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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 5 février 2013

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 64

Présidence de M. Pierre-Alain Muet, Vice-Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch, sur la problématique de la séparation et de la régulation des activités bancaires

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch, sur la problématique de la séparation et de la régulation des activités bancaires.

M. Pierre-Alain Muet, président. Nous accueillons aujourd’hui M. Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch. Cette organisation internationale sans but lucratif, basée à Bruxelles, se donne pour principe que la finance doit d’abord servir à l’économie réelle – une idée assez largement partagée dans notre commission – et cherche à faire entendre la voix de la société dans le cadre des nécessaires réformes de la réglementation financière.

Avant de lui donner la parole, je rappelle que notre commission clôturera son cycle d’auditions sur la question de la séparation et de la régulation des activités bancaires par un échange en vidéoconférence avec John Vickers, demain matin. Nous examinerons ensuite dans l’après-midi et la soirée le texte et les amendements déposés.

M. Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch. Au nom de Finance Watch et de ses 71 membres, qui eux-mêmes parlent pour quelque 100 millions de citoyens européens, je vous remercie pour cette invitation.

Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires est essentiel. Son ambition, comme l’a fort bien exprimé le ministre de l’économie et des finances, est en effet rien moins que de remettre la finance au service de l’économie et non au service d’elle-même, de réformer profondément le secteur, de faire référence en Europe, de refondre notre paysage financier, sans prendre prétexte du poids de la finance et de la complexité de ses enjeux pour nous accommoder de ses défaillances, et de protéger les dépôts des épargnants, mais aussi les contribuables.

Avec de tels objectifs, Finance Watch ne pouvait qu’accueillir avec enthousiasme ce projet de réforme. Pourtant, après analyse détaillée, nous estimons que ce texte, qui s’intitule « loi de séparation », ne sépare rien. Il prétend offrir une protection aux contribuables et aux déposants, mais les protège insuffisamment. Il affirme séparer ou interdire certaines activités, mais sur trois points sur lesquels je reviendrai, ne les sépare pas ou ne les interdit pas vraiment. Enfin, ce texte, qui se veut précurseur en Europe, est en fait en deçà de ce qui se fait ailleurs.

Avant d’étayer ces affirmations, je souhaite mettre en exergue deux chiffres qui me paraissent essentiels pour comprendre le paysage bancaire français. Tout d’abord, le total cumulé du bilan des banques françaises représente 8 000 milliards d’euros, soit 400 % du PIB de la France. À titre de comparaison, la proportion est d’à peine 80 % pour les banques américaines. Cela signifie que le poids relatif du secteur bancaire est cinq fois plus grand en France qu’aux États-Unis.

Bien sûr, une partie de cette disproportion peut s’expliquer par d’importantes différences comptables entre les deux systèmes ou par des facteurs liés au mode de financement des entreprises. Pour autant, elle traduit le poids du secteur bancaire dans l’économie française. Or, comme le dit Mervyn King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, « les banques croissent à l’international, mais elles reviennent toujours chez elles pour mourir ».

Deuxième chiffre qu’il faut avoir à l’esprit : sur ces 8 000 milliards d’euros, 10 % représentent les prêts réalisés par les banques françaises aux entreprises, tandis que le prêt aux particuliers représente environ 12 % de leurs engagements. L’économie réelle bénéficie donc de 22 % du bilan des banques françaises, et une grande partie du débat d’aujourd’hui consistera à se demander ce qu’il faut faire des 78 % restants. Certes, une partie de cet argent a une réelle utilité pour l’économie, mais ce n’est peut-être pas le cas de la totalité.

J’en reviens à notre jugement sur le projet de loi et aux arguments qui le fondent.

Tout d’abord, cette « loi de séparation » ne sépare rien du tout. Si, en septembre, peu de voix s’élevaient pour souligner ce fait, il n’en est plus de même aujourd’hui : la semaine dernière, M. Oudéa a affirmé ici même que la séparation ne porterait que sur 0,75 % de l’activité de la Société générale, tandis que dans une interview publiée à la fin de l’année dernière, M. Papiasse, qui dirige la banque de financement et d’investissement de la BNP-Paribas, évaluait cette part à 2 % de l’activité de son établissement, soit 0,5 % de celle du groupe.

La raison de ces faibles pourcentages réside dans le choix du critère de séparation : si l’activité est réalisée avec un client, il n’est pas nécessaire de la séparer. Or ce critère ne possède pas de pertinence économique, comme en témoignent les fameux rapports publiés sur le même sujet par le groupe Liikanen et la commission Vickers. Je vous invite d’ailleurs à aborder la question, demain, lors de votre rencontre avec Sir John Vickers.

Ainsi, serait considérée comme utiles, au sens du projet de loi, la vente par une banque d’un credit default swap à un hedge fund situé aux îles Caïmans, le cas échéant pour spéculer sur la dette souveraine d’un pays européen ; mais aussi l’octroi d’un prêt toxique à une collectivité locale française : dans les deux cas, il existe en effet un client.

Bien sûr, ces exemples sont choisis pour provoquer, mais ils n’en sont pas moins réels. Et si l’on considère le travail quotidien d’une banque sur le marché des changes, on s’aperçoit que 4 % de l’activité correspond aux transactions nécessaires aux échanges liés au commerce international, et que le reste, soit 96 %, relève de la spéculation. Or, au sens de ce projet de loi, 100 % de cette activité est considérée comme utile, car réalisée avec un client. Nous considérons pour notre part que les activités réalisées avec les entreprises sont effectivement utiles. S’agissant des 96 % restants, le débat sur leur utilité serait sans fin, mais nous estimons que ces activités méritent d’être séparées.

Le rapport Liikanen et le rapport Vickers, en dépit de leurs nuances, proposent tous les deux clairement de séparer l’activité de marché – généralement désignée par l’expression « tenue de marché » – ainsi que les prestations de services d’investissement des autres activités bancaires. À cet égard, le projet français diverge clairement dans ses orientations. Certaines estimations qui nous semblent correctes montrent d’ailleurs que les mesures proposées par Liikanen auraient, sur les banques françaises, un impact vingt-cinq à trente fois supérieur à celles du projet français.

Notons que séparer une activité n’équivaut pas à l’estimer néfaste ou à l’ostraciser, mais juste à lui reconnaître une nature différente. Un argument souvent avancé contre la séparation de la tenue de marché est qu’une telle mesure ne permettrait pas aux banques françaises de rivaliser avec leurs concurrents internationaux ni, le cas échéant, de coter la dette française. Selon nous, cet argument ne tient pas, notamment parce que la taille intrinsèque de l'activité de marché des banques françaises est équivalente, voire supérieure à celle des banques américaines. Le trading book de BNP-Paribas est ainsi plus important que ceux de Goldman Sachs ou de Morgan Stanley. Dès lors qu’elles ont atteint une certaine taille critique, je ne vois donc vraiment pas pourquoi les banques françaises ne pourraient pas se battre à armes égales contre leurs concurrents.

Le gouvernement britannique a d’ailleurs posé sur la table un projet visant à nettement séparer les activités de marché de celles de dépôt et de crédit. Je ne pense pas, pour autant, que l’on puisse le soupçonner de vouloir empêcher la City d’intervenir sur les marchés financiers !

Ma deuxième affirmation est que ce texte, censé protéger les contribuables et les déposants, le fait de façon insuffisante. Comme le rappellent les rapports Vickers et Liikanen, pour assurer cette protection, il faut d’abord reconnaître l’existence d’activités bancaires indispensables à la société, dont l’arrêt entraînerait un blocage de l’économie : les dépôts, le crédit et les moyens de paiement. À côté de ces trois activités essentielles, il en existe de très nombreuses autres, dont certaines ont un vrai sens, mais qui ne sont pas strictement indispensables au quotidien.

Si une loi de séparation des activités bancaires doit se fixer un objectif, ce doit donc être celui d’assurer à tout moment la continuité des activités bancaires indispensables et de protéger contribuables et déposants. Sur ce point, nous rejoignons le Gouvernement.

Le projet britannique affirme la chose suivante : « les activités de banque de financement et d’investissement posent un risque à la fourniture continue des services bancaires indispensables, à la fois du fait des pertes qu’elles peuvent générer et du fait qu’elles rendent la résolution d’une banque plus compliquée ».

Or non seulement le projet français n’établit pas une séparation, mais comme il ne simplifie pas les structures bancaires, il vide, selon nous, la crédibilité du régime de résolution et de gestion de crise qu’il entend mettre en place.

Cela étant, un point technique nous apparaît encore plus important. Lorsqu’une banque fait défaut, quelqu’un doit assumer ses pertes, à commencer par les actionnaires, via les fonds propres. Mais lorsque le volume des pertes dépasse celui des fonds propres, il n’existe que deux solutions : soit les apporteurs de capitaux, les obligataires, prennent cette dette en charge, soit ce sont les contribuables.

Tout le monde juge nécessaire que l’Autorité de résolution puisse imputer sur les détenteurs de titres obligataires les pertes bancaires dont le montant dépasserait celui des fonds propres, faute de quoi le fardeau retomberait sur les contribuables. De fait, le projet de loi français prévoit un tel dispositif, mais malheureusement il ne l’applique qu’à une partie seulement des détenteurs de capitaux obligataires. Si le texte n’est pas amendé, la masse des capitaux susceptibles d’absorber les pertes en cas de défaut ne sera donc pas suffisante. Il existe bien un Fonds de garantie des dépôts et de résolution, dont le capital est porté de 2 à 10 milliards d’euros, mais que représente-t-il à l’aune des 8 000 milliards du bilan des banques françaises ?

Il est donc fondamental que tous les obligataires, y compris ceux que l’on désigne dans le jargon financier par l’expression « créanciers seniors » puissent se voir imputer les pertes. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Danemark, cette possibilité est d’ailleurs expressément prévue.

La situation que j’envisage n’a rien de théorique. La semaine dernière, aux Pays-Bas, après la faillite de la quatrième banque du pays, SNS Reaal, le ministère des finances a annoncé que 3,7 milliards d’euros seraient consacrés à son sauvetage, en précisant qu’ainsi, les créanciers seniors de la banque ne perdraient pas d’argent. Le pays n’a en effet pas prévu un mécanisme permettant d’imputer les pertes sur ces créanciers, si bien qu’il revient au contribuable de les assumer.

Dans la mesure, toutefois, où la coordination entre la législation française et la législation européenne est essentielle, Finance Watch propose de prévoir explicitement un tel mécanisme dans la loi française, quitte à le mettre en application de façon concomitante avec la loi européenne. Il est cependant intéressant de noter que les Britanniques, s’ils font référence à la législation communautaire, ont décidé d’appliquer cette disposition – que par ailleurs le Financial stability board et le Fonds monétaire international recommandent expressément – sans se préoccuper d’une telle coordination.

Lors de son audition devant cette commission, la semaine dernière, M. Moscovici a jugé que deux conditions étaient nécessaires pour protéger les contribuables, les épargnants et les déposants : la séparation des activités bancaires et l’adoption d’un régime de résolution fort. Nous partageons totalement cette analyse, mais nous estimons, au vu du texte du projet de loi, que la première condition ne sera pratiquement pas remplie, et que la deuxième ne le sera qu’à moitié.

J’en viens à ma troisième affirmation : ce texte dit vouloir séparer ou interdire un certain nombre d’activités qui, dans les faits, ne seront ni séparées, ni interdites.

Ainsi, le projet de loi prétend séparer des autres activités bancaires le crédit non garanti aux fonds à effet de levier, dit hedge funds ou fonds spéculatifs. Le problème est que les prêts aux hedge funds sont toujours montés avec des garanties ! Cela revient donc à séparer une activité qui n’existe pas.

De même, le texte envisage d’interdire le trading à haute fréquence, qu’à l’instar des rédacteurs du projet, Finance Watch juge en effet néfaste. Mais cette pratique resterait autorisée dans le cadre de la tenue de marché. Or, comme la quasi-totalité du trading à haute fréquence fait l’objet d’accords de tenue de marché – que je n’hésiterais pas à qualifier « de complaisance » – signés entre traders et places boursières, l’interdiction n’aura aucun effet.

D’ailleurs, en France, le trading à haute fréquence est lourdement taxé depuis le mois d’août, à tel point qu’il aurait déjà dû être éliminé. Il est pourtant toujours pratiqué, avec à peine quelques modifications. S’il n’a pas disparu, c’est bien parce qu’il existe un trou dans la législation. Ne nous faisons donc aucune illusion : la nouvelle mesure n’aura pas plus d’impact que la précédente.

La solution serait pourtant simple, et nous avons proposé des amendements en ce sens : il suffirait de supprimer l’exemption d’interdiction pour la tenue de marché ou encore de définir cette notion de façon stricte et rigoureuse. Une telle tâche pourrait être confiée à l’Autorité des marchés financiers, fort compétente et lucide sur toutes ces questions.

Enfin, le projet de loi prévoit d’interdire la spéculation sur les matières premières agricoles, qu’il qualifie également de néfaste. Mais en ce domaine, le problème réside beaucoup moins dans la spéculation pour compte propre – une activité aujourd’hui très marginale – que dans la fabrication et la vente massive par les banques, françaises comme étrangères, de produits de spéculation sur ces matières premières à l’intention de leurs clients. Il est donc paradoxal d’interdire la partie de cette activité qui n’existe pratiquement plus, au profit de la partie réalisée pour un client. Le projet en vient ainsi à ranger parmi les activités utiles ce qu’il a lui-même qualifié de néfaste !

Je n’insisterai pas sur ma dernière affirmation, selon laquelle ce texte, qui se veut précurseur en Europe, est en réalité souvent en deçà de ce qui est proposé ailleurs. En matière de séparation, il est ainsi en deçà des dispositions des rapports Liikanen et Vickers, et pour ce qui concerne le régime de résolution, c’est-à-dire sur la question de savoir si les apporteurs de capitaux doivent assumer les pertes en cas de faillite, il va moins loin que les propositions avancées en Grande-Bretagne, aux États-Unis et dans l’Union européenne.

J’en viens aux propositions de Finance Watch. Nous suggérons d’abord de séparer les activités de tenue de marché et de prestations de services d’investissement, en tant qu’elles sont de nature différente des activités de dépôt.

Ensuite, il convient de mettre à part l’octroi de crédits aux fonds à effet de levier, parce que cette pratique consiste, par essence, à créer du crédit pour la spéculation.

Il faut également donner à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution le pouvoir d’imputer d’éventuelles pertes bancaires sur l’ensemble des apporteurs de capitaux et non sur seulement quelques-uns.

Par ailleurs, les activités jugées néfastes doivent être effectivement interdites. Cela passe par des mesures techniques tout à fait réalisables.

Enfin, il serait intéressant de doter le Conseil de stabilité financière – CSF – d’un mode de gouvernance différent. Aujourd’hui, ses pouvoirs de contraintes, qui sont importants, dépendent dans leur exercice de la Banque de France. Ne faudrait-il pas rendre le Conseil indépendant de la volonté de la Banque de France, voire confier ses pouvoirs à cette dernière ? En outre, compte tenu des attributions qui lui sont conférées et de l’importance de son rôle pour la stabilité financière du pays, il serait légitime que le CSF rende compte une fois par an de ses activités devant le Parlement.

Je terminerai en évoquant une question qui, dans ce projet de loi, fait figure de grande absente, celle de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux. En effet, la société civile réclame plus de transparence en la matière, ce qui passe, pour chacune des juridictions dans lesquelles les banques sont implantées, par un reporting comptable complet, public et soumis à audits des activités bancaires. Une telle demande relève du bon sens et ne devrait choquer personne, sauf à considérer que l’évasion fiscale ou l’arbitrage réglementaire sont des pratiques souhaitables pour la société.

Vous l’aurez compris, le débat qui nous réunit porte sur l’équilibre entre l’intérêt général et les intérêts privés. À la fin de son audition devant cette commission, M. Moscovici a fait à cet égard une proposition que nous jugeons très constructive : il appelle à ouvrir le débat et à amender le texte de façon à ce que la tenue de marché non utile puisse être séparée des activités de dépôts. Bien sûr, il est très difficile d’apprécier l’utilité ou l’inutilité d’une telle activité. Mais en tout état de cause, définir son utilité par l’existence d’un client relève de la tautologie : par définition, la tenue de marché a un client.

Selon la Banque des règlements internationaux et la Banque centrale européenne, 93 % de l’activité de tenue de marché sur les marchés de dérivés de gré à gré – soit l’immense majorité des produits dérivés, qui représentent douze fois le PIB mondial – est réalisée par des banques à l’attention de contreparties financières, et seulement 7 % avec l’économie dite « réelle ». Peut-être que l’intervention d’une contrepartie non financière pourrait constituer un critère pertinent de l’utilité de la tenue de marché.

Mme Karine Berger, rapporteure. Je suis un peu déçue par certains de vos commentaires, notamment parce que vous vous référez systématiquement aux rapports Vickers et Liikanen en donnant l’impression qu’ils font les mêmes recommandations. Or c’est totalement faux ! Le rapport Vickers propose la séparation des activités de crédit de celles de marché, tandis que le rapport Liikanen, comme le projet de loi français, opte pour une filialisation des activités les plus risquées et une étanchéité entre la filiale et la maison-mère. Les deux rapports ne recommandent pas du tout la même chose en termes de régulation des structures, et c’est pourquoi je suis ennuyée de vous entendre systématiquement donner l’impression du contraire.

Par ailleurs, je me dois de corriger une de vos affirmations : il est inexact d’affirmer que le rapport Liikanen demande la séparation des activités de marché. Ce qu’il réclame, c’est la filialisation des activités pour compte propre – y compris les activités de tenue de marché, et c’est sur ce point qu’il se distingue du texte français.

Ma première question portera sur votre vision de la construction européenne. La logique du projet de loi français est en effet d’anticiper une future régulation des structures bancaires au niveau européen, dont tout porte à croire qu’elle s’inspirera fortement du rapport Liikanen, et donc de mettre en cohérence sa législation avec les préconisations de ce dernier. Ainsi, dans l’hypothèse où la Commission prendrait effectivement ce rapport pour base de travail afin d’élaborer une directive, notre pays ne serait pas en situation de devoir revenir sur son système de régulation bancaire. Cette démarche visant à construire une régulation commune à l’Union n’est-elle pas la plus raisonnable aux yeux de Finance Watch ? Selon moi, ainsi que pour une grande partie de la majorité, la prise en compte de l’échelon européen est en tout cas un élément crucial de la réflexion.

À de nombreuses reprises, vous vous êtes référé au rapport Vickers et au projet de législation britannique. Mais alors que la loi française, que vous critiquez fortement, doit s’appliquer en 2015, le projet Vickers, s’il prend forme de loi, n’entrerait en vigueur qu’en 2020. N’y a-t-il pas une incongruité à vouloir s’inspirer d’une législation que les Britanniques eux-mêmes refusent d’appliquer avant tant d’années ? Si le Royaume-Uni est si sûr de proposer la bonne solution, pourquoi se donner un tel délai ? On peut penser, en tout état de cause, qu’une directive européenne aura été adoptée dans l’intervalle, une directive que les Britanniques, s’ils maintiennent leur présence dans l’Union, se verront eux-mêmes contraints d’appliquer. Cela signifie donc que la législation inspirée du rapport Vickers ne sera en réalité jamais appliquée en l’état. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi vous insistez autant sur ce travail.

En ce qui concerne la résolution bancaire, vous affirmez que tous les pays s’apprêtent à imputer les pertes résultant d’une éventuelle faillite sur tous les créanciers, y compris seniors. Il est vrai que tout le monde souhaiterait un jour en arriver là, mais dans les faits, à ma connaissance, aucun pays n’a adopté cette pratique. Des discussions sont cependant en cours au sein de l’Union européenne, et j’ai cru comprendre que la France était plutôt favorable à une telle disposition. Mais est-il envisageable qu’un pays décide d’appliquer unilatéralement à ses créanciers obligataires un traitement différent par rapport aux autres pays ? Les conséquences ne seraient-elles pas très graves ? Je rappelle que c’est au moment où un bail-in a été décidé sur les créances de dette senior que la situation a dérapé en Grèce.

Enfin, s’agissant de la présence d’établissements financiers ou de leurs filiales dans les paradis fiscaux, quelles sont les pratiques des autres pays européens en matière de transparence ?

M. Pierre-Alain Muet, président. Avant de donner la parole aux orateurs des groupes, je souhaiterais moi-même poser plusieurs questions.

Tout d’abord, vous avez affirmé que le poids de la finance était en France cinq fois plus important qu’aux États-Unis. Une telle comparaison n’est-elle pas biaisée par les façons différentes de comptabiliser les produits dérivés, selon que l’on prend en compte le sous-jacent ou la valeur du dérivé lui-même ?

Ensuite, la France a fait le choix, avec ce projet, de s’inscrire dans une logique européenne. Les mesures prises par un pays me semblent d’ailleurs moins importantes que les effets qu’elles peuvent entraîner à l’échelle internationale. Ainsi, si le Glass-Steagall act a été une loi fondatrice aux États-Unis, son impact vient surtout de ce que des mesures comparables ont été adoptées dans tous les pays d’Europe après la Seconde guerre mondiale.

À cet égard, même si le projet de loi présenté par la France – laquelle devient de fait le premier pays à se lancer concrètement dans cette voie – ne va pas dans le sens d’une forte séparation des activités bancaires, il a le mérite de s’inscrire dans un processus plus général avec lequel il reste en cohérence. Dans l’Union européenne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, la séparation des activités bancaires est redevenue d’actualité depuis la crise, avec la prise de conscience des risques que fait courir une finance mal régulée.

Enfin, vous affirmez que seulement 7 % de la tenue de marché concerne les entreprises non bancaires, et que cette portion est peut-être ce que l’on peut qualifier de finance utile. Cela signifie qu’une petite partie de la tenue de marché devrait probablement être maintenue dans la maison-mère. En tout état de cause, l’existence d’une relation avec un client ne saurait en effet constituer un critère suffisant pour définir ce qui est utile à l’économie.

Mme Valérie Rabault. Le rapport de un à cinq entre les bilans des banques françaises et américaines me semble en effet pouvoir s’expliquer par les différences de netting dans l’actif et le passif.

Vous avez dit que 93 % des contreparties sur les contrats OTC seraient de nature financière. Sur ce point, nous avons demandé des éclaircissements à la Banque des règlements internationaux. Mais considérez-vous que la tenue de marché était à l’origine du risque systémique lors de la crise de 2008 ? Dans l’affirmative, avez-vous identifié les sous-jacents concernés ? Faut-il considérer que certaines contreparties ont une plus grande part de responsabilité dans le déclenchement de la crise ?

Au sein du groupe socialiste, une discussion a lieu sur des amendements visant à distinguer, au sein des portefeuilles, la partie correspondant au revenu de trading de celle relative à la marge de clientèle. Est-il nécessaire de fixer un seuil en ce domaine ? Qu’en pense Finance Watch ?

M. Éric Woerth. Le système français est plutôt bien régulé : vous avez vous-même souligné la force et la compétence de l’Autorité des marchés financiers. Les banques françaises n’ont d’ailleurs pas posé de difficultés majeures au cours de la crise financière, qui a représenté pour elles une sorte de stress test à échelle réelle.

Il est vrai que le projet de loi, en comparaison de ce qui avait été annoncé, se résume à des dispositions a minima. Au mieux, il est relativement inutile. L’important réside peut-être dans la direction qu’il indique en matière de régulation et d’organisation bancaires, mais compte tenu des différences entre le modèle anglo-saxon, le nôtre ou d’autres modèles, il est préférable de ne pas tirer les premiers, au risque de mettre en péril notre industrie bancaire. C’est en tout cas ce que je retiens des trois auditions que notre commission a organisées, notamment avec les représentants des banques.

Quelle est l’articulation entre les propositions françaises et les travaux effectués au niveau européen ? Existe-t-il une convergence en termes de calendrier ? Ne faudrait-il pas poursuivre nos réflexions et envisager un texte de loi qui entrerait plus tard en application ? En effet, si nous décidons de réguler, il faut le faire de façon collective, et non agir isolément.

M. Éric Alauzet. Je retiens de vos propos qu’en l’état actuel du projet de loi et de la législation européenne, aucune disposition ne permet de limiter l’impact de la faillite d’une filiale sur sa maison-mère et, indirectement, sur l’épargnant ou le contribuable. Le confirmez-vous ? Et pourquoi n’est-il pas possible de faire en sorte que les créanciers seniors assument les pertes résultant d’une faillite ?

En ce qui concerne la mise en place d’un reporting des activités bancaires pays par pays, on peut envisager quatre critères : le chiffre d’affaires, les effectifs, le bénéfice net et les impôts. Pour chacun de ces critères, quelles sont les obstacles à franchir pour mettre en place une véritable transparence ?

M. Thierry Philipponnat. Madame Berger, bien qu’adepte des relations constructives, je suis contraint de vous le dire : vos propos concernant les rapports Vickers et Liikanen ne sont pas vrais.

Mme Karine Berger, rapporteure. Si !

M. Thierry Philipponnat. Non seulement le rapport est public, mais j’ai eu l’occasion d’en parler cinq fois avec Erkki Liikanen : il prévoit expressément de séparer l’activité de tenue de marché.

Mme Karine Berger, rapporteure. Mais pas les activités de marché ! La question ne porte pas sur les activités de la banque d’investissement, mais bien sur la tenue de marché.

M. Thierry Philipponnat. Je rappelle que l’application de ce rapport aurait un impact vingt-cinq à trente fois plus important que celle du projet de loi. Liikanen prévoit clairement une séparation de ces activités. Au passage, dans la loi française, on parle de « prestations de service d’investissement ». Or de telles prestations conduisent toujours à coter un instrument financier.

Vous affirmez que Liikanen et Vickers ne disent pas du tout la même chose. Mais ils se rejoignent sur deux points que nous jugeons essentiels : la tenue de marché doit être séparée, et en cas de résolution, tous les apporteurs de capitaux doivent assumer les pertes. Sur ces deux points, les deux rapports sont tellement proches que l’on peut considérer qu’ils disent la même chose. En revanche, le projet français est très différent, et en particulier, il n’instaure pas une séparation de la tenue de marché. Dans l’état actuel du texte, il n’est donc pas vrai qu’il s’inspire du rapport Liikanen.

La cohérence avec la démarche européenne est fondamentale, mais j’ai entendu plusieurs fois la France exprimer son ambition de jouer un rôle précurseur. Pour cela, il faut avoir la volonté, l’envie, le courage d’être les premiers. Il est contradictoire de vouloir jouer les précurseurs et d’affirmer ensuite que l’on ne peut pas agir seuls. Certes, il ne serait pas illégitime d’attendre de savoir ce que fera l’Europe avant de se lancer dans une régulation. Mais on peut aussi affirmer des principes et aller de l’avant, à condition de prendre en considération ce qui se prépare au niveau européen. La Commission européenne a indiqué son intention de faire une proposition législative sur la base du rapport Liikanen au troisième trimestre de cette année. Il faut s’attendre à de nombreux débats et opérations de lobbying sur le sujet, mais en ce qui concerne la séparation des activités bancaires, on peut d’ores et déjà voir se dessiner une tendance, inspirée par le groupe Liikanen. Quant à la résolution bancaire, la directive est déjà sur la table et nous en connaissons le contenu. Il est donc possible pour la France de se montrer un précurseur tout en allant dans le sens de la future réglementation européenne – quitte à mettre en œuvre les nouvelles mesures quand cette réglementation sera effectivement adoptée.

Vous affirmez que les Britanniques n’appliqueront jamais ce qu’ils prétendent vouloir adopter. C’est un argument que j’entends souvent, et il est vrai que 2019 est une date très éloignée. Il n’en demeure pas moins que le contenu du projet britannique sur les deux questions de la séparation et de la résolution est infiniment plus substantiel que celui du projet français.

Ce qui frappe, dans le projet de loi, c’est le décalage entre l’exposé des motifs et le contenu des articles : on affirme vouloir réformer l’organisation bancaire, mais on ne le fait qu’à moitié. Inversement, les Britanniques prétendent aller jusqu’au bout, tout en prévoyant une entrée en vigueur tellement éloignée qu’il est à craindre qu’elle n’ait jamais lieu. Je ne sais pas ce qui en résultera. Je ne prétends pas, de toute façon, que le problème soit simple et puisse trouver une solution d’un coup de baguette magique. Pour tenir compte de cette complexité, il est d’ailleurs envisageable de prévoir une période d’adaptation relativement longue. Mais une chose me semble sûre : il est peu probable que le gouvernement britannique s’apprête à adopter des mesures susceptibles de saboter son industrie bancaire. Au vu de son projet, on peut donc conclure que ni la séparation stricte des activités, ni l’adoption d’un nouveau régime de résolution n’auraient cet effet.

En ce qui concerne les créanciers seniors, j’ai demandé à des spécialistes de l’émission de dette obligataire si les banques françaises pourraient, aujourd’hui, émettre de la dette faisant l’objet d’une résolution. On m’a répondu qu’il n’y aurait pas de problème. Certes, le surcoût serait de quelques dizaines de points de base : je ne cherche pas à le nier. Mais c’est l’éternel débat sur l’équilibre entre l’intérêt général et les intérêts privés : est-ce que certains intérêts privés méritent vraiment que le contribuable continue à être exposé ?

S’agissant de la Grèce, je suis d’accord avec vous pour affirmer que dans l’urgence, il est essentiel de prendre les bonnes décisions de sorte que les capitaux puissent continuer à arriver. Mais sur le long terme, il est temps de sortir de ce système absurde dans lequel, faute de voir satisfaites toutes ses exigences, le marché finit par nous étrangler. Le rôle de la loi n’est-il pas justement de poser les conditions d’une moindre dépendance de la puissance publique aux demandes des marchés ?

À ma connaissance, aucun pays ne prévoit les mesures de transparence que nous préconisons au sujet des paradis fiscaux. Sur ce point, vous avez raison. Et toutes les banques sont présentes dans ces pays, les banques étrangères n’étant à cet égard ni plus, ni moins vertueuses que les françaises. Mais si nous refusons d’agir tant que personne ne fera un pas, nous n’irons jamais plus loin. En tant qu’organisation non gouvernementale, nous sommes contraints de rappeler que l’arbitrage réglementaire et l’évasion fiscale ne sont pas souhaitables, et que la transparence est facteur de vertu.

Les arguments techniques opposés par le président et Mme Rabault sur le poids respectif de la finance en France et aux États-Unis sont parfaitement fondés. Il est vrai que les produits dérivés ne sont pas comptabilisés de la même façon en Europe et aux États-Unis. Pour les plus gros book, l’écart peut aller du simple au double. Mais là n’était pas mon propos.

Ce que je veux dire, c’est qu’en raison du poids considérable des banques dans l’économie française, le contribuable français devra payer si un problème survient. Les banques américaines présentes sur le marché des dérivés ne sont que quatre ou cinq – JP Morgan, City Group, Morgan Stanley, Bank of America et Goldman Sachs – sur les milliers d’établissements que compte le pays. La structure bancaire des États-Unis est très atomisée, alors qu’elle est très concentrée en France, ce qui explique la disproportion observée chez nous, même si, en tenant compte des différences de normes comptables, le rapport ne serait probablement plus de un à cinq, mais plutôt de un à deux ou de un à trois.

Vous avez évoqué, monsieur le président, la part importante de la tenue de marché concernant les entreprises bancaires. On pourrait trouver des milliers d’exemples de transactions qui, bien que réalisées avec des clients, n’ont pas selon nous vocation à être nourries par des dépôts. Ainsi, le « carry trade » vendu à un hedge fund de façon à arbitrer entre des devises est une activité utile au sens du projet de loi. Pour notre part, nous ne souhaitons pas l’interdire, car nous sommes favorables à la liberté économique, mais nous pensons que les dépôts ne devraient pas alimenter l’arbitrage de devises auprès des hedge funds.

On m’a demandé mon avis sur la tenue de marché. Je souscris totalement à l’analyse livrée ici même, il y a une semaine, par M. Oudéa : dans la réalité, il est très difficile de distinguer l’action du teneur de marché visant à bénéficier des décalages de cours et ce qui relève du service au client. Dans l’absolu, la tenue de marché consiste à coter un prix acheteur et un prix vendeur, la différence de cours permettant de faire un bénéfice. Dans la réalité, on achète une valeur mobilière, on la tient pendant une certaine durée, et l’évolution de cours pendant cette période entraîne un gain ou une perte.

Aux États-Unis, la Volcker Rule tente justement de distinguer la pure rémunération de service au client et les effets des décalages de cours, mais les Américains ont fini par se perdre dans ce débat, et le projet initial, qui faisait trente pages, en comprend désormais 250. En effet, dans la réalité, il est normal qu’un teneur de marché bénéficie ou pâtisse des décalages de cours. Tenter d’opérer une distinction ne mène donc nulle part. Les deux activités sont selon nous de la même nature, et c’est pourquoi nous pensons qu’elles doivent toutes les deux faire l’objet d’une séparation.

Mme Rabault m’a demandé mon avis sur les causes de la crise de 2008, sans doute pour me faire dire que le trading n’était pas en cause…

Mme Valérie Rabault. Je n’ai pas parlé de trading, mais de tenue de marché.

M. Thierry Philipponnat. Pour avoir travaillé pendant vingt ans dans une salle de marché, je peux vous assurer que la différence entre les deux est ténue.

Nous savons tous que JP Morgan vient de perdre 6 milliards de dollars en raison de placements effectués par un de ses traders, surnommé la « baleine de Londres ». Or le bureau chargé de ce trading pour la banque avait pour mission de « réinvestir » les dépôts non utilisés de la clientèle. C’est une illustration parfaite de la tendance des banques universelles à s’amuser un peu avec ses excédents de dépôts. Ayant eu l’occasion de débattre au sein du Parlement européen avec John Vickers et Paul Volcker, j’ai demandé à ce dernier si une telle affaire aurait pu survenir dans le cas où la Volcker Rule, qui vise à interdire le trading pour compte propre, aurait été applicable. Aux États-Unis, les experts jugeant cela possible sont en effet aussi nombreux que ceux d’un avis contraire. M. Volcker, lui, a souri et a répondu : « Vous savez, tout est possible avec les juristes. » Ce qu’il voulait dire, c’est que dans la réalité, tant que l’on permettra à une banque d’exercer certaines activités, elle prendra des risques. C’est pourquoi nous ne devons pas financer de telles activités avec les dépôts.

M. Woerth estime que nous ne devons pas être les premiers à agir, au risque de mettre nos banques en difficulté. Mais je ne suis pas convaincu qu’une organisation destinée à protéger la société soit susceptible d’entraîner des difficultés.

Je n’irai pas aussi loin qu’Éric Alauzet : certaines des mesures proposées tendent à limiter la possibilité pour une maison-mère de soutenir une filiale, même si elles restent insuffisantes à nos yeux : les augmentations de capital doivent être contrôlées, et les apports de la mère à la fille, interdits, sans quoi l’avantage de la protection de l’État serait de facto transféré à la filiale.

Enfin, s’agissant du reporting des activités bancaires, il est certain qu’il se heurterait avant tout aux spécificités locales en matière fiscale. Mais le jour où on réalisera qu’une banque parvient à réaliser 2 milliards d’euros de profits dans une juridiction où elle ne compte que quatre employés, on commencera à se poser des questions.

M. Laurent Baumel. Le contexte politique favorise les jeux de posture : certains vont juger le projet de loi formidable, tandis que d’autres font feu de tous bois pour le discréditer, quitte à recourir à des arguments contradictoires. Nous ne devons pas nous situer dans cette logique, mais plutôt dans celle d’un texte de régulation, que l’on peut estimer ou non suffisant, et dont il est possible d’améliorer certains points d’équilibre. Telle est la logique du groupe SRC pour les jours à venir.

J’ai du mal à comprendre l’importance du débat « filialisation contre séparation ». Au vu des attendus du projet de loi, il apparaît clairement qu’une filiale confrontée à de gros problèmes ne bénéficierait pas de la garantie des dépôts et que la maison-mère serait censée pouvoir la laisser tomber. Dès lors, qu’est-ce qui distingue fondamentalement ce modèle de celui que vous prônez, à savoir la séparation stricte ? Les sociétés créées pour abriter les activités faisant l’objet d’une séparation auraient de toute façon des propriétaires, des actionnaires qui ne seraient autres que les actuelles banques universelles. Dans un cas, la filialisation serait assumée et organisée par la loi, dans l’autre, elle serait implicite.

En ce qui concerne la tenue de marché, je m’apprête à déposer un amendement destiné à en proposer une définition plus stricte, afin d’avancer dans le débat sur la distinction entre tenue de marché et activités plus spéculatives. J’entends bien vos propos : une telle distinction ne sera jamais possible à 100 %. Mais n’est-il pas possible de réunir un faisceau d’indices – présence régulière sur le marché, écarts de cotation, activité minimale – permettant de l’opérer de façon relativement satisfaisante ?

Enfin, nous allons également essayer d’aborder dans le projet de loi la question des paradis fiscaux. Mais si nous sommes les premiers, et les seuls, à agir en la matière, ne risquons-nous pas de mettre en danger la compétitivité de nos banques ? Quelle est la limite de ce que nous pouvons exiger si nous sommes les seuls à le faire ?

Mme Sandrine Mazetier. Je me réjouis de l’existence de Finance Watch, même si je juge certaines informations que vous nous avez données relativement contestables – et en particulier l’affirmation selon laquelle la BNP serait plus puissante que Goldman Sachs !

M. Thierry Philipponnat. Son groupe de trading est plus important.

Mme Sandrine Mazetier. Une telle affirmation est inexacte, pour les raisons déjà évoquées.

J’estime toutefois que vos arguments sont considérablement affaiblis dans la mesure où le modèle que vous proposez en exemple – même si ce n’est sans doute pas intentionnel – est, d’une certaine manière, celui de Goldman Sachs. Or personne, sur les bancs de la majorité, et en tout cas au groupe socialiste, ne souhaite que le modèle d’organisation du système bancaire français, ou même européen, soit calqué sur le modèle anglo-saxon, et encore moins sur celui de Goldman Sachs, quand bien même cette société a survécu là où Merrill Lynch a disparu.

Vous avez noté le poids important occupé par le secteur bancaire dans l’économie française, mais aussi en termes d’emplois ou d’influence. C’est pourquoi je suis très fière que la France soit le premier pays à légiférer en matière de régulation bancaire. Nous essayons d’anticiper sur la réglementation européenne, mais en agissant tout de suite, nous aspirons à ce que notre pays puisse peser comme il le mérite sur la future organisation du système bancaire européen, voire mondial. Une telle démarche doit être soutenue.

Le groupe socialiste a vraiment l’intention d’obliger les banques à publier un rapport d’activités pays par pays et produit par produit. La transparence, qui n’empêche pas le développement de l’activité, doit être suffisante pour s’imposer demain à des établissements bancaires moins importants que les établissements français, mais tout aussi actifs dans les paradis fiscaux. C’est pourquoi il serait plus utile que vous aidiez les parlementaires à trouver la clé de la distinction entre tenue de marché et activités plus spéculatives, plutôt que d’ériger en modèle une entreprise que nous abhorrons, ce grand monstre froid capable de très mal conseiller un pays de l’Union européenne en spéculant sur sa faillite.

M. Thierry Philipponnat. Prôner la séparation entre banque commerciale et banque de marché revient à se poser deux questions : que va-t-on mettre de chaque côté, et quelle sera la structuration juridique ? On peut choisir entre trois modèles différents : la filialisation, pour laquelle opte le projet de loi, la holding ou la séparation en deux entités complètement différentes.

Il n’est pas simple de choisir entre la holding et la division entre maison-mère et filiale. Notre première préoccupation est de mettre quelque chose dans cette filiale – car aujourd’hui, il n’y a rien –, et la deuxième, d’assurer un certain niveau d’étanchéité entre mère et fille. Si ces deux conditions sont remplies, alors la réforme acquiert un sens.

J’en viens à la notion de présence permanente sur les marchés. Il existe plusieurs formes de market making : l’une, très simple, consiste à acheter ou vendre des actions ou des obligations d’État, mais elle ne représente qu’une petite partie de l’activité des salles de marché. Le plus gros volume de cette activité, et de loin, concerne l’activité portant sur les produits dérivés. Or le marché des dérivés, dont les banques françaises sont des acteurs majeurs, représente douze fois le montant du PIB mondial, et les engagements de certaines grandes banques françaises en notionnel sous-jacent, jusqu’à vingt-cinq fois le produit intérieur brut national.

Toutes ces activités, réalisées de gré à gré, consistent à échanger le droit d’acheter tel actif à tel prix pendant tant de temps. Or dès l’instant où une banque vous vend un tel produit, elle devient votre market maker – puisque l’on est dans le gré à gré –, alors même qu’elle n’est pas présente de façon continue sur le marché. C’est pourquoi une telle activité sera exemptée de l’obligation de séparation.

Avec la définition que le projet de loi donne du market making, les positions sur produits dérivés de crédits qui ont entraîné la faillite de la banque AIG à Paris auraient été qualifiées d’utiles : ces gens-là ont vendu pour 3 milliards de dollars de produits dérivés over-the-counter dont ils étaient market makers. Voulons-nous vraiment que le soutien de l’État nourrisse une telle activité ?

L’effet de la transparence sur la compétitivité de nos établissements bancaires est une question légitime. Mais c’est aussi une affaire d’éthique : la France veut-elle promouvoir des banques qui parviennent à être compétitives en trichant ? Certes, elles ne sont pas les seules à le faire, mais les paradis fiscaux servent avant tout à gagner de l’argent par l’arbitrage réglementaire et l’évasion fiscale.

Comme vous pouvez l’imaginer, Finance Watch a fait l’objet de nombreuses critiques, mais je n’avais encore jamais entendu que notre association soutenait le modèle Goldman Sachs. Une telle accusation est tellement surréaliste que je ne sais même pas par quel bout la prendre.

On nous reproche souvent de vouloir abîmer les activités de marché. Le marché financier est utile, je le reconnais, mais seulement quand il est liquide et que ses acteurs sont diversifiés. Or la structure des marchés européens est moins liquide que celle des marchés américains qui – si l’on met de côté le cas emblématique de Goldman Sachs – sont caractérisés par la présence d’une multitude d’acteurs très différents. À l’inverse, les acteurs européens sont oligopolistiques, parce qu’ils sont bâtis sur le modèle de la banque universelle soutenue par l’État. La concentration y est phénoménale, et les rares acteurs font tous la même chose au même moment. Au contraire, un marché très atomisé favorise la liquidité.

Je ne crois pas que nous soutenons le modèle de Goldman Sachs, mais ce qui est sûr, c’est que le modèle de la banque universelle oligopolistique et bénéficiant du soutien public ne contribue pas à la liquidité des marchés.

Par ailleurs, je suis heureux, madame Mazetier, d’apprendre que vous avez la volonté d’améliorer la transparence.

Nous sommes prêts à aider les parlementaires à rédiger des amendements. Si nos compétences techniques peuvent être utiles, c’est avec plaisir que nous les mettrons à votre disposition.

Vous avez employé le terme « abhorrer ». Chez Finance Watch, ce que nous abhorrons, c’est le détournement de l’intérêt général au profit des intérêts privés. Certes, les intérêts privés sont légitimes, et d’ailleurs indispensables pour faire tourner l’économie, mais ils deviennent néfastes quand ils tendent à capturer l’intérêt général. C’est ce qui est arrivé avec les produits dérivés, qui sont le plus important vecteur d’interconnexion des banques entre elles, et donc le principal facteur de fragilisation du système. S’ils continuent à se développer, au point d’atteindre des proportions n’ayant plus rien à voir avec l’économie réelle, c’est tout simplement en raison du soutien implicite qu’ils reçoivent de la part de la puissance publique.

M. Pierre-Alain Muet, président. Merci, monsieur Philipponnat. La prochaine réunion de la Commission aura lieu demain matin, à neuf heures, avec l’audition, en visioconférence, de Sir John Vickers.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 5 février 2013 à 12 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Laurent Baumel, Mme Karine Berger, M. Christophe Caresche, M. Gaby Charroux, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Christian Eckert, M. Alain Fauré, M. Jean-Claude Fruteau, M. Marc Goua, M. Jean Launay, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre-Alain Muet, Mme Valérie Rabault, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Michel Vergnier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Étienne Blanc, M. François Cornut-Gentille, M. Thierry Robert, M. Pascal Terrasse

Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Léonard, M. Dominique Potier

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