est notre objectif et si, au cours de la négociation, nous nous rendions compte que cette mission risque ne pas être atteinte à tel ou tel endroit, nous modifierions le plan.

M. le président Gilles Carrez. Venons-en au CIF maintenant. Comment analysez-vous le dossier ?

M. Christian Noyer. S’agissant du CIF, j’ai lu le compte rendu de l’audition du directeur du Trésor et notre analyse correspond à la sienne. Le modèle économique de l’établissement a pu fonctionner tant que, partout dans le monde, le financement de l’immobilier par le marché était facile : les investisseurs internationaux recherchaient les titres hypothécaires parce qu’ils étaient censés être de bonne qualité et que le marché français avait une excellente réputation. Aujourd'hui, après la crise des subprimes, l’effondrement des marchés immobiliers irlandais et espagnol, les investisseurs et les agences de notation, instruits par les suites de la faillite de Lehman Brothers, sont beaucoup plus circonspects à l’égard de la capacité des banques à résister à un choc de liquidité. En outre, les évolutions réglementaires ont changé la donne. La crise de 2007-2008 n’a fait qu’accélérer une évolution qui était déjà en germe. D’ailleurs, depuis 2006, la Banque de France, comme la direction du Trésor et le ministère des Finances, était très favorable à un adossement du groupe à un grand réseau.

Nous estimons que les dirigeants du CIF ont, à l’époque où un tel rapprochement aurait encore été possible, fait tout ce qu’il fallait pour qu’il échoue. Les banques de la place pourront vous le confirmer.

Première hypothèse : l’adossement. Est-il encore possible ? Le ministère des Finances le recherche depuis de longs mois, nous avons exercé des pressions dans le même sens sur les dirigeants du CIF, non sans mal d’ailleurs. Ces efforts conjugués n’ayant pas abouti, l’hypothèse semble devoir être écartée. Pour une raison structurelle, d’abord : les banques françaises manquent de dépôts, d’où des problèmes de liquidité récurrents. Pour 100 euros de dépôts, elles accordent 133 euros de crédit. C’est un ratio très défavorable. Elles sont pourtant très bien gérées mais, avec l’épargne réglementée, il y a des fonds qui échappent au système bancaire. Ensuite, pour des raisons fiscales, l’assurance-vie s’est développée beaucoup plus que dans les autres pays. Enfin, les OPCVM drainent également une épargne considérable. Certes, ces investisseurs placent auprès des banques, mais il s’agit alors, par convention, d’un financement de marché, même s’il s’agit d’une compagnie d’assurance captive ou d’un OPCVM distribué par ladite banque. Concrètement, le système français est assez résistant parce que les investisseurs ne vont pas se retirer d’un seul coup, mais les agences de notation et les investisseurs internationaux ne vont pas aussi loin et voient dans cette dépendance à l’égard des marchés un élément de fragilité. Nos banques auront d’ailleurs du mal à respecter les ratios de liquidité de Bâle III quand ils entreront en vigueur. Elles devront d’ici là faire un travail de « réintermédiation » des dépôts dans leur bilan. Ce constat explique qu’aucune d’entre elles ne considère pouvoir refinancer un portefeuille d’une quarantaine de milliards et devoir assumer le poids du passé pour se lancer dans une nouvelle activité.

La Banque Postale est la seule à être en excédent de liquidités. Il était donc naturel de penser à elle, d’autant que sa clientèle est assez proche de celle du CIF. Elle a étudié notre demande à fond mais elle a renoncé compte tenu des risques pour sa notation et sa liquidité. Sur le plan de la gestion, les structures du groupe CIF sont compliquées et il faudrait les changer de fond en combles pour en assurer un contrôle complet. Sur le plan social, l’intégration pourrait provoquer chez elle des tensions en interne. En outre, l’acquisition d’un réseau, dont l’affaire Apollonia a montré l’absence de contrôle sur les prescripteurs, lui procurerait un gain de clientèle limité dans la mesure où les clients du CIF sont déjà les siens – ou ceux des Caisses d’épargne ou du Crédit Mutuel. Enfin, l’encours comporte une proportion élevée de taux variables. Son analyse est pertinente même si, à condition que les taux de défaut se maintiennent, les crédits pourraient s’éteindre sans impact sur les fonds propres. Une hausse des taux est toujours possible et elle se ressentirait sans doute sur une population aux revenus limités. Les fonds propres seraient alors absorbés rapidement.

Seconde hypothèse : une poursuite de l’activité avec une garantie de l’État serait-elle rentable ? On se heurterait alors aux règles de la concurrence et à la politique en la matière de la Commission européenne.

L’alternative est donc la suivante : soit l’État accorde sa garantie et elle est synonyme d’extinction de l’activité, soit celle-ci se poursuit, et il faut alors, pour que la concurrence ne soit pas faussée, que la garantie de l’État soit rémunérée à sa valeur de marché. Je ne sais pas l’évaluer exactement mais, si elle était de 100 points de base par exemple, l’activité ne serait plus rentable.

Dans ces conditions, la mise en extinction est inévitable. Il faudra donc que le segment de marché du CIF soit occupé par les autres établissements et il est important que la Banque Postale se lance dans le financement de l’accession sociale à la propriété en utilisant tous les outils à sa disposition. D’autres réseaux sont potentiellement intéressés par cette clientèle qui représente chez eux des déposants. Certains portefeuilles pourraient être rachetés et faire l’objet d’un adossement, notamment le financement du personnel des industries électriques et gazières, et de la SNCF, qui avaient été vendus au CIF par les groupes industriels ou de services qui souhaitaient s’en séparer. D’après les contacts que j’ai eus, certaines agences du réseau pourraient également intéresser quelques banques. Le ministère des Finances est en discussion avec elles. Elles envisagent même de recruter des agents du CIF.

L’intérêt général veut que l’activité se poursuive dans des conditions économiquement viables. L’histoire du CIF plaide plus en sa faveur que la période récente où des risques excessifs ont été pris, avec des quotités de financement des opérations proches de 100 % et des durées de crédit de plus en plus longues qui exposaient l’établissement au risque de taux d’intérêt au moment du refinancement. En outre, la concentration sur les taux variables aggravait encore le risque clientèle. Devant une telle évolution, nous avions demandé un renforcement des fonds propres au-delà des minima réglementaires, montrant par là notre inquiétude. Cas unique à ma connaissance : le groupe a attaqué la décision que nous avions prise devant le Conseil d’État, lequel – ironie de l’histoire – a annulé la décision du collège de l’ACP pratiquement le jour où le groupe est venu m’annoncer que Moody’s allait le dégrader et qu’il fallait le sauver…

M. le président Gilles Carrez. Le temps du Conseil d’État n’est pas celui de la banque…

M. Olivier Carré. Quelques-uns de vos propos demandent à être explicités.

L’activité du CIF est plutôt risquée et il y a un effet ciseau à cause des taux variables. Mais, d’après ce qui nous a été dit, ils ne représenteraient pas plus de 15 % des prêts et les stress tests les plus défavorables faisaient apparaître une perte de 600 millions d’euros, pour des fonds propres quatre fois supérieurs. La crise n’est apparemment pas si grave et, d’ailleurs, pour le moment, elle n’a pas éclaté.

Vous avez, comme d’autres, critiqué la façon de faire des dirigeants, mais elle est liée à la vocation sociale initiale du CIF, que ne partagent pas forcément les autres réseaux. Il a donc accordé des prêts à une clientèle plus risquée. Le caractère dissuasif des exemples anglo-saxons de ces dix dernières années fait que l’on voit mal comment un tel service pourrait être rendu par le réseau traditionnel, quels que soient les efforts et la bonne volonté de la Banque Postale dont le cœur de cible est pourtant proche. On risque fort de devoir dresser un constat de carence, d’autant que, à cause des produits distribués tels que les prêts à taux zéro ou les prêts sociaux d’accession à la propriété, les marges pratiquées par le CIF étaient plus faibles qu’ailleurs, ce qui exclut d’emblée de rémunérer la garantie à hauteur de 100 points de base.

L’établissement ne paie-t-il pas finalement très cher les maladresses que ses dirigeants auraient pu commettre à l’égard de la place ? Les établissements qui ont eu des alertes n’ont peut-être pas compris assez tôt que le modèle avait changé, ni mesuré les difficultés qu’ils auraient à se refinancer, même si leur portefeuille était sain.

M. Dominique Lefebvre. Beaucoup de mes collègues sont irrités d’entendre qu’il est trop tard pour trouver un adossement et ils se demandent pourquoi rien n’a été fait avant. Le problème avait été soulevé dès 2006. En 2009, l’Autorité de contrôle prudentiel était intervenue. Toutes les autorités étaient parfaitement informées et elles ont laissé faire.

Confirmez-vous, monsieur le gouverneur, que c’est parce que l’État a de facto apporté sa garantie depuis le 1er septembre, que le CIF n’a pas fait défaut ? Et que, de surcroît, la Banque de France elle-même intervient ?

M. le rapporteur général. Le nouveau président du CIF envisage une poursuite de l’activité à l’intérieur d’un périmètre resserré, c'est-à-dire au profit de la clientèle qui n’a aucune chance auprès des autres établissements. Qu’en pensez-vous ?

M. Christian Noyer. Quelles que soient les erreurs, les incompréhensions – sans doute les autorités n’ont-elles pas été encore assez insistantes –, il n’en demeure pas moins que le risque n’a pas été compris. Et, depuis la crise, certaines solutions, même si elles ont été très près d’aboutir, ne sont plus possibles. On ne peut que le déplorer, mais c’est ainsi.

Le modèle économique fondé sur le refinancement intégral par les marchés ne fonctionne plus. Les souscripteurs n’y croient plus – pas seulement les grands fonds de pension étrangers, et même s’ils n’ont pas forcément une mauvaise image du crédit hypothécaire –, et les agences de notation non plus. Le risque de refinancement est complexe à couvrir puisque l’État doit proposer une double garantie des flux internes de trésorerie et du refinancement externe. Pour qu’une foncière marche, elle doit être associée à un groupe aux ressources diversifiées, pour résister aux chocs. L’idéal serait que l’activité du CIF soit reprise, mais il est difficile de s’assurer que tous ses créneaux seront occupés par des établissements auprès desquels sa clientèle avait déposé de l’argent ou souscrit des crédits à la consommation. C’est la seule possibilité aujourd'hui.

Il y a quelques années, avant même que l’Europe ne se dote d’un système de résolution des conflits dans le marché intérieur, nous aurions pu, et je regrette beaucoup de ne pas avoir insisté suffisamment en ce sens, nous ménager les mêmes pouvoirs qu’en matière d’assurance. Si, en tant qu’autorité de résolution, nous avions eu la possibilité – ce qui vous sera probablement proposé dans le projet de loi bancaire – de négocier des transferts partiels de portefeuille, en emplois et en ressources, nous aurions pu contourner les difficultés liées aux structures et à la gouvernance et trouver des solutions, au moins dans certaines régions ou certaines zones, et pour certains types de clientèle. Nous aurions ainsi épargné une partie du personnel et facilité le rachat de clientèle. Manifestement, la reprise du groupe en bloc est, compte tenu de la complexité de sa gouvernance, un obstacle supplémentaire.

S’agissant de la garantie, le ministère des Finances et nous-même avons miraculeusement réussi à faire patienter les agences de notation, en les assurant qu’il y aurait soit adossement soit intervention de l’État. C’est la raison pour laquelle la dégradation n’a pas été plus rapide et que le défaut de paiement a pu être évité.

Oui, la Banque de France a mis en place une assistance de liquidité d’urgence, de plus de 3 milliards d’euros, en prenant des actifs en collatéral. Nous avons aidé le CIF à les présenter selon les règles de l’Eurosystème. Pour de tels montants, les aides sont discutées au conseil des gouverneurs de la BCE, qui les a acceptées parce que j’ai fait valoir que le Gouvernement avait déposé un projet de loi pour accorder sa garantie, et que le problème serait réglé sans doute par mise en extinction.

M. Olivier Carré. La banque Peugeot est dans une situation un peu comparable, la spirale infernale commençant par la menace de dégradation, qui rend impossible le refinancement, et ainsi de suite. Les salariés du CIF que nous avons auditionnés ont fait le parallèle et comprennent mal que la garantie apportée par l’État à la banque Peugeot ne l’empêche pas de continuer son activité.

M. Dominique Lefebvre. Je comprends qu’on cherche une solution jusqu’au dernier moment mais je ne vois toujours pas d’issue possible aux discussions entre la direction du Trésor et celle du CIF alors que la date butoir est fixée à la fin février. Le plus important aujourd'hui reste l’avenir des 2 500 salariés du CIF. Ils n’ont rien demandé à personne ; ils ont le sentiment d’accomplir une mission d’intérêt général et d’avoir bien fait leur travail. Leur reclassement me paraît inéluctable et on continue, après des années et tant de manœuvres dilatoires, à chercher une solution. L’urgence est probablement à la préparation du plan d’accompagnement social. Qu’en pensez-vous ? Comment pouvez-vous aider à ce reclassement ?

M. Christian Noyer. Certes, la banque Peugeot repose sur un modèle identique : le refinancement par le marché et l’Eurosystème. Mais elle est adossée à un groupe industriel. Et ses concurrents ont, pour la plupart, ce type d’outil dans la mesure où le crédit est un argument de vente essentiel dans l’automobile. Peugeot, en se séparant de sa banque, risquerait de perdre un atout supplémentaire vis-à-vis des autres constructeurs, et de précipiter ainsi sa chute. Le problème n’est pas définitivement réglé pour autant. La banque est très rentable et ses fonds propres sont très élevés : 13 % de fonds propres tier one. Elle a vraiment tout pour plaire, sauf sa maison mère… Et elle a été déclassée dans son sillage. Les agences ne vont pas au-delà, considérant que, si le groupe auquel la banque est adossée doit faire faillite, elle n’aura plus rien à financer et que son avenir sera compromis. À long terme, la viabilité du modèle des banques captives d’un groupe automobile reste posée car elles sont à sa merci.

La BCE nous a autorisés à élargir à des crédits nouveaux les garanties que nous pouvions prendre à l’appui de nos interventions et nous essayons de prendre en garantie de refinancement les crédits automobiles. Nous sommes en bonne voie et cela devrait améliorer le financement, mais il est indispensable d’avoir à la fois une contribution des banques – la négociation avec le ministère des Finances s’est heureusement bien terminée – et un appel au marché avec la garantie de l’État.

Sur le plan social, la première tâche de la nouvelle direction devrait être de rechercher activement les possibilités de reclassement, voire de cession d’agences et d’activités, accompagnée le cas échéant de transferts de personnel, et d’obtenir des autres banques qu’elles n’oublient pas, dans leur politique de recrutement, les équipes du CIF : elles pourraient avoir intérêt à embaucher de bons professionnels.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur le gouverneur, je vous remercie d’avoir répondu longuement à nos réponses.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 24 octobre 2012 à 17 h 15

Présents. - M. Dominique Baert, M. François Baroin, M. Laurent Baumel, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Alain Claeys, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Carole Delga, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Alain Fauré, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Dominique Lefebvre, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, Mme Christine Pires Beaune, M. Pascal Terrasse, M. Gérard Terrier, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Marie Beffara, M. Laurent Grandguillaume, Mme Valérie Rabault, M. Thierry Robert

Assistaient également à la réunion. - M. Jacques Moignard, M. Lionel Tardy

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