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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 19 novembre 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Gilles Carrez,
Président

–  « Le Défenseur des droits : missions et gestion » : audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, et M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, sur la communication de la Cour des comptes à la commission des Finances, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances

–  « Les frais de justice depuis 2011 » : audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur la communication de la Cour à la commission des Finances, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, et M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, sur la communication « Le Défenseur des droits : missions et gestion » de la Cour des comptes à la commission des Finances, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances.

M. le président M. Gilles Carrez. Je souhaiterais débuter notre réunion par un point sur les cinq enquêtes qu’en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, nous avons demandé à la Cour des comptes de réaliser au mois de décembre dernier, ainsi que sur les suites qui leur ont été données, afin de montrer aux magistrats de la Cour toute l’attention que nous portons à leurs travaux.

La première enquête porte sur les centres de gestion agréés. Elle a donné lieu, le 10 septembre dernier, à l’audition par notre Commission de M. Raoul Briet, président de la première chambre. Nous avons présenté et fait adopter – en dépit d’une certaine réserve du Gouvernement, à qui nous proposions pourtant la suppression de niches fiscales et donc des recettes supplémentaires – trois amendements reprenant certaines des recommandations de son rapport.

La deuxième enquête a trait au bilan des conventions et des crédits de revitalisation des territoires, qui porte, pour 2014, sur les zones de restructuration de la défense. Le rapport m’en a été transmis le 6 novembre dernier, et notre Commission auditionnera le 3 décembre prochain M. Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour. Une étude plus générale des actions de redynamisation des territoires sinistrés économiquement sera effectuée en 2015 ; ce sujet est suivi, au sein de notre Commission, par Christophe Castaner. Là encore, je suis persuadé que nous tirerons parti des préconisations de la Cour en les inscrivant par voie d’amendement dans un projet de loi de finances. Cette démarche est, en tout cas, celle qu’il convient d’adopter.

La troisième enquête, qui concerne les dispositifs et les crédits mobilisés en faveur des jeunes sortis sans qualification du système scolaire, nécessite un long travail de la Cour, si bien que son rapport ne nous sera adressé qu’en 2015.

Nous examinons aujourd’hui les communications portant sur les deux derniers thèmes : le Défenseur des droits et la question, récurrente, des frais de justice.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. La communication que votre Commission avait demandé à la Cour d’effectuer sur le Défenseur des droits vous a été adressée à la fin du mois de septembre. Cette enquête a été menée au premier semestre 2014, dans une période marquée par le décès de Dominique Baudis.

Le Défenseur des droits est une autorité constitutionnelle indépendante créée par l’article 71-1 de la Constitution et mise en place par la loi organique du 29 mars 2011, qui lui assigne quatre missions : défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État, défendre et promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant, lutter contre les discriminations directes ou indirectes et veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité. Le texte de la loi résulte d’un compromis entre, d’une part, les tenants du maintien des quatre anciennes autorités administratives et, d’autre part, les partisans d’une rationalisation. Coexistent ainsi, au sein de l’institution Défenseur des droits, incarnée par une personne, les trois anciennes autorités administratives indépendantes – AAI –, sous la forme de trois collèges et de trois vice-présidents.

L’institution s’est mise en place progressivement à partir du dernier trimestre de l’année 2011. Le Défenseur des droits évolue dans un cadre juridique complexe. Il est assisté de trois adjoints, vice-présidents, et de trois collèges. Chaque vice-président peut le suppléer pour présider les réunions de son propre collège, mais c’est la seule compétence propre que leur attribue la loi. À ce propos, je veux signaler brièvement les problèmes soulevés par un événement tel que le décès de Dominique Baudis, qui a posé la question de la non-prolongation du mandat des vice-présidents ; ce dispositif doit sans doute être revu, car l’institution s’est trouvée de facto brutalement en difficulté. Quant aux collèges, ils sont chargés d’examiner les « questions nouvelles ».

L’organisation de l’institution reste marquée par l’héritage des anciennes autorités administratives indépendantes. Bénéficiant d’une grande marge de liberté pour définir les modalités de fonctionnement de son institution, le Défenseur des droits a décidé de favoriser – et nous pensons que c’était la bonne décision – une organisation transversale. Si ce choix est conforme à l’esprit de la loi, il est à l’origine d’un organigramme complexe. À cet égard, la Cour estime que le rôle et le fonctionnement des adjoints et des collèges, qui sont certes définis par la loi organique, devraient faire l’objet d’une réflexion. De même, le secrétaire général et le directeur général des services ont parfaitement rempli leurs tâches au cours de la période de mise en place de l’institution, mais la Cour, soucieuse du bon emploi des deniers publics, juge qu’il sera sans doute possible de faire un effort dans le domaine de l’encadrement administratif supérieur lorsque l’autorité aura atteint son rythme de croisière.

L’institution paraît globalement adaptée au traitement des réclamations, dont le nombre s’élève, chaque année, à environ 80 000. Celles-ci sont partagées entre les délégués locaux et le siège, selon une organisation complexe qui, si elle fonctionne correctement, pourrait être améliorée, notamment en ce qui concerne les onze pôles spécialisés qui constituent le cœur du dispositif. La loi organique a offert au Défenseur des droits différents pouvoirs et moyens juridiques d’intervention, dont certains vont au-delà des capacités dont disposait chacune des précédentes autorités administratives indépendantes. Tous n’ont pas été ou ont été peu utilisés. Ce constat n’est pas nécessairement critique, dans la mesure où l’institution était en phase d’installation ; elle pourra en faire un plus grand usage une fois qu’elle aura atteint son rythme de croisière. S’agissant des collèges, la loi organique avait prévu qu’ils seraient saisis des questions nouvelles, mais leur saisine a en fait été étendue à des questions jugées importantes par le Défenseur.

Par ailleurs, ce dernier doit clarifier ses relations avec les autres institutions. En ce qui concerne la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dont le Défenseur est membre de droit, cette clarification ne paraît pas présenter de grandes difficultés. En revanche, les relations qu’il entretient avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté depuis la loi du 26 mai 2014, qui a renforcé les prérogatives et les pouvoirs du Contrôleur, laissent perplexes. En effet, les champs de compétence des deux institutions se recoupent, de sorte que les modalités de leur coordination mériteraient de faire l’objet d’une nouvelle convention.

J’en viens maintenant à la gestion de la nouvelle institution. Au plan financier, elle nous paraît maîtrisée. Le budget global, qui s’élève à une trentaine de millions d’euros, est comparable aux budgets cumulés des anciennes autorités. Après l’année 2012, qui a été marquée par les effets de la réorganisation et de la refondation du régime de rémunération, l’institution s’est efforcée de réduire ses dépenses, notamment ses dépenses de support. Quelques marges de progression existent toutefois en matière de gestion des marchés.

En ce qui concerne les moyens en personnel, les effectifs étaient, au 30 avril 2014, de 227 équivalents temps plein travaillé, sous et hors plafond, auxquels s’ajoutaient une trentaine de stagiaires. Les effectifs impliqués dans les fonctions support sont moins nombreux que dans les anciennes autorités administratives indépendantes, ce qui est une bonne chose. Un équilibre est à rechercher entre fonctionnaires et contractuels. L’effort d’unification de la politique de ressources humaines a eu un certain coût, mais il a donné des résultats et doit permettre de mieux maîtriser une masse salariale qui s’élevait, en 2013, à un peu plus de 15 millions, soit la moitié du budget. Celle-ci a commencé à diminuer entre 2012 et 2013, notamment du fait du gel des mesures de revalorisation salariale individuelle décidé suite à la refondation du régime de rémunération et du régime indemnitaire, qui s’est traduite, en 2012, par des augmentations pour un certain nombre de personnels. Par ailleurs, l’effet de noria – qui résulte du remplacement d’agents anciens bien rémunérés par des jeunes recrutés à un niveau de rémunération plus modeste – a permis une gestion intelligente de la masse salariale, qui reste cependant à confirmer dans les années à venir, d’autant que la programmation triennale prévoit la suppression de quelques emplois.

S’agissant de la situation immobilière, l’institution a réduit le nombre de ses baux à deux : ceux des locaux de la rue Saint-Georges et de la rue Saint-Florentin. Mais il est clair que la gestion immobilière permettra de réaliser de nouvelles économies le jour où le Défenseur des droits pourra s’installer au sein du bâtiment Fontenoy de l’immeuble dit « Centre de gouvernement de Ségur-Fontenoy », opération qui, a du reste, beaucoup occupé la Cour.

Outre la protection individuelle, le Défenseur des droits a pour mission de promouvoir les droits. Or, l’organisation de cette action nous paraît pouvoir être améliorée. Bien entendu, la Cour est consciente qu’une notoriété accrue de la nouvelle institution pourrait entraîner une augmentation du nombre des réclamations, mais cette action fait partie de la mission du Défenseur.

En conclusion, il apparaît que le Défenseur des droits a repris avec succès les missions et compétences des quatre autorités administratives indépendantes auxquelles il s’est substitué. Cependant, les résurgences de ces dernières ont compliqué la mise en place de la nouvelle institution. Il semble donc que la fusion reste à parachever, mais nous ne doutons pas qu’elle puisse l’être. Par ailleurs, les relations avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sont à clarifier. Enfin, si la gestion de l’institution s’est révélée correcte, des améliorations restent possibles, notamment sur le plan de l’organisation, qui gagnerait à être simplifiée. Le déménagement sur un seul site, attendu au cours du second semestre de 2016, sera un facteur déterminant.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Je veux tout d’abord remercier votre Commission d’avoir usé de ses pouvoirs pour demander à la Cour des comptes une communication sur le Défenseur des droits, ainsi que Mme Marie-Christine Dalloz, avec qui je me suis entretenu et qui est très attentive à notre situation. Je sais gré également à la Cour des comptes, en particulier à sa quatrième chambre, d’avoir su accomplir un travail remarquable dans un délai bref et dans des circonstances délicates. Je veux dire à ce propos combien je regrette d’occuper la position où je suis à la suite du décès de Dominique Baudis, dont nous avons apprécié l’œuvre accomplie ces quarante dernières années, en particulier en tant que Défenseur des droits.

En trente-trois mois, entre juillet 2011 et avril 2014, il a en effet réussi, avec ses équipes, à remplir les deux objectifs fixés par la loi organique de 2011 : créer une institution unique tout en maintenant la visibilité des missions et instances regroupées en son sein. Pour ce faire, mon prédécesseur a mis en place une architecture unique qui traduit la réussite de ce que la Cour des comptes appelle la fusion fonctionnelle. À preuve, nos quelque 400 délégués sont désormais des délégués du Défenseur, et non plus des autorités dont ils relevaient auparavant, et les adjoints – qui ont été maintenus pour assurer une certaine visibilité aux trois missions de protection des enfants, de lutte contre les discriminations et de contrôle du respect de la déontologie de la sécurité – n’ont pas d’autorité hiérarchique sur les services. L’institution n’obéit pas à une organisation en silo ; elle compte un certain nombre de directions, de pôles, de fonctions support, et elle accomplit ses deux missions, protection et promotion des droits, selon des procédures homogènes et des méthodes que je qualifierai d’« intersectionnelles ». Ainsi, l’autorité et la légitimité du Défenseur des droits sont désormais reconnues. Au reste, le fait que certains aient jugé que je n’étais pas digne d’être nommé à la tête d’une institution de la République aussi importante montre bien que le Défenseur des droits a su faire reconnaître son rôle, notamment par le Parlement.

J’ai été entendu dans le cadre de la procédure de nomination prévue à l’article 13 de la Constitution par les commissions des Lois de l’Assemblée et du Sénat. Comptant entretenir des relations très étroites avec le Parlement, j’ai pris l’engagement de me rendre devant ces dernières deux fois par an. Par ailleurs, je rencontre très souvent les parlementaires concernés et je me réjouis de pouvoir intervenir ce matin devant la commission des Finances.

Le rapport dont M. Vachia vient de vous exposer les grandes lignes me paraît intelligent et adapté. La Cour a formulé un certain nombre d’observations auxquelles nous avons répondu par écrit, puis par oral lorsque j’ai été amené à rencontrer les magistrats de sa quatrième chambre. Son rapport, non seulement prend en compte ce qui a été fait depuis trois ans pour créer une institution nouvelle, mais prévoit quelles doivent être les futures évolutions de l’institution. Il est à la fois une critique, c’est-à-dire une appréciation informée, de notre situation et un soutien, puisque la priorité que j’ai fixée à mon action lorsque j’ai pris mes fonctions, le 18 juillet dernier, correspond exactement à ce que je crois être sa principale conclusion politique. En effet, j’estime, à l’instar de la Cour, que si la mission de protection des droits du Défenseur a été convenablement remplie, sa mission de promotion des droits n’a pas été suffisamment développée.

Ainsi, ma tâche est-elle actuellement consacrée au renforcement de la notoriété de l’institution et au développement de l’accès aux droits. Actuellement, nous sommes saisis d’environ 100 000 demandes, soit 80 000 requêtes, dont 20 % sont traitées par les délégués territoriaux et 80 % par le siège ; je souhaiterais que nous allions au-delà, c’est-à-dire que les publics qui ne connaissent pas leurs droits ou ne savent pas que le Défenseur des droits peut les aider à les rendre effectifs s’adressent à nous. De même que nous devons rendre effective l’application des lois, de même nous devons rendre effective l’action des pouvoirs publics en faisant en sorte que les « non-publics » y recourent. Cette préoccupation n’est pas propre au Défenseur des droits, mais, dans le domaine des droits fondamentaux, qui recouvre à la fois la vie quotidienne et la matière juridique, elle peut être particulièrement prégnante. En tout cas, c’est sous cet angle que j’envisage le développement de l’accès aux droits. Dans le même temps, je veux promouvoir l’égalité des droits, en accentuant notre action d’information, de formation, d’éducation et de participation aux réformes législatives, et en faisant des propositions, notamment dans les avis rendus au Parlement, dont le nombre a augmenté en 2013. Encore une fois, cette priorité correspond parfaitement aux recommandations de la Cour des comptes.

Je suis d’ailleurs en train de créer, dans le cadre d’un réaménagement des services, un département de la promotion de l’égalité et de l’accès aux droits, dont le directeur est en cours de recrutement. De la sorte, d’ici à la fin du mois de janvier, je pourrai faire le point sur la mise en œuvre de cette action de promotion des droits, qui n’est pas nouvelle mais qui doit être renforcée et étendue, notamment en réunissant, comme le recommande la Cour des comptes, les activités de communication, d’études, de recherche et de documentation ainsi que les activités internationales et européennes au sein de ce nouveau département.

Bien entendu, je le dis avec honnêteté, cette action implique des besoins budgétaires. Nous disposons d’un budget et d’emplois ; nous ne sommes pas maltraités. Notre budget triennal est un budget de rigueur, qui imposera notamment une diminution de notre plafond d’emplois. Toutefois, deux éléments doivent être pris en compte, qui impliqueront peut-être que soient prises certaines décisions budgétaires dans les années à venir. Tout d’abord, si l’action de promotion de l’égalité et de l’accès aux droits est une réussite, il est clair que nous aurons de nouveaux besoins en matière de protection des droits. Nous pouvons, certes, améliorer encore notre productivité, notamment en réduisant nos délais de réponse, mais ces gains ont une limite et le nombre d’emplois et de délégués actuel ne nous permettra pas de faire face à un afflux de nouvelles requêtes. Dès lors, soit on prend cet élément en considération, soit on instaure un numerus clausus, ce qui ne me paraît pas particulièrement indiqué en matière de protection des droits fondamentaux.

Ensuite, il faudra prendre en compte les besoins liés à l’emménagement dans l’immeuble Ségur-Fontenoy, qui devrait intervenir en 2016. Si le permis de construire est délivré avant la fin de l’année et si les travaux de rénovation commencent au mois de février, l’opération devrait être achevée dans seize à dix-huit mois, de sorte que les délais seraient respectés. Certes, cette opération nous permettra de réaliser, à partir de 2017, certaines économies grâce à de moindres loyers et à la mutualisation d’un certain nombre de services, mais nous devrons prévoir, dans le budget 2016, les charges liées au déménagement lui-même.

En conclusion, le rapport de la Cour des comptes est pour nous une aide. J’ai défini des priorités qui correspondent à ses recommandations et aux souhaits des députés, en particulier de Mme Dalloz. Mais il faut être vigilant car, en 2016, il conviendra de s’interroger sur d’éventuelles améliorations budgétaires.

Mme Marie-Christine Dalloz, rapporteure spéciale des crédits de la mission Direction de l’action du Gouvernement. Tout d’abord, je tiens à saluer, en tant que rapporteure spéciale des crédits de la mission Direction de l’action du Gouvernement, l’excellent travail de la Cour des comptes, qui nous a transmis une communication remarquable sur le Défenseur des droits. Pourquoi ai-je sollicité une enquête de la Cour sur ce thème ? Parce que cette institution a été créée en 2011 et qu’il pouvait sembler nécessaire de dresser un premier bilan de son action après trois ans d’existence. Dominique Baudis a joué un rôle essentiel dans la mise en place du Défenseur des droits et, si ce premier bilan est très positif, c’est en grande partie à lui que nous le devons. Qu’il me soit permis de lui rendre hommage.

Dans sa communication très complète, qui aborde toutes les facettes de l’institution – sa gestion, ses orientations stratégiques et son positionnement institutionnel –, la Cour préconise de réduire les structures de direction. Plutôt que de rappeler les dispositions de la loi organique qui définissent l’organisation particulière de l’institution, je citerai la Cour : « Malgré une taille relativement restreinte (environ 230 agents), l’institution comprend aujourd’hui, à côté du Défenseur lui-même, six responsables employés à temps plein et ayant le rang et les émoluments de directeur d’administration centrale, auxquels s’ajoutent sept responsables de département classés A+, sans compter l’ancien directeur de cabinet. Le cumul des exigences posées par la loi et du parti pris en matière d’organisation conduit ainsi à une équipe de direction surdimensionnée, même en prenant en compte le fait que la nouvelle organisation devait intégrer, au moins dans un premier temps, des cadres de direction issus des AAI supprimées. »

Il apparaît donc souhaitable de revoir aussi bien l’existence des adjoints que celle des collèges, sachant que ces éléments relèvent d’une loi organique. La Cour des comptes dispose-t-elle, s’agissant des structures de rémunération, d’éléments de comparaison avec d’autres autorités administratives indépendantes qui permettraient une analyse plus précise d’éventuels sureffectifs dans les organes de direction ? Par ailleurs, la nomenclature des emplois, dont on annonce la réalisation en 2014, pourrait-elle permettre d’avancer dans le sens d’une meilleure adéquation des effectifs aux besoins ?

Ma deuxième remarque porte sur la diminution des effectifs et les gains de productivité. Le budget pour 2015 est en baisse, essentiellement en raison des dépenses de personnel et de l’application du plan de réduction de deux emplois par an de 2015 à 2017. S’ajoutent aux emplois sous plafond ceux des personnels hors plafond et des stagiaires. Cela étant, la fusion a entraîné des gains de productivité dans la gestion des dossiers, grâce à une organisation par pôles qui permet d’éviter les doublons. Quant aux fonctions support, leur réduction est patente, puisque les effectifs sont passés de 39 à 29. Il faut donc relativiser l’effet de la réduction des plafonds d’emplois. La Cour a-t-elle mesuré les gains de productivité résultant de la fusion des quatre institutions préexistantes ?

Par ailleurs, les délégués territoriaux, qui sont les anciens délégués du Médiateur de la République, les anciens correspondants territoriaux de la Défenseure des enfants et les anciens correspondants locaux de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité – HALDE –, offrent un « service de proximité » que vous souhaitez développer, monsieur le Défenseur des droits. Au nombre de 450 lors de la fusion, ils n’étaient plus que 400 en 2013. Or, les délégués sont des bénévoles qui traitent 80 % des dossiers et dont le coût est des plus limité, puisque ne leur sont versées que des indemnités pour frais. La Cour préconise d’améliorer les tableaux de bord de suivi de leur activité. Avez-vous, monsieur le Défenseur des droits, d’autres propositions à faire pour renforcer l’action des délégués territoriaux ?

Enfin, vous avez indiqué vouloir renforcer l’action de promotion des droits, qui est fondamentale pour nos concitoyens. Dans les pistes de réflexion exposées dans mon rapport, j’ai proposé que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse, à brève échéance, être intégré au Défenseur des droits. Êtes-vous favorable à une telle réunion – qui paraît logique dans la mesure où le Contrôleur général est chargé de défendre les droits des justiciables –, et quels en seraient, selon vous, les avantages et les inconvénients ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Même si nous siégeons au sein de la commission des Finances, nous ne devons pas analyser la substitution du Défenseur des droits aux anciennes autorités administratives indépendantes sous le seul angle financier.

Mme la rapporteure spéciale. C’était tout l’enjeu de la réforme de 2011.

M. Jean-Louis Gagnaire. En effet, et l’on peut dire rétrospectivement que vous avez eu raison de la proposer et que nous avons eu tort de ne pas la voter. Mais nous sommes tous – hélas ! – victimes d’un certain manichéisme : lorsqu’on siège dans l’opposition, on est souvent contre les projets de la majorité. Quoi qu’il en soit, cette réforme, que je regrette de ne pas avoir votée, nous rapproche des standards européens.

La question du financement et de l’organisation de l’institution est évidemment essentielle, mais nous savons que la fusion de structures publiques ou parapubliques est différente d’une restructuration industrielle : elle prend du temps – en tout cas, un peu plus de trois ans –, et doit se faire dans le respect de la dignité et du travail des agents qui ont œuvré au sein des anciennes autorités. Certes, la fusion des organigrammes a abouti au maintien d’un encadrement très supérieur aux besoins réels, mais il faut procéder à un lissage dans le temps en permettant à chacun de s’adapter. Nous devons prendre en considération avant tout l’intérêt d’une telle institution pour nos concitoyens et faire en sorte qu’elle dispose, par redéploiements, de tous les moyens nécessaires pour remplir ses missions au mieux.

M. Christophe Castaner. Le Défenseur des droits dispose à présent de tous les éléments requis pour devenir la grande institution de la République qu’elle doit être et faire, comme vous l’avez annoncé, monsieur Toubon, la guerre à l’injustice. Au reste, l’initiative forte que vous avez prise en décidant de vous saisir des conditions du décès de Rémi Fraisse démontre votre volonté de servir cette ambition de manière indépendante. Il convient de le souligner, après les mauvaises polémiques qu’a suscitées l’été dernier, dans des salles voisines de celles-ci, votre nomination.

M. Dominique Lefebvre. Je ne dirai pas que le travail de la Cour des comptes est excellent, car on pourrait me soupçonner de manquer d’objectivité… Si je suis d’accord avec M. le Défenseur des droits lorsqu’il évoque les crédits et les effectifs dont l’institution devrait disposer à l’avenir, je suis également garant de la maîtrise et de l’efficience de la dépense publique et, à ce titre, j’insiste sur la nécessité d’aller au bout de l’optimisation de l’organisation de l’institution. Le contrat est clair. Vous aurez, monsieur le Défenseur des droits, le soutien de la Commission s’agissant du plafond d’emplois ou des crédits lorsque l’institution aura fait la preuve qu’elle a achevé sa mutation et la rationalisation de son mode de fonctionnement. Au demeurant, elle s’est plutôt bien débrouillée jusqu’à présent, compte tenu notamment de l’absence de mission de préfiguration. Mais il faut sortir définitivement du passé.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Monsieur le Défenseur des droits, vous avez indiqué vouloir renforcer l’objectif de promotion des droits, ce qui me paraît très ambitieux mais indispensable à notre démocratie. J’ignore quel est votre plan d’action en la matière mais, au-delà des nécessaires moyens humains, il convient, me semble-t-il, de développer notamment la communication. Avez-vous une idée des moyens financiers qu’il faudrait consacrer, dans un monde idéal où les finances publiques se porteraient très bien, à cette action pour que l’objectif soit véritablement atteint ?

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Mme Dalloz m’a interrogé sur les comparaisons que l’on pourrait établir entre l’équipe de direction de l’institution et celles d’autres autorités administratives indépendantes. Deux éléments sont à prendre en compte. Premièrement, il est difficile de comparer le Défenseur des droits, qui est à la fois une institution et une personne, à des organes collégiaux tels que la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL – ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Mais il est rare, pour ne pas dire inédit, qu’une autorité de nature collégiale compte un président dont les fonctions sont importantes et trois vice-présidents à temps plein sans fonction opérationnelle directe. Deuxièmement, dans les autorités administratives indépendantes, il est courant qu’un secrétaire général ou un directeur général soit placé auprès du collège, mais l’organigramme ne comprend jamais deux personnes de ce niveau. Aussi, cette organisation, qui pouvait se justifier durant la phase de fusion, devra-t-elle sans doute être simplifiée et ne plus compter qu’un secrétaire général ou un directeur général, assisté d’un sous-directeur chargé de l’administration. Des gains sont donc possibles dans l’encadrement supérieur, et ils devront être réalisés, car les nouvelles missions nécessiteront des redéploiements : il n’est pas envisageable, dans le contexte actuel, d’augmenter les moyens du Défenseur des droits.

Par ailleurs, comment apprécier les gains de productivité réalisés et évaluer ceux qui restent encore possibles ? Tout d’abord, sur un effectif de 225 agents, le nombre des personnels chargés des fonctions support est passé de 39 à 29. Cette évolution est tout à fait saine, car des emplois ont ainsi pu être redéployés vers les missions de l’institution, qui aborde une période de légère diminution des emplois. Quant aux gains de productivité qui restent possibles, ils résident, nous semble-t-il, dans l’organisation interne, puisque le nombre des dossiers à traiter, qui s’élève à 80 000, est à peu près équivalent à celui des quatre anciennes autorités. En tout état de cause, ces gains seront nécessaires pour faire face au développement de la mission de promotion des droits. Il est vrai que, dans cet ensemble plutôt bien organisé et géré, ce secteur mérite d’être entièrement revu, comme l’a indiqué M. Toubon. En conclusion, on peut faire plus avec autant, voire un peu moins – mais vous auriez été étonné que la Cour des comptes tienne un discours différent de celui-là.

M. le Défenseur des droits. Je tiens à rappeler que le Défenseur des droits n’a qu’un seul pouvoir : celui de l’expertise, de la compétence intellectuelle, en particulier dans le domaine du droit. Autrement dit, si l’institution ne peut « aligner » un nombre suffisant de femmes et d’hommes possédant, dans leurs domaines de compétence respectifs, une véritable expertise, extrêmement pointue, et une vision de l’évolution de la société, fondée sur l’ensemble des réclamations que nous recevons, alors nous ne rendrons pas le service attendu de nous. Dans une maison d’état-major comme la nôtre, il y a nécessairement beaucoup plus de colonels que dans les chambrées ! J’ai coutume de nous comparer à un grand cabinet d’avocats, l’un des meilleurs sur la place de Paris, sans me vanter, qui plus est gratuit. Il ne faut pas porter en quoi que ce soit atteinte à cette formidable capacité d’expertise qui nous donne notre autorité et notre efficacité.

Naturellement, nous pouvons nous organiser différemment, en particulier en améliorant nos techniques d’intervention et nos circuits. Ainsi, en 2015, nous compléterons par une nouvelle version le travail accompli en 2013 et 2014 concernant notre système d’information Agora, qui fournit un tableau de bord de notre action, notamment de celle des délégués, ainsi que des relations que ces derniers entretiennent avec le siège.

Je serai clair, madame Dalloz : j’ai besoin de davantage de délégués. N’hésitez donc pas, les uns et les autres, à susciter les vocations ! De ce point de vue, le rapport prix/performance de notre institution est pour le moins satisfaisant. L’une des tâches prioritaires que je me suis données consiste d’ailleurs à travailler avec le réseau ; j’ai déjà effectué trois déplacements à Lyon, Marseille et Bordeaux, et je vais poursuivre sur cette voie, car il se passe autant de choses dans les départements qu’à Paris.

En ce qui concerne le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, j’ai pris la situation telle qu’elle était et je ne crois pas opportun de créer aujourd’hui des polémiques. J’ai avec Adeline Hazan, qui a été nommée en même temps que moi, des relations tout à fait cordiales, lesquelles ne sont d’ailleurs pas nouvelles étant donné les responsabilités que nous avons respectivement exercées, pour elle, au sein de la magistrature, pour moi, comme Garde des sceaux.

La coexistence des deux institutions peut certes poser quelques problèmes aux demandeurs : un détenu ou son avocat est fondé à hésiter entre la saisine du Défenseur des droits – nos délégués assurent des permanences dans 140 lieux de détention – et celle du Contrôleur général, qui n’a pas de représentants locaux. Mais nous avons signé une convention avec le Contrôleur général et nous échangeons autant que possible les demandes qui nous sont adressées selon qu’elles nous paraissent plus spécifiquement destinées à l’une ou l’autre institution.

À l’origine, la fusion semblait logique mais aujourd’hui, surtout depuis l’adoption de la loi du 26 mai 2014 renforçant les pouvoirs du Contrôleur général, je tiens la situation pour acquise et, dans ce contexte, nous nous efforçons au meilleur fonctionnement possible.

Madame Rabault, nous devons assurément tenir compte de la politique de maîtrise des dépenses publiques, et nous le faisons : c’est ainsi que l’on constate sur le triennal une forme de laminage de notre plafond d’emplois. Mais si je m’en tiens au socle construit par Dominique Baudis, je ne répondrai absolument pas à une demande sociale en croissance exponentielle. Avec quels moyens pourrai-je étendre notre action aux « non-publics » ? Ce n’est évidemment pas une demande que je formule, mais la proposition suivante : fin janvier, je préciserai la teneur de notre action prioritaire de promotion de l’égalité et de développement de l’accès au droit, dont je suis en train d’étudier les détails ; je suggérerai alors qu’en 2015, si le président de la Commission, la rapporteure générale et l’ensemble des commissaires en sont d’accord, nos services réfléchissent avec ceux du Premier ministre à l’avenir de nos capacités budgétaires. Peut-être ce travail pourrait-il déboucher, dans le cadre de la loi de finances pour 2016, sur une proposition qui tienne compte des dépenses nécessaires au nouvel emménagement – avant les économies qui en découleront en 2017, en particulier en matière de loyer – et à la mise en œuvre de nos nouvelles priorités.

Enfin, il faudra bien que nous réfléchissions à une modification de la loi organique du 29 mars 2011. Je propose d’attendre pour cela que l’institution ait atteint cinq ans d’existence, ce qui nous conduirait à l’été ou à l’automne 2016, au moment même où nous emménagerons dans nos nouveaux locaux. Nous disposerons alors de tous les éléments nécessaires pour élaborer une proposition de loi en ce sens, avec les commissions des Lois, des Finances et des Affaires sociales – 40 % des réclamations qui nous sont adressées portent sur la protection sociale, en particulier sur les retraites. Cela nous permettra de régler plusieurs questions d’organisation et de gestion, voire de préfigurer notre action future. J’adresserai également à M. Jean-Jacques Urvoas et à la commission des Lois cette suggestion, qui me paraît être de bonne politique.

La Commission procède ensuite à l’audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur la communication « Les frais de justice depuis 2011 » de la Cour des comptes à la commission des Finances, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. La question des frais de justice préoccupe l’Assemblée nationale comme le Sénat puisqu’elle a déjà fait l’objet de deux enquêtes de la Cour à la demande de sa commission des Finances, en 2005 puis en 2012. Dans l’intervalle, en 2007, la Cour avait effectué un contrôle des frais de justice pénale et civile, qui avait donné lieu à une insertion au rapport public annuel de 2008. Il s’agit donc pour nous d’un souci permanent. Toutefois, la question se pose depuis peu en termes renouvelés, compte tenu des réformes récentes. Il était donc tout à fait opportun d’y revenir.

Le régime des frais de justice, qui date du Premier Empire, a traversé les siècles sans grande modification. Le décret de simplification du 26 août 2013 n’a pas permis une véritable modernisation mais, paradoxalement, a plutôt agi comme un révélateur de l’inadaptation de ce régime au droit budgétaire et comptable issu de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF.

Il faut porter à l’actif du décret une définition de cette catégorie foisonnante dont le rapport que nous vous présentons tente d’établir une typologie en introduction. En pratique, il s’agit des frais d’interceptions téléphoniques, des dépenses liées aux examens médicaux pratiqués dans le cadre de procédures pénales, des frais d’expertise de toutes sortes, des frais d’interprétariat, mais aussi des dépenses d’indemnisation des jurés et témoins aux procès ou encore des personnes victimes d’erreurs judiciaires. Cependant, le texte n’a pas défini la notion même de frais de justice, dont le régime se caractérise par d’importantes dérogations au droit commun de la comptabilité publique : la dépense est engagée et liquidée par une personne qui n’est pas l’ordonnateur – lequel est normalement le chef de cour –, et le comptable ne peut contester la validité de la dette que par une procédure très compliquée.

Ce qui justifie ces dérogations au droit commun budgétaire et comptable, c’est le principe de libre prescription des magistrats. Or, la Cour constate que le périmètre actuel des frais de justice comprend aussi des dépenses dans lesquelles ce principe n’est pas en cause, soit parce qu’elles correspondent à des frais de fonctionnement courant des juridictions ou à des dépenses d’exécution des jugements, soit parce que, dans la pratique, les magistrats n’ont aucune marge de manœuvre, voire n’interviennent pas dans la prescription. En matière pénale, en effet, 60 % des prescriptions émanent d’officiers de police judiciaire – policiers ou gendarmes –, qui disposent dans les faits d’une large autonomie ; par ailleurs, certaines prescriptions sont parfois imposées par les textes de loi, et leur prix peut être fixé par un tarif.

Lorsque ces dépenses font l’objet d’un tarif, le code de procédure pénale prévoit désormais qu’elles sont certifiées par un greffier : c’est un progrès. Toutefois, le magistrat n’intervient pas dans la procédure de liquidation ni de paiement. La Cour estime que, dans ce cas, le champ de la dérogation aux règles de la comptabilité publique pourrait être réduit. Cette évolution se traduirait par l’instauration d’un contrôle comptable de droit commun sur les dépenses contraintes ou tarifées, rendu possible, nous semble-t-il, par des réformes sur lesquelles je reviendrai. En outre, elle contribuerait à ressusciter une comptabilité d’engagement, gage d’un véritable suivi par les chefs de cour : ils pourraient ainsi cadrer la dépense lorsqu’elle n’est pas contrainte et mieux la suivre lorsqu’elle l’est.

Le dynamisme de la dépense budgétaire ne se dément pas, ce qui pose un véritable problème. Même si le montant des frais de justice n’atteint, si j’ose dire, que 500 millions d’euros, cette enveloppe représente à peu près les deux tiers des crédits de fonctionnement du programme 166 Justice judiciaire. Elle constitue donc un enjeu majeur pour la gestion quotidienne des juridictions.

Dans ce domaine, la Cour fait deux constatations. D’abord, le périmètre de la dépense des frais de justice a souvent varié dans la période récente, ce qui complique encore l’examen de son évolution. Certains frais de justice sont ainsi devenus des frais de fonctionnement courant, et inversement. Ce phénomène confirme d’ailleurs l’existence d’une certaine porosité entre les deux catégories de dépenses. Au sein même des frais de justice, la part du budget opérationnel de programme – BOP – central dans la dépense a augmenté de plus de 27 % entre 2011 et 2013, ce qui signifie que cette dépense est de plus en plus centralisée : c’est, par exemple, le cas pour la médecine légale, les réquisitions des opérateurs de communications électroniques et certains frais d’analyses génétiques. Même si la dépense a paru mieux tenue en 2013 à la faveur d’une forte augmentation de la dotation initiale, la situation a toutes les chances de se dégrader en 2014.

Ensuite, l’entrée en vigueur de la LOLF, en 2006, a peu modifié le mode de gestion des frais de justice. Il s’agit normalement de crédits limitatifs, mais cette qualification est largement théorique. Surtout, de facto, la dépense est suivie dans Chorus, progiciel de comptabilité de l’État, sans que l’engagement préalable ait pu être distinctement matérialisé en amont – si ce n’est, jusqu’en 2013, sous une forme globale ; mais la Chancellerie, souhaitant éviter des blocages dans le processus de la dépense, a renoncé depuis 2013 à ce suivi global des engagements en amont. À terme, cette évolution est de nature à entraîner la réduction apparente des restes à payer budgétaires, ce qui obscurcit encore l’information.

En outre, malgré les efforts accomplis pour mieux recenser les charges à payer en comptabilité générale, les systèmes d’information disponibles ne permettent pas de prévenir les doubles paiements. On accumule à la fin de chaque année des charges à payer, donc des dettes auprès des fournisseurs de services, mais l’obscurité règne concernant les créanciers et la règle de prescription applicable en la matière est très particulière, de sorte que lorsque l’on règle en 2014 une dette ancienne, il est fort possible qu’on l’ait déjà honorée. Cette situation entraîne un défaut de maîtrise des restes à payer et des charges à payer. Selon la Cour, le ministère de la Justice doit avoir pour objectif, si difficile cela soit-il, de rétablir un véritable suivi des engagements – il ne suffit pas d’enregistrer l’engagement au moment où l’on paie – et d’améliorer la connaissance des composantes de cette dépense, pour une meilleure gestion budgétaire et comptable de ces crédits.

Je conclurai en soulignant que des marges de progrès existent et que des pistes ont été ouvertes par le ministère de la Justice, qui doit toutefois poursuivre la dynamique engagée.

Assurément, l’évolution de la dépense des frais de justice est tributaire de variables que le ministère ne contrôle pas toujours : le progrès technique, notamment en matière génétique, les attentes des citoyens à l’égard de la justice ou des dispositions législatives qui rendent certaines procédures plus coûteuses ou obligatoires sans que leur impact ait été pleinement pris en considération.

Cependant, il est possible d’agir dans trois directions.

Première orientation : la maîtrise des coûts. Le ministère de la Justice est désormais pleinement conscient de la nécessité de sensibiliser les très nombreux prescripteurs – magistrats, membres du parquet, officiers de police judiciaire –, en développant encore la formation. Il s’est également engagé à mettre en place une véritable politique d’achat, au niveau central comme au sein des juridictions, dans le but de rationaliser la dépense. En ce domaine, des progrès ont déjà pu être enregistrés depuis 2011 : conclusion de marchés publics dans différents domaines de la dépense, généralisation du processus de certification de la dépense par les greffiers, regroupement des mémoires des prestataires. Ces progrès doivent être poursuivis et amplifiés ; nous ouvrons différentes pistes en ce sens dans notre communication. En outre, il convient d’instaurer un délai rigoureux de forclusion des mémoires de fournisseurs de services. De ce point de vue, une modification de la loi afin de réduire les délais de prescription représenterait un véritable progrès.

Deuxième orientation : l’instauration du nouveau portail Chorus. Celui-ci est expérimenté depuis le mois d’avril dans trois cours d’appel, où nous nous sommes rendus dans le cadre de l’enquête que vous nous avez demandée. Il autorisera à terme une connaissance fine de la dépense, qui fait actuellement défaut, et nous paraît de nature à offrir aux chefs de cour l’outil nécessaire à un suivi approprié de la dépense déconcentrée de frais de justice. Sa généralisation en 2015 sera une étape-clé de l’amélioration d’ensemble du dispositif de gestion. Il peut s’agir d’un facteur important de progrès dès lors que plusieurs difficultés potentielles que nous mentionnons dans la communication seront résolues.

Troisième orientation : agir sur les recettes. Pour différentes raisons, tenant notamment à l’absence d’incitation des ordonnateurs secondaires, les procédures de recouvrement prévues par le code de procédure pénale ne sont guère mises en œuvre. En matière civile, en revanche, les frais de justice peuvent être en partie répercutés sur les parties perdantes. Le ministère de la Justice se dit prêt à adapter les textes en vue de permettre le recouvrement effectif de la part recouvrable des frais de justice. C’est un point positif, qui suppose toutefois un effort de gestion. Mais la Cour propose d’aller plus loin, en s’interrogeant sur la pertinence du champ actuel des dépenses recouvrables. Depuis 1993, l’intégralité des frais de justice en matière pénale reste à la charge de l’État ; ce n’est pas le cas chez plusieurs de nos voisins européens, et il convient de questionner l’intangibilité de ce choix même si, on le sait, certains délinquants organisent leur insolvabilité.

M. Étienne Blanc, rapporteur spécial des crédits de la mission Justice. Je remercie la Cour de la qualité de ce rapport, qui présente des aspects extrêmement techniques, notamment en ce qui concerne le système Chorus et ses différents flux.

Si j’ai sollicité du président de la commission des Finances que la Cour nous accompagne dans l’examen des frais de justice, c’est d’abord parce que, dans les cours d’appel où je me suis rendu comme rapporteur spécial pour le budget de la Justice, les présidents de cour responsables des BOP m’ont fait part de leurs difficultés à financer les frais de justice, insistant en particulier sur les retards accumulés et, dans certains cas, sur la situation très délicate dans laquelle pouvait les placer l’afflux de demandes de paiement.

C’est ensuite parce que nous avons tous été saisis par des experts, voire par des organisations professionnelles réunissant des cabinets d’expertise, à propos des délais de paiement. Pour ma part, j’ai été sollicité à deux reprises. D’abord par des experts psychiatres, pénalisés par des délais de paiement si longs que cela revient pour eux à déposer leur rapport d’expertise, dont le jugement en assises dépend, à crédit – sur dix-huit ou vingt-quatre mois, disent-ils. Ensuite, à propos du règlement de frais liés à des expertises comptables, financières ou fiscales, domaine dans lequel les retards peuvent également être considérables alors que les notes sont extrêmement élevées, au point que les chefs de cour se disent parfois dépassés.

Pour faire face à ces frais d’expertise et faute de crédits suffisants au sein du programme 166 Justice judiciaire, dont ils relèvent, on observe des désaffectations de crédits d’investissement au profit des dépenses de fonctionnement. La Cour l’indique très explicitement, et je l’avais dit au Garde des sceaux lorsque j’ai présenté mon propre rapport : cela ne pourra pas durer. Des programmes d’investissement destinés à réhabiliter ou à construire des tribunaux sont reportés alors même que l’immobilier de la justice représente un véritable problème.

La première des questions que j’aimerais vous poser, monsieur le président de la quatrième chambre, concerne le recensement des frais de justice et de ceux qui sont pris en charge par les budgets de la police et de la gendarmerie. La Cour constate que 60 % environ des prescriptions de frais de justice sont directement le fait des officiers de police judiciaire, policiers ou gendarmes. Rappelons que ces frais sont souvent exposés dans des situations de flagrance, où il y a urgence, ce qui complique leur contrôle ab initio.

La mise en œuvre de la police technique et scientifique de masse, réalisée de manière peu différente dans la police et dans la gendarmerie, repose sur une prise en charge de premier niveau très déconcentrée. Les laboratoires d’analyse interviennent à un niveau plus élevé. Dans la police, ils appartiennent à l’Institut national de police scientifique – INPS –, créé en 2001, dont le siège est situé à Lyon. Le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale – PJGN – dispose, quant à lui, de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale
– IRCGN –, laboratoire unique sis à Rosny-sous-Bois et reconnu, à juste titre, pour la qualité de ses collaborateurs et de ses techniques, parfois extrêmement coûteuses.

Les structures de police et de gendarmerie supportent une part importante des charges d’expertise en complément de prestataires privés, le ministère de la Justice ayant passé des marchés avec des laboratoires privés depuis 2009.

La Cour des comptes a-t-elle mené des investigations pour déterminer quelle est la part des frais de justice supportée respectivement par les budgets de la police et de la gendarmerie ? Existe-t-il des relations financières formalisées entre ces budgets et celui des services judiciaires quant au partage de la charge des frais de justice ? Pour le dire autrement, peut-on envisager une mutualisation entre police et gendarmerie, ainsi qu’une meilleure mutualisation avec les cabinets privés ?

J’en viens à la prise en considération des engagements de frais de justice. Faute d’opérer un réel suivi des engagements, le Gouvernement a décidé, en fin d’exécution 2013, de renoncer à la prise en compte globale des engagements de frais de justice, pour ne traiter ces dépenses qu’au moment du paiement : Chorus matérialise la seule demande de paiement, à l’exclusion de tout engagement ou attestation de service fait préalable. Comme l’explique très bien la Cour, « le ministère de la justice s’est ainsi détourné du projet de suivre les engagements de frais de justice, au profit d’un suivi des mémoires – c’est-à-dire au stade ultime, celui de la demande de paiement ».

Du point de vue budgétaire, cette décision a entraîné, au 1er janvier 2014, la clôture d’une fraction des engagements juridiques globaux de frais de justice qui avaient été ouverts en 2013 et au cours des années antérieures, et l’annulation des autorisations d’engagement correspondantes, pour 141 millions d’euros. Comme le précise la Cour des comptes, « cette nouvelle convention comptable devrait d’ailleurs faire disparaître les restes à payer budgétaires : dès lors qu’il n’y a plus de suivi des autorisations d’engagement, il n’est pas possible de comptabiliser des restes à payer budgétaires, entendus comme la différence entre les autorisations d’engagement consommées et les crédits de paiement ».

J’ai annexé le rapport de la Cour à mon propre rapport spécial. Selon les éléments de réponse qui m’ont été transmis par le Gouvernement, « il s’agit d’une opération “technique” prise en concertation avec les services du contrôleur budgétaire et comptable ministériel, afin d’apurer le stock d’autorisations d’engagement anciennes, issues pour partie de la reprise de données ante-Chorus et qui étaient reconduites d’année en année, notamment en raison du recours à des engagements juridiques globaux de flux 3. Ce flux était utilisé du fait de l’absence de possibilité de recourir au flux 1 sur les frais de justice et dans le souci de limiter le recours au flux 4. Toutefois, cette pratique rendait difficile un suivi précis des dépenses. Le recyclage perpétuel d’autorisations d’engagement n’étant pas un mode satisfaisant de gestion des crédits, le responsable du programme 166 a donc procédé en 2013 à l’annulation des autorisations d’engagement libérées. » Il y a là manifestement un problème de compréhension et de précision. « Concrètement », ajoute le Gouvernement, « cette annulation technique est sans incidence sur le niveau des restes à payer au titre des frais de justice ».

S’agit-il vraiment d’une simple mesure technique, ou bien de l’expression d’un renoncement pur et simple à mesurer les engagements de l’État ? Dans ces conditions, quelle est la sincérité du recensement des engagements de frais de justice ?

Ma troisième question porte sur les propositions de réforme présentées par la Cour, singulièrement celle qui concerne le recouvrement des frais de justice. Par une décision de justice, une part des frais peut être mise à la charge de l’une des parties. On ne connaît pas aujourd’hui le taux exact de recouvrement parce que le système Chorus n’est pas entièrement installé. Nous aurions besoin d’un système informatique relativement simple permettant de connaître le montant total des frais de justice mis à la charge des parties qui succombent, après quoi l’on étudierait avec Bercy les conditions de mise en œuvre des procédures de recouvrement et les défaillances, dépôts de bilan, liquidations et créances irrécouvrables.

La Cour des comptes formule une suggestion tout à fait pertinente à ce sujet. Dans d’autres pays européens, la partie qui succombe, lorsqu’elle est de mauvaise foi ou qu’elle a commis des fautes reconnues par une juridiction, peut se voir imputer la quasi-totalité des frais de procédure, voire des indemnités complémentaires en compensation des efforts auxquels elle a contraint l’institution judiciaire. La France aurait sans doute intérêt à s’orienter vers un système de cette nature.

En tout état de cause, il nous serait particulièrement précieux de connaître le taux de recouvrement.

Lors de l’examen des crédits de la Justice en commission élargie, Mme la Garde des sceaux déclarait que « les frais de justice permettent aux juridictions d’exercer leur activité juridictionnelle. Il est inconcevable de décider en début d’année de limiter la capacité des juridictions à ordonner des expertises ou à recourir à des interprètes. Nous appliquons donc le principe de la liberté de prescription pour les magistrats tout en faisant des efforts de maîtrise des coûts. » Ces efforts ont été constatés par la Cour, notamment en matière de commande publique. « Des économies », poursuivait la Garde des sceaux, « seront réalisées notamment grâce à la plateforme nationale d’interception judiciaire, à une rationalisation de certains frais médicaux ainsi qu’à la possibilité de communication électronique que vous avez validée en première lecture dans le projet de loi d’habilitation ».

Selon vous, monsieur le président Vachia, est-il possible d’améliorer la gestion des frais de justice sans limiter la liberté de prescription des magistrats ? La question est ancienne ; je ne sais s’il appartient à la Cour d’y répondre, mais son avis nous serait utile. Nous y retravaillerons avec la commission des lois.

Une dernière observation, pour terminer. J’ai eu sous les yeux une facture d’expertise de 650 000 euros dans une affaire financière qui s’est traduite, en cour d’appel, par une lourde sanction, laquelle a entraîné le dépôt de bilan d’une société, ce qui a rendu la créance irrécouvrable. N’aurait-on pu connaître la situation de cette société avant de recourir à une procédure aussi coûteuse qu’inutile ?

Mme Véronique Louwagie. La Cour des comptes préconise une comptabilité d’engagement. De fait, la sincérité des comptes repose sur l’indépendance entre les exercices et le rattachement des charges aux années auxquelles elles se rapportent. De ce point de vue, le renoncement au suivi des engagements, certes tenus globalement, donne l’impression d’une régression.

Vous n’avez cité aucun chiffre, monsieur le président. Avez-vous pu estimer le stock des crédits antérieurs à la date de votre contrôle ? Vous parlez d’un risque élevé de doubles paiements. Avez-vous évalué ce risque et les coûts supplémentaires qui pourraient en résulter ?

M. Dominique Baert. Du rapport de la Cour et des propos de mon collègue Étienne Blanc, je retiens l’extrême complexité du panorama des frais de justice et la difficulté qu’ils posent au donneur d’ordre, la justice, comme aux entreprises qui tardent à percevoir le règlement de leurs prestations.

J’aimerais, comme ma collègue, savoir si la Cour a pu estimer le stock de créances. Il se trouve que j’ai reçu il y a peu deux entreprises, l’une de marbrerie, l’autre chargée de la mise en fourrière automobile, détenant sur le tribunal de Lille des créances d’un montant très significatif – plusieurs centaines de milliers d’euros au total – dont certaines datent de 2007 ! Les autorités de justice valident a priori ces frais, les reconnaissent volontiers, mais je ne suis pas certain qu’elles aient pris les dispositions d’engagement nécessaires pour les intégrer à leur comptabilité.

Deux problèmes se posent donc à nous. Premièrement, quelle est la réalité des engagements financiers ? Deuxièmement, comment veiller au règlement des créances ? Aujourd’hui, l’État, mauvais payeur, met en péril la sincérité budgétaire ainsi que l’équilibre financier de petites et moyennes entreprises aux yeux desquelles la commande passée par la justice ne peut qu’être sérieuse, mais qui, au bout de six ou sept ans, ne sont toujours pas payées. L’entreprise dont je parle détient un tel stock de véhicules qu’elle doit investir pour s’agrandir, sans la moindre directive sur la gestion de ce parc.

M. le président Gilles Carrez. Ce problème, auquel nous sommes tous confrontés, ne risque-t-il pas de s’aggraver avec la suppression des engagements, qui représentent une sorte de garde-fou ? Si l’on s’en tient aux crédits de paiement et que ceux-ci se révèlent insuffisants, les factures ne pourront absolument pas être payées.

M. Christophe Castaner. La conception « extensive » des frais de justice, pour reprendre le mot de la Cour, montre les limites du décret du 26 août 2013, qui avait vocation à mieux définir ces frais. Ne pourrions-nous adresser au Gouvernement des propositions ou des recommandations claires en vue de préciser cette définition ?

Un article paru dans la presse il y a quelques semaines parlait de 200 millions d’euros d’arriérés pour le ministère de la Justice. Faute d’autorisations d’engagement et avec des crédits de paiement limités, la difficulté comptable est évidente, surtout si ce montant est confirmé.

Enfin, du fait de la multiplication des procédures qui découle de la judiciarisation excessive de notre société, les experts agréés sont de plus en plus sollicités. L’allongement subséquent des délais, y compris en matière civile, retarde d’une manière inacceptable pour nos concitoyens la mise en œuvre parfois urgente des décisions de justice. C’est par exemple le cas en matière de péril ; les maires en savent quelque chose.

M. Dominique Lefebvre. Je ne connais pas particulièrement le sujet, sinon pour en avoir discuté localement avec les responsables des juridictions, et j’ai toute confiance en notre rapporteur spécial. Je me demande toutefois si la Cour se montre suffisamment sévère dans ses observations.

Au nom de la liberté intangible de prescription des expertises par les magistrats
– auxquels se substituent les officiers de police judiciaire en cas de flagrance –, on aboutit à une collection d’errements de gestion tous azimuts. D’un côté, on défend une liberté totale de prescription ; de l’autre, on décide que les crédits seront limitatifs – pourquoi ? Cette contradiction débouche sur un système qui n’est pas géré, et rien ne dit que l’objectif essentiel – le bon fonctionnement de la justice, la recherche de la vérité, la protection des victimes – soit atteint.

Le problème de la liberté de prescription reste entier. La mise des frais à la charge des personnes qui recourent abusivement à la justice est peut-être le seul moyen de freiner l’évolution. J’ai ainsi fait l’objet d’une plainte en diffamation de la part d’un responsable de l’opposition municipale de Cergy-Pontoise, qui m’accusait de l’avoir traité de fasciste en plein conseil municipal, ce que je n’aurais jamais osé faire. Il a fallu trois expertises de l’enregistrement sonore et vidéo, parce que cet élu avait contesté deux fois les décisions sachant pourtant pertinemment que je n’avais pas prononcé ce mot, et la procédure a duré dix-huit mois. Néanmoins, il faut également préserver les droits des requérants.

La Cour, mais aussi notre commission, devraient juger beaucoup plus durement la manière dont le ministère pousse la boule devant lui en renonçant au suivi des engagements avant de constater les dégâts.

Mme Valérie Pécresse. D’après ce que j’entends dire dans plusieurs grands ressorts, les frais de justice ne seraient plus payés à partir du début du mois de novembre, faute d’argent dans les tribunaux. Cela pose un problème de sincérité budgétaire.

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. L’extrême technicité du sujet recouvre une réalité grave et prégnante pour les entreprises, les citoyens et les magistrats.

Les frais de justice payés sur le budget de la Justice, sur lesquels porte exclusivement notre enquête, émanent à 60 % de prescriptions d’officiers de police judiciaire. Quelques frais de police scientifique et technique sont pris en charge par le programme 176 Police nationale et le programme 152 Gendarmerie nationale. Ils ne subissent donc pas les particularismes du régime des frais de justice que je viens d’évoquer, les préservant ainsi d’une contagion malheureuse.

L’annulation des autorisations d’engagement à hauteur de 140 millions d’euros est-elle une mesure technique ? Jusqu’à présent, le budget prévoyait des engagements globaux complètement approximatifs, sans lien établi avec des mémoires de frais. Pour mettre de l’ordre, il a été décidé de supprimer les 140 millions d’engagements correspondant au flux 3 parce qu’on ne savait pas les rattacher. Ce n’est évidemment pas un progrès.

Parce qu’il ne parvient pas à suivre les engagements, le ministère, au lieu de tenir une comptabilité d’engagement, adopte une gestion en flux 4, qui implique que l’engagement et le paiement sont concomitants. Dans un tel système, dès lors que le suivi en amont des engagements ne peut pas être assuré, ceux-ci ne sont plus considérés comme engagements, ce qui ne contribue pas à dissiper l’opacité. L’argument de la mesure technique me semble se heurter à la réalité que nous décrivons dans le rapport.

Madame Louwagie, je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur le stock de créances anciennes – on ne peut pas calculer le stock en soustrayant les paiements au montant total des engagements, comme le veut la LOLF. La Cour estime cependant que ce stock représente au bas mot la moitié des dépenses de frais de justice, qui s’élèvent à 500 millions d’euros par an. Comme l’a dit l’un d’entre vous, cela revient à pousser une boule de neige devant soi : l’acquittement des dépenses du stock empêche de payer les frais de justice de l’année en cours. Dans certaines juridictions, près de 60 % des frais payés en 2014 le sont au titre de mémoires très anciens, avec pour conséquence de laisser la dette de l’année continuer de s’accumuler.

Quant au risque de double paiement, il est évalué par le ministère de la Justice à 15 millions d’euros environ. Pour en savoir plus, il faudrait, tel un bénédictin, aller de juridiction en juridiction et vérifier chaque dossier.

Les délais s’additionnent, depuis la réalisation de la prestation jusqu’à la présentation du mémoire – que certaines entreprises choisissent de retarder en connaissance de cause –, puis l’enregistrement de ce dernier ou son oubli dans un tiroir pendant de nombreuses années. Il faut absolument mettre en place un régime de prescription des mémoires de frais de justice plus rigoureux pour éviter le paiement en 2014 de frais datant de 2006.

Les frais de justice recouvrables aujourd’hui relèvent principalement des procédures civiles. Le fonctionnement actuel ne permet pas de connaître le taux de recouvrement. Certaines juridictions ont pris des initiatives pour améliorer le suivi du recouvrement, mais le système n’est guère gratifiant pour les chefs de juridiction puisque les frais récupérés alimentent les recettes du budget général de l’État. Nous pensons qu’il y a, en la matière, une marge de progression à exploiter. Nous ne proposons pas de mettre en place un mécanisme de rétablissement de crédits au bénéfice de chaque juridiction, mais de réfléchir à un mécanisme d’incitation.

S’agissant de la mise en recouvrement des frais de justice pénale, un autre système que celui que nous connaissons peut être envisagé pour lutter contre l’inflation des frais. Sans aller jusqu’à une justice à l’anglo-saxonne, la partie déboutée pourrait être mise à contribution sur décision du juge.

M. Dominique Lefebvre. Avez-vous évalué le montant des intérêts moratoires dus au titre des retards de paiement ? Sur quel budget sont-ils imputés ?

Sur le fondement du droit budgétaire et du droit des juridictions financières, la Cour des comptes pourrait mettre en cause les ordonnateurs et les comptables du ministère de la justice. D’autres font l’objet de procédures devant la Cour de discipline budgétaire et financière ou la Cour des comptes au titre du contrôle des comptes pour moins que cela.

On ne peut pas s’exonérer d’une gestion rigoureuse sous prétexte que les crédits ne sont pas limités. On ne peut pas décider d’engager des dépenses sans les inscrire dans une comptabilité, et retarder leur paiement. C’est contraire au droit budgétaire et financier.

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Les intérêts moratoires ne sont pas dus en matière de frais de justice.

M. Dominique Lefebvre. C’est dommage.

M. le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Le régime des frais de justice est fondé sur la liberté de prescription des magistrats. Il repose sur le principe, dérogatoire au droit des finances publiques, selon lequel l’initiative de la dépense appartient au consommateur – en l’occurrence, le juge ou le parquet – et non l’ordonnateur. La loi est ainsi faite.

On peut choisir l’inaction en s’abritant derrière le principe. Mais la Cour considère qu’il est possible de contingenter cette dépense, par exemple, en réduisant le champ des frais de justice et en appliquant le droit commun des finances publiques à de nombreux achats. Ceux qui font l’objet de marchés publics, comme les analyses, pourraient ainsi être régis par les techniques classiques de la dépense publique en lieu et place du régime baroque d’aujourd’hui.

Il est possible de progresser sans remettre en cause le principe de liberté de prescription, d’autant que celle-ci ne s’exerce véritablement que dans une minorité de cas, lorsque les expertises demandées ne sont pas prévues par un texte de procédure et qu’elles ne sont pas tarifées – un bateau qui a sombré en mer et qu’il faut sortir de l’eau pour analyses, par exemple. De nombreuses dépenses sont répétitives. Je pense à la visite médicale obligatoire pour les gardés à vue, prévue par le code de procédure pénale et dont certains médecins vivent. On pourrait envisager de forfaitiser ces interventions.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur Blanc, vous avez encore beaucoup de travail devant vous pour essayer d’améliorer ce système !

M. le rapporteur spécial. Sous la IIIe République, prévalait un système simple inventé en 1811 : le préfet contrôlait l’ensemble du dispositif ; un magistrat qui s’égarait était sanctionné personnellement. À l’époque, la justice était tenue, et son budget aussi…

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 19 novembre 2014 à 9 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Laurent Baumel, M. Jean-Marie Beffara, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Henri Emmanuelli, M. Olivier Faure, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. Joël Giraud, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Razzy Hammadi, M. Yves Jégo, M. Jean-François Lamour, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, Mme Valérie Pécresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, M. Jonas Tahuaitu, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. Alain Claeys, M. Olivier Dassault, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Launay, M. Patrick Lebreton, M. Victorin Lurel, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Robert

Assistaient également à la réunion. - M. Jérôme Lambert, M. Éric Woerth

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