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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 11 février 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 61

Présidence
de M. Gilles Carrez,
Président

–  Audition de M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget, sur les résultats de l’exercice 2014

–  Présences en réunion

La Commission entend M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget, sur les résultats de l’exercice 2014.

M. le président Gilles Carrez. Mes chers collègues, nous souhaitons la bienvenue à M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget, afin de parler de l’exécution de l’année budgétaire 2014. Certes, les résultats définitifs de l’exercice budgétaire précédent ne seront pas disponibles avant la fin du mois de mars et l’examen du projet de loi de règlement courant mai nous donnera l’occasion de revenir sur l’ensemble des comptes publics de 2014. Il est néanmoins intéressant de recevoir dès aujourd’hui le secrétaire d’État chargé du Budget car il est d’ores et déjà en mesure de nous parler des comptes de l’État, qui ont connu l’année dernière des évolutions significatives tant en dépenses qu’en recettes.

Nous avons tous tendance à nous focaliser sur les prévisions budgétaires et à consacrer beaucoup de temps à leur analyse. Il est à mon sens tout aussi important de s’intéresser aux exécutions des budgets successifs et de les comparer aux prévisions. Cet exercice fait même partie à mon sens du noyau dur des compétences de notre commission, puisque c’est à partir de là que nous pouvons articuler notre mission de contrôle et d’évaluation.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget. Monsieur le président, vous soulignez à juste titre l’importance de l’exécution budgétaire. Faut-il comparer l’exécution à la prévision ou à une autre exécution ? La question se pose, mais, selon les circonstances, je constate en la matière des changements de pied qui peuvent surprendre.

Cette audition était initialement prévue il y a quinze jours. J’en ai demandé le report car je devais assister au Conseil des ministres. Je suis certain que vous ne m’en tenez pas rigueur.

En début d’année, la présentation traditionnelle des premiers résultats de l’exécution budgétaire permet de vous communiquer des données quasiment définitives concernant le budget de l’État – même si quelques légers ajustements pourront encore être effectués. Les chiffres relatifs aux comptes des collectivités locales et des régimes sociaux nous parviennent en revanche progressivement, et ce n’est qu’au mois d’avril que seront arrêtés les comptes de l’État présentés dans le projet de loi de règlement.

L’exercice qui nous réunit a un double intérêt. Il permet abord de vous rendre compte, avec la plus grande précision possible, des premiers éléments chiffrés dont nous disposons. Il donne ensuite l’occasion de mettre les faits en perspective avec la politique que nous menons depuis 2012.

Je veux insister dans un premier temps sur la maîtrise de la dépense de l’État.

Sur le champ de la norme de dépenses en valeur, qui comprend les dépenses de l’État hors charge de la dette et pensions, les dépenses sont inférieures de 121 millions d’euros à l’objectif de dépenses cohérent avec la loi de finances rectificative de fin d’année, qui est donc atteint. Elles s’établissent à 276,7 milliards d’euros et diminuent de 3,3 milliards d’euros par rapport à l’exécution 2013. Il s’agit bel et bien d’une diminution de la dépense de l’État d’exécution à exécution, et non d’une comparaison par rapport à une tendance ou de ce que certains qualifient d’économies « virtuelles » : c’est un fait, que personne ne devrait contester.

Sur le champ de la norme en volume, qui prend en compte la charge de la dette et les pensions, la diminution des dépenses est encore plus importante. On enregistre une baisse de 4 milliards d’euros par rapport à 2013 à périmètre constant. Nous n’avons pas trouvé de précédents à une telle baisse sur le champ des normes depuis leur création en 2003.

Je le répète : ces résultats ne font aucune référence à un quelconque tendanciel. Ils décrivent une baisse en valeur de la dépense d’exécution à exécution, qui atteint plusieurs milliards d’euros quel que soit le périmètre retenu.

Ce budget 2014 est le troisième budget que le Gouvernement exécute. Permettez-moi de dire un mot du bilan des résultats obtenus pour ce qui concerne la dépense de l’État depuis 2012. Hors éléments exceptionnels, qui doivent être déduits pour assurer la comparaison entre exercices, nous constatons une diminution entre 2011 et 2014 : sur ces trois années, les dépenses des ministères ont diminué de 3,2 milliards d’euros au total ; et, compte tenu de la modération des taux d’intérêt, qui résulte de la situation économique mais qui traduit aussi la crédibilité de notre politique budgétaire, la charge de la dette a quant à elle diminué de 3,1 milliards d’euros.

En 2012, 2013 et 2014, ces baisses de dépenses ont été plus importantes que la dynamique des prélèvements sur recettes et des pensions. C’est la raison pour laquelle la dépense totale du budget de l’État a été, en 2014, inférieure de 1,8 milliard d’euros à son niveau de 2011 – hors éléments exceptionnels qui incluent notamment le programme d’investissements d’avenir – PIA. Cette fois encore, il ne s’agit pas d’une économie par rapport à un tendanciel, mais d’une baisse d’exécution à exécution. C’est la traduction tangible des efforts très concrets réalisés par tous les ministères pour être toujours plus efficients.

J’insiste sur le fait que nous réalisons ces économies mais que, dans le même temps, nous avons dégagé les ressources nécessaires à nos priorités. Car c’est bien aussi à cela que doivent servir les économies : pouvoir choisir de renforcer les secteurs que nous jugeons prioritaires, voire cruciaux pour le pays. Depuis 2012, nous créons des emplois dans l’éducation, dans la justice, dans la police et la gendarmerie. Ce choix a conduit à une légère augmentation de 250 millions d’euros de la masse salariale en 2014, soit une progression de 0,3 % seulement, hors charges de retraites. Nous assumons cette augmentation que nous avons financée par des économies sur les autres dépenses de l’État.

Depuis 2012, nous avons mené plusieurs opérations extérieures, dont le coût total en 2014 a dépassé le milliard d’euros. Cette dépense a également été financée par redéploiement.

Enfin, nous avons proposé davantage de contrats aidés, nous avons développé le service civique et nous avons augmenté les minima sociaux dans le cadre du plan pauvreté.

Toutes ces actions ont été financées grâce des économies réalisées par ailleurs qui ont de surcroît permis de diminuer la dépense totale de l’État.

En matière budgétaire, les chiffres forgent la réalité. Les chiffres sont incontestables et ils montrent une chose : en 2014, la dépense de l’État a diminué – c’est même le cas depuis 2011 – et, pourtant, nous pouvons mobiliser les ressources nécessaires à notre politique.

J’en viens dans un second temps aux recettes de l’État.

Comme vous le savez, le Gouvernement a constaté, dans le courant du mois d’août, une dégradation de la situation macroéconomique, caractérisée notamment par une inflation très basse. En conséquence, nous avons révisé les prévisions de recettes dès le dépôt du projet de loi de finances pour 2015. Ces prévisions ont été ajustées à nouveau à la marge par la loi de finances rectificative de fin d’année.

Par rapport à cette dernière prévision, nous constatons une plus-value d’environ 2 milliards d’euros sur les recettes fiscales nettes. La recette de l’impôt sur le revenu – IR – s’établit à 69,2 milliards d’euros, en plus-value de 925 millions. Celle de l’impôt sur les sociétés – IS – atteint 35,3 milliards d’euros, en plus-value de 764 millions. Le bénéfice fiscal de 2014 a sûrement été plus important que prévu. Le coût budgétaire du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – correspond à notre prévision de 6 milliards d’euros – compte non tenu évidemment des créances sur l’État accumulées par les entreprises, qu’il faut intégrer pour apprécier la réalisation de l’objectif prévu d’une petite douzaine de milliards. Enfin, les recettes de la taxe sur la valeur ajoutée – TVA – s’élèvent à 138,4 milliards d’euros, en plus-value de 678 millions d’euros.

Ces résultats sont en cours d’analyse, et vous disposerez bien entendu de tous les éléments expliquant ces plus-values lors de l’examen du projet de loi de règlement. Si cela n’a pas encore été fait, nous répondrons également dans les prochains jours à toutes les questions qui nous ont été posées par le président de votre commission et par votre rapporteure générale.

Les prévisions de recettes de la loi de finances rectificative étaient prudentes – je l’avais indiqué à plusieurs reprises dans le courant du débat budgétaire. Les plus-values de recettes sont donc plutôt une bonne nouvelle pour les finances publiques. Elles ne doivent cependant pas nous détourner des efforts que nous avons entrepris en faveur de la maîtrise de la dépense publique qui est la condition d’un assainissement durable et pérenne de nos comptes publics.

Au total, le déficit de l’État s’établit, pour l’année 2014, à 85,6 milliards d’euros, en baisse de 3,4 milliards d’euros par rapport à la prévision de la dernière loi de finances rectificative. Par rapport à 2013, si on déduit 12 milliards d’euros de versements aux opérateurs du programme d’investissements d’avenir, le déficit de l’État est réduit de1,3 milliard d’euros. Il passe à 73,6 milliards d’euros, contre 74,9 milliards en 2013.

Ce résultat, qui est meilleur que prévu, conforte notre prévision de déficit public de 4,4 % du PIB.

Ces premiers éléments de l’exécution du budget de l’État sont une nouvelle preuve que, depuis 2012, nous obtenons des résultats en matière budgétaire. Ils doivent nous encourager à poursuivre l’assainissement de nos finances publiques. Ce gouvernement a la lourde charge d’apurer les déficits accumulés par notre pays depuis de trop longues années.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez eu raison d’insister sur les comparaisons d’exécution à exécution. Il reste que la définition de la norme de dépenses continue de poser problème, même si nous avons beaucoup progressé depuis plusieurs années. Il me semble par exemple que pour calculer la dépense totale de l’État, il convient de prendre en compte tous les éléments de dépenses qui concourent au déficit et au besoin de financement. Si les éléments exceptionnels, parmi lesquels on trouve le programme d’investissements d’avenir mais aussi les dotations au Mécanisme européen de stabilité, sont inclus dans le périmètre des dépenses, ces dernières augmentent légèrement entre 2013 et 2014, d’environ 1 milliard d’euros, même si leur progression est incontestablement ralentie.

Par ailleurs, l’exécution des recettes est traditionnellement comparée à la toute dernière prévision, autrement dit à celle du collectif de fin d’année. Reconnaissons qu’il est heureux que les chiffres connus le 15 février ne diffèrent pas trop de ceux qui étaient avancés le 15 décembre ! L’exécution en recettes devrait plutôt être comparée à la prévision initiale, car c’est cet écart qui pèse sur l’évolution du déficit : c’est précisément la dégradation de l’exécution en recettes par rapport à la prévision initiale – de l’ordre d’une dizaine de milliards d’euros – qui explique, en l’espèce, que le déficit en exécution de 2014 soit supérieur à celui de 2013, même s’il faut tenir compte de la montée en charge du CICE en décaissements – 6 milliards d’euros effectivement et non 10 ou 12 milliards, qui correspondent aux engagements.

Nous devons manifestement encore progresser dans l’élaboration des normes afin de faciliter les comparaisons et de nous assurer que nous parlons bien tous de la même chose.

M. le secrétaire d’État. Monsieur le président, je partage une partie de vos préoccupations. Je précise tout de même que les prévisions de la loi de finances rectificative adoptée par le Parlement à la fin du mois de décembre ont souvent été préparées plusieurs mois auparavant...

Par ailleurs, vous souhaitez établir une comparaison entre l’exécution et les prévisions initiales. Il ne vous aura pas échappé que dès le mois d’août, le Gouvernement avait très clairement pris acte du fait que la croissance et l’inflation allaient être plus faibles que ce qui était prévu. Cela a immanquablement eu un effet sur nos recettes. Je note aussi que si vous ajoutiez aux 6 milliards d’euros de décaissement du CICE, les réductions d’impôts inscrites dans la loi de finances rectificative de cet été, vous ne seriez pas très loin de la dégradation des recettes de 10 milliards que vous évoquiez.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Je remercie à mon tour le secrétaire d’État d’avoir comparé une exécution à une autre. Cela permet de raisonner en euros « sonnants et trébuchants » et de ne pas se contenter de commenter des tendances dont on ne sait pas toujours où est le point de départ.

Le Gouvernement a déposé un amendement au projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, actuellement en discussion dans l’hémicycle, visant à mettre en œuvre un dispositif de cession d’équipements militaires afin d’obtenir en 2015, grâce à des sociétés de projet, les recettes exceptionnelles prévues par la loi de programmation militaire. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous, d’une part, nous donner votre point de vue sur ce sujet, et, d’autre part, nous dire si ce mécanisme, oui ou non, est inclus dans la dette « maastrichtienne » ? Selon la structure capitalistique de ces sociétés de projet, est-il possible que leur dette ou leur budget n’entrent pas dans le périmètre des finances publiques ? Les transferts de capitaux qui ne manqueront pas de se faire vers ces sociétés, auront-ils des incidences sur le budget de l’État ? Quel serait leur impact pour l’année 2015 ?

M. le président Gilles Carrez. Monsieur le secrétaire d’État, je profite de l’occasion pour vous dire que nous sommes préoccupés par l’avalanche d’amendements déposés par le Gouvernement sur le projet de loi que vient d’évoquer Mme la rapporteure générale.

Par souci de protection de nos finances publiques, vous vous êtes naguère battu dans vos fonctions de rapporteur général, comme je l’avais fait au même poste avant vous, pour que les dispositions à caractère fiscal et financier soient concentrées dans les lois de finances. Cette ligne de conduite n’est pas du tout celle que le Gouvernement tient ces jours-ci ; cela me paraît un peu fâcheux. Jusqu’à quel point le ministre qui a la charge du budget est-il bien associé à des amendements dont on pourrait penser qu’ils auraient davantage leur place dans un prochain projet de loi de finances ?

M. Dominique Lefebvre. Nous venons d’avoir la confirmation que la dépense publique de l’État était maîtrisée. L’information mérite que l’on s’y arrête car laisser accroire que les finances de ce pays ne seraient jamais tenues finit par avoir un effet profondément désespérant. Certes, on peut débattre sur la question de savoir s’il faut maîtriser davantage une dépense qui ne l’a jamais été à ce point, mais il faut commencer par prendre acte des chiffres qui nous ont été présentés.

Cela est d’autant plus important que nous constatons dans le même temps une dégradation du déficit de l’État due à des recettes moindres que celles prévues et à des dépenses exceptionnelles. La faiblesse de l’inflation et de la croissance est pour beaucoup dans le recul des recettes ainsi que les récentes baisses d’impôts sur les ménages et les entreprises. Le rebond du déficit de l’État de 73 à 85 milliards d’euros s’explique aussi par la dépense exceptionnelle que constituent les 12 milliards de dépenses d’avenir...

M. le président Gilles Carrez. 12 milliards en engagements !

M. Dominique Lefebvre. La Cour des comptes publie aujourd’hui son rapport annuel et les dépêches de presse relaient déjà certaines des analyses qu’elle consacre à la situation des finances publiques. La Cour semble considérer que les prévisions pour 2014 auraient dû être revues à la baisse beaucoup plus tôt ; aurait-il vraiment fallu aller plus loin que les mesures de maîtrise de la dépense prises dans la première loi de finances rectificative au risque de faire des choix récessifs ? La Cour estime aussi que les 21 milliards d’euros d’économies prévus en 2015 ne sont pas suffisamment documentés et qu’ils ne pourront pas être exécutés. En instillant en permanence le doute, je crois que l’on alimente une sorte de désespoir. Nous en discuterons avec le Premier président. La réponse à la remise en question de la possibilité de tenir les objectifs de maîtrise de la dépense se trouve dans l’exécution des budgets. Certes, la Cour des comptes a parfaitement le droit de contester les choix du Gouvernement et de la majorité parlementaire sur le pilotage des finances publiques et le pilotage macroéconomique, mais il devient absolument inacceptable qu’elle instille en permanence le doute sur le fait que nous tenons la dépense publique.

Tout le monde pourrait reconnaître qu’un freinage de la dépense publique est bien en cours – il avait d’ailleurs commencé en 2010-2011, et cette tendance s’est accélérée depuis. Ce préalable n’empêche pas de se demander s’il faut aller plus loin. En mars, nous aurons une vision d’ensemble de la situation des finances publiques grâce aux chiffres concernant les collectivités locales et la protection sociale. Nous débattrons ensuite de la façon de tenir les dépenses, éclairés par l’analyse par la Cour de l’exécution budgétaire.

Monsieur le secrétaire d’État, il est sans doute un peu tôt pour parler de l’exercice 2015, mais on peut d’ores et déjà relever deux faits marquants par rapport à l’objectif absolu de poursuivre la tendance et de tenir les objectifs de dépenses prévus par la loi de finances que nous avons votée – voire de nous situer en deçà. Il s’agit d’une part des mesures nouvelles annoncées après les attentats du mois de janvier, pour un montant avoisinant le milliard d’euros qui sera financé en crédits ouverts ou en crédits d’emploi, et, d’autre part, de la révision à la baisse de l’hypothèse d’inflation, qui passe de 0,9 % à 0.

La faiblesse de l’inflation a plusieurs conséquences. Elle pèse sur l’évolution des recettes, notamment sur la TVA. Elle augmente probablement le pouvoir d’achat des ministères. Elle pose aussi problème dès lors que nos jeux de normes en volume et en valeur s’en trouvent quelque peu remis en question. Comment l’exécution de la dépense dans les ministères tiendra-t-elle compte d’une inflation moins importante que prévu ? Comment ce problème sera-t-il réglé dans l’exécution budgétaire 2015 ?

M. Hervé Mariton. Le déficit augmente en France alors qu’il se réduit en Europe, et la faiblesse de la croissance semble n’expliquer que la moitié de cette progression.

Chacun aura entendu les arguments de notre collègue Dominique Lefebvre, qui range les baisses d’impôt parmi les causes de ce déficit. M. Alain Trannoy, économiste que notre commission entendait hier, parlait hier de baisses d’impôt financées par le déficit et la dette... Cela peut tout de même susciter quelques questions sur votre stratégie !

Monsieur le secrétaire d’État, j’en viens au problème de la tenue de la norme en volume, que nous abordions déjà hier soir en séance. Dans votre propos initial, vous avez comparé la norme de dépenses en valeur à l’objectif et à l’exécution de l’année antérieure, alors que vous avez eu la prudence de ne comparer la norme en volume qu’à l’exécution de l’année antérieure, en omettant de la comparer avec l’objectif. Sachant qu’en 2014, dans un contexte de baisse de l’inflation, la norme en volume n’a pas été correctement respectée, comment comptez-vous obtenir, en 2015, l’effort initialement souhaité, alors même que l’inexistence de l’inflation semble dispenser l’État d’un comportement vertueux pour atteindre l’objectif en volume ?

Hier soir, dans l’hémicycle, vous m’avez répondu que cette situation vous donnait des marges pour financer certaines dépenses supplémentaires comme l’extension du service civique. Cela n’est pas pour nous rassurer ! Dans la situation de nos finances publiques, on aurait pu imaginer que les dépenses nouvelles soient financées par des arbitrages entre les dépenses déjà prévues par le budget pour 2015 plutôt que par la facilité que vous donne une inflation pratiquement nulle alors qu’il était prévu 0,9 %.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi l’exécution 2014 en volume n’est pas davantage conforme aux objectifs initialement fixés ? Les règles que vous vous étiez fixées, si elles avaient été respectées, auraient dû permettre d’atteindre de meilleures performances.

M. Charles de Courson. Comment analyser l’exercice 2014 sans commencer par regarder le solde ? Le déficit du seul budget de l’État augmente de 10,7 milliards d’euros : il passe de 74,9 milliards, en 2013, à 85, 6 milliards, en 2014. Le Gouvernement nous dit : « Au moins, nous maîtrisons les dépenses ! » Apparemment, c’est bien le cas, monsieur le secrétaire d’État, mais deux cadeaux vous sont tombés du ciel : la contribution de la France au budget de l’Union européenne a été réduite de 2,1 milliards d’euros, ce qui ne se reproduira pas, et la forte baisse non anticipée des taux d’intérêt permet d’économiser 1,7 milliard d’exécution à exécution sur les intérêts de la dette, alors même que l’endettement de l’État progresse de 80 à 90 milliards, soit de 6 à 7 %. Bientôt, on nous expliquera sans doute qu’il faut continuer à nous endetter puisque les taux d’intérêt sont à 0,5 % !

En fin de compte, je voudrais être bien certain que vous tenez vraiment la dépense. Par exemple, avez-vous provisionné correctement les 1,2 milliard d’euros que nous devons reverser à l’Union sur les dépenses agricoles, les 0,7 milliard liés au contentieux relatif à la taxe sur surfaces commerciales – TASCOM –, ou le solde des contentieux européens ?

Cela dit, le problème central n’est pas là, mais bien plutôt du côté de l’effondrement des recettes. L’augmentation de presque 11 milliards d’euros du déficit du budget de l’État correspond peu ou prou à la baisse des recettes de 10,7 milliards, qui concerne en particulier l’IS et l’IR.

Entre 2013 et 2014, les recettes d’IS chutent de 47,2 à 35,9 milliards, soit un manque à gagner de 11,9 milliards. Si l’on ne décompte pas les 6,2 milliards consacrés au CICE, la baisse reste de 5,7 milliards d’euros, soit un recul de 16 %. D’où provient la différence par rapport à vos propres prévisions ? Les députés de l’opposition émettent l’hypothèse que le taux de 38 % d’IS conduit à un mouvement massif d’optimisation fiscale des grandes entreprises. De nombreux groupes nous disent ne plus faire de bénéfices en France : cela tient à l’optimisation fiscale, mais aussi au fait que les marges des entreprises françaises, les plus basses d’Europe, ne remontent pas.

Dans le même temps, les recettes d’IR augmentent de 2,2 milliards d’euros : elles passent de 67 à 69 milliards. Certes, il s’agit bien d’une augmentation, mais elle ne correspond pas du tout à celle qui était prévue à la suite des hausses d’impôt que vous avez décidées. Le président de la commission des Finances et moi-même demandons depuis des mois à connaître l’évolution de l’assiette des contribuables aux revenus les plus élevés – les 1 %, 5 % et 10 % de contribuables qui paient 60 % de l’impôt sur le revenu. Il semble en effet que les revenus de la propriété s’effondrent et que les entrepreneurs modifient leur comportement : ils distribuent de moins en moins, en raison du niveau élevé du taux d’IR majoré de la contribution sociale généralisée – CSG –, préférant attendre des jours meilleurs.

Ces hypothèses expliquent-elles la chute vertigineuse de l’IR et de l’IS ? Monsieur le secrétaire d’État, vous aviez promis de nous fournir des éléments d’explication à ce sujet.

M. Éric Alauzet. Certes, les comparaisons des dépenses en volume ont été critiquées, mais je ne crois pas que nous devrions abandonner totalement cette référence. Nous avons besoin de réfléchir tout à la fois en valeur et en volume.

Monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’a fait remarquer Hervé Mariton, la baisse de la dépense en volume d’environ 4 milliards d’euros doit être comparée à l’objectif en volume de 9 milliards inscrit dans la loi de finances initiale pour 2014. Entre 4 et 9 milliards, la différence n’est pas négligeable : il y a tout de même un petit souci dans la réalisation de la prévision !

J’ai bien compris qu’il fallait ajouter les créances sur l’État aux 6,5 milliards du coût budgétaire du CICE pour atteindre l’objectif annoncé des 12 milliards. Cela nous posera un problème, en 2017, si ce crédit d’impôt est transformé en baisse des charges car, en plus du décalage inhérent aux deux mécanismes, il faudra gérer les 6 milliards de créances en cours.

Enfin, vous nous annoncez un déficit de l’État de 85,6 milliards d’euros en 2014, soit une baisse de 3,4 milliards d’euros. Cela signifie clairement que renonçons temporairement à la trajectoire de réduction des déficits. Autrement dit, le pacte de responsabilité et les aides aux entreprises sont aujourd’hui financés par la dette. Cela pose à coup sûr un problème.

M. le secrétaire d’État. Avant de vous répondre, et au risque de vous surprendre, je demande à l’ensemble de la commission des Finances de nous aider. J’ai la conviction que sur deux ou trois points nous pourrions nous mettre d’accord pour essayer de faire adopter un certain nombre de bonnes pratiques. Il n’est pas facile d’entraîner l’ensemble du pays et des acteurs publics dans la réduction de la dépense publique...

M. Michel Vergnier. Cela va venir !

M. Charles de Courson. C’est une révolution culturelle !

M. le secrétaire d’État. Ce qui est difficile avec le budget de l’État, sur lequel nous avons plutôt la main, l’est tout autant pour ce qui concerne les collectivités locales et les acteurs de la sphère sociale. Certains des points que vous avez évoqués peuvent faire l’objet d’une analyse partagée. Nous gagnerions à nous entraider.

Je pense par exemple au monopole des lois de finances en matière de mesures fiscales qu’évoquait M. le président. On ne peut qu’applaudir. Je n’en dirai pas plus ; tout le monde aura compris... Je souhaite, tout comme le ministre des Finances, que nous respections cette règle. Cela étant, reconnaissez que les responsabilités sont partagées : je connais peu de textes non budgétaires auxquels des parlementaires de la majorité ou de l’opposition ne tentent pas d’adjoindre par amendement des mesures de dépenses fiscales ou budgétaires. Quel que soit le secteur concerné, nous voyons immanquablement refleurir l’allée de marronniers des amendements écartés en loi de finances...

Je pense aussi au risque que la réduction de l’inflation et la baisse du prix du pétrole se traduisent par un relâchement de la contrainte en matière de maîtrise de la dépense – nous en débattions hier soir en séance avec M. Mariton. Pardonnez-moi de le dire avec des mots simples : que vous soyez ministre, élu local ou gestionnaire d’un établissement public, lorsque vous aviez prévu d’acheter une certaine quantité de matériel et que le recul de l’inflation, la chute du prix du pétrole ou l’évolution des conditions de marché font baisser les prix, vous pouvez faire la même chose sans avoir besoin de faire d’économie avec un budget réduit... Ces reculs des prix auront évidemment des conséquences sur le plan comptable et sur nos prévisions. Je veux bien qu’on raisonne tous en valeur, mais tous les observateurs en Europe continuent à raisonner en tendanciel. La Cour des comptes constate par exemple que la moindre inflation ne permettra pas de dégager le milliard d’euros d’économies attendu du gel du point d’indice. Pour citer un autre exemple, que j’espère ne pas voir détourné, j’indique que si nous nous en tenions aux règles de réévaluation des prestations sociales, certaines d’entre elles devraient voir leur montant baisser. Mais, nous ne les réduirons probablement pas ; pour ma part, je le dis clairement, je ne prendrai pas cette responsabilité. Du coup, ce qui aurait, là encore, pu être comptabilisé comme une économie n’en sera pas une.

On peut penser ce que l’on veut des résultats que nous avons obtenus : ils sont parfois inégaux, et, selon les cas, on peut plus ou moins s’en réjouir. Je ne lance pas un appel au secours : j’assume, et j’ai le dos large. On peut toujours discuter sur l’interprétation d’un chiffre dont le référentiel changera suivant ce que l’on veut démontrer, mais peut-être pouvons-nous commencer par nous mettre d’accord sur une attitude commune face à la nouvelle donne liée aux évolutions de l’inflation et des prix de l’énergie : nous devons demander collectivement à tous les acteurs publics d’en tenir compte et de ne pas « profiter » de cette bouffée conjoncturelle d’oxygène pour continuer à faire comme avant et ne pas réduire leur train de vie. On me répond que cela dépend des ministères, que, dans les hôpitaux, par exemple, la faible inflation ne joue que sur le prix du yaourt... Et pourtant, que je sache, les hôpitaux sont chauffés, au fioul ou au gaz, et le coût de l’un comme de l’autre baisse ! Le budget des universités, c’est essentiellement du salaire, me dit-on ; peut-être, mais il y a aussi du chauffage dans les universités ! Tout le monde n’a pas des flottes de véhicules comme le ministère de l’Intérieur ou les armées, mais tous les ministères ont des véhicules et des frais de carburant. Il ne faut pas que l’effet d’aubaine que représentera pour tous la baisse des prix gomme l’effort entrepris pour amener l’ensemble des acteurs public à maîtriser leurs dépenses et à faire des économies.

M. Hervé Mariton. Alors que proposez-vous ?

M. le secrétaire d’État. Monsieur Mariton, le petit milliard de dépenses supplémentaires décidées depuis le début de l’année – une grosse moitié étant destinée à la lutte contre le terrorisme et le djihadisme – ne sera pas financé en « profitant » des marges dégagées par la baisse des prix, contrairement à ce que vous dites. Le Premier ministre nous a déjà demandé d’identifier ministère par ministère les effets de ces évolutions – plus faible inflation, moindre coût de l’énergie – afin de décider des diminutions de dépenses appropriées, sous forme de « surgels » de crédits, de décrets modificatifs ou autres.

Dans les collectivités territoriales, je ne nie pas que la baisse de la dotation globale de fonctionnement – DGF – soit importante. Cela dit, elle devient un peu moins insupportable du fait de la réduction d’un certain nombre de dépenses liées au recul de l’inflation et des prix de l’énergie. Samedi dernier, dans ma commune, j’ai rempli une cuve de fioul pour 76 centimes d’euro le litre alors qu’il y a un an il fallait compter 1,03 euro. Cela fait tout de même une différence dans le panier du maire, comme dans le panier de la ménagère !

Madame la rapporteure générale, vous m’interrogez sur la société de projet et sur le budget de la Défense. Je l’ai dit hier soir en séance publique : l’engagement de 31,4 milliards d’euros par an inscrit dans la loi de programmation militaire sera respecté, même si certains agitent des épouvantails et parlent de risques et de REX – les recettes exceptionnelles.

Pendant un temps, les sociétés de projet ont été présentées, en particulier du côté du ministère de la Défense, comme des instruments permettant d’« échapper » à la comptabilisation en dépense « maastrichtienne ». Toutes les analyses juridiques, qu’elles proviennent de Bercy, de la Commission européenne ou, désormais, du ministère de la Défense, nous indiquent aujourd’hui que cette interprétation ne vaut pas. Quelle que soit la structure capitalistique de la société de projet, ses dépenses seront à tous les coups requalifiées pour être intégrées au périmètre « maastrichtien ». Il est donc clair que ce montage ne répond pas à l’un des objectifs recherchés.

J’entends qu’il est acquis que les recettes exceptionnelles provenant de la vente de fréquences hertziennes ne rentreront pas avant la fin de l’année 2015. C’est probable, mais ce n’est pas certain ; il ne faut négliger aucune opportunité. Et puis d’autres recettes exceptionnelles pourraient bouleverser la donne : il ne vous a pas échappé qu’un certain nombre de contrats de vente d’équipements militaires sont en cours de finalisation – j’utilise ces termes pour rester prudent, et je ne peux entrer dans les détails.

Je rappelle que les conseils de défense sont couverts par le secret de la défense nationale, même si des journaux publient parfois l’intégralité des documents qui nous ont été remis sur table avec des tampons « Confidentiel-défense » de toutes les couleurs... J’ai retrouvé dans Challenges, le lendemain d’un conseil de défense auquel j’assistais, la description, le nombre précis, et la valeur des matériels. Un tel comportement n’est ni sain ni sérieux. En tout cas, la fuite ne venait pas de Bercy.

M. Éric Woerth. Il y a la protection des sources !

M. le secrétaire d’État. Sans doute, mais, en l’espèce, on sait qui avait l’information !

On nous dit que c’était le « plan A » et qu’il n’y a pas de « plan B ». Si, il y a des possibilités de faire autrement. Nous pouvons par exemple jouer sur le fait que, pour le matériel militaire, la comptabilisation de la dépense se fait au moment de la livraison et non du paiement. À quelques semaines ou quelques mois près, il est donc possible de faire des choses grâce à une gestion rigoureuse du calendrier.

Le Gouvernement entend aujourd’hui mettre les éléments législatifs qui permettraient d’utiliser la solution des sociétés de projet si cela se révélait inévitable. C’est ce que M. Macron va proposer dans l’amendement évoqué par Mme la rapporteure générale, puisque la loi, en l’état actuel, ne permet pas d’aliéner du matériel en cours d’utilisation. Si une autre solution est trouvée pour assurer la rentrée des recettes du ministère de la Défense – et par là même ses dépenses –, nous n’utiliserons pas ce mécanisme.

Une révision de la loi de programmation militaire aura lieu d’ici à l’été, en avance sur le calendrier prévu. Le Président de la République a dit son attachement aux 31,4 milliards d’euros. Il faudra intégrer certaines dépenses liées au nombre croissant d’opérations extérieures ou au redéploiement de nos forces, y compris pour le maintien de la sécurité intérieure, mais également tenir compte des évolutions des prix à la baisse : l’armée n’est pas la dernière à utiliser des produits pétroliers, ce qui n’est pas sans effet sur ses dépenses. Autrement dit, nous devons nous doter des éléments législatifs permettant d’envisager toutes les solutions, et nous verrons, le moment venu, ce qu’il y aura lieu de faire et de ne pas faire.

D’autres questions ont porté sur les apurements communautaires. Je veux vous rassurer : tous ces éléments seront pris en compte, qu’il s’agisse des recettes supplémentaires – je pense à celles résultant des moindres prélèvements de l’Union européenne – ou des dépenses, avec le refus d’apurement des aides agricoles par l’Union. Sur ce dernier point, nous avons obtenu un accord pour que les remboursements se fassent sur trois ans. De tels contentieux ne sont pas rares : je rappelle que celui-ci était initialement censé nous coûter 4 milliards d’euros, avant qu’un retraitement n’aboutisse à ramener cette somme à 1 milliard d’euros. En 2015, 370 millions d’euros seront réglés par la France, et gagés par redéploiement dans le périmètre de la norme de dépenses.

Beaucoup de choses ont été dites au sujet de la norme en volume et de la norme en valeur. Nous avons eu en 2014 une baisse de 6 milliards d’euros en valeur par rapport à la loi de finances initiale, alors que la progression permise par l’inflation de 0,4 % était de l’ordre de trois milliards d’euros supplémentaires ; au total, ce sont donc 9 milliards d’euros de marge qui ont été gagnés sur la norme « zéro volume ».

Certains se sont demandé si la dette finançait le CICE, ou d’autres choses – ce qui rejoint un peu le débat que nous avons eu hier soir sur les notions de dette légitime et de dette non légitime. Sur ce point, je rappellerai que l’évolution du CICE était prévue et intégrée à tous nos textes, aussi bien en termes de dépense budgétaire qu’en termes de dépenses à venir, sous forme de créances. Nous avons connu par le passé des gouvernements qui finançaient des dépenses budgétaires par la dette...

M. Alain Fauré. Il n’y a pas si longtemps !

M. le secrétaire d’État. Ce qui n’est plus le cas, comme je l’ai montré dans mon exposé liminaire en indiquant le financement de chaque mesure de notre budget.

M. Régis Juanico. L’étude d’impact relative à la taxe exceptionnelle à 75 %, dite « contribution exceptionnelle de solidarité » et devant s’appliquer durant deux ans aux rémunérations annuelles de plus d’un million d’euros, faisait apparaître que 470 entreprises et 1 000 dirigeants percevant plus de 1 million d’euros de rémunération annuelle étaient susceptibles d’être concernés. Pour le moment, seul le rendement de la taxe appliquée aux clubs de football professionnels nous a été communiqué ; est-il possible de savoir quel a été le rendement général pour 2014, et quel est celui envisagé pour 2015 ?

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, vous avez sans doute été alerté au sujet des correspondants locaux de presse, dotés depuis 1987 d’un statut particulier d’affiliation facultative aux régimes d’assurance maladie et vieillesse, à condition que leurs revenus soient inférieurs à 15 % du plafond de la sécurité sociale. La loi du 18 juin 2014 et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 sont revenues sur les dispenses d’affiliation dont bénéficiaient jusqu’à présent les correspondants locaux de presse et les ont rendus redevables de la CSG, de la contribution au remboursement de la dette sociale – CRDS – et des cotisations d’allocations familiales à compter du 1er janvier 2015. Certains correspondants locaux de presse – pas tous, dans la mesure où les différentes URSSAF n’appliquent pas toutes ces dispositions de la même manière – sont donc désormais taxés à hauteur de 10 %. Pouvez-vous m’indiquer si l’administration a une position nationale sur cette question très préoccupante ?

M. François Cornut-Gentille. Je vous remercie pour les éléments d’information que vous nous avez communiqués sur le budget de la Défense, monsieur le secrétaire d’État, et souhaite vous demander deux précisions. Premièrement, nous avons bien compris que Bercy était hostile en l’état actuel aux sociétés de projet, mais s’agit-il d’un rejet définitif, ou le ministère des Finances pourrait-il envisager cette solution – le cas échéant, à quelles conditions – s’il se révélait qu’il n’en existe pas d’autre ? Deuxièmement, dans la mesure où le « rapport Charpin » préconisait une certaine méfiance à l’égard des sociétés de projet, pourquoi ne pas avoir d’emblée présenté un « plan B », ce qui aurait évité que nous nous retrouvions aujourd’hui sans piste alternative ?

Mme Christine Pires Beaune. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour votre présentation claire des chiffres relatifs à l’exécution de 2014. Même si, comme vous nous l’avez dit, les chiffres définitifs ne seront connus qu’en avril prochain, nous disposons ainsi d’une première photographie de l’exécution du budget, qui nous permet d’en tirer quelques enseignements. Comme certains de mes collègues l’ont déjà fait, je veux souligner les résultats obtenus en matière de maîtrise de la dépense publique : les dépenses en valeur ont baissé en 2014 par rapport à l’exécution de 2013 et, pour ce qui est du champ de la norme de dépenses en volume, le résultat est encore meilleur, puisque la baisse atteint 4 milliards d’euros à périmètre constant d’un exercice à l’autre.

Premièrement, je souhaite savoir si la diminution de la dépense concerne exclusivement le fonctionnement de nos ministères : en d’autres termes, l’investissement est-il resté stable, ou a-t-il augmenté ? Deuxièmement, dispose-t-on à ce jour d’une tendance en ce qui concerne les plus de 600 opérateurs de l’État ? Troisièmement, au sujet de la discussion en cours avec Bruxelles, devrons-nous revoir notre copie, ou peut-on s’attendre à un regard bienveillant de la part de la Commission, qui pourrait nous épargner un collectif dans les mois qui viennent ? Quatrièmement, j’ai bien compris que les collectivités disposaient d’un délai important pour voter le compte administratif, mais dispose-t-on déjà d’une tendance, notamment sur les dépenses de fonctionnement et l’investissement public de 2014 ?

M. Christian Estrosi. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez donné une explication à laquelle vous ne croyez sans doute pas vous-même, selon laquelle les déficits de la France comprendraient les déficits des collectivités locales, que vous jugez responsables de la situation actuelle : à vous entendre, la baisse du coût de l’énergie résoudrait tous les problèmes...

M. le secrétaire d’État. Je n’ai jamais dit cela, monsieur Estrosi ! Pour une fois que vous prenez part à cette commission, vous pourriez être plus constructif !

M. Christian Estrosi. En baissant le chauffage de 22 °C à 19 °C dans l’ensemble des bâtiments, on peut réaliser à Nice une économie de 300 000 euros, alors que la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires va nous coûter 5,9 millions d’euros ! Où est l’économie ?

M. le secrétaire d’État. C’est scandaleux, je n’ai jamais parlé de baisser le chauffage !

M. Christian Estrosi. La baisse des dotations aux collectivités locales va représenter une perte totale de 28,5 milliards d’euros de 2014 à 2017. Or, je vous rappelle que, contrairement à l’État, les collectivités sont obligées de présenter des comptes administratifs en équilibre en dépenses et en recettes – contrairement à vous, car si vous étiez tenu de présenter vos copies comme les nôtres, vos comptes seraient déclarés insincères – ainsi que des orientations budgétaires et des budgets primitifs faisant apparaître chaque année leurs plans pluriannuels d’investissement sur quatre ou cinq ans. Dans la mesure où ce n’est pas la baisse des factures d’électricité qui va leur permettre de retrouver des comptes en équilibre, les collectivités vont devoir diminuer leur niveau d’investissement, alors qu’elles représentaient jusqu’à présent 70 % de la commande publique. Le fait de descendre à 60 % ou 55 % va entraîner une chute de la croissance, donc une perte de recettes pour l’ensemble de l’État et des collectivités. Ajoutez à cela l’augmentation de l’impôt sur les sociétés, qui va décourager les collectivités prêtes à investir pour moderniser leur outil de travail en le tournant davantage vers la recherche, le développement et l’innovation, ce qui va encore accroître la perte globale de ressources pour les collectivités locales et pour l’État. Avez-vous procédé à une évaluation de ces pertes de ressources ?

M. Alain Fauré. Monsieur le secrétaire d’État, nous pouvons être satisfaits à l’énoncé des résultats pour 2014, qui montrent que la politique suivie par le Gouvernement, qui ne relève ni de l’austérité ni du laxisme, commence à porter ses fruits en matière budgétaire.

J’aurai trois questions à vous poser. Premièrement, le comité de suivi du CICE fait état d’une faible consommation fiscale de ce crédit : qu’en est-il, et pouvez-vous nous donner des explications sur ce point ? Deuxièmement, je souhaite savoir si le budget de l’Éducation nationale a été bien tenu sur l’année 2014, et quelle est la différence entre les budgets pour 2012 et pour 2014 ; l’effort consenti par le Gouvernement en faveur de l’Éducation nationale se retrouve-t-il dans les chiffres ? Troisièmement, à quoi attribuez-vous l’augmentation du produit de l’impôt sur le revenu constaté par rapport au montant prévu dans la loi de finances rectificative ?

M. Éric Woerth. Si les finances de l’État bénéficient actuellement d’un environnement favorable, il faut surtout considérer le budget, reflet de l’objectif politique que le Gouvernement souhaite atteindre – et en l’occurrence, force est de constater que celui-ci n’a pas été atteint, notamment en termes de déficit budgétaire global, qui reste à un niveau considérable en dépit des efforts faits par le Gouvernement en faveur de la baisse des dépenses publiques. À mon sens, ces efforts sont très insuffisants par rapport à ceux qu’il faudrait produire, même si je peux comprendre le souci de ne pas casser et faire retomber dans l’atonie une croissance qui semble vouloir renaître : il faut changer de braquet en matière de réduction de la dépense publique pour trouver un rythme de réduction efficace, tout en restant compatible avec la préservation de la croissance.

Vous allez encore nous dire que ce n’est pas facile, et que vous devez faire les efforts que d’autres n’ont pas faits avant vous : je vous répondrai que c’est vous qui êtes au gouvernement et que c’est à vous d’agir, d’autant que c’est le moment idéal et que les esprits eux-mêmes y sont préparés : vous ne sauriez disposer d’une meilleure conjonction astrale, si j’ose dire, toutes les planètes composant le gouvernement étant alignées sur le même thème, à savoir la réduction de la dépense publique. Bref, Bercy a la main et doit en profiter pour agir sans tarder – même si, j’en suis conscient, cela ne se fera pas sans difficultés. Pour augmenter le rythme de baisse de la dépense publique – dépenses exceptionnelles comprises –, vous devez mettre en œuvre une politique de changement appliquée avec méthode, plutôt que d’agir au coup par coup, par gels, par seuils, par « coups de gueule » et démonstrations d’autorité. Or, vous semblez avoir abandonné toute méthode, ce qui ne manque pas de m’inquiéter pour l’avenir. Il est en effet très préoccupant de constater que la France, après avoir abandonné l’objectif de déficit de 3 %, reste perchée à un niveau de 4 %, auquel elle a peu de chances d’améliorer sa situation.

M. Razzy Hammadi. Je salue moi aussi la précision et la clarté des explications qui nous ont été données par M. le secrétaire d’État.

Ma première question porte sur la réforme du financement de la politique du logement ; interrogée à ce sujet il y a quinze jours dans le cadre des questions au Gouvernement, Mme la ministre du logement a donné une réponse qui ne m’a pas paru suffisamment claire, ni à la hauteur des enjeux. Vous avez vous-même appelé de vos vœux, monsieur Eckert, une réflexion sur le sujet : qu’en est-il et comment envisagez-vous les choses ?

Par ailleurs, le Président de la République et le Gouvernement ont annoncé la montée en charge du service civique. Il y a, sur des budgets non utilisés, de quoi financer des augmentations de moyens – unanimement reconnues nécessaires et urgentes – sur la sécurité, le renseignement et la mobilisation de nos militaires sur le territoire. Concrètement, qu’est-il prévu à ce sujet ? Dans le cadre de la réaction de la République aux événements survenus le 7 janvier et les jours suivants, envisage-t-on des dépenses supplémentaires ou des redéploiements afin de financer le service civique, le cas échéant avec quels objectifs ?

M. Jean-François Lamour. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie des renseignements que vous nous avez fournis au sujet des sociétés de projet : c’est la première fois depuis bien longtemps que nous sont données deux informations majeures sur ce point, notamment celle consistant en la possibilité de recourir à un « plan B », alors même que la complexité juridique et financière des sociétés de projet justifie que l’on cherche des solutions alternatives. Par exemple, n’est-il pas possible de concevoir une tuyauterie faisant correspondre, d’un côté, les comptes d’affectation spéciale et la vente par l’Agence des participations de l’État – APE – d’un certain nombre d’actifs de l’État et, de l’autre côté, un fonds de concours qui viendrait abonder le budget de la Défense ? Je vois dans une telle solution un bon sens qui me paraît faire défaut au dispositif des sociétés de projet.

Vous avez affirmé votre résolution à vous en tenir à la loi de programmation militaire – LPM – et à un budget stabilisé en valeur à 31,4 milliards d’euros. Or, d’une part, le surcoût représenté par les opérations extérieures – OPEX – risque de dépasser en 2015 le montant de 1,1 milliard d’euros qui avait été prévu ; d’autre part, le Président de la République a annoncé une déflation de personnels, donc de masse salariale dans le budget de la défense, moins importante que prévu – 6 000 hommes au lieu de 7 500. Est-ce à dire que nos armées vont devoir se débrouiller comme elles le pourront avec l’enveloppe de 31,4 milliards d’euros qui leur est allouée, ou que, dans le cadre de la revoyure de la LPM, vous trouverez des moyens budgétaires supplémentaires pour pallier ces nouvelles charges ?

M. Marc Goua. Je vous remercie à mon tour pour votre présentation, monsieur le secrétaire d’État, et veux attester que, dans le cadre des problèmes rencontrés par les collectivités locales, un effort a été consenti pour les villes de banlieue en 2014, qui se poursuit en 2015. Dans un contexte de grande tension marqué par des difficultés pour l’État à accentuer la péréquation, je m’interroge sur la réforme fiscale des bases qui, à mon sens, serait de nature à permettre de récupérer des recettes susceptibles d’être affectées à la solidarité nationale. Je pense qu’il est grand temps de s’attaquer à cette question dont on parle depuis longtemps, car notre système fiscal local me paraît vraiment à bout de souffle.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le secrétaire d’État, dans un contexte économique favorable, le déficit des finances publiques connaît une nouvelle dégradation qui me paraît dangereuse, surtout quand on considère que les autres pays européens connaissent, dans le même temps, une amélioration de leurs finances publiques. Depuis son arrivée au pouvoir, la gauche a imposé à l’ensemble de nos compatriotes, particuliers ou entreprises, des hausses massives de fiscalité. Or, année après année, on constate une déperdition importante des recettes provenant de l’impôt sur le revenu, et cette dégradation régulière m’inquiète beaucoup. De ce point de vue, il me semble que vous avez retenu une prévision optimiste de croissance des recettes fiscales pour 2015. Dans ce contexte, comment pouvons-nous travailler ensemble pour améliorer et rendre crédible la signature France, qui s’est singulièrement dépréciée ces derniers temps ?

M. Jean Launay. Après les deux questions que je vous ai posées hier en séance au sujet des arbitrages de fin de gestion, sur la réserve de précaution et sur les modalités de couverture interministérielle du surcoût lié aux OPEX, je souhaite encore vous interroger au sujet du budget de la Défense, monsieur le secrétaire d’État – plus précisément, sur le report de charges. La notion budgétaire prévisionnelle de report de charges laisse place à la notion comptable de dépense obligatoire, ce qui implique que les dépenses pour lesquelles le service a été certifié au cours d’une année fassent l’objet d’un paiement dès le début de l’année suivante. Le report de charge ne peut être accru car, s’il l’était, ce serait de la « cavalerie ».

Pour le budget de la Défense, le report de charges a évolué ainsi : 2,7 milliards d’euros fin 2011, 3,4 milliards d’euros fin 2012, et 3,5 milliards d’euros fin 2013. Quelle est la prévision du report de charges à la fin de l’année 2014, en particulier en ce qui concerne le programme 146, relatif à l’équipement des forces ? Évoquer ce point me fournit l’occasion d’évoquer les sociétés de projet, qui constituent une préoccupation pour le ministre de la Défense et le chef d’état-major des armées, mais aussi pour nous tous, compte tenu de l’importance cruciale de voir nos troupes recevoir leurs équipements en temps et en heure, surtout en une période où leurs engagements intérieurs et extérieurs s’intensifient. Or, pour arriver à l’heure, les équipements doivent être commandés à l’heure dans le cadre des engagements budgétaires, mais aussi être payés à l’heure.

Vous savez mieux que tout autre, monsieur le secrétaire d’État, que le directeur général de l’armement avait dépensé l’intégralité de son budget à la fin de l’année 2013, et que le « rapport Charpin » a jugé impossible l’encaissement attendu des recettes exceptionnelles liées à la cession de la bande des 700 MHz en 2015 ; par ailleurs, vous connaissez l’engagement du Président de la République sur la trajectoire financière et budgétaire à 31,4 milliards d’euros, confirmé lors du dernier conseil de défense. Si je comprends et partage le souci de ne pas accroître le déficit « maastrichtien », je m’explique mal que le Gouvernement donne constamment l’impression d’avoir le pied sur le frein sur la question des sociétés de projet, alors que les ministres de l’Économie et de la Défense sont mandatés par le Président de la République en vue de mettre en œuvre ce montage, qui doit nous permettre de respecter la loi de programmation militaire tout en conservant la maîtrise du déficit – et alors que le chef d’état-major a déclaré hier encore, devant la commission des Affaires étrangères, qu’il n’y avait pas de « plan B ». Nous sommes tous d’accord pour considérer que nos armées ont besoin du soutien de la Nation, ce qui passe par la préservation de notre crédibilité budgétaire et financière.

M. Gaby Charroux. Monsieur le secrétaire d’État, des efforts ont manifestement été accomplis en matière d’exécution budgétaire. Toutefois, M. Pierre Moscovici a demandé au nom de la Commission européenne, qui doit rendre un avis sur le budget français le 27 février prochain, à la fois des mesures complémentaires et l’approfondissement de réformes structurelles visant à réduire encore le déficit budgétaire en 2015. Pensez-vous que la France soit en mesure de se plier à cette directive, et le cas échéant au moyen de quelles mesures sur les dépenses ou les recettes ?

M. le secrétaire d’État. M. le président et M. de Courson m’ont interrogé au sujet des recettes fiscales, qui constituent un sujet extrêmement intéressant. La volatilité des recettes fiscales est due en grande partie aux revenus immobiliers : ainsi, après une très forte hausse en 2013, on a assisté à une chute tout aussi spectaculaire en 2014, ce qui explique en grande partie les baisses de ressources.

J’indique à M. Juanico que la taxe à 75 % a rapporté 309 millions d’euros en 2014 avant impôt sur les sociétés, et environ 210 millions d’euros en 2015 avant impôt sur les sociétés ; après impôt sur les sociétés, les chiffres seront conformes aux prévisions, selon lesquelles nous devrions atteindre environ 400 millions d’euros au total, c’est-à-dire 200 millions d’euros par an.

Pour ce qui est des correspondants locaux de presse, ils bénéficient effectivement d’un statut dérogatoire depuis 1987 : assimilés à des travailleurs non salariés, ils sont dispensés d’affiliation et exonérés de cotisations sociales. La loi de juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a supprimé l’exonération des cotisations de CSG et de CRDS dont bénéficiaient jusqu’à présent les travailleurs indépendants à très faibles revenus, dans le cadre d’une mesure plus globale ayant conduit à réduire les cotisations. Nous avons donc demandé aux organismes sociaux d’examiner, en lien avec mes services et les représentants de la presse quotidienne régionale, comment il conviendrait de clarifier l’ensemble de ces dispositions relatives aux correspondants de presse, en particulier en ce qui concerne ceux qui sont, de toute façon, dispensés d’affiliation.

M. Cornut-Gentille et d’autres membres de votre commission ont évoqué les sociétés de projet, en me demandant notamment quelles seraient les conditions pour que Bercy accepte le principe de ces sociétés. S’agissant de questions de défense et de sécurité nationale, Bercy ne met pas de conditions : c’est évidemment le Président de la République qui prendra une décision à ce sujet. Et pour ce qui est d’un « plan A » et d’un « plan B », je suis au regret de vous dire que, pour ma part, je respecte le secret des délibérations des conseils de défense. Je me bornerai donc à vous confirmer qu’un « plan B » a bien été évoqué, et qu’il a été rejeté assez rapidement – qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Des solutions proposées par mes services, qui n’ont pas été retenues pour le moment, pourront évoluer à la lumière des éléments que j’ai indiqués tout à l’heure.

Mme Pires Beaune a abordé la question de savoir si des éléments supplémentaires, voire une loi de finances rectificative, pourraient être nécessaires aux yeux de Bruxelles. M. Charroux également s’en est inquiété. Michel Sapin, qui rentre d’Istanbul, est aujourd’hui à l’Élysée avant de repartir pour Bruxelles, où des discussions sont en cours. Pour 2015, la Commission européenne a validé notre prévision de 4,1 % de déficit, contrairement à la Cour des comptes qui la jugeait ce matin incertaine : une telle discordance doit assurément nous conduire à relativiser la fiabilité des prévisionnistes de tout poil. Pour 2014, j’ai dit ce matin que le chiffre de 4,4 % me semblait conforté, tandis que la Commission estime que nous serons à 4,3 %. J’espère que, pour une fois qu’elle nous donne des éléments favorables, vous n’allez pas rejeter son avis – vous qui poussez des cris d’orfraie quand elle fait des prévisions alarmistes –, et l’on pourrait d’ailleurs dire la même chose de la Cour des comptes, de l’INSEE, de la Banque de France, du FMI, du Gouvernement ou de la commission des Finances.

M. Claude Goasguen. La Cour des comptes est indépendante !

M. le secrétaire d’État. Certes, mais elle n’est pas la seule : Eurostat l’est également. Et l’indépendance n’est pas une garantie de fiabilité.

Aujourd’hui, il ne subsiste qu’un point de divergence entre le Gouvernement et la Commission européenne. Elle évalue l’effort structurel – qui est assez compliqué à calculer, car il prend en compte le tendanciel, sur lequel les économistes, les prévisionnistes, les observateurs, les techniciens, les technocrates et les politiques ne sont pas toujours d’accord. Pour notre part, nous considérons que notre effort structurel s’élève à 0,5 point, tandis que la Commission retient un chiffre de 0,32 point. Pour différentes raisons, elle n’a pas pris en compte une réduction de 300 millions d’euros du prélèvement européen – alors même qu’elle avait affirmé, il y a quelques semaines, qu’elle l’intégrerait à cette hauteur. Nous sommes actuellement en train de discuter sur la méthode de calcul et sur la prise en compte effective des mesures, avant qu’il ne soit procédé à l’analyse finale. J’insiste en tout cas sur le fait que la Commission a validé le chiffre de 4,1 % pour 2015 et que, pour 2014, elle a même ramené notre évaluation de 4,4 % à 4,3 %.

M. Estrosi a évoqué la situation des collectivités locales en caricaturant mes propos, ce qui a provoqué une réaction d’humeur de ma part, comme il devait s’y attendre. Prétendre que je lui ai conseillé de baisser la température dans les écoles afin d’améliorer la soutenabilité de la réduction des dotations de fonctionnement, cela peut éventuellement faire quelques gros titres dans les journaux ou donner matière à un billet sur un blog, mais ce n’est pas sérieux. En tout état de cause, c’est tout à fait contraire aux usages d’une commission que, pour ma part, je fréquente assidûment et depuis très longtemps. Ce que j’ai dit – et que je maintiens –, c’est que la plus faible inflation et la diminution des prix de l’énergie peuvent rendre un peu moins insoutenable ou un peu plus soutenable la diminution des dotations aux collectivités territoriales. J’ai été élu local pendant longtemps et je vois encore clair : je sais donc très bien à quelles difficultés et inégalités les élus locaux peuvent être confrontés.

Y aura-t-il une diminution de l’investissement public ? Nous avons examiné l’évolution des investissements réalisés par les collectivités locales au regard des périodes électorales, et constaté que les quatre dernières élections locales ont été systématiquement suivies d’une diminution de l’investissement public de l’ordre de 6 % pour les collectivités concernées. Cela s’explique par le fait que les équipes sortantes achèvent les programmes qu’elles ont lancés, tandis que les équipes entrantes ont besoin d’un certain temps pour arrêter les leurs : tous les chefs d’entreprise vous confirmeront d’ailleurs que les pires années pour eux sont celles qui correspondent aux renouvellements électoraux.

Quant à l’ampleur de la diminution qui s’annonce, les premières constatations laissent penser qu’elle sera légèrement supérieure à celle des années précédentes, ne serait-ce qu’en raison du fait que le renouvellement des équipes a lui-même été plus important que d’habitude. Une autre justification réside dans la dynamique actuelle des dépenses de fonctionnement, notamment des masses salariales, dont l’augmentation atteignant 4 % ne peut trouver sa seule explication dans la revalorisation de la grille de la catégorie C et d’une partie de celle de la catégorie B à laquelle il a été procédé. Quant à l’idée d’instaurer des mesures d’encadrement, nous aurons à en débattre ; s’il semble y avoir un certain consensus sur la question, il serait bon que chacun tienne le même discours au sein de cette commission et à l’extérieur afin de donner un peu de cohérence à notre action commune.

M. Christian Estrosi. Lorsque, pour assurer la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires, vous êtes obligé de recruter 1 200 personnes, expliquez-moi comment vous vous y prenez pour faire baisser la masse salariale, monsieur Eckert !

M. le secrétaire d’État. Nous avons déjà entendu cet argument des dizaines de fois au Sénat et à l’Assemblée nationale. La commission d’évaluation des charges s’est exprimée à ce sujet, et je rappelle que le fonds de soutien aux collectivités locales pour l’aménagement des rythmes scolaires – FARS – a été pérennisé à hauteur de 400 millions d’euros, ce qui n’est pas rien.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la conjonction d’éléments favorables. Certes, l’inflation est moins forte, mais il existe aussi des éléments défavorables. Ainsi, je rappelle que la croissance – le chiffre de 1 % semble confirmé par les observateurs internationaux – reste relativement modeste, pour ne pas dire faible. Pour ma part, je ne considère donc pas que le contexte soit particulièrement favorable.

Pour ce qui est de la politique du logement et de ses possibles évolutions, dont a parlé M. Hammadi, le Gouvernement y réfléchit. Actuellement, alors que 2 % de notre PIB est consacré à cette problématique, l’accès au logement n’est pas plus facile qu’ailleurs, et se loger n’est pas moins cher. La France est sans doute l’un des pays qui contribuent le plus à l’aide au logement, sous diverses formes – aides à la pierre, allocations, dépenses fiscales ; je pense que nous devrions nous attacher à ce que tout cet argent se retrouve bien sur les territoires, pour aider les personnes qui en ont le plus besoin. Les allocations logement ne sont que l’un des éléments du dispositif, même si c’est celui qui émerge du rapport récemment publié – ou plutôt caviardé, devrais-je dire ; d’autres réflexions peuvent être faites, et le Gouvernement formulera prochainement des propositions.

Pour ce qui est du nombre de services civiques, j’ai déjà eu l’occasion de dire que cela dépendrait des économies qu’il serait possible de réaliser sur d’autres postes budgétaires.

Je veux rappeler quelques chiffres à M. Woerth, qui s’étonne que les choses aillent de plus en plus mal alors que, selon lui, nous bénéficions d’une conjonction favorable. Le déficit budgétaire, qui s’élevait à 90,7 milliards d’euros en 2011, a été ramené à 70,3 milliards d’euros hors PIA ; quant au déficit structurel, qui s’élevait en 2011 à 4,4 % du PIB, il est programmé à 1,3 % du PIB pour 2017. On conviendra que les chiffres actuels ne sont pas plus mauvais que ceux d’il y a quatre ans.

M. Goua a posé une question précise sur la révision des bases des valeurs locatives. Comme vous le savez, une expérimentation a eu lieu en matière de locaux professionnels, et les commissions départementales, puis communales, se pencheront prochainement sur la mise en œuvre des nouvelles dispositions. Il y a lieu d’évaluer clairement les transferts de charges, où vous voyez une opportunité de recettes supplémentaires : je rappelle qu’en principe, les réévaluations de bases doivent avoir un effet global quasiment neutre – ce qui signifie des hausses pour certains et des baisses pour d’autres, et justifie que je sois personnellement partisan d’un lissage dans le temps afin d’éviter certains effets par trop brutaux, donc déstabilisateurs.

Pour ce qui est des bases locatives des locaux d’habitation, nous avons publié l’arrêté mettant en place une expérimentation dans cinq départements, dont Paris. Je précise qu’une expérimentation n’équivaut pas à une mise en œuvre concrète : c’est simplement un travail « à blanc », qui va nous permettre de constater les effets produits.

M. Christophe Caresche. Allez-vous poursuivre les expérimentations à Paris ?

M. le secrétaire d’État. J’ai bien lu la lettre que m’a adressée Mme Hidalgo et je précise que quand je parle d’expérimentation, je pense bien à une simulation, c’est-à-dire que nous continuons à appliquer les valeurs locatives existantes. Quand des chambres de bonne ou d’autres logements situés au dernier étage de certains immeubles haussmanniens deviennent, après rénovation, de très beaux appartements situés dans ces magnifiques arrondissements, il est évident qu’il serait judicieux de revoir l’évaluation des bases, pas forcément pour produire des recettes supplémentaires, mais pour parvenir à une répartition plus juste, y compris à l’intérieur d’une agglomération ou d’une commune donnée, de l’effort contributif de chacun. De même, dans la commune minière de Lorraine dont j’ai longtemps été maire, il n’est sans doute pas normal que l’évaluation des bases n’ait quasiment pas évolué depuis 1970, que ce soit pour les cités minières ou pour les maisons neuves bâties sur le territoire de la même commune.

En ce qui concerne la Défense, évoquée par M. Lamour et M. Launay, les reports de charges, qui ne sont pas une nouveauté, devraient évoluer de façon modérée. Vous avez cité les chiffres montrant l’évolution de 2011 à 2013 et je n’en ai pas d’autres à vous donner. Il y a toujours des reports, et les industries de la défense ont elles aussi besoin d’une gestion de trésorerie. Nous travaillons au plus fin sur ces questions, qui donnent lieu à une fructueuse collaboration entre le ministère de la Défense et Bercy.

Enfin, en ce qui concerne l’Éducation nationale, je n’ai pas les chiffres pour l’instant, mais ils vous seront communiqués lors de l’examen de la loi de règlement.

M. le président Gilles Carrez. Au nom de notre Commission, je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour les informations extrêmement intéressantes que vous nous avez communiquées.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 11 février 2015 à 9 h 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Estrosi, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. David Habib, M. Razzy Hammadi, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, M. Bruno Le Maire, Mme Véronique Louwagie, M. Hervé Mariton, M. Michel Pajon, Mme Luce Pane, Mme Valérie Pécresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Jean-Claude Fruteau, M. Laurent Grandguillaume, M. Jérôme Lambert, M. Patrick Lebreton, M. Victorin Lurel, M. Thierry Robert

Assistaient également à la réunion. - M. Marcel Rogemont, M. Éric Straumann

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