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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 18 février 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 66

Présidence
de M. Gilles Carrez,
Président

–  Audition de M. Pierre Cahuc, directeur du laboratoire de macroéconomie du Centre de recherche en économie et statistique (CREST), professeur à l’École polytechnique

– Présences en réunion

La Commission entend M. Pierre Cahuc, directeur du laboratoire de macroéconomie du Centre de recherche en économie et statistique (CREST), professeur à l’École polytechnique.

M. le président Gilles Carrez. Après avoir entendu successivement, la semaine dernière, Alain Trannoy, Philippe Askenazy, Jean Tirole et Agnès Bénassy-Quéré, nous concluons notre cycle d’auditions d’économistes avec un spécialiste du marché du travail.

Monsieur Pierre Cahuc, titulaire d’un doctorat et d’une agrégation d’économie, vous enseignez à l’École polytechnique et à l’université Paris I. Vous êtes directeur du Centre de recherche en économie et statistique – CREST –, qui est le laboratoire de macroéconomie de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique – ENSAE. Vous êtes également directeur de programme à l’Institut de recherche pour l’avenir du travail, l’IZA, à Bonn, et chercheur affilié au Centre de recherche en politique économique – CEPR –, à Londres. Membre du Cercle des économistes, vous faites partie du Conseil d’analyse économique – CAE – et du groupe d’experts chargé de se prononcer chaque année sur l’évolution du salaire minimum de croissance. Enfin, vous êtes l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels je retiens tout particulièrement La Société de défiance : comment le modèle social français s’autodétruit, écrit il y a huit ans en collaboration avec Yann Algan.

Notre cycle d’auditions vise à recueillir l’avis de représentants des grands courants de la pensée et de la recherche économiques. Une question nous taraude : comment retrouver le chemin de la croissance et vaincre le chômage ?

M. Pierre Cahuc, directeur du laboratoire de macroéconomie du CREST, professeur à l’École polytechnique. J’insisterai sur le marché du travail, non seulement parce qu’il s’agit de mon domaine de spécialité mais parce que c’est un sujet essentiel si l’on veut regagner des points de croissance à court ou moyen terme.

Le PIB par tête des États-Unis est supérieur de 35 % à celui de la France, lequel a tendance à décrocher. Cette situation s’explique non par notre faible productivité, mais par le fait que nous travaillons moins que les Américains. Si notre taux d’emploi est extrêmement élevé entre trente et cinquante-cinq ans, nous commençons à travailler plus tard et nous cessons de le faire plus tôt. Entre 2007 et 2012, le taux d’emploi a baissé chez les jeunes, et globalement chez les moins de quarante ans, alors qu’il est demeuré stable pour les personnes entre quarante et cinquante-cinq ans. La baisse importante de l’emploi des jeunes s’explique par la rigidité à la baisse des salaires et par le fait que les jeunes, souvent employés en contrat à durée déterminée – CDD –, sont les premiers à perdre leur emploi en période de ralentissement économique.

Il y a cependant une bonne nouvelle : pendant cette période de récession, le taux d’emploi des seniors – compris entre cinquante-cinq et soixante-trois ans – a augmenté de près de 10 %. J’y vois l’effet d’une politique d’incitation à rester dans l’emploi, qui a reculé l’âge de la retraite, limité la possibilité de rejoindre la retraite en passant par le chômage et réduit les dispenses de recherche d’emploi. Depuis 2011, l’allocation équivalent retraite a elle aussi diminué.

Ces chiffres montrent qu’en période de ralentissement économique, on peut augmenter l’emploi de manière significative, ce qui stimule le PIB. Depuis 2008, l’Allemagne, dont le taux d’emploi a connu une hausse importante, bénéficie d’un taux de croissance plus élevé que le nôtre. Il n’y a donc pas lieu de croire que la croissance expliquerait à elle seule l’évolution de l’emploi. Celle-ci découle essentiellement de la mise en place de bonnes incitations. Le chômage provient, pour les seniors, d’un problème d’offre, et pour les jeunes, souvent non-qualifiés, d’un problème, à court terme, de demande et, à plus long terme, de formation.

Ces dernières années, l’augmentation significative de l’emploi des seniors a limité le choc de la récession, mais le fait que celle-ci ait surtout frappé les jeunes est un frein à la croissance. Entre 2005 et 2011, le taux des jeunes de quinze à vingt-cinq ans hors emploi, formation et éducation (not in employment, education or training – NEET) a augmenté en France mais fortement diminué en Allemagne, où il s’était élevé entre 2000 et 2005. L’amélioration de la situation allemande, imputable à une politique volontariste, est d’autant plus spectaculaire qu’elle intervient dans un contexte de récession. Elle confirme que, si l’on s’en donne les moyens, on peut influer sur le taux de croissance. Cependant, l’Allemagne possède encore une marge de progression, surtout par rapport aux Pays-Bas, où le taux des jeunes NEET est de 7 %.

Réduire ce taux, qui atteint 20 % en France, devrait être une des priorités des politiques. Toutes les études empiriques montrent que les jeunes qui subissent des épisodes de chômage connaissent ensuite des difficultés d’intégration durables, dans la société comme dans l’emploi, ce qui constitue à terme un obstacle à la croissance. Un épisode de non-emploi entre dix-huit et vingt-cinq ans entraîne une baisse durable sur le salaire, jusqu’à l’âge de quarante à cinquante ans.

Pour agir sur la croissance à l’horizon de deux à cinq ans, on peut augmenter significativement le taux d’emploi des seniors : le nôtre n’est que de 40 %, alors qu’il se monte à 60 % dans certains pays. On peut aussi augmenter le taux d’emploi des jeunes dans le secteur marchand. Pour ce faire, il existe deux leviers.

À court terme, il faut baisser le coût du travail au niveau du SMIC, où sont embauchés essentiellement des jeunes non qualifiés, dont le taux de chômage atteint 40 %. Cette mesure de court terme sera aussi efficace à long terme, puisqu’un jeune qui travaille aujourd’hui recevra par la suite un salaire plus élevé.

À moyen terme, il faut favoriser la formation des jeunes, notamment via l’apprentissage, et améliorer la gouvernance des formations en alternance. Avec Marc Ferracci, Jean Tirole et Étienne Wasmer, j’ai rédigé une note sur le sujet pour le Conseil d’analyse économique.

M. le président Gilles Carrez. Vous avez pointé l’amélioration de la performance de l’emploi des seniors et la dégradation de l’emploi des jeunes. Or, lors de réunions publiques, il m’arrive d’entendre par exemple un conducteur de RER expliquer qu’il doit absolument partir à la retraite à cinquante-deux ans afin de libérer un emploi pour un jeune. Que peut-on lui répondre ?

M. Bruno Le Maire. Le chômage des jeunes, qui atteint 25 % en France, est un scandale. Voilà trente ans que nous échouons à mettre en place la solution qui s’impose, et qui consiste à diminuer le coût de leur travail. Quand j’ai tenté de le faire, sous l’autorité de M. Dominique de Villepin, alors Premier ministre, je me suis heurté à une levée de boucliers. Comment faire comprendre à la société française qu’il vaut mieux, pour un jeune, intégrer une entreprise avec un salaire inférieur au SMIC qu’attendre deux ans avant d’entrer sur le marché de l’emploi ?

Le deuxième levier que vous avez identifié est le droit du travail. Peut-on proposer un contrat plus souple, qui permette d’embaucher immédiatement les jeunes dans les entreprises ? Toute politique d’emploi ciblée sur les jeunes me semblant promise à l’échec, je crains qu’il ne faille trouver une autre voie.

Enfin, quels sont les points de blocage à lever pour favoriser l’apprentissage et la formation en alternance ? Pourquoi ne pas valoriser la voie professionnelle dès la sixième, en prévoyant des options dès l’entrée au collège ?

M. Yann Galut. Comment l’Allemagne a-t-elle réussi à réduire de manière spectaculaire, entre 2005 et 2011, le pourcentage des jeunes NEET ? A-t-elle fait baisser le coût du travail, favorisé l’apprentissage ou créé de nouvelles filières dans le système éducatif ? Quelle politique en faveur des jeunes les Pays-Bas ont-ils adoptée depuis 2000 ?

M. Jérôme Chartier. Si l’Allemagne a réduit à 7,7 %, le chômage des jeunes, qui se montait à 16 % en 2006, est-ce grâce à une politique ambitieuse ou en raison d’une évolution démographique, qui se traduit par la disparition de 1,5 million de jeunes ?

Je ne nie pas que la France ait 400 000 jeunes en apprentissage, quand l’Allemagne en compte quatre fois plus, soit 1,6 million. Pour autant, l’apprentissage est-il la seule manière de réduire le chômage des jeunes ?

Abstraction faite de toute considération démographique et de l’apprentissage, pourquoi le chômage des jeunes est-il plus faible en Allemagne qu’en France ?

M. Christophe Caresche. Certains économistes, comme Jean Tirole, plaident pour un contrat de travail unique ; d’autres, comme Gibert Cette, pensent qu’il vaudrait mieux prévoir un socle commun d’obligations pour les entreprises, ce qui n’exclut pas certaines dérogations. Quelle est votre position à cet égard ?

M. Dominique Lefebvre. Le chômage des jeunes ne vient pas seulement du fait que les contrats soient trop rigides et la rémunération du travail, trop élevée. À Cergy, dont j’étais maire, et dont la moitié de la population, en grande partie issue de la diversité, a moins de trente ans, les jeunes qui ont fait des études supérieures se voient proposer des emplois au SMIC, qui ne correspondent pas à leur qualification. Seuls les contrats de formation en alternance permettent de décrocher un emploi. Une école d’ingénieurs, l’ITESCIA, obtient de bons résultats dans ce domaine.

M. Éric Straumann. L’Alsace compte 15 800 jeunes de moins de vingt-cinq ans sans emploi, tandis qu’en Allemagne, entre Offenburg et Fribourg, 4 500 places d’apprentis ne trouvent pas preneurs. Hélas ! Les jeunes Alsaciens ne parlent plus allemand, ce qui tient sans doute à l’évolution de l’Éducation nationale et à la disparition de l’alsacien dans les familles. En Autriche, aucun jeune de moins de vingt ans ne peut rester sans activité professionnelle. Pourquoi ne pas s’inspirer de ces dispositifs ? Il faut être pragmatique si l’on veut résoudre le scandale que représente le chômage des jeunes Français.

M. Guillaume Bachelay. Sur le terrain, une expérience régionale visant à anticiper à deux ou trois ans la cartographie des métiers en tension a prouvé l’intérêt de faire dialoguer la région, le rectorat et les branches professionnelles. Dans un cadre national qui demeure indispensable, quelle dimension territoriale faut-il donner aux politiques publiques de l’emploi et de la formation ?

M. Pierre Cahuc. On constate moins une substitution de l’emploi des seniors à celui des jeunes qu’une complémentarité entre l’un et l’autre. Les pays où le taux d’emploi des seniors est élevé sont également ceux où le chômage des jeunes est réduit. De manière plus générale, les mouvements démographiques ont peu d’effet sur le taux d’emploi. En 1962, l’arrivée de 400 000 personnes venant d’Afrique du Nord n’a presque pas modifié l’emploi des résidents. L’apparition d’une personne sur le marché du travail crée une demande, ce qui n’a pas d’effet négatif sur l’activité de ceux qui possèdent un emploi.

M. le président Gilles Carrez. Ce n’est pas ce que ressentent nos concitoyens. En 1880, dans un contexte de crise économique, des violences ont été perpétrées contre les Italiens, accusés de prendre le travail des Français. Je suis convaincu par vos arguments mais le rôle des responsables publics est d’apporter à ces questions des réponses compréhensibles par tous.

M. Pierre Cahuc. On a longtemps cru que la terre était plate, et plus personne ne le pense aujourd’hui. Je vous renvoie à un ouvrage que j’ai écrit avec André Zylberberg, Les Ennemis de l’emploi. Il se sert d’exemples simples et convaincants pour combattre les idées fausses.

L’effet de la démographie sur l’évolution du chômage est très marginal. Le taux élevé d’emploi des jeunes en Allemagne tient à deux facteurs. Le premier est l’apprentissage, qui agit sur le long terme. Le ratio entre le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans et celui des vingt-cinq à cinquante-cinq ans est de 1,3 à 1,4 en Allemagne, contre 2,5 en France. Le second facteur est la flexibilisation accrue du marché du travail, qui permet de multiplier les emplois à temps partiel ou peu rémunérés, que les jeunes peuvent cumuler avec des revenus de remplacement. En Allemagne, le nombre d’emplois industriels n’a pas augmenté depuis dix ans, alors que le secteur des services a créé des emplois peu qualifiés, qui ont offert des perspectives aux jeunes.

Selon une étude sur le taux d’emploi des jeunes, que j’ai réalisée avec Klaus Zimmermann pour le CAE, le coût du travail de 60 % des jeunes de moins de vingt-cinq ans employés en Allemagne et détenant un diplôme inférieur ou égal au baccalauréat est inférieur au SMIC français. On ignore quel effet l’introduction d’un salaire minimum aura sur cette situation, mais, pour l’instant, ces jeunes ne pourraient pas être employés en France à salaire égal.

M. Jérôme Chartier. L’Allemagne touche ainsi le bénéfice des réformes Hartz, qui ont modifié le marché du travail entre 2003 et 2005.

M. Pierre Cahuc. Elle profite aussi des effets bénéfiques de l’apprentissage.

M. Bruno Le Maire. Les négociations de branche qui se déroulent outre-Rhin sur le salaire minimum ne concernent pas les jeunes. Les Allemands partent du principe qu’un jeune qui vient de finir son apprentissage ne peut pas être embauché au SMIC.

M. Pierre Cahuc. Le meilleur moyen de réduire le chômage des jeunes est de concentrer les baisses de charges sur les bas salaires. Parce qu’il concerne une palette de salaires trop large, le crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi – CICE – n’aura qu’un effet très faible sur l’emploi. Il augmentera la rémunération des personnes qui gagnent plus de 1,5 SMIC, dont le taux de chômage, situé aux alentours de 5 %, est très faible. Il est dommage d’avoir employé 20 milliards d’euros sans cibler le dispositif, ce qui a réduit un d’autant les possibilités de création d’emplois.

Avec Stéphane Carcillo, j’ai étudié le dispositif « zéro charge », qui a réduit les cotisations de l’employeur entre 1 et 1,6 SMIC dans les petites entreprises. Nous avons observé comment évoluaient dans le temps les entreprises de plus et de moins de dix salariés. Il est apparu que 67 % des personnes embauchées grâce à ce dispositif avaient moins de vingt-cinq ans.

En matière de droit du travail, la voie est étroite, en raison d’une jurisprudence foisonnante et inventive de la chambre sociale de la Cour de cassation, qui fragilise toute tentative législative de modifier les modalités de rupture du contrat de travail. Une possibilité serait d’allonger la durée maximale des CDD ; une autre, de clarifier les modalités des licenciements pour raison économique, paradoxalement beaucoup moins nombreux que les licenciements pour motif personnel. La moitié des départs s’expliquent aujourd’hui par une fin de CDD, signe qu’on n’embauche plus en contrat à durée indéterminée – CDI. Pour clarifier le sujet, je travaille avec des juristes, notamment Jean-Emmanuel Ray.

En France, l’apprentissage fonctionne assez mal. Il existe plus de 500 000 formations en alternance – 410 000 contrats d’apprentissage et 150 000 contrats de professionnalisation – mais une particularité française veut que l’école et les régions aient la main sur l’apprentissage, alors qu’en Allemagne, en Autriche, au Danemark ou en Suisse, où le système fonctionne mieux, ce rôle revient aux partenaires sociaux et aux entreprises. Il n’est pas normal de laisser trop de place à l’État, mais celui-ci doit veiller à ce que les entreprises ne dispensent pas une formation trop spécifique, ce qui réduirait la possibilité pour les salariés d’aller trouver d’autres employeurs.

En France, du fait de l’obligation de passer par le rectorat et la région, les seules formations en alternance qui aient augmenté depuis quinze ans ont été montées dans le supérieur. L’exemple de l’école d’ingénieurs cité par M. Lefebvre est significatif. En Allemagne, les formations en alternance, qui sont des formations d’excellence, s’arrêtent au baccalauréat. On observe l’inverse dans les régions françaises : les organismes les plus dynamiques capables de monter des formations en alternance, les universités ou les écoles d’ingénieurs et de commerce utilisent l’argent public destiné à la formation des jeunes. C’est ainsi qu’un système qui devrait favoriser la formation des jeunes en difficulté profite en fait aux diplômés.

Le seul moyen de mettre fin à cette dérive est de changer la gouvernance du système. Il faut limiter le rôle prépondérant de l’école, qui ne s’intéresse pas à l’apprentissage, et dont les enseignants ne savent pas optimiser ce type de formation, pour redonner l’initiative aux entreprises. Dans la note destinée au CAE que j’ai rédigée en décembre avec Marc Ferracci, Jean Tirole et Étienne Wasmer, nous nous inspirons du système de formation professionnelle instauré en Allemagne par les réformes Hartz.

Nous proposons que les formations soient certifiées par des agences contrôlées par un organisme d’accréditation nationale, où seraient représentés les partenaires sociaux, l’école et le ministère du travail. Concrètement, si une entreprise ou une branche veut monter une formation en alternance, elle s’adresse à une agence et monte son dossier avec un centre de formation d’apprentis – CFA – ou une université. Ce dossier est ensuite visé par une agence chargée de son suivi, qui, au vu de certains critères, certifie la formation. Après trois à cinq ans, celle-ci doit recevoir l’accréditation d’une autre agence, ce qui évite toute collusion. Le système que nous proposons rencontre l’opposition de l’école et des régions. Tout est compliqué en politique. Reste que la France consacre près de 6 milliards d’euros à créer des formations en alternance, alors que le système n’a pas réellement de pilote sur le territoire national. J’ajoute que la segmentation en régions ne tient pas compte de la mobilité de la main-d’œuvre. Mieux vaudrait s’en remettre à des agences bénéficiant d’une vue plus large.

M. Jérôme Chartier. Les grandes écoles captent peut-être l’argent de la formation, mais elles encouragent la méritocratie en finançant les études d’élèves peu fortunés et limitent le recours aux bourses. Si l’on réoriente l’apprentissage vers la formation des personnes en échec scolaire, il faudra régler le problème du financement des frais de scolarité, que le système actuel permet de réduire.

M. Pierre Cahuc. Les études empiriques montrent que l’effet de levier lié à l’apprentissage est beaucoup plus important pour les personnes peu qualifiées. Cela dit, je conviens que les ressources de l’apprentissage constituent un mode de financement important pour les établissements d’enseignement supérieur. C’est le cas à l’École polytechnique comme à Sciences Po. Plus largement, je constate que la manière dont l’enseignement supérieur est financé ne favorise pas son efficacité.

Les jeunes qualifiés rencontrent des difficultés diverses pour obtenir un emploi. En France, les immigrés de la deuxième génération sont discriminés sur le marché du travail. Quand on change le prénom d’un candidat sur un curriculum vitae – en remplaçant par exemple Michel par Mohamed –, on divise par quatre les chances de recevoir une offre. À titre de comparaison, aux États-Unis, un Noir a 25 % de chances de moins qu’un Blanc de trouver du travail. Autant dire que notre pays discrimine très fortement les jeunes des banlieues, diplômés de l’enseignement supérieur.

La quasi-gratuité de l’enseignement supérieur incite les jeunes à choisir des formations qui n’offrent pas de débouchés sur le marché du travail. S’il leur fallait emprunter pour les suivre ou s’ils devaient solliciter des bourses remboursables, comme dans les pays scandinaves ou au Canada, ils choisiraient probablement d’autres filières. En outre, les formations seraient élaborées de manière différente. La difficulté qu’éprouvent les jeunes diplômés à entrer sur le marché du travail explique en grande partie leur sentiment d’échec. Reste que, statistiquement, les jeunes écartés de l’emploi sont en majorité peu qualifiés. C’est donc d’abord sur leur cas qu’il faut travailler.

Olivier Blanchard et Jean Tirole sont favorables au contrat de travail unique, pour lequel j’avais plaidé, avec Francis Kramarz, dans un rapport publié en 2004. Dans un monde parfait, il serait bon que l’employeur ait toute liberté de licencier, pourvu qu’il verse à l’employé concerné une somme proportionnelle à son ancienneté, ce qui permettrait de l’accompagner vers un nouvel emploi.

Le système a atteint ses limites, car les contraintes de formation et de reclassement sont inopérantes. Cependant, compte tenu de l’évolution de la jurisprudence, il est très difficile de revenir en arrière. La solution d’un socle minimum, prônée par Gilbert Cette, est intéressante. On peut aussi jouer sur plusieurs paramètres pour réduire la différence entre CDD et CDI, par exemple allonger la durée du CDD ou rendre les modalités de reclassement plus transparentes et plus sûres, comme le prévoit la « loi Macron ». Le service public de l’emploi doit aussi gagner en efficacité.

M. Alain Fauré. Le système actuel d’apprentissage est-il adapté à un pays où 96 % des entreprises emploient moins de vingt salariés ? Je regrette que les PME n’aient pas voix au chapitre, alors même qu’elles créent des emplois. Dans mon entreprise de vingt-deux salariés, je ne signe de contrats d’apprentissage qu’avec la ferme volonté de conserver les jeunes au-delà de cette période. Loin de chercher à les exploiter, je leur consacre du temps pour qu’ils deviennent plus efficaces. C’est dans cet esprit que s’inscrit l’apprentissage. Dès lors que les entreprises aident les jeunes à se construire en leur mettant les pieds à l’étrier, on devrait les laisser fixer la rémunération qu’elles peuvent offrir, en fonction des branches ou des métiers. Tant pis si je choque certains : je considère que notre système est trop rigide. Veut-on faire le bonheur des gens malgré eux ? Je regrette par ailleurs que le RSA, conçu comme un complément à un salaire, freine l’implication de l’employé dans le travail, et donne aux chefs d’entreprise la mauvaise attitude de rémunérer faiblement leurs salariés.

M. Pierre-Alain Muet. On peut difficilement atteindre deux objectifs avec un seul instrument.

Les allégements de charges sur les bas salaires favorisent l’emploi, mais je ne pense pas qu’il faille toucher à l’équilibre auquel différentes majorités, de droite et de gauche, sont parvenues tant bien que mal. J’entends dire, par ailleurs, qu’il faut étendre les allégements jusqu’à 3,5 SMIC pour toucher les salaires de l’industrie. Cela n’a pas de sens à mes yeux.

Par ailleurs, si l’on cherche à améliorer notre compétitivité, c’est non l’emploi qu’il faut prendre comme base, mais l’investissement ou l’innovation, comme on l’a fait à travers le CICE.

M. Pierre Cahuc. Dans l’industrie, baisser les charges sur les salaires reviendrait à augmenter les salaires. En France, la formation des salaires, liée à l’extension automatique des conventions collectives dans chaque branche, ne favorise pas l’éclosion de petites entreprises, qui pourraient grandir et devenir concurrentielles sur le marché mondial. Notre modèle, qui n’encourage ni l’emploi ni l’innovation, profite aux grandes entreprises bien installées, qui emploient des salariés les plus qualifiés.

Il est paradoxal que les petites entreprises qui, en France, emploient le plus d’apprentis – ce n’est pas le cas en Allemagne – ne participent pas à l’élaboration de l’apprentissage. Le dispositif que je préconise permettrait aux PME de se constituer en groupement et de proposer des projets. Dans le système actuel, il est difficile de monter de nouvelles formations et de remettre en cause celles qui ne sont plus adaptées. Des CFA maintiennent des formations obsolètes et coûteuses, qui ne profitent qu’à un tout petit nombre de personnes. Je l’ai dit : il faut remettre en cause la gouvernance, en limitant le rôle de l’Éducation nationale et des régions, et instaurer une certification des formations.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 18 février 2015 à 9 h 30

Présents. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Christian Estrosi, M. Alain Fauré, M. Marc Francina, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, M. Bruno Le Maire, Mme Véronique Louwagie, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, Mme Luce Pane, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier, M. Laurent Wauquiez

Excusés. - M. Gaby Charroux, M. Olivier Dassault, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Pierre Gorges, M. Laurent Grandguillaume, M. David Habib, M. Jean Launay, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Éric Woerth

Assistaient également à la réunion. - M. Philippe Noguès, M. Éric Straumann

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