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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 1er avril 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 74

Présidence
de M. Gilles Carrez,
Président

–  Audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, sur les sociétés de projet

–  Présences en réunion

La Commission entend M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, sur les sociétés de projet.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur le délégué général, nous vous avions auditionné en juillet dernier avec le chef d’état-major des armées et le secrétaire général pour l’administration sur l’exécution des crédits de la Défense pour 2013. La présente réunion s’inscrit en quelque sorte dans la prolongation de ces travaux, dans la mesure où elle est consacrée aux sociétés de projet, qui visent à compenser l’insuffisance envisagée de crédits budgétaires au regard des engagements pris dans le cadre de la loi de programmation militaire – LPM.

En effet, si notre Commission est très vigilante en ce qui concerne les dépenses et les économies, elle l’est aussi quant au respect de la LPM, tout particulièrement au regard de l’implication croissante de nos forces, tant à l’extérieur de notre territoire que sur notre sol. Nous souhaitons que cette programmation puisse être intégralement respectée dans le contexte que nous connaissons depuis une quinzaine d’années, pendant lesquelles nos armées ont déjà consenti des efforts considérables dans le cadre plus général de la réforme de l’État et au moment où il leur est demandé de mener des missions extrêmement difficiles. C’était le sens de l’audition du ministre de la Défense par notre Commission le 27 mai dernier.

Je rappelle que notre assemblée a adopté un amendement du Gouvernement insérant un article 50 A dans le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – autrement dit la « loi Macron ». Ce dispositif habilite le ministre de la Défense à « décider de procéder à l’aliénation de biens et droits mobiliers [...] qui continuent à être utilisés par ses services ou ont vocation à l’être, dans le cadre d’un contrat de location avec une société à participation publique majoritaire ».

La commission spéciale du Sénat a supprimé cet article mais, au-delà de ce vote, bien des questions demeurent. Je pense notamment aux propos du ministre des Finances, que nous avons entendu le 18 mars dernier sur les décisions européennes intéressant nos finances publiques, et qui a contribué à cette occasion à nourrir les interrogations suscitées par ce dispositif. Il a en effet indiqué qu’il « ferait tout » pour que les recettes de la vente de fréquences hertziennes soient perçues cette année, et également considéré que les sociétés de projet n’étaient que l’une des « solutions envisageables » pour compenser les 2,2 milliards d’euros manquants – sur 31,4 milliards d’euros de crédits prévus –, rappelant que ces solutions « présentent des avantages, mais pas celui de faire des miracles financiers » : en effet, leurs dépenses sont consolidées au sens des critères maastrichtiens.

Nous allons donc vous entendre avec beaucoup d’intérêt, monsieur le délégué général.

M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement. La loi de programmation militaire prévoit de mobiliser 31,4 milliards d’euros pour la mission Défense en 2015, comme cela avait déjà été le cas en 2014, 2013 et 2012. Les ressources ont été déclarées sanctuarisées à plusieurs reprises par le Président de la République, à la fois plus haute autorité de l’État et chef des armées. Sur ce total, 2,4 milliards d’euros sont constitués de ressources exceptionnelles, dont 200 millions d’euros correspondant à des ressources immobilières. Il reste donc 2,2 milliards d’euros directement imputables au programme 146 Équipement des forces, dont je suis coresponsable.

Une première question, de court terme, consiste à savoir comment mobiliser 2,2 milliards d’euros pour les équipements en 2015. À plus long terme, il faut également déterminer comment mobiliser des ressources exceptionnelles importantes dans les années à venir puisque, compte tenu des différents ajustements qui ont eu lieu dans le cursus de l’exécution de la LPM, il est prévu 1,7 milliard d’euros de recettes extrabudgétaires pour le programme 146 en 2016, 1,5 milliard d’euros en 2017, 300 millions d’euros en 2018 et 145 millions d’euros en 2019. Sur la période 2015-2019, on aboutit à un cumul de 5,7 milliards d’euros de recettes extrabudgétaires à mettre en place au profit du programme 146.

Plusieurs dispositifs avaient été envisagés, en particulier la cession des fréquences utilisées par la télévision numérique terrestre – TNT –, dont le produit devait être affecté au programme 146. Cette vente pose plusieurs problèmes.

Premièrement, elle ne pourra avoir lieu avant la fin de l’année 2015, dans des conditions ne permettant pas à la direction générale de l’armement – DGA –, service dépensier de l’État, de récupérer les crédits de paiement et de les dépenser utilement en 2015.

Deuxièmement, il était initialement prévu d’affecter les recettes résultant de cette vente au compte d’affectation spéciale – CAS – Fréquences, qui prévoit l’éligibilité d’un certain type de dépenses à la consommation de ces recettes. Or, la DGA considère qu’elle ne pourra pas dépenser plus de 900 millions d’euros par an au titre du CAS Fréquences de manière légitime, à moins de de réimputer des dépenses antécédentes non imputées – une procédure à laquelle nous avons recouru par le passé, mais qui est extrêmement lourde, car elle impose d’aller rechercher des factures, de les désaffecter puis de les réaffecter.

Troisièmement, la vente doit s’effectuer selon une procédure de mise aux enchères, ce qui implique que le prix de cession ne puisse être connu à l’avance. Les candidats potentiels à l’acquisition sont en nombre restreint et, si les opérateurs de téléphonie sont très intéressés par les fréquences utilisées par la TNT, parfaitement adaptées au développement de leurs réseaux, la plupart de ces sociétés sont encore lourdement endettées en raison des investissements réalisés par le passé ; il faudra donc que les conditions de la concurrence soient suffisamment bonnes pour que les recettes soient à la hauteur de ce que l’on en espère. J’estime personnellement qu’il sera difficile de dépasser une recette de 3 milliards d’euros pour la vente des fréquences de la TNT, ce qui laisse un écart important par rapport aux 5,7 milliards d’euros de recettes exceptionnelles que nous recherchons.

Dans un premier temps, le ministère de la Défense s’est d’abord intéressé aux solutions de court terme, proposant au Président de la République de recourir au dispositif des sociétés de projet, seule solution qui paraisse susceptible d’être mise en œuvre – à part celle consistant en l’ouverture de crédits budgétaires, a priori rapidement écartée. L’idée des sociétés de projet a donc été approuvée, et le Président de la République a demandé à plusieurs reprises au ministre de la Défense de la mettre en œuvre, notamment lors de la présentation de ses vœux aux armées, faite sur le porte-avions Charles de Gaulle le 14 janvier dernier.

Le processus de mise en œuvre des sociétés de projet est connu. Il consiste à créer des sociétés dédiées à l’acquisition et à la location d’équipements déjà commandés ou acquis par le ministère de la Défense. L’État cède à ces sociétés la propriété des équipements, qui sont alors loués au ministère de la Défense. Évidemment, l’État peut racheter à tout moment ces équipements pendant la durée de location, c’est-à-dire dénouer les contrats de location de la même manière que l’on peut défaire un contrat de location avec option d’achat dans le domaine de la vente d’automobiles aux particuliers. Le dispositif législatif nécessaire est prévu par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », qui, à l’article 50 A, permettra de mobiliser les crédits nécessaires.

En l’état actuel des choses, il est prévu de créer deux sociétés de projet, l’une consacrée à trois frégates multimissions – FREMM – devant être livrées à la marine dans les années 2015-2017, l’autre correspondant à quatre avions de transport militaire airbus A400M devant être livrés à l’armée de l’air dans les années 2016-2017.

L’ensemble des services associés, notamment le maintien en condition opérationnelle – MCO –, la formation, les assurances, reste strictement du domaine du ministère de la Défense. Aujourd’hui, il est prévu que, pour la constitution de ces sociétés, il soit fait appel exclusivement à des capitaux publics, provenant de l’Agence des participations de l’État – APE : elle devra utiliser son compte d’affectation spéciale, éventuellement abondé par des ventes supplémentaires, afin de doter ces sociétés en capital. De telles dépenses ont, à partir du moment de la livraison des matériels concernés, un impact maastrichtien qui sera toutefois limité dans le temps, et devrait s’effacer progressivement lors de la vente des fréquences hertziennes.

Nous sommes placés dans l’obligation de trouver des crédits de paiement afin de ne pas alourdir le report de charges pour le programme 146, qui s’élèvera fin 2015, si l’intégralité des ressources est au rendez-vous, à environ 2,35 milliards d’euros – ce qui est considérable – pour des dépenses annuelles d’équipement des armées de l’ordre de 10 milliards d’euros. Cette situation nous a conduits en 2014 à cesser les paiements à la fin du mois d’octobre.

L’objectif est clair : il consiste à ce que nous soyons en capacité de payer nos fournisseurs. Comme je le disais, nous avons arrêté de les régler fin octobre en 2014, ce qui nous a conduits à prendre certaines dispositions afin de ne pas mettre à mal la trésorerie des PME, que nous avons payées prioritairement jusqu’à la fin de l’année – nous avions gardé une petite réserve à cette fin –, mais ce sont là des processus assez largement dérogatoires par rapport à ce qui est l’usage pour un service dépensier.

Si les recettes exceptionnelles, qu’elles proviennent des sociétés de projet ou de la vente des fréquences, n’étaient pas au rendez-vous en 2015, notre report de charge dépasserait les 4 milliards d’euros, ce qui est énorme : nous atteindrions une proportion très élevée des dépenses correspondant à des équipements classiques – hors nucléaire – et serions en situation de paiement dès fin août ou début septembre, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Certains souhaiteraient recourir au report de charges comme s’il s’agissait d’une méthode de gestion, ce à quoi je ne suis pas favorable en tant que DGA, dans la mesure où il pèse terriblement sur la trésorerie des entreprises.

En résumé, j’ai besoin de 2,2 milliards d’euros en 2015, de 1,7 milliard d’euros en 2016, etc., comme je l’ai dit précédemment, et il faudra bien trouver une solution pour cela.

M. François Cornut-Gentille, rapporteur spécial des crédits de la Défense pour les crédits relatifs à la Préparation de l’avenirJe vous remercie pour votre présence, monsieur le délégué général, qui va nous permettre de faire le point sur une question donnant lieu à des rumeurs suscitées par le manque de vraies informations. Certains voient dans les sociétés de projet la solution miracle à toutes nos difficultés, tandis que d’autres restent plus prudents devant les perspectives qu’elles ouvrent.

Il me semble que vous nous avez livré une version « communiqué de presse » de l’état des lieux, consistant à dire que les sociétés de projet sont à l’ordre du jour depuis les vœux du Président de la République. Or, vous savez très bien qu’un certain nombre de sociétés françaises ont commencé à évoquer les sociétés de projet dès 2012 et que la DGA a elle-même finalisé un premier projet en la matière en février 2014 – ce qui veut dire que vous travailliez déjà sur le sujet courant 2013. Par ailleurs, lors d’une conférence de presse qu’il a tenue le mois dernier, le ministre de la Défense nous a expliqué que, lors d’une première étape, les sociétés de projet ne pourraient être que des sociétés publiques, mais qu’une seconde étape ouvrirait ce dispositif aux sociétés privées. M. Le Drian ne parle pas à la légère, et devait disposer d’éléments tangibles pour lancer cette affirmation. Les sociétés de projet étant beaucoup plus avancées que ce que l’on nous en dit, j’aimerais que vous nous donniez des éléments précis à leur sujet.

Le ministre de la Défense ne semble pas très enthousiaste au sujet de ces sociétés, évoquant des inconvénients l’obligeant à étudier d’autres solutions – des mots qui me paraissent lourds de sens. Quels sont ces inconvénients – pas seulement dans l’optique maastrichtienne – et, dans la mesure où la DGA continue à étudier le projet, quelles sont les solutions vous permettant de penser que l’on peut passer outre ?

Par ailleurs, le projet semble évoluer au gré des interventions des uns et des autres. Alors qu’on nous expliquait naguère qu’il fallait y voir la seule façon de pallier l’absence de recettes exceptionnelles, on nous dit aujourd’hui que cela ne réglera pas complètement le problème, mais qu’il faut le faire tout de même. Par ailleurs, alors qu’il ne devait s’agir que de sociétés publiques, le ministre nous dit que les schémas des années à venir pourront intégrer des capitaux privés. Enfin, la solution des sociétés de projet se justifierait, nous dit-on, par le fait qu’elles faciliteraient l’export. Bref, le projet paraît déjà beaucoup plus avancé que ce que l’on nous dit, comme le montrent les explications que l’on nous donne au fur et à mesure.

Enfin, j’aimerais que vous nous précisiez le périmètre exact des services. Vous nous dites que ce n’est pas le MCO, mais il est tout de même question d’une externalisation du MCO ou d’une partie de celui-ci. Si je ne suis pas forcément opposé à cette idée, je souhaite savoir si vous disposez d’études vous permettant de considérer que les sociétés de projet feraient mieux pour moins cher que les services intégrés des armées. Ce qui ne saurait convenir à la représentation nationale, c’est l’impression qu’elle peut avoir par moments de devoir suivre le mouvement qu’on lui impose, sans être clairement informée. Disposez-vous d’éléments techniques et financiers qui nous permettraient d’y voir plus clair, et surtout d’apprécier si le fait d’autoriser des sociétés privées à entrer dans le capital serait vraiment intéressant ?

Comme par hasard, les deux équipements concernés par les premières sociétés de projet sont des FREMM et des A400M – justement les programmes ayant le plus dérivé au cours des dernières années. On peut donc se demander si tout cela ne constitue pas une énième tentative de « bricoler » ces programmes pour trouver des solutions de fortune – je veux croire que ce sont là de mauvaises pensées de ma part, mais je serais plus rassuré si vous me le disiez vous-même.

Dans la mesure où les matériels concernés constituent des équipements majeurs de notre armée, pouvez-vous nous préciser quelle est l’implication des états-majors, et quel est leur avis sur les sociétés de projet et leur montage ? Si des sociétés privées devaient être intégrées au dispositif, n’y aurait-il pas des conflits d’intérêts ? Je trouve un peu étrange qu’une société rachète un équipement à l’État avant de le lui louer avec un service supplémentaire. Dans la mesure où l’on réfléchit aux sociétés de projet au moins depuis 2012, pouvez-vous nous dire qui travaille sur ce dossier à la DGA, à Bercy et au ministère de la Défense ? Quels sont les conseils extérieurs – des sociétés de conseil, banques, etc. – sur lesquels s’appuie l’État pour monter ces projets ? Enfin, dans l’hypothèse où le Parlement réserverait un mauvais sort à la « loi Macron » et où vous n’auriez pas la possibilité juridique de recourir aux sociétés de projet, quelle serait votre solution de remplacement ?

M. Dominique Lefebvre. Il est un arbitrage que les députés de la majorité ont l’intention de respecter : celui relatif au montant global du budget militaire des investissements à réaliser. C’est bien pourquoi la solution des sociétés de projet figure dans la « loi Macron » – qui arrivera à son terme législatif, je rassure notre collègue Cornut-Gentille sur ce point. Pour moi, elle n’est là qu’à titre de précaution, c’est-à-dire pour le cas où il se révélerait impossible de mettre en œuvre une autre solution, plus économe des deniers publics.

De ce point de vue, vous avez indiqué, monsieur le délégué général, que la vente des fréquences posait problème en termes de délais comme de montant. Hier, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – ARCEP – a publié une note de synthèse posant les termes du débat et précisant que l’attribution définitive des fréquences aux opérateurs interviendrait en décembre 2015. Si rien n’est acquis en la matière, rien n’est impossible non plus.

Par ailleurs, il y a des débats entre les ministères, et la commission des Finances peut légitimement se poser la question du coût comparé des différentes solutions. Dès lors que les deux solutions sont équivalentes en termes de coût maastrichtien, on peut se demander s’il ne serait pas plus avantageux de procéder par inscription de crédits budgétaires.

Ou bien nous sommes confrontés à une incertitude en matière de ressources budgétaires, du fait des interrogations portant sur les 5,7 milliards d’euros de recettes exceptionnelles qu’il faudra trouver, ou bien nous choisissons d’engager une réflexion plus approfondie visant à élaborer un modèle différent remettant en cause l’ensemble de nos conceptions actuelles en matière d’équipement militaire, y compris sur le plan industriel. J’ai lu avec attention la lettre que le Premier ministre a envoyée à Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, par laquelle il indique que la « loi Macron », en cours de discussion, doit permettre de mettre en œuvre les sociétés de projet, et que rien n’interdit d’examiner d’autres hypothèses, l’essentiel étant qu’il ne soit pas porté atteinte à la LPM.

M. Jean-François Lamour. Quand vous dites que le dispositif des sociétés de projet – SDP – est simple, nous aimerions vous croire, monsieur le délégué général, mais force est de constater que nous avons du mal à y voir clair. Lors du débat sur la « loi Macron », j’avais déposé un amendement visant à ce que le Gouvernement présente un rapport sur ces sociétés, et nous verrons bien ce que la loi prévoira à ce sujet à l’issue de son passage devant le Sénat.

Quel intérêt y a-t-il pour le budget de la Défense – et, plus largement, de l’État – à mettre en place un dispositif dont on sait qu’il est consolidé dans la dette au sens maastrichtien ? N’aurait-il pas été préférable, comme le proposait le rapport Charpin, de faire de la DGA un opérateur pouvant recourir au programme d’investissements d’avenir – PIA –, et avez-vous personnellement soutenu cette option ?

Lors de son audition au Sénat, le ministre de la Défense a communiqué les chiffres relatifs à la capitalisation des sociétés : 1,68 milliard d’euros pour les FREMM et 560 millions d’euros pour les A400M. Les SDP devant voir le jour en juin-juillet 2015, vous en avez sans doute évalué le coût global de fonctionnement : pouvez-vous nous le préciser ?

Vous avez indiqué que la DGA ne pourrait pas consommer plus d’un milliard d’euros par an au titre du CAS Fréquences afin d’abonder le programme 146. Pouvez-vous nous préciser pourquoi ?

Enfin, vous avez indiqué le délai nécessaire à la mise à disposition des matériels attendus : 2015-2017 pour les FREMM et 2016-2017 pour les A400M. Est-ce à dire que les SDP vont voir leur capital monter progressivement en puissance pour financer l’acquisition de ce matériel, et que pour l’année 2015, vous n’allez pas capitaliser les deux sociétés à hauteur de 1,68 milliard d’euros ? En procédant de la sorte, vous rompez le principe selon lequel 31,4 milliards d’euros sont consacrés annuellement à l’équipement des forces, et consacrez celui du report de charges d’un exercice budgétaire à l’autre.

M. Philippe Vigier. Monsieur le délégué général, tout le monde s’accorde sur la nécessité d’assurer le financement des 31,4 milliards d’euros prévus par la LPM. Je veux cependant souligner que les opérations extérieures – OPEX –, initialement calibrées à 450 millions d’euros, se solderont par un surcoût d’un peu plus d’un milliard d’euros cette année, et que la plus grande incertitude règne pour les années à venir. Par ailleurs, le plan Vigipirate, prévoyant le renfort de 10 000 militaires, devrait coûter à lui seul un milliard d’euros. Nous devons donc avoir conscience du fait que ces deux dépenses vont venir s’ajouter aux 2,4 milliards d’euros sur lesquels il semble que nous soyons d’accord.

Quant au courrier récemment adressé par le Premier ministre à Jean-Pierre Raffarin, il ne dit rien de l’état d’avancement du dossier des sociétés de projet et il semble que Bercy n’ait aucun élément à apporter non plus sur ce point.

Savez-vous quels taux doivent être pratiqués par les SDP ? Disposer d’informations précises sur ce point est en effet nécessaire à la consolidation de la dépense, et à sa comparaison avec celle résultant d’autres solutions.

Dans le cadre de la « loi Macron », Jean-François Lamour avait déposé un amendement affirmant un principe essentiel, à savoir le fait que l’État devait détenir une participation à 100 % dans le capital des SDP. Est-il actuellement envisagé que d’autres acteurs, tels la Banque publique d’investissement, la Caisse des dépôts et consignations, ou encore certains industriels de l’armement, puissent entrer au capital de ces sociétés, le cas échéant à quelle hauteur ? Si des investisseurs privés doivent intervenir, il est important de faire en sorte d’éviter tout conflit d’intérêts ultérieur.

Mme Véronique Louwagie. Nous avons bien compris que l’objectif que vous poursuivez est d’obtenir des crédits de paiement – 2,35 milliards d’euros pour 2015 et 1,68 milliard d’euros pour 2016 –, mais je voudrais revenir sur le débat qui a lieu actuellement entre le ministère des Finances et celui de la Défense quant à la pertinence du système envisagé. Michel Sapin n’a pas caché sa circonspection, affirmant que « les sociétés de projet présentent aussi un certain nombre d’inconvénients et [qu’] il n’est donc pas interdit de s’interroger sur d’autres solutions ». Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces autres solutions ?

Par ailleurs, il est probable que la « loi Macron » ne sera pas promulguée avant l’été, ce qui laissera très peu de temps pour mettre en œuvre les SDP avant la fin de l’année. Dans ces conditions, serez-vous en mesure d’atteindre l’objectif que vous vous êtes fixé, ou considérez-vous que le court délai dont vous allez disposer présente un risque ?

M. Pierre Lellouche. Je sais votre passion pour la Défense nationale, monsieur le délégué général, et rien de ce que je vais dire ne doit être pris comme une attaque à votre encontre. Je suis très inquiet de voir que nous nous apprêtons à recourir à un système tenant de la cavalerie financière. Je reviens d’une mission au Sahel, où j’ai pu constater à la fois l’excellence de nos forces et l’extrême difficulté de leur mission.

Il me paraît évident que nous allons exploser le plafond que constituent les 31,4 milliards d’euros de budget de la défense. Le dépassement lié aux OPEX atteindra au moins 1,2 milliard d’euros – encore s’agit-il d’une évaluation a minima, car l’opération Chammal, impliquant le porte-avions Charles de Gaulle et son groupe aéronaval, va coûter très cher. Il faut y ajouter le coût du plan Vigipirate, prévoyant le renfort de 10 000 militaires, et tenir compte de l’absence des recettes exceptionnelles qui étaient attendues ainsi que des reports de charges. Au total, ces charges supplémentaires vont dépasser les 8 milliards d’euros, ce qui représente la totalité des achats d’équipements de l’armée française – hors nucléaire – pour une année.

Face à ce qui constitue une véritable impasse, le Gouvernement doit reconnaître que nous n’avons plus les moyens de rester dans l’épure de la loi de programmation militaire, et en tirer les conséquences soit en lançant un emprunt national pour la Défense – ce qui peut se justifier au regard de la situation exceptionnelle que nous connaissons, marquée notamment par une montée en puissance de la menace terroriste –, soit en reconnaissant la nécessité de réviser la LPM. À défaut, il ne reste qu’à essayer de trouver des rustines pour préserver tant bien que mal le fonctionnement de la défense de notre pays : le système des sociétés de projet, évoqué depuis plusieurs mois par le ministre de la Défense, me semble s’apparenter à cela. J’ai envie de dire que vous nous présentez le projet d’une défense Cofidis ou Cofinoga.

Or, nous ne devons pas faire abstraction du fait que cette solution repose sur le recours à des crédits extrêmement coûteux. En conséquence, il nous faut nous demander s’il ne serait pas préférable soit de renoncer à l’acquisition de ces armes, soit de mettre en œuvre d’autres méthodes pour les financer. S’il existe une catégorie de personnes adorant l’idée des SDP, ce sont bien les banquiers et les financiers, qui voient dans les montages à venir une occasion de gagner beaucoup d’argent – ce qui ne sera pas le cas pour le contribuable.

Enfin, autant l’hypothèse des SDP me paraît désastreuse pour le budget de l’État, autant elle me paraît envisageable à l’export, pour faciliter le financement de matériels coûteux à l’exportation – de nombreux pays y ont d’ailleurs recours. Je répète que je suis extrêmement sceptique à l’égard d’un dispositif servant avant tout à masquer les conséquences de l’absence de décision politique sur certains choix majeurs en matière de défense et que, si nous ne parvenons pas à financer les dépenses exceptionnelles auxquelles nous devons faire face – résultant aussi bien des opérations extérieures Chammal et Barkhane que du plan Vigipirate –, nous ferions mieux de le dire clairement aux Français et de revoir la loi de programmation militaire, plutôt que de permettre des constructions financières qui ne sont pas porteuses d’avenir pour notre Défense nationale.

M. le président Gilles Carrez. Vous avez indiqué, monsieur le délégué général, que les capitaux des sociétés de projet seraient exclusivement publics, du moins dans un premier temps. Or, il me semblait avoir compris que l’un des intérêts de recourir aux sociétés de projet était de permettre la mobilisation de capitaux privés. Pour ce qui est des capitaux publics, l’article 21 de la loi organique relative aux lois de finances permet de prélever des crédits sur le compte d’affectation spéciale retraçant le produit des ventes de participations par l’APE pour les affecter au budget général. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’une loi de finances – mais ce n’est pas un problème, puisque nous aurons sans doute une loi de finances rectificative en juin ou juillet.

Par ailleurs, je rappelle qu’il y a plus de dix ans, nous parlions déjà – précisément au sujet des FREMM et des A400M – de partenariats public-privé, ce qui n’est pas très éloigné des SDP. La question des surcoûts – liés au financement du crédit, mais également aux commissions et à la présence d’intermédiaires – avait alors été évoquée, suscitant la méfiance du rapporteur général que j’étais, ainsi que de l’ensemble de la commission des Finances.

M. le délégué général pour l’armement. Pour répondre à la première question de M. Cornut-Gentille, le principal inconvénient de recourir aux sociétés de projet est très clair : cela entraîne un surcoût, dont le montant ne peut être évalué pour le moment car il dépend de plusieurs facteurs. Le coût de fonctionnement de ces sociétés devrait être extrêmement faible, ne serait-ce qu’en raison de leurs besoins très réduits en matière de personnel : il leur suffit d’un président et d’un directeur général, tous deux à temps partiel, l’essentiel étant que quelqu’un dispose de la personnalité juridique pour signer les marchés. Ce qui va coûter cher lors de la constitution, c’est la rémunération du capital et les assurances. Dans un premier temps, les SDP seront constituées de capitaux exclusivement publics. Leur rémunération peut être très variable : si Bercy vise assez haut, la DGA est plus modeste, envisageant des taux plus proches de ceux auxquels on peut actuellement lever des fonds sur le marché que de ceux rémunérant le capital de sociétés privées rentables – je pense notamment à une société aéronautique bien connue établie à Saint-Cloud. Ces coûts vont évidemment se traduire par une hausse de la dépense publique. En fait, on va transformer ce qui était un don – les crédits budgétaires – en un prêt, ce qui a un coût.

Le deuxième inconvénient des SDP, c’est la rigidité dans la programmation, qui s’inscrit dans une durée pouvant aller jusqu’à quinze ans – on peut décider, par exemple, d’aller jusqu’à la première intervention majeure visant à rénover une frégate. Une chose est sûre : plus cette durée sera longue, plus le coût de récupération des matériels sera élevé. Un cercle vicieux risque alors de créer, nous obligeant à chercher des recettes exceptionnelles pour payer les recettes exceptionnelles, ou ne serait-ce que pour racheter les matériels à la sortie.

M. Jean-François Lamour. Je trouve qu’il y a une incohérence dans le modèle des SDP que vous nous exposez. Alors que vous nous dites que leur durée de vie pourrait être d’une quinzaine d’années, le ministre de la Défense a déclaré, lors de son audition au Sénat, que « lors de la vente des fréquences, ces sociétés seront supprimées, l’une après l’autre ». Faut-il en déduire que les fréquences ne seront pas vendues avant quinze ans ?

M. le délégué général pour l’armement. J’ai dit tout à l’heure que le programme 146 avait besoin de 5,7 milliards d’euros de recettes extrabudgétaires sur la période de programmation 2015-2019. Selon mon estimation personnelle, la vente des fréquences rapportera environ 3 milliards d’euros, ce qui laisse une différence à combler : c’est là que les Special purpose vehicles sont, à mon sens, susceptibles d’avoir un rôle à jouer, fût-ce de manière temporaire, comme l’indique le ministre. Si la LPM est évidemment connue depuis le départ, l’accroissement de son exécution de 600 millions d’euros par an, qui n’était pas prévue, nous oblige à trouver 5,7 milliards d’euros de recettes exceptionnelles pour la période 2015 à 2019.

M. Éric Woerth. Si les capitaux publics des sociétés de projet sont consolidés au sens maastrichtien, pourquoi choisir cette solution plutôt qu’une autre ? À quoi cela va-t-il servir ?

M. François Cornut-Gentille. Si la durée est indéterminée, si les surcoûts sont élevés et si cette bizarrerie que sont les sociétés de projet ne permet même pas de régler tous les problèmes, je ne comprends pas que l’on nous présente cela comme la seule solution.

M. le délégué général pour l’armement. Il aurait certainement été plus simple de ne pas avoir recours, dès l’origine de la LPM, à des ressources exceptionnelles, mais uniquement à des crédits budgétaires. Force est de constater que cela n’a pas été le cas, et que Bercy ne semble pas disposé à accorder à la Défense l’inscription de crédits budgétaires. C’est pourquoi la position du ministre de la Défense est actuellement de recourir aux SDP.

M. le président Gilles Carrez. Si le ministère des Finances ne veut pas entendre parler de crédits budgétaires, le Gouvernement est tout de même prêt à mettre en place des crédits publics provenant d’un compte d’affectation spéciale, Participations financières de l’État. Cela dit, dès lors que le principe de financer les SDP exclusivement par des fonds publics – au moins dans un premier temps – est admis, il semblerait plus logique de rattacher ces crédits directement au budget général de l’État, ce qui est tout à fait permis par la LOLF.

M. Pierre Lellouche. Et moins cher !

M. le délégué général pour l’armement. Je ne pense pas que ce soit permis par la LOLF.

M. le président Gilles Carrez. Le II de l’article 21 prévoit que « sauf dérogation expresse prévue par une loi de finances, aucun versement au profit du budget général, d’un budget annexe ou d’un compte spécial ne peut être effectué à partir d’un compte d’affectation spéciale ». Il est donc tout à fait possible de procéder, dans le cadre d’une loi de finances, au transfert de crédits du CAS Participations financières de l’État au programme 146.

On a d’ailleurs bien introduit dans la « loi Macron » une disposition – complexe, au demeurant – visant à permettre ce type de montage. Si l’on ne peut le faire par décret d’avance, on peut parfaitement le faire dans le cadre d’une loi de finances.

M. le délégué général pour l’armement. Il est possible de recourir à d’autres dispositions, consistant notamment à vendre des participations de l’État pour le désendetter et couvrir des crédits budgétaires. Pour le moment, nous n’en sommes pas là et, en ce qui me concerne, je me contente de suivre les directives de mon ministre en travaillant sur les SDP.

M. le président Gilles Carrez. Il existe également un problème en matière de trésorerie, de décaissement au sens budgétaire. Cela dit, le montage envisagé pour les SDP prévoit un décaissement de même nature : il faudra en effet vendre des participations pour abonder le capital de ces sociétés. Du point de vue de la comptabilité budgétaire de l’État, cela se traduit exactement par les mêmes conséquences que l’affectation au budget général.

M. Éric Woerth. Je m’étonne qu’il paraisse n’exister aucune autre solution.

M. Jean-François Lamour. Tout ce que propose le Gouvernement, c’est de ne pas payer les 2,2 milliards d’euros.

M. le délégué général pour l’armement. Ce n’est pas l’idée du ministre.

Fin 2013, début 2014, les industriels ont été associés à des réflexions préliminaires extrêmement conceptuelles, qui ont abouti à ce qu’ils déclarent, au bout de quelques mois, ne pas être intéressés par la participation à de telles sociétés – à l’exception du groupe DCNS. Tous, y compris Airbus Group et Dassault Aviation, ont considéré que ce n’était pas leur métier, à savoir exclusivement fabriquer du matériel militaire. Même l’argument consistant à dire qu’investir dans les sociétés de projet revenait à soutenir l’activité, donc le profit des industriels, ne les a pas convaincus. Ce manque d’intérêt s’explique en partie par le fait qu’il existe déjà nombre de sociétés civiles mettant en œuvre ce type de montages financiers à l’intention des compagnies aériennes – cela permet à ces dernières d’alléger leur bilan, ce qui n’est pas une préoccupation pour l’État.

M. François Cornut-Gentille. Comment expliquez-vous ce que vous venez de dire au regard de la dernière conférence de presse du ministre de la Défense, qui a clairement expliqué que le « tout public » n’était qu’une première étape avant l’arrivée des capitaux privés ? Est-ce un simple souhait du ministre, ou s’exprime-t-il, comme on peut le penser, sur la base de certaines informations ?

M. le délégué général pour l’armement. Si l’on s’est orienté vers le « tout public », c’est en raison de questions de mise en concurrence des sociétés et d’éventuels conflits d’intérêts entre les différentes compagnies. Par ailleurs, l’intervention de sociétés privées n’a de sens que si l’on s’oriente vers une conception déconsolidante, ce qui est le cas si les SDP ont des activités autres que la location pure – notamment à vocation industrielle – et si la partie privée devient prépondérante : on désétatise complètement ces compagnies. L’inconvénient de procéder ainsi, c’est que cela réduit à néant l’organisation du MCO dans les armées, ce qui rend nécessaire une réflexion sur ce point et exclut à mon sens – ladite réflexion n’ayant jamais été engagée – d’emprunter cette voie dans le temps très court qui nous est imparti. Cela dit, peut-être le ministre souhaitera-t-il, lors d’une deuxième phase, élargir le panel des capitaux utilisables, mais nous n’en sommes pas là : pour le moment, notre préoccupation essentielle est de savoir ce qui va se passer pour le programme 146 en 2015, c’est-à-dire dans neuf mois.

Les états-majors sont un peu étonnés par la situation actuelle, mais ils ne sont pas opposés au principe des sociétés de projet du moment que ce dispositif garantit des crédits permettant la bonne exécution du programme 146. Le reste du montage leur demeure étranger, dans la mesure où ils n’ont pas vocation à y intervenir : c’est la DGA qui va vendre aux SDP le matériel qu’elle leur louera tout de suite après. Les états-majors continueront donc à disposer de leurs matériels exactement comme si ceux-ci avaient fait l’objet d’une acquisition classique.

M. Pierre Lellouche. Pouvez-vous nous dire à combien s’élève le différentiel ?

M. le délégué général pour l’armement. On ne le sait pas, puisque cela dépend à la fois de la durée, du coût des assurances et de la rémunération du capital, sur laquelle nous sommes en désaccord avec Bercy.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, que penser d’un tel système sur le plan juridique ?

M. le président Gilles Carrez. Il est valide, dans la mesure où le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État joue en recettes et en dépenses. L’idée de base, c’est que les ventes de certaines participations permettent d’en prendre d’autres dans des entreprises publiques : il suffirait donc de vendre des participations dans EDF, par exemple, pour en prendre dans les SDP.

M. Pierre Lellouche. Sauf que le coût à l’arrivée pour le matériel n’est pas le même. Quand on achète un équipement, que ce soit une frégate ou un avion, on en connaît le prix, la durée de vie et le coût de l’entretien. Il n’en est pas de même avec la double opération effectuée dans le cadre d’une SDP : si nous n’avons aucune visibilité quant au coût de la location, on peut tout de même supposer que l’opération va se révéler bien plus onéreuse qu’une simple acquisition. Comme je l’ai dit tout à l’heure, acheter à crédit revient toujours deux ou trois fois plus cher – et même si tout cela est parfaitement légal, je trouve anormal que le contribuable se trouve ainsi floué. C’est en fait un problème de sincérité du budget de la Défense qui se pose à nous. S’il nous manque 5,7 milliards d’euros – ou 2,7 milliards d’euros si l’on compte sur les recettes des ventes de fréquences – j’estime qu’il vaut mieux en prendre acte et en tirer les conséquences.

M. Alain Fauré. Pour moi, le problème est le même que lorsqu’une société privée acquiert du matériel sous forme de location : les conditions, notamment les taux de rémunération, sont définies dès le départ. Ce système constitue également un moyen de déroger au système d’annualité d’un budget.

M. le président Gilles Carrez. C’est exact, du moment que les conditions sont connues au moment de la conclusion du contrat, il n’y a pas de problème.

M. le délégué général pour l’armement. Pour ce qui est de la question de M. Vigier relative aux surcoûts engendrés par les OPEX, il est exact qu’ils sont budgétés à 450 millions d’euros dans la LPM et qu’ils s’élèveront finalement à une somme comprise entre un milliard d’euros et 1,2 milliard d’euros, comme c’est le cas chaque année. Cela a pour conséquence que certains crédits de la Défense se trouvent annulés pour être regroupés avec ceux des autres ministères, puis reversés à la Défense au titre de la solidarité, ce qui permet de faire face au surcoût OPEX. En réalité, le canal de transmission étant assez fidèle, c’est le programme 146 qui paye le surcoût résultant des OPEX.

M. le président Gilles Carrez. Le financement des OPEX comprend-il bien la totalité du surcoût d’entretien et de régénération des matériels ? Si les dépenses en personnel sont aisément chiffrables, il en va tout autrement du matériel, qui se dégrade très vite sur les théâtres d’opérations. Dans la mesure où cela représente un surcoût très difficile à estimer, sur quoi l’impute-t-on : est-il intégralement pris en compte au titre du surcoût OPEX, ou rattaché au budget normal ?

M. le délégué général pour l’armement. Les surcoûts OPEX pour les coûts envisageables à court et moyen terme sont pris en compte. En revanche, ce n’est pas le cas quand il s’agit de régénérer des matériels à long terme, tout simplement en raison de la difficulté qu’il y a à évaluer ce type de coûts.

M. Pierre Lellouche. Au rythme où les matériels se dégradent au Sahel, nous disposerons très rapidement d’une évaluation.

M. le délégué général pour l’armement. J’en conviens, monsieur le député.

Je terminerai ma réponse à M. Vigier en soulignant que si Bercy affirme disposer d’un plan B, le ministre de la Défense, lui, n’en a pas.

Pour ce qui est de la question de M. Cornut-Gentille relative aux personnes travaillant sur le dossier des SDP, il s’agit d’un groupe de travail associant, du côté du ministère de la Défense, des personnels de la DGA – dont certains m’accompagnent aujourd’hui –, ainsi que des membres de la direction des affaires financières et de la direction des affaires juridiques, sous la houlette du directeur de cabinet du ministre ; du côté de Bercy, il s’agit essentiellement de personnels de l’APE.

M. François Cornut-Gentille. Des conseils privés interviennent-ils également ?

M. le délégué général pour l’armement. Oui, notamment le cabinet d’avocats CMS Bureau Francis Lefebvre et, pour les questions financières, le cabinet Ernst & Young, tous deux choisis à l’issue d’un appel d’offres classique.

Vous vous êtes également interrogé, monsieur le député, sur le fait que les deux premiers matériels faisant intervenir des SDP soient des matériels dont la mise en œuvre a connu des retards. Je vous précise que le programme FREMM n’est pas en retard pour des raisons techniques, mais simplement décalé par le Gouvernement afin d’étaler les dépenses de l’État dans le temps. Il s’agit en fait d’un excellent matériel.

Quant au programme A400M, il a effectivement connu quelques difficultés techniques ayant retardé sa mise en œuvre, mais nous espérons qu’Airbus Group va les résoudre prochainement. En tout état de cause, nous savons que certains des matériels que nous avons commandés sont d’ores et déjà fabriqués et cessibles : ils pourraient donc entrer sans délai dans le périmètre de la SDP dédiée à l’A400M.

Nous avons fait le choix de ces matériels pour recourir aux premières sociétés de projet en raison du fait qu’il s’agit de gros équipements, qui seront donc livrés à très peu d’exemplaires – ce qui évite l’effet « quincaillerie » et rend les choses plus faciles à gérer : ainsi les SDP ont-elles besoin de très peu de personnels pour honorer leurs contrats.

M. François Cornut-Gentille. Quand vous avez énuméré les différentes personnes ayant à connaître des sociétés de projet, vous n’avez pas parlé des états-majors : ne sont-ils pas associés à ce dossier ?

M. le délégué général pour l’armement. Un représentant des états-majors des armées est, en principe, présent lors de toutes les réunions : il s’agit du sous-chef « Plans » ou de l’un de ses représentants.

M. Dominique Lefebvre. L’ARCEP a opportunément publié un communiqué à la veille de votre audition, comprenant un calendrier qui prévoit l’attribution des fréquences en décembre. Or, il nous semble que ce qui nous importe d’un point de vue budgétaire, c’est la date d’attribution : si les fréquences sont attribuées en décembre 2015, la question budgétaire ne se trouve-t-elle pas réglée pour 2015 ?

Par ailleurs, la position du Gouvernement et du groupe socialiste consiste à affirmer qu’il faut tenir les objectifs de la LPM. Dès lors, la question essentielle consiste à savoir à quelle date arrivent les 2,5 milliards d’euros et à quelle date sont pris en compte les décaissements correspondant aux matériels qui vont être livrés. Le ministère de la Défense s’inquiète en permanence à ce sujet, d’autant que les reports de charges qui lui sont imposés compliquent les relations avec le ministère des Finances. Si la solution des SDP se révèle plus coûteuse que celle consistant à acheter les matériels et si, par ailleurs, les montages auxquels il faut procéder constituent des pratiques un peu périlleuses – pas aussi graves que ce qui se faisait en Grèce naguère, mais dont la conformité à nos engagements européens pourrait se discuter –, il est effectivement permis de s’interroger.

M. le délégué général pour l’armement. Les dépenses n’entrent dans la dette de l’État qu’au moment où les matériels sont livrés, ce qui nous conduit parfois à décaler une livraison pour des raisons comptables.

Pour nous, le problème de fond est un problème de tuyauterie. Pour utiliser des crédits d’un compte d’affectation spéciale – le CAS Fréquences, par exemple – au cours d’une année, il faut que ces crédits soient en place au plus tard en septembre de cette même année. Si les recettes de la vente des fréquences arrivent dans les caisses en décembre, je suis certain de ne pouvoir en profiter au titre de l’année 2015, et le report de charges va passer à 4,5 milliards d’euros.

Sur le plan économique, cela signifie que je ne vais pas pouvoir payer mes fournisseurs de septembre à décembre. Heureusement, nous disposons désormais d’un merveilleux outil, le portail informatique Chorus factures, grâce auquel nous sommes en mesure de payer la quasi-totalité des factures en souffrance dès que la gestion est rouverte, c’est-à-dire le 1er janvier. Ainsi avons-nous réglé, au cours des dix premiers jours de janvier 2014, environ 1,8 milliard d’euros – l’Agence France Trésor a modérément apprécié, ce qui laisse présager de sa réaction si nous envisagions de régler 4,5 milliards d’euros ; mais quand on fait des factures, il faut bien les régler.

En tout état de cause, je suis persuadé que 4,5 milliards d’euros de report de charges occasionneraient des dégâts considérables dans l’industrie : certaines sociétés ne s’en remettraient pas. Un report de charges de l’ordre d’un milliard d’euros n’a rien d’anormal pour la DGA : c’est tout à fait gérable et cela ne gêne en rien nos fournisseurs. Un report de charges de 2,2 milliards d’euros est plus gênant dans la mesure où il nous oblige à cesser de régler nos factures un peu plus tôt dans l’année, et à mettre en place des dispositifs spécifiques au profit de certaines sociétés.

Un report de charges global de 5,7 milliards d’euros fait peser une incertitude non seulement sur 2015, mais sur les années suivantes. En tout état de cause, cela nécessite d’autres recettes exceptionnelles que celles résultant de la vente des fréquences de la TNT. Certains ont affirmé que, si les recettes provenant de la vente des fréquences arrivaient en décembre, il était possible de prendre un décret d’avance. Je ne suis pas de cet avis car, sauf erreur, il me semble que l’on ne peut prendre un décret d’avance que si celui-ci est lié à la diminution d’une dépense dans le budget.

M. le président Gilles Carrez. Effectivement, il faut une annulation de crédits en contrepartie.

M. le délégué général pour l’armement. Cela n’est donc pas envisageable.

M. Marc Goua. Le dispositif des SDP me paraît correspondre à une opération de lease-back assez classique, reposant dans la période actuelle sur des taux d’intérêt extrêmement faibles, et non sur des taux pouvant conduire au doublement ou au triplement de la somme initiale – les situations évoquées par Pierre Lellouche ne peuvent survenir que lorsque les taux sont beaucoup plus élevés qu’ils ne le sont actuellement. La convention de cette opération de lease-back devra évidemment préciser le taux d’intérêt et, si l’opération est adossée aux taux actuellement pratiqués – ce qui est probable –, elle ne coûtera pas extrêmement cher. Ce n’est peut-être que l’un des aspects du dossier, mais sur le plan technique, je ne pense pas que cela pose véritablement problème.

M. Jean-François Lamour. Monsieur le délégué général, pourriez-vous soutenir l’hypothèse d’une DGA consommatrice de crédits du PIA, qui apporterait une solution simple au besoin de crédits de la Défense ?

Par ailleurs, au sujet de l’abondement du capital des deux SDP, pouvez-vous nous préciser si ce capital est versé en une seule fois, ou s’il va monter en puissance en fonction de la mise en service des matériels ou du règlement des factures correspondantes ? Dans la seconde hypothèse, l’État décaisserait beaucoup moins en 2015 et l’on aboutirait à un important report de charges – précisément la situation que vous souhaitez éviter.

M. le délégué général pour l’armement. Le capital est versé en une seule fois, au moment de la cession des appareils. C’est pourquoi la capitalisation initiale est extrêmement importante : elle doit permettre à la société de payer sans avoir à lever des fonds.

M. Jean-François Lamour. Cependant, le matériel va être vendu sur plusieurs années – 2015 à 2017 pour les frégates, 2016 et 2017 pour les A400M.

M. le délégué général pour l’armement. Ce sont les matériels qui devraient être livrés durant ces années qui vont faire l’objet des SDP, et être vendus en l’état futur d’achèvement au prix contractuel pratiqué par l’État. Il est évident que cela implique une capitalisation immédiate et totale, donc des ventes de participations de l’État dans certaines grosses sociétés.

Je veux dire à M. Lellouche qu’une SDP entièrement publique se traduit finalement par une dépense nulle : on crée une société publique avec des capitaux entièrement publics, et l’on rémunère exclusivement du capital public, dont le revenu atterrit dans les caisses de l’APE, autrement dit de l’État.

M. Dominique Lefebvre. Il y a tout de même le coût des assurances.

M. le délégué général pour l’armement. S’agissant de sociétés entièrement étatiques, l’État est son propre assureur, ce qui est l’un des intérêts de la chose. Cela dit, la dépense n’est nulle qu’à la sortie du dispositif, qui peut parfois prendre très longtemps.

L’ouverture des sociétés ne peut qu’être progressive, et s’effectuer en fonction des orientations déterminées par les autorités politiques. La présence de capitaux privés soulève plusieurs questions, notamment en matière de concurrence européenne si l’on souhaite introduire d’autres matériels – des questions qui n’ont pas été étudiées de manière très approfondie pour le moment puisque l’on s’est rapidement orienté vers le principe de capitaux entièrement publics.

M. François Cornut-Gentille. Ce que vous nous dites là est en totale contradiction avec l’annonce faite par le ministre, lors de sa dernière conférence de presse, de l’entrée très prochaine de capitaux privés.

M. le délégué général pour l’armement. L’entrée de ces capitaux privés n’est pas pour aujourd’hui : elle ne se fera que dans le cadre d’une deuxième phase, qui n’interviendra que lorsque toutes ses conditions en auront été étudiées.

M. Pierre Lellouche. Pouvez-vous nous préciser combien il vous faut trouver pour assurer le fonctionnement du programme 146 en 2015 ?

M. le délégué général pour l’armement. Pour ne pas dégrader le report de charges, il nous faut 2,2 milliards d’euros.

M. Pierre Lellouche. Vous dites que le jeu d’écritures par lequel va se traduire la mise en œuvre des sociétés de projet sera, au bout du compte, neutre sur le plan comptable. Pour ma part, j’ai tendance à penser que procéder de cette manière va revenir plus cher au contribuable en raison de la rémunération du capital et du coût des assurances.

Si vous ouvrez la porte aux capitaux privés, les fonds de pension vont être nombreux à se précipiter pour prendre part à des opérations dont ils seront certains de tirer beaucoup d’argent en raison de la présence de l’État. À coup sûr, cela va poser problème au regard de nos engagements européens : il pourrait par exemple nous être reproché d’accorder des aides déguisées. Avez-vous considéré cet aspect des choses ?

M. le délégué général pour l’armement. Ces aspects ont été examinés de manière assez superficielle. Nous avons étudié la possibilité de faire entrer des acteurs semi-publics mais ceux-ci – je pense notamment à la BPI – n’ont aucune envie d’entrer dans le dispositif.

Outre les problèmes déjà mentionnés, l’ouverture à des capitaux privés crée d’autres difficultés. J’estime qu’il ne faut pas mettre sur le même plan la rémunération du capital et ce qui peut être obtenu au moyen d’une levée de fonds effectuée directement sur le marché – par l’endettement. Compte tenu des taux d’intérêt actuellement pratiqués, l’endettement est plus avantageux que l’ouverture du capital à des fonds privés. Cependant, si les SDP à capitaux entièrement publics lèvent elles-mêmes des fonds sur le marché – bénéficiant ainsi de la garantie implicite de l’État –, cela risque de poser problème : on crée une machine à lever de la dette.

M. Pierre Lellouche. Il vaudrait mieux lancer un emprunt.

M. le délégué général pour l’armement. Une telle démarche relève des attributions de l’Agence France Trésor.

M. le président Gilles Carrez. Les opérateurs que l’État a été conduit à endetter ne sont pas rares – je pense notamment à la SNCF –, et cela se faisait bien avant 2012.

M. Pierre Lellouche. Le problème, c’est qu’en matière de Défense, nous sommes au cœur du régalien : nous ne parlons pas de trains, mais d’avions qui vont au combat et de bateaux qui peuvent être coulés !

M. le délégué général pour l’armement. Nous avons pris soin de choisir des matériels à la fois faiblement létaux et faiblement exposés.

M. François Cornut-Gentille. Les frégates tirent tout de même des missiles de croisière navals !

M. le délégué général pour l’armement. Certes, mais cela n’arrive pas tous les jours, monsieur le député.

M. le président Gilles Carrez. Je pense que personne ne peut sérieusement penser que des fonds de pension américains vont venir financer nos FREMM et nos A400M.

M. Pierre Lellouche. Si c’est rémunérateur, ils viendront, n’ayez crainte !

M. le délégué général pour l’armement. À l’heure actuelle, le coût du capital est bien plus élevé que celui résultant de l’endettement.

Pour ce qui est de la question de M. Cornut-Gentille au sujet de la DGA et du PIA, je dirai que le recours au PIA a très bien fonctionné en 2014, sans que la DGA soit opérateur : nous avons dépensé environ 1,8 milliard d’euros, en transférant la dépense effective au Commissariat de l’énergie atomique – CEA – et au Centre national d’études spatiales
– CNES. Nous avons examiné les dépenses éligibles au CEA et au CNES dans les années qui viennent, pour en arriver à la conclusion qu’elles sont très limitées : nous sommes bien loin des 2,2 milliards d’euros et ce n’est donc pas ainsi que nous trouverons une solution à notre problème – d’autant que des dispositions ont été prises pour supprimer le programme 402, qui se prêtait bien à la mise en œuvre du PIA. Quant à la proposition consistant à transformer la DGA en opérateur du PIA, elle n’a pas suscité un enthousiasme débordant dans les autres ministères.

M. Jean-François Lamour. Mais quel est votre avis personnel sur ce point, monsieur le délégué général ?

M. le délégué général pour l’armement. Sous réserve que les crédits du PIA soient bien présents et que la DGA soit transformée en opérateur, cela fonctionne – mais ce n’est pas l’option qui a été retenue.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 1er avril 2015 à 16 h 15

Présents. - M. François André, M. Dominique Baert, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. François Cornut-Gentille, M. Henri Emmanuelli, M. Alain Fauré, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Razzy Hammadi, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Patrick Ollier, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Pascal Cherki, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Claude Fruteau, M. David Habib, M. Jean Launay, M. Patrick Lebreton, M. Marc Le Fur, M. Christophe Premat, Mme Valérie Rabault, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra

Assistait également à la réunion. - M. Pierre Lellouche

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