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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 13 mai 2015

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 79

Co-Présidence
de M. Pierre-Alain Muet,
Vice-Président
puis de
M. Dominique Lefebvre,
Vice-Président
et de
Mme Danielle Auroi,
Présidente de la commission des Affaires européennes

–  Échange de vues informel, conjoint avec la commission des Affaires européennes, avec M. Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne

–  Présences en réunion

La Commission procède à un échange de vues informel, conjoint avec la commission des Affaires européennes, avec M. Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne.

La Présidente Danielle Auroi. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur Cœuré, pour cette audition conjointe avec la commission des Finances ; elle s’inscrit dans le cadre des auditions régulières des membres français d’institutions européennes auxquelles procède notre commission – qu’il s’agisse, par exemple, de la Commission européenne, de la Cour de justice ou de la Cour des comptes. Nous aurons beaucoup de questions à vous poser sur une actualité économique et monétaire particulièrement sensible.

Vous êtes, je le sais, un Européen convaincu, partisan d’un approfondissement de l’Union économique et politique ; vous trouverez à ce titre de nombreux échos dans nos deux commissions, les Européens convaincus étant bien plus nombreux à l’Assemblée qu’on ne le dit souvent.

Alors que la Banque centrale européenne – BCE – est amenée à jouer un rôle essentiel pour le bon fonctionnement de la zone euro, je souhaite vous interroger sur trois points. Pourriez-vous, en premier lieu, nous rappeler précisément les modalités de mise en œuvre de la politique d’assouplissement quantitatif développée par la BCE depuis le mois de mars et en dresser un premier bilan ? Quels sont les moyens mis en œuvre pour éviter les bulles financières, qui ont causé les dégâts que l’on sait dans le passé ?

Comme à mes collègues écologistes, la Grèce est un sujet qui me tient à cœur. Alors que les discussions s’éternisent entre ce pays et ce que l’on appelait la « troïka », les progrès ne paraissent pas substantiels ; la situation s’est même aggravée en raison des difficultés économiques et sociales. À ce propos, les membres du bureau de la commission des affaires européennes se rendront bientôt à Athènes afin de dialoguer avec des parlementaires grecs. Dans ce contexte difficile, qui voit s’empirer la crise des liquidités sans que se dégagent des perspectives claires, quels sont les points d’achoppement des discussions ? Y a-t-il une volonté de précipiter la Grèce vers la sortie de la zone euro ? En France, beaucoup de responsables politiques se posent la question.

Par ailleurs, vous semble-t-il justifié que la BCE fasse partie des institutions qui négocient avec la Grèce ? Une plus grande transparence ne serait-elle pas nécessaire ?

Enfin, la BCE entend-elle verser rapidement à la Grèce les intérêts qu’elle lui doit sur les titres acquis dans le cadre du programme SMP – « Securities Markets Programme » –, pour un montant de 1,8 milliard d’euros ?

Ma dernière question portera sur l’avenir de l’Union économique et monétaire. Alors que les « quatre Présidents » présenteront leurs propositions sur l’approfondissement de la zone euro lors du Conseil européen du mois de juin prochain, quelles pistes privilégiez-vous pour améliorer le fonctionnement de la zone euro ? Il y a presque deux ans j’avais préconisé, dans un rapport sur l’avenir des institutions européennes, la création d’un Parlement de la zone euro. Que pensez-vous de la mise en œuvre d’un budget à vocation contracyclique propre à la zone et des mesures d’harmonisation, comme la création d’un salaire minimum par pays dans le secteur privé ? Enfin, vous paraîtrait-il opportun de mutualiser tout ou partie des dettes des État membres ?

M. Pierre-Alain Muet, coprésident. Je vous prie d’excuser Gilles Carrez, président de la commission des Finances, qui ne peut être présent parmi nous ce matin.

En juin 2013 nous avions, lors d’une audition à laquelle s’était aussi jointe la commission des affaires étrangères, entendu M. Mario Draghi, mais c’est la première fois que nous avons un échange de vues avec un autre membre du directoire de la BCE. Alors que l’Europe sort d’une récession de trois ans qu’elle a créée de toutes pièces, il est intéressant d’entendre l’éminent économiste que vous êtes, d’autant que vous avez contribué, auprès de M. Draghi, à la mise en œuvre d’une politique, dite de « quantitative easing », qui a permis de sortir partiellement l’Europe de l’ornière.

Sur le problème grec, l’Europe ne doit pas reproduire les erreurs de l’histoire, notamment celle qui consiste à croire que l’on peut faire payer un pays pour ses erreurs sans que cela ait des conséquences pour les autres. L’Europe avait tiré les enseignements d’une telle erreur : l’ensemble des pays qui la composent, Grèce incluse, s’étaient ainsi entendus, en 1953, pour alléger la dette allemande, qui représentait alors 60 % du produit intérieur brut
– PIB. Sur ce point, on a un peu oublié l’histoire en tardant à réagir à la crise grecque, alors même que la zone euro, prise dans son ensemble, était bien moins endettée que les États-Unis ou le Japon.

La seconde leçon que l’on peut tirer de la récession dont l’Europe est heureusement en train de sortir, c’est que, tous les politiques et les économistes en conviennent, l’union monétaire n’a pas de sens sans solidarité ; faute de quoi elle se résume à l’ouverture d’un grand marché non piloté par une politique macroéconomique essentielle, notamment, en période de crise. Les politiques qui ont été suivies – fortes réductions de dépenses publiques ou baisses du coût du travail – sont sans doute pertinentes à l’échelle d’un pays mais, généralisées à tous les pays, elles ont un effet récessif qui pèse sur les efforts budgétaires et annule, au niveau de la zone euro, les gains de compétitivité. Une coordination est donc nécessaire, y compris sous la forme d’un gouvernement économique de la zone, comme l’a indiqué le président de la Commission européenne à l’occasion d’échanges interparlementaires.

M. Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE). Je vous remercie pour votre invitation. L’Assemblée nationale, comme tous les parlements des États membres de la zone euro, joue en rôle essentiel dans l’interaction entre le niveau national et le niveau européen, interaction sur l’amélioration de laquelle vous ne manquerez pas, je suppose, de m’interroger. Outre que les économies de la zone euro sont trop interdépendantes pour s’ignorer, cette question pose aussi celle de la légitimité, car les décisions et les orientations européennes, qui engagent les politiques nationales, ne sont légitimes que si elles sont comprises, soutenues et assumées par les États membres.

Pendant la crise, la BCE a été confrontée à des défis considérables : le premier fut de maintenir la confiance dans la monnaie unique dans un contexte d’incertitude et de forte instabilité financière ; le deuxième consistait à assurer la stabilité des prix en dépit de la fragmentation des conditions financières au sein de la zone et de l’action de puissantes forces désinflationnistes ; le troisième, au cours des derniers mois, fut de créer des instruments face au risque d’une inflation durablement faible. Ces défis ont conduit à une orientation accommodante de la politique monétaire sans précédent dans l’histoire de la zone euro ; elle s’est concrétisée par des mesures conventionnelles et d’autres dites « non conventionnelles » : les premières ont porté sur la baisse, jusqu’à leur limite inférieure, des taux d’intérêt. Le principal taux directeur de la BCE s’élève aujourd’hui à 0,05 %, et celui des dépôts à - 0,2 %. Ces mesures visent à relancer l’investissement et la consommation par une diminution du coût du crédit ; afin d’en renforcer les effets, nous avons également donné des indications avancées sur l’orientation future de la politique monétaire– « forward guidance » –, autrement dit des indications sur ce que nous prévoyons de faire en fonction des informations dont nous disposons. Un tel engagement sur l’avenir, plus fort qu’auparavant, a permis de stabiliser les conditions financières dans la zone à un moment où les marchés de capitaux étaient volatils et où les investisseurs craignaient que le relèvement des taux d’intérêt aux États-Unis ne tire à la hausse les taux européens, ce qui eût été manifestement inadapté à la situation économique en Europe. Cette combinaison entre un taux directeur bas et une clarté sur les orientations futures de la politique monétaire a permis de protéger la zone euro des chocs financiers internationaux ; mais cela n’a pas suffi : la défiance à l’égard du système financier et de certains emprunteurs souverains, ainsi que les défaillances bancaires dans plusieurs États membres, ont rendu nécessaire la mobilisation d’instruments non conventionnels. Nous avons pris cette décision tout d’abord pour nous assurer que les banques pouvaient se refinancer dans de bonnes conditions afin de continuer à irriguer l’économie. À la fin de 2011 et au début de 2012, ce sont ainsi 1 000 milliards d’euros qui ont été injectés dans le cadre du refinancement à long terme des banques de la zone ; ces prêts à trois ans, intégralement remboursés aujourd’hui, ont permis de stabiliser le secteur bancaire à un moment de forte instabilité financière.

La BCE a également créé, en septembre 2012, des opérations monétaires sur titres
– OMT – qui lui donnent la possibilité d’intervenir, si nécessaire, sur les marchés secondaires de dette souveraine en cas d’attaques spéculatives liées à des craintes sur une sortie de l’euro ; ce faisant elle a soutenu le volontarisme politique affiché par les gouvernements quant à l’intégrité de la zone euro, les annonces sur l’union bancaire, à la même époque, ayant aussi contribué à la dynamique de confiance. L’annonce des OMT a permis une diminution drastique des primes de risque sur les taux souverains, notamment italiens et espagnols ; elle a donc assuré la cohésion de la zone euro à une époque où celle-ci subissait des attaques sur les marchés financiers. Ces instruments, au reste, n’ont jamais été utilisés, la seule annonce de leur création ayant suffi à rétablir la confiance. Le « bazooka », comme l’ont surnommé les commentateurs financiers, est toujours sur l’étagère : il peut être activé à tout moment si de nouvelles craintes s’expriment sur l’intégrité de la zone euro.

Plus récemment, la BCE a décidé d’autres mesures non conventionnelles destinées à soutenir le crédit. Elle consent ainsi des prêts à cinq ans aux banques de la zone euro à condition qu’elles augmentent leurs prêts en direction de l’économie réelle. Outre que les conditions de ces prêts sont très favorables, l’échéance de cinq ans est adaptée au financement des entreprises, en particulier des PME.

Enfin, la BCE a décidé, en septembre 2014, d’un programme d’achat d’obligations sécurisées – « covered bonds » – et d’un programme d’achat de titres adossés à des portefeuilles de crédits – « asset-backed securities » (ABS). L’annonce, en janvier 2015, de sa volonté de mettre en place une politique dite de « quantitative easing », fondée sur un programme étendu d’achat d’actifs, incluant davantage d’obligations souveraines, a répondu au nouveau ralentissement de l’inflation lié à la forte baisse du prix du pétrole à partir de la mi-2014,: une telle évolution risquait de s’auto-entretenir et laissait craindre une inflation et une croissance durablement faibles. Or les traités européens nous donnent un mandat très clair s’agissant de la stabilité des prix, que nous avons définie par une inflation inférieure à – mais proche de – 2 %. En d’autres termes, l’absence de réaction eût été une rupture du mandat qui nous a été confié par les traités.

Par conséquent, la BCE a étendu son programme d’achat d’actifs, le portant à 60 milliards d’euros par mois, dont – moyennant des fluctuations mensuelles – 45 milliards de titres publics et 15 milliards de titres privés. Ces achats ont commencé en mars et devraient se poursuivre jusque fin septembre 2016, pour atteindre un montant global de 1 140 milliards d’euros ; ils pourront d’ailleurs se prolonger au-delà de cette date si l’inflation ne tend pas à se rapprocher des 2 % en 2016 : de fait, notre jugement repose sur une anticipation de la trajectoire.

Comment ce programme agit-il sur l’économie réelle, en particulier sur l’inflation ? Le premier canal de transmission est la confiance, le risque d’une inflation durablement faible étant de nature à altérer la confiance dans les capacités de la BCE à respecter son mandat. L’annonce des achats d’actifs vise donc à créer un choc de confiance, nécessaire à la relance de l’investissement privé, lui-même condition de la reprise économique. À ce propos, je rappelle que l’investissement privé reste très éloigné de son niveau d’avant la crise, puisqu’il représentait 17 % du PIB de la zone euro en 2014 contre 20 % en 2007.

Le deuxième canal de transmission est la baisse des taux d’intérêt. La politique monétaire permettait déjà de contenir les taux à court terme, mais le programme d’achat d’actifs tire aussi à la baisse les taux à long terme, qui par définition déterminent le financement de l’économie à long terme. La maturité moyenne des titres d’État achetés par la BCE est proche de neuf ans ; il s’agit donc d’un allongement sans précédent des horizons de la politique monétaire. Autrement dit, la BCE s’est donné les moyens d’agir sur les conditions de refinancement de l’économie à long terme.

Le troisième canal réside dans la possibilité, pour les investisseurs bancaires comme non bancaires, de substituer, dans leurs portefeuilles, des crédits et des participations plus risquées dans l’économie réelle aux titres d’État qu’ils nous vendent – étant entendu que cela comporte la possibilité que les investisseurs prennent trop de risques : j’y reviendrai.

Le dernier canal, qui n’est pas le plus essentiel pour la BCE, est le taux de change. Cependant que la vigueur de l’économie américaine déterminera sans doute un durcissement de la politique monétaire, l’assouplissement des conditions financières au sein de la zone euro conduit à une dépréciation du taux de change par rapport aux États-Unis, laquelle profite à la compétitivité des entreprises. Toutefois la BCE n’a pas d’objectifs chiffrés en matière de taux de change : celui-ci résulte seulement des décisions qu’elle prend en matière de politique monétaire.

Les achats de titres se font sans heurts, et leurs effets se font d’ores et déjà sentir sur l’économie réelle. Les taux du crédit bancaire ont diminué de 40 à 50 points de base depuis l’été 2014, et devraient baisser encore. Cette évolution s’accompagne d’ailleurs d’une convergence croissante des taux entre les pays membres. Une telle baisse des coûts de financement devrait à son tour promouvoir la croissance du crédit et de l’investissement. De fait, la contraction du crédit paraît s’inverser dans la zone euro. Le crédit bancaire aux entreprises non financières a progressé de 1 % sur trois mois en mars en variation annuelle, alors que le taux était de -2 % un an plus tôt. En France, le taux de croissance annuel du crédit aux entreprises s’est même établi à quelque 4 % en mars, contre 1 % seulement un an auparavant.

Les projections de croissance de la BCE ont ainsi été revues à la hausse, pour s’établir à 1,5 % en 2015, à 1,9 % en 2016 et à 2,1 % en 2017. Cette croissance sera soutenue par l’accroissement de la demande externe, la baisse des cours du pétrole et l’orientation accommodante de la politique monétaire. Les chiffres du premier trimestre français, publiés ce matin par l’Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE –, confirment que la reprise est là. Quant à l’inflation, elle devrait s’approcher progressivement des 2 % d’ici à 2017. On observe d’ores et déjà une inflexion à la hausse des anticipations d’inflation sur les marchés financiers. Bref, le choc de confiance s’observe déjà.

Après ces considérations positives, je veux tempérer l’enthousiasme. Les facteurs de soutien à l’activité sont temporaires ; les risques internationaux demeurent très élevés et la reprise – telle qu’on l’observe par exemple dans les chiffres publiés ce matin – est principalement soutenue par la baisse de l’euro et le faible coût de l’énergie, facteurs dont les effets sont voués à s’atténuer à court terme. De plus, la politique monétaire ne peut agir de façon durable sur la croissance à long terme de l’économie, fortement affectée dans l’ensemble de la zone euro. Après le choc de confiance, la balle est donc dans le camp des États membres. Le taux de chômage, en particulier, reste à un niveau élevé au sein de la zone : il atteignait 11,3 % en mars, et représente de 20 à 25 % dans plusieurs États membres. Le taux de chômage des jeunes avoisine les 50 % en Espagne, par exemple. Or, cette situation, clairement inacceptable, tient essentiellement à des facteurs structurels. Le taux de croissance potentiel à long terme de la zone euro est estimé à moins de 1 %, ce qui est notoirement insuffisant. Toutefois, il n’appartient pas à la BCE de détailler les mesures structurelles susceptibles d’y remédier : c’est l’affaire de chaque pays. Le gouverneur de la Banque de France s’est d’ailleurs exprimé sur la teneur des réformes qui lui paraissent nécessaires – et auxquelles la BCE souscrit – dans une lettre adressée au Président de la République. Il s’agit, en effet, de redresser la croissance de long terme de la zone euro : cela passe par le soutien à l’investissement productif, l’amélioration du taux d’emploi et de la formation des travailleurs, de façon à faire baisser le chômage structurel, et le redressement de la productivité globale par la réduction des barrières à l’entrée, l’encouragement à l’innovation et l’amélioration de l’environnement économique des entreprises. La BCE a fait baisser les taux de financement à long terme et continuera de le faire, mais, pour porter ses fruits, une telle mesure suppose des projets d’investissement.

On objecte souvent que les réformes structurelles pèsent à court terme sur la compétitivité et l’emploi ; je crois au contraire qu’elles peuvent susciter, pour peu qu’elles soient crédibles, des anticipations de revenus à la hausse, desserrer la contrainte sur les finances publiques et inciter les ménages à consommer davantage et les entreprises à investir. D’ailleurs, les prévisions récentes de la Commission européenne montrent que les pays qui ont conduit le plus de réformes, comme l’Espagne, sont aussi ceux où le taux de croissance est le plus élevé.

Ce n’est pas non plus le rôle de la BCE d’entrer dans le détail des mesures budgétaires nationales. Je m’en tiendrai donc à trois principes qui nous tiennent à cœur. En premier lieu, l’union monétaire a créé une communauté d’intérêts fondée sur une capacité d’action commune – incarnée notamment par la BCE – qui, si elle peut être renforcée, suppose des règles. Celles-ci, sans doute, peuvent et doivent évoluer, mais il faut commencer par les appliquer. En tant qu’institution communautaire, la BCE se doit de rappeler que les grands pays ont un devoir d’exemplarité en la matière, s’agissant en particulier du pacte de stabilité.

Deuxième principe : un pilotage macroéconomique de la zone euro est nécessaire ; il suppose une attention portée à la situation budgétaire de chaque pays – c’est tout le sens du pacte de stabilité – comme de l’ensemble de la zone euro : M. Draghi l’a rappelé dans son discours à Jackson Hole l’an dernier. Il faut donc une orientation budgétaire adaptée pour l’ensemble de la zone euro ; nous estimons que l’orientation actuelle, globalement neutre, est adaptée à la situation, mais les marges de manœuvre diffèrent fortement selon les pays. Dans ces conditions, nous recommandons aux pays en déficit excessif de poursuivre leurs efforts, et à ceux qui ont des marges de manœuvre de les utiliser, notamment pour soutenir l’investissement.

Le troisième principe, qui me paraît aller de soi, tient à la composition de l’ajustement budgétaire : des dépenses publiques plus ciblées vers l’investissement généreront davantage de croissance et d’emplois. L’investissement public dans la zone euro, je le rappelle, est passé de 7,1% des dépenses publiques % en 2007 à 5,5 % en 2014.

Je conclurai par quelques remarques sur le fonctionnement institutionnel de la zone euro, au sein de laquelle, selon les termes du traité, les « politiques économiques » sont « une question d’intérêt commun ». De fait, la crise a montré que les fragilités d’un pays peuvent se transmettre à d’autres. Par ailleurs, la politique monétaire de la BCE et la mise en place de l’union bancaire ont montré la puissance d’une action commune au niveau de la zone. L’union bancaire, par exemple, permet un partage des risques, donc une forme de solidarité, ainsi qu’une meilleure gestion de la zone euro ; elle résulte d’un accord politique sur des règles du jeu communes édictées pour mettre fin à des abus constatés dans le passé. Ces règles concernent, par exemple, le renforcement des fonds propres, le renflouement interne – « bail-in » –, qui doit mettre un terme à la logique de privatisation des profits et de socialisation des pertes, ou l’application au niveau européen du principe de séparation des activités bancaires, que la BCE a fortement soutenue. Le conseil de surveillance bancaire de la BCE, organe intégrant les autorités nationales avec un pouvoir de décision fédéral, assure la mise en œuvre crédible de ces règles. La BCE, soyez-en sûrs, sera un superviseur exigeant, indépendant des intérêts nationaux, et elle fera appliquer les mêmes règles à tous les pays.

L’union bancaire est aussi un exercice de transparence et de convergence visant à solder les fragilités héritées du passé – c’est notamment le sens de l’évaluation du bilan des banques menée l’an dernier – ; elle implique enfin une responsabilité politique claire, avec l’obligation de rendre des comptes au Parlement européen comme aux parlements nationaux : le président de la BCE et la présidente du Conseil de surveillance prudentielle rendent compte au Parlement européen ; le gouverneur de la Banque de France et le secrétaire général de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, eux, rendent compte au Parlement français.

La même méthode peut-elle être transposée à d’autres domaines, et, dans l’affirmative, lesquels ? Il me semble essentiel d’accroître la résilience de l’union monétaire et de développer les bénéfices de l’intégration ; pour ce faire, les structures économiques doivent devenir plus performantes et la monnaie unique doit être mieux exploitée en termes d’économies d’échelle : cela passe par le développement du marché intérieur – notamment celui des services –, l’instauration de règles protectrices pour le consommateur et le travailleur européens et par des mécanismes de partage des risques – ou de solidarité, pour paraphraser M. Muet – incluant une union budgétaire plus ambitieuse.

Une telle évolution implique, il est vrai, un partage de souveraineté ; mais partager la souveraineté n’est pas toujours la perdre : c’est parfois, même, la retrouver. Ainsi, la création d’une banque centrale européenne a protégé la zone euro des évolutions mondiales, et l’affranchit en particulier de la politique monétaire américaine – ce qui ne serait pas possible dans le cadre de politiques monétaires nationales. Pour peu qu’elle ait une légitimité démocratique, une souveraineté européenne partagée autour d’institutions communes permet de dépasser un système qui est aujourd’hui principalement encadré par des règles, comme celle du pacte de stabilité, et ainsi de recréer un espace pour la délibération politique. Au reste, c’est l’absence d’institutions communes en matière budgétaire, par exemple, qui implique que le système est gouverné par des règles, sous le contrôle de la Commission européenne : des institutions communes, responsables devant les parlements, permettraient de recréer un espace pour la délibération politique.

Il n’appartient pas à la BCE de se prononcer sur le détail de telles réformes : c’est là un débat politique, et même constitutionnel, qui doit être mené dans chaque État membre. Il est toutefois de notre devoir de rappeler que la construction de la zone euro n’est pas achevée : s’arrêter au milieu du gué risquerait de la laisser dans un état de fragilité durable, que la reprise économique ne masquerait qu’un temps. Cette réflexion est au cœur du rapport dit « des quatre Présidents » – celui du Conseil européen, de la Commission, de la Banque centrale et de l’Eurogroupe –, qui sera discuté au Conseil européen du mois de juin ; nous souhaitons qu’il dessine une vision ambitieuse de l’union monétaire, tout en soulignant, d’autre part, les avancées possibles à court terme et à traités inchangés, s’agissant en particulier de la coordination des politiques économiques et du fonctionnement du semestre européen. Ce dernier point, je le sais, revêt une importance particulière à vos yeux, l’interaction entre les procédures nationales et européennes n’étant pas toujours claire. D’aucuns estiment que la Commission, à travers les recommandations qu’elle adresse aux États dans le cadre du semestre, exerce une mainmise budgétaire qui implique une perte de souveraineté. Ce n’est pas notre avis : l’union économique et monétaire est incomplète ; il est donc essentiel de la poursuivre en traitant, au niveau national comme au niveau européen, les politiques économiques comme un sujet d’intérêt commun. Il s’agit d’instaurer un débat ouvert entre les États membres, afin de discuter des points à améliorer par chacun, et d’adopter une décision commune sur ces recommandations dont je rappelle qu’elle est prise par le Conseil, non par la Commission.

Les cycles précédents, en matière de semestre européen, ont été plutôt décevants ; j’espère donc que celui de 2015, qui commence aujourd’hui avec la publication des projets de recommandation de la Commission, sera différent. Votre assemblée a bien entendu un rôle essentiel à jouer dans ce processus, pour que les recommandations soient pertinentes au niveau européen mais aussi réalistes, crédibles et politiquement assumées au niveau national.

Sur la Grèce, les discussions portent sur les conditions dans lesquelles le soutien financier du Mécanisme européen de stabilité – MES –, contrôlé par l’Eurogroupe, peut continuer à être mobilisé, voire être étendu, et à quelles conditions. Le gouvernement grec nouvellement élu jouit d’une légitimité démocratique incontestable pour mener des politiques différentes du précédent ; le programme d’ajustement grec doit donc s’adapter à cette nouvelle donne. M. Varoufakis, en février, avait déclaré qu’il approuvait 70 % du programme et souhaitait en changer 30 %. La discussion se poursuit sur ce qui peut ou doit être changé, en cohérence avec la plateforme sur la base de laquelle ce gouvernement a été élu.

Reste le respect de la démocratie et des règles de la zone euro. Les déboursements du MES interviennent en fonction d’un programme incluant des conditionnalités ; ils sont soumis à l’approbation des ministres des Finances de la zone euro, voire des parlements nationaux. Les responsables politiques des pays de la zone discutent d’un juste point d’équilibre au regard des positions du Gouvernement grec, tout en veillant à ce que la Grèce ne soit pas traitée différemment des autres pays qui ont également bénéficié du MES. Bref, il s’agit de trouver le juste équilibre entre deux légitimités démocratiques, entre les résultats des élections grecques et les règles de la zone euro approuvées par les parlements nationaux. Le programme du nouveau gouvernement grec étant très différent, il est logique que le processus prenne du temps.

Dans ce débat, le rôle de la BCE est double. En premier lieu, la BCE est l’une des trois institutions – autrefois regroupées sous la dénomination de « troïka » – qui conseillent l’Eurogroupe en la matière : elle ne prend donc elle-même aucune décision. L’avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne, dans son avis préliminaire relatif aux OMT, suggère que ce rôle peut, dans certains cas, placer la BCE en situation de conflit d’intérêts ; en fonction du jugement définitif de la Cour de justice, attendu le 16 juin, nous adapterons, s’il y a lieu, nos conditions d’intervention dans ce type d’exercice. Des textes européens exigent de la BCE qu’elle participe aux exercices de surveillance des pays, dans le cadre du « two-pack », notamment lorsque ces derniers sortent des programmes. La « troïka », inventée en 2010 pour gérer une crise, n’a aucune vocation à s’inscrire durablement dans le paysage institutionnel européen : il faudra un jour le réintégrer dans le fonctionnement normal des institutions européennes. Le MES, aujourd’hui inscrit dans un Traité intergouvernemental, devra également être réintégré dans le droit communautaire. Il me paraîtrait également légitime que le Parlement européen soit mieux informé des discussions avec la Grèce.

D’autre part, la BCE est aussi la banque centrale de la Grèce, comme elle l’est des autres pays de la zone euro. Les financements combinés de l’Eurosystème en direction des banques grecques s’élevaient à 45 milliards d’euros début décembre 2014 ; ils atteignent aujourd’hui 115 milliards. Les banques grecques n’ayant pas accès aux marchés, c’est la BCE qui finance l’économie grecque – techniquement, cela se traduit par une augmentation du déficit de la Banque centrale grecque dans le système de transfert express automatisé transeuropéen à règlement brut en temps réel, dit « TARGET ».

En revanche la BCE ne peut financer l’État grec : les traités l’interdisent. Elle finance donc les banques grecques à condition que cet argent finance l’économie. Le refinancement de l’État grec, lui, fait l’objet d’une discussion entre le Gouvernement grec, les États membres et le Fonds monétaire international – FMI.

Vous avez évoqué, madame la présidente, le reversement des intérêts du SMP, c’est-à-dire le programme d’achat d’obligations d’État. J’en rappelle le mécanisme. La BCE possède un portefeuille de titres qui, achetés après 2010 pour stabiliser les marchés financiers grecs, représente un montant d’une vingtaine de milliards d’euros. Ces titres génèrent des intérêts, que la BCE redistribue aux États membres dans le cadre des dividendes versés aux banques centrales nationales, lesquelles les reversent à leur tour au Trésors nationaux. Les ministres des Finances des pays de la zone euro se sont engagés à reverser ces sommes à l’État grec. En tout état de cause, la BCE ne conserve pas cet argent.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie pour la clarté de votre exposé, mais aussi pour le courage et l’engagement politique de la BCE, pendant la crise et aujourd’hui encore.

M. Joaquim Pueyo. La semaine dernière, le rendement des dettes souveraines a sensiblement augmenté, passant de 0,4 % à 1 % pour la France, qui par conséquent emprunte deux fois plus cher qu’il y a quinze jours. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont vu aussi leur taux augmenter, et ce malgré la politique d’achats de la BCE. Selon la presse, cette volatilité s’expliquerait par une volonté des acteurs financiers de contrer les actions de la BCE et des banques centrales. Souscrivez-vous à cette analyse ?

D’autre part, une forme d’accord est-elle envisageable avec les acteurs financiers s’agissant d’un taux d’équilibre entre le soutien à la relance économique et les rendements que ces derniers attendent ?

M. Arnaud Richard. Avec Razzy Hammadi, nous avions identifié, dans notre rapport d’information sur le suivi du pacte de croissance, deux causes à la faiblesse de la croissance en Europe : un calendrier de retour à l’équilibre budgétaire trop rapide, et un euro trop fort face au dollar. Les orientations de la BCE ont été déterminantes sur le second aspect, le premier ne relevant pas de son champ d’action.

M. Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, avait admis, devant la commission des affaires européennes et la commission des Finances, des erreurs de calcul qui expliqueraient une sous-estimation de l’impact des politiques d’austérité sur la croissance. On peut en effet penser que, mises en œuvre simultanément, celles-ci ont généré une récession sans rétablir les équilibres budgétaires. Partagez-vous cet avis ?

Les réformes structurelles demandées par la BCE inquiètent les populations, qui redoutent de voir les salaires et les pensions diminuer ; cela alimente un populisme délétère pour la construction européenne et suscite un désir de protection au sein des États-nations. En Italie, un débat s’est ouvert sur l’opportunité d’un maintien dans la zone euro car, depuis qu’il y est entré, ce pays, autrefois adepte des dévaluations compétitives, a vu son PIB par habitant diminuer. Quels sont les pays qui ont, respectivement, le plus et le moins gagné à la création de l’euro ? Par le fait, les pays de l’Union situés hors zone euro ont eu un taux de croissance supérieur à ceux qui en sont membres, notamment parce qu’ils peuvent mettre en œuvre une politique de change. Ne pensez-vous pas qu’une telle politique serait nécessaire pour la zone euro ? Si oui, sous quelle forme et sous la responsabilité de quelles institutions ?

Enfin, les dettes de certains pays étant trop lourdes, il faudra au minimum, pour que leur remboursement soit économiquement et socialement supportable, les rééchelonner. Comment de telles opérations peuvent-elles être conduites ?

M. Pascal Cherki. Il y a quelques mois, nous avons reçu M. Blanchard, économiste en chef du FMI. Il avait alors répondu qu’une inflation de 4 % sur dix ans résorberait environ 50 % du montant des dettes au sein de la zone euro. La BCE, qui semble être la seule institution à avoir un projet européen cohérent, a fait des traités une interprétation, non pas contra legem, mais extensive, qui en tout cas tranche avec celle du prédécesseur de M. Draghi. Aura-t-elle la même démarche vis-à-vis de l’inflation, dont le niveau, ridiculement bas dans la zone euro, oblige par exemple la France à trouver 5 milliards d’euros supplémentaires, qui n’iront donc pas au logement ou à l’éducation ?

En 1953, pour éviter que l’Allemagne ne retombe dans des difficultés qui, pendant l’entre-deux-guerres, l’avaient précipitée dans un destin funeste pour toute l’Europe, ses créanciers, réunis à Londres, avaient décidé d’annuler 50 % de sa dette – qui alors représentait 40 milliards, dont 20 milliards hérités de la période de Weimar et 20 autres milliards prêtés par une sorte de « troïka » – et de rééchelonner le reste ; cela a permis à nos amis allemands de payer le reliquat de leur dette jusqu’aux années 2000 et de décoller économiquement. Des économistes considèrent en effet que ce décollage n’est pas seulement dû au génie propre de l’Allemagne, mais d’abord et avant tout à l’aide consentie par ses créanciers, parmi lesquels figurait la Grèce. Ce qui a été bon pour les Allemands dans les années cinquante ne peut-il l’être pour les Grecs aujourd’hui ? Ne pourrait-on rééchelonner significativement une partie de la dette grecque ? C’est d’ailleurs ce que demande désormais le gouvernement grec, qui auparavant plaidait pour une annulation partielle de cette dette. La France, exposée à hauteur de 40 milliards via le MES, ne pourrait-elle prendre une initiative en demandant un rééchelonnement de sa quote-part ? Pourriez-vous donner ce type de conseil au Président de la République et au Premier ministre ?

Mme Arlette Grosskost. La confiance, avez-vous dit, est déterminante pour le système monétaire européen. Dans ces conditions, quelles peuvent être les conséquences des crises politiques auxquelles nous assistons ? La crise a eu des effets divergents au sein des pays européens. Ces divergences, qui demeurent, ne sont-elles pas de nature à compromettre la cohésion économique de la zone euro ?

L’injection massive de liquidités et le crédit bon marché ne risquent-ils pas de générer de nouvelles bulles de passif et, in fine, un « credit crunch » ? Comment éviter la répétition d’un tel scénario ? Une inflation réelle qui, avec la baisse d’activité, serait plus faible que l’inflation anticipée ne dégraderait-elle pas la profitabilité des entreprises ? Comment, là encore, éviter ce cercle vicieux ?

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Le FMI, dans son rapport, exprime des inquiétudes sur certains assureurs en Allemagne du fait de la faiblesse des taux : quel est votre avis sur ce point ? Si ces difficultés se confirmaient, ne rendraient-elles pas nécessaire une remontée des taux ?

On régule par silos ; or, les crises se produisent à travers des intersections, le « shadow banking » échappant à cette régulation. Avez-vous des inquiétudes à ce sujet ? Si oui, quelles sont-elles et, le cas échéant, quelles actions envisagez-vous ?

M. Michel Piron. La politique monétaire, avez-vous dit, est commune, alors que les politiques économiques, en vertu d’un subtil distinguo, sont « d’intérêt commun » : cela revient à dire, me semble-t-il, que les secondes sont bien souvent divergentes, hélas. Dès lors que les pays et les modèles économiques peuvent être très différents, à quelles échelles de temps envisager la convergence, et selon quelles règles ? L’exemple grec ne plaide-t-il pas en faveur d’une discordance des temps ? Le temps de la Grèce, en effet, n’est ni celui de l’Espagne, ni celui du Portugal. On voit les problèmes que poserait l’abandon pur et simple des créances, mais l’application uniforme et simultanée des mêmes règles s’apparente aussi à la quadrature du cercle.

M. Éric Alauzet. Quelle appréciation portez-vous sur la légitimité des dettes ? Beaucoup d’États, dans les périodes les plus difficiles, se sont endettés à des taux extrêmement élevés, accumulant ainsi, en plus du capital proprement dit, beaucoup d’intérêts à rembourser : serait-il légitime, selon vous, que les créanciers consentent un effort sur ces intérêts ?

Au cours des dernières années, quelles ont été les divergences les plus marquées entre, d’une part, la BCE, et, de l’autre, le FMI et l’Eurogroupe ? La BCE aurait-elle pu faire d’autres choix que ceux qui ont été retenus ? Si oui, lesquels et à quel moment ?

Enfin, les investissements, que la BCE soutient notamment à travers le « quantitative easing », peuvent s’avérer risqués ; d’un autre côté, on incite les banques à prêter, mais elles sont bloquées par les ratios prudentiels. Où est le chemin, étroit, entre la prise de risques et la nécessité d’investir ?

M. Jacques Myard. L’euro fut une faute qui « cassera » la construction européenne. Les opérations de rachat, menées depuis mai 2010 sur le marché secondaire, se sont accélérées sous l’impulsion de M. Draghi. La BCE, dites-vous, ne peut financer directement les États car les traités l’interdisent ; mais ces traités, vous les avez déjà violés à plusieurs reprises. Pourquoi, dès lors, n’avoir pas consenti des prêts directs aux États, lesquels auraient pu à leur tour investir ? La BCE a nourri les banques, mais celles-ci ne réinjectent pas cet argent dans l’économie réelle par des prêts aux entreprises : cela pose un réel problème.

Quant aux déficits budgétaires, ils sont un effet et non une cause. L’Espagne, je le rappelle, était en excédent budgétaire avant de voir sa compétitivité chuter dans un système économique asymétrique : un euro à 1,50 dollar étrangle la Grèce et la France, mais pas l’Allemagne, qui peut tolérer un change allant jusqu’à 1,80 dollar compte tenu de sa puissance économique. L’euro a donc été une faute stratégique.

Par ailleurs, toute union monétaire s’accompagne en principe d’une union de transfert, solution précisément refusée par l’Allemagne. Or, comme M. Stiglitz nous le rappelait récemment, sans une réforme structurelle de fond, la zone euro est condamnée : un marchand de canons et un marchand d’olives ne peuvent cohabiter dans un espace soumis à une politique monétaire unique. La monnaie unique, avais-je fait observer à M. Trichet, est conçue pour un monde parfait, donc utopique.

Comment gérer la sortie de la Grèce ? C’est bien ainsi que la question se pose, puisque l’Allemagne se refuse à payer. La Grèce doit évidemment retrouver sa compétitivité et rééchelonner sa dette : c’est toute l’histoire du monde monétaire ! Je ne comprends pas l’obstination dans un dogmatisme qui nous conduit dans le mur.

Quant à l’union bancaire, c’est le Titanic sans caissons !

M. Alain Fauré. Posez votre question !

M. Jacques Myard. Si une banque fait faillite, c’est l’ensemble du système qui paiera. Alors qu’il aurait fallu, en quelque sorte, diviser pour régner, vous ne pourrez rien contrôler.

Enfin, je rappelle qu’aux termes de l’arrêt rendu en mai par la cour constitutionnelle de Karlsruhe, la Diète fédérale a le dernier mot sur la BCE.

M. Alain Fauré. Au-delà des mesures conjoncturelles qui, avez-vous indiqué, ont favorisé la reprise, pourriez-vous préciser les principales mesures structurelles qui vous semblent nécessaires, bien qu’elles ne soient pas de votre ressort ?

Une anticipation des revenus liée aux réformes structurelles permettrait, suggérez-vous, de desserrer la contrainte sur les finances publiques : une telle opération n’est-elle pas dangereuse, dans la mesure où ces revenus ne sont pas certains ? Je fais miennes les observations d’Arlette Grosskost.

Jusqu’à quand les taux d’intérêt seront-ils orientés à la baisse ? À terme, l’endettement n’expose-t-il pas la France et la zone euro à des risques ?

M. Bruno Gollnisch, député au Parlement européen. M. Myard ayant été un excellent porte-parole des positions de ma formation politique, je me contenterai d’une question annexe, ce qui ne veut pas dire mineure.

Récemment, la banque européenne BNP-Paribas a été spoliée de 6 ou 7 milliards d’euros par les autorités américaines, dans l’indifférence apparente de nos autorités et d’une opinion publique anesthésiée. Selon la BCE, cette affaire relève-t-elle seulement du domaine privé ou des autorités nationales compétentes ? Vous inspire-t-elle une opinion ?

M. Christophe Caresche. Je félicite à mon tour la BCE pour son action ; elle est devenue très populaire en France, après avoir été souvent vilipendée. Je ne suis pas sûr, d’ailleurs, que vous recevriez les mêmes satisfecit de la part du Bundestag… En tout cas, la preuve est faite que cette politique d’accommodement, nécessaire dans la période que nous traversons, n’est pas incompatible avec le statut et le mandat de la BCE. Elle peut cependant, dites-vous, avoir ses limites. Une cible d’inflation intermédiaire à l’objectif des 2 % ne serait-elle pas de nature à renforcer la confiance ? Cette proposition a été formulée par le Conseil d’analyse économique.

Quelles mesures pourrait-on prendre pour améliorer la transmission de la politique monétaire, dont les effets sont limités, non pas en France, mais dans un certain nombre de pays ?

M. Arnaud Richard. J’ignore quelles sont les pratiques à la commission des Finances mais, au sein de la commission des affaires européennes, on n’interrompt pas les collègues, même si l’on est en désaccord avec eux.

La Présidente Danielle Auroi. Si cette réflexion s’était imposée, ç’eût été à moi de la faire. En l’occurrence, chacun a pu être écouté. Votre réflexion est donc déplacée.

M. Benoît Cœuré. Merci pour ces questions toutes pertinentes, qui correspondent d’ailleurs à celles que nous nous posons.

Vous m’avez d’abord interrogé sur le risque de bulles induit par l’abondance de liquidités. Nous suivons cette question avec attention. De fait, le maintien de taux bas sur une longue période peut favoriser les stratégies spéculatives, alors que nous entendons encourager, chez les banques et les gestionnaires d’actifs, la vente des obligations d’État au profit des prêts à l’économie. Les nouvelles règles européennes prévoient des mécanismes d’alerte et des instruments d’action macroprudentiels, étant entendu que les bulles se forment d’abord au niveau national. La BCE a la possibilité d’intervenir dans le cadre des règles issues de l’union bancaire, mais elle ne peut le faire que pour durcir les décisions prises au niveau national, non pour les assouplir, et en utilisant des instruments qui relèvent de la seule réglementation bancaire. Nous pouvons, par exemple, imposer à telle ou telle banque un matelas supplémentaire de fonds propres si sa politique de crédit nous paraît trop laxiste et alimente par exemple une bulle immobilière dans tel ou tel pays.

Se pose aussi le problème, évoqué par Mme Valérie Rabault, du contrôle du secteur non bancaire. En ce domaine, la vérité m’oblige à dire que nous sommes encore en phase d’exploration. Une discussion est en cours au niveau européen comme au sein du Conseil de stabilité financière. Il est possible que soit recommandée, à l’issue de cette discussion, la création d’instruments de contrôle sur les risques pris par les fonds d’investissement ou les organismes émettant des obligations titrisées. Nous avons d’ores et déjà suggéré d’étendre l’approche macroprudentielle au monde non bancaire. La Commission européenne s’est également penchée sur le sujet.

L’indicateur avancé des bulles reste le niveau d’endettement : toutes les crises financières ont commencé par une inflexion anormale des cours boursiers au regard des fondamentaux et l’excès de crédit. Or, en l’occurrence, les banques de la zone euro continuent de réduire la taille de leur bilan, ce qui agit comme un système de refroidissement : il n’y a pas d’espace, en l’état actuel des choses, pour des comportements spéculatifs refinancés par les banques. Le jour où nous observerons une reprise des crédits en ce domaine, nous devrons sans doute agir ; mais nous n’en sommes pas encore là.

La remontée des taux sur les marchés obligataires ne nous préoccupe pas spécialement. Ces marchés ont fortement réagi, en janvier puis en mars, à l’annonce de notre politique d’achat d’actifs : les taux à long terme ont alors chuté dans tous les pays de la zone euro, y compris en Allemagne et en France. Les marchés apprennent à s’adapter à un nouvel équilibre : la correction n’est donc pas inutile, surtout si elle incite les acteurs financiers à la discipline et leur rappelle l’existence du risque dans le système. L’État emprunte plus cher, certes, mais il a largement profité, et profite encore, du faible niveau des taux à long terme, qui en tout état de cause sont fixés par les marchés. Cette évolution a aussi le mérite de rappeler que de telles conditions d’emprunt ne sont pas éternelles, non plus que le taux de change par rapport au dollar et la baisse du prix du pétrole ; au reste, celui-ci est fortement reparti à la hausse au cours des dernières semaines. Cette période doit être mise à profit pour faire des réformes.

Quant aux dettes publiques, je rappelle qu’elles sont des engagements des États : il n’appartient pas à la BCE de prescrire des annulations, des restructurations ou des allongements de maturité. Des propositions ont été faites pour restructurer la dette grecque mais, en ce domaine, la discussion ne peut intervenir qu’entre le gouvernement grec et les États membres. L’Assemblée nationale, qui vote le budget, est évidemment partie prenante. L’exposition de la France vis-à-vis de la Grèce se monte à 40 milliards d’euros : faut-il la réduire ? C’est à vous d’en délibérer, puisque l’argent qui est en jeu est celui des contribuables français.

Les restructurations de dette ont toujours existé, y compris pour la Grèce. La moitié de la dette grecque vis-à-vis des acteurs privés a ainsi été abandonnée d’un commun accord en 2013 ; quant aux prêts consentis par le MES, ils ont déjà été étendus, et leurs taux d’intérêt plusieurs fois adaptés à la baisse. Aujourd’hui, les États européens prêtent à la Grèce pour ainsi dire à prix coûtant. De ce fait, la charge de la dette en Grèce, mesurée en points de PIB, est inférieure à la moyenne de celle des pays de la zone euro ; elle est beaucoup plus faible qu’en Italie et en Espagne, par exemple.

Des discussions sont en cours avec le gouvernement grec sur le nouveau programme d’ajustement ; elles sont difficiles, comme vous le savez. Nous espérons cependant aboutir, dans les prochaines semaines, à un accord qui puisse être discuté par l’Eurogroupe. Cet accord, qui aura des conséquences sur la trajectoire de croissance et sur les finances publiques grecques, conduira la BCE à mener, avec la Commission européenne et le FMI, une analyse de soutenabilité de la dette, analyse que nous soumettrons aux ministres des Finances de la zone euro, qui sur cette base discuteront des besoins de la Grèce à moyen terme pour que la dette soit soutenable.

Le souhait de tous les acteurs est le maintien de la Grèce dans la zone euro : sa sortie n’est donc pas une hypothèse de travail pour la BCE. La zone euro est un projet politique ; les chefs d’État et de gouvernement européens ont affirmé, à plusieurs reprises, vouloir en préserver l’intégrité : c’est donc notre seule perspective.

S’agissant de l’Italie, la croissance du PIB et de la productivité globale des facteurs, a commencé à s’infléchir dès les années 1980 et 1990, soit bien avant son entrée dans l’euro. Ce pays a notamment connu une grave crise économique et financière en 1992 et 1993. Le ralentissement de la productivité globale des facteurs est un problème séculaire pour les économies développées, en particulier en Europe : il n’a donc rien à voir avec la monnaie unique. L’évolution du taux de change peut donner un coup de fouet à court terme, mais elle est sans effet sur la croissance de la productivité à long terme.

Le faible niveau des taux d’intérêt change effectivement l’équilibre financier pour les assureurs – et pour les fonds de pension –, madame Rabault. Reste que, pour le dire schématiquement, notre politique monétaire n’est pas conçue pour tel ou tel secteur : elle vise à replacer l’économie sur une trajectoire de croissance et, dans le contexte actuel, à éviter la déflation. Il est vrai qu’elle a des conséquences pour certains acteurs, dont les assureurs, qui ont distribué beaucoup de garanties de rendement : peut-être doivent-ils sortir de cette logique, dans un monde où les taux de refinancement sont variables. Ils souffrent davantage dans certains pays – dont la France ne fait pas partie –, où la maturité de leur passif diffère de celle de leur actif : il leur incombe de gérer leur bilan pour éviter ces « gaps de duration ».

La fixation de règles communes pour des économies divergentes est une question quasi philosophique. Les économies de la zone euro n’ont pas vocation à être identiques : le traité de Maastricht repose sur une « décentralisation » des politiques économiques, et cette latitude doit être préservée. Cela dit, la crise de 2007 nous a montré qu’il fallait limiter les divergences. La croissance, en Espagne et au Portugal, était soutenue par des bulles, notamment immobilières, alimentées par des financements extérieurs : elle ne pouvait donc durer éternellement. Le rôle de la Commission est de signaler de tels déséquilibres lorsqu’ils se manifestent.

Des mécanismes de solidarité sont nécessaires, comme le rappelait M. Muet ; le MES en est un. Sans doute faut-il réfléchir également à la création d’une capacité budgétaire commune. Ces mécanismes doivent être soumis à un contrôle démocratique – notamment du Parlement européen et des parlements nationaux –, mais une telle réflexion ne relève pas des compétences de la BCE. Reste que, sans une certaine convergence économique, la solidarité se traduirait par des transferts, ce qui ne correspond pas au contrat passé entre les signataires du traité de Maastricht. Un nouveau mécanisme de solidarité devrait prendre la forme d’une assurance contre les chocs, étant entendu que les mécanismes de transfert permanents existent déjà : ce sont, notamment, les fonds structurels et les fonds de cohésion.

Vous avez posé, monsieur Gollnisch, une très bonne question sur BNP-Paribas ; mais cette affaire est intervenue à une époque où la BCE n’était pas l’autorité de contrôle de cette banque. Le dossier ressortit donc au superviseur national, en l’espèce la Banque de France, qui s’est d’ailleurs engagée auprès des autorités américaines pour trouver une solution. Je n’ai pas de commentaire particulier sur des affaires judiciaires à l’étranger, sinon que la sanction est normale dès lors que des activités délictueuses, en l’occurrence au regard du droit américain, sont avérées. Cela dit, on peut tirer quelques enseignements de la multiplication de ce type d’affaires, car leur traitement, en Europe, est très différent de ce qu’il est aux États-Unis. Compte tenu de l’existence d’un marché unique des services financiers et, désormais, d’une union bancaire, il serait légitime que l’Europe s’organise davantage pour traiter ce type de questions, par exemple en créant un parquet européen qui serait l’interlocuteur des autorités étrangères.

L’inflation, dans la zone euro, s’établit aujourd’hui à – 0,1 % après être descendue à – 0,6 %. Nous avons bon espoir que cette tendance à la hausse se poursuive ; toutefois, le débat sur le fait de savoir si elle doit atteindre 4 % reste très théorique : nous aurons matière à nous réjouir si la cible des 2 % est atteinte. Cet objectif, fixé en 1998, constitue une référence pour l’ensemble des acteurs du monde économique. Le fait que la zone euro s’en soit éloignée a perturbé son fonctionnement : cela justifiait donc une action de la BCE. Nous n’allons pas modifier aujourd’hui l’objectif d’inflation, d’autant que les autres grandes autorités monétaires – Réserve fédérale américaine, Banque centrale du Japon et Banque d’Angleterre – ont elles aussi fixé l’objectif à 2 %. Cette convergence est un facteur de stabilité pour le système monétaire et financier international.

M. Dominique Lefebvre, coprésident. Merci pour la clarté et la franchise de vos propos.

M. Benoît Cœuré. Les parlementaires français sont toujours les bienvenus à la BCE, dont les services restent à leur disposition, par exemple, pour approfondir des questions plus techniques.

La Présidente Danielle Auroi. Nous vous prendrons sans doute au mot, je vous remercie.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 13 mai 2015 à 11 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Pascal Cherki, M. François Cornut-Gentille, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault,
M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Marc Francina, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Dominique Lefebvre, M. Bruno Le Maire, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Pierre-Alain Muet,
M. Patrick Ollier, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Gilles Carrez, M. Alain Claeys, M. Jean-Louis Dumont,
M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean-Pierre Gorges,
M. Laurent Grandguillaume, M. David Habib, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, M. Thierry Robert, M. Nicolas Sansu

Assistaient également à la réunion. - M. Razzy Hammadi, M. Jacques Myard,
M. Michel Piron, M. Joaquim Pueyo, M. Arnaud Richard, M. Lionel Tardy

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