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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 14 novembre 2012

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme et examen de ce projet (n° 297) (Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure)

La séance est ouverte à 16 heures 20.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède d’abord à l’audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Chers collègues, en votre nom, je salue M. le ministre de l’Intérieur pour sa première contribution à nos travaux de la semaine, puisque, dès demain, nous étudierons un autre texte. Aujourd’hui, nous l’entendons sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée – pour des raisons que le ministre nous expliquera certainement –, et relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. À l’issue de son propos introductif et des échanges propres à la discussion générale, nous passerons, sous la responsabilité de notre rapporteure Marie-Françoise Bechtel, à l’examen des articles du texte.

M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. Aujourd’hui, la France doit faire face à une menace terroriste particulièrement forte. Elle doit donc impérativement se défendre en adaptant ses moyens de détection, d’identification et de répression : c’est tout l’enjeu du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, adopté par le Sénat à une très large majorité, dont nous discutons ensemble. Au cours des dernières décennies, notre pays a été meurtri par le terrorisme mais n’a jamais cédé aux menaces. Il les a toujours combattues avec détermination, et il les combattra encore fort de sa cohésion. C’est donc dans un esprit de rassemblement, d’appel à l’unité nationale qui s’impose, que ce texte entend défendre les fondements de notre démocratie, de nos valeurs et de notre République mis en cause par ces actions terroristes.

Les tragédies de Montauban et de Toulouse de mars dernier ont été les révélateurs des menaces nouvelles qui pèsent sur notre pays, qu’il faut affronter avec lucidité. Ces menaces sont liées au jihadisme, à l’embrigadement d’individus souvent jeunes, habitant généralement des quartiers populaires, qui passent à l’acte à l’issue de parcours de radicalisation plus ou moins longs pouvant mêler des faits de délinquance, d’antisémitisme virulent, d’instrumentalisation des conflits du Proche-Orient et du Moyen-Orient, des passages en prison ou des séjours à l’étranger dans des camps d’entraînement.

Je ne veux établir aucune hiérarchie entre les menaces : le terrorisme doit être combattu dans sa globalité, à notre niveau et par la coopération européenne et internationale. Il doit être combattu pour ce qu’il est, c’est-à-dire une attaque délibérée contre nos institutions et les valeurs qu’elles défendent. Il ne peut y avoir aucune espèce de complaisance à l’égard de ces mouvements.

Le projet de loi entend prendre la pleine mesure d’un contexte de montée des menaces. Ces menaces sont liées, avant tout, au jihadisme global. Elles viennent simultanément de l’extérieur de notre pays, mais aussi de l’intérieur. C’est pourquoi j’ai pu parler, au Sénat et en d’autres occasions, d’un ennemi intérieur. Les liens qui existent entre menace extérieure et menace intérieure constituent sans doute une caractéristique nouvelle aggravante dont il faut prendre toute la dimension.

Ainsi en est-il de la menace provenant du cyberespace. Si Internet est un outil de communication et de liberté, il peut se révéler aussi un outil d’embrigadement, de propagation de la haine ainsi que de formation d’apprentis terroristes. Il constitue également un outil de mise en relation à des fins logistiques entre individus et groupes agissants. Ce phénomène nécessite de prendre des mesures adaptées, ce qui n’est pas toujours facile pour des raisons liées au droit, aux libertés. En tout cas, la réflexion sur ce sujet est indispensable.

La zone afghano-pakistanaise demeure un territoire où les candidats au jihad viennent se former et basculent dans le terrorisme. Dans des camps, des combattants volontaires, souvent venus d’Europe, reçoivent une formation paramilitaire, parfois sommaire, qui leur permet d’agir de retour dans leur pays. C’est sans doute ce que fit Mohamed Merah avec un passeport français puisqu’il était français.

L’affaire Merah a révélé des failles incontestables dans notre système de renseignement, qu’il faut traiter avec mesure : il ne s’agit pas tant de mettre en cause le travail de nos services que d’en tirer les enseignements utiles pour aujourd’hui et pour demain. J’ai souhaité que tous les enseignements soient tirés. Le 19 octobre, le rapport rédigé par MM. Léonnet et Desprats, respectivement inspecteur général et contrôleur général de la police nationale, m’a été remis. Je l’ai adressé au président de votre Commission ainsi qu’à M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des Lois du Sénat. Ce rapport, basé sur un retour d’expérience approfondi, établit un diagnostic et émet des propositions concrètes afin de renforcer l’efficacité des services de renseignement. J’entends mettre en œuvre dans les prochains jours, car on ne peut pas perdre de temps, les adaptations nécessaires au sein de la direction centrale du renseignement intérieur.

L’échange d’informations entre les services est essentiel. Nous en avons eu une parfaite illustration avec le démantèlement, début octobre, de la cellule terroriste qui venait d’agir, le 19 septembre dernier, contre une épicerie casher à Sarcelles, dans le Val-d’Oise. Elle s’apprêtait, semble-t-il, à passer à l’action sur notre territoire mais organisait aussi des filières vers la Syrie. Les services de police et de renseignement ont mené, dans cette affaire, en étroite collaboration avec la justice, une action remarquable qui démontre aussi toute leur efficacité et leur savoir-faire.

Votre Commission a souhaité, dans une optique plus large, confier à une mission d’information une réflexion sur le cadre juridique des services de renseignement. C’est utile. Je renouvelle ici mon entière disponibilité tant vis-à-vis des travaux de cette mission que de la justice. Hormis ce qui mettrait en danger les informateurs ou l’identité de certains de nos agents, il n’y a rien à cacher. Nous devons transparence et vérité.

Mohamed Merah a été le révélateur tragique d’une menace intérieure renouvelée, puisque le terrorisme n’avait plus frappé notre pays depuis près de quinze ans, qui demande un travail de surveillance lourd et méticuleux. D’autant plus que le processus de radicalisation des individus peut être très rapide, demandant parfois quelques mois à peine. Je ne vous cache pas mon inquiétude face à l’activisme sectaire de certains groupes, notamment salafistes, qui gangrène un certain nombre de quartiers dans notre pays. Des reportages de presse de très grande qualité ont été réalisés sur ces phénomènes, qui ne sont d’ailleurs pas propres à notre pays. Nos amis Américains ont eu, au cours des dernières années, à étudier les processus de radicalisation après le 11 septembre 2001, les attentats de Madrid et de Londres ou un certain nombre de tentatives aux Pays-Bas ou en Australie. Il faut étudier ce qui se passe ailleurs pour en tirer les leçons, même si notre culture ne nous y incline pas naturellement, car ces phénomènes se développent depuis plusieurs années déjà.

Si la détection est difficile, la réponse policière et judiciaire est tout autant complexe pour peu que l’on veuille préserver notre État de droit. Toutefois, la vigilance et l’action s’imposent, et il ne faut rien laisser passer. Je n’hésiterai pas, comme je l’ai d’ailleurs déjà fait, à faire expulser des prédicateurs étrangers qui tiennent des discours contraires à nos valeurs. L’autre phénomène est la conversion. Au-delà, l’affaire Merah est une mise en garde pour notre société qui doit se mobiliser tout entière afin de combattre les idéologies de haine qui tentent de s’y propager. À ce titre, je renouvelle devant vous ma condamnation la plus ferme des propos tenus par la sœur de Mohamed Merah, diffusés dimanche soir par la chaîne de télévision M6, qui constituent une apologie du terrorisme et de l’antisémitisme et une provocation à la haine religieuse et raciale. L’antisémitisme est souvent le fil conducteur de telles actions, et tous ceux qui tiennent des propos de cette nature doivent être combattus avec détermination par tous les moyens légaux, administratifs ou judiciaires. Les démocraties ont des faiblesses mais aussi une force : le droit. Le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire.

La menace extérieure vient aussi d’autres aires géographiques que la zone afghano-pakistanaise. Dans la péninsule arabique, Al-Qaïda a désigné la France comme une cible prioritaire après les États-Unis d’Amérique. La Syrie en guerre est aussi un terrain de motivation et de préparation au jihad. Si en Égypte, en Libye, en Tunisie, les printemps arabes ont été porteurs d’espoir démocratique, ce dont il faut se réjouir, ils ont également introduit des facteurs d’instabilité. Dans ces pays, des groupes ultra-radicaux ont pignon sur rue. Certains, se revendiquant ouvertement du jihad, agissent à visage découvert. Leurs actions peuvent viser directement ou indirectement notre pays. Voilà pourquoi nous devons renforcer la coopération avec ces pays, ce qui n’est pas toujours facile. Dans la zone sahélienne, particulièrement au Mali, des groupes terroristes soumettent les populations, commettent des actes barbares et font peser une menace sur nos intérêts, et d’abord sur nos ressortissants – je pense évidemment à nos otages –, mais aussi sur notre pays. Al-Qaïda au Maghreb islamique – AQMI – le MUJAO – Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest – ont désigné la France comme ennemi. Il faut agir avec détermination, comme le fait le président de la République et comme il l’a souligné hier encore, pour que le Sahel ne devienne pas l’Afghanistan de l’Afrique à quelques heures de l’Europe. Les propos, recueillis par le journal Le Monde, du Président du Niger, en visite en France ces derniers jours, doivent également être lus avec beaucoup d’attention. Nous devons agir pour que le Mali retrouve son intégrité territoriale. C’est la responsabilité de la communauté internationale, et tout particulièrement des pays africains.

Le terrorisme qui menace notre sol n’est pas seulement lié au jihad. Sans établir de hiérarchie, je peux citer d’autres organisations violentes plus anciennes. L’organisation terroriste basque ETA doit faire l’objet d’une action déterminée, en parfaite coopération avec les autorités espagnoles, jusqu’à obtenir sa dissolution. Il n’y a pas de « processus de paix » au Pays basque espagnol, il y a le combat déterminé contre le terrorisme qui a tué près de 800 personnes. En Corse, le recours à la violence terroriste, de plus en plus mêlé au crime organisé, reste une tentation prégnante et appelle, à la demande de la société corse, une même fermeté. Je n’oublie pas non plus les risques liés à l’ultra-droite comme à l’ultra-gauche.

Face aux évolutions de la menace terroriste, il nous faut adapter notre réponse législative. Le projet de loi est le fruit d’un travail commun entre les ministères de la Justice et de l’Intérieur. Il vise à garantir l’efficacité de notre lutte antiterroriste en prenant en compte les attentes identifiées par les services de sécurité et les magistrats que nous avons rencontrés avec Christiane Taubira. Il s’appuie sur deux volets : le premier proroge les dispositions temporaires de la loi du 23 janvier 2006, qui permet à notre système de renseignement de mieux détecter, identifier et appréhender la menace ; le second volet, répressif, a pour but de sanctionner plus activement les activités terroristes.

Concernant la détection et l’identification, ce projet de loi porte sur trois domaines bien connus des spécialistes de ces questions. D’abord, les contrôles d’identité dans les gares routières ou ferroviaires, notamment sur les trains à grande vitesse transfrontaliers. Ces contrôles ont démontré leur utilité pour interpeller des individus impliqués dans des activités terroristes. Ils doivent donc être favorisés en veillant à ne pas enfermer l’action de contrôle des services de police dans un délai trop court.

Ensuite, le cyberespace étant devenu un terrain permettant aux terroristes de communiquer entre eux, de recruter, de s’organiser, il est nécessaire d’autoriser l’accès des services de renseignement aux données de connexion. Cette activité s’effectue sous le contrôle préalable d’une personnalité qualifiée directement subordonnée à une autorité administrative indépendante, dont Jean-Jacques Urvoas est membre. Notre modèle garantit la fluidité et la judiciarisation des informations accumulées dès lors que les faits détectés justifient l’ouverture d’un cadre d’enquête.

Enfin, l’accès à certains traitements automatisés administratifs – carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire – permet aux services spécialisés de procéder à de multiples vérifications. Il permet également, dans une démarche d’anticipation, de suivre les déplacements internationaux d’individus, notamment ceux suspectés d’islamisme radical. De manière plus générale, ces consultations de fichiers participent de l’activité permanente de documentation des services habilités. Ces dispositions doivent prendre fin le 31 décembre 2012. Toutefois, preuve ayant été faite de leur efficacité et de leur utilité, il convient de les proroger, ce que propose le texte de loi, jusqu’à la fin de 2015.

Le volet préventif visant à poursuivre et à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste est complété par un volet répressif. Au lendemain des tueries de Montauban et de Toulouse, le président de la République Nicolas Sarkozy, le Premier ministre François Fillon et le garde des Sceaux Michel Mercier avaient préparé un texte qui, faute de temps, n’avait pu être adopté. Le Premier ministre avait alors indiqué son souhait de le voir porté par la prochaine majorité, quelle qu’elle soit, issue de l’élection présidentielle.

Pour complète qu’elle soit, la législation française en matière de lutte contre le terrorisme ne permet pas de poursuivre et de condamner les personnes qui, bien que n’ayant commis aucun acte délictueux en France, participent à l’étranger à un acte terroriste ou à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le projet de loi vise à combler ce manque. Il prévoit aussi de poursuivre pénalement les ressortissants français qui se rendraient à l’étranger pour y pratiquer des activités d’endoctrinement en vue d’intégrer des camps d’entraînement. La neutralisation judiciaire des jihadistes revenant ou tentant de revenir sur notre sol est un impératif. Nous l’avons vu, face à une continuité territoriale de la menace, il faut impérativement garantir une continuité territoriale des poursuites. En matière de répression, le projet de loi propose également d’améliorer nos procédures d’expulsion. L’objectif est de pouvoir agir plus rapidement contre les ressortissants étrangers qui, sur notre sol, soutiennent le terrorisme ou constituent une menace grave pour l’ordre public.

Le texte issu des débats au Sénat me satisfait globalement, même si je ne doute pas que le travail de votre Commission puisse encore l’améliorer. Permettez-moi de citer quelques avancées déjà obtenues au Sénat. La prorogation des dispositions composant le volet préventif de ce projet de loi jusqu’au 31 décembre 2015 répond à notre souci d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme en étendant les compétences des services enquêteurs. Je me suis engagé, et je confirme cet engagement devant vous, à repenser l’articulation des dispositions de l’article 6 de la loi de 2006 avec celles de la loi du 10 juillet 1991 relatives au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques, dans une optique de réunification des dispositifs au cours de la législature. Cette démarche, à laquelle le Parlement devra être associé, permettra de créer les conditions de la cohérence.

L’ensemble des dispositions a été adopté avec les modifications suivantes : à l’article 2, la compétence du juge pénal a été étendue aux actes commis par des personnes titulaires d’un titre de séjour les autorisant à résider sur le territoire français ; un nouvel article 2 bis crée un délit d’instigation, en application de la décision-cadre du 28 novembre 2008 ; en matière de provocation ou d’apologie d’actes de terrorisme, un nouvel article 2 ter modifie la loi du 29 juillet 1881 en portant la prescription de trois mois initialement à un an et en prévoyant désormais la détention provisoire pour les délits de l’article 24, alinéa 6 ; la portée de l’article 3 relatif à la commission d’expulsion a été réduite aux seuls actes de terrorisme, et l’obligation d’accorder un délai supplémentaire à la personne étrangère qui justifie d’un motif légitime a été votée ; enfin, l’article 7 introduit une correction pour permettre l’application de la loi sur l’ensemble du territoire.

Madame le rapporteur, vous proposez des ajouts avec lesquels, je vous le dis d’emblée, le Gouvernement est d’accord. Je vous remercie pour la qualité de votre travail. Je suis prêt à débattre des modifications que l’opposition souhaite proposer, sachant que je garde à l’esprit deux soucis : le premier, sur lequel nous pouvons tous nous retrouver, est de conserver l’équilibre entre liberté et sécurité ; le second est l’efficacité. Sur des sujets complexes, nous ne souhaitons pas voir adopter des amendements qui ne trouveraient pas d’application concrète. S’il faut davantage de temps pour les étudier, notamment en fonction des nouvelles technologies, ce temps sera pris.

Pour être complet, j’indique que le Gouvernement a souhaité déposer trois amendements, élaborés en liaison avec le ministère de l’Économie, des finances et du Budget, sur le gel des avoirs criminels. J’y reviendrai plus en détail.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Permettez-moi, en qualité de membre de l’assemblée plénière de la Commission nationale consultative des interceptions de sécurité, de faire part de la satisfaction de la CNCIS quant à la décision de proroger les dispositions de 2006. Nous avons, en France, deux systèmes d’interception de sécurité : l’un, qui date de 1991, engage, en général, quelque 200 000 demandes d’interception dans l’année ; l’autre, celui de la loi de 2006, faisant intervenir la personnalité qualifiée, qui traite à peu près 20 000 demandes, ce chiffre étant en constante diminution. La dualité de ces deux systèmes n’est pas satisfaisante. Il est donc souhaitable, et l’intention de M. le ministre est, à ce titre, excellente, de les unifier en un seul système, sachant qu’il était sans doute illusoire, comme la CNCIS l’avait proposé dans un premier temps, de penser y parvenir par le biais de ce texte. S’il y a un accord de principe, il y a un désaccord sur la temporalité de cette unification. Plutôt que de pérenniser la situation, il est heureux que le texte du Gouvernement se contente de la proroger pendant trois ans pour nous permettre de travailler.

M. Sébastien Pietrasanta. La lutte contre le terrorisme nécessite forcément la mobilisation de toutes les forces démocratiques. Elle exige lucidité et pragmatisme, toutes qualités que présente ce projet. Nous avons tous en mémoire les vingt-trois attentats liés à l’islamisme radical qui ont frappé la France entre 1986 et 1996, suivis de ceux du 11 septembre 2001, de Madrid, de Londres ou encore du Maroc, d’Indonésie ou d’Inde. Plus récemment, l’affaire Merah et les derniers coups de filet antiterroristes menés dans plusieurs villes de France ont révélé un nouveau visage du terrorisme : un terrorisme endogène, perpétré par de jeunes Français, parfois nés de parents français et, pour certains, fraîchement convertis à l’islam. Le radicalisme et le sectarisme de certains groupes salafistes sont, eux aussi, inquiétants, de même que l’engrenage dans lequel sont pris des jeunes de nos quartiers.

Le terrorisme est de moins en moins une affaire de réseaux et de plus en plus le fait d’individus qui se radicalisent, en un temps record, d’ailleurs, grâce à Internet. Aujourd’hui, nous sommes face à une nouvelle forme de terrorisme : le cyber-jihadisme. En consultant Internet, les individus se forment, se mettent en relation avec les leaders d’Al-Qaïda sans grande difficulté, plusieurs magistrats ou personnalités qualifiées nous l’ont dit en diverses occasions. Parallèlement, les pays africains, avec l’aide de la France, s’apprêtent à intervenir au nord du Mali, dans une zone envahie par des groupes terroristes appartenant à la mouvance AQMI. Celle-ci a ciblé nos sociétés démocratiques, en particulier la France.

Où en est-on réellement avec la menace terroriste en France et le cyber-jihadisme ? Quel est le niveau de la menace d’AQMI en France ?

Au nom de la République, vous avez condamné avec fermeté les propos inacceptables de Souad Merah, prônant la haine des juifs et justifiant l’injustifiable. Je vous en remercie. Aujourd’hui, quels moyens administratifs et judiciaires peuvent être mis en œuvre pour que les auteurs de telles déviances répondent de leurs paroles comme de leurs actes ?

S’agissant de la DCRI, le rapport sur l’affaire Merah est assez éclairant sur les difficultés de fonctionnement. D’ailleurs, vous venez de dire qu’il fallait opérer des aménagements nécessaires. Comment faire de la DCRI un outil réellement utile et efficace ?

M. Philippe Doucet.  Je me félicite de ce projet de loi qui prend en compte l’évolution des menaces terroristes pesant sur notre pays. La lutte contre le terrorisme est un chemin étroit et escarpé qui doit éviter angélisme et non-respect des libertés publiques fondamentales. Le premier serait dangereux ; le second reviendrait à satisfaire la quête des terroristes qui souhaitent, par leurs actes, sidérer la démocratie pour l’affaiblir. Aujourd’hui, les processus de radicalisation et de basculement vers le terrorisme trouvent largement à s’alimenter sur des sites Internet qui relaient des messages de haine et de violence. Ces processus individuels sont inquiétants, tout comme les propos antisémites dont ces sites regorgent.

Pour accentuer la lutte contre ces dérives et la prévention de ces évolutions personnelles dramatiques, notamment par l’utilisation d’Internet, ne pourrait-on pas s’inspirer des dispositions définies, dans le cadre de la lutte contre la pédophilie, par la loi du 5 mars 2007 ?

M. Georges Fenech. Monsieur le ministre, on ne peut que se réjouir de votre volonté de renforcer le dispositif de lutte contre le terrorisme. Vous avez dit que la force de la démocratie, c’est le droit. Permettez-moi de réagir après les événements de ces dernières heures. Sans esprit polémique, je me dois de faire un rappel historique : le droit, on le doit à la droite. Sous François Mitterrand, la loi d’amnistie du 4 août 1981 avait ouvert la porte des prisons à quelque 250 terroristes, dont douze membres d’Action directe, ceux-là même qui, plus tard, assassineront Georges Besse et le général Audran. À l’époque, l’un de vos prédécesseurs, le socialiste Gaston Defferre, avait déclaré que l’extradition était contraire à toutes les traditions de la France, surtout lorsqu’il y a combat politique. François Mitterrand lui-même avait prévenu : nous ne toucherons pas aux réfugiés politiques, nous veillerons à leur réinsertion dans le système démocratique. On visait, à l’époque, les Brigades rouges italiennes, et cela avait donné lieu à des réactions très vives de la part des Italiens.

Résultat de cette politique : rien que pour l’année 1982, les attentats terroristes ont fait onze morts et 189 blessés sur notre sol. Qui ne se souvient des attentats de la rue des Rosiers ou de la rue Marbeuf ? C’est l’époque d’une politique d’asile généreuse, de la suppression des unités spéciales de lutte antiterroriste ainsi que de la suppression de la Cour de sûreté de l’État, qui n’avait été remplacée par rien, créant ainsi un vide juridictionnel. Il a fallu attendre 1986, lorsque la France fut frappée à nouveau par une série d’attentats terroristes, pour que la majorité conduite par Jacques Chirac vote la loi que nous appliquons aujourd’hui. La loi du 9 septembre 1986 doublait les délais de garde à vue, rendait les perquisitions de nuit possibles, créait la 14e section du parquet de Paris chargée de la lutte antiterroriste, ainsi que la cour d’assises spéciale. Composée uniquement de magistrats professionnels, cette cour avait été fort décriée par la gauche. À l’époque magistrat, j’ai vécu tout cela de l’intérieur. Mais c’est du passé.

Monsieur le ministre, je ne doute pas de votre volonté de lutter avec la dernière énergie contre le terrorisme. Notre souhait, comme l’a dit le président de la République hier, est que notre pays ne se divise jamais sur cette question. Pour ma part, je voterai le dispositif que vous présentez parce qu’il va dans le sens d’une lutte plus efficace contre le terrorisme.

M. Guillaume Larrivé. Face à la menace terroriste qui évolue, notre arsenal législatif doit aussi évoluer, comme l’avait proposé le précédent Gouvernement au mois d’avril dernier. Pour ma part, j’espère que le Gouvernement actuel saura trouver, avec l’ensemble de la représentation nationale, les voies d’un dialogue permettant de bâtir un consensus. J’ai pu constater, en les relisant, que les débats sur la loi antiterroriste de 2006, que le groupe socialiste n’avait pas votée, avaient donné lieu à de nombreux excès de langage. Je note avec intérêt que le passage du côté de la majorité fait évoluer les préoccupations, et certains pourraient peut-être regretter les commentaires qu’ils avaient faits, à l’époque, sur des dispositions identiques à celles de l’article 1er de votre texte.

Pour notre part, nous nous efforcerons de bâtir le consensus en présentant des amendements qui pourraient obtenir votre accord, notamment en matière de lutte contre le jihadisme sur Internet. La préparation du projet de loi par le précédent Gouvernement avait donné lieu à un échange avec le Conseil d’État, lequel avait mis en question l’équilibre du dispositif. Depuis, nous y avons retravaillé et les amendements de notre groupe assurent un meilleur équilibre entre sécurité et libertés publiques. Nous comprendrions mal que, sous prétexte qu’ils émanent de nos bancs, ils soient simplement écartés comme ce fut le cas au Sénat. Le jihadisme sur Internet est une menace qui prend une telle ampleur que nous devons nous attacher à trouver des réponses efficaces.

M. Paul Molac. La lutte contre le terrorisme est une priorité nationale et la récente actualité nous a rappelé amèrement que la menace était réelle. Le terrorisme, c’est une guerre insidieuse, sournoise, qui guette nos concitoyens dans leur quotidien et s’attaque à tous sans distinction. Nous devons nous protéger, et votre détermination, monsieur le ministre, nous rassure comme elle doit rassurer nos concitoyens.

Toutefois, la modification de la loi que vous proposez pose plusieurs problèmes. Le durcissement en est-il à ce point nécessaire et ne va-t-il pas à l’encontre de certains des principes de droit qui fondent notre démocratie ? La loi actuelle est déjà très répressive. L’accusation d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste permet de placer en détention presque n’importe qui sur la base de simples conversations. Ce type de disposition a d’ailleurs été dénoncé par des associations de défense des droits de l’homme. La législation actuelle nous paraît suffisante pour assurer la protection de nos concitoyens, et la correction des dysfonctionnements constatés lors d’une affaire récente doit être recherchée ailleurs que dans une modification de la loi.

L’impérieuse nécessité de lutter contre le terrorisme ne doit pas nous faire oublier certaines dérives dans l’application de la loi antiterroriste. Comme l’a rappelé la Ligue des droits de l’homme, cette loi ne doit pas être un instrument de lutte contre l’immigration clandestine, pas plus qu’elle ne doit être utilisée pour réprimer certaines idées minoritaires dans notre espace politique. Je pense aux protagonistes de l’affaire de Tarnac ou aux militants indépendantistes basques et bretons, dont deux d’entre eux ont été acquittés à l’issue de leur procès après avoir effectué deux à trois ans de détention provisoire. Nul besoin de partager leurs idées indépendantistes pour convenir que ces personnes ont été injustement traitées. De même, dans le cas d’Aurore Martin, la police et la justice françaises doivent-elles être les instruments d’une politique de répression aveugle menée par l’appareil d’État espagnol ? La loi espagnole permet de condamner des partis politiques qui n’ont pas désavoué très fermement le terrorisme. Si cela a des avantages, il y a aussi des inconvénients. Avec une telle loi, le Sinn Féin aurait été interdit en Irlande du Nord, Gerry Adams emprisonné en Grande-Bretagne et le processus de paix entre l’IRA et les milices protestantes n’aurait pas pu être engagé. À l’heure où le Pays basque est en train de tourner une page du terrorisme, cette affaire est malvenue et inopportune. Je ne vous fais pas de procès d’intention, monsieur le ministre, je pense que vous n’y êtes pour rien. Permettez-moi de citer la déclaration d’indépendance des États-Unis : « Les gouvernements sont établis pour garantir les droits de l’homme ». La difficulté avec le type de loi que nous examinons, c’est de tenir une ligne entre la préservation des droits de l’homme et leur limitation pour lutter contre le terrorisme. À notre sens, la lutte contre le terrorisme a plus besoin d’un encadrement des procédures judiciaires pour éviter les abus que je viens de mentionner que du durcissement de la loi antiterroriste.

Un autre problème est la définition du terrorisme, qui nous semble trop large. Viser les personnes intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur offre déjà de multiples possibilités pour lancer des poursuites judiciaires. Je suis surpris que les services de police demandent encore une extension. Pourquoi ne pas s’inspirer de la définition de l’ONU : le terrorisme a pour intention de causer la mort ou de graves blessures corporelles à des civils ou à des non-combattants lorsque le but d’un tel acte est, de par sa nature ou son contexte, d’intimider une population, de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à prendre une quelconque mesure ou à s’en abstenir ? C’est une définition plus précise qui permet de réduire les cas d’abus manifestes.

M. Éric Ciotti. D’emblée, j’indique que je soutiens ce texte opportun dans un contexte d’impérative nécessité d’unité nationale contre le terrorisme. Je regrette simplement que la majorité d’aujourd’hui, lorsqu’elle était l’opposition, n’ait pas souhaité soutenir avec la même force le texte présenté en conseil des ministres par le précédent Gouvernement, le 11 avril 2012, après l’affaire Merah. Le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui reprend la plupart des dispositions qu’il contenait ou, en tout cas, s’en inspire très fortement, même si, sur la forme, on comprend que vous ayez jugé nécessaire d’y apporter quelques modifications pour l’en distinguer. S’il y avait eu le même consensus à l’époque, nous aurions pu gagner presque neuf mois dans l’application du texte. Le calendrier nous le permettait quoi qu’on en dise.

Sur le fond, nous pensons que ce texte pourrait être enrichi par l’adoption des amendements que nous avons déposés avec mes collègues Philippe Goujon et Guillaume Larrivé. Il manque notamment, par rapport à la version du 11 avril 2012, la création d’un délit de consultation de certains sites, sur le modèle de que nous avions mis en œuvre dans le cadre de la LOPPSI en matière de pédopornographie. Nous souhaitons également réprimer la propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes, qui participent de la provocation aux actes de terrorisme, en créant un délit figurant non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais dans le code pénal. Enfin, il nous paraît important que la prescription de la décision-cadre européenne de novembre 2008 de réprimer comme acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme soit introduite dans le projet de loi.

Une question pour finir, monsieur le ministre. Le rapport de l’inspection générale de la police nationale qui a fait suite à l’affaire Merah relève qu’il n’existe aujourd’hui aucun dispositif de détection préventive dans le domaine financier. Il préconise de mettre en place un dispositif permettant de saisir les opérateurs bancaires par l’intermédiaire d’une plate-forme nationale. Seriez-vous favorable à sa mise en œuvre à travers le présent projet de loi ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Un phénomène nous préoccupe tous : la consultation de sites Internet incitant à la radicalisation. Il s’agit d’un phénomène grave et dont l’importance va grandissant. Certains sites, dont les adolescents ou les jeunes adultes s’échangent parfois les adresses, proposent de petites vidéos très bien faites, faciles à diffuser, contenant des images glaçantes, soigneusement mises en scène et accompagnées de musiques obsédantes ou de récitations de versets du Coran. Elles ont un impact très fort sur ceux qui les visionnent. Dans la mesure où ces sites sont généralement hébergés à l’étranger, nous ne disposons pas d’un moyen technique simple pour en interdire l’accès. De même, leur consultation régulière ne fait l’objet d’aucune qualification juridique.

Je sais, monsieur le ministre, pour avoir pris connaissance des débats du Sénat sur le sujet, que vous ne vouliez pas vous exposer à un risque de censure en introduisant dans le projet de loi une disposition – faire de la consultation habituelle de ces sites un délit – pouvant être considérée par le Conseil constitutionnel comme excessive au regard des enjeux et attentatoire aux libertés publiques. Je fais donc une proposition qui s’appuie à la fois sur l’expérience en matière de pédopornographie et sur le travail mené par le Conseil d’État sur le projet de loi déposé au printemps dernier.

La notion clé, pour éviter une annulation par le Conseil constitutionnel, est celle de proportionnalité entre les atteintes aux droits et libertés et les objectifs poursuivis. Une garantie consisterait donc d’abord à prévoir une dérogation au bénéfice de professions pour lesquelles la consultation de tels sites répond à un besoin manifeste : journalistes, chercheurs, par exemple. Ensuite, on pourrait ne pas appliquer à la consultation habituelle de sites faisant l’apologie du terrorisme trois règles de procédure propres aux faits relevant du terrorisme, mais qui ne paraissent pas adaptées en l’espèce : l’allongement à vingt ans du délai de prescription de l’action publique, la prolongation de la garde à vue et les perquisitions de nuit. Grâce à ces deux éléments, il serait possible d’atteindre l’objectif – recherché par beaucoup de membres de la Commission, appartenant à la majorité comme à l’opposition – de réprimer la consultation habituelle de sites appelant au jihad, tout en écartant le risque d’une annulation par le Conseil constitutionnel.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le ministre, je vous remercie pour les précisions que vous avez apportées et pour l’engagement dont vous faites preuve sur une question essentielle aussi bien pour notre pays qu’au plan international.

L’article 1er du projet de loi vise à proroger plusieurs dispositions de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, dont celle de l’article 3, qui prévoit des conditions particulières pour la mise en œuvre des contrôles d’identité dans les zones frontalières, de façon à les adapter au cas particulier des liaisons ferroviaires internationales. Or selon l’étude d’impact jointe au projet de loi, on observe une baisse globale de l’activité des patrouilles mixtes chargées d’effectuer ces contrôles. Cette baisse « tient principalement à l’interprétation jurisprudentielle et à un engagement devenu plus faible de certains États frontaliers, confrontés à des problèmes d’effectifs ».

L’évolution jurisprudentielle résulte notamment de l’arrêt Melki rendu en 2010 par la Cour de justice de l’Union européenne, qui indique à quelles conditions l’exercice des compétences de police ne peut être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières, ce dernier étant interdit par le code frontières Schengen.

Dans le bilan opérationnel de l’article 3 de la loi de 2006, quelle est la part de ce qui est imputable à la jurisprudence, à la volonté des États frontaliers, à l’efficacité des contrôles où à l’état de la coopération entre les États ?

M. Jacques Valax. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté de vos propos et la fermeté de votre engagement. Vous l’avez rappelé, nous devons rester vigilants face au terrorisme.

Vous nous proposez un texte clair, précis, pragmatique, qui répond à un objectif que nous partageons tous, celui de sauvegarder l’intégrité de nos populations, et en particulier des plus jeunes ou des plus défavorisés, qui sont souvent les plus fragiles.

Par ailleurs, ce texte est inspiré par la volonté de sauvegarder les grands principes de notre république.

Je me rends très souvent dans des quartiers que l’on dit difficiles. Ils sont en fait confrontés à une réalité économique qui, elle, est vraiment difficile. Leur situation est grave et exige que nous prenions rapidement des décisions. Nous devons tous nous montrer solidaires à leur égard.

Quel est, monsieur le ministre, le niveau de risque auquel sont exposés nos territoires ? Le risque est-il proportionnel à la concentration de population, et donc plus important dans les grandes villes ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Votre texte, monsieur le ministre, est non seulement bon, mais absolument nécessaire dans le contexte international que nous connaissons.

Quelles sont vos intentions au sujet des contrôles effectués dans les gares ou les aéroports, qu’il concerne les liaisons intérieures ou extérieures ? Mon expérience m’incite en effet à penser qu’ils font l’objet d’un certain laxisme. Par exemple, lors de vols intérieurs, il m’est arrivé d’embarquer sans avoir besoin de présenter ma carte d’identité. Peut-être n’ai-je pas la tête d’un terroriste, mais tout de même ! Or nous ne devons pas oublier que les États-Unis étaient confrontés à un problème similaire avant que ne surviennent les attentats du 11 septembre.

M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. Plusieurs députés ont évoqué le problème posé par le « cyber-jihadisme ». Internet est aujourd’hui, en effet, un outil majeur pour les terroristes, en particulier pour Al-Qaida et les mouvements qui s’en réclament. Leurs sites – par exemple la revue Inspire – permettent de raccourcir les parcours de radicalisation et d’éviter de se faire repérer en allant sur zone. Les risques que vous évoquez sont réels, madame Zimmermann, mais à la limite, les terroristes n’ont même plus besoin de voyager.

Ces réseaux informatiques permettent de diffuser la propagande, d’endoctriner, de recruter les aspirants au jihad violent – souvent des jeunes âgés de 16 à 30 ans. Ils sont aussi des outils logistiques, utiles pour communiquer et donc pour s’organiser très discrètement. Enfin, ils jouent un rôle pédagogique, en donnant par exemple des conseils pour la fabrication de bombes.

Ce « cyber-jihadisme » ne peut être combattu avec un foisonnement d’incriminations, qui empêcherait toute vision d’ensemble du phénomène, mais grâce à l’articulation des dispositions existantes, comme celles relatives à l’association de malfaiteurs – une notion qui, selon tous les magistrats antiterroristes, fait la force de notre pays – ou à la complicité. La loi sur la presse, dont l’article 2 ter du projet de loi renforce les moyens de procédure – délais de prescription allongés, recours à la détention provisoire – fait aussi partie des éléments dont nous disposons. Elle offre un cadre juridique, mais celui-ci date de 1881, et risque de se révéler très vite inadapté. Une évolution doit donc être envisagée.

M. Pietrasanta et M. Valax se sont interrogés sur l’ampleur de la menace. Elle s’accroît, évidemment, compte tenu du contexte géopolitique que j’évoquais tout à l’heure : troubles au Pakistan, retrait de nos forces en Afghanistan, crise de Syrie, situation dans les pays concernés par le Printemps arabe, ou dans ceux qui, comme le Maroc ou les États du Sahel, sont confrontés à la menace terroriste… Ce qui nous inquiète, ce sont les réseaux, les groupes, les cellules tels que ceux que l’on voit combattre en Syrie. Quelquefois, des Français sont concernés, comme celui qui a été arrêté au Mali.

Nous avons eu à connaître un terrorisme extérieur – palestinien, kurde, arménien – et un terrorisme intérieur ou proche de nos frontières – ETA, Action directe, le groupe de Khaled Kelkal ou celui de Roubaix, dans lequel, déjà, on observait un phénomène de conversion religieuse. Mais un danger supplémentaire vient incontestablement du lien entre les menaces extérieures et intérieures. Il faut donc faire évoluer le renseignement, améliorer les relations entre tous les services présents sur le terrain – sous-direction de l’information générale, renseignement intérieur, gendarmerie –, développer leur capacité à fournir de l’information et à déterminer ce qui relève de l’antiterrorisme, renforcer les liens avec l’administration centrale.

Bien sûr, un travail doit également être effectué au niveau international, monsieur Pietrasanta, en particulier avec les pays africains. Je me suis ainsi rendu en Algérie il y a un mois – un pays qui lui-même a connu le terrorisme –, et j’ai senti les responsables très disponibles sur cette question. Le pays a d’ailleurs soutenu le vote par le Conseil de sécurité de la résolution présentée notamment à l’initiative de la diplomatie française. Et même s’il a sa propre vision de la situation au Sahel, il nous accompagne dans la lutte contre le terrorisme.

Au niveau national comme au niveau international, monsieur Molac, nous avons besoin d’outils. On ne peut pas appeler au développement d’une coopération européenne ni tenter de convaincre nos amis britanniques de ne pas quitter l’espace judiciaire européen tout en prétendant appliquer « à la carte » le mandat d’arrêt européen, sans quoi on perdrait toute crédibilité. Je suis d’accord avec vous : l’échec que constitue pour nous tous l’affaire Merah n’est pas dû à une faille de la législation. Mais la nature de la menace terroriste est autrement plus large, et légiférer est nécessaire.

Vous tracez comme ligne rouge l’indépendance de la justice : je partage ce point de vue, et c’est précisément pourquoi nous ne pouvons pas intervenir lors de l’application d’un mandat d’arrêt européen.

Je ne céderai jamais au romantisme s’agissant de tout engagement ayant recours à la violence : cela mène à une impasse, une impasse mortelle. Nous l’avons vu dans le passé. Nous devons être très respectueux à l’égard de nos amis Espagnols, qui ont, eux aussi, subi le terrorisme, alors même que le Pays basque espagnol est la région d’Europe bénéficiant de la plus grande autonomie. Des dizaines de milliers de victimes se sont réunies en associations, notamment les proches des élus, de gauche ou de droite, qui ont été assassinés, blessés ou meurtris à vie. C’est à eux de mener ce processus. Si nous pouvons les aider, faisons-le. Mais nous ne pouvons pas remettre en question la fermeté de notre engagement.

À cet égard, monsieur Fenech, c’est bien Pierre Joxe, un ministre socialiste, qui, au début des années quatre-vingt, a convaincu le président de la République, grâce à l’entregent de deux ambassadeurs – Pierre Guidoni à Madrid, Joan Reventos à Paris –, d’extrader les étarras.

Je l’ai dit, monsieur Pietrasanta, les propos de Mme Souad Merah sont choquants, inadmissibles. Il est important que la justice fasse son travail.

M. Doucet s’interroge sur la possibilité d’étendre aux sites faisant l’apologie du terrorisme les dispositions de la loi du 5 mars 2007 qui répriment la consultation de sites pédopornographiques. Même si ces dispositions constituent une référence à laquelle j’ai eu moi-même recours, la question de la criminalité terroriste sur Internet ne me semble pas devoir être envisagée à partir de ce seul modèle. Des similitudes existent, mais la question est techniquement et juridiquement complexe, et nous devons prendre le temps de l’examiner à fond. Je sais, en tout état de cause, que M. le président de la Commission sera attentif à ce que le débat ait lieu sur ce sujet.

M. Fenech a retracé l’histoire de nos législations antiterroristes, sans volonté de polémique, mais en attribuant tous les mérites à la droite… L’équilibre de la loi de 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État fait l’objet d’un consensus : c’est dans cet esprit que je travaille aujourd’hui. À cet égard, je vous remercie d’avoir indiqué que vous voteriez ce projet de loi.

Il se trouve que j’ai eu récemment l’occasion de discuter avec Charles Pasqua du cas d’Action directe – je rencontre régulièrement mes prédécesseurs. N’oublions pas que la loi d’amnistie de 1981, outre qu’elle faisait référence aux précédents de 1969 et 1974, a remis en liberté des membres du groupe qui n’avaient pas commis de crimes de sang, et qui seraient de toute façon rapidement sortis de prison. La radicalisation d’Action directe est intervenue après.

Tout cela montre bien la nécessité de faire preuve de vigilance, même si nous disposons d’une législation de grande qualité et de services qui font leur travail. Les événements de mars dernier nous l’ont rappelé, mais aussi ceux de Sarcelles, le 19 septembre. L’attaque à la grenade contre une épicerie casher était en effet motivée par une volonté de tuer. Mais le recueil d’indices sur place a permis de remonter une piste et de faire le lien avec un individu qui nous avait déjà été signalé par des services étrangers. Ce travail de renseignement indispensable peut atteindre son objectif, mais aussi, parfois, le manquer. Il exige en tout état de cause une très grande qualification et des moyens suffisants. Je compte beaucoup sur le futur livre blanc de la défense pour donner à la direction centrale du renseignement intérieur les moyens dont elle a besoin.

Monsieur Larrivé, nous étudierons toutes les idées, dès lors qu’elles débouchent sur des solutions efficaces, opérationnelles et compatibles avec nos principes constitutionnels, et à condition qu’elles ne complexifient pas inutilement la loi pénale. C’est ce que demandent les juges antiterroristes. C’est pourquoi nous avons souhaité compléter le travail de grande qualité effectué par Michel Mercier aussitôt après le 19 mars. Le temps dont nous avons disposé nous a même permis d’aller plus loin qu’il ne le prévoyait s’agissant de l’incrimination des Français commettant des actes terroristes à l’étranger. En revanche, sur certaines dispositions que contenait son texte, nous nous interrogeons encore. Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas prêts à agir, mais nous tenons à trouver le bon cadre juridique. Cela étant, je reste très ouvert à l’égard des propositions de Mme Kosciusko-Morizet ou de M. Ciotti.

En réponse aux préoccupations de ce dernier, je proposerai plusieurs amendements élaborés par le ministère des Finances et destinés à améliorer la procédure de gel des avoirs d’une personne engagée dans des actes de terrorisme, notamment en facilitant l’accès aux données financières et bancaires ou en étendant le champ d’application de cette procédure aux personnes qui incitent à des actes de terrorisme.

Quant à l’accès direct aux sources de renseignement, il exige une réflexion plus ambitieuse sur l’encadrement de l’action antiterroriste, laquelle pourrait être conduite dans le cadre de la mission que mène le président Urvoas.

Je remercie M. Ciotti de son engagement à soutenir ce texte, qui fait en effet écho au travail de Michel Mercier. Nous avons repris l’ensemble des dispositions utiles contenues dans le projet présenté le 11 avril en conseil des ministres, mais nous en avons écarté d’autres, notamment celles portant un risque d’inconstitutionnalité. Enfin, le projet de loi s’est enrichi de l’adoption par le Sénat de certains amendements. Mon cabinet et moi-même sommes disponibles pour travailler sur d’éventuelles autres propositions. En tout état de cause, je vous remercie pour vos contributions à ce débat.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er (art. L. 222-1 du code de la sécurité intérieure ; art. 32 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006) : Prorogation de certains dispositifs issus de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme

Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteure. À l’instar du ministre, mon intention est de parvenir à une législation équilibrée et efficace, en restant ouverte à toute proposition susceptible de contribuer à la lutte antiterroriste, dans les limites du respect de l’État de droit. C’est dans cet esprit que seront examinés les amendements, quel que soit le degré de nouveauté de leur contenu.

L’article 1er tend à proroger à nouveau pour trois ans trois dispositions : celle permettant aux services – en concurrence avec la procédure de la loi du 10 juillet 1991 – de bénéficier d’un régime de réquisition administrative des données de connexions téléphoniques ; celle qui autorise l’accès à certains fichiers administratifs très utiles, relatifs par exemple à l’identité ou à l’immatriculation des véhicules ; et celle qui prévoit la possibilité d’effectuer, dans les trains internationaux notamment à grande vitesse – qui ne s’arrêtent pas nécessairement à la frontière –, des contrôles au-delà de la zone prévue par les accords de Schengen.

S’agissant de la possibilité d’obtenir la communication de données techniques permettant de localiser et de suivre les appels téléphoniques, j’insiste, comme l’ont fait le ministre et le président de la Commission, sur la nécessité d’harmoniser les dispositions de la loi du 10 juillet 1991 avec celles de l’article 6 de la loi du 23 janvier 2006.

M. Guillaume Larrivé. C’est déjà la deuxième fois que la loi proroge les dispositions introduites par les articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006. Pourquoi ne pas les proroger jusqu’en 2017, afin de faire l’économie d’un nouveau débat sur le sujet en 2015 ? Je ne pense pas, hélas, que nous parviendrons à vaincre le terrorisme avant la fin du quinquennat.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je me pose la même question. La nécessité d’une harmonisation, rappelée par la rapporteure, est-elle l’unique raison de limiter la durée d’application de ces dispositions ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Au sein de la CNCIS, nous n’avons pas souhaité que ces dispositions soient prorogées pour une durée aussi longue que celle qui avait été fixée en 2008. L’idée, en la limitant à trois ans, est de contraindre le Gouvernement à harmoniser rapidement les deux systèmes.

M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. C’était notamment la préoccupation de l’ancien président de la commission des Lois du Sénat, M. Hyest. La prorogation de ces dispositions jusqu’à la fin du quinquennat poserait un problème, pour les raisons qui viennent d’être évoquées. Je me suis donc engagé à harmoniser les deux procédures avant la date prévue, en 2015. Certes, cela nous oblige à fixer un nouveau rendez-vous, mais peut-être aurons-nous ainsi l’occasion de prendre en compte certaines évolutions d’ordre technique ou juridique.

La Commission adopte l’article 1er sans modification.

Après l’article 1er

La Commission est saisie des amendements CL 2 et CL 1 de M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Cet amendement vise à permettre la consultation du fichier central biométrique des cartes nationales d’identité, des cartes de séjour et des passeports dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. L’amendement CL 1, quant à lui, est un amendement de repli, qui reprend la même disposition tout en excluant les titres de séjour.

Il convient en effet de prévoir les évolutions futures des systèmes informatiques de gestion de ces différents titres, qui constituent des fichiers administratifs et non des fichiers de police. Une base centrale d’information nominative et biométrique permet d’ores et déjà de gérer la délivrance des passeports, et les titres de séjour font l’objet d’un recensement sous forme électronique. Quant au projet de nouvelle carte d’identité électronique, dont la mise en place a été stoppée par le Conseil constitutionnel, la réponse du ministre de l’Intérieur à une question budgétaire montre qu’il n’est pas du tout abandonné, ce dont je me réjouis. Or l’un des articles de la loi du 22 mars 2012, partiellement censurée par le Conseil, visait à permettre l’accès des services antiterroristes au nouveau fichier administratif qu’elle créait.

Aussi cet amendement vise-t-il à remplacer les alinéas 4 et 5 de l’article L. 222-1 du code de la sécurité intérieure par un alinéa ainsi rédigé : « le système de gestion des titres d’identité, de séjour et de voyage ». En effet, il faut que non seulement les données relatives aux nationaux, mais aussi celles relatives aux étrangers séjournant sur notre territoire soient accessibles aux services spécialisés dans le cadre de la prévention du terrorisme.

Cette possibilité, strictement encadrée puisque les services concernés doivent être désignés par arrêté et que les agents doivent être individuellement habilités, est essentielle pour la sécurité nationale. Le fait que les autorités françaises n’aient pas été en mesure, après les attentats terroristes très graves de Madrid et de Londres, de procéder dans les délais requis aux opérations d’identification demandées par les services de police étrangers, a en effet mis en évidence l’intérêt de pouvoir accéder rapidement aux données contenues dans certains fichiers administratifs, notamment aux fins d’identification de personnes ou de détection de fausses identités.

Une proposition de loi relative à la protection de l’identité devrait être de nouveau présentée au Parlement dans un avenir proche. Or l’architecture technique qu’elle retient consiste en une base centrale réunissant les données relatives à la carte d’identité et au passeport. Il nous semble donc opportun, par coordination, de modifier le code de la sécurité intérieure afin que cette base puisse être consultée par les services spécialisés dans les mêmes conditions que les deux anciens fichiers.

Mme la rapporteure. Les éléments relatifs au séjour, à l’identité et au voyage figurent déjà dans les fichiers consultables par les services chargés de lutter contre le terrorisme. Vous nous invitez à tenir compte de l’architecture d’un système de gestion électronique des cartes d’identité qui n’a pas encore été adopté ; or il n’est pas d’usage que le législateur se lie ainsi les mains à l’avance. En outre, l’adoption de cet amendement n’apporterait aujourd’hui aucun progrès dans la lutte contre le terrorisme.

L’amendement est retiré, de même que l’amendement CL 1 du même auteur.

Article 2 (art. 113-13 [nouveau] du code pénal) : Application de la loi pénale française aux actes de terrorisme commis à l’étranger

La Commission examine l’amendement CL 13 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’article 2 est le cœur du projet. Il tend à permettre, sans toutefois aller jusqu’à ce que l’on appelle la compétence universelle, l’application de la loi pénale française aux actes de terrorisme commis à l’étranger par un Français. Ainsi, la participation à des camps d’entraînement terroristes situés au Pakistan pourrait-elle être incriminée, même si elle n’est pas prohibée dans ce pays.

La question est de savoir s’il faut limiter ce principe aux seuls ressortissants français. Le Sénat a adopté un amendement modifiant l’article 2 afin de rendre notre droit pénal applicable non seulement aux Français commettant à l’étranger des crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme, mais aussi à « une personne titulaire d’un titre de séjour l’autorisant à résider sur le territoire français ». Une telle formulation est surprenante et ne saurait convenir, pour deux raisons. Tout d’abord, elle exclut les citoyens européens, qui n’ont pas besoin de titre de séjour. Or nous connaissons des exemples de ressortissants britanniques ou allemands ayant séjourné dans des camps d’entraînement. Ensuite, pourquoi se limiter aux porteurs d’un titre de séjour, alors qu’une personne entrée irrégulièrement en France pourrait également faire l’objet d’une telle incrimination ?

C’est la raison pour laquelle je propose d’appliquer les dispositions de l’article 2 aux crimes et délits commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français. Le Sénat a jugé qu’une telle rédaction serait trop imprécise et donc inconstitutionnelle, car contraire au principe de légalité des délits et des peines, selon lequel on ne peut être condamné qu’en vertu d’un texte pénal clair et précis. Mais le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de valider la notion de résidence habituelle en matière pénale – d’ailleurs présente en plusieurs points du code pénal. Il y a donc tout lieu de penser que l’amendement CL 13 ne comporte pas de risque constitutionnel. En revanche, son adoption permettrait de resserrer les mailles du filet que nous souhaitons tous tendre aux auteurs d’actes terroristes.

M. Guillaume Larrivé. Cet amendement va dans le bon sens, mais je m’interroge sur les mots : « résidant habituellement ». Une telle rédaction exclurait du champ de l’incrimination les personnes titulaires d’un visa de court séjour – moins de trois mois –, c’est-à-dire séjournant en France à titre provisoire, mais n’y résidant pas habituellement. Ne serait-il pas nécessaire de prévoir une articulation entre cet aspect du code pénal et le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ?

Certes, le juge pourrait déduire des travaux préparatoires de la loi que l’article 2 vise non seulement les Français, mais aussi tout étranger séjournant en France, que sa présence soit légale ou illégale. Mais peut-être serait-il préférable de le préciser.

M. Dominique Raimbourg. Je suis évidemment favorable à l’adoption de l’article. Mais peut-être serait-il nécessaire de fusionner les deux textes, celui du Sénat et celui de l’amendement. Ainsi, seraient réprimés les actes commis à l’étranger par un Français, par une personne résidant habituellement sur le territoire français ou par une personne titulaire d’un titre de séjour l’autorisant à résider sur ce territoire, quand bien même, dans les faits, elle n’y résiderait jamais. Une telle solution permettrait d’élargir le champ d’application de la loi, même si, s’agissant des étrangers, la probabilité d’obtenir une extradition serait sans doute faible.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je fais entièrement confiance au jugement de notre rapporteure sur la notion de résidence habituelle. Mais comme M. Raimbourg, je me demande s’il ne serait pas utile de combiner les deux rédactions. Nous recherchons tous le même but ; le problème est de le traduire dans le texte.

Mme la rapporteure. Cela mérite d’être étudié. Mais nous devons faire attention : plus le lien territorial devient lâche, plus on penche du côté de la compétence universelle – une notion que nous nous accordons tous à juger très éloignée de notre tradition juridique. C’est l’inconvénient que je vois à une proposition qui, par ailleurs, relève d’un certain bon sens.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mais dans l’immédiat, vous suggérez que nous nous en tenions à l’amendement proposé.

Mme la rapporteure. Ce serait sans doute plus prudent.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 2 modifié.

Article additionnel après l’article 2 (art. 421-1 du code pénal) : Ajout du chantage dans la liste des infractions pouvant être qualifiées d’actes de terrorisme en raison du but animant leur auteur

La Commission est saisie de l’amendement CL 3 de M. Éric Ciotti.

M. Philippe Goujon. L’amendement vise à transposer une disposition de la décision-cadre européenne de 2008, en ajoutant le chantage à la liste des infractions constitutives d’un acte de terrorisme. Cette nouvelle incrimination, inspirée du délit d’association de malfaiteurs, s’appliquerait à une personne agissant de manière isolée. Il s’agit donc d’aller plus loin dans la lutte contre le phénomène de loup solitaire notamment révélé par l’affaire Merah.

Mme la rapporteure. La décision-cadre européenne du 28 novembre 2008, relative à la lutte contre le terrorisme, reformule la notion d’« association de malfaiteurs », qui existe depuis longtemps dans notre droit. De plus, l’extorsion figure déjà dans la liste des infractions constitutives de l’acte de terrorisme. Le chapitre du code pénal qui lui est consacré comprend deux sections, l’une sur l’extorsion proprement dite, l’autre sur le chantage.

Pour ces deux raisons, l’amendement ne me semble pas utile. Avis défavorable.

M. Guillaume Larrivé. Le chapitre « De l’extorsion », dans le code pénal, comprend deux sections, l’une relative à l’extorsion et l’autre au chantage. Afin d’éviter toute ambiguïté, il me semble utile de viser ces deux catégories, même si nos travaux montrent que nous songeons également à la seconde.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Ce débat a d’ailleurs déjà eu lieu au Sénat.

M. le ministre. L’expression de « loup solitaire » convient sans doute à Anders Behring Breivik, mais pas à Mohamed Merah car, même s’il a agi seul – il appartiendra à la justice de se prononcer sur les déclarations de son frère, qui évoque un autre homme –, elle pourrait dédouaner les personnes rencontrées lors de ses déplacements, celles qui l’ont formé ainsi que son entourage social et familial.

M. Dominique Raimbourg. L’ajout de la notion de « chantage », sous réserve que l’article 2 bis ne soit pas supprimé comme le propose Mme la rapporteure, me semble plus prudent.

Mme la rapporteure. L’un de mes amendements tend effectivement à supprimer l’article 2 bis, qui m’apparaît inutile au regard de l’existence, dans notre droit, de la notion d’association de malfaiteurs constituée dans le but de commettre une infraction terroriste. La cohérence veut que je reste sur cette logique.

M. Philippe Goujon. Dans le code pénal, le chantage n’est pas défini comme un acte terroriste ; d’où le consensus qui semble se dégager sur notre amendement.

La Commission adopte l’amendement.

Après l’article 2

La Commission examine l’amendement CL 4 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. Afin de mieux répondre au problème du « loup solitaire », nous proposons de compléter l’alinéa 421-2-1 du code pénal par un alinéa ainsi rédigé : « Constitue également un acte de terrorisme le fait de préparer de manière caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ». Cette nouvelle incrimination, qui s’ajouterait à celle d’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes, pourrait s’appliquer aux personnes seules, notamment aux recruteurs n’ayant pas encore recruté.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. L’amendement a pour objet de créer une nouvelle incrimination, inspirée du délit d’association de malfaiteurs, laquelle constitue l’incrimination majeure de notre droit en matière de terrorisme ; mais la logique en est différente puisqu’il conduirait à incriminer des actes préparatoires commis par une personne seule avant même que les éléments d’une tentative soient réunis.

Du point de vue des principes, s’il peut être justifié d’incriminer des actes préparatoires commis par plusieurs personnes, une telle incrimination apparaît excessive pour une personne seule, d’autant que celle-ci peut faire l’objet d’une surveillance administrative, comme l’a rappelé Mme la garde des Sceaux au Sénat. En présence d’éléments matériels attestant la préparation d’un acte terroriste, une information judiciaire peut être ouverte, soit pour tentative d’acte terroriste – puisque l’acte terroriste isolé existe dans notre droit pénal –, soit pour d’autres infractions, telles que la détention illicite d’armes ou d’explosifs. Le droit en vigueur est donc suffisant : évitons de le complexifier.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL 7 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. La loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a été modifiée par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI, afin de permettre un blocage administratif des sites Internet diffusant des images à caractère pédopornographique. Ce dispositif ayant été approuvé par le Conseil constitutionnel, il ne manque plus qu’un décret pour le rendre pleinement opérationnel. Notre amendement a pour but d’étendre son champ d’application, en donnant à l’autorité administrative la possibilité d’établir une liste noire de sites faisant l’apologie du terrorisme, et d’obliger les fournisseurs d’accès à en bloquer l’accès sans délai. L’apologie du terrorisme n’est pas simple à qualifier, sans doute, mais l’administration du ministère de l’Intérieur nous semble posséder une capacité d’analyse suffisante pour le faire, afin notamment de différencier ces sites de sites d’informations ou de recherche universitaire.

Mme la rapporteure. Si nous sommes tous d’accord sur l’objectif, on peut cependant se demander quelle serait l’efficacité d’une telle mesure. Elle n’est pas réclamée par les magistrats, et moins encore par les services de renseignement : empêcher les connexions à ces sites pourrait être contre-productif, puisqu’il peut être utile de tracer les utilisateurs. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 bis (nouveau) (art. 421-2-4 [nouveau] du code pénal) : Incrimination des actes de recrutement, même non suivis d’effet, en vue de participer à une association de malfaiteurs à visée terroriste ou de commettre des faits de nature terroriste

La Commission est saisie de l’amendement CL 14 de la rapporteure, tendant à la suppression de l’article.

Mme la rapporteure. L’article 2 bis, ajouté au Sénat par un amendement de MM. Hyest et Mercier avec avis de sagesse du Gouvernement, crée une incrimination de recrutement en vue de participer à un groupement terroriste ou de commettre un acte terroriste. Il vise, comme l’ont expliqué ses auteurs, à mettre en œuvre la décision-cadre de 2008 du Conseil européen, dont l’article 1er dispose : « Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que soient également considérés comme des infractions liées aux activités terroristes les actes intentionnels suivants : […] b) le recrutement pour le terrorisme. »

Or, en l’espèce, le droit français est en avance sur le droit européen : la création d’une incrimination distincte du délit de participation à une association de malfaiteurs constituée dans le but de commettre une infraction terroriste, selon les termes de l’article 421-2-1 du code pénal, ne paraît pas opportune, dans la mesure où l’interprétation jurisprudentielle de cet article permet d’ores et déjà d’appréhender les actes commis dans le but de recruter des personnes pour participer à des actes terroristes. Incriminer spécifiquement le recrutement serait même susceptible d’affaiblir l’efficacité de l’incrimination déjà existante – laquelle constitue le pivot de la législation anti-terroriste française –, puisque cela pourrait conduire à appréhender trop peu de personnes, ou à le faire trop tôt.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 bis est supprimé.

Après l’article 2 bis

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 2 bis.

Elle examine d’abord l’amendement CL 5 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. La grande et belle loi libérale de 1881 prévoit d’ores et déjà la répression de l’apologie du terrorisme, mais selon un régime procédural différent de celui du code pénal, notamment en matière d’instruction, de saisie du parquet ou de délais de prescription. Nous proposons donc, comme l’avait fait le précédent Gouvernement, de transférer ce délit de la loi de 1881 vers le code pénal. Une évolution est en effet nécessaire, car tous les parquets de France sont aujourd’hui susceptibles d’être saisis d’affaires relatives à l’apologie du terrorisme. Par ailleurs, l’avancée obtenue au Sénat en matière de prescription ne nous semble pas suffisante.

Mme la rapporteure. Nous devrons en effet avoir une réflexion sur le champ d’application de la loi de 1881, que la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne la comprend guère, souhaite voir expurgée de toute incrimination pénale. Toute démarche en ce sens est par conséquent utile, mais la réflexion sur le sujet n’est pas encore mûre, même si j’y suis, comme M. le ministre, tout à fait favorable : la loi de 1881 ne pourra pas éternellement servir de référence, notamment pour les publications sur Internet. En attendant, des problèmes plus graves que l’apologie du terrorisme se posent. Avis défavorable.

M. Guillaume Larrivé. Un peu d’audace, madame la rapporteure !

Mme la rapporteure. Ne confondons pas audace et précipitation : un architecte serait-il audacieux de construire une maison sans toit ?

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL 6 de M. Éric Ciotti et CL 8 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

M. Guillaume Larrivé. L’amendement CL 6 vise à réprimer la consultation habituelle de sites internet faisant l’apologie du terrorisme, mais je le retire au profit de l’amendement CL 8 de Mme Kosciusko-Morizet, qui, en excluant les universitaires et les journalistes du champ d’application, respecte mieux l’exigence de proportionnalité rappelée par le Conseil d’État au sujet du projet de loi précédent.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Les amendements CL 8 et CL 9 se font écho, car leur association permet à la fois de répondre à l’exigence de répression, s’agissant de la consultation de sites jihadistes, et aux craintes du Gouvernement quant à la constitutionnalité d’une telle mesure. M. Bussereau et moi proposons, pour ce faire, deux garanties de proportionnalité : la première, avec l’amendement CL 8, consiste en une triple dérogation pour le journalisme, la recherche scientifique et l’enquête judiciaire ; la seconde, avec l’amendement CL 9 après l’article 2 ter, concerne les peines applicables à des personnes reconnues coupables du nouveau délit, dont nous proposons de retirer trois dispositions procédurales excessives au regard du principe de proportionnalité.

Ces deux amendements s’appuient sur les travaux du Conseil d’État relatifs au projet de loi déposé au printemps dernier ; ils permettraient d’éviter tout risque d’inconstitutionnalité.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Personnellement, je n’ai pas accès aux travaux du Conseil d’État…

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. J’ai interrogé les personnes qui ont travaillé sur le sujet, puisque les mêmes questions, sur ces deux garanties, avaient été soulevées.

Mme la rapporteure. Mme Kosciusko-Morizet me met dans une situation un peu délicate, puisque j’ai participé aux travaux dont elle parle.

Les notions de « consultation » et même de « site Internet » ne sont pas sans poser quelques difficultés ; mais l’enjeu principal est assurément de suivre les personnes qui consultent ces sites, grâce auxquels elles se forment, établissent des contacts et, ce faisant, progressent dans l’activité terroriste. Or, aucun des amendements dont nous avons discuté ne répond à ce problème.

En tout état de cause, sanctionner la consultation de tels sites peut empêcher la surveillance d’activités terroristes, ou l’interrompre trop tôt. Par ailleurs, pour l’exigence de proportionnalité comme pour le principe de légalité, le diable se loge dans les détails. En l’occurrence, la notion d’« exercice normal d’une profession », que retient l’amendement CL 8, ne me semble pas assez précise. Où commence et où s’arrête, par exemple, l’« exercice normal d’une profession » pour un enseignant qui consulte un site terroriste afin de mettre en garde ses élèves contre son contenu ? Cette question serait laissée à l’appréciation du juge. Je crains, dans ces conditions, que les principes de légalité et de proportionnalité ne soient un peu mis à mal par un tel amendement, qui pourtant témoigne d’un souci d’équilibre ; surtout, l’efficacité en matière de traque ne réside pas, selon moi, dans une disposition de cette nature mais dans d’autres, auxquelles nous aurons à réfléchir. Avis défavorable.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Je comprends votre point de vue, madame la rapporteure, mais je veux vous soumettre un exemple concret. L’une de mes employées de mairie a été mariée pendant vingt ans à un homme qui s’est engagé dans un processus de radicalisation ; elle en est aujourd’hui séparée, mais elle a quatre fils, parmi lesquels les deux aînés, engagés dans le même processus, sont manifestement surveillés ; quant au troisième, il a quinze ans et subit l’influence de ses frères, qui vivent avec le père et lui donnent des adresses de sites Internet montrant des scènes de décapitation, par des hommes munis de grands sabres noirs, sur fond de musique obsessionnelle. Il consulte donc ces sites de manière habituelle et répétée. On peut toujours dire qu’il est mieux de le surveiller en attendant qu’il en fasse plus, mais le fait est qu’il est aujourd’hui en danger, et que l’on ne peut rien faire.

Vos arguments s’appliquent surtout à des jeunes d’une vingtaine d’années engagés dans un processus de radicalisation ; mais ces vidéos de décapitation s’échangent dans les cours de collège. Comment lutter contre ce phénomène qui, hélas, se développe ?

Mme la rapporteure. Ces cas sont effectivement troublants ; mais ne faut-il pas plutôt poursuivre ceux qui mettent les vidéos en ligne ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Les sites étant basés à l’étranger, il est difficile d’obtenir leur fermeture ou même leur blocage, d’autant que la définition d’un site jihadiste n’est pas aussi simple que celle d’un site pédopornographique. Quoi qu’il en soit, la consultation habituelle de scènes de décapitation n’est pas un comportement normal : trouvons un moyen pour l’écrire dans la loi !

M. Dominique Raimbourg. L’objectif fait bien entendu consensus. La difficulté, dans le cas que nous soumet Mme Kosciusko-Morizet, est que le père, s’il était poursuivi, expliquerait que c’est son fils mineur, et non lui, qui consulte ces sites ; en ce cas la saisine d’un juge des enfants semblerait nécessaire. La création d’une incrimination particulière permettrait-elle de lutter contre la diffusion de ce type d’images chez les mineurs ? Je n’en suis pas sûr.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Ces vidéos ignobles, je le répète, sont téléchargées en toute impunité et échangées dans les cours de récréation. Mon amendement ne prétend pas régler tous les problèmes, mais la législation sur les sites pédopornographiques et les travaux du Conseil d’État montrent que l’on peut avancer sans encourir le risque d’une annulation par le Conseil constitutionnel.

M. Sébastien Denaja. Peut-être Mme Kosciusko-Morizet pourrait-elle retirer son amendement, dont chacun s’accorde à dire qu’il poursuit des objectifs louables, et en présenter un nouveau lors de l’examen, lors de la réunion prévue par l’article 88 du Règlement, afin de lever les objections strictement juridiques soulevées par Mme la rapporteure.

M. Guillaume Larrivé. La question ici posée est celle de la répression, l’amendement CL 7, qui concernait l’aspect préventif, ayant été rejeté. Ne pourrait-on envisager un sous-amendement, éventuellement en séance publique, pour limiter l’application de la mesure à un an ou deux ? Nous pourrions ainsi en évaluer la portée, conformément à l’esprit de la loi de 2006 ou de l’article 1er du présent texte.

M. le ministre. Je ne reviendrai pas sur le fond ; quoi qu’il en soit, le Gouvernement ne veut prendre aucun risque constitutionnel.

La question du blocage de ces sites souvent basés à l’étranger doit être examinée de près et, s’il est vrai que leur consultation pose un vrai problème, nous devons tenir compte de cette priorité qu’est le renseignement, qui aujourd’hui se concentre majoritairement sur les administrateurs de ces sites. De fait, ce sont des centaines de consultations qu’il faut surveiller.

Encore une fois, je ne sous-estime pas les problèmes liés à ces consultations, notamment au regard de l’endoctrinement de jeunes adolescents. L’affaire Merah a d’ailleurs démontré l’influence funeste de ces sites et de ces images violentes.

Sans vouloir interférer dans les travaux de la Commission, je suis personnellement disposé à envisager toute solution juridiquement acceptable, telle qu’une mesure provisoire faisant l’objet d’une évaluation, d’ici à l’examen en séance. À défaut de constituer la panacée, cela permettrait de pointer un sujet auquel il nous faudra de toute façon réfléchir.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. S’il doit y avoir une avancée, il est préférable qu’elle soit d’origine parlementaire : le dépôt d’amendements par le Gouvernement en séance, dans un cas comme celui-ci, ne serait pas tout à fait dans l’esprit de la réforme constitutionnelle de 2008. Je suggère donc que notre rapporteure se penche sur la question, y compris en se rapprochant de la Chancellerie.

L’amendement CL 6 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL 8.

Article 2 ter (nouveau) (art. 52 et 65-3 de la loi du 29 juillet 1881) : Délit de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme : placement en détention provisoire et allongement du délai de prescription de l’action publique

La Commission examine l’amendement CL 15 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’amendement est rédactionnel. Le Sénat a modifié la loi de 1881 sur deux points, la détention provisoire et l’allongement du délai de prescription dans le cas d’apologie du terrorisme, mais en oubliant de nettoyer les deux articles visés.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 ter modifié.

Article additionnel après l’article 2 ter (art. L. 562-1 du code monétaire et financier) : Extension du dispositif de gel des avoirs financiers aux personnes qui incitent la commission d’actes terroristes

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL 10 du Gouvernement.

Article additionnel après l’article 2 ter (art. L. 562-6 du code monétaire et financier) : Publication des décisions de gel des avoirs par extrait

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL 11 du Gouvernement.

Article additionnel après l’article 2 ter (art. L. 562-8 du code monétaire et financier) : Communication d’informations couvertes par le secret bancaire des établissements de crédit ou de Tracfin

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL 12 du Gouvernement.

Après l’article 2 ter

Elle rejette ensuite, suivant l’avis défavorable de la rapporteure, l’amendement CL 9 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Article 3 (art. L. 522-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, art. 32 de l'ordonnance n° 2000-371 du 26 avril 2000, art. 34 de l'ordonnance n° 2000-372 du 26 avril 2000, art. 32 de l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 et art. 34 de l'ordonnance n° 2002-388 du 20 mars 2002) : Fixation d'un délai pour la commission d'expulsion

La Commission examine l’amendement CL 16 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Le délai d’examen des dossiers par la Commission d’expulsion des étrangers, composée de trois magistrats, étant parfois très long, le Gouvernement a souhaité l’encadrer par la loi. Une fois ce délai passé, l’avis serait réputé rendu.

Le Sénat a retenu cette proposition, mais sous deux réserves importantes : la première, acceptée par le Gouvernement et votre rapporteure, est la possibilité donnée à la personne étrangère de demander un nouveau délai d’un mois, pour un motif dont le juge apprécierait la légitimité ; la seconde est la restriction du champ d’application de cette mesure aux seules activités terroristes. Or il me semble préférable que la même procédure s’applique à tous les dossiers visés par l’article L. 522-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dossiers qui au demeurant ne sont au nombre que d’une cinquantaine par an.

M. Guillaume Larrivé. Les délais de traitement des dossiers par les commissions d’expulsion sont parfois des freins dirimants pour des procédures d’expulsion en urgence absolue. La version initiale du Gouvernement, qui consiste à réputer l’avis d’expulsion rendu une fois le délai expiré – quitte à ce que cette décision fasse l’objet d’un contrôle ex post par un juge –, me semble bien plus expédiente que votre proposition d’introduire cet aléa du « motif légitime ». En réalité, celui-ci se résumera à ce que la personne menacée d’expulsion voudra bien énoncer. Vous serez donc soumis, monsieur le ministre, au bon vouloir de la commission d’expulsion, ce qui freinera les procédures d’expulsion. Je défendrai donc en séance un amendement tendant à rétablir le texte initial du Gouvernement.

Mme la rapporteure. Nous ne sommes pas dans le cas de l’urgence absolue, qui permet au ministre d’expulser une personne sans avis de la commission d’expulsion, mais dans celui du droit commun, qui nécessite cet avis. Je propose seulement que la personne étrangère puisse demander un nouveau délai, afin que toutes les garanties soient respectées, et que cette procédure s’applique à tous les cas relevant de la commission d’expulsion.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4  (art. L 624-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, art. 43-1 de l'ordonnance n° 2000-372 du 26 avril 2000, article 43-1 de l'ordonnance n° 2002-388 du 20 mars 2002, art. 41-1 de l'ordonnance n° 2000-371 du 26 avril 2000 et art. 41-1 de l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000) : Correction d'une erreur de référence

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Article 5 : Ratification de l'ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012 relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure

La Commission examine l’amendement CL 17 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’amendement vise à rétablir l’article 5, supprimé par le Sénat : il s’agit de ratifier la partie législative du code de la sécurité intérieure, dont les dispositions ont, par définition, déjà été votées par le Parlement. Je n’ai pas saisi les raisons pour lesquelles le Sénat a refusé spécifiquement cette ratification.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 5 est ainsi rétabli.

Article 6 : Habilitation du Gouvernement à prendre une ordonnance complétant le code de la sécurité intérieure

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL 18 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 6 modifié.

Article 7 : Champ d’application territoriale de la loi

La Commission adopte l’article 7 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

La séance est levée à 18 heures 35.

Amendements examinés par la Commission

Amendement CL1 présenté par MM. Goujon, Ciotti et Larrivé :

Après l’article 1er, insérer l’article suivant :

Les 4ème et 5ème alinéas de l’article L. 222-1 du Code de la sécurité intérieure sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« le système de gestion des titres d’identité et de voyage ».

Amendement CL2 présenté par MM. Goujon, Ciotti et Larrivé :

Après l’article 1er, insérer l’article suivant :

Les 4ème et 5ème alinéas de l’article L. 222-1 du Code de la sécurité intérieure sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« le système de gestion des titres d’identité, de séjour et de voyage ».

Amendement CL3 présenté par MM. Ciotti, Goujon et Larrivé :

Après l’article 2, insérer l’article suivant :

Au 2° de l’article 421-1 du code pénal, après les mots : « les extorsions, », sont insérés les mots : « le chantage, ».

Amendement CL4 présenté par MM. Ciotti, Goujon et Larrivé :

Après l’article 2, insérer l’article suivant :

L’article 421-2-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Constitue également un acte de terrorisme le fait de préparer de manière caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents. ».

Amendement CL5 présenté par MM. Ciotti, Goujon et Larrivé :

Après l’article 2 bis, insérer l’article suivant :

Après l’article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 421-2-5 – Le fait, publiquement, par quelque moyen que ce soit, de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

« Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. ».

Amendement CL6 présenté par MM. Ciotti, Goujon, Larrivé et Lamour :

Après l’article 2 bis, insérer l’article suivant :

Après l’article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé : 

« Art.421-2-5  – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de consulter de façon habituelle un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ces messages comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie. ».

Amendement CL7 présenté par MM. Ciotti, Goujon et Larrivé :

Après l’article 2, insérer l’article suivant :

L’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa du 7 du I, après les mot : « humanité », sont insérés les mots : « , des crimes visés par les articles 421-1 à 421-2-2 du code pénal, » ;

2° Après le sixième alinéa du 7 du I, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion d’images ou de représentations faisant l’apologie des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal le justifient, l'autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l'accès sans délai.

« Un décret fixe les modalités d'application de l'alinéa précédent. ».

Amendement CL8 présenté par Mme Kosciusko-Morizet et M. Bussereau :

Après l’article 2 bis, insérer l’article suivant :

Au chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal, il est ajouté un article 421-2-5 ainsi rédigé :

« Art.421-2-5 – Est puni de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende le fait de consulter de façon habituelle un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ces messages comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie.

« Le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. ».

Amendement CL9 présenté par Mme Kosciusko-Morizet et M. Bussereau :

Après l’article 2 ter, insérer l’article suivant :

I. - L’article 706-25-1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables au délit prévu par l’article 421-2-6 du code pénal. ».

II. - À l’article 706-25-2 du même code, après les mots : « communication électronique,» sont insérés les mots : «, ainsi qu’à l’infraction prévue et réprimée par l’article 421-2-5 du code pénal ».

III. - L’article 706-88 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au délit prévu par l’article 421-2-5 du code pénal. ».

IV. - Après l’article 706-94 du même code, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 706-94-1. - Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables au délit prévu par l’article 421-2-5 du code pénal. ».

Amendement CL10 présenté par le Gouvernement :

Après l’article 2 ter, insérer l’article suivant :

À l’article L. 562-1 du code monétaire et financier, les mots : « les facilitent ou y participent » sont remplacés par les mots : « les incitent, les facilitent ou y participent ».

Amendement CL11 présenté par le Gouvernement :

Après l’article 2 ter, insérer l’article suivant :

À l’article L. 562-6 du code monétaire et financier, après les mots : « sont publiées » sont insérés les mots : « par extrait ».

Amendement CL12 présenté par le Gouvernement :

Après l’article 2 ter, insérer l’article suivant :

Le premier alinéa de l’article L. 562-8 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° – Les mots : « les services de l’État chargés de mettre en œuvre » sont remplacés par les mots : « les services de l’État chargés de préparer et de mettre en œuvre ».

2° – Après les mots : « par cette mesure », sont ajoutés les mots : « et de surveiller les opérations portant sur les fonds, les instruments financiers et les ressources économiques desdites personnes ».

Au II de l’article L. 561-29 du code monétaire et financier, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le service peut également transmettre aux services de l'État chargés de préparer et de mettre en œuvre une mesure de gel ou d'interdiction de mouvement ou de transfert des fonds, des instruments financiers et des ressources économiques, des informations en relation avec l’exercice de leur mission. ».

Amendement CL13 présenté par Mme Bechtel, rapporteur :

Article 2

Après le mot :

« commis »,

rédiger ainsi la fin de l’alinéa 2 :

« à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français ».

Amendement CL14 présenté par Mme Bechtel, rapporteur :

Article 2 bis

Supprimer cet article.

Amendement CL15 présenté par Mme Bechtel, rapporteur :

Article 2 ter

Rédiger ainsi l’alinéa 2 :

« 1° Après les mots : « pourra être », la fin de l’article 52 est ainsi rédigée : « placée en détention provisoire que dans les cas prévus à l’article 23 et aux deuxième, troisième, quatrième et sixième alinéas de l’article 24 » ; ».

Amendement CL16 présenté par Mme Bechtel, rapporteur :

Article 3

Rédiger ainsi les alinéas 2 et 4 de cet article :

«  La commission rend son avis dans un délai fixé par un décret en Conseil d’État. Toutefois, lorsque l’étranger demande le renvoi pour un motif légitime, la commission accorde un délai supplémentaire dans des conditions fixées par un décret en Conseil d’État. À l’issue du délai initial, ou, le cas échéant, du délai supplémentaire, les formalités de consultation de la commission sont réputées remplies. ».

Amendement CL17 présenté par Mme Bechtel, rapporteur :

Article 5

Rétablir cet article dans le texte suivant :

« L'ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012 relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure est ratifiée. ».

Amendement CL18 présenté par Mme Bechtel, rapporteur :

Article 6

I. – À l’alinéa 2, substituer au mot :  « codifiées », les mots : « à codifier » ;

II. – À l’alinéa 8, après le mot : « ainsi que », insérer le mot : « pour » ;

III. – À l’alinéa 10, après le mot : « ordonnances », insérer les mots : « mentionnées aux I et II ».

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, M. Jean-Pierre Blazy, M. Éric Ciotti, M. Sergio Coronado, M. Carlos Da Silva, M. Sébastien Denaja, M. Marc Dolez, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Yann Galut, M. Guy Geoffroy, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Bernard Lesterlin, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Corinne Narassiguin, Mme Nathalie Nieson, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistait également à la réunion. - Mme Kheira Bouziane