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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 18 février 2015

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 67

Présidence
de M. Gilles Carrez,
Président

–  Audition de M. Patrick de Cambourg, dont la nomination aux fonctions de président de l’Autorité des normes comptables est envisagée par M. le Président de la République, puis vote sur cette proposition de nomination

–  Présences en réunion

La Commission entend M. Patrick de Cambourg, dont la nomination aux fonctions de président de l’Autorité des normes comptables est envisagée par M. le Président de la République.

M. le président Gilles Carrez. M. le Président de l’Assemblée nationale m’a demandé, en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, de lui faire connaître l’avis de la commission des Finances sur le projet de nomination de M. Patrick de Cambourg aux fonctions de président de l’Autorité des normes comptables, proposée par M. le Président de la République.

Je rappelle qu’en vertu de l’article 2 de la loi du 22 janvier 2009 créant l’Autorité des normes comptables – ANC –, le président de cette instance, « choisi en raison de ses compétences économiques et comptables », est désigné par décret.

En outre, ces fonctions figurent sur la liste des emplois et fonctions annexée à la loi organique du 23 juillet 2010, pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce dans les conditions fixées au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, à savoir un avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. L’article 1er de la loi ordinaire du même 23 juillet 2010 confie à notre Commission le soin d’organiser l’audition de la personne dont la nomination est envisagée.

Cette audition est publique, sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale, et ne peut avoir lieu moins de huit jours après que le nom de la personne dont la nomination est envisagée a été rendu public. De fait, M. le Président de la République a fait connaître le 10 février dernier qu’il envisageait de nommer M. de Cambourg en qualité de président de l’Autorité des normes comptables, suite au décès, en mai 2014, de Jérôme Haas.

La durée du mandat du président est de six ans, renouvelable une fois. Il est membre, ès qualités, de plusieurs collèges : celui qui supervise l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, celui de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, et celui du Conseil de normalisation des comptes publics, le CNoCP.

Je rappelle que les textes confient à l’ANC quatre missions : établir sous forme de règlements les prescriptions comptables générales et sectorielles que doivent respecter les personnes physiques ou morales soumises à l’obligation légale d’établir des documents comptables conformes aux normes de la comptabilité privée ; donner un avis sur toute disposition législative ou réglementaire nationale contenant des mesures de nature comptable applicables à ces personnes ; émettre, de sa propre initiative ou à la demande du ministre chargé de l’économie, des avis et prises de position dans le cadre de la procédure d’élaboration des normes comptables internationales ; veiller à la coordination et à la synthèse des travaux théoriques et méthodologiques conduits en matière comptable.

Ces missions sont exercées par un collège qui, outre son président, comprend quinze membres.

M. de Cambourg, il revient à la commission des Finances de vous entendre ce matin, et je précise que conformément à l’usage, vous avez préparé un curriculum vitae qui a été mis à la disposition de nos collègues. Votre audition sera suivie d’un scrutin. Celui-ci est secret et aura lieu hors votre présence.

J’indique à nos collègues que la commission des Finances du Sénat se réunira aujourd’hui même pour procéder à son tour à l’audition de M. de Cambourg. Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 29-1 de notre Règlement, le dépouillement du scrutin doit intervenir au même moment dans nos deux commissions.

M. Patrick de Cambourg. « La comptabilité est une science, une norme, et peut-être même, un art. » Ce n’est pas moi qui le dis, c’est votre Commission. Il s’agit en effet de la première phrase du rapport d’information présenté en 2009 par MM. Baert et Yanno. Cette citation me permet d’établir un pont symbolique, mais fort, entre un passé récent et le présent.

Permettez-moi quatre observations liminaires.

Tout d’abord, c’est un honneur et un privilège que de pouvoir faire avec vous aujourd’hui un point sur la normalisation comptable et ses enjeux. La matière est trop souvent considérée comme technique alors qu’elle a une indubitable dimension politique et sociétale. Au-delà de son caractère scientifique, normatif et « artistique », il y a une réalité économique et sociale, des entreprises, des femmes et des hommes. L’expertise n’a de sens que si elle est exercée dans l’intérêt de tous, déterminé et mesuré par les mécanismes démocratiques. Les échanges avec vous sont donc des temps forts qui permettent d’assurer le lien indispensable entre les attentes du législateur et le travail quotidien de l’Autorité des normes comptables.

Je souhaite ensuite naturellement saluer la mémoire de Jérôme Haas, décédé au printemps dernier à la suite d’une douloureuse maladie. Jérôme aura, par son talent et ses convictions, fortement marqué de son empreinte la comptabilité et la normalisation comptable, en France comme hors des frontières de l’Hexagone. Ses idées demeurent et demeureront très présentes dans tous les esprits. Jérôme, nous pensons à vous aujourd’hui.

Parler de Jérôme Haas, c’est aussi parler de l’ANC, dont il a été le premier président lors de sa mise en place en 2010. L’Autorité a su faire face avec brio à une éprouvante période d’intérim. Il faut saluer ici les présidents par intérim, le commissaire du gouvernement, les membres du collège, des commissions et des groupes de travail et bien sûr la directrice générale et les collaborateurs de l’ANC, qui ont fait preuve pendant cette période difficile d’un engagement sans faille et d’un très grand professionnalisme pour accomplir un travail de grande qualité.

Enfin, permettez-moi d’avoir une pensée pour Mazars et ses 800 associés dans le monde. Lorsque la question de ma candidature s’est posée, il a été unanimement considéré que mon éventuel passage de la sphère professionnelle à la sphère publique correspondait bien, après quatre décennies consacrées à la construction d’une organisation internationale indépendante, et dans le cadre d’une politique de succession préparée, à la volonté de l’organisation de faciliter la contribution à l’intérêt général qui sera la mienne si vous le jugez opportun. Je les en remercie.

Un curriculum vitae ayant été distribué aux membres de la Commission, je me limiterai donc à évoquer les convictions, les principes d’action et la méthode, qui m’ont animé et qui me guident dans les trois domaines qui constituent le cœur de mon expérience : l’exercice du métier d’auditeur et de conseil, la responsabilité entrepreneuriale, et la contribution à l’intérêt général. Je vous demande d’excuser par avance le fait que mes références ont une même origine en raison d’un parcours au service d’un seul et même projet.

La première conviction, la conviction première, c’est la force de la vision dans toute entreprise. Rien ne se fait sans vision de l’objectif à moyen et long terme : intuitive au départ, cette vision s’affine au fil du temps et des confrontations à la réalité. L’objectif fonde le projet, il est porteur de sens, il cristallise les énergies, il justifie et alimente la passion d’entreprendre. Vouloir créer, dans l’économie française, un acteur indépendant de l’audit et du conseil, libre de sa culture, de son organisation, de ses décisions, de sa contribution au développement de l’économie et de la société, n’avait rien d’évident dans un monde qui ne l’attendait pas. C’est l’intuition, la vision de son utilité à long terme, pour ne pas dire de sa nécessité, qui a présidé à la construction de Mazars, organisation aujourd’hui présente dans soixante-treize pays avec 14 000 collaborateurs. Inscrire l’action de l’ANC dans une vision partagée est et sera fondamental.

Qui dit moyen et long termes dit également patience dans la mise en œuvre, avec ses inévitables moments de déception, mais aussi ses moments fondateurs de succès et d’optimisme renouvelé. C’est le deuxième principe d’action auquel je suis attaché. Savoir garder le cap, même dans l’adversité, sans refuser cependant les leçons offertes par la réalité, est un vrai facteur de succès. La patience est à mes yeux une vertu cardinale dans la conduite de tout projet. L’ANC a déjà fait preuve de sa robustesse et continuera à le faire.

Ma troisième conviction, c’est la force du travail en équipe. Dans les disciplines fondées sur la production, la mise en œuvre et la gestion du savoir ainsi que la gestion des talents, très souvent hautement qualifiés, impliquent de privilégier un mode d’organisation plus horizontal que vertical. Ce mode d’organisation favorise l’initiative, l’esprit de projet, la responsabilité. L’animateur central, quant à lui, a la responsabilité d’être porteur de vision, donneur d’impulsion et chef d’orchestre. L’autorité ne rechigne pas à jouer son rôle, mais dans un cadre qui reconnaît à chacun sa place et sa contribution. Sa légitimité est plus faite d’expérience et de compétence que de prérogatives institutionnelles, c’est celle d’un primus inter pares. C’est ainsi que Mazars a pu rassembler et mettre en action les talents, à partir d’un partenariat international entre égaux, et d’une démocratie associative tournée vers la réalisation d’objectifs communs, le succès et la prospérité étant une conséquence et non une fin en soi. Cette force de l’équipe permet aujourd’hui de considérer avec sérénité l’évolution de l’organisation au-delà des femmes et des hommes qui la composent, quelle que soit leur contribution personnelle. L’ANC est avant tout au quotidien fédérateur et catalyseur d’énergies. Elle est donc parfaitement en adéquation avec ce principe du travail en équipe.

Qui dit travail en équipe dit force du dialogue. C’est mon quatrième principe d’action. Le jeu en équipe implique transparence et communication permanentes. Les grandes équipes sont celles dans lesquelles il n’est même plus nécessaire de se parler pour se comprendre. Toutefois, c’est si rare qu’il vaut mieux organiser le dialogue pour éviter les malentendus. L’animateur d’une organisation est bien sûr porteur de vision, mais il est au quotidien une plateforme de partage et un intégrateur de messages : il est sans cesse en réception et émission de signaux, des plus forts aux plus faibles, des plus pratiques aux plus conceptuels. Mon expérience dans la contribution à l’action publique, que ce soit au sein du Conseil national de la comptabilité – CNC – entre 1996 et 2006, à l’occasion du débat sur la loi de sécurité financière de 2003 ou de la réforme européenne de l’audit, me fait dire que le dialogue y est encore plus important que dans l’entreprise et que la capacité à écouter et à convaincre, dans un rythme qui est celui de la démocratie politique, est clef. L’ANC est et sera plateforme de dialogue.

L’excellence technique est naturellement essentielle. La qualité de l’analyse, l’innovation, la pertinence des solutions au regard de l’objectif ainsi que la capacité à les exprimer et les faire partager sont seules gages de succès. Il faut tout simplement être à la pointe du progrès, se situer parmi les meilleurs de la discipline considérée. Il n’est pas possible de se faire entendre et respecter si le fond n’est pas de grande qualité, si l’on ne fait pas jeu égal avec les autres experts. Cette crédibilité de compétence doit naturellement être un souci constant de l’ANC.

Enfin, l’action est plus pertinente si elle s’inscrit dans une démarche internationale. La France et l’Europe ont incontestablement un rôle important à jouer dans un monde en quête d’alternatives, multiculturel et multipolaire. J’ai eu la chance, lorsque je résidais à la Cité internationale universitaire de Paris, de m’ouvrir à l’international dans un cadre fondé sur le respect et la tolérance. J’ai ensuite conduit un patient développement international qui fait qu’aujourd’hui la France représente un quart des activités de Mazars et qui m’a valu de voyager beaucoup.

J’ai appris que la France ne peut sans doute pas imposer. Mais, quand elle est à son meilleur niveau et fidèle à sa riche tradition issue des Lumières, elle est incontournable par sa contribution, sa capacité à innover et inspirer, sa force de persuasion. Ce savoir-faire et ce savoir-être sont essentiels dans le monde d’aujourd’hui, il faut les faire fructifier. Inutile d’ajouter, car vous l’avez déjà perçu, que la dimension européenne est aujourd’hui, dans son inévitable complexité, une dimension clé. La France et l’Europe n’ont pas dit leur dernier mot – bien au contraire! – dans la normalisation comptable comme dans les autres domaines.

Veuillez me pardonner d’avoir puisé trop d’exemples à la même source, celle d’un parcours dans la durée sur un projet unique, mais passionnant. Mais je crois que cette expérience a forgé les convictions et les motivations que j’ai partagées avec vous et qui peuvent contribuer à la dynamique que porte l’ANC.

Maintenant, quels sont les enjeux de la normalisation comptable, quelle est la stratégie possible en la matière ?

Vous comprendrez que je ne puisse venir devant vous aujourd’hui avec une stratégie détaillée et une réponse à toutes les questions. Ce serait à la fois prématuré et contraire à la méthode que je viens d’évoquer, qui doit être empreinte de pragmatisme, d’écoute et de dialogue. Il y a cependant des lignes de force qui méritent d’être partagées ici.

J’identifie trois enjeux majeurs qui, en eux-mêmes, sont de nature à assurer un meilleur équilibre au plan international. Il s’agit de faire en sorte qu’à une forme de reflux européen, dont on connaît les causes, succède une période de flux et de contribution.

Le premier enjeu est européen. Il est important de tirer les leçons du passé et de faire vivre la normalisation à ce niveau particulièrement pertinent. L’Europe est forte lorsqu’elle parle d’une seule voix. Il ne s’agit nullement de revenir sur les décisions pragmatiques et bénéfiques de 2002, bien au contraire, mais de faire valoir ce que l’Europe a de meilleur en matière comptable. Comme souvent en Europe, une grande richesse et une grande diversité constituent un actif incontestable, mais il faut fédérer des ressources qui ne manquent pas. À court terme, il faut donc réussir la réforme institutionnelle toute récente de l’European financial reporting advisory group – EFRAG – et faire en sorte que l’ANC contribue pleinement à ce succès. Les normalisateurs nationaux, dont l’ANC, ont toute leur place. L’Union peut désormais exercer un contrôle sur le processus technique et sur la gouvernance : c’est le moment tant attendu par beaucoup d’observateurs. La patience est de rigueur mais l’occasion est excellente, ce d’autant plus que le processus de convergence entre les normes IFRS et US GAAP a eu les résultats que l’on sait. Les États-Unis conservent leur souveraineté en matière comptable, ce qui n’exclut nullement une fructueuse coopération.

Le deuxième enjeu est international. Il faut naturellement saluer l’exceptionnelle contribution, tant technique que géopolitique, de l’International accounting standards board – IASB – dans un monde qui a besoin d’un langage comptable le plus commun possible. Les acquis sont considérables. Pour l’anecdote, Robert Mazars était à Sydney en 1973 pour le lancement de ce qui était à l’époque une simple initiative de la profession comptable ! Que ce soit de manière bilatérale ou à travers le canal naturel de l’Europe, il convient maintenant d’établir et d’entretenir une relation de plain-pied et de confiance avec l’IASB. Celle-ci doit être naturelle, tant il est vrai que l’Europe est le premier utilisateur de l’IASB en raison de son choix fondateur de 2002. Le terme « utilisateur » ou « client », souvent employé, n’est d’ailleurs pas le plus approprié, car il doit s’agir plutôt d’une coconstruction dans l’intérêt de tous. Les questions relatives aux destinataires de l’information financière, au cadre conceptuel, à la primauté du bilan sur le compte de résultat, à la place de la juste valeur, à l’interprétation des normes doivent, entre autres, être abordées sans a priori et surtout le plus en amont possible : il n’est nul sujet qui ne puisse être abordé et traité de façon positive.

Le troisième enjeu est évidemment national. Il est essentiel, car les règles comptables guident la préparation des comptes individuels dont on sait l’importance économique, juridique, fiscale et pénale. Dans ce domaine des normes privées, l’ANC a été particulièrement active au cours de l’année écoulée : avec la nouvelle codification, à droit constant, du plan comptable général, les normes désormais codifiées applicables au secteur bancaire, aux OPCVM et à une partie des OPCI. Un gros travail est en cours ou reste à faire, notamment dans le secteur des assurances, des SCPI et des organismes à but non lucratif et sur certains points de fond. Il faut ainsi continuer à faire vivre de façon dynamique la normalisation nationale en la mettant au service, notamment, du développement économique.

Ces trois enjeux majeurs demandent une stratégie de positionnement. Porteur d’un nouvel élan, fondé sur la capitalisation des acquis, ce positionnement peut s’articuler autour de trois axes.

Il importe tout d’abord de confirmer et d’asseoir une véritable crédibilité de compétence, fondée sur la compréhension des mécanismes économiques, la prise en compte constante des apports de la pratique, une réflexion anticipatrice et une qualité d’écriture. À cet égard, les encouragements prodigués à la recherche comptable par l’ANC peuvent et doivent être amplifiés. Il y a dans notre pays des ressources que l’on peut mobiliser.

Il est nécessaire en deuxième lieu de développer un dialogue ouvert avec toutes les parties prenantes, sans a priori, ni polémique, pour faire vivre et partager analyses et, le moment venu, convictions.

Enfin, il faut développer une vision à moyen terme, tant au niveau européen qu’au niveau français. Une réflexion sur le cadre conceptuel est essentielle : elle est attendue par beaucoup, il faut la conduire à son terme et la compléter autant que de besoin. Les principes et choix fondamentaux, notamment le principe de prudence, doivent être examinés à la lumière de l’exigence de conformité à l’intérêt général, européen ou français.

Pour mettre en œuvre cette stratégie, il faudra accomplir un travail technique considérable. À l’échelon international, sont à considérer de façon prioritaire les normes IFRS 15, et IFRS 9, les contrats de location, l’assurance, le rôle de modèles ainsi que le cadre conceptuel. À l’échelon national, l’ordre du jour est à la transposition de Solvabilité II et de la directive comptable. On le voit, la tâche est d’ampleur. L’ANC doit donc jouer le rôle de pivot qui lui a été dévolu, en mobilisant autour d’elle toutes les énergies et en renforçant ses équipes permanentes, au sein desquelles quelques postes importants sont depuis peu vacants. L’ANC est une institution légère, une administration de mission et de projet ainsi qu’une plateforme de coopération qui trouve sa pertinence et son efficacité dans sa capacité de mouvement et son aptitude à fédérer. Je ne doute pas qu’une telle approche, conduite avec détermination et patience, puisse porter ses fruits.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie pour votre intervention dont la hauteur de vue et la préoccupation européenne et internationale méritent d’être soulignées.

En matière de comptabilité et de normalisation comptable, les parlementaires doivent reconnaître qu’ils ne disposent pas, sauf exception, des compétences nécessaires. Ces sujets nous paraissent parfois hermétiques alors qu’ils font partie des compétences stratégiques de notre commission. La crise financière de 2008 a été révélatrice : elle nous a fait prendre conscience des effets des normes IFRS. Nous avons alors décidé de confier une mission que vous avez évoquée à Dominique Baert et Gaël Yanno qui a donné lieu à un travail très intéressant.

À l’instar de la langue qui participe du rayonnement culturel d’un pays, le langage comptable contribue à son influence en matière économique. En aucun cas, nous ne devons négliger les enjeux de normalisation comptable. L’Europe cherche à reprendre la main face à la domination de l’IASB. La tradition comptable de notre pays est très influencée par la comptabilité publique. Grâce notamment à M. Michel Prada, un travail de convergence a été entrepris.

Je tenais à attirer l’attention de mes collègues sur l’importance que nous devions attacher aux normes comptables.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. La France a perdu la bataille des normes comptables tant les références américaines se sont imposées. Le mark-to-market a supplanté la fair value. Comment comptez-vous repositionner l’ANC pour que la France retrouve une influence ? Le précédent commissaire, M. Michel Barnier, avait pris des initiatives pour que l’Europe regagne du terrain face aux États-Unis sur les normes comptables, parfois avec succès. Qu’attendez-vous du Parlement français dans ce domaine ?

Dans le domaine bancaire, il est difficile de concilier les préoccupations prudentielles, qui justifient de constituer des réserves en prévision des mauvais jours, et les exigences comptables, qui demandent une valeur de marché instantanée et interdisent les réserves. La comptabilité sert à refléter la réalité à l’instant t sans se préoccuper du futur. Comment entendez-vous peser sur cet arbitrage difficile entre le besoin de réserves en cas de difficulté et la nécessité de donner aux investisseurs et aux marchés une vision juste, fiable et précise de la situation mais immédiate ?

Mme Karine Berger. Comment envisagez-vous le rôle des experts-comptables dans les mécanismes d’alerte sur l’évolution du bilan des entreprises, en particulier des banques et assurances ? Quel est votre de point de vue sur la situation du secteur assurantiel ?

Mme Véronique Louwagie. Je m’étonne de l’ordre que vous avez choisi pour la présentation des enjeux auxquels est confrontée l’ANC, dans laquelle l’international vient après l’Europe et avant la France. Est-ce à dire que vous établissez une hiérarchie entre ces enjeux ?

Vous avez évoqué un lien naturel avec le législateur. Il importe en effet que nous puissions nous approprier le langage comptable qui ne nous est pas familier, le président l’a rappelé. Comment envisagez-vous d’établir ce lien avec le Parlement ?

M. Dominique Lefebvre. Le processus de certification des comptes publics a été engagé au début des années 2000. La modification des méthodes comptables de l’administration est pour une part la conséquence de la transposition des normes comptables internationales qui s’applique également au secteur privé. La Cour des comptes participe aux débats internationaux sur la normalisation des référentiels de comptabilité publique. Quel est le rôle de l’ANC en la matière ? N’oublions pas toutefois, qu’en pratique, le ministère des Finances finit souvent par modifier opportunément une norme pour la mettre au service de la présentation des comptes.

M. Patrick de Cambourg. Votre incitation à mobiliser la tradition comptable française afin que la France joue son rôle plein et entier, sans excès de dogmatisme mais par une présence constructive, est particulièrement encourageante.

Le langage comptable doit s’inscrire dans notre tradition intellectuelle tout en tenant compte des apports de la réflexion au plan international mais il doit aussi répondre aux objectifs qu’on lui assigne. Ce langage doit-il s’adresser aux seuls investisseurs ou à un public plus large ? Il convient sans doute de réexaminer l’hypothèse selon laquelle en servant le besoin d’information de cette catégorie privilégiée, on répond à toutes les demandes. Il me semble que les choses sont plus compliquées que cela. L’équation n’est pas facile à résoudre.

Il est intéressant de revenir sur notre tradition qui doit beaucoup au secteur public, vous l’avez dit. Dans de nombreux domaines, en France, la règle est d’origine législative tandis que dans les pays anglo-saxons, la règle est d’essence contractuelle et émane de la pratique, faisant la part belle à l’autorégulation. Cependant, depuis les accidents de parcours que nous avons connus, en particulier la crise financière de 2008, la régulation semble s’être imposée.

Sur les trente propositions que contenait le rapport de MM. Baert et Yanno, certains sujets sont encore en discussion – le temps est plus long à cause du nombre de parties prenantes – et d’autres n’ont pas été traités. Parmi les questions réglées, certaines l’ont été de manière positive, d’autres dans un sens différent des préconisations du rapport. Le bilan est à la fois mitigé et encourageant. En tout état de cause, il reste beaucoup à faire.

Comment repositionner l’ANC ? Les pistes que j’ai esquissées sont fondées sur le dialogue, qui permet souvent d’aplanir les difficultés, et une relation de plain-pied et de confiance avec l’IASB. Il n’y a pas lieu à procès d’intention à son endroit. Vous faisiez allusion à la fair value, ou juste valeur, et au mark-to-market qui a beaucoup évolué vers le mark-to-model – quand les marchés ne sont pas liquides, il faut trouver une mesure de substitution, à savoir un modèle mathématique.

L’ANC doit jouer pleinement son rôle en France et en Europe. À cet égard, elle doit contribuer au succès de la réforme de l’EFRAG. Alors qu’il était jusqu’à présent un groupe technique, cet organisme a été doté d’une instance plus politique, le board, présidée par une personnalité désignée par la Commission. On sait également tout l’intérêt que porte le Parlement européen à la question comptable.

Nous devons nouer un dialogue permanent avec l’IASB, soit bilatéral, soit par le biais de l’EFRAG.

Quant à la période de reflux que j’ai évoquée, au début des années 2000, l’Europe n’avait guère le choix pour se doter d’un langage commun et échapper aux normes américaines. Le choix des normes internationales a été fait en 2002 et celles-ci ont été mises en œuvre à compter de 2005. C’était un choix pragmatique qui s’est avéré bénéfique ; il n’était pas glorieux mais logique et nécessaire ; il appelle aujourd’hui la mise en œuvre d’une nouvelle dynamique.

L’Europe, qui demeure la première zone économique mondiale, doit aujourd’hui être en mesure d’apporter une forte contribution, à condition de réussir à fédérer les différents acteurs. Pour ce faire, il importe d’abord que l’ANC fonctionne à plein régime et apporte sa pierre à l’édifice. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le commissaire Barnier lorsqu’il était en fonction. Il s’intéressait à la convergence avec les normes américaines et était curieux de voir si le processus allait aboutir. Nous savons désormais qu’en dépit de certains éléments de convergence, il n’y aura pas identité entre les normes. La discussion reste néanmoins ouverte.

La question sur les aspects comptable et prudentiel fait écho à une norme que j’avais proposée au début des années 2000. Elle était double : une partie ayant trait au provisionnement des risques avérés et l’autre, prospective, touchant au provisionnement dynamique des risques de crédit. L’idée, qui avait l’agrément de la Banque de France, était de considérer que dans tout instrument financier, il existe une marge qui couvre la prime de risque, qui ne constitue pas à court terme un résultat mais qui, de façon assurantielle, doit être mis de côté.

La comptabilité, dont les crises ont montré les limites, peut évoluer, tout comme le prudentiel. Toutefois, l’unicité des deux référentiels est complexe à envisager car il faut à la fois satisfaire le besoin d’une information pertinente – l’information comptable – et assurer la stabilité financière par des règles prudentielles savamment dosées – qui ne freine pas la contribution des activités bancaires au développement de l’économie mais ne crée pas des risques déraisonnables dans la sphère financière. Cet arbitrage est un sujet intéressant sur lequel beaucoup d’encre coulera encore.

Madame Berger, les experts-comptables ont une responsabilité en matière d’alerte, sur un fondement en grande partie légal. Nous ne sommes pas censés certifier les comptes si la continuation de l’exploitation n’est pas assurée. En outre, il existe une procédure d’alerte. La profession est l’observateur avancé des difficultés des entreprises. Je ne suis pas un spécialiste mais il me semble que le mécanisme joue globalement son rôle.

Quant au secteur assurantiel, mon sentiment général est qu’en France il est responsable. Il est composé de différentes familles dont les options de développement divergent – c’est normal. J’observe qu’il manifeste un souci sincère de la conformité. Le secteur se caractérise aussi par une solidité intrinsèque dont témoigne le faible nombre d’incidents de parcours. C’est dans ce cadre que le travail de normalisation comptable pour ce secteur a commencé. Il nous faut aujourd’hui intégrer les discussions au sein de l’IASB et en matière prudentielle pour que l’assurance française, dont les fondamentaux sont solides, puisse jouer pleinement son rôle.

Madame Louwagie, l’ordre dans lequel j’ai présenté les enjeux de la normalisation comptable n’avait pas vocation à être perturbant. La dimension nationale revêt une grande importance mais elle doit prendre en compte l’environnement international, y compris européen. Il ne faut voir dans ma présentation ni préférence, ni hiérarchie.

Quant au lien avec le législateur, le rapport de la Commission suggérait une communication annuelle. Sachez que je suis particulièrement ouvert à des échanges les plus réguliers possible tant il est vrai que la tendance est à considérer que la réglementation est autonome en raison de son caractère technique. Il faut pourtant l’inscrire dans le cadre des principes généraux fixés par le législateur.

Monsieur Lefebvre, je ne suis pas un spécialiste de la comptabilité publique. L’ANC est présente au sein du CNoCP. Je ne manquerai pas de revenir vers vous, une fois mes connaissances rafraîchies.

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Délibérant à huis clos, la Commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination envisagée de M. Patrick de Cambourg aux fonctions de président de l’Autorité des normes comptables.

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La Commission procède au dépouillement du scrutin, simultanément au dépouillement du scrutin sur cette nomination opéré par la commission des Finances du Sénat.

Les résultats du scrutin auquel il a été procédé sont les suivants :

Nombre de votants : 13

Bulletins blancs ou nuls : 1

Suffrages exprimés : 12

Avis favorables : 12

Avis défavorables : 0

La Commission a émis un avis favorable à la nomination de M. Patrick de Cambourg aux fonctions de président de l’Autorité des normes comptables.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 18 février 2015 à 10 h 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Romain Colas, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Laurent Grandguillaume, M. Razzy Hammadi, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, Mme Luce Pane, Mme Valérie Pécresse, Mme Monique Rabin, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. Gaby Charroux, M. Olivier Dassault, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. David Habib, M. Jean Launay, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Éric Woerth

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