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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 17 juillet 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, et de Mme Najat
Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel (n° 82) et examen de ce projet de loi (discussion générale) (Mme Pascale Crozon, rapporteure)

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, et de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel (n° 82)et à l’examen de ce projet (discussion générale) (Mme Pascale Crozon, rapporteure).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, pour procéder à la discussion générale sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel. Nous entamerons demain, à partir de dix heures, la discussion des articles et des amendements – le délai de dépôt de ces derniers ayant été prolongé jusqu’à aujourd’hui midi, dans la mesure où le texte issu du Sénat nous avait été transmis hier seulement, à midi trente.

Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte exceptionnel. En effet, la décision du Conseil constitutionnel en date du 4 mai, abrogeant l’article 222-33 du code pénal qui réprimait le harcèlement sexuel, a créé un vide juridique et, par conséquent, la nécessité – l’urgence même – d’apporter une réponse aux personnes qui avaient engagé des procédures judiciaires. C’est ce qui explique l’engagement sur ce projet de loi de la procédure accélérée, car l’enjeu est de parvenir à l’adoption d’un texte d’ici au 31 juillet – mais je souhaite que le Gouvernement ait à cœur de conserver à cette mesure son statut d’exception !

Je salue le travail réalisé dans des conditions difficiles par Mme Pascale Crozon, notre rapporteure, et par Mme Barbara Romagnan, rapporteure pour avis au nom de la commission des Affaires sociales et Mme Ségolène Neuville, rapporteure pour la délégation aux Droits des femmes. Le Sénat a travaillé pendant plus d’un mois et nous n’avons que douze jours pour examiner ce texte, dans des délais supportables pour les victimes.

Enfin, je tiens à remercier nos collègues de cette même délégation de s’être associés à cette audition.

Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Mesdames, messieurs les députés, comme vient de le souligner le président, la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 4 mai dernier a conduit le Gouvernement à travailler dans l’urgence au rétablissement de l’incrimination de harcèlement sexuel. Pendant le même temps, le Sénat a produit sept propositions de loi et organisé l’audition d’une cinquantaine de personnalités, d’associations et d’experts. C’est sur la base de ce travail que nous avons abouti à un texte qui a donné lieu à une discussion en séance publique, la semaine dernière, au Sénat. Naturellement, le présent projet de loi pourra être enrichi encore par votre assemblée.

Nous avons bien évidemment eu le souci de la sécurité juridique du texte, compte tenu du motif pour lequel le Conseil constitutionnel a abrogé l’article 222-33 du code pénal. Les débats qui ont eu lieu au Sénat sur un certain nombre de concepts ou termes trouveront sans doute un prolongement à l’Assemblée. Pour notre part, nous avons souhaité conserver autant que possible des notions déjà présentes dans le code pénal.

Nous nous sommes également référées aux directives européennes traitant de l’incrimination de harcèlement sexuel. Dans la mesure où elles n’imposent pas de sanction pénale, nous n’avons pas procédé à leur transposition en droit interne, mais nous les avons aménagées en introduisant des éléments objectifs et identifiables – comportements, agissements, actes –, alors qu’elles font référence, pour leur part, à la perception que la victime peut avoir du harcèlement.

Nous avons également débattu pour savoir si certains cas de harcèlement peuvent présenter des circonstances aggravantes ou s’ils doivent relever de l’article qui définit les discriminations. J’y reviendrai.

Le 10 mai, la Chancellerie a adressé aux parquets une circulaire les invitant à requalifier en violence volontaire, harcèlement moral ou tentative d’agression sexuelle les plaintes qui n’auraient pas encore fait l’objet d’une saisine juridictionnelle. Le 7 juin, je leur ai demandé de porter à notre connaissance d’ici au 30 juin les réquisitions et les décisions qu’ils auraient été amenés à prendre sur les procédures en cours. Ainsi, sur 130 procédures, 50 ont été requalifiées.

Sur environ 1 000 plaintes déposées chaque année sur le fondement de harcèlement sexuel, un grand nombre font l’objet d’un classement sans suite ; 80 seulement aboutissent à une condamnation, généralement assortie d’un sursis, parfois d’une amende. Et le taux d’appel est de l’ordre de 25 %, ce qui est important.

Le texte que vous allez examiner aujourd’hui comporte dix articles.

L’article 1er donne une nouvelle définition du harcèlement sexuel. La rédaction que nous vous proposons est plus large dans son champ d’application et plus précise que l’incrimination annulée par le Conseil constitutionnel. En outre, le quantum des peines y est plus élevé.

Cet article définit l’incrimination sous deux aspects : celui du harcèlement par répétition, au moyen de propos ou d’agissements ; celui d’un acte unique, mais qui aboutit aux mêmes conséquences que le harcèlement sexuel. Les peines seront les mêmes dans les deux cas.

L’article 2 et les trois suivants portent sur la discrimination, avec l’introduction des notions d’orientation et d’identité sexuelles. Après des échanges nourris, le Sénat a en effet tranché en faveur de cette dernière notion plutôt que de l’identité de genre, mais le débat n’est pas épuisé.

Nous avons modifié le code de procédure pénale à deux niveaux, afin de permettre aux associations de se constituer partie civile.

L’article 3 modifie le code du travail, en renvoyant à la nouvelle rédaction introduite dans le code pénal.

À l’article 3 bis, le Sénat a procédé à un ajustement du statut des fonctionnaires, disposition prévue initialement par le Gouvernement mais qu’il avait retirée pour laisser place à la consultation des représentants des fonctionnaires, actuellement menée par Mme la ministre de la Réforme de l’État et de la fonction publique. À noter que l’incrimination a été réintroduite in extenso dans le statut des fonctionnaires, contrairement à ce qui a été fait pour le code du travail.

L’article 4 modifie le code du travail de Mayotte, devenue département il y a quelques mois seulement et pour laquelle nous procédons encore à la transposition d’une série de dispositions législatives, essentiellement par voie d’ordonnances.

L’article 5 concerne Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.

L’article 6 comporte des dispositions applicables aux Terres Australes et Antarctiques Françaises et à Wallis-et-Futuna.

Je reviens sur les circonstances aggravantes, prévues à l’article 1er au nombre de cinq. La première est l’abus d’autorité de la part d’une personne dans le cadre de ses fonctions. La deuxième est le harcèlement pratiqué à l’encontre d’un mineur de quinze ans. Comme le Sénat, vous souhaiterez probablement débattre de cette limite d’âge, pour savoir s’il faut la maintenir ou non.

Le harcèlement à l’égard d’une personne d’une particulière vulnérabilité sera également une circonstance aggravante, d’ailleurs prévue pour toutes les infractions à caractère sexuel – c’est pourquoi la rédaction du projet de loi en reprend la formulation avec les termes « vulnérabilité due à l’âge, à une maladie, à une infirmité », etc.

Adoptant un amendement du Gouvernement, le Sénat a ajouté une circonstance aggravante liée à la « vulnérabilité ou dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale, apparente ou connue de l’auteur ». Cette rédaction permettra au juge, non pas de porter une appréciation, quantitative ou de valeur, sur ce qu’est la vulnérabilité économique ou sociale, mais de tenir compte de la réalité d’une situation.

Enfin, la cinquième circonstance aggravante sera constituée lorsque plusieurs personnes agiront « en qualité d’auteur ou de complice ».

En définitive, grâce à ce projet de loi, l’incrimination devient plus précise et permettra de répondre à toutes les situations concrètes qui nous ont été relatées tant par les associations que par les syndicats et personnalités que nous avons auditionnés.

Des interrogations demeurent à propos de l’acte unique. Comme je l’ai dit, le Gouvernement a, en permanence, été animé par un souci de sécurité juridique. Nous avons jugé que retenir l’acte unique – qui sémantiquement diffère du harcèlement en ce qu’il ne suppose pas la réitération – imposait de le caractériser. C’est ce que nous avons fait, sur la base de deux critères : celui de la pression grave et celui du but réel ou apparent. Le Sénat s’est interrogé sur la difficulté d’apporter des preuves, notamment en cas de pression grave. L’acte unique, s’il intervient dans le cadre d’un entretien d’embauche, de la préparation d’une thèse de doctorat ou de la soutenance d’un mémoire, ou encore lors de la signature d’un bail locatif, peut avoir des effets équivalents au harcèlement en ce qu’il consiste en un chantage sexuel – certains l’ont d’ailleurs qualifié ainsi. Votre Assemblée en débattra très certainement.

Quoi qu’il en soit, il était important de retenir l’acte unique. Cette notion suscite néanmoins l’inquiétude de certains sénateurs et députés dans la mesure où il existe un risque de sous-qualification de l’agression sexuelle en harcèlement sexuel. Nous avons donc travaillé à la rédaction d’amendements qui contribueraient à lever ce risque.

En sus de l’éclairage apporté par vos travaux, la circulaire d’application de la loi invitera les parquets à considérer comme circonstance aggravante l’abus d’autorité à l’égard des mineurs de plus de quinze ans lorsqu’ils sont stagiaires dans les entreprises, mais aussi dans de nombreuses circonstances où ils sont susceptibles d’être exposés au harcèlement sexuel : en colonies de vacances, lors de sorties ou dans les milieux sportifs.

Je n’ignore pas votre intention d’enrichir ce projet de loi que nos concitoyens attendent avec impatience, ou de débattre de certaines de ses dispositions. Je suis maintenant prête à répondre à toutes vos questions.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame la garde des Sceaux, d’avoir souligné les évolutions connues par ce texte et les précisions apportées par le Sénat, mais aussi l’existence de nouvelles marges de progression, qui permettront très certainement de parvenir à une rédaction satisfaisante et consensuelle.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Mesdames, messieurs, le travail mené dans un esprit très constructif au Sénat a permis d’enrichir ce projet de loi. Cette unanimité honore la Haute assemblée.

Très attendu, ce texte revêt un caractère d’urgence pour combler le vide juridique provoqué par la décision du Conseil constitutionnel et, surtout, pour garantir une protection efficace contre le harcèlement sexuel.

Ce dernier est un phénomène beaucoup plus fréquent qu’on ne l’imagine. Selon une étude menée en 1999 par la direction générale « Emploi » de la Commission européenne, près de 40 % des femmes en Europe déclaraient avoir subi au moins une fois dans leur vie active des faits qu’elles qualifiaient de harcèlement sexuel. En France, une enquête réalisée en 2000 par l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis a révélé que 45 % des 1 772 femmes interrogées disaient avoir eu droit à des blagues sexistes ou sexuelles au travail, la moitié d’entre elles de façon répétée, et que 13 % des salariés déclaraient avoir côtoyé des personnes ayant eu une attitude insistante, voire gênante, et des gestes déplacés.

Loin d’être marginal dans notre société, ce phénomène repose sur un certain nombre de ressorts – je pense aux stéréotypes – et a été pendant trop longtemps considéré avec condescendance. Aujourd’hui, nous voulons prendre à bras-le-corps cette question.

Dans son rapport, la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la Délégation aux droits des femmes, a parlé de « véritable plaie sociale qui doit être endiguée et combattue comme telle. » Nous souscrivons à ces propos, d’autant que, d’après tous les témoignages que Christiane Taubira et moi-même avons entendus, notamment de la part des associations, le harcèlement sexuel est extrêmement pénible à vivre – il est un véritable calvaire au quotidien pour les victimes –, sans compter les conséquences psychiques, professionnelles et familiales qu’il engendre.

Face à cette réalité, la réponse pénale semble être en décalage, avec 1 000 procédures en moyenne par an, dont plus de 50 % classées sans suite au motif que l’infraction n’était pas constituée, cependant qu’une très grande majorité des peines d’emprisonnement étaient assorties d’un sursis total. En outre, les peines d’amende s’élèvent en moyenne à 1 000 euros, soit bien moins que ce que prévoit le présent projet, et même que ce que prévoyait l’ancienne loi – et un quart des condamnations en la matière sont prononcées par les cours d’appel.

Or la réponse apportée par la justice est primordiale puisque le harcèlement, s’il est toléré, peut constituer les prémices de violences plus graves. Aussi le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel, même si l’on ne peut que le déplorer, nous donne-t-il l’occasion de compléter et d’enrichir l’ancien texte, qui s’était révélé largement insatisfaisant.

Mme la garde des Sceaux et moi-même sommes pleinement conscientes que le calendrier d’examen de ce texte, sur lequel est engagée la procédure accélérée, n’est pas très heureux pour votre assemblée. Votre rapporteure, Pascale Crozon, a disposé de quelques jours seulement pour préparer le rapport qu’elle proposera à votre Commission d’adopter demain. En outre, nombre d’entre vous, en particulier les députés nouvellement élus, auraient souhaité disposer de plus de temps pour débattre au fond de ce texte dont la discussion en séance publique commencera dès la semaine prochaine – alors que les sénateurs ont commencé à y travailler dès le lendemain du 4 mai. Cela étant dit, vous-mêmes devez avoir conscience de la souffrance qu’éprouvent les victimes depuis cette date, d’autant que les délais d’instruction de ces affaires sont en moyenne de 24 mois, ce qui signifie que la période de vide juridique aura des incidences pendant très longtemps, y compris sur les affaires en cours.

Bref, il était nécessaire d’agir vite pour ne pas laisser perdurer cette situation d’impunité dont bénéficient les harceleurs et pour garantir une protection légale aux femmes, mais aussi pour sécuriser ce texte afin d’éviter une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité (question prioritaire de constitutionnalité) susceptible d’anéantir notre travail. Voilà pourquoi nous avons fait le choix d’un projet de loi, qui a été largement enrichi par les sénateurs et que vous saurez à votre tour compléter, je n’en doute pas, d’autant que Mme Crozon a assisté très assidûment aux débats du Sénat.

Dès notre entrée au Gouvernement, Mme la ministre de la Justice et moi-même avons rencontré l’ensemble des associations impliquées dans la lutte contre le harcèlement sexuel, afin de recueillir leurs demandes. Avec Michel Sapin en particulier, nous avons informé les partenaires sociaux, puisque c’est le plus souvent dans le monde du travail que sévissent les harceleurs sexuels. Pour ce faire, j’ai organisé en juin un Conseil supérieur de l’égalité professionnelle au sein duquel les partenaires sociaux se sont révélés être très demandeurs d’un texte de loi – et désireux de travailler également à la prévention du harcèlement, sujet sur lequel je reviendrai.

Les avancées apportées par le Sénat sont très importantes et permettent au projet de loi de n’oublier aucune situation.

L’ancien texte de loi sur le harcèlement sexuel exigeait l’existence d’une intention d’obtenir des faveurs sexuelles pour prouver le harcèlement. Ce n’est plus le cas avec ce projet, permettant de condamner des agissements répétitifs qui « pourrissent » la vie des femmes, situation malheureusement fréquente de nos jours.

D’autre part, le fait unique – couramment appelé « chantage sexuel », pratiqué lors des entretiens d’embauche par exemple – est assimilé au harcèlement sexuel et sera également réprimé. Le Sénat nous avait proposé de le dénommer « chantage sexuel », mais nous ne l’avons pas suivi car la notion de chantage, qui existe déjà dans le code pénal, se prêtait mal à notre cas puisqu’elle concerne la recherche d’avantages matériels et financiers.

En outre, la définition du harcèlement sexuel devrait faciliter l’instruction des plaintes puisque nous avons veillé à utiliser un vocabulaire qui puisse être parfaitement appréhendé par les magistrats – je pense aux termes « imposer » ou « but réel ou apparent ». De plus, ainsi que Mme la ministre de la Justice l’a rappelé, une circulaire à l’intention des parquets devrait expliciter le texte dans un souci d’efficacité.

Les sénateurs ont insisté pour que le terme « environnement », qui figurait initialement dans la définition de l’article 1er, soit remplacé par celui de « situation ». Ce terme « environnement » était issu de la directive européenne sur laquelle nous nous sommes beaucoup appuyés, mais nous avons accepté l’amendement sénatorial car, dans tous les cas, les magistrats pourront apprécier si « la situation [est devenue] intimidante, hostile ou offensante » pour les victimes, autrement dit si les conditions de travail, voire de vie, de ces dernières ont été altérées.

Les peines prévues sont plus importantes que par le passé : deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, hors circonstances aggravantes. Elles ont été définies au regard de l’échelle des peines actuelle, qui va d’un an pour l’exhibition sexuelle à cinq ans pour l’agression sexuelle, et à quinze ans pour le viol.

Ce texte apporte une nouveauté : les discriminations que subiront les victimes de harcèlement sexuel ou les témoins de tels agissements seront condamnées. Concrètement, une personne qui, pour avoir refusé une proposition de nature sexuelle, n’aurait pas été embauchée, ou aurait été licenciée ou mal notée, tout comme le témoin de faits de harcèlement sexuel qui les aurait relatés et qui aurait subi les mêmes discriminations par la suite, seront protégés par la loi.

Sur les discriminations, les sénateurs ont permis de faire évoluer le texte en traitant de la question essentielle de l’orientation sexuelle de la victime. Après avoir souhaité en faire une circonstance aggravante, ils se sont ralliés à notre proposition d’en faire plutôt un critère de discrimination. Nous avons également amélioré le texte en y ajoutant l’identité sexuelle – ajout qui rend notre droit plus explicite sur la possibilité de réprimer des discriminations à l’endroit de personnes transsexuelles.

Cela imposera d’introduire dans les autres codes – du travail, de la fonction publique, du sport, de procédure pénale – cette notion de discrimination liée à l’identité sexuelle. J’espère que votre assemblée pourra se saisir de cette question.

Autre apport du Sénat : le texte concerne également les fonctionnaires. Les sénateurs ont en effet intégré au texte gouvernemental une modification de la loi de 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires et y ont introduit l’interdiction du harcèlement sexuel et sa nouvelle définition.

De plus, ils ont autorisé les associations dont l’objet statutaire est la lutte contre le harcèlement sexuel à se porter partie civile aux côtés des victimes. Cette possibilité aidera beaucoup de personnes qui ne se sentent pas capables de porter seules une action en justice.

Au-delà de la répression, il faut mener un important travail de prévention et d’information. S’agissant de l’information, avec l’aide des associations d’accueil, d’information et d’orientation des femmes, je ferai en sorte que les nouveaux droits créés par cette loi soient parfaitement connus de nos concitoyens. Ce point me tient particulièrement à cœur. S’agissant de la prévention, la conférence sociale qui s’est tenue au début de la semaine dernière m’a donné l’occasion d’y animer un atelier sur l’égalité professionnelle et sur l’amélioration de la qualité de vie au travail. Dans ce cadre, nous avons largement abordé la question de la prévention du harcèlement sexuel dans les relations de travail. Les partenaires sociaux ont déjà négocié un accord interprofessionnel sur le sujet en 2010. Nous allons progresser en la matière, avec l’aide de Marylise Lebranchu pour ce qui concerne la fonction publique. Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a, de son côté, parfaitement conscience de la nécessité d’engager une réflexion sur les procédures disciplinaires applicables en cas de harcèlement à l’université – procédures disciplinaires qui, aux dires de toutes les associations concernées, sont largement insatisfaisantes. Nous travaillerons donc également sur ce sujet.

Avec ce projet de loi, le code du travail est amélioré puisque, grâce aux travaux menés avec le Sénat, est désormais reconnu aux délégués du personnel le pouvoir de saisir immédiatement l’employeur en cas d’atteinte résultant de faits de harcèlement sexuel, comme ils ont déjà la possibilité de le faire en cas d’atteinte au droit et à la santé des salariés.

Dans le même esprit, a été introduite une disposition permettant aux services de santé au travail de conseiller l’employeur en matière de prévention du harcèlement sexuel. Cette disposition est d’autant plus importante que ces services sont des acteurs privilégiés dans ce domaine.

Enfin, le Sénat a étendu aux stagiaires l’ensemble des dispositions relatives au harcèlement sexuel.

Sitôt adopté – nous l’espérons assez rapidement – avec vos améliorations, ce projet de loi fera l’objet d’une grande campagne de sensibilisation. La décision du Conseil constitutionnel a au moins eu un avantage : on n’a jamais autant parlé de harcèlement sexuel que depuis le 4 mai, ce qui a encouragé de nombreuses victimes à mettre des mots sur leur souffrance – à oser en parler et à porter plainte –, comme nous l’ont expliqué les associations. Nous souhaitons que les choses continuent ainsi afin que ne subsiste plus ce tabou dans notre société.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame la ministre, d’avoir terminé sur un point positif, même si, en l’espèce, l’institution de la question prioritaire de constitutionnalité s’est, pour la première fois, révélée défavorable au justiciable, puisqu’elle a créé un trouble juridique – auquel nous allons remédier très rapidement.

Mme Pascale Crozon, rapporteure. Mesdames les ministres, je ne reviendrai pas sur les circonstances qui ont amené le Gouvernement à déposer, dès cette session extraordinaire, ce projet de loi. Le vide juridique auquel les victimes sont aujourd'hui confrontées nous a conduits à travailler dans l'urgence. Fait exceptionnel : c'est à l'invitation du Sénat et avec l'accord de l'ensemble des groupes politiques que vous avez déclaré la procédure accélérée sur ce texte. Et c'est dans l'objectif de voter la loi avant la fin du mois que nous avons procédé à l'audition des associations, des partenaires sociaux, des praticiens du droit et des services gouvernementaux concernés, avant même que le Sénat ait pu achever son examen du texte.

J’adresse néanmoins une nouvelle fois mes excuses à nos interlocuteurs et à nos collègues qui n'ont pu assister à nos travaux : ils comprendront que ces conditions de travail exceptionnelles ont été dictées par la nécessité.

Le projet de loi dont notre Commission est saisie a été voté à l'unanimité au Sénat, ce qui constitue un motif de satisfaction à plusieurs titres.

Sur le fond, je veux rappeler que l'introduction de ce délit dans le code pénal en 1992 avait fait débat. Des craintes avaient notamment été exprimées sur le risque accru d'aseptisation et de judiciarisation des relations sociales. Vingt ans plus tard, l'expérience nous a prouvé que ces craintes étaient infondées et que, à l'inverse, il demeure extrêmement difficile, du fait de la contrainte économique mais aussi, il faut le dire, d'une certaine tolérance sociale, d'engager une procédure judiciaire, et plus encore d'apporter la preuve des faits de harcèlement sexuel que l'on subit. Nous devons donc nous féliciter que la représentation nationale tout entière partage aujourd'hui le souci de lutter contre ce fléau, dont les conséquences aussi bien professionnelles que médicales sont lourdes pour les victimes, et coûteuses pour la société tout entière.

Sur la forme, nous devons également nous féliciter de la méthode employée. Je veux saluer l'action de nos collègues sénateurs qui, à raison, ont su utiliser le temps de l'interruption de nos travaux due aux élections législatives pour mener un travail approfondi sur la base de sept propositions de loi, et ont ainsi permis au Gouvernement d'agir avec célérité. La discussion en séance a été le reflet de cet esprit de coproduction législative et de concertation, puisque les sénateurs ont soutenu des amendements en provenance de l'ensemble des groupes, et qui tous enrichissent le texte. Parmi ces enrichissements, je veux en particulier saluer quatre acquis.

Premièrement, l'articulation entre harcèlement stricto sensu et harcèlement assimilé a été clarifiée. Il était nécessaire de pouvoir poursuivre un fait unique d'une particulière gravité, qu'il ait lieu parmi d'autres agissements ou en une occasion unique telle qu'un entretien d'embauche. L'alignement des peines à deux ans de prison et 30 000 euros d'amende offre au magistrat la même latitude pour évaluer la gravité des faits et leurs conséquences dans les deux cas de figure.

Deuxièmement, a été introduite une nouvelle circonstance aggravante liée à la vulnérabilité économique et sociale, dont nos propres auditions avaient révélé la nécessité. Plus encore que l'attirance de l'auteur envers ses victimes, il apparaît que celles-ci sont souvent soigneusement choisies en fonction de la précarité de leur situation, de leur moindre insertion dans l'entreprise ou de leur dépendance financière. L’amendement à l'article 1er adopté par le Sénat permet de répondre à cette préoccupation que je partage avec nos collègues sénateurs.

Troisièmement, le texte adopté par le Sénat prend en compte explicitement la transphobie, ce qui est bienvenu, tant il est vrai que les personnes transsexuelles ou transgenres subissent de façon quasi générale des faits de harcèlement qui les conduisent à l'exclusion sociale. Le choix de ne pas en faire une circonstance aggravante, mais de consolider la jurisprudence en matière de discriminations au sens large, me paraît particulièrement équilibré.

Enfin, le choix de transcrire, dans le statut des personnels de la fonction publique, l'interdiction de portée générale figurant dans le code du travail me paraît également une juste avancée.

En l'état, ce texte m'apparaît répondre de façon satisfaisante aux objectifs de célérité et d'efficacité que nous partageons, et je ne doute pas de la volonté de l'Assemblée nationale de l'adopter à son tour à l’unanimité.

Je souhaite néanmoins, mesdames les ministres, vous faire part des interrogations qui se sont exprimées au cours de nos auditions.

La plus importante concerne, vous le savez, les éléments matériels du délit assimilé, avec l’énumération « ordres, menaces, contraintes ou toute autre forme de pression grave ». Les associations font valoir que le délit de harcèlement est d'ores et déjà utilisé pour déqualifier des actes plus graves, tels que les agressions sexuelles ou les tentatives de viol, et que l'usage de ces termes ne peut que renforcer l'effet miroir et les risques de déqualification. J'ai été sensible aux arguments selon lesquels le risque réside davantage dans la pratique judiciaire que dans le texte lui-même, et je salue votre engagement, mesdames les ministres, de prendre une circulaire pour préciser les agissements visés par ce délit assimilé. Peut-on néanmoins envisager de vous proposer une rédaction qui éliminerait cet effet miroir et qui préciserait la volonté du législateur, sans pour autant réduire la portée du délit ?

L'article 2 vise les discriminations, telles qu’un licenciement, dont seraient victimes celles et ceux qui subissent le harcèlement sexuel. Ne serait-il pas pertinent, comme le prévoit par ailleurs le code du travail, d'accorder la même protection aux témoins de tels agissements, notamment afin de faciliter l'établissement de preuves ?

Le choix a été fait, à l'article 3, de procéder à un renvoi du code du travail vers le code pénal, tandis que l'article 3 bis reprend la définition intégrale du délit. Nous avons entendu les arguments en faveur des deux options, mais nous nous interrogeons sur cette différence. D’autre part, l'interdiction de portée générale ne devrait-elle pas figurer également dans le code de l'éducation, compte tenu des nombreux témoignages qui font état de harcèlement sur des étudiants ?

Enfin, les médecins du travail comme les partenaires sociaux nous ont informés de la porosité, voire de la concomitance, qui existent entre harcèlement sexuel et harcèlement moral. Je m'interroge sur le nombre de procédures que les parquets ont pu requalifier en harcèlement moral et, au-delà, sur l'opportunité, compte tenu de cette particulière porosité, d'étendre au harcèlement moral les circonstances aggravantes que nous introduisons pour le harcèlement sexuel. Cela permettrait en particulier de nous prémunir contre une jurisprudence trop restrictive sur la « connotation sexuelle » des agissements, jurisprudence qui conduirait à leur déqualification.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Mesdames les ministres, la délégation aux Droits des femmes de l’Assemblée est installée depuis moins de quinze jours mais, dès que j’en ai été élue présidente, j’ai saisi le président de la commission des Lois pour que nous travaillions de concert sur le présent projet de loi. Nous avons accepté de le faire dans l’urgence car il faut rapidement mettre fin au vide juridique auquel se heurtent les victimes de cette véritable plaie sociale, qui va bien au-delà du millier de plaintes et des 80 condamnations par an dont vous avez fait état. Cependant, à quelque chose malheur est bon, et, en offrant une nouvelle publicité à ce délit, la question prioritaire de constitutionalité devrait permettre aux femmes de porter plainte à nouveau en ayant une meilleure connaissance des textes.

Notre délégation a donc travaillé en même temps que la commission des Lois et nous avons tenu des auditions communes. Nous adopterons notre rapport pour avis après cette audition et nous vous ferons parvenir une quinzaine de recommandations que nous devons à Mme Ségolène Neuville, qui a réalisé ce travail remarquable en très peu de temps. Nous souhaitons que ce texte, enrichi de nos contributions, aboutisse. Enfin, madame la ministre des Droits des femmes, je souhaite comme vous que notre action porte conjointement sur les trois volets de l’information, de la prévention et de la répression, et qu’elle soit amplifiée.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure pour avis de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. C’est en effet dans l’urgence que la commission des Lois et notre délégation ont travaillé en commun. Mme Pascale Crozon et moi-même avons tenu nos auditions la semaine dernière et il nous a été d’autant plus facile de tomber d’accord que le texte nous convenait déjà tel que nous l’avons reçu, le Sénat ayant effectué un travail remarquable.

Mme la ministre des Droits des femmes a souligné le décalage entre l’ampleur prise par le phénomène du harcèlement, qu’il concerne 2, 15 ou 40 % des femmes – les estimations divergent – et le nombre très faible de plaintes qui aboutissent – environ 80 par an. L’objectif de notre délégation est donc de faciliter le long parcours des victimes et nous sommes très favorables à la campagne de sensibilisation que vous avez annoncée pour l’automne, car elle fera connaître à la fois aux victimes et aux auteurs qu’il s’agit d’un délit.

L’enquête nationale sur les violences faites aux femmes (ENVEFF) datant de 2000, nous sommes également très favorables à la réalisation d’une nouvelle enquête nationale, car nous avons besoin de chiffres actualisés. Nous souhaitons enfin la création d’un observatoire national sur ces violences faites aux femmes, observatoire qui devrait prendre la forme d’un réseau partant des multiples initiatives locales. En effet, de nombreuses collectivités territoriales mènent déjà des actions en ce sens – l’observatoire de Seine-Saint-Denis en est un exemple – et il est temps de mutualiser les expériences afin d’aller plus loin.

S’agissant du texte de projet de loi, notre délégation est d’accord avec l’essentiel de ce qu’a dit Mme Crozon et propose le même amendement visant à supprimer de la partie II de l’article 1er, qui traite du délit « assimilé au harcèlement sexuel », les termes d’« ordres », de « menaces » et de « contraintes ». Les associations qui s’occupent du harcèlement – notamment la principale d’entre elles, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) – craignent en effet qu’en l’état actuel du projet, des agressions sexuelles ou des tentatives de viol, restées au stade d’un début d’exécution ou seulement d’actes préparatoires, puissent être déqualifiées en harcèlement sexuel. C’est pourquoi nous proposons de ne retenir que l’expression « toute forme de pression grave ».

Nous proposerons deux autres amendements. Le premier concerne les conséquences du harcèlement sur la santé physique ou mentale des victimes. Pour le moment, en effet, les seules conséquences prises en compte dans le I de l’article 1er sont l’« atteinte à [la] dignité en raison [du] caractère dégradant ou humiliant des agissements » en cause, et la création d’une « situation intimidante, hostile ou offensante ». Cet amendement devrait faciliter la charge de la preuve car, pour beaucoup de femmes, celle-ci est difficile à apporter en l’absence de témoins. Leur permettre de présenter un arrêt de travail pour dépression ou un certificat médical leur facilitera la tâche.

Le deuxième amendement vise à inscrire parmi les facteurs aggravants l’orientation sexuelle et l’identité de genre de la victime. Il fera certainement l’objet de discussions sur le point de savoir si l’on considère que l’homophobie et la transphobie sont plus graves que le sexisme, mais il aura le mérite d’ouvrir le débat au sein de notre Assemblée.

Mme la garde des Sceaux. Pour éviter la déqualification et l’effet miroir dénoncés par Mme Crozon, le Gouvernement avait envisagé de proposer un amendement pour conjurer le risque de confusion entre le harcèlement, tel qu’il sera désormais défini, et l’agression sexuelle, voire le viol : il se serait agi d’écarter les notions de menace et de contrainte figurant dans la définition de l’agression sexuelle donnée par l’article 222-22 du code pénal. Dans la pratique cependant, les déqualifications se produisent déjà et elles sont dues, non uniquement à une confusion sur les textes, mais aussi aux délais d’audiencement devant la cour d’assises, qui conduisent à « correctionnaliser » certains crimes pour réduire les délais de jugement. L’amendement déposé par Mmes Coutelle et Neuville, qui met en avant la notion de « pression grave », est sans doute plus précis que le nôtre et le Gouvernement y donnera probablement un avis favorable.

Nous étions également préoccupés par les risques de pénalisation des témoins. Depuis la recodification du code du travail en 2007, en effet, la discrimination dans le travail à la suite d’un témoignage sur un fait de harcèlement n’était plus sanctionnée pénalement. Le présent projet de loi rétablit cette sanction, car nous estimons que protéger le témoin, c’est protéger également la victime en facilitant la charge de la preuve.

Aux articles 3 et 3 bis du projet, nous avons renvoyé au code pénal pour les dispositions pertinentes du code du travail tandis que nous réécrivions intégralement l’incrimination au sein du statut des fonctionnaires. Le texte pourrait sans doute être utilement amendé en donnant la même « autonomie » au code du travail qu’à la loi portant droits et obligations des fonctionnaires.

Enfin, à propos du harcèlement moral, il se pose un problème d’échelle des peines dans le code pénal. Les modifications de ces dernières années y ont introduit un relatif désordre en aggravant certaines sanctions, en particulier pour les atteintes aux biens, de sorte que celles-ci sont parfois plus sévèrement punies que certaines atteintes aux personnes. Rétablir une totale cohérence entre ces deux types de délits était matériellement impossible ; nous avons donc choisi de limiter cet effort au seul champ des délits à caractère sexuel, tout en déplorant des distorsions contraires à nos valeurs à tous. Nous sommes donc d’accord pour que la sanction du harcèlement moral, infraction à la fois très destructrice et très répandue, soit alignée sur celle à laquelle expose désormais le harcèlement sexuel, et donc portée d’un à deux ans d’emprisonnement. Mais aller plus loin sur le reste nous paraît aujourd’hui précipité, étant donné l’urgence dans laquelle nous travaillons.

Il faut enfin souligner le rôle essentiel des actions de sensibilisation. Le ministère de la Justice a donc l’intention d’en mener auprès des élèves magistrats, dans le cadre du programme de l’École nationale de la magistrature (ENM).

Mme la ministre des Droits des femmes. En ce qui concerne le code de l’éducation, nous travaillons avec Mme Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, pour que dès l’adoption de la loi, l’accès des victimes de harcèlement sexuel aux instances disciplinaires soit facilité, par voie réglementaire.

Je ne vois pas d’inconvénient à ce que la protection accordée aux témoins dans le cadre de l’article 225-1 relatif aux discriminations soit renforcée, afin de faciliter la preuve.

Madame Coutelle, il y a bien sûr nécessité absolue de mieux appréhender les violences faites aux femmes dans notre pays. Les enquêtes sont anciennes et parcellaires et il faut donc un observatoire pour rassembler toutes les études, en conduire de nouvelles et disposer d’une plateforme pour l’action. Les nombreuses initiatives des collectivités locales, si elles étaient généralisées, pourraient se révéler très fructueuses et cet observatoire national devrait avoir pour mission de nous conseiller sur les politiques publiques à mener. Néanmoins, le projet de loi sur le harcèlement sexuel ne me semble pas être le bon véhicule pour un tel objet, et cette création fera donc l’objet d’un texte séparé : elle viendra enrichir à l’automne prochain le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, actuellement en cours d’évaluation.

Madame Neuville, l’Institut national d’études démographiques (INED) nous propose un nouveau protocole d’enquête et je m’emploie à en arrêter les contours en même temps qu’à trouver un financement, afin que cette nouvelle enquête soit lancée dans les meilleurs délais.

L’homophobie et la transphobie peuvent-elles prendre plus d’importance que le sexisme ? Je ferai valoir que l’article 225-1, relatif aux discriminations, les place toutes sur un pied d’égalité, et qu’il mentionne les discriminations liées au sexe.

Mme la rapporteure. Le harcèlement sexuel n’est évidemment qu’une partie du problème. C’est pourquoi, dans le cadre de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, nous avions déjà évoqué la possibilité de créer un observatoire national. Cependant, le Gouvernement avait alors opposé l’article 40 à l’amendement que nous avions rédigé en ce sens, et je suis par conséquent heureuse d’entendre que le nouvel amendement que je compte proposer a de bonnes chances d’être approuvé. Madame la ministre, êtes-vous favorable à la création de cet observatoire ?

Mme la ministre des Droits des femmes. J’y suis absolument favorable. Mais je n’entends pas non plus négliger le financement de cet organisme et c’est pourquoi je propose que sa création trouve place dans un projet de loi qui sera adopté à l’automne prochain, et qui aura pour finalité d’améliorer le dispositif de lutte contre les violences faites aux femmes.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux Droits des femmes. Je voulais vous indiquer que les membres de notre délégation allaient maintenant quitter cette séance afin d’adopter leur rapport pour avis et leurs amendements, pour qu’ils puissent être pris en compte par la commission des Lois.

M. Alain Tourret. La décision du Conseil constitutionnel d’abroger la loi sur le harcèlement sexuel avec effet immédiat me semble particulièrement regrettable, car elle a créé un vide juridique insupportable. Le Conseil a justifié son choix de ne pas laisser un délai pour son application par le fait qu’elle portait sur une disposition d’ordre pénal, mais ce raisonnement peut conduire très loin : si le contrôle de légalité exercé en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme entraînait l’abrogation d’articles relatif à l’assassinat, faudrait-il remettre tous les assassins en liberté ? Cette décision pose un problème considérable et peut nous mener à des absurdités totales. L’entrée en vigueur de celle qui concernait la garde à vue – laquelle relève pourtant bien de la procédure pénale – avait, elle, été différée ; s’écarter de cette ligne aurait des conséquences graves pour l’équilibre de la société.

Compte tenu des délais impartis, le travail effectué sur le texte est remarquable. Mais nous passons à côté d’une grande réforme pénale qui s’imposait au vu des définitions différentes données du harcèlement sexuel et du harcèlement moral dans le code du travail et dans le code pénal. Il est grave de traiter le second comme un accessoire alors qu’il s’agit d’une infraction majeure qui, depuis dix ans, se propage dans toutes les sphères de notre société, témoignant de la dégradation des rapports sociaux. Il aurait fallu traiter du harcèlement dans sa globalité, en distinguant ensuite deux cas particuliers : le harcèlement moral et le harcèlement sexuel. Or ce n’est pas le cas dans ce projet, en particulier dans la version adoptée par le Sénat, où le harcèlement moral n’apparaît qu’à l’article 3.

Je suis loin de sous-estimer le harcèlement sexuel, qui constitue une aggravation du harcèlement moral, mais un équilibre doit être trouvé entre ces deux formes d’infraction. J’entends donc avec satisfaction Mme la garde des Sceaux reprendre une proposition que j’avais défendue : celle de retenir un même quantum des peines dans les deux cas.

Je voudrais enfin m’assurer qu’il n’y aura pas de rétroactivité en ce qui concerne les faits. La non-rétroactivité est un principe absolu du droit et, même si elle crée une période de non-droit pour les victimes – pour lesquelles on peut créer un fonds d’indemnisation réservé à ce préjudice spécifique –, il est inconcevable de la remettre en cause.

Cette loi est essentielle tant l’émotion est grande parmi les victimes, mais il serait insupportable d’avoir à légiférer à nouveau dans de pareilles conditions.

M. Philippe Goujon. Ce texte mériterait de recueillir l’unanimité compte tenu du sujet. Le harcèlement sexuel constitue en effet un véritable fléau qui touche les femmes de toutes catégories sociales, de l’étudiante à l’employée, des professions libérales aux cadres. Or, alors que ses ravages sont terribles, peu de procédures aboutissent. Il est d’autant plus grave que la question prioritaire de constitutionnalité se soit soldée par une invalidation de la loi existante, et je regrette à mon tour le choix du Conseil constitutionnel de ne pas différer l’entrée en vigueur de sa décision, comme il l’avait fait pour la réforme de la garde à vue ou pour les organismes génétiquement modifiés. Il en est résulté des répercussions douloureuses pour les victimes qui attendaient que justice leur soit rendue et qui voient l’action publique éteinte. Ce sujet mérite donc une attention particulière, et sans doute des solutions innovantes.

Cependant, cette décision a permis de constater que de nombreux agissements qui auraient pu tomber sous le chef d’inculpation d’agression sexuelle étaient qualifiés de harcèlement sexuel, afin de réduire les sanctions auxquelles étaient exposés les agresseurs. Madame la garde des Sceaux, vous avez évoqué les victimes concernées par l’interruption des procédures judiciaires en cours, et plus particulièrement celles dont les faits n’ont pas pu être requalifiés comme le recommandait la circulaire du 10 mai 2012. Combien sont dans ce cas ? Combien d’entre elles se tournent vers l’action civile pour obtenir des dommages et intérêts qui pourraient leur permettre de rembourser des frais de justice se montant en général à plusieurs milliers d’euros, compte tenu d’un délai moyen d’instruction de vingt-sept mois ?

Vous avez également évoqué la confusion, dans l’échelle des peines, entre les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes. Il ne paraît en effet pas légitime que l’agression sexuelle soit moins lourdement sanctionnée que le vol de téléphone portable, même si celui-ci est répréhensible. Mais les associations de victimes sont inquiètes parce que la nouvelle définition du harcèlement sexuel, par son étendue, peut conduire à déqualifier des faits d’agression sexuelle ou de viol en faits de harcèlement, et je souhaiterais donc que vous précisiez votre réponse sur ce point.

Parmi les circonstances aggravantes de la nouvelle infraction, vous avez fait figurer la vulnérabilité économique. Cependant, si celle-ci correspond à une caractéristique réelle des victimes – d’où les préconisations de la délégation sénatoriale aux Droits des femmes –, ce n’est pas une donnée objective comme peut l’être un état de grossesse ou une situation de handicap, et ce caractère subjectif peut amoindrir la force du dispositif pénal que nous essayons de rétablir.

Je suis également réservé sur le fait de faire figurer au rang des circonstances aggravantes le fait de s’en prendre à des mineurs de moins de quinze ans, âge de la majorité sexuelle. D’une part, on est encore mineur à seize ans et, d’autre part, toutes les situations ne peuvent être couvertes par l’abus d’autorité : le cas d’un mineur de seize ans émancipé par ses parents, victime de harcèlement sexuel dans le cadre d’une recherche de logement, en fournit un exemple.

J’appelle enfin votre attention sur les difficultés spécifiques rencontrées par les étudiants en doctorat, qui sont généralement dépourvus de moyens d’action face au harcèlement sexuel. Il est nécessaire de modifier le fonctionnement du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) quand il est compétent pour statuer en matière disciplinaire, afin que les plaignants y soient représentés.

Mme Marietta Karamanli. Je voudrais revenir sur les mesures de sensibilisation qu’il me semble important de compléter d’une manière plus précise. Elles devraient ainsi être conduites non seulement en direction des femmes, mais aussi en direction des entreprises et des administrations, pour que les employeurs respectent la loi et agissent pour prévenir des situations de harcèlement sexuel.

Mesdames les ministres, disposez-vous, au sein de vos ministères respectifs, d’études comparatives, établies au niveau européen, entre les différents pays ayant déjà légiféré sur cette question du harcèlement sexuel, en particulier à la suite de la directive européenne de 2002 ? Je pense spécialement à la loi anglaise, qui aborde la question de l’intentionnalité, insuffisamment développée dans le présent texte. Y aurait-il possibilité de retravailler ce point ?

J’aimerais enfin que soient pris en compte le stress et la peur subis par les victimes.

Mme la ministre des Droits des femmes. Monsieur Tourret, si nous avons adopté la procédure accélérée, c’est parce qu’il y avait urgence, et nous sommes d’accord sur l’essentiel. Je partage votre inquiétude au sujet du Conseil constitutionnel, et je pense qu’elle mérite d’être exprimée publiquement dans la mesure où ce type de situation peut se reproduire. La Cour de cassation a d’ailleurs été saisie d’une demande de question prioritaire de constitutionnalité relative au harcèlement moral, demande qu’elle a toutefois rejetée dans la mesure où le Conseil constitutionnel avait été saisi du texte en cause après son adoption. Mais, si ce texte est ainsi protégé pendant quelque temps encore, une incertitude juridique pèse sur certains autres textes pénaux.

Monsieur Goujon, nous entendons l’inquiétude des associations de victimes. Le projet peut encore être amélioré, mais nous avons d’ores et déjà réussi à trouver un équilibre entre la nécessité d’assurer une protection efficace aux victimes et celle de ne pas donner du délit une définition trop large ou de ne pas prévoir des sanctions trop lourdes, qui dissuaderaient les magistrats de les appliquer.

S’agissant des sanctions disciplinaires dans l’enseignement supérieur, j’ai déjà dit que nous avions commencé à nous pencher sur le sujet avec Mme Fioraso. Je sais que vous comptez intervenir à ce propos mais il nous semble que la voie réglementaire est la mieux indiquée pour avancer sur ce point.

Nous sommes également d’accord sur la nécessité d’atteindre, à travers notre campagne de communication, non seulement le monde du travail, mais l’ensemble de la société. Cette réflexion vaut pour les violences faites aux femmes de manière plus générale. Pour lever le tabou pesant sur le harcèlement et cesser d’alimenter une forme de culpabilisation des victimes, les campagnes de communication ne doivent plus s’adresser exclusivement à celles-ci, mais aussi aux auteurs potentiels. Elles doivent également viser à sensibiliser les employeurs à la nécessité de prévenir le harcèlement sexuel au travail et, puisque ce texte s’adresse à tous, faire de même pour les autres secteurs de la société – je pense par exemple aux bailleurs, souvent concernés à travers les situations de recherche de logement.

Mme la garde des Sceaux. Monsieur Tourret, la non-rétroactivité est une conquête démocratique sur laquelle il n’est pas question de revenir. La rétroactivité n’est du reste envisageable que lorsque la nouvelle loi est plus douce que la précédente. Or tel n’est pas le cas ici.

L’application du principe de non-rétroactivité ne traduit évidemment aucune indifférence à l’égard des victimes. Si nous avons travaillé aussi vite et si, comme le Sénat mais dans des conditions encore plus difficiles, vous avez accepté la procédure accélérée, c’est parce que nous voulons réduire autant que possible la période actuelle de vide juridique et donc d’impunité conjoncturelle.

Monsieur Goujon, les classements, vous le savez, doivent être motivés. Je me suis engagée devant le Sénat, et je le fais à nouveau devant vous, à demander par circulaire au parquet d’informer, par écrit, les victimes pour lesquelles l’action publique a été éteinte qu’elles peuvent saisir les juridictions civiles. J’ai demandé par circulaire le 7 juin dernier au parquet de faire remonter les réquisitions et décisions : sur 130 procédures, une quinzaine seraient concernées en tout, cependant que cinquante ont déjà fait l’objet de requalification. Certes, saisir une juridiction civile n’a pas la même portée pour les victimes que la procédure pénale, qui permet de faire reconnaître le préjudice subi et de sanctionner l’auteur si sa culpabilité est reconnue. Toutefois, la procédure civile leur permet d’être dédommagées. Il faut savoir que le délai de procédure entre le dépôt de la plainte, l’audiencement et le prononcé du jugement est d’environ vingt-sept mois – davantage s’il y a appel, ce qui est le cas dans 25 % des affaires – et que le coût varie entre 13 000 et 20 000 euros : percevoir au civil des dommages et intérêts est donc loin d’être négligeable.

Pour les personnes qui, sans relever de l’aide juridictionnelle, ont déjà beaucoup dépensé, nous avons déjà réfléchi avec certains députés à la possibilité de les faire bénéficier de cette aide sans condition de ressources.

Je tiens également à noter que la question de la réparation intégrale a été évoquée au Sénat.

Je rappellerai enfin que le code pénal prend en compte l’intentionnalité dans le délit.

Mme la ministre des Droits des femmes. Le Sénat a fait, en 2012, une étude comparée des différentes législations, dont certains éléments apparaissent dans l’étude d’impact du projet de loi. Je ne résiste pas à la tentation de vous lire la définition britannique du harcèlement sexuel et moral, adoptée en 1997 dans The Protection from Harassment Act : « Une personne ne doit pas rechercher une conduite qui équivaudrait à un harcèlement d’une autre personne et dont elle est consciente que ses actions équivaudraient au harcèlement d’une autre personne. »

M. Dominique Raimbourg. Je ferai trois brèves observations. La première est que nous examinons un texte urgent : c’est pourquoi nous n’avons pas eu le temps de construire une répression du harcèlement dans son ensemble. La deuxième, c’est que ce texte doit nous inviter à une grande modestie. Vous avez souligné, madame la garde des Sceaux, que le harcèlement est une plaie sociale ; or 80 condamnations seulement sont prononcées à ce titre chaque année : c’est dire que la loi pénale n’est qu’un tout petit pansement sur une plaie béante. Cela nous conduit à nous pencher sur la condition première de l’efficacité de la loi pénale à réprimer et modifier les comportements : elle doit être accompagnée d’une réprobation sociale, qui permet aux enquêteurs de rapporter des preuves, au parquet de poursuivre et au juge de condamner. La prévention en la matière est essentielle. Ce n’est pas tant la sévérité de la sanction qui est dissuasive que la certitude de la condamnation. Or nous en sommes aujourd'hui encore très loin et cela appelle donc des efforts importants.

Ma troisième observation porte sur la crainte, exprimée par certains, que l’infraction de chantage sexuel – d’acte unique – n’entraîne une déqualification d’infractions plus graves. Si cette crainte est fondée intellectuellement, elle ne l’est pas dans les faits. La contrainte qui permet de qualifier le viol ou l’agression sexuelle ne peut jamais être assimilée à l’acte préparatoire permettant d’entrer en voie de condamnation pour tentative. Aucun juge, même si le texte l’autorisait, ne condamnerait en ce sens. Loin d’être un risque de déqualification, la création d’une infraction d’acte unique permettra donc de pénaliser la pression elle-même. De plus, statistiquement parlant, la crainte de déqualification n’existe pas puisque quelque 1 200 condamnations pour viol sont prononcées aux assises, ainsi que plusieurs dizaines de milliers de condamnations pour agression sexuelle, contre, je le rappelle, 80 seulement pour harcèlement sexuel.

M. Georges Fenech. Nous ne pouvons que nous féliciter de la diligence avec laquelle vos deux ministères cherchent à combler un vide juridique intolérable. Toutefois, errare humanum est, perseverare diabolicum, comme dit l’adage latin. Vous nous saisissez d’une nouvelle rédaction de l’article du code pénal incriminant le harcèlement sexuel parce que le Conseil constitutionnel a invalidé la rédaction précédente, en raison de son imprécision, contraire au principe de légalité des délits et des peines. Or la nouvelle rédaction me paraît tout aussi imprécise.

Si on comprend bien ce que peuvent être des actes ou des propos dégradants ou humiliants, portant atteinte à la dignité, il en est tout autrement du deuxième cas d’incrimination prévu, à savoir que ces actes ou propos créent à l’égard de la victime « un environnement intimidant, hostile ou offensant ». Il s’agit là de termes à la fois flous, puisqu’ils ne font référence à aucune notion connue en matière pénale, et éminemment subjectifs. Du reste, madame la garde des Sceaux, vous avez noté dans votre intervention liminaire que peu importait le mot employé à partir du moment où il est compris par le magistrat. Je ne suis pas certain que le magistrat comprenne ce qu’est un ressenti intimidant, hostile ou offensant, du fait que le ressenti varie d’une personne à une autre. Certes, la rédaction proposée par le ministère provient directement de la définition du harcèlement sexuel donnée dans les directives européennes de 2004 et de 2006. Toutefois, vous n’avez pas hésité, à juste titre à mes yeux, à vous écarter de ces directives en disposant à l’article 222-33 que le harcèlement suppose des agissements répétés, alors que les directives considèrent comme harcèlement un seul comportement non désiré à connotation sexuelle. Afin de respecter le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, il serait, de mon point de vue, prudent sur le plan constitutionnel de s’écarter également de la directive en supprimant cette deuxième incrimination d’une très grande imprécision matérielle, susceptible, je pense, de relever d’une appréciation purement subjective du juge.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mon cher collègue, le texte que nous examinons n’est plus celui du Gouvernement, que vous avez cité, mais celui qui a été adopté à l’unanimité par le Sénat.

M. Patrice Verchère. Madame la garde des Sceaux, les victimes se sont souvent endettées pour engager des procédures pénales qui n’aboutiront malheureusement pas – mais vous avez déjà répondu en partie à la question relative à l’octroi d’indemnisations.

Il est parfois difficile pour une victime de harcèlement sexuel de porter plainte, en raison de la proximité des relations qu’elle entretient avec la personne qui la harcèle, notamment sur son lieu de travail. Est-il dès lors envisageable de faire débuter la prescription du moment où elle n’est plus en contact avec le harceleur ?

Mme la garde des Sceaux. Le débat à la Haute assemblée a porté sur cette question également – une sénatrice de la commission des Lois a même demandé la modification des délais de prescription. Or, en matière de délits, la prescription de l'action publique est de trois années et nous restons dans ce cadre. Nous avons préféré créer les conditions permettant à la victime de déposer plainte le plus tôt possible, plutôt que d’allonger le délai durant lequel elle pourra porter plainte. En effet, même en cas de délai bref ou moyen entre les faits et le dépôt de la plainte, il est parfois difficile d’apporter des preuves – c’est ce que nous rapportent les victimes ou les associations. Il est donc probable que plus le délai sera long, plus il sera difficile à la fois d’apporter des preuves et de trouver des témoins. Il ne nous semble dès lors pas pertinent d’allonger le délai de prescription. Le but n’est pas d’attendre que la victime, épuisée, ait fini par démissionner pour porter plainte, mais de faire en sorte qu’elle soit protégée du harcèlement sur son lieu de travail. J’y insiste : le temps n’est pas nécessairement l’allié de la victime.

Monsieur Fenech, si nous n’avons pas transposé la directive européenne, c’est qu’elle nous semblait précisément fonder l’incrimination sur des éléments trop subjectifs, qui ne sont pas, pour autant, invraisemblables : ce n’est pas parce que la victime ressent le harcèlement qu’il n’existe pas. Mais il valait mieux fournir au magistrat des éléments objectifs. C’est pourquoi le texte du Gouvernement employait le mot « comportement », qui a été remplacé par « propos et agissements » au Sénat. Toutefois, je comprends vos observations sur la trop grande part d’appréciation laissée au juge.

M. Raimbourg a raison de souligner la nécessité d’accompagner la sanction d’une réprobation sociale. C’est pourquoi, en sus de la loi et de la politique pénale explicitée dans la circulaire d’application, la ministre des Droits des femmes aura la responsabilité de toute une série de politiques publiques, solidairement avec d’autres membres du Gouvernement.

S’agissant de l’assimilation de l’acte unique au harcèlement, je pense, moi aussi, qu’elle ne fait pas courir le risque d’une déqualification d’infractions plus graves mais permettra de mieux sanctionner le harcèlement sexuel commis de manière non répétée.

Nous avons veillé à ce que la rédaction ne prête le flanc à aucun reproche d’imprécision.

Mme la ministre des Droits des femmes. S’agissant du degré de précision des mots employés dans la rédaction du texte, je tiens à rappeler que le Conseil d’État les a acceptés, le mot « environnement » compris, avant que le Sénat ne remplace celui-ci par « situation ».

Qu’il s’agisse, du reste, du Conseil d’État ou des magistrats que le Gouvernement a consultés ou qui ont été auditionnés par les parlementaires, tous ont confirmé que les mots employés dans le projet de loi étaient adaptés à un texte pénal. Vous pouvez être rassurés. Et nous avons su nous écarter de la directive européenne lorsqu’il le fallait, car nous avons bien conscience que celle-ci n’est pas un texte pénal.

M. Raimbourg, conformément à son habitude, a trouvé la formule parfaite : par-delà la sévérité, c’est bien la certitude de la sanction qui importe le plus.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Il s’agit avant tout d’un débat sémantique. La définition donnée dans la nouvelle rédaction est plus précise que la précédente puisqu’elle repose sur une addition de conditions : « des propos ou agissements à connotation sexuelle » imposés « de façon répétée » et qui « créent une situation intimidante, hostile ou offensante ». C’est le juge en dernière instance qui montrera la pertinence de cette définition.

M. Sébastien Denaja. Les auditions que nous avons conduites dans le cadre de la commission des Lois et de la délégation aux Droits des femmes ont montré que le harcèlement sexuel se développait dans la sphère privée – personnelle et familiale – comme dans celle du travail. L’insertion des dispositions prévues dans le code du travail est bienvenue ; il en est de même des ajustements apportés au statut de la fonction publique. Toutefois, les auditions ont montré que le harcèlement sexuel se produisait également très souvent dans les sphères éducative et sportive. Ne serait-il pas juridiquement possible d’insérer, sinon dans le code de l’éducation, pour lequel vous avez dit préférer la voie réglementaire, du moins dans celui du sport, des dispositions équivalentes à celles qui sont prévues dans le code du travail ? L’amendement que j’ai déposé en ce sens est-il susceptible de recueillir l’assentiment du Gouvernement ?

Madame la garde des Sceaux, vous avez évoqué l’idée d’une formation des futurs magistrats sur le harcèlement dans leur cursus à l’École nationale de la magistrature. Je suggère que soit également prévue à l’École nationale d’administration une telle formation à l’intention des futurs magistrats des juridictions administratives.

M. Jean-Michel Clément. La question prioritaire de constitutionnalité a été introduite comme un élément protecteur des droits des citoyens, ce dont nous nous sommes tous félicités. Or, dans le cas présent, comme l’a rappelé le président de la Commission, c’est la victime qui se trouve pénalisée par le recours à la question prioritaire de constitutionnalité.

Les considérants du Conseil constitutionnel, en évoquant, outre le principe de légalité des délits et des peines, les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité et de sécurité juridiques, invitent le législateur à modifier sa manière de procéder : il doit prendre le temps de légiférer. Sous le quinquennat précédent, n’avons-nous pas déploré à maintes reprises l’adoption à la va-vite de certaines dispositions ? Je crains du reste quelques bombes à retardement dans d’autres domaines – espérons seulement que les conséquences en seront moins graves pour les éventuelles victimes.

Le Conseil constitutionnel a sanctionné dans le cas présent une disposition adoptée avant l’institution de la question prioritaire de constitutionnalité. Les parlementaires comme le Gouvernement doivent désormais être très attentifs à proposer et à adopter des lois intelligibles, qui ne soient pas susceptibles d’être sanctionnées par le Conseil. Nous devons anticiper les failles possibles des textes, notamment grâce aux études d’impact. Il conviendrait, monsieur le président, d’inscrire les principes que le Conseil constitutionnel nous a rappelés au fronton de la salle de la commission des Lois.

M. Philippe Gosselin. S’agissant de la question prioritaire de constitutionnalité, je fais miens les propos du précédent orateur. En 1992, dans son rapport annuel, le Conseil d’État a dénoncé la « logorrhée législative et réglementaire » : celle-ci peut conduire à une forme d’instabilité ou d’insécurité juridiques. Je partage les remarques émises sur la décision contestable et contestée du Conseil constitutionnel.

Je salue le fait que le Sénat ait adopté à l’unanimité ce texte nécessaire.

Si je me réjouis de voir renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel et contre l’homophobie avec l’ajout de la référence à « l’orientation sexuelle » à l’article 2-6 du code pénal, je m’interroge toutefois sur l’introduction de la théorie du genre, dans l’article 2 bis, puisque aux premier et second alinéas de l’article 225-1 du code pénal, les mots : « orientation sexuelle » sont remplacés par les mots : « orientation ou identité sexuelle ».

Il convient de s’interroger sur cette nouveauté, la théorie du genre étant très contestée. En provenance des États-Unis, elle a été popularisée en France au travers du débat sur le contenu des programmes scolaires ouvert sous le précédent ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel. Je regrette l’introduction en catimini de l’identité sexuelle dans la loi, alors que cette théorie mérite un vrai débat, ici piégé compte tenu de l’objet du texte, voire « piégeant » du fait que la classe politique souhaiterait adopter celui-ci à l’unanimité. Le débat sur la théorie du genre mérite mieux que ce détour : revenons-y à un autre moment.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je ne pense pas qu’on puisse affirmer que la décision du Conseil constitutionnel est contestable. Qu’elle ait été contestée est un fait. Affirmer qu’elle est contestable me semble délicat du point de vue constitutionnel.

M. Philippe Gosselin. Elle a été contestée, en tout cas.

Mme la ministre des Droits des femmes. Monsieur Denaja, le code pénal s’applique à tous les secteurs de la société, et donc au secteur sportif comme aux autres. Cela étant, le sport fait partie de nos préoccupations et nous vous apporterons des éléments de réponse lorsque nous aborderons ce sujet.

Monsieur Gosselin, la théorie du genre a également fait l’objet d’un débat au Sénat. Le Gouvernement a refusé d’introduire dans le texte la notion d’identité de genre, en dépit de la demande qui lui avait été faite en ce sens, considérant que, celle-ci étant inconnue du code pénal, un texte sur le harcèlement sexuel examiné en procédure accélérée ne saurait fournir l’occasion d’engager un tel débat. L’identité sexuelle est en revanche une notion comprise de tous : l’évoquer permettra de répondre à des situations déjà connues du juge, puisque la liste des discriminations qu’il convient de sanctionner contenue à l’article 225-1 mentionnait déjà l’orientation sexuelle.

M. Philippe Gosselin. L’orientation sexuelle, mais non l’identité sexuelle.

Mme la ministre des Droits des femmes. Comme le montre une récente décision de la cour d’appel de Douai, le juge a tendance à assimiler l’identité sexuelle à l’orientation sexuelle, et donc à condamner des discriminations reposant sur ce motif. Telle est la raison pour laquelle nous avons décidé de préciser le texte en la mentionnant explicitement.

En revanche, je suis d’accord avec vous pour reconnaître que nous aurons besoin d’ouvrir un vrai débat sur la question de l’identité de genre. Cela nous aiderait à mieux combattre la transphobie et à permettre aux personnes engagées dans des « transitions » de vivre normalement en voyant leurs droits reconnus.

Mme la garde des Sceaux. Je pense, moi aussi, que le débat sur l’identité de genre aura lieu dans l’hémicycle. Nous ne pourrons y échapper et il est donc bien que nous puissions explorer le sujet à chaque occasion, même s’il est peu probable que l’identité de genre soit introduite dans la loi à la faveur du présent texte. Nous avons cependant des demandes en ce sens à propos du travail que nous allons engager sur l’état civil et des philosophes, des anthropologues et des sociologues ont commencé de publier sur le sujet des travaux intéressants, susceptibles de nourrir des débats contradictoires. Il serait donc utile que le Parlement s’en saisisse : ce serait le signe de la vitalité d’une société qui s’interroge sur les transformations qui la traversent.

S’agissant de la question prioritaire de constitutionnalité, je fais miennes les remarques de M. Jean-Michel Clément. La décision du Conseil constitutionnel nous a mis mal à l’aise, d’autant que l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité…

Mme la ministre des Droits des femmes. …est un élu.

Mme la garde des Sceaux. Fort heureusement, tous ne sont pas ainsi !

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Ne nous éloignons pas du sujet !

Mme la garde des Sceaux. Monsieur Denaja, l’infraction concernera évidemment le milieu sportif : les dispositions du code pénal s’adressent à tout un chacun, où qu’il se trouve, victime ou auteur présumé de harcèlement. Le projet de loi ne fait en outre que prendre acte des nouvelles dispositions dans le code du travail ou de leurs conséquences statutaires pour les fonctionnaires.

En ce qui concerne l’ENA, je suis certaine que la ministre de la Fonction publique lira le procès-verbal des travaux de la commission des Lois.

M. Jean-Frédéric Poisson. M. Tourret a regretté avec raison que le texte ne permette pas de dégager une définition générale du harcèlement sous ses deux espèces : sexuelle et morale. Une telle définition aurait d’autant plus de pertinence que tous les éléments permettant de l’adopter sont déjà dans le texte. Ce n’est qu’une simple question d’agencement. Toutefois, le délai imparti à l’examen du projet de loi ne nous a pas permis d’aller au fond de la question. Je tiens à cette occasion à remercier Mme la rapporteure d’avoir bien voulu mettre à notre disposition à la fin de la semaine dernière une première version de son rapport.

Je citerai un autre adage, français celui-là : « Le mieux est l’ennemi du bien. » M. Fenech a eu raison de souligner qu’à vouloir entrer trop précisément dans le détail des situations, des appréciations ou des qualifications, on risque de lier le juge ou de restreindre la portée de ses décisions. En effet, une liste ne peut jamais être exhaustive, ce qui explique du reste la profusion de l’adverbe « notamment » dans certains textes, en vue de prémunir contre la diversité de la vie. C’est pourquoi, à l’article 1er du projet de loi, la qualification de la situation comme « intimidante, hostile ou offensante » me paraît, à moi aussi, grosse d’incertitude – nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles.

Ma remarque vaut également pour la mention dans le texte de « toute autre forme de pression grave » – la loi de bioéthique adoptée en 1994 évoquait de même des maladies « d’une exceptionnelle gravité ». Autant je comprends l’intention qui préside à cette rédaction, autant considérer la contrainte ou l’ordre donné comme une pression grave en elle-même me paraît délicat, surtout si le texte vise également les relations de travail. Le projet doit donc être précisé. De plus, il est difficile d’évaluer une pression : à partir de quel moment peut-elle être considérée comme grave ? Où placer le curseur ?

De même, si je comprends les raisons qui militent en faveur de l’introduction de la vulnérabilité sociale comme circonstance aggravante, on ne doit pas considérer comme répréhensible uniquement le fait de profiter d’une telle situation, mais le simple fait que la personne qui subit le harcèlement soit dans une situation de vulnérabilité, que l’auteur du harcèlement veuille ou non en profiter – j’ai déposé un amendement à ce propos.

Tous ces éléments subjectifs me paraissent faire difficulté.

En outre, la limitation de la circonstance aggravante au mineur de quinze ans me paraît insuffisante. Aux raisons que vous avez déjà données, madame la garde des Sceaux, j’ajouterai le fait que l’immense majorité des mineurs qui sont dans une relation de travail en entreprise ont plus de quinze ans. Il faut relever la limite d’âge : j’ai également déposé un amendement en ce sens.

Mme Neuville a évoqué l’apport de preuves que pourraient constituer, notamment, des arrêts de travail concomitants aux faits reprochés. J’appelle votre attention sur la difficulté à établir le lien de causalité dans ce genre de situation. Sous la précédente législature, Marisol Touraine et moi-même avons conduit, au sein de la commission des Affaires sociales, un travail sur la prévention des risques psychosociaux : nous nous sommes alors heurtés à la difficulté d’établir de manière certaine le lien de causalité entre une situation de pression et des troubles à caractère psychologique ou médical chez les personnes qui la subissent. En matière pénale, il convient de s’entourer de toutes les précautions.

Enfin, ne pourrait-on faire bénéficier les auteurs de harcèlement, sexuel ou moral, d’un suivi psychologique ? Le fait d’asseoir sa domination sur le harcèlement, avec tout ce que celui-ci suppose de cruauté, de vice et de négation des rapports normaux entre les personnes, justifie à mes yeux une telle mesure, à condition toutefois de la réserver aux faits les plus graves.

M. Gilbert Collard. Je comprends d’autant mieux l’urgence du texte que j’ai été amené à rencontrer des victimes que la décision du Conseil constitutionnel a désespérées.

Ma première observation touche au statut de la victime de harcèlement sexuel. Souvent, elle ne porte pas plainte. Pourquoi ? Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord rappeler que le harcèlement sexuel est à l’origine de trois souffrances. La première est liée au harcèlement lui-même, à la soumission lente qu’il faut, à la femme, la force de supporter jusqu’au jour où elle ne tient plus. La deuxième est liée à l’exposition médiatique qui accompagne l’instruction. La troisième, c’est celle du procès lui-même – avant l’interminable souffrance liée à la cicatrisation.

Or je m’étonne que le texte n’interdise pas à la presse de citer le nom des victimes. Le secret de l’instruction est une vaste blague, tout comme le sont les procès en diffamation. Pour les victimes, après avoir porté plainte, surtout si le harceleur est un personnage connu et puissant, c’est un choc terrible de voir les journalistes faire une contre-enquête et étaler leur vie privée en citant leur nom. Sans porter atteinte à la liberté de la presse, pourquoi ne pas interdire cette publication ? Une telle disposition permettrait de soulager les femmes : un trop grand nombre d’entre elles ont déjà vu leur vie sexuelle étalée dans la presse, leurs enfants l’apprenant parfois à l’école.

Ma deuxième observation est d’ordre purement technique. Que donnera le terme de « connotation » dans les prétoires ? Sachant que la connotation est la valeur que prend quelque chose en plus de sa signification, nous allons immanquablement assister à des débats autour de ce terme. Il aurait donc été préférable de parler de « visée » – terme qui ne permet pas la discussion autour d’éléments subjectifs, quasiment insaisissables. Je crains en effet que la notion de connotation sexuelle ne soit une échappatoire pour les prévenus au procès. On imagine aisément le ton que prendront les débats : « Imaginez-vous donc que le fait d’apporter des fleurs ait une connotation ? ». En revanche, si ces fleurs ont pour but d’obtenir un rendez-vous, et qu’elles sont accompagnées de gestes non équivoques, il y a bien une visée sexuelle.

Quant à la subjectivité du texte, elle ne me heurte pas : elle est commandée par celle de l’infraction.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. J’imagine que vous avez déposé des amendements sur ces sujets.

M. Gilbert Collard. Non, monsieur le Président. Vous savez, je découvre l’Assemblée. Je suis dans une solitude sonore.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je ne doute pas de votre capacité d’adaptation.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais d’abord saluer la grande qualité de notre débat.

Le groupe UMP ne fait nullement grief au Gouvernement d’avoir choisi la procédure accélérée. Il était de son devoir, et de celui du Parlement, de se saisir dès que possible de ce sujet pour mettre un terme au vide juridique créé par la décision – par ailleurs incontestable – du Conseil constitutionnel.

Les deux définitions de l’article 1er concourent au même objectif : permettre au juge de se prononcer sur une incrimination pénale qui va à nouveau – et fort heureusement – porter le nom de harcèlement sexuel. Le premier élément de la définition témoigne de la volonté de décrire le mieux possible ce qu’est le harcèlement sexuel, même s’il faut se garder d’y enfermer le juge – qui ne l’accepterait d’ailleurs pas. Pour cela, il était très important de trouver les éléments permettant de faire face au risque d’une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité qui viendrait porter un coup fatal – cette fois-ci – à la notion même de harcèlement sexuel. La définition qui permet de mieux connaître le processus conduisant, par répétition, à créer la situation de harcèlement sexuel était donc indispensable. Sans doute peut-on encore améliorer le texte à la marge ; nous devrions y parvenir grâce aux amendements qui ont été déposés.

Au moins aussi importante, sinon plus, est la deuxième partie de la définition, celle qui permettra au juge de dire qu’il y a bien harcèlement sexuel, même en l’absence de répétition. La justification du terme « connotation », monsieur Collard, c’est qu’il ne faut pas que le harcèlement soit uniquement incriminable au motif qu’il aurait eu une visée conduisant à un acte de nature sexuelle ; le délit doit pouvoir être constitué dès lors que les éléments mis en cause témoignent d’une volonté de harcèlement à partir de données qui ont une connotation sexuelle, que l’objectif soit de parvenir à un acte sexuel ou qu’il soit indépendant de toute visée sexuelle. Si paradoxal que cela puisse paraître, je serais même tenté de dire que le harcèlement est encore plus susceptible d’être affirmé – et condamné – lorsqu’il n’a pas l’excuse d’avoir pour visée un acte de nature sexuelle, auquel cas on peut être à la limite entre la volonté de plaire et ce qui aura ensuite été analysé comme du harcèlement.

Je salue par ailleurs le juste positionnement adopté à l’article 2. Il était important de ne pas se perdre dans le délit de harcèlement sexuel stricto sensu, mais de profiter de la volonté de parler du harcèlement dans un autre champ que celui de la seule relation sexuée pour bien traduire notre volonté de ne pas accepter une discrimination de plus dans ce champ. Je suis donc moins troublé que certains de mes collègues par l’apparition dans ce texte de la notion d’identité sexuelle, surtout lorsqu’il est établi – et nos débats en feront foi – qu’il n’y a pas de changement de champ, et qu’on ne parle pas d’identité sexuelle au lieu d’identité de genre. C’est là un autre débat – que nous devrons avoir.

J’évoquerai enfin la proposition de Pascale Crozon et la réponse que vous y avez apportée. Nous sommes ici dans le champ des violences et dans le continuum de la lutte contre toute forme de violence – violences sexuelles et de genre, violences au sein de la famille, du couple, ou tout autre type de relation permettant de manifester ou de prolonger un acte de domination d’un individu sur un autre. Vous comprendrez donc que j’évoque les violences faites aux femmes et la demande de création d’un observatoire que nous avions formulée lors de l’examen de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. La réponse qui nous a été apportée n’est en effet pas satisfaisante. Membre du conseil d’administration de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), j’ai accepté l’expérience d’un observatoire au sein de l’Institut. Force est cependant de constater – comme nous l’avons fait avec Danielle Bousquet dans notre rapport sur la mise en application de la loi – que l’objectif n’est pas atteint. Je rejoins ici ma collègue rapporteure de la délégation aux Droits des femmes. La dernière enquête nationale sur les violences faites aux femmes (ENVEFF) remonte à douze ans ! Il faut qu’un observatoire dédié puisse mener régulièrement ces enquêtes, et je suis favorable à la création de celui-ci par la loi. Pourriez-vous nous expliquer les objectifs que vous entendez poursuivre dans un nouveau projet de loi sur les violences faites aux femmes ?

Le travail que nous avons conduit avec Danielle Bousquet témoigne d’ailleurs de notre difficulté à être compris par les magistrats sur ces sujets sensibles. Ils semblent avoir reçu cette nouvelle législation comme étant de trop, voire comme dérangeante par rapport au contexte juridique. Il serait donc prématuré d’aller au-delà en la matière aujourd’hui. Je fais en revanche une suggestion, monsieur le président. Voilà plus de six mois que Danielle Bousquet et moi-même avons rendu notre rapport ; il serait utile de renouveler l’exercice dans six mois, afin de vérifier si nous avons progressé. Nous serions ainsi plus à même de fixer de nouveaux objectifs sur les champs que nous n’avons pas abordés ou sur les points mal traités par la loi. Comme le harcèlement sexuel, les violences intrafamiliales sont un sujet sensible pour leurs victimes, mais aussi pour leurs auteurs. Il est indispensable de mettre en œuvre une politique d’accompagnement de ces personnes qui sont par nature perverses. Protéger les victimes et les défendre, condamner les auteurs est évidemment essentiel. Mais protéger les auteurs contre eux-mêmes et faire en sorte qu’ils soient de moins en moins nombreux et ne récidivent pas est tout aussi important. S’il est un domaine où il faut consacrer des moyens au moins autant aux auteurs qu’aux victimes, c’est bien celui-là !

M. Daniel Gibbes. Les articles 4 et 5 du texte prévoient l’application du texte à Mayotte et à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Ne fallait-il pas également un article pour le rendre applicable à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, deux nouvelles collectivités régies par l’article 74 de la Constitution ?

M. Jean Jacques Vlody. Ce débat qui porte sur un sujet très grave est fondamental. Un point me préoccupe particulièrement : l’engagement de la procédure. C’est en effet la principale difficulté pour les victimes de harcèlement sexuel, de violences intrafamiliales, voire de harcèlement moral : pour toutes sortes de raisons, elles hésitent à dénoncer les violences qu’elles subissent devant un tribunal. Nous passerons, je crois, à côté de cette réforme si nous n’inventons pas – y compris dans les procédures judiciaires, madame la garde des Sceaux – des processus nouveaux permettant à un tiers de se substituer à la victime dans la procédure. Pourquoi un médecin ne pourrait-il pas saisir le parquet ? Nous pourrions nous inspirer de ce qui existe en matière de protection de l’enfance, où le personnel médical peut engager une procédure en concertation avec le juge des enfants.

M. Bernard Lesterlin. Cosignataire de la proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Parlement en 2010, je partage le souci de Guy Geoffroy : nous ne sommes pas à l’abri d’une question prioritaire de constitutionnalité sur l’absence de définition précise des violences psychologiques. Ne pourrions-nous donc saisir l’occasion de ce texte et nous appuyer sur la définition du harcèlement sexuel, qui n’est guère éloigné de certaines formes de violence psychologique dont nous avions débattu dans le cadre de la mission d’évaluation présidée par Danielle Bousquet et de l’examen de la loi de 2010 ?

J’avais beaucoup insisté – en vain, car la garde des Sceaux de l’époque, Mme Alliot-Marie, n’avait rien voulu entendre – sur la création d’un observatoire spécifique. N’est-il pas temps de lever l’hypothèque, puisqu’il semble qu’elle coûterait somme toute peu à l’État ?

Pour finir, je vous ferai part d’un regret. Afin de préparer ce débat, j’ai procédé à la consultation de professionnels, d’associations, de médecins ou encore de psychologues de ma circonscription. Mais les magistrats du parquet ont refusé de me faire part de leur expérience, au motif qu’une circulaire de la Chancellerie les avait sollicités sur ce point. N’est-il pas temps de mettre fin à cette sorte d’inhibition ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je salue la grande qualité de notre débat. La décision du Conseil constitutionnel n’est pas contestable, et il est important que nous le disions. La question prioritaire de constitutionnalité est bien un progrès. Reste que celui-ci nous replace devant des réalités, dont celle que traduit la décision du Conseil : nous sommes partis en 1992 d’une définition du harcèlement sexuel qui existait, au moins avec la tentative de créer des éléments constitutifs du délit, pour arriver en 2002 à une absence d’éléments constitutifs du délit – ce que le Conseil constitutionnel a sanctionné. L’existence de la question prioritaire de constitutionnalité, instrument fondamentalement juste et démocratique, nous imposera désormais de tenir compte de cette exigence dans la rédaction des lois – et notamment des lois pénales.

Entendons-nous bien : ce n’est pas parce qu’une loi est constitutionnelle qu’elle est bonne, et ce n’est pas parce qu’elle n’est pas constitutionnelle qu’elle était mauvaise. Néanmoins, nous devons satisfaire au plus vite à l’exigence d’éléments constitutifs du délit. Ne tentons pas pour autant de répondre à l’intégralité des questions que soulève l’anéantissement du dispositif législatif que nous sommes appelés à reconstituer. La précaution est de mise. Notre première obligation – à laquelle le Sénat a globalement satisfait – est de reconstituer les éléments constitutifs d’un délit susceptible de brasser une réalité de situations complexes et diverses, qui s’étend de plus en plus – ce dont je me réjouis. Bref, il nous faudra accepter de cheminer, sans prétendre cerner d’un seul coup une réalité qui a évolué. Contentons-nous pour l’heure de répondre à l’exigence du juge constitutionnel, mais interrogeons-nous ensuite sur ce que nous impose l’existence de la question prioritaire de constitutionnalité. Nous ne pourrons en effet accepter d’être confrontés en permanence à ce type de situation, qui ne peut être que préjudiciable à une autre obligation qui nous incombe : faire avancer le droit en fonction des réalités nouvelles.

M. Hugues Fourage. Permettez-moi de revenir sur la notion de prévention au sein de l’entreprise. Le code du travail dispose que « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement sexuel. » J’aimerais savoir ce que cela recouvre exactement. S’agit-il d’une obligation de résultat, d’une obligation de moyens ? Quelle est l’effectivité de la règle en cas d’abstention de l’employeur ? Par ailleurs, y a-t-il un étagement en fonction du nombre de salariés dans l’entreprise ? Le service des ressources humaines – qui conseille souvent le chef d’entreprise en la matière – n’a en effet guère de réalité dans les entreprises de moins de 50 salariés.

M. Édouard Fritch. Je suis heureux de participer à ce débat très enrichissant. Comme les femmes métropolitaines, celles des collectivités d’outre-mer attendaient ce texte qui leur permettra de se protéger contre les agissements de certains hommes. N’était l’urgence, il aurait pu faire l’objet d’une consultation de nos assemblées locales, ce qui nous aurait permis d’entendre les associations et de mieux appréhender les attentes des femmes. Compte tenu de la taille de nos îles, je partage d’autre part le souci de Gilbert Collard : la Polynésie compte 270 000 habitants, la Nouvelle-Calédonie 260 000. Les victimes redoutent donc particulièrement le débat sur la place publique. Il serait souhaitable de les protéger pour faciliter l’accès à une bonne justice.

Bien entendu, je soutiendrai ce texte.

Mme la garde des Sceaux. Je vous prie de m’excuser de ne pouvoir répondre à chacun de manière exhaustive dès ce soir, en raison d’une réunion extrêmement importante qui me contraindra à vous quitter d’ici quelques instants. Soyez cependant assurés que je prendrai le temps de le faire dans l’Hémicycle.

Permettez-moi d’abord de rassurer M. Gibbes. À Mayotte, à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, c’est le code du travail que le texte modifie. Pour ce qui concerne l’infraction, il est applicable sur l’ensemble du territoire – métropole et outre-mer. Les dispositions ne sont donc introduites que lorsqu’il y a un code du travail local, ce qui n’est pas le cas de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

Il était urgent pour les femmes d’outre-mer de rétablir l’incrimination. Sans doute doivent-elles être davantage accompagnées dans ces territoires où le regard social pèse encore plus qu’en métropole. Tout paradoxal et insupportable que cela puisse paraître, c’est la victime du harcèlement, de l’agression ou du viol qui est gênée face à la société ; il faut inverser cela.

La représentation de la victime peut être assurée par son avocat, monsieur Vlody.

Vous demandez que le nom des victimes ne soit pas publié dans la presse, monsieur Collard. Je vous répondrai que le procès est public.

M. Gilbert Collard. Mais l’instruction ne l’est pas, puisque le secret de l’instruction n’est pas respecté. Il suffit pour s’en convaincre de consulter la presse : dans toutes les affaires récentes, la vie de ces malheureuses femmes a été étalée, avec des conséquences dramatiques.

Mme la garde des Sceaux. Je n’ouvrirai pas ce débat ce soir, même si j’entends votre préoccupation. Nous pouvons déjà en appeler à la déontologie de la presse.

La circulaire n’interdit évidemment pas aux procureurs de donner des informations techniques et juridiques aux députés, monsieur Lesterlin. Nous allons les rassurer, afin qu’ils sachent que leur droit de s’exprimer demeure !

M. Bernard Lesterlin. C’est ce que je voulais vous suggérer...

Mme la ministre des Droits des femmes. Choisir le terme de « visée » plutôt que celui de « connotation » aurait eu une incidence, monsieur Collard : réintroduire l’intentionnalité – la prise en compte de l’intention d’obtenir des faveurs sexuelles – dont l’abandon est justement un progrès de ce projet de loi.

Pour avoir rencontré de nombreuses associations et un certain nombre de victimes, je rejoins volontiers Guy Geoffroy : dans la plupart des cas, c’est moins la quête d’une relation de nature sexuelle qui est recherchée que la volonté d’humilier, de dominer, d’asservir, de briser – et c’est précisément ce que nous voulions réprimer avec ce texte. Rares sont tout de même les femmes qui portent plainte parce qu’elles ont reçu un bouquet de fleurs, monsieur Collard…

M. Gilbert Collard. C’est l’exemple qui est donné dans certains cours de criminologie !

Mme la ministre des Droits des femmes. Danielle Bousquet et vous-même aviez en effet proposé la création d’un observatoire, monsieur Geoffroy. Nos prédécesseurs ont préféré le noyer dans une structure plus généraliste. Je vous confirme que le Gouvernement est favorable à la création d’un observatoire spécifique des violences faites aux femmes. Mais dans la mesure où nous parlons des violences dans leur ensemble, il me semble préférable d’attendre l’automne. Ce sera l’occasion de tirer un bilan de la loi du 9 juillet 2010, qui a permis des avancées considérables dans la lutte contre les violences faites aux femmes, mais souffre d’un manque de moyens et d’imperfections que nous pourrions corriger. Je pense par exemple à l’ordonnance de protection et à la capacité des magistrats à se saisir de ce nouvel outil : songez que dans certains départements, aucune ordonnance de protection n’a été rendue depuis l’entrée en vigueur de la loi ! Je pense aussi à l’évaluation des expérimentations qui ont été lancées pour lutter contre les violences faites aux femmes et à la généralisation de celles qui fonctionnent. J’ai participé récemment à l’inauguration du dispositif « Téléphone grand danger » à Paris. Bref, il nous faut passer à la vitesse supérieure.

Vous avez insisté sur l’accompagnement des victimes dans le lancement de la procédure, monsieur Vlody. Le rôle des associations est ici essentiel, et je ferai en sorte – c’est aussi une question de moyens – qu’elles puissent continuer à informer, soutenir et accompagner les victimes dans cette démarche souvent douloureuse.

Je partage votre analyse, monsieur Lesterlin. L’absence de définition des violences psychologiques risque de déboucher rapidement sur une question prioritaire de constitutionnalité. L’amélioration de la loi sur les violences faites aux femmes nous permettra de préciser ce point. Je propose donc à tous ceux qui le souhaitent de travailler ensemble à l’évaluation de la loi.

L’obligation qui pèse sur l’employeur est bien une obligation de résultat, monsieur Fourage. Les mesures à prendre sont laissées à son appréciation : dès lors que les délégués du personnel l’ont, par exemple, saisi pour lui faire part de cas de harcèlement qu’il n’aurait pas constatés lui-même, il est tenu de faire des observations à leur auteur ou de prendre des sanctions à son encontre ; s’il ne le fait pas, la victime pourra se retourner contre lui lors du procès ; sa responsabilité peut également être mise en cause par l’inspection du travail. Cela vaut pour l’ensemble des entreprises : il n’y a pas de seuil.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le débat aura été à la hauteur du défi que nous a lancé le Conseil constitutionnel. Nous examinerons les quelque soixante amendements qui ont été déposés demain à dix heures. L’examen du texte en séance publique est prévu pour le 24 juillet.

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La séance est levée à 19 heures 50

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, Mme Pascale Crozon, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Édouard Fritch, M. Yann Galut, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Pierre-Yves Le Borgn, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Bernard Lesterlin, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Paul Molac, Mme Nathalie Nieson, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Jacques Valax, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Jacques Bompard, M. Marcel Bonnot, M. Dominique Bussereau, M. Sergio Coronado, Mme Laurence Dumont, M. Bernard Gérard, Mme Corinne Narassiguin, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - Mme Catherine Coutelle, Mme Sophie Dessus, Mme Edith Gueugneau, Mme Conchita Lacuey, Mme Ségolène Neuville, Mme Maud Olivier, M. Jean Jacques Vlody