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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 30 janvier 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 60

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Chifflet, président de la Fédération bancaire française, directeur général de Crédit agricole SA, M. Frédéric Oudéa, président directeur général de la Société générale, et M. Jean-Laurent Bonnafé, administrateur directeur général de BNP Paribas, sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (n° 566)

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Jean-Paul Chifflet, président de la Fédération bancaire française, directeur général de Crédit agricole SA, M. Frédéric Oudéa, président-directeur général de la Société générale, et M. Jean-Laurent Bonnafé, administrateur directeur général de BNP Paribas, sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (n° 566).

M. le président Gilles Carrez. Nous entamons la discussion sur un texte qui, bien qu’il fasse moins parler de lui que celui débattu hier soir en séance, est d’une extrême importance : le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, dont la rapporteure, Karine Berger, multiplie les auditions depuis plusieurs semaines.

Nous accueillons ce matin des représentants de la Fédération bancaire française
– FBF – ; puis, à onze heures, nous entendrons l’Autorité de contrôle prudentiel avant d’auditionner, cet après-midi, M. le ministre de l’Économie et des finances, puis des universitaires spécialistes de la question. Si la technique le permet, nous organiserons aussi, la semaine prochaine, une discussion avec M. John Vickers en visioconférence.

Je rappelle que la présidence de la FBF est renouvelée tous les ans : M. Chifflet a succédé à M. Oudéa à ce poste, que M. Bonnafé occupera l’an prochain. Je vous souhaite la bienvenue à tous les trois. Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires étant d’une grande complexité, les exemples concrets que vous pourriez nous donner nous seront très utiles. J’ai parfois le sentiment, sur ces sujets, que moins on est compétent, plus on est péremptoire.

M. Jean-Paul Chifflet, président de la Fédération bancaire française, directeur général de Crédit agricole SA. Cette audition vient un peu à contretemps, puisqu’il n’y sera pas question de mariage mais de séparation…

La profession bancaire comprend tout à fait l’impact des différentes crises sur la société française et leurs conséquences, en termes d’image, pour les banques qui se sont livrées à des activités risquées. Ces événements ont suscité des interrogations bien légitimes.

Les grandes banques françaises ont cependant mieux traversé les crises que leurs homologues internationales : cela tient autant à la qualité de leurs actifs, à l’attention portée au système de contrôle des risques et à la diversité de leurs revenus qu’à la qualité de la supervision.

La crise de 2008 n’est pas une crise du modèle bancaire, comme le montre le profil des établissements ayant fait défaut, lesquels, en Irlande et en Espagne, se consacraient essentiellement aux prêts classiques ; tandis qu’aux États-Unis, c’est le modèle dit Glass-Steagall Act qui a failli : l’exemple de Lehman Brothers l’illustre. Les vraies causes de la crise bancaire qui a frappé l’Europe en 2008 sont à chercher dans l’accumulation d’actifs risqués dans l’immobilier – les fameux subprimes –, le décalage entre des financements longs et des refinancements trop courts, et la faiblesse de quelques superviseurs nationaux. Ces problèmes n’ont rien à voir avec la séparation proposée par ce texte qui, compte tenu du grand nombre de réformes récentes, n’était à nos yeux ni urgent, ni prioritaire. Il contient de surcroît des dispositions contraignantes pour les banques et constitue pour elles la quatrième vague de réformes, après les accords de Bâle III sur la solvabilité – les dispositions relatives aux activités de marché étant effectives depuis le début du mois – et sur la liquidité, l’Union bancaire – qui modifie substantiellement la supervision bancaire confiée en partie à la Banque centrale européenne – BCE– et les textes relatifs au fonds de garantie des dépôts et au fonds de résolution –, et enfin les débats européens suscités par le rapport Liikanen.

Nos bilans et nos comptes d’activité ne sont pas encore en phase avec ces réformes, qui d’ailleurs ne sont pas toutes entrées en vigueur. Le projet de loi dont nous parlons donne des pouvoirs considérables au superviseur : si celui-ci n’a pas pris la main assez tôt, des recherches en responsabilité pourront être engagées.

Par ailleurs, le texte permettra tout juste de préserver les activités bancaires du marché français ; il aura un impact important sur l’économie et sur la présence des banques françaises dans le monde. Nous sommes très fiers de la zone euro et nous félicitons de l’union bancaire ; mais si le cœur des activités qui les concernent est transféré ailleurs, notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis, tant l’une que l’autre s’en trouveront affaiblies.

Les banques ont d’ores et déjà réduit leurs activités de marché, et l’ont fait à la fois par choix stratégique et par contrainte, au regard notamment des exigences en matière de fonds propres – il a fallu les multiplier par 2 ou 2,5 – entrées en vigueur au 1er janvier 2013. C’est là un frein majeur, qui engage des changements structurels dont les conséquences en termes de financement, d’accès à la liquidité et d’emplois pondérés se font déjà fortement sentir. Les banques ont même dû aller jusqu’à réduire leurs effectifs.

Ce texte de résolution bancaire nous paraît équilibré et adapté aux différentes contraintes réglementaires et économiques ; pour ce qui concerne son titre Ier, qui porte séparation des activités bancaires, il nous semble important de rappeler que l’essentiel est la satisfaction des clients et l’utilité économique : évitons toute mesure qui aurait pour conséquence la disparition d’activités de marché utiles à l’économie aujourd’hui, et qui le seront plus encore demain.

Il convient, du point de vue des ratios de liquidité, de trouver l’équilibre entre les crédits et la ressource ; or celle-ci provient à la fois des marchés et des dépôts des épargnants qui, compte tenu de la fiscalité réservée à l’épargne réglementée, se détournent parfois des banques. Faute de dépôts nouveaux, les banques devront soit limiter le volume des crédits, soit les extérioriser, en d’autres termes les « titriser » en cherchant des repreneurs : les textes nous poussent d’ailleurs dans cette direction. J’ajoute que nous devons aussi, en tant que teneurs de marché, favoriser le placement de la dette souveraine française, aujourd'hui détenue principalement par des investisseurs étrangers.

Quant au titre II, il confie, comme je l’ai indiqué, des pouvoirs inédits au superviseur, exorbitants du droit commun des entreprises. La profession est par ailleurs favorable au régime de prévention des risques : il évitera sans doute des soubresauts ou des difficultés. La mobilisation des actionnaires et des créanciers nous semble tout à fait normale, même si une telle procédure devrait être réservée aux crises systémiques, afin d’éviter aux établissements la menace permanente d’une prise en main.

Nous souhaiterions enfin repousser l’application du texte de 2014 à 2017 en raison des bouleversements majeurs qu’il induit, en particulier le déséquilibre entre fonds propres et liquidités chez la filiale séparée du groupe. De telles mesures nécessitent un temps de réflexion et l’adaptation des systèmes d’information.

Enfin, la banque de détail, que traite le titre VI, a profondément changé depuis dix ans : elle s’est adaptée aux besoins des clients. Nous sommes d’ailleurs sensibles à l’idée du plafonnement des commissions d’intervention pour les populations fragiles. Toutefois, afin d’éviter certains excès en la matière, il faut savoir que, par exemple, le Crédit agricole traite 2 milliards de chèques et prélèvements par an, dont 10 % font l’objet d’une attention particulière. Si nous devions aller plus loin, cela aurait des conséquences non négligeables pour nos clients.

M. Jean-Laurent Bonnafé, administrateur directeur général de BNP Paribas. Les banques françaises ont plutôt mieux traversé la crise que leurs homologues britanniques, américaines ou même belges ; même si elles n’ont pas été épargnées par les difficultés, rien n’est venu mettre en péril leur solidité.

La première raison tient à une diversification de leurs activités toujours salutaire en période de crise. De plus, le secteur reste centré sur les activités de clientèle, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises – de toute taille – ou des institutions. Dans les années 2000, alors que les liquidités étaient disponibles en abondance, nous avons veillé, contrairement à d’autres, à ne développer que des activités en lien direct avec les clients : cela nous a épargné certaines mésaventures.

Les catastrophes bancaires, à commencer par l’affaire Lehman Brothers, sont liées au crédit hypothécaire : la facture, pour le contribuable américain, dépasse sans doute les 1 000 milliards de dollars ; elle atteint de 500 à 700 milliards de livres sterling pour le contribuable britannique et s’avère également très élevée en Belgique. C’est l’accumulation de crédits longs dans les bilans qui présente les plus grands risques : les activités de court terme se gèrent plus facilement.

Beaucoup de choses ont changé depuis le début de la crise, concernant le capital, la liquidité et la résolution. Les accords de Bâle II et III ont contraint les banques françaises à doubler, voire tripler, leur base de fonds propres : BNP Paribas est passée, en ce domaine, de 35 à 70 milliards d’euros en l’espace de quatre ou cinq ans, alors que nos prédécesseurs avaient mis un siècle et demi à accumuler 35 milliards. C’est autant de moins, bien entendu, pour le financement de l’économie ; reste que le secteur bancaire français a fait preuve d’excellence en atteignant, par anticipation, les niveaux requis.

S’agissant de la liquidité, sang des banques et de l’économie, les ratios, en particulier le liquidity coverage ratio – LCR –, ne sont connus que depuis peu. En ce domaine, la situation de l’industrie bancaire française est moins favorable. On peut toujours débattre de la pertinence de ces ratios : ils constituent des moyennes qui, par définition, avantagent autant d’entreprises qu’ils en pénalisent. Or il se trouve que l’épargne française n’est pas représentative des pratiques ayant cours dans les autres pays : l’assurance-vie et le livret A opèrent une ponction dont nous ne discutons pas ici le bien-fondé, mais qui affecte la mobilisation de la ressource.

Par ailleurs, les crédits immobiliers étant de qualité, les banques françaises les ont toujours conservés dans leurs bilans, où ils représentent aujourd’hui 1 000 milliards d’euros. Ce financement se fera donc dans la durée.

Il faudra bien, à l’avenir, remédier à ce décalage entre emplois et ressources en rééquilibrant le financement de l’économie vers les marchés de capitaux, en cohérence avec les exigences en capital de Bâle III. Dans cette optique, il est essentiel que les banques françaises gardent une connaissance fine des acteurs des marchés, en particulier des gestionnaires d’actifs qui achètent des titres d’État, des crédits hypothécaires ou des obligations corporate.

C’est à la lumière de l’enjeu que représente la liquidité que doit être menée la réflexion sur l’évolution de l’épargne réglementée car l’épargne disponible restera toujours une somme fixe : en la matière, il n’y a jamais de miracle. Il s’agit aussi d’utiliser les marchés de capitaux comme soupape, en intéressant les investisseurs à l’économie française.

Enfin, BNP Paribas a eu à gérer la reprise et la restructuration du groupe Fortis, dont le bilan comptable représentait quelque 700 milliards d’euros, soit environ la moitié du sien. Ce dossier difficile a requis la mobilisation de tous nos moyens humains et financiers. Trois mesures auraient permis d’éviter une telle situation. La première est l’augmentation des ratios de fonds propres – quand bien même ceux-ci, en l’occurrence, ont peut-être été exagérément relevés. Par ailleurs, beaucoup d’activités menées par Fortis, notamment celles pour compte propre, n’auraient pu l’être avec les normes de liquidités dites LCR ; autrement dit, le groupe n’aurait pas rencontré, dans le contexte de Bâle III, les difficultés qu’il a connues dans celui de Bâle II. Enfin, avec des mesures de résolution, Fortis aurait été en mesure de présenter un scénario de gestion de crise.

Deux ans après cet épisode, il m’apparaît que les trois leviers essentiels sont le capital, la liquidité et la résolution. La filialisation ou la séparation d’activités n’auraient à mon avis été d’aucun secours, ni dans la prévention de la crise, ni dans sa résolution.

Bien que le projet de loi n’en dise mot, les goodwills sont souvent évoqués dans des affaires telles que le rachat de la banque Antonveneta par Monte dei Paschi. Les difficultés rencontrées par certaines banques résultent en effet de politiques d’acquisition onéreuses d’établissements concurrents évalués en multiples de fonds propres. Séduisant sur le papier, ce système s’avère particulièrement nocif et risqué : il serait bon d’y prêter attention.

M. Frédéric Oudéa, président-directeur général de la Société générale. Comme l’ont souligné les deux précédents intervenants, les grandes crises bancaires viennent de l’immobilier : compte tenu des masses financières concernées, tout dérapage du marché peut devenir systémique. Je ne reviendrai pas sur Bâle III et les exigences qu’il impose pour le financement de l’économie européenne mais, puisque ce projet de loi doit préparer l’avenir, nous ne pouvons faire l’impasse sur les risques de décrochage du Vieux Continent, en termes de croissance, par rapport aux autres régions du monde : je pense non seulement aux pays émergents, mais aussi aux États-Unis, qui tireront des bénéfices considérables – à commencer par leur possible réindustrialisation – d’une énergie bon marché. Les cinq prochaines années s’annonçant difficiles pour l’Europe, la solidité du secteur bancaire est essentielle au financement de son économie. Les banques peuvent être des ambassadrices de la zone euro, qui, malgré une détente dont il faut se réjouir, reste exposée aux pressions qu’elle a connues.

Pour la croissance, la construction d’un secteur bancaire fort, ancré dans les territoires et présent sur les marchés, me semble un enjeu stratégique qu’il faut poser au niveau de l’Europe ; or la France a la chance de posséder des banques qui ont mieux traversé les crises que leurs homologues européennes, et qui sont assez présentes sur les marchés. Elle peut donc tirer son épingle du jeu. Certes, les marchés échappent aux frontières, qu’elles soient françaises ou européennes, et la moitié des investissements demeurent américains. Si nous sommes présents sur les marchés, nos arguments, en termes de compétitivité, sont encore modestes par rapport aux banques anglo-saxonnes, dans un environnement très concurrentiel.

Quant aux activités de marché, elles sont stratégiques mais ne représentent qu’une faible part – seulement 20 %, pour la Société générale – des revenus des établissements, qui pour l’essentiel proviennent de la banque de détail et des prêts aux entreprises. Cependant, les activités de marché deviendront d’autant plus stratégiques, avec l’application des normes de Bâle III, que les banques ne pourront plus conserver les prêts dans leur bilan ; elles auront donc plus que jamais besoin des activités de marché pour financer l’économie européenne.

Ce projet de loi n’aurait pas eu la même portée il y a six ans, car les banques, qui finançaient l’essentiel de l’économie européenne, doivent aujourd’hui opérer une transition complexe, vers un modèle plus anglo-saxon. La Société générale octroie aussi des prêts parce qu’elle sait qu’elle pourra les refinancer, par exemple sur les marchés obligataires.

Les activités de marché, très diverses, vont de l’intermédiation pour les entreprises et les États, qui émettent respectivement des actions et des obligations, aux opérations de couverture pour les entreprises – qu’il s’agisse de taux de change ou de matières premières –, en passant par l’octroi de liquidités aux investisseurs via l’échange de leurs actifs – dont nous conservons des stocks par-devers nous –, sachant que tous les actifs ne disposent pas de plateformes de marché où se forment en permanence les prix.

Je veux m’arrêter sur quelques sujets sensibles, en commençant par celui des hedge funds. Il est d’ailleurs difficile de les définir, sauf pour dire qu’ils sont moins régulés. En tant que représentants des banques françaises, nous soutenons d’ailleurs toute démarche tendant à les réguler davantage ; mais, outre que cela ne peut se faire qu’au niveau international – d’autant que les hedge funds français sont rares –, ces fonds sont devenus des intervenants significatifs sur les marchés, dont ils représentent sans doute de 15 à 20 % des volumes échangés, même si ces estimations sont toujours difficiles. Aller trop loin dans l’interdiction de traiter avec ces contreparties risque d’affaiblir encore la compétitivité des banques françaises par rapport aux mastodontes que sont déjà, par comparaison, les banques anglo-saxonnes.

La régulation des transactions à haute fréquence concerne davantage la régulation des marchés eux-mêmes que les intervenants, dont les banques ne représentent qu’une partie.

J’en termine par le market making – ou tenue de marché – qui consiste faire les prix en achetant ou en vendant des stocks pour répondre en permanence aux besoins de nos clients investisseurs. Cette activité est cruciale dans le choix des prestataires : lorsqu’une entreprise sélectionne une banque pour émettre une action ou une obligation, elle le fait moins parce que la banque connaît l’entreprise que parce qu’elle sera capable de tenir le marché secondaire où se font les ventes et les reventes du titre. Si les banques françaises sont pénalisées, les entreprises et les investisseurs risquent fort de se tourner vers nos concurrents, nous évinçant de ce marché. La compétitivité est ici la notion clé : gérer un stock – et ceux de la dette souveraine française ou de dettes obligataires représentent, dans nos bilans, plusieurs milliards d’euros –, c’est le financer. Or, si nous le finançons beaucoup plus cher, ou dans des conditions beaucoup plus difficiles que les grandes banques universelles américaines – les États-Unis n’ayant pas l’intention de séparer les différentes activités bancaires –, nous ne serons pas compétitifs.

La solidité de la contrepartie est également un enjeu essentiel pour les entreprises qui signent un contrat à terme, de trois ou quatre ans, et qui désirent se couvrir sur l’acquisition d’un produit – le pétrole pour Air France ou une couverture de change pour un exportateur. Dans un monde concurrentiel, le choix sera vite fait entre une petite filiale non garantie qui aura un rating non-investment grade, et les grandes banques américaines qui se sont consolidées dans la crise.

Comprendre comment nos clients sélectionnent leurs prestataires de services hautement stratégiques pour l’Europe de demain devrait vous inciter, dans l’examen de ce texte, à préserver la compétitivité des banques françaises sur notre cœur de métier – le service aux clients.

Mme Karine Berger, rapporteure. La semaine dernière, nous avons auditionné, Messieurs, certains de vos concurrents, mais surtout M. Erkki Liikanen, auteur éponyme du rapport, qui nous a renseignés sur les débats qui ont eu lieu au sein du groupe qu’il dirigeait. Ses travaux ont inspiré la régulation que construit actuellement la Commission européenne et qui sera sans doute proposée par M. Michel Barnier, sous forme de directive, avant l’été. Nous avons également auditionné des universitaires qui analysent de manière objective et neutre, sans conflit d’intérêt, l’ensemble des rapports de force sur les marchés financiers. La semaine prochaine, nous recevrons notamment M. Thierry Philipponnat, secrétaire général de l’association Finance Watch, structure européenne créée en réaction à l’échec, en 2009, de la directive visant à réguler les hedge funds, que certains attribuent au lobbying puissant auprès de la Commission européenne. Nous mènerons enfin des auditions sur des questions précises comme l’assurance emprunteur ou le droit des consommateurs.

Vos trois exposés laissent paraître que vous n’êtes pas réellement gênés par ce projet de loi ; j’en suis à la fois étonnée et ravie.

M. Jean-Paul Chifflet. C’est ce que vous avez voulu entendre, mais non ce que j’ai dit !

Mme la rapporteure. Afin de comprendre les difficultés potentielles que ce projet de loi peut représenter pour vous, revenons sur l’articulation entre les titres I – qui organise la séparation des activités sous forme de filialisation étanche – et II – qui met en place un régime de résolution bancaire, prévoyant qu’en cas de problème, seules certaines activités fassent l’objet d’un sauvetage. Ce dernier titre organise également le testament bancaire qui décrit la façon dont la banque sera découpée au moment de la résolution. Pourquoi, puisque le découpage est envisagé dans cette situation, est-il si difficile, dans le titre I, de séparer plus précisément les différentes activités ?

J’ai demandé à l’ensemble des banques, par le biais de la Fédération bancaire française – FBF –, de bien vouloir nous indiquer la part des différentes activités – dont celles présentant des risques –, notamment au sein de la banque de financement et d’investissement – BFI. N’ayant pas eu de retour, je me permets de m’adresser à vous directement : quelle est, dans vos banques respectives – au sein de la BFI et de la banque totale –, la part du produit net bancaire due aux activités qui seront filialisées aux termes du présent projet de loi ?

Quel pourcentage du produit net bancaire tirez-vous de la tenue de marché – dont la définition fait débat –, au sein de la BFI et de l’ensemble ? Quelle est la part des revenus de vos banques issus du trading avec des établissements financiers non soumis à Bâle III, tels que les hedge funds ? Confirmez-vous, monsieur Oudéa, qu’entre 15 et 20 % – soit un cinquième – de vos activités se font avec des établissements financiers non régulés ?

Vous avez indiqué, Monsieur Oudéa, que 20 % de vos revenus provenaient de la BFI ; en était-il de même en 2006 ? Par ailleurs, Monsieur Bonnafé, la BNP est-elle concernée par la filialisation des books de corrélation de crédit – activités extrêmement spéculatives ?

M. le président Gilles Carrez. Le titre I du texte définit les contours de la séparation : les établissements de crédit ne peuvent plus réaliser d’opérations pour compte propre que lorsque celles-ci ont une utilité avérée pour le financement de l’économie, les autres opérations devant être filialisées. Cinq cas où les opérations de marché pour compte propre échappent à la filialisation sont envisagés : la prestation de services d’investissement à la clientèle ; la couverture des risques propres de l’établissement ; l’activité de tenue de marché ; la « gestion prudente » de la trésorerie du groupe ; les opérations d’investissement du groupe, à savoir les acquisitions de titres sur des périodes longues. Ces exceptions couvrent-elles l’ensemble des problèmes dont vous nous avez fait part ? Quelle est l’importance relative de ces différentes opérations ?

Par quel cheminement une banque, intervenant dans le cadre de la tenue de marché, ce qui l’oblige à se porter contrepartie pour assurer la liquidité d’un titre, peut-elle en arriver à effectuer des opérations à caractère spéculatif ?

Quels échanges avez-vous avec vos différents concurrents étrangers ? Jusqu’à quel point la règle Volcker et les propositions des commissions Vickers et Liikanen s’appliqueront-elles à ces derniers, et à quelles échéances ? Sur ce texte – comme sur bien d’autres –, nous avons tendance à partir seuls, sabre au clair ; or, si l’exemple français n’est pas à négliger, il faut savoir se positionner par rapport aux autres. Est-ce en relation avec ce contexte que vous suggérez, monsieur Chifflet, de reporter le délai d’application de la loi à 2017 ?

M. Jean-Laurent Bonnafé. Personne ne conteste l’utilité d’une loi – française, européenne ou mondiale. Lorsqu’une industrie majeure connaît des désordres significatifs, il est nécessaire de faire évoluer la réglementation pour assainir les pratiques, comme ce fut le cas avec la directive Seveso pour la chimie, il y a trente ans. Après Bâle III qui définit les standards de capital et de liquidité imposés aux banques, on veut faire en sorte que les deniers publics ne soient pas mis à contribution en cas de nouvel accident. Les banques encore en opération – qui ne sont pas responsables des désordres les plus importants – ne nient pas la nécessité de ce cadre ; il serait en revanche bien plus efficace s’il était conçu au niveau mondial, ou à défaut européen. Le rapport Liikanen n’est qu’un premier travail qui exige beaucoup de précisions. En choisissant de légiférer dès maintenant, il faut veiller à ce que la loi française ne soit pas incompatible avec le cadre européen à venir, qu’il faudra anticiper, et à éviter que cette réglementation ne nous décote par rapport à l’ensemble de l’industrie bancaire.

À la règle Vickers qui s’apparente à l’ancien Glass-Steagall Act américain – cadre qui n’a pas donné satisfaction –, les Américains ont préféré l’approche Volcker qui relève d’une démarche beaucoup plus générale, reprise dans le Dodd-Frank Act, lequel autorise, au sein des banques commerciales, des activités de marché dès lors qu’elles vont dans l’intérêt de la clientèle. Aux États-Unis comme en Europe, la définition précise de cette catégorie pose problème. Le cadre légal américain est même plus complexe, ce qui explique la lenteur du processus. La règle Vickers, qui obéit à une autre logique, a été choisie par les Britanniques en raison du rapport entre la taille des établissements installés à Londres – qui concentrent la totalité des marchés de capitaux européens – et du bilan de la Banque d’Angleterre. Leur adhésion à cette règle est pourtant toute virtuelle : sa mise en œuvre, sans cesse reportée, n’est envisagée qu’en 2019-2020, c’est-à-dire après un référendum qui pourrait signer la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Pour autant, la France et l’Europe doivent opter pour un choix clair et précis qui restaure la confiance dans l’industrie bancaire sans pénaliser les banques sur les marchés de capitaux. Dans le cadre nouveau posé par Bâle III, un handicap trop lourd pourrait nous empêcher de contribuer au financement de l’économie. Il est important que les banques françaises puissent continuer à opérer sur ces marchés pour servir les agents économiques français, qu’elles connaissent bien. Or on ne place une émission obligataire auprès d’un investisseur que si l’on connaît l’émetteur de longue date, surtout s’il s’agit de clients de proximité. En mettant à leur disposition l’épargne d’agents économiques éloignés, nos banques donnent aux entreprises moyennes et aux collectivités locales un moyen nouveau de financement, en jouant un rôle d’intermédiaire. En somme, le cadre est nécessaire, et si les agendas empêchent de le construire au niveau européen, la communication entre différents niveaux législatifs devrait en permettre la convergence.

Par ailleurs, le rapport Liikanen pose un cadre, mais reste avare en détails. S’il décrit la façon dont les régulateurs doivent envisager les banques et laisse deviner le périmètre d’application d’un traitement particulier – les vingt-cinq premières banques européennes, toutes travaillant sur les marchés de capitaux, seraient ainsi concernées –, il reste évasif sur les modalités d’application concrètes. Ses auteurs notent que le régulateur que sera la BCE devra contribuer fortement à la définition de ces dernières ; aussi l’analyse du rapport Liikanen par la BCE, sortie hier, doit-elle vous être commentée en détail, et il est important qu’un représentant de la BCE vous donne son point de vue sur ce sujet.

Mme la rapporteure. M. Christophe Caresche et moi-même avons auditionné la BCE la semaine dernière. La BCE recommande de suivre le rapport Liikanen, notamment en limitant la part du market making dans l’ensemble de la maison mère.

M. Frédéric Oudéa. Le positionnement relatif de la France et de l’Europe dans un monde où la croissance des autres pays sera bien supérieure, et où les écarts pourront se creuser, représente un vrai sujet de préoccupation.

En 2011, l’ensemble des activités de marché de la Société Générale représentait 4 sur les 25 milliards d’euros de revenus, soit quelque 15 %. Nous sommes d’abord une banque de détail, en France et à l’étranger, qui finance l’automobile et fait de la banque privée. Contrairement aux prêts qui restent stables dans les bilans, le volume des activités de marché varie par nature. Ces activités se décomposent en deux grandes catégories : celles portant sur les actions et leurs dérivés, et celles qu’on appelle fixed income, currencies and commodities – FICC – qui représentent des activités de taux, de change, de crédit et de financement de matières premières. La palette est vaste puisqu’on peut aider les entreprises, dans le domaine obligataire, sur l’investment grade ou sur le segment high yield ; en euros, en livres sterling ou en dollars ; en Chine ou en Russie. Nous essayons également d’être des acteurs significatifs dans le domaine du change, ou des produits de taux qui permettent aux entreprises de basculer, par exemple, sur du taux fixe ou sur des taux courts. Nous travaillons avec une multitude de clients à travers le monde, et essayons de nous adapter à chacun. Nous sommes également des acteurs importants du financement de l’énergie, ainsi que du commerce international, et lorsque nous voulons nous prémunir contre certains risques, nous pouvons être amenés à nous couvrir. Si elles ne représentent que 15 % du total, les activités de marché sont donc extraordinairement diversifiées, et comme toute entreprise, nous cherchons à développer les domaines où nous pouvons être meilleurs que les autres.

Il est difficile pour nous d’évaluer la part de nos activités susceptibles d’être filialisées ; c’est le régulateur qui décortiquera notre bilan pour faire la part des activités clientèle. Sans préjuger ses décisions, nous estimons que, si en 2006-2007, 15 % des activités relevaient des activités de marché, parmi lesquelles 15 % à 20 % pouvaient être classées comme déconnectées de la clientèle, et par conséquent transférées à une filiale, cette proportion est désormais inférieure à 10 %, se situant autour de 3,5 % à 5 % en moyenne. Moins de 10 % des 15 % du total que représentent les activités de marché pourraient donc être filialisés. Ce pourcentage a baissé parce que nous vivons, depuis cinq ans, une crise financière grave sur les marchés, des changements réglementaires sur le capital et la liquidité, et que, à la suite d’une accélération de calendrier, nous devrons nous conformer aux accords de Bâle III en 2013 et non en 2019, ce qui nous oblige à concentrer nos ressources rares de capital et de liquidité sur nos activités de clientèle. Les bilans et les modèles des banques françaises ont donc profondément changé depuis 2007, et on ne peut que s’en féliciter. D’ailleurs, c’est aussi grâce à ce changement que nous avons traversé la crise avec un relatif succès.

Il faut voir cette loi avant tout comme préventive. D’une part, il sera très difficile, pour une filiale séparée et sans garantie, de financer les activités de marché car elle se procurera des liquidités à des coûts élevés. D’autre part, son isolement incitera naturellement nos actionnaires à nous dissuader d’en faire plus. Cette loi cristallise donc un changement – bienvenu – de modèle. Si elle nous gêne, c’est qu’elle précède la législation européenne, nous obligeant à ajouter le projet de filialisation à notre agenda déjà bien rempli par ces temps économiques difficiles. Mais, en consacrant une orientation sans pénaliser le cœur de nos activités clientèle, elle sauve l’essentiel. C’est en cela qu’elle peut satisfaire l’objectif que nous partageons : rassurer les clients. Nous n’avons aucune envie d’exposer au risque le contribuable ou l’État français ; le texte nous en dissuade d’ailleurs, prévoyant qu’en pareille situation, le régulateur prendrait le contrôle, ce qui n’est pas dans notre intérêt. Nous échenillerons les activités de marché avec le régulateur ; mais nous estimons d’ores et déjà, au vu des évolutions, que les activités déconnectées de la clientèle ne représentent qu’une part relativement modérée, et qui ne devrait pas croître à l’avenir.

Enfin, s’agissant de la nature de la spéculation, n’importe quel commerçant spécule au sens où, s’il achète tel ou tel produit, c’est qu’il pense qu’il le vendra. Il anticipe en permanence la demande à venir d’un produit, et s’il pense qu’il se vendra plus cher demain, il constitue un stock aujourd’hui. Nous sommes tous de grands acteurs de la dette française, et il est important que nous le restions dans les années à venir ; le jour où la France se retrouvera sous pression, si les banques françaises n’ont plus un centime de titres d’État dans leur bilan, qui ira expliquer aux investisseurs qu’il est intéressant d’en acheter ? Constituer un stock, c’est par nature anticiper l’avenir ; et c’est sur le volume que se fait ensuite la différence, car si l’on constitue des stocks excessifs, on s’expose à des risques de fluctuation de trop grande ampleur. Des outils complexes, du type value at risk et stress test, nous permettent cependant de mesurer le risque et de limiter la quantité de stock.

M. Pierre-Alain Muet. Le groupe SRC entend les réticences du secteur bancaire ; elles étaient bien plus fortes encore aux États-Unis en 1933, quand Roosevelt a appliqué le Glass-Steagall Act. La généralisation de la séparation des activités bancaires a pourtant permis, pendant les trente années du système Bretton Woods, une extraordinaire stabilité financière. Il est donc normal que dans tous les pays, l’on se pose la même question qu’explorent les rapports Liikanen, Vickers ou Volcker.

Monsieur Chifflet, vous nous qualifiez de précurseurs parce que nous commençons à mettre en œuvre le rapport Liikanen prématurément, ce qui peut conduire à aller trop loin, ou pas assez car le texte est tout de même équilibré. Mais vous êtes vous-même un précurseur, étant à la tête d’une banque qui est maintenant, pour l’essentiel, une banque de dépôt. Y voyez-vous un inconvénient ou un avantage ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur Bonnafé, vous avez souligné que la diversification du système bancaire français a joué un rôle stabilisateur dans une période troublée. Quel effet ce texte aura-t-il sur cette diversification si nécessaire que vous avez mis des décennies à construire ?

La liquidité est essentielle au fonctionnement de l’industrie ; les critères fixés dans le projet de loi permettent-ils de retrouver des marges pour financer notre économie ? Le texte propose quelques grands principes – que le groupe UMP partage –, mais les renvoie à des définitions ultérieures : la « gestion prudente » de la trésorerie du groupe ou les opérations d’investissement font partie des notions affichées mais insuffisamment définies. En même temps, l’article 23 entre dans un luxe de détail extraordinaire à propos des frais d’obsèques. Au total, le texte apparaît fourre-tout.

M. le président Gilles Carrez. Vous avez raison, madame Dalloz, de souligner à quel point les textes réglementaires d’application seront nombreux. Nous interrogerons le ministre sur ce point cet après-midi.

M. Charles de Courson. Le groupe UDI s’interroge sur l’opportunité de la séparation des activités utiles au financement de l’économie et des activités spéculatives, alors que le débat européen sur la création d’une union bancaire bat son plein. Quelle est son utilité même, puisque si la filiale est en difficulté, l’actionnaire de référence devra de toute façon intervenir ? La bonne solution – qui faisait partie des options possibles – ne serait-elle pas d’interdire aux banques certaines activités de spéculation pour compte propre ? L’étude d’impact affirme que préciser l’effet de la loi sur les banques – peu nombreuses à être concernées – en révélerait les secrets ; dites-nous ce qu’il en est pour les cinq banques systémiques. La filialisation créera-t-elle un besoin de fonds propres supplémentaires ?

Presque aucun d’entre vous n’a parlé du système de régulation bancaire, mis en place aux titres II, III et IV. Comment s’articule-t-il avec le droit communautaire en cours de construction ? Il est, là encore, curieux de légiférer au moment où la construction de l’union bancaire – pour laquelle le Gouvernement français s’est battu – est en cours.

Monsieur Chifflet, l’incroyable titre V du projet de loi propose de doter Groupama de la même organisation juridique que le Crédit agricole. Or, votre président reconnaît lui-même que cette structure centralisée s’est montrée complètement défaillante dans le contrôle de ses activités ; vos présidents de caisses régionales en gardent d’ailleurs rancune contre les technocrates de la caisse centrale qui, après les avoir traités de culs-terreux ignares, ont fini par couler la banque. Pensez-vous qu’il soit bon d’organiser Groupama sur ce modèle ?

Aucun d’entre vous n’a enfin évoqué la protection des consommateurs. Êtes-vous favorables aux mesures proposées ? Quel peut en être le coût ?

M. Nicolas Sansu. Je ne suis sans doute pas compétent, mais je m’efforcerai de ne pas être péremptoire. Je ne suis pas banquier, mais je suis client et je m’exprime en tant que représentant des citoyens. Or, à mes yeux, ce projet de loi n’est pas interne à la profession bancaire : il vise d’abord, en mobilisant les dépôts, à mieux financer l’économie réelle.

Je vous félicite, Messieurs : vous avez fait campagne avec une grande efficacité. Le 6 mai, j’ai cru que l’on allait véritablement séparer les banques commerciales des banques de marché ; c’était compter sans votre force de conviction. Pourtant, cette séparation est fondée, pour des raisons historiques mais aussi politiques. Pierre-Alain Muet l’a rappelé, il n’y a eu aucune crise aux États-Unis à l’époque du Glass-Steagall Act, dont M. Clinton lui-même reconnaît que l’abrogation a été l’une de ses plus grandes erreurs. Il n’y en a pas eu non plus avant la fusion des deux métiers de la banque en France, avant le rachat d’Indosuez et la fusion BNP-Paribas. Volcker, Vickers, Liikanen : tous veulent mettre fin à cette confusion. Pourquoi ? Parce que la folie s’est emparée des marchés financiers. La valeur notionnelle des produits dérivés a littéralement explosé. Et, si les dépôts et les crédits des citoyens doivent bénéficier de la garantie publique, pourquoi serait-ce le cas des activités spéculatives et de marché ? Il n’y a à cela aucune raison. Il y va d’un choix de société.

Messieurs les banquiers, vous auriez pu au moins faire semblant d’être gênés. L’option retenue est un coup d’épée – ou de ciseaux – dans l’eau. Il suffit de lire la une des journaux spécialisés pour comprendre que ce projet de loi est minimal, voire inutile. Manifestement, son titre est un abus de langage : il ne s’agit pas d’une séparation en bonne et due forme puisque la banque commerciale et la banque de marché continueront de coucher dans le même lit. La portée de la filialisation annoncée est minime : vous l’avez confirmé, seuls 0,5 à 2 % de l’actif seront concernés – à la Société générale, 5 % des 15 % d’activités de marché, soit 0,75 %. Peut-on envisager de créer une holding pour séparer véritablement des autres les actifs cantonnés ?

L’argument selon lequel la banque universelle serait plus résistante est contredit par les faits. Sans le soutien apporté par l’État en 2008, la folie spéculative aurait pu provoquer un cataclysme. En outre, 80 % des pertes enregistrées par les banques européennes entre 2008 et 2011 concernaient des banques universelles, au premier rang desquelles Fortis.

S’agissant du bilan des banques, rien n’est dit des activités logées dans les filiales implantées dans les paradis fiscaux. J’interrogerai M. Moscovici sur ce point.

On invoque aussi la compétitivité. Or l’Allemagne, que l’on nous cite souvent en exemple à ce sujet, ne compte pas quatre mastodontes, mais, outre la Deutsche Bank, deux banques moyennes et une multitude de banques de dépôt et de crédit qui financent avec talent l’économie réelle en soutenant le consommateur et les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire.

Enfin, Monsieur Oudéa, la première banque détentrice de dette souveraine française n’est-elle pas Morgan Stanley ? Il n’est donc pas question ici de patriotisme économique. En outre, les banques n’ont pas vocation à détenir durablement de la dette, mais servent d’intermédiaire pour la transférer vers des fonds de pension et des hedge funds.

M. Éric Alauzet. Le problème principal est la confiance que les citoyens, que nous représentons, accordent désormais aux banques. Or vous vous montrez plutôt satisfaits de la résistance dont les banques françaises ont fait preuve face à la crise, dont on a même pu lire qu’elle n’avait rien coûté à l’État – alors que le sauvetage de Dexia nous a fait débourser 5 milliards d’euros, sans compter les 40 milliards de garantie de l’État français. Les Belges sont d’ailleurs très mécontents car les difficultés auxquelles les expose Dexia, bien supérieures aux nôtres, résultent en partie de ce qui a été fait en France. Par ailleurs, la Société générale a coûté 5 milliards de dollars au contribuable américain. Il n’y a donc pas lieu de se féliciter de notre modèle et la moindre des choses serait de le reconnaître, pour rétablir la confiance.

Par ailleurs, si la véritable cause de la crise est le risque immobilier, nous ne sommes pas passés loin du gouffre puisqu’en 2007, le président Sarkozy vantait les crédits hypothécaires à risque.

Pour montrer que l’activité de marché est nécessaire au fonctionnement de l’économie réelle, vous citez toujours, de manière convaincante, la protection contre le risque de change. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt – c’est-à-dire nombre d’autres activités, dont la complexité n’est pas de nature à instaurer la confiance.

Le principal argument invoqué est la compétitivité : nos banques seraient trop petites. Elles ne le sont pourtant pas plus que Goldman Sachs ou Morgan Stanley, sans parler de l’Allemagne, déjà citée. Quelle serait donc aujourd’hui, selon vous, la taille critique d’une banque ?

Enfin, prenons garde aux hedge funds, qui portent des opérations extrêmement risquées, particulièrement ardues à comprendre, et dont il faut se mettre à l’abri.

M. Jean-Paul Chifflet. Comme vous, Messieurs, les actionnaires ou les sociétaires des entreprises que nous représentons sont très préoccupés par les risques qui pèsent sur l’équilibre de l’économie et l’avenir de notre pays. Il est indéniable que les récents problèmes économiques ont perturbé les banques.

On ne peut affirmer que les banques ne détiennent pas de dette souveraine et n’ont pas vocation à le faire alors que les textes relatifs aux ratios de liquidité nous imposent de détenir des titres liquides, parmi lesquels ils recommandent explicitement les titres de dettes souveraines.

Quant aux hedge funds, dont on parle beaucoup – un peu à tort et à travers, les uns se comportant de manière plus civilisée que d’autres –, leur rôle dans la vie économique est important et appelé à se développer encore. En effet, pour accompagner la croissance française en contribuant aux investissements réalisés, nous devons accorder des crédits, ce qui suppose que nous disposions de liquidités. Ces liquidités nous sont apportées d’une part par l’accès au marché financier, qui est limité, d’autre part par l’épargne déposée sur nos comptes, qui va diminuer puisqu’elle va être plus lourdement taxée. Dès lors, de deux choses l’une : soit nous donnons un coup d’arrêt aux crédits pour équilibrer crédits et ressources, soit nous transférons des crédits à l’extérieur, c’est-à-dire essentiellement à des structures de gestion d’actifs et à des hedge funds.

Au Crédit agricole, l’activité de marché représente 7 à 8 % de l’activité selon les années. À propos de Groupama, vous évoquez le Crédit agricole, mais il a failli non pas sur les marchés, mais en reprenant une banque de détail en zone euro, et plus précisément en Grèce.

Faut-il aller plus loin que le projet de loi ? Si nous vous demandons de le reporter à 2017, c’est parce qu’il bouleverse déjà fortement nos équilibres. On peut comprendre que vous soyez tentés de pénaliser des banques qui ont, selon vous, fait beaucoup de mal. En réalité, nous accompagnons quotidiennement nos clients, nous finançons l’économie, nous conservons pendant quarante ou cinquante ans l’épargne qui nous est confiée. Nous ne pourrons plus le faire si l’activité de tenue de marché est encore plus nettement coupée des autres. Ce n’est pas une menace : c’est la réalité. Nous nous adapterons naturellement à tous les textes qui pourront être votés, mais il ne faudra pas s’étonner dans deux ou trois ans des conséquences qu’ils auront entraînées.

M. Frédéric Oudéa. Il faudra évidemment adapter cette loi à l’évolution du droit européen.

Monsieur de Courson, la maison mère ne couvrira pas les pertes de la filiale puisque, aux termes du projet de loi, elle ne lui apporte pas sa garantie. Si elle a engagé un capital, il sera perdu mais pour le reste, ce sont les créanciers ayant prêté l’argent qui seront perdants.

M. Jean-Laurent Bonnafé. Le principe fondamental est l’interdiction des activités spéculatives. Pour l’appliquer, deux modalités sont possibles : soit on les interdit, en se fondant sur la nomenclature des activités, soit – et c’est l’option qui a été retenue – on les transfère à un véhicule entièrement séparé qui devra par conséquent se procurer des liquidités à un coût élevé, voire se heurter au refus de certaines contreparties, ce qui limitera nécessairement sa taille. Les règles de la filialisation empêcheront ainsi les activités visées, déjà très limitées au sein des banques françaises, de se développer, et pourraient même les faire disparaître. De ce point de vue, la loi est efficace. Pour montrer qu’on a mis de l’ordre dans ces activités très techniques, il est de bonne communication de les placer en quelque sorte sous cloche et de s’assurer qu’elles restent limitées, voire qu’elles s’amenuisent.

M. le président Gilles Carrez. Mais il semble délicat de définir les activités spéculatives : l’approche dite Volcker, qui consisterait à interdire certaines d’entre elles, se heurte ainsi à la difficulté d’établir une nomenclature, laquelle est aujourd’hui loin d’être résolue.

M. Jean-Paul Chifflet. Qu’est-ce que la spéculation ? Aujourd’hui, on nous demande d’avoir plus de liquidités pour pouvoir servir nos clients en cas de panique bancaire. Or c’est la dette souveraine qui est considérée comme liquide. Mais nous hésitons à acheter de la dette souveraine française car cette opération pourra être jugée spéculative si le spread, actuellement très réduit, augmente et que la différence – de quelques centaines de millions ou milliards d’euros – est donc enregistrée, comme il se doit, dans nos résultats et nos bilans. Le métier de la banque consiste à prendre des risques dans tous les domaines. Quand on finance un client, on fait de la spéculation. Où cela s’arrête-t-il, où cela commence-t-il ? Est-ce allé trop loin ? Ces activités, qui ont déjà été limitées, ne pourront plus être réalisées pour compte propre : c’est bien ainsi.

M. Frédéric Oudéa. En ce qui concerne le Glass-Steagall Act, les marchés ne sont plus ce qu’ils étaient dans les années 1930. Nous parlons de marchés mondiaux sur lesquels des masses importantes d’épargne financent les dettes des pays.

Aux États-Unis, il y avait en 2007 cinq acteurs spécialisés, sans activités de détail : Bear Stearns, Lehman Brothers, Merrill Lynch, Morgan Stanley et Goldman Sachs. Lehman Brothers a fait faillite. Bear Stearns et Merrill Lynch ont fait de facto faillite et ont été rachetés par deux banques universelles, respectivement JP Morgan et Bank of America-Merrill Lynch. Se sont ainsi constituées des banques universelles très puissantes, puisqu’elles détiennent près de 10 % de parts de marché sur un énorme marché de banque de détail et sont leaders des banques de financement et d’investissement. Les deux seuls acteurs spécialisés restants, Morgan Stanley et Goldman Sachs, s’interrogent aujourd’hui sur leurs modèles, dont la stabilité n’est pas pleinement satisfaisante eu égard à leurs performances et aux contraintes nouvelles qui s’imposent à eux. La tendance n’est donc pas à la résurrection du Glass-Steagall Act et le régulateur américain a confirmé qu’il n’entendait pas séparer banque commerciale et banque d’affaires.

M. Jean-Paul Chifflet. Le Glass-Steagall Act n’a d’ailleurs pas empêché la grande faillite des caisses d’épargne dans les années 1980.

M. Alain Rodet. En vous écoutant, monsieur Chifflet, je me remémorais l’audition, il y a quatre ans, de M. Pauget, votre prédécesseur à la tête de la Fédération bancaire et de Crédit agricole SA. C’était l’époque du sauve-qui-peut généralisé. On ne parlait pas encore de la Grèce à propos du Crédit agricole, mais déjà des États-Unis. Je le revois levant les bras au ciel en disant : « On a essayé de fabriquer de la valeur… et on s’est planté. »

M. Christophe Caresche. On ne peut pas dire que la France soit isolée : aux États-Unis, en Angleterre, la question de la séparation des activités fait l’objet de vifs débats et la volonté d’aboutir est réelle. Les Communes s’en sont saisies et l’étudient très sérieusement, ne serait-ce que parce que les contribuables anglais ont beaucoup plus payé que les Français. Monsieur Bonnafé, Volcker comme Vickers et Liikanen proposent des réformes structurelles. Il ne s’agit pas d’un retour au Glass-Steagall Act mais bien de mesures d’interdiction ou de cantonnement, dont l’opportunité ne fait plus débat. Cela étant, il faut naturellement que ces briques s’agencent afin que la régulation soit au moins européenne, sinon mondiale. Plusieurs solutions concomitantes n’en sont pas moins possibles, à condition d’être compatibles. C’est à cela que nous devons maintenant travailler.

Le rapport Liikanen, dont s’inspire largement le projet français, tend à filialiser la tenue de marché. Or il est difficile de qualifier précisément cette activité. S’agit-il à un stade donné d’opérations pour compte propre ? Est-il possible de distinguer ainsi les opérations ?

Quel était le volume des activités de marché avant que la crise ne vous amène à le réduire ?

Faut-il procéder à une filialisation directe ou, comme le suggère le rapport Liikanen, instituer une holding détenant deux filiales dédiées l’une au dépôt, l’autre à l’investissement, afin de garantir l’étanchéité entre la maison mère et la filiale ?

Mme Valérie Rabault. Si ce projet de loi avait été appliqué à tous les pays européens en 2006, qu’aurait-il changé selon vous ? Les montants recapitalisés auraient-ils été les mêmes ?

En ce qui concerne le risque de distorsion de concurrence mondiale, sur une valeur nominale des produits dérivés estimée à 645 000 milliards de dollars, quelle part est traitée par des contreparties qui respectent les ratios de capital et de liquidité imposés par Bâle III ?

J’ajoute que nos collègues allemands, que nous avons rencontrés la semaine dernière à Berlin à l’occasion du cinquantenaire du traité de l’Élysée, suivent attentivement nos débats pour réfléchir aux mesures qu’ils pourraient à leur tour adopter en ce sens.

M. Pascal Cherki. Je vous félicite, Messieurs, d’avoir si efficacement négocié la limitation de la filialisation à 0,75 % à 1 % de votre chiffre d’affaires, et d’avoir eu la franchise de reconnaître ce chiffre devant la représentation nationale. Il nous faudra réfléchir à une filialisation plus poussée, en concertation avec vous. Par ailleurs, dans le débat sur la liquidité, il n’a pas été question de la banque centrale, qui est pourtant un pourvoyeur important.

Monsieur Bonnafé, selon un journal satirique paraissant le mercredi, vous auriez embauché l’ancien sous-directeur chargé des relations internationales au service de la législation fiscale du ministère du budget pour lui confier la responsabilité des affaires fiscales de BNP Paribas. Connaissant votre sens de l’éthique, je ne peux croire que vous espériez ainsi contourner plus efficacement la législation fiscale. Il s’agit certainement au contraire de développer la lutte contre l’évasion fiscale grâce aux conseils d’un spécialiste.

Seriez-vous opposés à ce que la loi vous oblige à publier chaque année la liste des pays où vous avez implanté des établissements ou des filiales, le nombre de comptes détenus dans chaque pays – sans dévoiler, naturellement, l’identité de leurs détenteurs – et le volume des transactions réalisées ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Les conséquences de la dernière crise financière justifient que nous cherchions à circonscrire les risques supportés par la collectivité et largement garantis par les États. Si la France a, dit-on, limité les dégâts, sa croissance en pâtit depuis plusieurs années. Et si, comme l’a dit M. Chifflet, le risque est inhérent au métier de la banque, il faut définir ce qu’est un risque raisonnable. S’agissant d’un particulier, le risque est relativement aisé à mesurer, mais il n’en va pas de même d’autres activités.

Cela étant, le choix de la filialisation me laisse personnellement dubitatif. Dans la mesure où il est difficile d’identifier les actifs à filialiser, ne vaudrait-il pas mieux encadrer par la réglementation la proportion d’activités à risque élevé, puisque l’on est de toute façon en train d’établir une nomenclature ? Cela éviterait le risque de pénaliser une banque généraliste à large assiette, dont les activités à risque seraient très limitées.

En 2008, le gouvernement britannique, qui n’est pas le plus antilibéral au monde, a interdit une série de produits financiers déclarés toxiques. Il lui a suffi de quelques jours pour arrêter une nomenclature. On peut d’ailleurs se demander comment un produit peut être toxique à un certain moment, vertueux à un autre. Est-il, selon vous, envisageable de sélectionner certaines activités à haute valeur spéculative qui créent de la valeur sans créer de la richesse, selon un processus qui nous a déjà conduits à l’explosion ?

M. Laurent Grandguillaume. On invoque l’ordre des choses, on nous demande de surseoir au projet dans l’attente d’accords internationaux ou peut-être de crises salvatrices. En réalité, il est grand temps de procéder à des réformes structurelles, qui devraient à mon sens conforter le modèle français, lequel nous a permis de mieux résister à la crise que les Anglo-Saxons. La finance doit être au service de l’humain et rompre avec les excès passés. Ce projet de loi va y concourir. Il est avant-gardiste, et nous devrons convaincre nos partenaires européens de suivre notre voie.

En outre, il nous faut progresser vers une définition légale des hedge funds et des paradis fiscaux. Qu’en est-il des travaux menés par les banques sur cette question et des propositions qui en résultent ?

Nous lirons attentivement le rapport de nos deux collègues sur la fiscalité de l’épargne. Dès à présent, il apparaît nécessaire de recourir à des produits d’épargne longue, tel le plan d’épargne populaire que certains d’entre vous ont supprimé, mes chers collègues. Par ailleurs, le marché de la réassurance, hautement spéculatif, n’a pas été évoqué. Quels liens les banques entretiennent-ils avec lui ? Ne risquent-elles pas d’en être fragilisées ?

Nous entendons les critiques, mais ceux qui ont défendu les subprimes n’ont aucune leçon à nous donner.

M. Guillaume Bachelay. Monsieur Bonnafé, vous avez invoqué « le souci des clients dans la proximité ». Les clients, ce sont les ménages et les entreprises. Il n’a quasiment pas été question des consommateurs. Or une association de consommateurs a récemment pointé la grande diversité des frais bancaires selon les établissements, que nous confirme notre expérience du terrain. Le prix de la carte bancaire varie ainsi de 0 à 41 euros et la facturation de l’accès aux opérations en ligne peut atteindre 36 euros – ce dernier chiffre ne concerne aucun des établissements représentés ici. Avez-vous pris des mesures, depuis la crise de 2008 et le refinancement des banques par la puissance publique, c’est-à-dire par le contribuable, ou comptez-vous en prendre afin d’améliorer l’information des ménages, notamment des plus modestes, et de redonner ainsi au consommateur son rôle d’arbitre des marchés ?

Quant aux entreprises, lors des auditions que j’ai menées à propos du projet de loi relatif à la création de la banque publique d’investissement, dont j’étais le rapporteur, il était très difficile d’évaluer le volume des engagements destinés aux PME et des TPE, par secteur d’activité ou par région. On m’a opposé le caractère secret de ces informations, ce que je comprends aisément. Que penseriez-vous donc d’une amélioration des opérations de reporting de manière à obtenir des données plus précises que celles dont bénéficie aujourd’hui l’Observatoire de financement des entreprises, et à les transmettre non à la représentation nationale, mais à l’Autorité de contrôle prudentiel ou au Trésor ?

Mme Éva Sas. Ce projet de loi est destiné à nous prémunir contre les risques systémiques. Il vise non pas à contrarier les banques, mais à protéger les contribuables et le système économique. Y contribue-t-il véritablement ? Le fait que la filialisation ne concerne que 0,75 à 1 % des activités bancaires implique soit qu’il n’y a déjà plus de risque systémique, soit que l’on ne s’y attaque pas.

Le projet de loi tend à filialiser les prêts non garantis à des hedge funds. Accordez-vous des prêts non garantis à des fonds de pension spéculatifs ?

Selon certaines études, les activités de dépôt sont aujourd’hui plus rentables que les activités d’investissement. Pouvez-vous nous le confirmer ? S’ensuit-il que la séparation améliorera la rentabilité et se traduira par des tarifs moins élevés ?

Mme Marietta Karamanli. Les auditions de la commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement de l’économie, sous la précédente législature, avaient permis d’évoquer la loi américaine qui interdit aux banques, sinon dans une filiale spécialisée, de faire des opérations sur des instruments financiers pour leur compte propre, à l’exception des services d’investissement pour la clientèle. Que pensez-vous de cette exception de taille, qui maintient le lien entre l’activité principale des banques et les produits à risque ?

M. Henri Emmanuelli. La presse financière met régulièrement en cause le taux de centralisation du livret A. Je vous rappelle, Messieurs, que la commission des Finances attend toujours le rapport relatif à l’usage de la partie non centralisée par les banques, lesquelles se sont engagées à financer les PME. Cela ne sera pas oublié lors de la négociation de ce taux.

M. Jean-Paul Chifflet. Rassurez-vous, monsieur Emmanuelli : notre objectif principal est bien de financer les PME et les TPE en France. Le métier de banquier consiste à faire des crédits pour financer l’économie ; pour parler très clairement, plus nous accompagnons les entrepreneurs, plus nous gagnons d’argent. Il n’y a donc aucune ambiguïté sur ce point. Vous pouvez suivre les encours : depuis cinq ans, les financements des banques françaises aux entreprises ont augmenté de plus de 3 % par an, soit bien plus que le taux du PIB, et bien plus que leurs voisines européennes. Toutefois, nous assistons depuis quelques mois au transfert de la ressource et de l’épargne vers la Caisse des dépôts.

La France n’est pas isolée lorsqu’elle cherche à stabiliser son modèle économique et bancaire. Nous y sommes nous-mêmes favorables, car il y va de l’image des banques auprès des citoyens et des parlementaires. Une zone en difficulté économique n’en a pas moins besoin d’acteurs et d’entrepreneurs motivés, ainsi que de banques qui les accompagnent. Nous voulons plus de stabilité et moins de risque, mais il faut trouver le bon équilibre : si la vitesse est limitée à 10 kilomètres-heure, il y aura certes moins d’accidents, mais nous progresserons aussi moins vite vers la croissance. S’il vous appartient certes de trancher, nous pouvons pour notre part vous éclairer sur ce point.

En ce qui concerne les frais bancaires, le Crédit agricole traite chaque année 2 milliards de chèques et de prélèvements, dont 90 % se déroulent normalement et 10 % nécessitent une étude plus poussée au terme de laquelle le paiement est accepté ou refusé, soit 200 millions d’opérations par an et 1 million par jour. Elles réclament du temps, du travail, des frais d’intervention. Sans frais, il n’y aura plus d’intervention et il y aura davantage de rejets. Par ailleurs, toutes les banques publient sur Internet les prix de dix services normalisés et nous avons instauré la gamme de moyens de paiements alternatifs – GPA –, accès simplifié au système bancaire, qui coûte 2,50 euros par mois.

M. Frédéric Oudéa. Depuis cinq ans, la part des activités de marché au sein des banques françaises s’est réduite tandis que celle des activités de détail augmentait régulièrement, du moins chez nous. C’est heureux. Madame Rabault, on peut estimer qu’il y a cinq ou six ans, les 3,5 à 5 % dont je parlais étaient plutôt 15 à 20 %.

M. Jean-Laurent Bonnafé. Au Crédit agricole, la proportion était de 20 % en 2006.

M. Charles de Courson. Monsieur Oudéa, votre prédécesseur, M. Bouton, estimait à 42 % la part de bénéfices de la Société générale réalisés grâce à des activités de spéculation.

M. Frédéric Oudéa. Non, de marché. Je puis vous assurer qu’il n’y avait pas 42 % de spéculation.

Monsieur Caresche, en Angleterre, la date de la séparation est fixée à 2019 et je ne suis pas certain que le débat soit définitivement tranché. Quant aux États-Unis, il y est moins question d’organisation que de limitation et d’interdiction de certaines activités, un peu dans l’esprit du projet de loi qui nous occupe.

Même lorsque l’activité de marché est destinée aux clients, à un moment donné, l’actif est dans le bilan de la banque, qui en est alors propriétaire et porte le risque qui lui est attaché. Si la valeur de l’actif varie, cela rejaillit sur son résultat. Mais agit-on alors pour servir les intérêts de la clientèle et l’économie ou bien pour compte propre, pour créer du profit, abstraction faite de tout client ? Telle est la question.

Faut-il une holding ou une filiale non garantie ? Dès lors que la filiale ne bénéficie d’aucune garantie, ce sont ceux qui ont apporté le capital et les ressources qui sont exposés en cas de problème. De ce point de vue, une holding ne me semble pas apporter davantage de sécurité ni de confort.

En ce qui concerne les tarifs, je rappelle qu’il existe une loi sur l’information des consommateurs. Il y a plus de variations au sein des banques mutualistes, qui possèdent des caisses régionales, qu’au sein des banques classiques où les tarifs uniques sont de mise. Par ailleurs, la loi de la concurrence s’applique. Le consommateur est informé des tarifs pratiqués grâce au bilan inclus dans le relevé de compte et à l’envoi annuel des frais liés à telle ou telle opération.

M. Jean-Paul Chifflet. De toute façon, nous sommes limités par l’interdiction des ententes illicites sur le tarif d’un même service. La loi de l’offre et de la demande prévaut.

M. Frédéric Oudéa. Nous avons beaucoup plus de dépôts qu’il y a dix-huit mois, ce qui est heureux. Cet argent, placé pour une large part auprès de la banque centrale, ne rapporte guère et nous préférerions l’utiliser pour accorder des crédits et faire ainsi notre métier.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur Bonnafé, permettez-moi, pour appuyer la question de M. Cherki, d’évoquer le souvenir d’un voyage à l’île de Man où j’accompagnais le ministre Éric Woerth qui venait y signer une convention d’assistance fiscale. Dans cet endroit verdoyant où paissent les moutons, le premier établissement que l’on aperçoit en entrant dans la ville, quelques kilomètres après la sortie de l’aéroport, est une magnifique succursale de BNP Paribas. Je précise que l’île de Man n’est plus en zone grise ni noire depuis que nous avons signé cette convention avec elle.

M. Pascal Cherki. Ma question ne visait pas les pays de telle ou telle liste. Je ne souhaite pas jeter le soupçon sur certains pays. Il s’agirait simplement de connaître, tous pays confondus, le nombre de comptes ouverts et le volume des transactions.

M. Jean-Paul Chifflet. Soit il y a des paradis fiscaux, soit il n’y en a pas ; il y a deux listes et nous nous y tenons.

M. Jean-Laurent Bonnafé. Pour prendre la direction des affaires fiscales au sein du groupe, nous avons recruté, comme cela se pratique souvent, un fiscaliste venu des services compétents du ministère des finances. Son dossier est passé devant une commission dite de déontologie. Si nous l’avons fait, c’est pour le bien de la maison : on ne recrute pas un fonctionnaire qualifié du ministère des finances de la République française pour lui demander de faire des farces et attrapes !

Il y a quelques années, on m’a fait vendre notre filiale à Panama, qui était alors sur une mauvaise liste et qui est repassé depuis sur la bonne. Et la banque canadienne qui l’a achetée a été, dès le lendemain, agréée spécialiste en valeurs du Trésor français ! Nous sommes dans un monde ouvert. La nouvelle loi est nécessaire ; un cadre européen eût été préférable, mais les discussions sont possibles malgré les divergences d’agenda, de sorte que l’on y viendra. En revanche, je demanderai que les établissements spécialistes en valeurs du Trésor français soient peu ou prou soumis aux mêmes contraintes que nous.

À propos de la holding, je vous livrerai mon témoignage d’opérationnel de la banque. Les banques sont des entreprises qui doivent être gérées par des banquiers. Je ne connais que deux exemples de banques qui soient devenues des holdings : Fortis et Citigroup. Dans une holding, au bout d’un moment, on n’entend plus le bruit du moteur : on ne sait plus si on conduit un 38 tonnes ou une mobylette. Mais un 38 tonnes lancé à toute vitesse dans un village fait des dégâts s’il ne reste pas sur la chaussée. Je vous recommande donc de ne jamais opter pour une holding. Pour la diriger, on commence par recruter un banquier, mais comme il ne peut cumuler ses fonctions dans les organes sociaux de la holding et dans ceux de la filiale, il faut une autre personne ; et on en arrive finalement à recruter un consultant, un avocat, qui n’a jamais étudié un dossier de crédit ni vu un risque de sa vie. Le pilotage de la holding n’est alors plus opérationnel : il se fonde sur des ratios, des agrégats, etc. La holding est donc à proscrire non pour des raisons philosophiques ou juridiques, mais pour des raisons pratiques. Nous dirigeons des entreprises complexes : cela suppose de savoir ce que c’est qu’un moteur et être capable de le démonter nous-mêmes si nécessaire. Il faut un banquier pour le faire, non un plombier, ni un chauffagiste, ni un avocat !

M. Pascal Cherki. Vous n’avez pas répondu à ma question sur les paradis fiscaux.

M. Jean-Laurent Bonnafé. Quelles sociétés industrielles ou commerciales, dans le monde, accepteraient de publier la totalité de leurs informations commerciales ? Citigroup, Bank of America, Goldman Sachs indiqueront-elles pays par pays la totalité de leurs comptes, leurs évolutions et, en creux, leur stratégie ? Non !

M. Jean-Christophe Lagarde. Concrètement, en quoi cela vous désavantagerait-il ?

M. Jean-Laurent Bonnafé. Tous mes concurrents sauraient du jour au lendemain où nous investissons, où nous ouvrons des comptes, où nous nous désengageons : ils connaîtraient notre stratégie. De telles statistiques ne peuvent être disponibles en permanence. Il s’agit d’informations sensibles.

M. le président Gilles Carrez. Merci, Messieurs.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 30 janvier 2013 à 9 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. François Baroin, M. Laurent Baumel, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Xavier Breton, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, Mme Carole Delga, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Marc Francina, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Louis Gagnaire, Mme Annick Girardin, M. Claude Goasguen, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, M. Thierry Mandon, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, Mme Valérie Pecresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Gérard Terrier, M. Thomas Thévenoud, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Alain Fauré, M. Patrick Lebreton, Mme Sandrine Mazetier, M. Thierry Robert

Assistaient également à la réunion. - Mme Marietta Karamanli, Mme Colette Langlade, Mme Axelle Lemaire

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