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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 21 novembre 2012

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président de la commission des Lois et de Mme Danielle Auroi, Présidente de la commission des Affaires européennes

– Audition commune avec la commission des Affaires européennes de Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté

La séance est ouverte à 17 heures 35.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois et de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des Affaires européennes.

Mme la présidente Danielle Auroi, présidente de la Commission des affaires européennes. Madame la Commissaire, je suis heureuse de vous accueillir, avec M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour cette audition conjointe.

Nous vous avons déjà rencontrée récemment lors de la table ronde organisée le 15 octobre sur le projet de loi de finances pour 2013, qui constituait une première très positive. De telles rencontres avec les membres de la Commission européenne sont très utiles. Le fait que plusieurs commissions soient directement intéressées témoigne des progrès de notre réflexion sur les enjeux de l’Union européenne. Ce dialogue régulier est essentiel pour impliquer davantage notre assemblée sur les questions européennes, à propos des nombreux sujets-clés qui engagent notre avenir commun – qu’il s’agisse de l’intégration budgétaire, de l’approfondissement démocratique de l’Union, du développement durable ou de la régulation financière.

Les sujets que nous aborderons sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens, car ils touchent à nos libertés, à l’exercice effectif de la justice au-delà des frontières nationales et à l’édification, lente mais indispensable, d’un espace commun de liberté et de justice.

Il s’agit tout d’abord de la protection des données à caractère personnel, à propos de laquelle l’Assemblée nationale a adopté une proposition de résolution au début de cette année. Il serait intéressant que vous fassiez le point sur les négociations en cours sur les deux textes très importants déposés en janvier 2012 par la Commission européenne pour réformer le cadre européen de la protection de ces données.

Il s’agit ensuite de la création du futur Parquet européen et de la protection des intérêts financiers de l’Union par le droit pénal. La Commission européenne envisage-t-elle la création d’un Parquet européen uniquement sous cet aspect ou a-t-elle à l’esprit une perspective plus large de lutte contre la grande criminalité ? Je rappelle qu’à la suite du rapport de M. Guy Geoffroy et de Mme Marietta Karamanli, l’Assemblée nationale a adopté le 14 août 2011 une résolution européenne qui préconisait cette seconde option.

Il s’agit aussi de la politique européenne d’intégration des populations roms. La France partage avec la Commission européenne la volonté d’améliorer l’accès à l’emploi, à l’éducation et au logement des Roms, qui seraient plus de 400 000 au total dans notre pays. Comment convient-il d’organiser les actions entre pays d’origine et pays d’accueil ? La coopération est-elle plus pertinente à l’échelle bilatérale ou communautaire, étant entendu que les politiques d’intégration relèvent essentiellement des États membres ?

Il s’agit également de l’évaluation, après quelques années, de la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen, sur lequel notre Commission a décidé d’engager un travail, dans le contexte notamment des projets britanniques d’opt-out sur tous les domaines relevant de la justice et des affaires intérieures.

Nous souhaiterions également des informations sur les textes en cours de discussion dans le domaine du droit d’asile, notamment sur la proposition de directive « procédure », à propos de laquelle notre Commission a adopté hier une proposition de résolution sur la proposition de nos rapporteurs, Mme Marietta Karamanli et M. Charles de la Verpillière.

Quelques mois après le rapport de juillet 2012 sur le mécanisme de coopération et de vérification en Bulgarie et de Roumanie, comment analysez-vous les perspectives de progression de ces deux États en matière de justice et d’affaires intérieures ?

Nous aborderons, enfin, l’initiative que vous avez prise en vue de l’instauration de quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises européennes. J’ai présenté à notre Commission, le 16 octobre dernier, une communication appuyant votre initiative. À l’issue du débat, la Commission des affaires européennes a surtout insisté sur la nécessité d’instaurer un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises européennes d’ici 2020 et d’assortir cette mesure de sanctions pour non-respect de cette obligation. La position retenue la semaine dernière par le collège des commissaires européens reprend ce taux de 40 % et nous vous remercions de votre diligence en la matière. S’agit-il d’un simple affichage à objectif politique ou d’une véritable obligation juridique ? Ce compromis vous satisfait-il ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la Commissaire, je vous souhaite la bienvenue dans la salle de la commission des Lois et remercie la présidente de la Commission des affaires européennes d’avoir pris l’initiative de cette audition conjointe. La commission des Lois a décidé de porter une attention particulière, durant la présente législature, à l’Union européenne et de mettre en place une veille européenne que nous avons confiée à Mme Marietta Karamanli, membre de la majorité, et à M. Guy Geoffroy, membre de l’opposition, qui font régulièrement état à notre Commission des résultats de leurs travaux et nous alertent sur des questions qui auraient pu échapper à notre attention – comme cela s’est produite durant la précédente législature où, faute, par exemple, d’avoir assez anticipé les problèmes liés à la garde à vue, nous avons dû légiférer dans l’urgence.

Notre Commission est inquiète des perspectives de l’opt-out que pourrait exercer le Royaume-Uni. De fait, bien que cette mesure soit rendue possible par un protocole annexé au Traité de Lisbonne, elle peut entraîner des conséquences à propos desquelles la Commission européenne a déjà exprimé ses inquiétudes. Nous aurons certainement l’occasion de revenir sur cette question en évoquant la construction de l’espace pénal européen.

Votre visite s’inscrit dans une journée très européenne pour notre assemblée : nous avons eu le plaisir de recevoir tout à l’heure dans l’hémicycle M. Giorgio Napolitano, président de la République italienne, qui a prononcé en français un discours profondément européen et optimiste, ce qui n’est pas toujours la couleur dominante des propos que nous entendons dans cette maison, où la perspective d’une dislocation de l’Union européenne est un sujet d’inquiétude croissant.

Nous sommes heureux de pouvoir aborder avec vous de nombreux points, comme le mandat d’arrêt européen, le Parquet européen, l’aide juridictionnelle ou la protection des données à caractère personnel – question qui, comme j’ai pu le constater à Chypre voilà un mois et demi lors d’une réunion des présidents des commissions des Lois des parlements de l’Union européenne, suscite de réelles inquiétudes chez les élus. M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des Lois du Sénat, et moi-même avons manifesté la nôtre devant les projets de l’Union, moins protecteurs que ne l’est aujourd’hui le droit interne français. Nous avons affirmé ici même devant la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) notre détermination à faire entendre nos préoccupations.

Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté. Madame la présidente, monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Le dialogue entre la Commission européenne et les élus nationaux est en effet très important, car l’Europe ne se fait pas à Bruxelles, mais partout. Si donc le Parlement européen est mon premier interlocuteur parlementaire, les parlements nationaux ont une importance majeure, car les lois européennes doivent être appliquées dans les États membres et il vous incombe aussi de les expliquer aux citoyens.

L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a provoqué des changements considérables : la justice, qui relevait jusqu’alors des seules instances nationales, relève désormais d’une responsabilité européenne accrue à laquelle s’ajoutent les effets de la Charte des droits fondamentaux, qui a valeur de traité. L’élément national et l’élément européen doivent être complémentaires, sans se télescoper. Vos doutes en la matière, monsieur le président, doivent nous faire réfléchir au niveau européen sur notre manière de procéder.

Ma tâche n’est pas de changer les systèmes judiciaires nationaux, mais de bâtir des ponts entre eux pour qu’ils puissent fonctionner : la libre circulation des citoyens doit avoir pour pendant la libre circulation des droits.

La justice doit aussi servir la croissance.

Le droit à un procès équitable, qui est l’un des piliers des systèmes judiciaires européens, n’est contesté par personne, mais les procédures pénales et les droits de l’accusé diffèrent selon les systèmes nationaux, de telle sorte que les personnes qui se déplacent perdent parfois leurs droits en passant d’un État à un autre. C’est la raison pour laquelle je me suis immédiatement employée à la définition de normes communes minimales permettant d’assurer une protection suffisante des suspects et des personnes accusées, dans quelque pays qu’elles se trouvent.

La première directive dans ce domaine, portant sur le droit à l’interprétation et à la traduction, a été adoptée en neuf mois seulement. Cette rapidité témoigne du besoin de combler un vide. La directive sur la déclaration des droits, le droit d’être informé sur ses droits et la lettre des droits, a également été adoptée. Les négociations sur la présence d’un avocat, qui font suite à l’arrêt Salduz, viennent en outre d’être débloquées, étendant donc ce droit à tous les Européens, ainsi que celui de communiquer avec leur famille et de bénéficier du soutien de leur consulat ou de leur ambassade. Le Parlement européen et le Conseil des ministres vont finaliser cette négociation dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois.

Toutes ces mesures, qui vont dans le sens du droit à la libre circulation, l’un des droits fondamentaux des citoyens européens, renforcent la confiance mutuelle.

J’ai constaté, en travaillant sur les droits des personnes accusées, que la victime était presque absente du processus pénal dans de nombreux États européens. Un texte fixant des normes minimales quant aux droits des victimes de la criminalité, en particulier des victimes vulnérables – notamment des femmes, souvent victimes de violences –, quelle que soit leur nationalité et quel que soit l’État où les faits ont été commis, a été publié au Journal officiel des Communautés européennes le 14 novembre. Là encore, l’adoption du texte a été très rapide. Ce dispositif doit être transposé en droit national : la balle est dans votre camp.

Il m’a par ailleurs fallu reprendre le dossier de la directive relative aux droits des consommateurs, qui n’avançait guère. Le travail mené avec le Parlement européen et le Conseil a permis de débloquer les négociations, qui traînaient depuis des mois, et de faire aboutir une directive qui renforce les prérogatives des consommateurs, sanctionnant notamment les fraudeurs opérant sur Internet : les consommateurs ne seront plus contraints, par exemple, de souscrire à une assurance ou de louer un véhicule lorsqu’ils achètent un billet d’avion, et disposeront d’un délai de 14 jours pour rendre, s’ils le souhaitent, les marchandises achetées à distance. Le droit européen s’inspire des meilleures solutions nationales pour les proposer à tous les citoyens européens et faire progresser ceux des droits nationaux qui ne sont pas encore au niveau des meilleurs. Je veillerai à ce que la transposition des nouvelles dispositions dans tous les États membres soit rapide.

En effet, les citoyens européens – dont les Français – hésitent encore à acheter au-delà des frontières et le commerce électronique ne fonctionne pas comme il le devrait. Or, un marché unique ne peut fonctionner si les consommateurs n’ont pas confiance et la justice doit donc également contribuer à la croissance de ce marché unique, dont nous venons de fêter le 20e anniversaire. Chacun dans le cadre de nos responsabilités, nous aidons le commissaire français Michel Barnier, chargé de ce marché unique, qui accomplit un travail extraordinaire pour lever les blocages et mettre en place une économie sociale de marché reposant sur la libre circulation des marchandises et permettant tout à la fois aux PME d’étendre leur champ d’opération et aux citoyens d’utiliser sans réticence les avantages de ce marché.

Pour atteindre ce but, il faut donner une vraie chance aux PME. Or, 40 % des PME françaises ne dépassent pas le cadre de leurs frontières du fait de la complexité des procédures judiciaires de règlement des litiges transfrontaliers. Le Parlement européen a voté hier à une très large majorité ma réforme du règlement Bruxelles I, qui instaure en Europe un principe du fédéralisme américain, la « full faith and credit clause », selon laquelle une décision prise par la justice d’un État fédéré est reconnue dans un autre. Désormais, dans le droit civil et commercial européen, une décision de justice prise dans un État membre s’appliquera dans un autre. La procédure de l’« exequatur », longue et chère, qui imposait à la justice de recommencer une procédure déjà accomplie et qui se révélait inutile dans 95 % des cas, est supprimée. Nous voulons pouvoir nous concentrer sur les 5 % de cas qui posent problème, ce qui permettra aux entreprises d’économiser plus de 47 millions d’euros par an. Après l’acceptation formelle de ce règlement par le Conseil, qui devrait intervenir en décembre, la réforme de Bruxelles I devrait donc vous être soumise l’année prochaine.

La réticence des consommateurs et des entreprises à acheter et à vendre hors de leurs frontières est aussi une question de droit des consommateurs, car une entreprise française qui voudrait vendre dans toute l’Europe devra appliquer 27 règles différentes en la matière. Pour résoudre ce casse-tête très préjudiciable au commerce électronique, j’ai proposé l’instauration d’un droit commun européen de la vente, qui ne modifie pas le droit des contrats propre à chaque pays, mais leur superpose un droit des contrats supplémentaire, optionnel, que les contractants pourront choisir d’appliquer pour les ventes transfrontalières. Ce dispositif sera particulièrement utile aux mini-entreprises, pour qui les frais liés au commerce transfrontalier peuvent représenter jusqu’à 7 % du chiffre d’affaires annuel, ce qui ne les incite pas à étendre leurs activités – et, de fait, les trois quarts des petites entreprises européennes ne réalisent aucune vente à l’étranger. Remédier à ce manque à gagner pourrait se traduire par un gain de plusieurs milliards d’euros.

En matière de protection des données, le raisonnement part d’une idée semblable, mais aboutit à des conclusions très différentes. Nous disposons de 27 systèmes différents, qui peuvent être forts comme en France ou en Allemagne, ou faibles comme dans d’autres pays européens. Les entreprises du secteur des technologies de l’information qui souhaitent s’étendre sur tout le marché européen doivent obtenir 27 autorisations différentes et, en cas de problème, traiter avec 27 régulateurs des données personnelles. C’est là encore un casse-tête très coûteux qui empêche le développement des petites entreprises, auxquelles nous voulons donner une chance.

En outre, les traités et la Charte des droits fondamentaux imposent aux Européens l’obligation absolue d’assurer une protection optimale des données personnelles des citoyens. Il faut, dans le même temps, ouvrir le marché pour nos entreprises européennes et faire en sorte que les entreprises non-européennes opérant sur notre territoire appliquent le droit européen, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas. La solution consiste à appliquer pour tout le continent une règle unique et claire, présentant une grande sécurité juridique. Il faut pour cela adopter une approche législative cohérente et concevoir un paquet de mesures couvrant aussi bien le secteur privé que le secteur administratif, ainsi qu’une directive relative au secteur de la police et de la sécurité, car les traités et la Charte se limitent à garantir la protection des données personnelles, sans plus de distinction.

Dans un tel mécanisme, l’entreprise ne se définira pas par sa nationalité, mais par le lieu où elle opère et par les consommateurs auxquels elle s’adresse. Ainsi, toute entreprise opérant sur le territoire de l’Union européenne et s’adressant à des consommateurs européens sera soumise à ces règles. Elle aura donc affaire à un seul régulateur, sur le territoire où elle opère et par l’intermédiaire d’un guichet unique, mais sur la base d’un seul droit national, ce qui empêchera les effets de niche poussant les entreprises à se réfugier dans les pays où le droit est moins contraignant. Un très haut niveau de protection des droits réels des individus sera assuré, notamment pour ce qui concerne la portabilité, l’Internet ou le droit à l’oubli – qui vient d’ailleurs de donner lieu dans votre pays à des propositions très intéressantes du défenseur des droits. Le niveau de protection des données personnelles doit être très élevé, car les citoyens n’ont plus confiance : 70 % d’entre eux sont très inquiets du traitement dont ces données font l’objet – inquiétude justifiée si l’on en croit Symantec, selon qui les activités illégales d’usurpation d’identité croissent de 60 % par an.

Notre ambition en la matière est partagée par le Parlement européen, par la présidence chypriote du Conseil des ministres et par la future présidence irlandaise, laquelle entend faire de ce paquet une priorité pour parvenir à un accord politique d’ici à l’été 2013. Ce calendrier est certes optimiste mais, depuis 33 ans que je suis en politique, j’ai toujours fait de l’optimisme le premier point de mon ordre du jour. Sans optimisme, on n’arrive à rien. Nous inviterons donc toutes les parties concernées à faire au plus vite pour qu’un vote sur ce paquet très important pour les citoyens et les entreprises puisse intervenir au Parlement européen avant les élections européennes du printemps 2014. Pour mener à bien cette ambition, je refuse de me perdre dans les discussions techniques et d’écouter les lobbyistes des grandes entreprises américaines. Nous n’allons pas nous laisser faire et laisser freiner un projet d’une telle importance.

Vous êtes en contact étroit avec les citoyens. Nous ne pouvons pas continuer à mener la politique européenne en vase clos. Il est grand temps d’impliquer les citoyens et de leur expliquer ce que nous faisons car Bruxelles est toujours désignée comme la cause de ce qui ne va pas. Pour construire l’Europe, il faut expliquer aux citoyens pourquoi l’Europe est un avantage pour eux.

Pour préparer 2013, année européenne des citoyens, j’ai entrepris une série de réunions publiques qui ont déjà eu lieu dans le Sud de l’Espagne, en Allemagne et en Autriche et vont se poursuivre en France. Je vous engage tous, ainsi que vos ministres et les élus locaux, à faire de même. J’ai d’ailleurs indiqué aux maires et aux présidents de régions espagnols, lors de la première de ces réunions, qu’il était de leur responsabilité d’aller au-devant des citoyens. Il faut inscrire 2013, année des citoyens, dans votre programme.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci de la précision de votre exposé et de votre optimisme. Si, comme le disait le philosophe Alain, le pessimisme est une humeur, mais l’optimisme une volonté, il nous faut placer nos travaux sous le signe de la volonté.

Mme Pascale Crozon. Onze États, dont la France qui l’a fait sous l’impulsion de Mme Marie-Jo Zimmermann, ont imposé un quota obligatoire de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées. Le projet de texte que vous avez déposé devrait recueillir le soutien du Parlement européen, mais peut-être pas celui de neuf pays, dont le Royaume-Uni et, me semble-t-il, l’Allemagne, qui se sont opposés à cette proposition avant même son dépôt. Pouvez-vous faire le point sur cette question ? Cette proposition sera-t-elle adoptée ?

Mme Viviane Reding. Il a tellement fallu batailler ces dernières semaines que la première victoire me rend optimiste. Il semble que le vent est en train de tourner dans certains pays – il n’avait pas besoin de tourner en France, madame Zimmermann, grâce à vous et à d’autres précurseurs. La France m’a beaucoup aidée sur ce dossier et vos ministres de l’égalité des chances et de l’économie m’ont même écrit une lettre de soutien au moment même où neuf États écrivaient pour demander au Président de la Commission européenne, qui m’a toujours soutenue, d’abandonner cette initiative. C’est ce qui m’a fait dire que les lois ne devaient pas être faites par neuf messieurs en costume gris enfermés dans une chambre.

Jusqu’à nouvel ordre, ce sont les parlements et les gouvernements qui font les lois. J’ai reçu un immense soutien de la part de nombreux commissaires, dont M. Michel Barnier, qui a bataillé avec moi. Après l’approbation de cette proposition par consensus au sein du collège des commissaires, j’ai tenu une conférence de presse en compagnie d’un homme, M. Olli Rehn, commissaire chargé des finances et de l’économie. De fait, il ne s’agit pas là seulement d’une question de société, mais aussi d’économie, car nous perdons la substance et la capacité intellectuelle des femmes – qui représentent, je le rappelle, 60 % des personnes qui achèvent un cursus universitaire.

Tous les parlements nationaux étudient maintenant la question de savoir si ma proposition est conforme au principe de subsidiarité. Sans doute le Royaume-Uni et la Suède introduiront-ils des recours en subsidiarité, mais je compte sur les autres États pour déposer un accord sur cette question afin d’éviter un blocage par les parlements nationaux.

Dans sa très grande majorité, le Parlement européen soutient le projet, ainsi que de nombreux États membres, dont certains, qui avaient des doutes à propos d’un texte qui n’existait pas, commencent à basculer, maintenant que le texte existe et qu’ils le lisent.

Ce texte ne fixe pas directement un quota au sens où l’a fait la France, mais il indique le chemin pour parvenir à ce quota de 40 % en 2020. L’article 4 dispose qu’une entreprise cotée en Bourse qui n’a pas 40 % de femmes dans son conseil d’administration non exécutif doit, lorsqu’un poste se libère, appliquer un processus de sélection transparent et, à qualité égale, engager une femme. Le non-respect de cette procédure relèvera des tribunaux nationaux et les gouvernements doivent fixer les sanctions applicables à partir de l’entrée en vigueur de cette loi, en 2016-2017.

Si donc, comme je l’espère, le texte ne se heurte pas à un blocage de la part des parlements nationaux, je le transmettrai en décembre au Conseil des ministres qui, conformément à la procédure de codécision, devra trouver un accord avec le Parlement. Ce dernier voudra probablement aller beaucoup plus loin que mon texte, qui va lui-même déjà beaucoup trop loin pour certains États membres.

Mme Marietta Karamanli. Comment avancent les travaux sur le Parquet européen et sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne ? Envisagez-vous d’intégrer dans cette réflexion la lutte contre la grande criminalité ?

Par ailleurs, la protection des données personnelles, à propos de laquelle nous avons pris une résolution, et la protection des consommateurs dans le cadre du droit européen commun de la vente suscitent quelques interrogations. En particulier, comment protéger les données personnelles transférées vers des pays tiers n’appliquant pas le même niveau de protection de ces données ? Pourquoi, en outre, le critère du lieu de résidence habituelle du citoyen n’est-il pas pris en compte, comme c’est le cas dans le cadre d’une directive récente sur la consommation ?

Enfin, les financements européens qui témoignent d’une volonté européenne de travailler à l’intégration des Roms n’étant pas utilisés par les États, la Commission peut-elle s’en saisir directement ? Faut-il continuer à travailler dans un cadre bilatéral avec les pays concernés ou mettre en place une forme de solidarité impliquant aussi les pays qui n’accueillent pas de Roms ?

M. Jacques Bompard. On parle beaucoup des droits dans notre assemblée, au point que ce terme en vient à être divinisé, mais peu des devoirs – lesquels figurent pourtant dans toutes les constitutions de notre pays. Cette idéalisation des droits est un danger, car la société risque de ne pas savoir réagir face à certains individus qui nient totalement notre conception du droit, voire de la vie. Ainsi, on commet en France un viol par minute, ce qui est une atteinte exorbitante aux droits des personnes violées. Combien de ces viols sont commis par des récidivistes dont les droits ont été trop bien défendus ? Notre société n’est pas faite d’anges et l’angélisme n’y a pas sa place.

M. Lionel Tardy. Le critère d’établissement principal, défini comme le lieu où sont prises les principales décisions quant aux finalités, aux conditions et aux moyens de traitement, est source de difficultés juridiques, sur lesquelles nous avons été alertés par la CNIL. Ce critère requiert une approche traitement par traitement, ce qui signifie qu’il pourrait y avoir autant d’établissements principaux que de traitements. Il implique également une interprétation de faits qui est elle-même sujette à interprétation et débats, et donc synonyme d’insécurité juridique pour le citoyen, l’entreprise et l’autorité de contrôle. Par ce système, les autorités de protection ne seraient plus que de simples boîtes aux lettres dénuées de toute compétence, puisque le projet de règlement confère la compétence exclusive à l’autorité du pays où est fixé l’établissement principal de l’entreprise. L’autorité de protection d’un État membre n’aurait pas compétence pour traiter les plaintes de citoyens de cet État à l’encontre d’entreprises dont l’établissement principal serait situé sur le territoire d’un autre État membre. Cette autorité ne pourrait dès lors que transmettre à l’autorité compétente – c’est-à-dire celle de l’État du principal établissement – les plaintes qui lui auraient été adressées et perdraient toute souveraineté en la matière.

Ce dispositif ne permet pas de rapprocher les citoyens des autorités de protection, car ceux-ci devront souvent saisir une autorité située parfois à des milliers de kilomètres de chez eux, et cela dans une langue étrangère. En outre, en cas de recours administratif, l’autorité territorialement compétente serait celle du pays où est établi l’auteur potentiel de la violation, et non celle du pays où réside le citoyen qui en est la victime potentielle. Enfin, cette solution risque de conduire à des recours croisés des autorités de contrôle les unes contre les autres et à des conflits de juridictions, car le citoyen pourra continuer à saisir concomitamment sa juridiction nationale.

La CNIL, avec laquelle nous avons abordé ce problème, propose plusieurs réponses que je pourrai vous communiquer à la fin de notre réunion. Ces corrections permettent, tout en conservant l’esprit de simplification du cadre juridique que vous défendez, d’apporter des solutions pour tous.

Mme Laurence Dumont. Il nous faut à la fois assurer la protection optimale de données personnelles des citoyens, qui est inscrite dans les traités et fait l’objet d’inquiétudes croissantes, sans empêcher le formidable développement économique du numérique : la ligne de crête est étroite.

Pourquoi le projet de règlement de la Commission européenne n’a-t-il pas privilégié le critère de lieu de résidence habituel, comme c’est pourtant le cas en matière de consommation ? Pourquoi le consommateur européen serait-il mieux protégé que le citoyen ? Le système défendu par la Commission, dans lequel un citoyen français devrait engager un recours devant d’autres États membres, semble rendre plus difficile le pouvoir de recours des citoyens à l’encontre de décisions prises à l’étranger.

Par ailleurs, bien que le droit à l’oubli soit reconnu de fait par la loi « Informatique et libertés » de 1978, qui donne au citoyen le droit d’opposition, de rectification et même de suppression, il faut être plus ambitieux et le texte du règlement devrait prévoir une obligation de déréférencement par les moteurs de recherche. En effet, le droit à l’oubli n’aura pas de substance si les données peuvent être copiées à l’infini, les moteurs de recherche étant la principale clé d’entrée pour rechercher des données personnelles sur l’Internet.

Mme Viviane Reding. Pour ce qui concerne la protection des données personnelles, vous venez de décrire le fonctionnement de la directive de 1995. Les raisons qui nous ont fait changer de cap sont bien illustrées par le cas d’un étudiant autrichien qui, pour régler un différend avec Facebook a dû s’adresser au régulateur des données personnelles irlandais pour faire valoir son droit. C’était là un processus difficile, que cet étudiant en droit s’est du reste fait un malin plaisir de pousser à son terme, avec des résultats finalement peu concluants. Il était indispensable de réformer ce fonctionnement.

La réforme prévoit l’application d’une seule règle dans tous les pays et le recours à un régulateur qui est celui du lieu de résidence habituel du citoyen. Avec ce système, l’étudiant autrichien s’adresse au régulateur autrichien, lequel, sur la base d’un même droit applicable en Autriche et en Irlande, s’efforce de résoudre le problème avec le régulateur irlandais. S’il y parvient, il en informe l’étudiant autrichien. S’il n’y parvient pas, le groupe qui se substituera à la réunion des régulateurs de l’ensemble des pays membres régie par l’article 29, veillera à ce que les problèmes transfrontaliers puissent se régler par un accord qui sera d’autant plus facile à trouver que le droit applicable sera le même dans les différents pays. Le problème est donc réglé pour le citoyen.

Il se règle de la même manière pour l’entreprise, qui devra déclarer, même si sa maison-mère est située à Honolulu, un lieu d’établissement principal en Europe, où elle sera soumise au régulateur territorialement compétent sur la base d’un droit identique pour tous les pays. L’entreprise ne pourra donc plus se réfugier dans un pays-niche.

Bien plus difficile à résoudre est le problème du transfert des données personnelles vers un pays tiers. Des centaines d’accords internationaux bilatéraux entre les États membres et des pays tiers ont été conclus à une époque où, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, les considérations de sécurité et la lutte contre le terrorisme primaient sur les droits. Aujourd’hui, c’est la Commission européenne qui est responsable des traités internationaux, désormais conclus entre l’Union européenne et les pays tiers, et je suis en train de négocier, avec de grandes difficultés, de tels accords bilatéraux pour la protection des données personnelles. Notre conception d’un équilibre entre les droits et la sécurité n’est pas partagée sur tous les continents et les négociations avec les États-Unis sont très laborieuses – elles pourraient être terminées depuis longtemps si j’avais abandonné les droits, mais je n’en ai pas le droit, parce que j’y crois et parce que nous sommes liés par des traités et par une législation. Nous nous efforçons donc de fonder les règles régissant ces transferts sur nos règles européennes.

La question du Parquet européen est très délicate, comme toutes les questions de droit pénal, bien enracinées dans les conceptions particulières de chaque État. Dans ce domaine, il est impossible d’avancer massivement, car les États membres ne nous suivraient pas. J’avance donc pas à pas, en commençant par des législations sur lesquelles vous-mêmes travaillez déjà, comme les intérêts financiers du budget européen, à propos desquels j’ai proposé, avec le commissaire Algirdas Šemeta, une directive sur les définitions et les sanctions en matière de fraude. Des mesures semblables seront prochainement proposées pour réprimer les contrefaçons de l’euro. Nous nous en tenons donc pour l’instant à ce qui concerne le budget européen et les fraudes à son encontre, en nous efforçant d’y ajouter, par étapes, un Parquet européen chargé de mettre ces mesures en pratique. La France nous aide beaucoup en ce sens, mais le travail avec d’autres pays est beaucoup plus difficile. Je ferai en 2013 des propositions dont on peut craindre qu’elles ne recueillent pas l’unanimité nécessaire, ce qui imposerait de recourir à une coopération renforcée. Je suis personnellement convaincue que le Parquet européen devra s’occuper de la criminalité transfrontalière, qui ne relève pas du budget de l’Union, mais il faut progresser point par point.

Pour ce qui est des Roms, personne n’a oublié les problèmes que j’ai eus avec la France, du fait de la non-application de la directive de 2004 relative à la libre circulation des personnes. S’il était encore parmi nous, j’aurais rappelé à M. Bompard, qui déplorait la divinisation des droits et la disparition des devoirs, que cette directive prévoit certes les droits des individus en matière de libre circulation, mais aussi leurs devoirs.

Les difficultés que nous avons rencontrées tiennent à ce que la France n’avait pas encore inscrit ces droits dans son droit national. La directive étant aujourd’hui correctement transposée en droit français, problème est désormais résolu, du moins pour ce qui concerne l’éviction des Roms, qui est maintenant prononcée à titre individuel.

Le problème demeure en revanche pour l’insertion des Roms et il se pose, à des degrés divers, dans tous les pays. J’ai proposé à cet égard un cadre destiné à l’élaboration de plans d’action nationaux à cette fin et tous les États membres ont remis des stratégies nationales en matière de logement, d’éducation, de travail et de santé. Un rapport sera rendu annuellement sur l’application de ces stratégies nationales dans les États membres. Si un État membre n’applique pas sa stratégie, le principe de subsidiarité ne me permet d’intervenir dans les domaines du logement, de la santé ou de l’éducation, mais la Commission peut aider. Ainsi, le Commissaire chargé des fonds régionaux a modifié les règles d’utilisation de ces fonds afin qu’ils puissent être désormais employés aussi pour le logement, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici.

Chaque État membre doit en outre désigner un point de contact pour les Roms. Ces points de contacts se réunissent à Bruxelles pour échanger sur leurs réussites et sur les problèmes qu’ils rencontrent. J’ai également demandé à quelques États membres de créer un groupe pionnier, auquel la France participe, chargé lui aussi d’échanger sur ce qui marche et ce qui ne marche pas, afin de m’aider à formuler une recommandation au Conseil pour faire avancer l’intégration des Roms.

Vous êtes, comme moi, des politiques : nous savons tous que l’insertion des Roms est un thème qui n’est populaire dans aucun des États membres – il l’est de moins en moins à mesure que la crise progresse et que d’autre parties de la société entrent dans la grande pauvreté. Le nouveau budget européen prévoit donc la création de fonds sociaux et régionaux plus adaptés à ces franges de la société. L’inclusion sociale représente ainsi 20 % de la dotation du Fonds social européen. Les Roms y sont éligibles et la mise à disposition des fonds aurait pour condition préalable l’existence d’une stratégie nationale en la matière. Voilà donc l’approche « soft » à laquelle il me faut recourir pour pousser ce dossier et trouver des solutions qui ne soient pas seulement répressives dans des domaines relevant de la responsabilité nationale.

Mme Laurence Dumont. Qu’en est-il du droit à l’oubli ?

Mme Viviane Reding. J’ai lu aujourd’hui même dans Le Monde l’article évoquant la demande par le défenseur des droits d’un droit au déréférencement par les moteurs de recherche. C’est là une question que je devrai analyser avec le Parlement européen. Le texte est en effet entre les mains du Conseil et du Parlement. Ce dernier avance du reste beaucoup plus vite que le Conseil et il faudra pousser les États membres à être constructifs en la matière – et particulièrement ceux qui étaient favorables au projet, car les États dont nous avons repris la législation trouvent désormais que nous allons trop loin, ce qui risque de nous faire perdre la majorité nécessaire pour que le Conseil adopte cette législation. Je vous engage donc à travailler tant avec le Conseil qu’avec le Parlement européen, où nous disposons de très bons rapporteurs, pour résoudre des problèmes qui sont parfois de pure rédaction.

Mme Chantal Guittet. La proposition de directive sur le droit commun européen de la vente me semble marquer un retour en arrière par rapport à l’harmonisation qu’opérait la directive relative aux droits des consommateurs. En effet, le recours à un instrument optionnel se traduira sans doute par une complexité juridique, le même droit ne s’appliquant pas à tous les produits.

Par ailleurs, du point de vue de la légitimité démocratique, le Parlement et le Gouvernement français, ainsi que de nombreuses associations consultées, ont émis de fortes réserves sur ce projet. Des avancées restent nécessaires dans le domaine du droit de la consommation, mais l’introduction d’un instrument optionnel constituant une alternative aux méthodes législatives traditionnelles n’est pas la meilleure méthode. Toutes les propositions qui vous ont été faites méritent d’être examinées. S’il existe une solution alternative à ce droit commun européen, elle consiste à avancer sur le terrain du droit législatif traditionnel et d’écouter les parlementaires.

Je me suis réjouie d’entendre votre collègue, le Commissaire chargé de la consommation, déclarer en octobre, avant de démissionner, qu’il fallait donner plus de poids aux parlements nationaux. J’espère qu’il ne s’agira pas d’un vœu pieux.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Madame la Commissaire, je tiens à vous remercier pour votre détermination à promouvoir auprès du Parlement européen l’obligation d’un quota de femmes dans les conseils d’administration. La semaine dernière, alors que les négociations semblaient marquer le pas, M. Michel Barnier m’a rassuré en me confirmant qu’il vous soutenait pleinement dans votre combat. J’ai cru comprendre que l’acceptation de votre texte par la Commission est un premier pas et que, face à l’opposition de certains pays à fixer un quota de 40 %, vous espérez que ce dossier avancera progressivement.

Étant membre de la Commission de l’égalité des chances du Conseil de l’Europe, où votre texte a fait l’objet d’une communication, j’ai senti, notamment de la part de la présidence de cette commission, une volonté de faire avancer la législation en la matière dans des pays non membres de l’Union européenne. Quel rôle peut jouer le Conseil de l’Europe pour soutenir le travail que vous avez engagé ? Il faut éviter que, si elle n’est pas une obligation ferme, la participation des femmes en reste au stade des bonnes intentions.

En France, la loi imposant un quota de 40 % de femmes dans les entreprises cotées se double d’une loi appliquant le même quota dans la fonction publique. En effet, si l’État n’est pas exemplaire, les obligations qu’il impose aux entreprises sont inutiles. Envisageriez-vous une directive qui, à l’instar de la législation française, appliquerait cette obligation à la fonction publique dans l’ensemble des pays européens ?

Mme Seybah Dagoma. Alors que les États membres se sont engagés à établir un régime d’asile européen commun, l’adaptation des procédures et des pratiques pour les mineurs isolés étrangers reste un enjeu majeur. Cette population très vulnérable nécessite en effet un dispositif adapté et des questions comme celle de la représentation légale, de l’assistance pendant la procédure ou des conditions d’entretien sont primordiales pour assurer sa protection. Quelles sont les récentes avancées en la matière et où en sont les négociations en cours ?

Plus particulièrement, le règlement Dublin II, qui prévoit notamment le transfert des demandeurs d’asile vers l’État membre par lequel ils sont entrés, fait l’objet de nombreuses critiques de la part des organisations de défense des droits de l’homme. Pour les mineurs étrangers isolés, ces transferts dont la mise en œuvre varie d’un pays à l’autre suscitent des interrogations, notamment quant aux délais d’information des mineurs avant le transfert, à leur accompagnement durant celui-ci ou à leur suivi après leur retour. Cette situation est inacceptable et je souhaiterais vous entendre sur ce sujet.

M. Paul Molac. Je souscris aux propos de Mme Zimmermann et espère que les femmes seront désormais plus nombreuses dans les instances européennes.

Sur la protection des données personnelles, votre réponse n’a pas dissipé tous les doutes, mais je m’en contenterai.

Pour ce qui concerne le mandat d’arrêt européen, dans certains cas, comme pour la qualification de terrorisme, la double incrimination n’est pas nécessaire. Récemment, une personne a fait l’objet en France d’un tel mandat d’arrêt européen au motif qu’elle était membre d’un parti politique interdit en Espagne, alors qu’il est autorisé en France. Cette situation pose question quant à la qualification même de terrorisme, qui serait vraie au-delà des Pyrénées et fausse en-deçà. La double incrimination ne serait-elle pas souhaitable même pour le terrorisme ?

Enfin, nous nous félicitons que le président de la République ait annoncé la mise en place de procédures en vue de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui sera probablement suivie d’une déclinaison des dispositions de celle-ci dans le droit national. Je suppose que la Commission européenne se félicite également de cette prise de position.

Mme Axelle Lemaire. Le mandat d’arrêt européen, qui existe depuis dix ans en vertu d’une décision-cadre adoptée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, couvre 32 infractions, dont le terrorisme. À elles seules, les cinq dernières années ont vu l’émission de près de 55 000 mandats d’arrêt, dont près de 12 000 ont été exécutés. Sur le plan strictement opérationnel, donc, la technique fonctionne bien : s’il a fallu, avant l’instauration de ce mandat, dix ans aux autorités britanniques pour renvoyer à la France l’auteur des attentats du métro Saint-Michel, quelques jours ont suffi à l’Italie pour renvoyer au Royaume-Uni l’un des auteurs des attentats du métro de Londres.

Cependant, l’utilisation qui est faite de cette technique lui vaut parfois d’être mise en cause et les députés européens ont récemment souligné, dans une question à la Commission européenne, qu’elle était de plus en plus sollicitée pour des infractions mineures, ce qui entraîne des violations disproportionnées des droits fondamentaux des personnes concernées.

Dans cet arbitrage difficile entre l’efficacité procédurale dans la lutte contre la criminalité et le respect des droits fondamentaux, comment se positionne la Commission européenne ? Une réflexion a-t-elle été engagée pour réformer le mandat d’arrêt européen ?

Il semble par ailleurs que le Royaume-Uni envisage une procédure d’opt-out concernant le pilier Justice et affaires intérieures et Theresa May, ministre britannique de l’Intérieur, a évoqué la possibilité de se retirer totalement de ce pilier pour adopter ultérieurement certaines dispositions spécifiques de la coopération judiciaire. Quelle sera la position de la Commission européenne face à ces tentations de retrait d’un État important de l’Union européenne ?

M. Jacques Valax. Je vous remercie de la précision de vos réponses sur les Roms. Face à la discrimination dont ceux-ci font encore l’objet en Roumanie, la Commission européenne pourrait-elle adopter une politique plus intrusive et coercitive qui garantirait une application plus stricte de la Charte des droits fondamentaux ?

Mme Viviane Reding. Comme la Bulgarie, la Roumanie relève encore du mécanisme de coopération et de vérification, qui ne concerne pas seulement le fonctionnement de la justice, mais aussi les questions liées à la corruption et aux minorités. La Commission européenne n’a pas voulu publier son rapport avant les élections législatives de décembre 2012, afin de ne pas interférer avec la campagne électorale, et le fera donc au début de 2013. Il y a encore beaucoup de choses qui ne vont pas.

Madame Guittet, vous avez relevé à juste titre que la mesure proposée en matière de droit à la vente n’est pas une mesure d’harmonisation, à la différence de la législation que j’ai élaborée pour la protection du consommateur. Le problème du droit à la vente ne vient pas, en effet, des différents droits nationaux, qui fonctionnent bien, mais de l’application du droit de la protection des consommateurs dans 27 législations nationales. J’ai donc résolu d’innover résolument – ce qui explique précisément pourquoi ce dispositif paraît quelque peu déstabilisant – en proposant un système qui peut s’appliquer, au choix des contractants, aux ventes au-delà des frontières et à elles seulement.

Il ne s’agit aucunement d’un recul pour le consommateur français, qui peut acheter, s’il le souhaite, sous droit français en France ou sous droit polonais en Pologne – avec les risques que cela comporte. Il s’agit désormais de permettre à ce consommateur de s’adresser à un tribunal français en cas de litige en Pologne. Ce texte représente donc une réelle avancée, qui s’est révélée particulièrement difficile du fait de la complexité du droit des contrats international, que peu d’avocats maîtrisent. J’étais très consciente, en abordant ce dossier, qu’il ne serait pas réglé en 9 mois. J’ai pu me fonder sur les travaux réalisés depuis vingt ans par les meilleurs avocats du droit des contrats européen : le travail intellectuel est fait, mais le travail politique est difficile.

Si ce projet aboutit, il pourrait inaugurer une nouvelle façon de faire du droit européen sans intervenir dans des processus qui fonctionnent bien au niveau national. On touche là à la subsidiarité, mais dans un sens positif. Cette question juridique intéressante a déjà donné lieu à la rédaction de doctorats. Certains experts français sont d’excellents connaisseurs de cette question, sur laquelle vous pourrez les consulter.

Madame Zimmermann, je vous remercie une fois encore pour votre engagement. Des réseaux extraordinaires se sont mis en place à travers toute l’Europe et ont très bien fonctionné. Le 12 décembre sera publiée la base de données des « board-ready women » réalisée par les écoles de commerce européennes, qui comporte 7 500 noms de femmes titulaires d’un MBA et ayant plusieurs dizaines d’années d’expérience professionnelle. Pour faire tomber l’argument selon lequel il n’existerait pas assez de femmes qualifiées pour siéger dans les conseils d’administration, aidez-nous à faire connaître ce réseau.

L’approbation du texte que je proposais par la Commission européenne est assurément un premier pas, mais un pas important : où en serions-nous s’il n’avait pas été fait ? Michel Barnier m’a réellement soutenue et le dossier a été cosigné par tous les commissaires masculins chargés d’un dossier économique important : MM. Michel Barnier, Olli Rehn, Antonio Tajani, en charge de l’industrie, László Andor, chargé du marché du travail, et Joaquín Almunia, chargé de la concurrence.

Le texte proposé est une directive, c’est-à-dire qu’il prévoit une harmonisation minimale : chaque État membre peut, s’il le souhaite, aller au-delà. La directive s’applique aussi aux entreprises publiques, pour lesquelles elle doit entrer en vigueur non en 2020, mais en 2018, car ces entreprises doivent donner l’exemple.

Le Conseil de l’Europe me semble pouvoir jouer surtout un rôle de réseau, car il ne peut pas légiférer.

Madame Dagoma, la situation des mineurs isolés est en effet une question très grave, qui a été soulevée lors de notre dernière réunion mondiale sur le droit des enfants et relève de ma collègue Cecilia Malmström, responsable du dossier sécurité. Les négociations de Dublin II font l’objet de discussions difficiles entre le Parlement et le Conseil, le premier privilégiant une approche fondée sur les droits, tandis que la majorité des États se préoccupent du coût des mesures adoptées. Il ne devrait pas y avoir lieu de discuter lorsqu’il s’agit des enfants – il en va de principes très graves et je suis de votre côté sur cette question.

Le mandat d’arrêt est un dispositif qui a été déterminé par les États membres avant le traité de Lisbonne, dans une perspective sécuritaire. La Commission européenne ne peut pas intervenir dans ce domaine avant que l’ensemble des textes antérieurs au traité de Lisbonne ne soient automatiquement « lisbonnisés », c’est-à-dire avant qu’ils ne basculent dans le droit européen normal. J’ai cependant rédigé en 2011 un rapport sur le fonctionnement du mandat d’arrêt, dont je soulignais la non-proportionnalité – la Pologne émettait ainsi presque systématiquement des mandats d’arrêts des délits mineurs, alors que cette procédure avait été conçue pour la grande criminalité.

Pour ce qui concerne l’éventualité d’un retrait du Royaume-Uni, je ne peux agir, en tant que gardienne des traités, que sur une demande formelle de sortie de l’une des 130 mesures relatives à la justice et à la sécurité. Je n’ai jusqu’à présent été saisie d’aucune demande de ce genre et je ne vois pas pourquoi je commencerais à négocier sur le fondement de déclarations prononcées dans des congrès politiques. Dès lors qu’un opt-out sera notifié, il faudra négocier au cas par cas. Si le Royaume-Uni souhaitait revenir ultérieurement, la procédure serait longue et je suppose que les responsables britanniques calculent actuellement les risques et les coûts d’un retrait. Il serait intéressant de savoir, par exemple, ce que coûterait au Royaume-Uni le fait de ne plus faire partie d’Europol. Nous verrons bien.

J’en viens aux langues minoritaires. Durant mon premier mandat de commissaire européenne, où j’étais chargée de la culture et de l’éducation, j’ai organisé l’année européenne des langues, sous la présidence française. La France avait alors un ministre de l’éducation extraordinaire, M. Jack Lang, qui s’est vu refuser par le Conseil d’État la possibilité d’autoriser des écoles à dispenser une éducation multilingue qui aurait pourtant suivi les programmes français, au motif que la langue des Français est le français. Une évolution dans ce domaine serait bienvenue, car la diversité culturelle est ce qu’il y a de plus beau en Europe. Pour moi, la plus belle langue du monde est le luxembourgeois, car c’est ma langue maternelle, mais c’est aussi une richesse extraordinaire que de pouvoir participer aux cultures des autres parce qu’on partage leur langue. Je serais très heureuse que l’Europe et la France puissent s’ouvrir aux langues.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Pouvez-vous revenir, à propos du mandat d’arrêt européen, sur la question du terrorisme et l’affaire « Aurore Martin » ?

Mme Viviane Reding. Le mandat d’arrêt est une procédure purement judiciaire dans laquelle ni la Commission européenne, ni aucun État membre ne peuvent interférer. L’affaire est aux mains d’une justice dont l’indépendance est un principe fondamental.

En matière de terrorisme, une décision-cadre de 2002 – antérieure donc au Traité de Lisbonne – définit au niveau européen les actes de terrorisme. Elle a été transposée par les gouvernements nationaux de tous les États membres. À ce jour, l’Union européenne n’a, je le répète, aucune compétence dans ce domaine. Nous verrons comment évoluera cette question lorsque de nombreux éléments auront été « lisbonnisés » et que la démocratie pourra reprendre ses droits.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la vice-présidente, je vous remercie.

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La séance est levée à 19 heures 25.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jacques Bompard, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Pascale Crozon, Mme Françoise Descamps-Crosnier, Mme Laurence Dumont, M. Yves Goasdoué, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Axelle Lemaire, M. Bernard Lesterlin, M. Paul Molac, M. Pascal Popelin, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Jacques Valax, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Marcel Bonnot, M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Corinne Narassiguin, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, M. Christophe Caresche, Mme Seybah Dagoma, M. Yves Daniel, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, M. Jean-Claude Fruteau, Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lequiller, M. Lionel Tardy