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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 23 janvier 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président

– Examen de la proposition de résolution de Mme Barbara Pompili et plusieurs de ses collègues tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale afin d’instaurer la faculté, pour les groupes politiques, de se doter d’une coprésidence paritaire (n° 484) (Mme Barbara Pompili, rapporteure)

– Présentation du rapport de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale (MM. Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe, rapporteurs)

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 9 heures 35.

Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président.

La Commission examine la proposition de résolution de Mme Barbara Pompili et plusieurs de ses collègues tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale afin d’instaurer la faculté, pour les groupes politiques, de se doter d’une coprésidence paritaire (n° 484) (Mme Barbara Pompili, rapporteure).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Chers collègues, nous allons d’abord procéder à l’examen de la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale afin d’instaurer la faculté, pour les groupes politiques, de se doter d’une coprésidence paritaire.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Nous examinons aujourd'hui une proposition de résolution visant à modifier le Règlement de l'Assemblée nationale, que j'ai cosignée avec l'ensemble des membres du groupe écologiste.

Il s'agit de permettre aux groupes parlementaires de se doter d'une coprésidence paritaire. J’insiste bien sur chacun de ces termes, sur lesquels je vais revenir.

Cette nouvelle possibilité constituerait une innovation importante dans la gouvernance de notre régime représentatif et contribuerait au développement d'une pratique différente du pouvoir. Elle serait en phase avec les transformations profondes que connaît notre société, dans laquelle la personnalisation de l'exercice du pouvoir est en déclin face à des exigences croissantes de collégialité et de partage des responsabilités.

La proposition de résolution s'inscrit, en outre, dans une logique d'extension de l'application du principe de parité au plus grand nombre d’échelons de décision possible, qu'il s'agisse de la politique, de l'administration ou de la vie économique et sociale.

Ancien, le combat en faveur de l’amélioration de la représentation des femmes en politique est, en effet, toujours d’actualité. À ce titre, je me réjouis du volontarisme du Gouvernement sur cette question, qui a institué la parité en son sein et s’est doté d’un ministère des Droits des femmes.

Dans ce contexte, l’Assemblée nationale se doit de donner l’exemple dans son fonctionnement interne. Elle a l’occasion ici de montrer sa capacité d’innovation et de modernité.

D'abord, le texte tend à « permettre » – premier terme important – aux groupes parlementaires de se doter d'une coprésidence paritaire, non de le leur imposer.

La coprésidence serait donc une simple faculté, un droit supplémentaire offert aux groupes parlementaires, sur le fondement de la première phrase de l'article 51-1 de la Constitution, laquelle prévoit que « Le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein ».

Aucun groupe ne serait tenu de mettre en œuvre cette nouvelle possibilité. Cette proposition de résolution ne contraint donc personne et ne remet pas en cause la liberté d'organisation des groupes. Ceux-ci peuvent parfaitement continuer à être dirigés par un seul président ou – mais c'est plus rare ! – une seule présidente.

J'ajoute que cette modification du Règlement ne créerait aucune différence de situation entre les groupes, puisque ceux qui opteront pour la coprésidence n'obtiendront aucun droit supplémentaire par rapport à ceux qui ne compteraient qu'un seul président. Ainsi, les premiers n’auraient qu’un seul siège en Conférence des présidents et la coprésidence n'offrirait aucun temps de parole supplémentaire ni aucun « droit de tirage » de plus.

Deuxième terme important à définir : la coprésidence.

Pour les groupes qui feraient le choix de se doter d'une coprésidence, l'objectif premier serait de privilégier un fonctionnement plus collégial, fondé sur le partage des responsabilités.

C'est d'ailleurs le choix que le groupe écologiste a fait dès sa constitution, en juin 2012, en portant à sa tête M. François de Rugy et moi-même.

Mais, dans sa rédaction actuelle, le Règlement de notre assemblée ne connaît qu'un seul et unique président. La conséquence est double.

D'une part, le fonctionnement de cette coprésidence informelle n'est possible en pratique qu'en « bricolant », en marge du Règlement – ce qui n'est pas très satisfaisant et pourrait un jour être source d'incertitude juridique.

D'autre part, en droit strict, les groupes qui souhaitent être « codirigés » sont contraints de s'en remettre à un pis-aller : la présidence alternée. Ainsi, au plan juridique, seul M. François de Rugy a été président du groupe écologiste jusqu'au 14 janvier 2013, date à partir de laquelle je lui ai succédé.

Notre proposition de résolution permettrait donc de remédier à cette situation et, au-delà du seul groupe écologiste, de reconnaître une culture plus collective de l'exercice du pouvoir.

Concrètement, chacun des deux députés à la tête de cette coprésidence aurait les mêmes prérogatives que tout président de groupe. Dans l’amendement CL l, je vous proposerai d'ailleurs de les qualifier tous deux de « président », et non de « coprésident » comme le prévoit le texte initial – cela pour bien montrer qu'il ne s'agit aucunement de « demi-présidents ».

Surtout, le texte de la proposition de résolution organise une véritable solidarité entre les deux présidents, en affirmant qu'ils « sont réputés exercer conjointement les prérogatives attachées à la présidence de groupe ». En conséquence, chacun d’eux sera réputé agir avec l’accord de l'autre. Et cette présomption ne pourra être renversée.

Cette proposition de résolution ne crée donc ni insécurité juridique, ni « usine à gaz ». Je précise à cet égard que l'amendement CL 2 à l'article 2, qui peut sembler à première vue un peu complexe, est purement rédactionnel.

Une seule exception à ce principe de solidarité devrait, à mon sens, être réservée : celle qui touche à la composition même du groupe. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai, dans l'amendement CL l, de prévoir que l'accord des deux présidents est expressément requis pour l'application de l'article 21 du Règlement qui régit les adhésions et les apparentements à un groupe et les radiations d'un groupe.

Pour l’exercice de toutes les autres prérogatives, la présomption – irréfragable – d'accord de l'autre président de groupe s'appliquerait. Je vous proposerai en effet, dans mon amendement, de supprimer les exceptions qui avaient été prévues pour tout ce qui concerne les commissions spéciales – article 31 du Règlement – et pour le « droit de tirage » visant à créer une commission d'enquête – article 141 alinéa 2. La suppression de ces deux références permettrait ainsi d'aller jusqu'au bout de la logique de la proposition de résolution.

Que se passerait-il alors en cas de désaccord entre les deux présidents d'un même groupe ?

De mon point de vue, ce désaccord ne pourrait être réglé que par la voie politique. Il n'appartient pas au Règlement de l'Assemblée nationale de s'immiscer dans le fonctionnement interne des groupes pour prétendre, à l'avance, faire face à d'éventuels différends. Si jamais un président faisait usage d'une prérogative attachée à la présidence de groupe en dépit de l'opposition de l'autre président, il va de soi que c'est le groupe lui-même qui serait amené à trancher le conflit.

À Berlin, dont je reviens, j’ai eu l’occasion de discuter avec les coprésidents du groupe écologiste du Bundestag : cette pratique, qui existe depuis très longtemps en son sein, n’a jamais posé aucun problème.

Troisième et dernier point : cette coprésidence serait paritaire.

La première préoccupation de cette proposition de résolution est de promouvoir un exercice partagé des responsabilités. La parité homme-femme est un objectif supplémentaire.

Le texte qui vous est proposé prévoit en effet que la coprésidence serait exercée « par une députée et un député ».

Certes, la représentation des femmes à l'Assemblée nationale a progressé lors des dernières élections législatives : notre assemblée compte aujourd'hui 152 femmes sur 577 députés, soit plus de 26 %, à comparer aux 107 femmes – soit 18,5 % – de la précédente législature.

Mais l'application effective de la parité passe également par un plus large accès des femmes à des postes de responsabilité.

Cette proposition de résolution participe donc d'une volonté plus générale, largement partagée par le Gouvernement et sa majorité, qui consiste à étendre la parité femme-homme au maximum d'échelons de décision possible.

En conclusion, permettre aux groupes d'être dirigés par un binôme constitué d'une femme et d'un homme constituerait à la fois une réalisation supplémentaire de l'objectif de parité en politique et une nouvelle avancée démocratique. Pour ces deux raisons, je vous demande d'adopter cette proposition de résolution, telle que modifiée par les deux amendements que je vous ai présentés.

M. Philippe Gosselin. Nul ne contestera le besoin de parité. La Constitution a d’ailleurs ancré l’idée de manière définitive. Celle-ci progresse dans les conseils d’administration des entreprises, les établissements publics ou lors des élections municipales.

Sans doute y a-t-il encore beaucoup à faire. Mais nous sommes un peu amusés par cette proposition de résolution : on y retrouve une forme du dogmatisme habituel des Verts – il s’agit pour eux de gérer leur diversité.

Pourquoi, dès lors, ne pas pousser la logique jusqu’au bout et suggérer une coprésidence de la République, voire un « comaire » ou un coprésident de conseil général ou de conseil régional ? Je m’étonne d’ailleurs que cette coprésidence soit nécessairement sexuée : au moment où nous débattons du mariage pour tous, pourquoi pas aussi une coprésidence pour tous ?

On voit à cet égard avec quel succès le Sénat vient de rejeter le projet de scrutin binominal pour l’élection des conseillers départementaux, qui est une véritable usine à gaz.

En outre, je suis très dubitatif sur la façon dont les litiges pourraient se régler dans le cadre du texte qui nous est proposé, lequel constitue aussi dans sa version initiale une usine à gaz ! Quant à la solution politique des litiges que vous proposez, je souhaite bien du courage aux groupes politiques qui la feraient leur si ce texte devait être adopté ! Comme le dit le proverbe populaire, il y a rarement deux crocodiles dans le même marigot.

Je préfère pour ma part laisser le marigot des Verts aux Verts et j’émettrai donc un vote négatif.

M. Jacques Bompard. Je m’étonne qu’on ne fasse pas mention des députés non inscrits, qui ne sont que huit : ils auraient la présidence assez peu souvent !

Notre République est confrontée à de nombreux problèmes et je trouve qu’on perd beaucoup de temps à des éléments accessoires. On va remanier les élections cantonales en instaurant un binôme homme-femme pour chaque canton : je ne suis pas sûr que cela enrichisse vraiment le débat et je déplore, comme tous ceux ayant un peu de bon sens, que l’on se soucie constamment de la parité tout en voulant la détruire au seul endroit où elle est naturelle et séculaire : dans la famille ! Malgré mes efforts, j’ai du mal à comprendre.

M. François Vannson. J’avais également envie de faire valoir les mêmes arguments ! Le mariage est en effet une institution inscrite dans le marbre de notre culture et de notre société : le débat de ce matin tranche singulièrement avec celui de la semaine dernière !

Je suis contre cette proposition de résolution car, si l’implication des femmes dans la vie politique et dans la société est indispensable, je suis réservé sur les dispositifs mis en place pour essayer de la régir par la loi ou le règlement.

Donner des coprésidences aux femmes est quelque peu réducteur : autant leur donner une présidence, ce qui serait plus respectueux à leur égard !

En outre, le texte proposé est un dispositif « cliquet » car, si nous l’adoptions, se poserait demain le problème de la présidence de l’Assemblée nationale, des vice-présidents, des questeurs ou des secrétaires.

M. Dominique Raimbourg. Je ne suis pas psychanalyste mais le rapprochement fait par les trois orateurs précédents entre le partage du pouvoir et le mariage est révélateur des fantasmes de certains. Il y a là un non-dit qui nous pousserait assez facilement à dire que la présente proposition de résolution est intéressante pour faire évoluer les relations entre les hommes et les femmes.

Cela dit, nous avons plusieurs réserves à l’égard de ce texte. D’abord, même si tout n’est pas tout à fait au point juridiquement, le groupe écologiste a d’ores et déjà réussi à trouver un fonctionnement en pratique et tout le monde sait qu’il est coprésidé par un homme et une femme, sans qu’une modification réglementaire ne soit nécessaire pour cela.

Deuxièmement, la question du pouvoir est difficile : elle ne se résume pas simplement à un partage entre les hommes et les femmes. Quand on crée un binôme, on peut craindre que le deuxième membre de celui-ci soit le représentant de la minorité, ce qui introduit dans la gouvernance un affaiblissement du pouvoir. Or l’exercice du pouvoir à l’intérieur d’un groupe parlementaire est particulièrement difficile, car ce dernier est composé de membres égaux – qui ont parfois aussi un ego ! – et il est souvent nécessaire de réagir vite et de répondre aux sollicitations de la presse.

Enfin, ce type de texte aurait un effet d’entraînement dans la mesure où il repose sur l’idée très populaire de rétablir l’égalité entre les hommes et les femmes – qui est effectivement nécessaire : nous aurions préféré, si l’on devait faire une modification du Règlement, une alternance des présidences entre hommes et femmes.

Nous sommes donc opposés au texte qui nous est proposé aujourd’hui, mais notre position peut évoluer d’ici à son examen en séance.

M. Alain Tourret. L’imagination de mes amis écologistes a toujours fait l’objet de mon admiration. Ils avaient ainsi inventé le mécanisme du « tourniquet », consistant à ce que les députés européens démissionnent tout à tour pour être remplacés par le suivant… jusqu’au jour où l’un d’entre eux a bloqué le système.

Le texte qui nous est proposé est inspiré par une bonne intention et présenté avec talent. Mais il présente plus d’inconvénients que d’avantages.

D’abord, il rompt avec le système dans lequel une personne représente un groupe et crée un précédent, qui pourrait être invoqué pour de multiples autres fonctions, ce qui pose un problème. Que l’on désigne ponctuellement deux rapporteurs ou deux présidents quand il y a une difficulté particulière – comme on le fait par exemple pour trois juges d’instruction –, cela peut se concevoir, mais que, pour la présidence d’un groupe politique, on nomme obligatoirement un homme et une femme est beaucoup plus compliqué.

Je serais beaucoup plus favorable à une présidence alternée, qui conduirait à peu près au même résultat. On ne va évidemment pas faire comme sous la Rome antique en désignant un consul tous les jours – système qui a conduit à la défaite de Cannes contre Hannibal !

En outre, le texte tend aussi à créer une forme d’armée mexicaine, ce qui n’est pas nécessairement un gage d’efficacité. Il est à cet égard assez plaisant de voir que c’est un petit groupe qui propose de dédoubler les présidences !

Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’amitié que j’ai toujours eue pour les Verts, je m’abstiendrai sur ce texte.

M. Sergio Coronado. Je suis un peu étonné d’entendre que le binôme affaiblirait la représentation politique, puisque tel est le choix fait par le Gouvernement pour représenter chaque canton dans sa réforme des élections locales. Dès lors, je ne vois pas ce qui pourrait s’opposer à ce que l’Assemblée permette aux groupes de se doter d’un binôme pour la présidence des groupes. C’est une longue tradition chez les écologistes de promouvoir la parité : nous l’avons d’ailleurs proposée à une époque où ce n’était pas populaire. Aujourd’hui, il s’agit d’une exigence démocratique de nos électeurs : permettre d’y répondre ne me paraît ni farfelu ni susceptible de constituer une armée mexicaine.

Mme la rapporteure. Je vais avoir du mal à répondre à certains collègues, qui ont fait peu référence au texte lui-même, mais plutôt à un contexte général, avec des parallèles un peu surprenants. D’ailleurs, je ne rentrerai pas dans ce type de débat, que je trouve assez malsain.

Monsieur Gosselin, vous évoquez les risques de litiges : on a bien vu, dans votre expérience récente et malheureuse au groupe UMP, que ce n’est pas parce qu’on a un seul président de groupe qu’on peut résoudre tous les différends. Quand il y a un problème politique au sein d’un groupe, ce ne sont pas des points de règlement ou des recomptages de voix qui peuvent le régler.

Vous parlez de deux crocodiles dans le même marigot : effectivement, c’est une vision de la politique contre laquelle nous nous élevons au travers du texte que nous vous proposons. Nous pensons qu’il est possible justement d’avoir un fonctionnement collégial dans les prises de décision. Si nous y arrivons, il n’y a pas de raison que d’autres n’y parviennent pas !

Monsieur Bompard, nous aurions préféré éviter d’en passer par une résolution : dans d’autres parlements, comme au Bundestag ou au Parlement européen, il n’a pas été nécessaire d’inscrire la coprésidence dans le règlement pour la rendre possible – ce dispositif ayant été accepté et effectif tout de suite. Dans les présentations officielles et sur les sites Internet notamment, les coprésidences y sont reconnues.

Or ce n’est pas le cas à l’Assemblée nationale, même si les services, sous l’égide de la secrétaire générale de l’Assemblée, ont cherché à nous aider pour faire fonctionner notre coprésidence. Je tiens à cet égard à saluer le Président Claude Bartolone. Il n’est cependant pas possible, par exemple, de mentionner le nom de deux présidents sur le site Internet de l’Assemblée. Notre coprésidence n’est donc pas officiellement reconnue.

Monsieur Vannson, vous vous dites opposé à des lois imposant la parité, ce qui ne peut guère vous pousser à soutenir ce texte…

M. François Vannson. Vous faites un raccourci !

Mme la rapporteure. Je suis d’accord sur le fait qu’il soit dommage d’en arriver à des lois comme celle sur la parité. Malheureusement, si on ne l’avait pas fait, le nombre de femmes à l’Assemblée nationale serait bien inférieur à ce qu’il est maintenant.

Quant à la présidence alternée, j’estime qu’elle va à l’encontre de ce que l’on veut faire, c’est-à-dire conserver une certaine liberté pour les groupes – ce qui implique de ne pas leur imposer une telle contrainte.

Je rappelle que cette proposition de résolution n’impose en aucun cas, à quelque groupe que ce soit, de faire quoi que ce soit.

Monsieur Raimbourg, il n’est absolument pas dans l’état d’esprit du texte de vouloir représenter la minorité, au contraire ! Ce serait en effet une mauvaise idée, puisque les présidents de groupe doivent représenter celui-ci, donc son point de vue majoritaire. Il ne s’agit pas de placer dans une même direction des personnes de la majorité et de l’opposition internes au groupe, même si ce type de pratique peut enrichir le débat : pour les prises de décision et la représentation du groupe, ce n’est en effet pas souhaitable. Cela étant, un groupe n’en serait pas moins libre de le faire.

S’agissant de la nécessaire réactivité des groupes, nous avons prévu que chaque président soit réputé agir au nom des deux coprésidents. L’un de ceux-ci pourra réagir en temps réel sans être obligé de demander son avis à l’autre, puisqu’il est censé avoir la même position. La coprésidence offre donc davantage de souplesse à cet égard.

Le risque d’effet d’entraînement est un faux problème. La démocratie est quelque chose de vivant, qui peut évoluer : si l’on se rend compte qu’un fonctionnement collégial pour les groupes politiques est préférable, pourquoi ne pas l’étendre à d’autres instances ?

Cela étant, je ne conseillerais pas à un groupe dans lequel des coprésidents ne s’entendraient pas ou n’auraient pas un minimum de confiance l’un envers l’autre de recourir à ce dispositif.

Monsieur Tourret, je suis pour l’imagination en politique. J’y insiste : le texte ne crée aucune obligation ; nous ne voulons en aucun cas nous immiscer dans le fonctionnement des groupes, qui restent maîtres de leur fonctionnement.

Enfin, je vous remercie, Monsieur Coronado, d’avoir levé des inquiétudes sur certains fantasmes.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de résolution.

Article 1er :

La Commission est saisie de l’amendement CL 1 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il s’agit de donner aux coprésidents la plus grande latitude d’action : ne seraient plus soumises à un accord conjoint de ceux-ci que les prérogatives liées à l’adhésion et à l’apparentement au groupe, ainsi qu’à la radiation du groupe.

Par ailleurs, la notion de « président » est substituée à celle de « coprésident » dans la mesure où nous ne voulons pas de « demi-présidents ».

La Commission rejette l’amendement, puis elle rejette l’article 1er.

Article 2 :

La Commission en vient à l’amendement CL 2 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement est rédactionnel.

La Commission rejette l’amendement, puis elle rejette l’article 2, le rejet des deux articles de la proposition de résolution entraînant le rejet de celle-ci.

*

* *

La Commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale (MM. Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe, rapporteurs).

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Permettez-moi tout d’abord de remercier les nombreuses personnes que la mission a entendues, ainsi que ceux de ses membres qui ont participé à ses travaux, aux premiers rangs desquels ses deux vice-présidents. Je tiens aussi à saluer nos collègues qui, bien que n’étant pas membres de la mission, ni même, pour certains, de notre commission, ont pris part à certaines auditions. Nous avons travaillé vite afin d’être en mesure de présenter nos conclusions avant la fin des activités de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, de manière à ce que celle-ci puisse éventuellement les prendre en compte et pour éviter que ces deux processus ne se fassent de l’ombre médiatiquement.

Ma présentation de la situation actuelle de surpopulation carcérale va se limiter au rappel de quelques chiffres. En dix ans, la population carcérale est passée de 48 300 personnes détenues à près de 65 000, ce qui a porté le taux d’incarcération de 75 pour 100 000 habitants à 104 pour 100 000 habitants. Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires français est de 117 %, chiffre moyen qui cache une forte différence entre les établissements pour peines, où sont purgées les peines les plus longues, et où il est maintenu à 100 % par l’administration pénitentiaire, et les maisons d’arrêt, dont le taux d’occupation moyen est de 137 %. Dans une dizaine d’établissements sur 191, ce taux dépasse même les 200 %. Tel est le cas dans de nombreux établissements pénitentiaires ultra-marins, mais aussi à la maison d’arrêt d’Orléans et dans les deux maisons d’arrêt de Vendée (La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte), par exemple. Nous estimons que le seul moyen de résoudre ce problème est de repenser notre politique pénale, car c’est largement d’elle que dépend le nombre de détenus.

Le taux d’incarcération français est dans la moyenne des pays européens qui lui sont comparables (ce qui n’est pas le cas de la Russie, par exemple, dont les chiffres sont pris en compte dans les moyennes calculées par le Conseil de l’Europe) : il est bien supérieur aux moyennes des pays scandinaves, un peu supérieur à celui de l’Allemagne, qui a diminué au cours des dernières années, mais nettement inférieur à celui, fort élevé, de l’Angleterre. La cause principale de la surpopulation carcérale réside dans le rôle central joué par la prison dans le discours politique et médiatique comme dans l’imaginaire collectif. Elle apparaît en effet comme la seule sanction visible. Je pense qu’il faut que nous passions de cette culture de l’enfermement à une culture du suivi et du contrôle, ce qui permettra de rendre son efficacité à la réponse pénale.

Notre première série de préconisations s’articule autour de la nécessité de refonder les autres peines et le discours politique sur la politique pénale. Pour cela, nous préconisons l’organisation d’un débat annuel au Parlement sur ce thème, qui permettrait d’en discuter hors de toute situation d’urgence et de toute pression, une meilleure participation des citoyens au fonctionnement du service public de la justice, par la mise en place de comités d’usagers ou de conseils consultatifs inspirés des conseils de surveillance des hôpitaux, ainsi que l’organisation de l’expression collective des détenus, qui sont les premiers usagers du service public pénitentiaire. Il ne s’agit pas d’autoriser la création de syndicats de détenus, mais de recueillir leur avis sur des sujets qui les concernent directement. Des expériences sont actuellement en cours, dont les premiers résultats sont positifs.

Nous avons ensuite envisagé des moyens pour permettre aux juges de consacrer davantage de temps à la réflexion sur la peine au-delà de la déclaration de culpabilité de la personne jugée. Près de 600 000 décisions sont prises chaque année par les juges correctionnels, et la réflexion sur les modalités d’exécution de la peine est presque toujours laissée aux soins du juge de l’application des peines. Si on veut que les juges du fond puissent effectuer ce travail, il faut les libérer d’autres contentieux, en faisant régler ces derniers autrement. La mission formule notamment des propositions relatives au traitement de la conduite sous l’emprise de l’alcool et à celui de l’usage de stupéfiants.

120 000 à 150 000 délits de conduite sous l’emprise de l’alcool sont jugés chaque année par le juge pénal. Souvent, l’audience devant le tribunal correctionnel n’a qu’une faible valeur ajoutée : alors que le préfet a déjà suspendu le permis de conduire du prévenu pour six mois, le juge se contente généralement de prolonger cette suspension et de prononcer une peine d’amende ou une très courte peine d’emprisonnement avec sursis. Nous avons souhaité ouvrir le débat sur le meilleur moyen de poursuivre les personnes ayant été interpelées pour une première infraction de conduite en état alcoolique. Une solution pourrait consister à requalifier ce délit en contravention de 5e classe, quitte à augmenter le maximum de la peine d’amende encourue ; une autre voie conduirait à redéfinir l’articulation entre intervention du juge judiciaire (qui serait limitée aux cas complexes) et sanction administrative prononcée par le préfet.

De même, 40 000 cas d’usage de stupéfiants sont jugés chaque année ; pourquoi ne pas transformer ce délit en contravention de 5e classe ? Il faut souligner que cela n’empêcherait pas, si besoin était, de placer les consommateurs de stupéfiants en garde à vue sur le motif de trafic de stupéfiants, délit dont la définition est extrêmement large.

Il est évident que la mise en œuvre de ces propositions n’aurait pas d’effet direct sur la surpopulation carcérale, mais elle permettrait d’alléger la charge de travail des tribunaux de grande instance.

Un nombre important des propositions formulées par la mission vise à favoriser les aménagements de peine, notamment dès l’audience de jugement. C’est en particulier le cas de la proposition relative à l’introduction d’une césure dans la procédure de comparution immédiate entre la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine. Aujourd’hui, alors que 7 % des affaires sont jugées par cette procédure, elle est à l’origine du quart des entrées en détention. Une partie de cette situation s’explique par la gravité des infractions jugées et l’absence de doutes réels sur la culpabilité de l’auteur des faits, mais cette procédure pose des problèmes d’organisation de la défense et les magistrats manquent de temps pour réfléchir à la peine et à son aménagement. Il est vrai que cette césure risque d’entraîner un allongement de la durée de détention provisoire, mais nous estimons qu’elle mérite d’être expérimentée.

La mission s’est prononcée en faveur de la suppression de tous les mécanismes qui conduisent à une automaticité de l’incarcération, qu’il s’agisse des « peines plancher », de l’obligation de motiver certains cas d’absence de mandat de dépôt à l’issue de l’audience, ou de la révocation automatique du sursis simple (alors même que le juge ignore parfois que sa décision aura pour effet d’entraîner la révocation du sursis d’une peine prononcée antérieurement).

Les aménagements doivent aussi être favorisés au cours de l’exécution de la peine. Nous proposons d’une part de conserver la possibilité d’accéder à la libération conditionnelle à mi-peine et d’autre part de rendre la libération conditionnelle automatique, sauf opposition du juge de l’application des peines, aux deux tiers de la peine lorsque celle-ci est inférieure ou égale à cinq ans. Puisque toutes les personnes en liberté conditionnelle sont l’objet d’un suivi jusqu’à la fin de la durée de la peine d’origine, cela permettrait d’éviter les « sorties sèches », qui sont très nombreuses. Cela conduirait aussi à des économies car le suivi en milieu ouvert est moins coûteux que la détention.

Parallèlement, nous préconisons le renforcement des moyens des services de probation. Aujourd’hui, 4 000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation doivent assurer le suivi et le contrôle de plus de 65 000 personnes détenues et de 175 000 personnes exécutant une peine ou une mesure en milieu ouvert. Pour accroître l’efficacité de ces peines ou mesures, il est important d’améliorer la coordination entre les différents intervenants, ce qui devrait se faire au sein de commissions de l’exécution des peines, dans lesquelles seraient aussi représentées les forces de police et de gendarmerie nationales. Celles-ci doivent en effet participer au contrôle du respect des obligations et interdictions imposées aux personnes condamnées à une peine en milieu ouvert. Les mesures de ce type devenant ainsi plus effectives et efficaces, il sera possible d’envisager la création d’une « contrainte pénale dans la communauté », aussi appelée « peine de probation » par certains. Celle-ci serait constituée uniquement de mesures en milieu ouvert, sans référence à une peine privative de liberté.

Enfin, nous avons jugé que, si les effets de ces mesures sur le surpeuplement des prisons n’étaient pas suffisants pour résoudre le problème, il faudrait recourir à un mécanisme de numerus clausus, conduisant à une sortie anticipée pour toute entrée en détention au-delà de la capacité opérationnelle de chaque établissement. 15 % des détenus ayant un reliquat de peine inférieur à trois mois, les bénéficiaires potentiels de ces sorties anticipées ne manqueraient pas. Un tel mécanisme ne peut être taxé de laxisme dans la mesure où ces personnes feraient nécessairement l’objet d’un suivi en milieu ouvert et où les entrées en détention ne seraient pas freinées.

Avant de conclure, je tiens à souligner que nous sommes d’accord avec le souhait formulé par la garde des Sceaux de voir le nombre de places de prison atteindre 63 500 en 2018, ce qui équivaudrait à un taux d’environ 100 places pour 100 000 habitants. Au-delà de ce programme, l’augmentation de la population de notre pays, qui est de l’ordre de 300 000 personnes par an, devrait conduire à l’ouverture de 300 places de prison par an pour maintenir ce ratio.

Comme vous l’avez compris, ce rapport vise à la fois à mettre un terme à l’engorgement des établissements pénitentiaires et à rendre son sens à la peine. Cela suppose de fluidifier les relations entre les trois catégories d’acteurs que sont les magistrats, l’administration pénitentiaire et les forces de police et de gendarmerie, afin de rendre la répression des infractions plus efficaces, dans l’intérêt des victimes et de la société dans son ensemble.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur. Avant de détailler l’avis que j’ai exprimé en complément de ce rapport, je souhaitais saluer et remercier l’ensemble des membres de la mission avec qui j’ai eu le plaisir de travailler, et en premier lieu son président, M. Dominique Raimbourg, qui lui a permis de fonctionner dans les meilleures conditions. Je salue également l’ensemble des personnes, institutions et organisations, qui ont bien voulu nous faire part de leurs idées et propositions concernant cette question importante qu’est la surpopulation carcérale.

J’aimerais à présent vous livrer deux réflexions qui ont, d’après moi, un intérêt capital dans le débat que nous menons et les échanges que nous avons pu avoir :

En premier lieu, il s’agit d’une tribune de M. Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies à l’IFOP qui est parue dans Le Monde il y a quelques jours : « Il est incontestable que sur les questions régaliennes et identitaires, la demande de répression est massive, y compris dans l’électorat de gauche ». En second lieu, il s’agit d’une citation extraite de l’ouvrage Sécurité : la gauche contre le peuple, écrit il y a dix ans par M. Hervé Algalarrondo, directeur adjoint du Nouvel Observateur, et qui n’a pas pris une ride : « La société aussi a le droit de se défendre. Cela, la gauche judiciaire le conteste radicalement. Tout à son clientélisme, elle tire sur le camp d’en face : prendre le parti des "honnêtes gens" constituerait le comble de la "démagogie" ».

Ces extraits sont forts, j’en conviens volontiers, et mon objectif n’est pas de polémiquer. Mais qu’il me soit permis d’exprimer une idée centrale dont je regrette qu’elle ne soit pas entendue par l’actuelle majorité. Les Français sont en demande de protection dans tous les domaines, et en particulier dans le domaine régalien. Toutes les études d’opinion le prouvent. En vous disant cela, j’attire votre attention, et au-delà, celle de la garde des Sceaux, sur les conséquences des politiques qui vont être conduites. À la lecture de ce rapport et des propositions, je tiens à marquer mon opposition ferme et résolue à ses préconisations. En effet, je pense que les mesures qui sont proposées, si elles sont mises en œuvre, vont conduire à une aggravation forte de la criminalité dans notre pays, comme nous l’avons observé de manière dramatique au cours des six derniers mois avec déjà 15 000 victimes de plus du fait de la hausse de la délinquance !

Les études montrent que la diminution du taux d’incarcération et celle du taux d’exécution des peines de prison conduisent à une forte hausse de la délinquance. L’actuelle majorité en avait d’ailleurs directement subi les conséquences en 2002 lors de l’élection présidentielle. Nier la réalité de l’insécurité ou de la nécessité d’apporter une réponse pénale ferme, rapide et efficace est une erreur, et même une faute dont je souhaite que vous ne la renouveliez pas. Voilà pourquoi je m’oppose à une grande partie des préconisations de ce rapport dont l’objectif premier est de régler le problème de la surpopulation carcérale en vidant nos prisons.

Là encore, j’en conviens, l’expression est forte, mais comment ne pas être étonné et surtout inquiet devant la multiplication des propositions dont l’objectif est d’éviter, mais à quel prix, le recours aux peines d’emprisonnement ? Le point central de divergence entre nos approches repose sur la question de la place à donner aux prisons dans notre société. Lors de la préparation de la loi de programmation relative à l’exécution des peines, nous avions constaté que notre pays manquait de places de prison, constat partagé par de nombreux experts. La clé essentielle, pour ne pas dire unique du règlement de la question de la surpopulation carcérale, réside précisément dans la construction de 20 000 nouvelles places de prison, comme l’ancienne majorité s’y était engagée. En effet, la comparaison avec nos principaux partenaires européens ou même avec la moyenne européenne montre que nous avons un taux de détention et surtout un nombre de places bien inférieurs à ces moyennes, notamment par rapport à la Grande-Bretagne, dont la population est comparable à celle de la France.

La fiction du « tout carcéral », dont l’actuelle majorité n’a cessé de pourfendre les conséquences et le coût, la conduit aujourd’hui à supprimer cette loi de programmation et l’oblige à imaginer une multitude de dispositifs devant aboutir à la réduction de la population carcérale, dont les conséquences seront, répétons-le, dramatiques en termes de criminalité.

Le rapport de cette mission est ainsi sans appel lorsqu’il pose qu’il faut « faire véritablement de l’emprisonnement le dernier recours en matière correctionnelle ». L’ancienne majorité avait déjà, par la loi pénitentiaire de 2009, été très loin s’agissant de l’aménagement des peines et du développement des alternatives à la prison. Mais nous avions, dans le même temps, instauré des dispositifs de protection et surtout décidé, avec la loi de programmation relative à l’exécution des peines, de rétablir le sens de la peine et de permettre, par la construction de 20 000 nouvelles places de prison, l’exécution réelle des peines de prison ferme prononcées.

Revenir sur cette décision est dangereux et conduit la mission à proposer de très nombreux expédients bien éloignés du pragmatisme que les Français attendent sur ces sujets. Ainsi, vous souhaitez supprimer l’ensemble des mesures protectrices mises en place par l’ancienne majorité, à commencer par les « peines plancher » et les mesures de fermeté à l’égard des récidivistes. Celles-ci ont pourtant fait leur preuve et n’ont pas nui à l’individualisation des peines puisqu’elles n’ont été prononcées que dans moins de 40 % des cas éligibles. Cela montre bien que les juges ont continué d’appliquer les lois en toute indépendance.

Je souhaite aussi attirer l’attention de la mission, et plus généralement de l’ensemble des parlementaires, sur les propositions concernant l’aménagement des peines. Au-delà des aménagements ab initio qu’il faut souhaiter voir réduits, pour des questions de transparence de la justice, le rapport préconise de généraliser l’aménagement des peines. C’est une faute car on prend le risque de dénaturer le sens des peines et les fonctions dissuasives et neutralisantes de la prison. La création d’un dispositif de libération conditionnelle automatique aux deux tiers de la peine, qui s’apparente à une loi d’amnistie ou à des grâces collectives déguisées, est pour le moins inquiétante, sauf à dire explicitement que chaque peine de prison prononcée par la Justice sera de toute façon réduite d’un tiers ! Et cela alors que le rapport propose aussi un examen automatique des situations à mi-peine !

Je regrette également la décision d’inclure dans le rapport la création d’un numerus clausus dans les prisons, en dépit des critiques nombreuses à ce sujet. Le numerus clausus risquerait d’ailleurs de remettre en cause le principe d’égalité territoriale. Je me permets de vous citer deux extraits du célèbre ouvrage du philosophe Cesare Beccaria intitulé Des délits et des peines : « La certitude d’une punition, même modérée, fera toujours plus d’impression que la crainte d’une peine terrible si à cette crainte se mêle l’espoir de l’impunité […] Plus le châtiment sera prompt et suivra de près le délit commis, plus il sera juste et utile ».

Ces écrits datent du XVIIIe siècle. Et bien dans la France du XXIe siècle, nous risquons d’avoir une garde des Sceaux qui cherche à compliquer l’action de la Justice et surtout à réduire la certitude de la peine. Voilà précisément la cause de l’esprit de laxisme et d’impunité qui se développe désormais en France.

Cependant, je tiens à préciser qu’à la différence des pratiques qui étaient celles d’une partie de l’ancienne opposition, je ne condamne pas l’intégralité de ce rapport uniquement pour des questions partisanes. Ainsi, certaines idées ou propositions sont intéressantes, comme l’instauration d’un débat annuel au Parlement sur la politique pénale du gouvernement, qui permettrait d’éclairer les citoyens et l’ensemble de la chaîne pénale sur la politique conduite. On peut aussi encourager les propositions qui consistent à renforcer le suivi et l’accompagnement des personnes placées sous surveillance électronique, celles soutenant les moyens accordés aux services pénitentiaires d’insertion et de probation ou plus généralement celles qui visent à s’inspirer des bonnes pratiques étrangères (amendes administratives belges ou évaluation de la dangerosité dans les pays anglo-saxons, par exemple par le recours aux échelles statistiques de récidive). Pourtant, en dépit des grands discours du président de la République au cours de sa campagne électorale, ou de la garde des Sceaux, sur la priorité donnée à la réinsertion des détenus, peu de moyens sont alloués à la création de nouveaux postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation.

Je souscris pleinement à l’analyse des syndicats de surveillants pénitentiaires, qui estiment que la prison a une mauvaise image dans notre société. Il faut bien reconnaître que l’actuelle majorité (en tout cas une partie d’entre elle) participe pleinement à cette déconsidération en répétant des slogans toujours plus simplistes comme « la prison, école du crime » ou « la prison, honte de la République ». Pourtant, qu’il me soit permis de souligner ici non seulement l’utilité de la prison, mais aussi l’indispensable nécessité de lutter contre les stéréotypes entourant l’administration pénitentiaire dans son ensemble, et en particulier ses personnels.

Enfin, il est regrettable que la réflexion sur les peines alternatives à la prison ou la création de nouvelles peines comme la probation ne soient pensées, conçues et probablement mises en œuvre dans les prochains mois que comme un moyen de réduire la surpopulation carcérale. Créer une peine de probation, améliorer les dispositifs de travail d’intérêt général : tous ces sujets peuvent révéler un grand intérêt. Cependant, ils auraient dû être abordés dans une autre mission que la nôtre car penser à des peines uniquement dans l’optique de réduire la surpopulation carcérale ne peut conduire qu’à entretenir un climat de laxisme et d’impunité et s’avère contre-productif pour ces mesures. Selon nous, ces nouvelles peines, ainsi que le renforcement de dispositifs existants, doivent permettre d’augmenter le taux de réponse pénale, c’est-à-dire le nombre d’affaires poursuivies et les réponses apportées plutôt que d’éviter à des personnes d’être envoyées en prison.

En tant que vice-président de cette mission, je souhaitais faire connaître des propositions qui n’ont pas été retenues dans ce rapport mais qui auraient pourtant l’avantage de lutter contre la surpopulation, d’améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires tout en garantissant l’exécution des peines et la sécurité publique. Le socle d’une politique ambitieuse en matière d’exécution des peines et de lutte contre la surpopulation carcérale repose évidemment, je le répète, sur la construction des 20 000 nouvelles places de prison qui avaient été prévues dans la loi de programmation relative à l’exécution des peines.

C’est grâce à ces nouvelles places qu’il sera possible de lutter contre le scandale de l’inexécution, chaque année, de dizaines de milliers de peines de prison dont on sait bien qu’elles finissent par être « oubliées » ou « aménagées » ; de mettre fin à l’automaticité des crédits de réduction de peine ; d’obliger les condamnés détenus à purger au moins les deux tiers de leur peine ; de développer l’activité et le travail en prison. Elles permettront aussi de ne pas supprimer les « peines plancher », mais au contraire de les élargir aux réitérants, comme cela avait été proposé par M. Nicolas Sarkozy lors de la dernière élection présidentielle.

Le bilan de la loi pénitentiaire de 2009, établi dans un rapport sénatorial du mois de juillet 2012, montrait que des progrès avaient été réalisés sur les conditions de détention et sur les droits des détenus. Il est illusoire de vouloir poursuivre le développement de ces droits ou tout simplement d’éviter à la France de nouvelles condamnations pour traitement inhumain sans construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Illusoire, sauf à conduire une politique dangereuse pour la sécurité des Français. Il était de mon devoir de vous avertir sur les conséquences des politiques que vous souhaitez mettre en œuvre et dont tout porte à croire qu’elles seront désavouées par les Français.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je remercie mes deux collègues, au nom du président de la Commission, pour le travail effectué au cours de cette mission créée en juillet dernier. Ce sujet revêt une grande importance, comme les réactions suscitées par les interventions du rapporteur et du co-rapporteur viennent de le montrer. Il est par ailleurs d’une actualité brûlante puisque le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a dénoncé, il y a quelques semaines seulement, les conditions de détention de la prison des Baumettes, et que la Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner l’Italie en raison du surpeuplement de ses prisons. Nous sommes aujourd’hui dans la même situation. C’est pourquoi nous devons apporter rapidement les réponses les plus pertinentes et les plus intelligentes possibles à ce problème.

Je ne souhaite pas que le débat prospère, au sein de cette commission, sur des fondements uniquement idéologiques. Parce que nous connaissons, pour la plupart d’entre nous, la réalité carcérale et, qu’en tant que députés, nous avons le devoir d’exercer un certain contrôle sur les prisons, chacun d’entre nous doit contribuer à apporter une réponse au problème de la surpopulation carcérale, sans quoi les valeurs fondamentales de la République seraient bafouées.

M. Philippe Goujon. Ce rapport nous plonge en pleine utopie socialiste. Cette naïveté a d’ailleurs coûté cher à nos concitoyens, entre 1997 et 2001. Je tiens par ailleurs à souligner qu’il est difficile de se prononcer sur un rapport que nous venons de découvrir à l’instant. Si je félicite les rapporteurs pour le travail réalisé – le volume du rapport témoigne de leur sérieux –, je regrette néanmoins de ne pas en avoir eu connaissance plus tôt, comme Le Nouvel Observateur, qui en a publié les conclusions avant même que les députés ne l’aient lu !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Cher collègue, le mode de fonctionnement n’a pas changé : les rapporteurs présentent leurs travaux à la commission, qui vote ensuite sur la publication du rapport.

M. Philippe Goujon. La lutte contre la surpopulation appelle, à mon sens, une première réponse essentielle : la réalisation d’un programme de construction d’établissements pénitentiaires. C’était d’ailleurs le projet du précédent gouvernement, qui avait prévu de construire de nouveaux établissements et d’en rénover d’anciens pour porter le nombre de places disponibles à 80 000. Telle n’est pas la philosophie du présent rapport. Je considère pour ma part que la certitude de l’application de la sanction a un effet dissuasif sur le délinquant potentiel : c’est là une différence essentielle entre nous. C’est la raison pour laquelle je pense que la libération conditionnelle automatique aux deux tiers de la peine, comme l’examen de chaque situation à mi-peine, aura pour effet évident de traiter de la même façon l’ensemble des détenus, ceux qui souhaitent s’amender comme ceux qui ne méritent pas d’être libérés. Vous qui fustigez l’automaticité des « peines plancher », vous prévoyez de l’appliquer en matière de libération !

Le numerus clausus que vous proposez est inédit mais il est tellement audacieux qu’il conduira également à la libération massive, prématurée et injustifiée de détenus. Votre système fera dépendre l’incarcération, non pas de la gravité de l’infraction ou de la dangerosité de son auteur, mais de la disponibilité des places de prison. Il serait intéressant de recueillir l’avis de la garde des Sceaux sur ce sujet, même si le dispositif envisagé n’est que complémentaire. Lorsque je l’ai questionnée, le 18 octobre dernier, au moment de l’examen des crédits de la mission « Justice », Mme Christiane Taubira a indiqué ne jamais s’être prononcée sur le numerus clausus.

Une étude du professeur Pierre Victor Tournier démontre que les politiques de déflation carcérale entraînent mécaniquement une augmentation de la délinquance. La circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012 préfigure les éléments du rapport de la mission : limitation de l’incarcération, limitation de la comparution immédiate, y compris pour les contentieux de masse, prononcé en dernier recours d’une peine de prison avec sursis, développement des alternatives aux poursuites, ralentissement de la réponse pénale. Or, depuis son application, 15 000 faits supplémentaires de délinquance ont été enregistrés par rapport aux années précédentes : cela aurait dû vous faire réagir.

Les « peines plancher » que vous entendez supprimer n’ont rien d’automatique : elles ne sont prononcées que dans 40 % des cas où elles sont applicables. Il est cependant certain qu’elles ont un effet sur la délinquance, puisque 30 000 « peines plancher » ont été prononcées. Au lieu de les supprimer, il faudrait étendre ces dispositions aux réitérants, comme nous l’avions proposé avec nos collègues Éric Ciotti et Jean-Paul Garraud. Ce sujet, d’une importance considérable – Paris compte par exemple un millier de réitérants responsables chacun de 50 à 100 faits délictueux –, n’est nullement abordé dans votre rapport.

En ce qui concerne la rétention de sûreté, les Pays-Bas et le Québec disposent de systèmes identiques. Or, ces pays sont, me semble-t-il, réputés pour envisager l’incarcération avec prudence. Vous souhaitez en outre revenir sur les incriminations pénales visant la délinquance de masse qui, au demeurant, conduisent rarement à une incarcération : cela n’aura pour conséquence que d’augmenter ce type de délinquance. Vous ôtez à la justice et à la police les moyens de lutter contre cette « délinquance du quotidien » qui gâche la vie de nos concitoyens. En tant qu’élu parisien, je peux vous affirmer que le délit de racolage passif a permis de limiter de façon considérable la prostitution sur la voie publique. D’ailleurs, il est intéressant de constater que vous n’évoquez pas le délit de pénalisation du client proposé par nos collègues Danielle Bousquet et Guy Geoffroy dans un précédent rapport. Vous n’indiquez pas non plus que le délit de racolage passif permet, dans une certaine mesure, de protéger les personnes prostituées et de les inciter à dénoncer leurs proxénètes. La suppression de ce délit empêchera assurément d’effectuer un travail sur ces personnes.

Vous proposez également de décorrectionnaliser l’occupation des halls d’immeubles. Cette infraction, dont les peines encourues sont d’ailleurs faibles, est efficace dans les ensembles immobiliers sociaux les plus sensibles. Elle a en outre été améliorée par la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, qui permet l’utilisation de la vidéosurveillance. Si cette infraction devait devenir une simple contravention, les éléments qui en font l’efficacité, comme le contrôle d’identité et la garde à vue, cesseraient de lui être applicables. Par ailleurs, nous n’ignorons pas que le taux de recouvrement des amendes est directement lié à la solvabilité des personnes condamnées…

Il en va de même pour la décorrectionnalisation des ventes à la sauvette, dont je suis d’ailleurs à l’origine de la qualification délictuelle. Ce délit, s’il est encore imparfait, a cependant permis à la police, dans les quartiers touristiques, de réinvestir le terrain en opérant des saisies, et aux commerçants d’être moins exposés à cette concurrence déloyale. Enfin, la suppression du délit d’usage de stupéfiants que vous proposez revient à dépénaliser, de fait, l’usage de drogues. Associée à l’ouverture des salles de shoot, la suppression de cette infraction est un signal fort envoyé aux personnes toxicomanes.

La suppression de ces délits de masse ne permettra pas de vider les prisons, puisque seul un petit nombre de personnes est aujourd’hui incarcéré pour ces motifs. Mais cela conduira assurément à remettre dans la circulation des détenus qui se livreront à nouveau à des faits de délinquance. C’est à l’opposé des attentes de nos concitoyens en matière de sécurité et, si ces mesures sont appliquées, nous en paierons le prix fort en matière de délinquance.

Mme Élisabeth Pochon. L’opposition idéologique que vous faites entre une droite protectrice de la société et une gauche laxiste me semble parfaitement dépassée. L’augmentation massive du nombre de personnes écrouées sous la précédente majorité n’a fait diminuer ni la délinquance, ni le sentiment d’insécurité des citoyens. Le constat est clair : les maisons d’arrêt sont surpeuplées.

La mission n’avait pas pour objectif de faire diminuer mécaniquement la population carcérale, mais bien de déterminer si la surpopulation actuelle était le résultat d’une augmentation de la criminalité ou d’un dysfonctionnement structurel. Il est paradoxal que les maisons d’arrêt, qui ont vocation à accueillir des personnes effectuant de courtes peines et étant appelées à retourner rapidement dans la société, soient précisément les établissements dans lesquels le fait de travailler à la réinsertion des détenus est rendu impossible par la surpopulation carcérale. C’est une aberration de penser que l’augmentation du nombre de places, sans réflexion sur les aménagements de peine, suffirait à assurer la réinsertion des détenus et la prévention de la récidive.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur. Ce n’est pas le sens de mes propos.

Mme Élisabeth Pochon. La mission a reçu un grand nombre de personnes venues d’horizons divers – professeurs, avocats, personnels pénitentiaires, représentants syndicaux –unanimes sur le constat. Aucune des personnes entendues n’a indiqué à la mission que la solution résidait dans l’augmentation du parc carcéral.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur. Cela n’est pas tout à fait exact.

Mme Élisabeth Pochon. Nous avons également visité des établissements. Ils sont une honte. Ils sont aussi très inquiétants : que fait-on de ces gens qui passent six mois en prison, qui ressortent sans aménagement de peine ou sans suivi effectif, les services pénitentiaires d’insertion et de probation n’étant pas en mesure de prendre tous les détenus en charge ? On cite souvent l’exemple anglo-saxon. Il est en effet apparu au cours des auditions que les services de probation de Londres comptaient autant de conseillers d’insertion et de probation que la France entière ! Il est clair que nous ne voyons pas les choses de la même façon. M. Sébastien Huyghe, lorsque vous évoquez la « neutralisation » des détenus, il me semble que c’est là une expression un peu forte !

M. Sébastien Huyghe, rapporteur. Il s’agit de neutraliser le risque pour la société ! Votre interprétation est fallacieuse.

Mme Élisabeth Pochon. La prison n’est pas assimilable au bagne ! Elle est une réponse à un acte délictueux qui doit permettre le retour dans la société, dans des conditions différentes. Les travaux de la mission nous ont permis de constater qu’il y avait des aberrations dans l’exécution des peines : tel est par exemple le cas d’une personne obligée d’exécuter sa peine plus de neuf ans après son prononcé, alors qu’elle était sortie d’une post-adolescence compliquée. Le but de la mission n’est pas de vider les prisons, mais de proposer une politique pénale différente évitant de tels dysfonctionnements.

M. Jacques Bompard. Je fais partie de cette catégorie d’élus appelée à être persécutée, voire à disparaître, que sont les députés-maires. Les maires sont devenus des acteurs de la sécurité en raison de l’incapacité de l’État à la garantir. Ils ont doté leurs communes de polices municipales importantes qui font remonter aux élus municipaux des éléments de nature à leur assurer une connaissance de terrain des questions de sécurité. Lorsqu’on est proche du terrain, on a une vision différente de celle qui se développe au sein de notre Assemblée.

Il n’est pas possible de dissocier les problématiques liées aux prisons de celles liées à l’insécurité. La sécurité de nos concitoyens tient à l’absence des délinquants qui, elle-même, résulte de leur incarcération. Celle-ci constitue un soulagement pour la population locale.

L’insécurité est liée au caractère asocial de certains profils. On peut souhaiter remettre les délinquants dans le droit chemin, mais cela ne se fait pas comme ça. J’ai entendu parler tout à l’heure de détention d’une durée de trois à six mois. Or, à ma connaissance, pour faire l’objet d’une incarcération effective, il faut aujourd’hui avoir été condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins six mois.

La prison n’est pas le remède à tout. Mais c’est une réponse non négligeable. La sanction a une importance aux yeux de la victime. Si elle est trop faible voire inexistante, elle risque de concourir au développement d’un sentiment d’injustice, qui est réel dans notre pays.

Le bon remède, c’est le travail. Il faut encourager le travail des personnes en détention. Les gains que ferait la personne en prison en travaillant pourraient servir à l’indemnisation de la victime. Mais un tel dispositif serait complexe à mettre en place et difficilement compatible avec la philosophie qui anime notre Assemblée.

On a tendance à vouloir créer des « prisons trois étoiles ». L’incarcération dans des prisons de ce type pourrait constituer non pas une sanction, mais plutôt une récompense ! Il ne faut pas dissocier trop fortement la sanction de la culpabilité et alléger la première de façon disproportionnée par rapport à la seconde. La prison concourt à la sécurité, qui est la première des libertés et, sans sécurité, il n’y a pas de liberté qui puisse s’exercer.

M. Patrick Devedjian. Je formulerais quelques observations sur ce rapport qui, bien entendu, mérite d’être publié. Je trouve ainsi l’intitulé de la mission quelque peu inadéquat. Le rapport traite de la surpopulation carcérale mais il n’y a pas de surpopulation carcérale à proprement parler. Le président-rapporteur l’a d’ailleurs expliqué dans son propos liminaire. La population carcérale en France est à peu près de même importance que dans les autres pays européens. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’il y a un manque de places. On peut donc parler d’une « insuffisance carcérale » ou d’une « inadaptation carcérale » mais pas de surpopulation carcérale.

Votre rapport cherche à remédier à l’insuffisance des moyens financiers des juridictions judiciaires et de l’administration pénitentiaire. Faute d’avoir accordé – sous tous les gouvernements successifs – à la justice les moyens de son fonctionnement, on en est réduit aujourd’hui à envisager des mesures palliatives. Certaines apparaissent tout à fait raisonnables.

Ainsi, la proposition n° 5 va dans le bon sens et n’appelle aucune observation. Il est vrai que l’on pénalise trop et que des affaires pourraient être renvoyées vers le juge civil plutôt que traitées par le juge pénal. Il y a sans aucun doute un véritable travail à fournir sur ce point car la France dispose d’un arsenal répressif beaucoup plus important que bien d’autres pays.

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur le caractère absurde du « doublon » que constitue une procédure comportant une sanction administrative prise de manière automatique par le préfet et des poursuites devant le juge judiciaire. En revanche, je suis en désaccord absolu avec votre conclusion. Vous voulez supprimer l’intervention du juge judiciaire et la remplacer par celle du préfet. Or, le juge judiciaire est le gardien des libertés individuelles. On ne peut pas confier au préfet le soin de se prononcer sur des mesures touchant à la liberté des citoyens. Je pense d’ailleurs que cette proposition soulèverait des difficultés au plan constitutionnel.

Le fond du problème réside dans deux éléments. Il s’agit d’abord du manque de moyens financiers et matériels du système judiciaire. Nos prisons devraient être éducatives mais elles ne le sont pas. Les places manquent. L’organisation de la prison est déplorable – je peux le dire pour avoir visité beaucoup d’établissements en tant qu’avocat. À cet égard, on ne peut pas dire qu’il existe des « prisons trois étoiles ».

Les crédits destinés à l’administration pénitentiaire ne sont pas suffisants, et il n’est cependant pas rare qu’une partie des crédits ouverts ne soit pas employée – j’en ai souvent été témoin lorsque j’étais rapporteur des crédits du ministère de la Justice.

D’autre part, le reproche majeur que l’on peut adresser à la justice, qui apparaît dans toutes les études et tous les sondages mais dont on ne parle jamais, est qu’elle n’est pas assez rapide. La frustration des citoyens, et leur demande d’une répression forte, sont souvent la conséquence de la lenteur de la justice. Or, dans votre rapport, on trouve beaucoup de propositions qui conduiront à rendre la justice encore plus lente. Cela ne va pas dans le bon sens.

Au lieu d’aller vers davantage de répression – je me distingue peut-être de mes amis politiques en disant cela –, il conviendrait de travailler à rendre la justice beaucoup plus rapide. Le président Dray, premier président de la Cour de cassation, disait : « La justice apporte des solutions mortes à des questions mortes ». Voilà le véritable problème ! Mais le rapport ne lui apporte aucune réponse.

S’agissant de la détention provisoire, la création du juge des libertés et de la détention (JLD) visait à mettre un terme à la pratique du chantage à la détention. En effet, autrefois, certains juges d’instruction pouvaient dire : « Parlez ou je vous place en détention provisoire ! ». Aujourd’hui, des juges d’instructions peuvent dire : « Parlez ou je vous envoie chez le JLD ! Si vous parlez, j’ai le pouvoir de vous laisser en liberté. Si je vous envoie chez le JLD, vous courez un risque… ». Ainsi, le chantage demeure et l’institution du JLD – qui a un coût en termes d’effectifs et de moyens – n’a rien résolu à ce problème majeur. Vous préconisez la limitation du recours à la détention provisoire mais vous ne vous en donnez pas les moyens. Pour ma part, je pose la question : à quand la détention provisoire examinée au cours d’une audience publique, plutôt que dans le secret du cabinet d’un juge ? Avec cette mesure, vous obtiendriez de vraies garanties. Mais encore faudrait-il donner davantage de moyens à la justice judiciaire.

En somme, je pense que l’intention du rapport est bonne, que celui-ci offre des pistes intéressantes mais qu’il ne s’attaque pas aux vrais problèmes : d’abord, le financement ; ensuite, la question de l’organisation d’une justice plus rapide ; enfin, une réforme de la détention provisoire ayant pour seul objectif la préservation de la liberté en la plaçant sous le regard des citoyens.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Sans débattre du fond de l’intervention de notre collègue Patrick Devedjian, je tiens à souligner que la forme et le ton de cette intervention correspondent exactement au mode de travail de notre commission.

M. Alain Tourret. J’ai trouvé le discours de notre collègue Patrick Devedjian très différent de celui de M. Sébastien Huyghe.

M. Patrick Devedjian. « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. »

M. Alain Tourret. Étant laïc, je vous laisse la maison du Père. J’adresse mes félicitations à notre collègue Dominique Raimbourg.

Il est évident qu’il faut sanctionner la commission de faits délictueux. La prison est-elle la solution ? Sur ce sujet, les débats en France ont évolué. Lorsque le peuple a pris la Bastille, le 14 juillet 1789, il n’y avait que sept détenus, dont trois fils prodigues si mes souvenirs sont bons. C’est la République qui, peu à peu, a fait de la prison la réponse à la délinquance.

On réclame l’effectivité des décisions, mais plus la justice est rapide, plus elle est rendue sous le coup de l’émotion. Je ne suis pas persuadé qu’une justice rendue dans ces conditions soit bonne. Une justice rapide ne prend pas assez en compte la situation de l’individu. Sur ce point, je diverge de notre collègue Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian. Il y a de la marge, tout de même !

M. Yann Galut. Rapide ne veut pas dire expéditive.

M. Alain Tourret. La comparution immédiate aboutit à des décisions rendues sous le coup de l’émotion. La comparaison entre les décisions rendues dans le cadre d’une comparution immédiate et en dehors montre que le poids de la sanction infligée n’est pas le même. Je suis défavorable à l’élargissement des possibilités de recours à la comparution immédiate. Il faut avant tout se soucier de la dignité humaine. L’idée d’une « prison trois étoiles » relève du fantasme le plus stupide. Allez dans les prisons, chers collègues ! Le principe de dignité n’y est pas respecté.

C’est une majorité de droite qui a voté la loi pénitentiaire de 2009, qui a permis aux juges d’aménager les peines dès lors qu’elles sont inférieures ou égales à deux ans, et non plus un an comme c’était le cas auparavant. J’approuve cette réforme. Et je me demande si cette démarche ne devrait pas être étendue en cas de première infraction. Il faut bien distinguer la détention provisoire de la détention consécutive à une condamnation, et distinguer également la détention comme sanction d’une première infraction, d’une part, et comme sanction de la récidive, d’autre part.

Lors des débats sur la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, nous avons fixé les délais maximaux de détention provisoire à trois ans pour les atteintes aux biens et à cinq ans pour les atteintes aux personnes.

La détention provisoire est contraire aux principes généraux du droit. Elle a été utilisée par les juges d’instruction comme un instrument de torture, d’où la pratique consistant à décider des mises en détention provisoire dans le secret des cabinets des magistrats. Je suis choqué par l’utilisation de la détention provisoire en matière délictuelle. Les prisons qui sont aujourd’hui dans l’état le plus catastrophique sont les maisons d’arrêt.

Quant à la situation des femmes en prison, je voudrais citer l’exemple de l’Italie, où les mères ne peuvent pas être placées en détention. J’approuve totalement ce dispositif.

S’agissant de la conduite en état alcoolique – véritable fléau qui, dans le département où j’ai été élu, est à l’origine d’un accident mortel sur deux –, je pense que tout signe donné en la matière qui irait dans le sens d’un renforcement des pouvoirs du préfet au détriment de ceux du juge est une erreur. C’est à l’autorité judiciaire de prendre les décisions, pas à l’autorité administrative. Les avocats doivent avoir la possibilité de défendre telle ou telle solution devant le juge.

Quant au numerus clausus, M. Jean-Pierre Michel, lorsqu’il présidait la commission des Lois, l’avait proposé. Je note que notre collègue Dominique Raimbourg ne propose pas de faire sortir tous les détenus des prisons, mais seulement ceux dont la fin de peine approche.

Enfin, il faut rétablir la pratique de la grâce présidentielle collective. Mise en œuvre le 14 juillet, elle permettait de réduire les effectifs de la population carcérale à l’approche des périodes estivales.

En conclusion, j’estime utile que ce rapport soit publié, les visions des deux rapporteurs étant honorables.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je voudrais tout d’abord remercier le président de la Commission d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour de nos travaux ainsi que les deux rapporteurs et les membres de la mission pour leur travail. Mon intervention se concentrera sur deux points.

Tout d’abord, comme nos collègues Patrick Devedjian et Alain Tourret, je veux souligner le problème du trop grand nombre de délits qui peuvent donner lieu à des mesures d’incarcération et de détention provisoire. La détention provisoire est justifiée en principe lorsque celui qui s’est rendu coupable d’une infraction pourrait représenter une menace pour le corps social ou pour lui-même. Mais dans la plupart des cas, il n’est pas du tout certain que ce danger soit avéré. Il semble plutôt que, par commodité, on envoie en détention des personnes qui n’ont rien à y faire. Dans ces conditions, distinguer ce qui relève du juge pénal et du juge civil et limiter le recours à la détention me semble un travail tout à fait nécessaire.

Le second point de mon intervention porte sur le numerus clausus. Je comprends la logique de cette proposition dans le contexte décrit par les rapporteurs. En France, il arrive souvent que, faute d’avoir trouvé des solutions pratiques ou de s’en remettre au bon sens des acteurs de terrain, on recoure à des moyens coercitifs pour être certain de parvenir à un résultat. C’est comme cela que je comprends votre proposition. Cela dit, je conçois très bien que cette mesure pose des problèmes d’application juridique. Il peut apparaître injuste que des détenus approchant du terme de leur peine soient libérés plus tôt au seul motif qu’une personne supplémentaire doit être incarcérée dans leur établissement. Mais cette mesure est probablement la seule manière de rompre avec la culture de l’incarcération comme seul remède et seul mode de réparation, voire de rédemption – même si ce mot n’a pas vraiment sa place ici. Cela étant, si l’on renonce à la construction de nouvelles places de prison, ce qui me paraît être la seule solution raisonnable compte tenu de la croissance de la population et de l’apparition de nouvelles pratiques criminelles, la mise en œuvre du numerus clausus va poser d’énormes problèmes pratiques. L’égalité territoriale, l’égalité des droits sont des principes essentiels. Si nous ne parvenons pas à assurer des conditions de détention conformes à la dignité des détenus, alors nous aurons collectivement échoué.

M. Bernard Lesterlin. J’adresse mes félicitations aux deux rapporteurs pour l’énorme travail de compilation et d’auditions qu’ils ont fourni. Bien que je ne l’aie pas lu dans son intégralité, le rapport me paraît très bon. J’ai pris connaissance des propositions, qui me paraissent pertinentes. Je suis, comme le rapporteur, favorable à la sortie des détenus à l’approche de la fin de leur peine à la condition que les personnes libérées soient accompagnées de façon à assurer leur insertion. L’une des propositions du rapport souligne la nécessité de l’accompagnement socio-éducatif des personnes qui portent un bracelet électronique ; il me semble que cet accompagnement est nécessaire pour l’ensemble des personnes sortant de prison avant le terme de leur peine.

La semi-liberté est une solution intelligente à laquelle il faut recourir davantage. Souvent, les anciennes maisons d’arrêt présentent l’avantage d’être situées en centre-ville. Le précédent gouvernement souhaitait fermer nombre d’entre elles, notamment à cause de leur vétusté et de leur surpopulation. Pourtant, à Montluçon comme dans beaucoup de villes de taille moyenne, certaines d’entre elles pourraient, sous réserve de la réalisation de quelques aménagements et d’un taux d’occupation raisonnable, être utilisées au bénéfice des personnes en semi-liberté ou proches de la libération afin de préparer leur réinsertion.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Mes chers collègues, je vous rappelle que la semi-liberté n’est possible que si le juge constate la vacance d’une place dans un centre ou un quartier de semi-liberté. L’accès à la semi-liberté est ainsi subordonné au niveau d’occupation des établissements pénitentiaires.

M. Philippe Gosselin. Je tiens tout d’abord à saluer le travail qui a été réalisé. Le projet de rapport est intéressant et il comporte de bonnes choses. Néanmoins, j’ai un peu l’impression, en lisant le document, que l’on casse le thermomètre pour dire que le malade va bien.

Si l’on compare la situation des prisons françaises avec celle des prisons des autres pays européens, il est vrai que la surpopulation carcérale française apparaît difficilement acceptable. Les conditions de détention ne sont pas dignes. J’observe cela dans les départements de la Manche et du Calvados. Il n’est pas rare que l’on me dise que, pour accroître les possibilités d’accueil des détenus, on a eu recours à des matelas posés par terre. Tout cela n’est pas acceptable.

Face à cette situation, je ne suis pas hostile au fait que l’on modifie la politique pénale. Je ne suis pas défavorable par principe à l’aménagement des peines, aux peines de substitution comme le port du bracelet électronique, etc. Néanmoins, cette démarche doit se garder de dépénaliser les infractions liées à la drogue ou à l’alcool. La protection des victimes est aussi un principe qui doit rester essentiel.

Par ailleurs, les faits sont têtus et cette politique ne suffira pas. Je rappelle que les autorisations d’engagement consacrées à la politique carcérale ont diminué de 38 % en loi de finances initiale ; les crédits de paiement pour le fonctionnement courant ont, eux aussi, beaucoup diminué. Les aménagements de politique pénale ne suffiront pas et il faudra, inéluctablement, construire des places de prison nouvelles.

Un premier plan de construction vient d’être acté pour construire de nouveaux établissements en limitant le recours au partenariat public-privé. C’est une mesure qui va dans le bon sens. Néanmoins, il est temps de mettre en chantier aussi le plan de construction d’établissements pénitentiaires pour les années 2016, 2017 et 2018. Ces dates peuvent sembler constituer une échéance encore lointaine, mais l’investissement me paraît tout à fait incontournable.

On ne pourra pas se borner à aménager la politique pénale ; il faudra aussi humaniser les conditions de détention, et pour cela créer des places de prisons supplémentaires.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je vous confirme le fait, Monsieur Gosselin, que, selon les informations recueillies par la mission d’information, il y aurait 234 matelas au sol dans les établissements pénitentiaires relevant de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Lille.

M. Philippe Houillon. Je voudrais faire, à mon tour, quelques observations.

Je tiens à dire, tout d’abord, que je voterai en faveur de la publication du rapport qui nous est proposé, car je suis convaincu que la surpopulation carcérale atteint, à l’heure actuelle, un niveau très inquiétant. Et je rejoins l’idée du rapporteur : il n’y a pas de « prisons trois étoiles ». Il y a des problèmes, aujourd’hui, dans les prisons, qui touchent à la dignité humaine, et il convient de tenter de les résoudre.

En revanche, je suis un peu surpris par la logique du rapport. Il s’agit, en effet, d’un rapport sur la surpopulation carcérale, mais beaucoup de réponses apportées à cette question relèvent de la politique pénale. Ce sont des réponses de principe, et l’on a l’impression que l’on adapte les principes à « l’outil », c’est-à-dire aux prisons et à leur capacité actuelle. Or, selon moi, c’est l’inverse qu’il faudrait faire : il faudrait que l’outil s’adapte aux principes.

À partir de là, je note un certain nombre d’étrangetés : on propose d’adapter les peines aux places disponibles en prison ; on critique les « peines plancher », mais on invente des peines plafond ; et l’on dit que, quand on est arrivé à un certain moment de l’exécution de la peine, on arrête automatiquement la détention, sauf décision contraire du juge, c’est-à-dire que l’on applique aux peines plafond la même logique que celle des « peines plancher » que l’on critiquait.

Je suis assez disposé, en revanche, à suivre le rapport sur la notion de numerus clausus, à condition, bien entendu de savoir où l’on place le curseur. Je suis d’accord avec Dominique Raimbourg pour dire qu’une fois que l’on a fixé la capacité d’un établissement, on ne devrait plus accueillir de détenus au-delà. C’est une question de dignité humaine. Mais je ne peux évidemment pas accepter l’idée selon laquelle, une fois la pleine capacité atteinte, il faudrait libérer quelqu’un parallèlement à toute nouvelle entrée.

Encore une fois, on ne peut pas adapter les principes à l’outil. C’est ainsi que, selon moi, les développements du rapport semblent présenter, à plusieurs reprises, quelques problèmes de cohérence.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. L’intitulé du rapport et l’orientation suivie ont été définis face à une très forte contrainte : nous sommes sous le risque d’une décision européenne de condamnation de la France pour l’état de surpopulation dans lequel se trouvent ses prisons ; nous risquons aussi des difficultés législatives, par exemple du fait du Conseil constitutionnel au détour d’une question prioritaire de constitutionnalité.

M. Hugues Fourage. Je voudrais avant tout saluer le travail des rapporteurs et la pondération des propositions avancées. Mais il est en même temps dommage d’avoir entendu au cours du débat certains propos révélant des visions que l’on pouvait penser dépassées…

Il est important de souligner la pertinence toute particulière de certaines recommandations : au-delà de la proposition n° 37 – poursuivre l’expansion du parc immobilier pénitentiaire afin de porter à 63 500 le nombre de places de prison à la fin de l’année 2018 –, la proposition n° 38 mérite notre attention car elle vise à privilégier les structures de dimension petite ou moyenne comportant, si possible, 200 places au maximum. Les syndicats de l’administration pénitentiaire y sont attentifs, tant il est indispensable de développer des unités à taille humaine.

À cet égard, le rapporteur a eu raison d’évoquer la situation de surpopulation – une des plus préoccupantes de France – de la maison d’arrêt de Fontenay-le-Comte.

La proposition n° 40 – prolonger l’effort de rénovation du parc carcéral et procéder à la fermeture des établissements pénitentiaires les plus vétustes – mérite également d’être particulièrement prise en compte : de réels efforts doivent être accomplis car il existe des situations proprement inacceptables.

De la même manière, la proposition n° 42 – augmenter le nombre de places de semi-liberté, en préférant les centres aux quartiers de semi-liberté – doit retenir toute notre attention dans la perspective d’une adaptation des peines et d’une réinsertion sociale durable et pérenne des détenus à la sortie, loin, bien sûr, d’un objectif qui consisterait à vouloir « vider les prisons », contrairement à ce que nous avons pu entendre !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Avant toute chose, je me félicite de la tournure qu’a progressivement prise le débat, tant pour ce qui est du ton que sur le fond. C’est essentiel sur un sujet si sensible. Abandonner une posture « slogan contre slogan » ne peut qu’être bénéfique, même si le prix à payer pour nous doit être de renoncer à quelques formules générales !

Le rapport qui nous est présenté est de très haute tenue, notamment parce qu’il prend en compte l’ensemble des facteurs qui expliquent la place de la prison au sein de la société envisagée globalement.

Je n’aurais qu’un ou deux bémols à apporter : je dois reconnaître que la proposition relative au numerus clausus me surprend. J’ai aussi quelques doutes sur la constitutionnalité du dispositif proposé concernant le renforcement de l’intervention administrative en matière de suspension du permis de conduire.

Je note qu’on ne peut tenir la juridiction judiciaire pour seule à même d’assurer la protection des libertés individuelles, la justice administrative œuvrant aussi dans ce sens, parfois même contre le juge judiciaire lui-même – je pense notamment au cas de l’extradition.

Quoi qu’il en soit, l’intérêt majeur de ce rapport, encore une fois, réside dans la prise en compte de tous les facteurs qui affectent ce sujet, à la fois, pourrait-on dire, en amont et en aval.

En premier lieu, le rapport aborde la question du choix et du prononcé de la peine. Le débat, un peu irréel à mes yeux, sur les « peines plancher » a eu lieu : le Conseil constitutionnel s’est clairement prononcé sur l’absence de principe d’automaticité de ces peines, qui viendrait en quelque sorte guider la main du juge, et ce quelle que puisse être la rédaction retenue par le législateur.

Le débat engagé par notre collègue Patrick Devedjian sur la détention provisoire est intéressant. Je ne suis pas loin de penser que nous sommes restés dans un système, d’une certaine manière, de chantage, même si l’intervention du juge des libertés et de la détention est susceptible d’alléger cette pression.

En tout état de cause, le sujet du passage à une procédure accusatoire – en filigrane de l’intervention de Patrick Devedjian – mériterait un débat spécifique. Il faut être conscient qu’introduire la transparence dans la procédure devant le juge reviendrait à opter pour un tel système accusatoire : pour ma part, je suis opposée à un tel système, pour des raisons touchant à l’égalité des droits.

En second lieu, le rapport évoque le fonctionnement de la prison et la vie en prison, en abordant tant la situation des détenus que celle des surveillants. Il faut évidemment promouvoir tout ce qui pourrait permettre de diminuer le niveau de violence, aujourd’hui extrême, dans les prisons, que celle-ci émane des détenus ou d’autres acteurs, par exemple des personnels pénitentiaires, et quelle que soit sa forme – la pratique des chantages est constitutive d’une violence. Pourquoi ne pas recourir à une sorte de conseil des détenus, si celui-ci ne se résume pas à un « conseil des petits chefs » ?

En outre, il convient de développer la formation des surveillants, formation encore trop insuffisante aujourd’hui. L’exemple de l’institution du cahier électronique de liaison – en lieu et place de l’ancien registre – montre bien tout ce qu’il faut aux surveillants de connaissances et de capacités d’appréciation psychologique de l’état des détenus pour mener à bien leur mission.

En dernier lieu, le rapport traite le sujet de la sortie. Les propositions sont excellentes, en particulier en ce qu’elles vont dans le sens d’un renforcement du rôle des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et de la police et de la gendarmerie.

Dans un autre domaine, celui de la prévention, l’institution, par le passé, de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance avait permis d’unir des acteurs multiples au service d’une même cause. Il serait très opportun de procéder de la sorte aujourd’hui, en matière de répression, en réunissant au sein d’une même structure les SPIP, la police, la gendarmerie, les élus, les juges, etc. Ce serait le meilleur outil de contrôle et de suivi possible.

Pour l’ensemble de ces raisons, je remercie beaucoup les rapporteurs et nos collègues de ce travail et de ce débat importants.

M. Matthias Fekl. Je remercie les vice-présidents, président et rapporteurs pour ce rapport. J’ai beaucoup apprécié de pouvoir travailler au sein de cette mission, qui apporte une contribution substantielle au débat sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale – même si certaines propositions méritent d’être encore discutées. Le résultat est à la fois conforme aux ambitions de la mission et équilibré.

Cette semaine, dans le Lot-et-Garonne, nous avons, avec certains autres parlementaires, accompagné Mme la garde des Sceaux à l’occasion de l’installation du nouveau directeur de l’École nationale d’administration pénitentiaire. Tant le discours de la garde des Sceaux que l’accueil réservé par la nouvelle promotion de l’École ont montré l’absence de défiance entre les parties prenantes : bien au contraire, ce sont des messages forts relatifs au rôle de la prison dans notre société qui ont été échangés.

Ce rôle est évidemment pluriel. On peut citer d’abord la sanction, la punition et la répression, auxquelles personne ne s’oppose ici – nous sommes bien conscients de la prégnance de la question de l’insécurité sur notre territoire ; il faut y répondre de manière ferme et efficace.

On peut évoquer aussi la réparation due aux victimes, ainsi que, de manière plus générale, la protection de la société.

Il y a également l’exigence de dignité de la personne humaine : si les détenus sont privés de liberté, ils ne doivent pas en principe être privé de dignité. C’est malheureusement parfois le cas, ce qui a tendance à compliquer leur réinsertion – dernière mission de la prison. Or il est essentiel de bien préparer la sortie de prison, ce que visent à favoriser nombre de propositions du présent rapport.

Je voudrais mentionner, comme l’a fait aussi Patrick Devedjian, le problème de la lenteur de la justice, qui est l’un des maux de notre pays. L’efficacité de la chaîne pénale ne peut pourtant être entière que si cette rapidité est acquise – au moins entendue comme la mise en œuvre de la justice dans des délais raisonnables, loin d’une justice qui serait expéditive. Le vice-président du Conseil d’État Marceau Long disait : « une justice lente est une mauvaise justice ». Aujourd’hui, la lenteur excessive de la justice prive la sanction d’une partie de son efficacité, tant il est vrai que cette sanction doit intervenir sur chaque fait, au moment où elle prend tout son sens pour la personne concernée, à savoir au plus vite.

C’est, au reste, dans ce but que le budget de la justice est aujourd’hui l’un des premiers de la nation. Mais le retard français est substantiel, comme a pu le mettre en évidence, par des comparaisons avec d’autres pays, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice du Conseil de l’Europe.

Enfin, je voudrais dire mon opposition de principe à l’automaticité des peines, car le rôle de la justice doit être d’individualiser celles-ci : elle doit pouvoir être très ferme et répressive lorsque cela est utile, et aussi, au besoin, aménager et adapter une peine s’il en résulte un bienfait pour la société.

Bref, je salue à nouveau, pour conclure, ce rapport équilibré, loin de toute idéologie et marqué par le pragmatisme.

M. François Vannson. Le respect de la dignité humaine est le dénominateur commun qui nous rassemble tous sur le sujet dont nous traitons aujourd’hui. Mais systématiser des peines raccourcies et établir un dispositif de numerus clausus risque, à terme, d’aboutir à une forme de désaveu de la peine et des magistrats qui la prononcent, dès lors que ces derniers sauront, en quelque sorte, avant même le jugement que la peine ne sera pas exécutée. Cela pourrait entraîner un affaiblissement de l’institution judiciaire et cela m’effraie. Je suis d’accord avec la nécessité pour la justice d’individualiser les peines, mais avec un tel mécanisme, c’est à un résultat inverse que l’on finit par arriver !

M. Sergio Coronado. Mes remerciements vont aux rapporteurs ainsi qu’à Patrick Devedjian, qui ont permis d’engager une discussion majeure. La proposition, reprise dans le rapport, de prévoir un débat sur la politique pénale chaque année devant le Parlement devrait, du reste, pouvoir faire consensus. Elle permettrait de sortir des caricatures.

Depuis les années 1970, nous avons tous été confrontés à cette question de l’inflation carcérale.

Or l’expansion du parc pénitentiaire ne constitue pas la seule réponse efficace.

Comme le rappelle le rapport, le président de la commission pénale du Syndicat des avocats de France M. Maxime Cessieux a souligné devant la mission qu’il n’y avait pas de corrélation entre le taux d’incarcération et le degré de sécurité dans une société.

Je voudrais dire l’accord des Écologistes avec le rapporteur sur l’idée de contraventionnaliser un certain nombre de délits.

Par ailleurs, le présent rapport – dont une partie de nos collègues n’ont par définition pu prendre connaissance que ce matin, sans nécessairement pouvoir donc en appréhender tous les contours – propose de dépénaliser plusieurs comportements. Il souligne aussi les effets pervers de certaines infractions – comme le racolage passif ou la mendicité agressive –, sans pour autant proposer leur abrogation. Peut-être aurons-nous l’occasion de le faire bientôt, notamment pour l’abrogation du racolage passif, si un texte dans ce sens fait prochainement l’objet d’une « niche » au Sénat.

Nous sommes d’accord avec la condamnation sans appel des « peines plancher » ainsi qu’avec le constat des effets négatifs de la pratique de la comparution immédiate. Sur ce point, un rapport de la Ligue des droits de l’homme de Toulouse a montré que la durée moyenne des audiences en comparution immédiate était de trente-six minutes et qu’environ deux tiers des peines prononcées étaient des peines de prison fermes.

Si je suis par ailleurs presque totalement en accord avec l’ensemble des autres propositions, j’ai une interrogation sur la proposition n° 45 du rapport, qui vise à la poursuite du programme de construction des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) et à leur évaluation au terme de la première tranche de constructions.

En effet, ces unités accueillent en principe les détenus souffrant de maladies psychiatriques graves. Avant la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, la règle était que les détenus gravement malades étaient placés dans des unités pour malades difficiles, aujourd’hui au nombre de dix. Or le programme de construction de dix-sept UHSA, dont la première tranche devrait s’achever fin 2014, comportera à terme quelque 705 lits me semble-t-il. N’est-il pas risqué d’attendre l’incarcération pour que le malade soit correctement pris en charge ? Ne pensez-vous pas qu’au terme d’une évaluation rigoureuse de la première tranche de neuf constructions, nous devrions nous interroger sur un éventuel basculement de ces unités vers les unités pour malades difficiles ?

M. Marcel Bonnot. Le problème de la surpopulation carcérale n’est pas nouveau. Comme l’a dit, il y a plus de quarante ans, un chef de cour, lors d’une audience de rentrée, « la Justice doit s’efforcer d’apporter une réponse rapide, une peine juste et adaptée ; la peine d’emprisonnement doit être rapidement exécutée et la sortie du détenu doit être préparée ». Il dépeignait là un tableau idéal. Mais cette citation a traversé les décennies et revêt toujours la même acuité.

Les propositions que vous formulez pour parvenir à la maîtrise de la population carcérale comportent à mon sens trop de demi-remèdes, qui risquent d’affaiblir l’impact et l’intérêt que doit avoir l’emprisonnement. Le principe d’une libération conditionnelle automatique ne me laisse pas indifférent, mais mon collègue Philippe Houillon a d’ores et déjà abordé ce sujet. Les propos de mon collègue Alain Tourret sur la comparution immédiate ne manquent pas d’intérêt : l’émotion du moment peut fausser la décision. Mais cette procédure me semble tout à fait moderne et adaptée. Qui plus est, les juges professionnels ont depuis longtemps dépassé le stade de la simple émotion lorsqu’ils rendent des décisions.

En outre, il n’existe pas de « prison trois étoiles ». Je me souviens d’une déclaration d’un ancien Président de la République qui, en substance, était celle-ci : « la privation de liberté est une sanction suffisante en elle-même pour qu’elle ne s’entoure pas de vicissitudes supplémentaires dans les conditions de détention du prisonnier ». Cette observation n’a pris aucune ride.

En ce qui concerne la conduite sous l’empire d’un état alcoolique, la cour d’appel de Besançon avait mis en place, il y a quelques années, une procédure particulièrement innovante : l’autorité administrative renonçait à retirer le permis de conduire du délinquant ; l’autorité judiciaire retenait le permis et imposait des soins et un stage de conduite au condamné, qui se voyait remettre son permis de conduire à l’audience finale. La peine était parfaitement adaptée à une démarche de réhabilitation. Cette procédure, qui portait ses fruits, mobilisait cependant trop de moyens et a donc été abandonnée par la suite. Une réflexion devrait être engagée sur ce sujet.

Enfin, il serait dommage que ce rapport ne trouve pas d’écho auprès de l’exécutif et ne fasse pas l’objet d’une proposition de loi dont nous pourrions discuter.

Mme Pascale Crozon. Je souligne la qualité de ce rapport qui a pour but d’améliorer la qualité de vie et la dignité des personnes incarcérées. Comme l’a signalé notre collègue Sergio Coronado, il faut mener une réflexion approfondie sur la question de la détention des personnes atteintes de troubles psychiatriques.

Je souhaite poser deux questions à nos rapporteurs : combien de femmes sont aujourd’hui incarcérées ? Y a-t-il des problèmes de surpopulation au centre pénitentiaire de Rennes, qui leur est réservé ?

M. Guy Geoffroy. Je voudrais à mon tour saluer le travail de la mission dans son ensemble et de ses deux rapporteurs. Je ne serais pas aussi sévère que certains d’entre vous envers notre collègue Sébastien Huyghe. Les questions que nous abordons sont sérieuses et celle de la privation de liberté ne doit pas être traitée à la légère. Certaines propositions ont leur pertinence. Je formulerais quelques observations sur deux points.

Pour ce qui est de la célérité de la justice, il faut trouver un juste équilibre : d’un côté, la lenteur de la justice constitue un fléau parce qu’elle donne le sentiment qu’il n’y a pas de justice ; de l’autre, une justice expéditive est également à combattre car elle donne l’impression à nos concitoyens que la justice n’est pas adaptée à leurs attentes, qu’ils soient victimes ou auteurs d’actes de délinquance.

Par ailleurs, je regrette que l’on ne se soit pas suffisamment dégagé d’un certain nombre d’a priori. Je reviens sur l’intitulé de la mission, qui constitue un postulat de départ. Il est en effet très connoté de parler de « surpopulation carcérale ». On peut constater qu’il y a aujourd’hui plus de personnes incarcérées que de places de prison disponibles. Ce constat signifie-t-il en lui-même qu’il y a trop de décisions de justice privatives de liberté ou insuffisamment de places disponibles dans les établissements pénitentiaires ? La vérité ne réside-t-elle pas plus simplement entre ces deux affirmations ? Je pense qu’il faut – et cela semble être la tonalité bienvenue de nos réflexions – que nous en finissions avec ces a priori : le « tout carcéral » qui répondrait à la demande irrépressible de sécurité de nos concitoyens ; le « tout non-carcéral » qui serait le fardeau d’une société ne parvenant pas à régler ses dysfonctionnements. Il y a des mesures de privation de liberté qui s’imposent. En revanche, nous n’avons pas suffisamment travaillé à la distinction indispensable entre la privation de liberté préalable à un jugement et la privation de liberté découlant d’une décision de justice. Sous la conduite d’André Vallini et de Philippe Houillon, dans le cadre de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, nous avions beaucoup insisté sur la nécessité d’un meilleur encadrement du placement en détention provisoire.

Je voudrais inviter à une réflexion empreinte à la fois de résolution et de prudence sur le délit de racolage passif et sur les « peines plancher ».

Pour ce qui est du délit de racolage passif, je regrette que l’on évoque cette question dans les toutes premières propositions de votre rapport. On est loin de la question de la surpopulation carcérale. J’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’un règlement de compte qui ne dit pas son nom vis-à-vis des politiques conduites depuis quelques années. Nous sommes nombreux dans cette salle à avoir travaillé sur la question de la prostitution. Relisez les conclusions unanimes de notre rapport : nous avons tous estimé qu’il convenait d’appréhender la question du racolage passif ou actif à l’aune des nouvelles mesures législatives mises en œuvre et de la directive européenne sur les victimes de la traite des êtres humains. Ce serait une erreur de faire de ce sujet l’objet d’un combat emblématique. Le respect des personnes prostituées est tellement essentiel que j’invite à une très grande prudence sur la tentation de simplifier cette problématique et de supprimer, sans plus de réflexion, le délit de racolage passif.

En ce qui concerne les « peines plancher », qui ont été créées par un texte dont je suis fier d’avoir été le rapporteur, nous avons tout entendu en juillet 2007, à commencer par l’idée erronée selon laquelle elles étaient automatiques. La loi prévoit elle-même expressément que ce n’est pas le cas. Le premier bilan – certes assez parcellaire – réalisé avec Christophe Caresche en décembre 2008 a permis de vérifier que les magistrats ne prononçaient ces peines que dans moins d’une affaire sur deux. Ceci montre qu’il y avait matière au prononcé de peines prévues en cas de récidive et que les dispositions de la loi laissaient toute latitude aux magistrats pour ne pas recourir à ces peines en motivant leur décision. Autant il faut se battre pour éviter que la privation de liberté ne devienne la règle, autant il ne faut pas envoyer à nos concitoyens un message qui pourrait être interprété comme le signe d’un laxisme collectif du Parlement vis-à-vis des faits de récidive. La récidive est un vrai sujet et il faut la sanctionner plus efficacement. Cela ne me semble pas constituer un scandale de prévoir dans la loi l’application de sanctions aggravées en cas de récidive, d’autant que le juge peut écarter leur application. Cela me paraît même être une mesure nécessaire à la sécurité de nos concitoyens et décisive pour la crédibilité de notre système judiciaire tout entier.

M. Didier Quentin. Je tiens à mon tour à féliciter nos collègues pour le travail accompli. Mon intervention pourrait se résumer en ces quelques mots : n’oublions pas l’outre-mer ! Il y a des établissements pénitentiaires qui se trouvent dans une situation vraiment déplorable. Pendant dix ans, j’ai été rapporteur des crédits de la mission « Outre-mer » à la commission des Lois. Avec mon collègue René Dosière, nous en avons visité un certain nombre. Je signale qu’il a fallu plus de vingt ans pour réaliser le transfert de la prison de la rue Juliette Dodu à Saint-Denis-de-La Réunion. Je tiens également à attirer tout particulièrement l’attention sur l’état de la prison de Majicavo à Mayotte.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur. Je m’associe aux remerciements de l’ensemble des collègues. Même si nous ne partageons pas forcément les moyens d’y parvenir, nous avons un objectif commun, qui consiste à rendre nos prisons plus humaines et à donner un vrai sens à la peine. Je souhaite répondre à des propos assez durs qui ont été tenus à mon égard par Mme Élisabeth Pochon. Je vous demande d’éviter d’utiliser la méthode qui consiste à disqualifier les propos de l’orateur en sortant un terme et en en faisant une interprétation pour le moins fallacieuse. J’ai dit que la prison avait aussi une fonction neutralisante. Cette fonction existe, parmi beaucoup d’autres. Je vous invite à vous rendre dans certains quartiers pour réaliser à quel point la population respire quand certains caïds sont envoyés en prison. Le fait d’énoncer cette fonction neutralisante ne me paraît pas répréhensible.

Par ailleurs, s’agissant de la question de la dignité évoquée par Alain Tourret, je veux dire en mon nom mais aussi au nom du groupe UMP, que nous avons bien évidemment le principe de dignité des individus à l’esprit et qu’il a d’ailleurs sous-tendu l’ensemble de la réflexion de la mission.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Comme l’a dit Patrick Devedjian, la sous-dotation du budget de la justice est ancienne. La situation actuelle des finances publiques ne permettra probablement pas d’accroître de manière importante les moyens qui lui sont affectés. C’est pourquoi l’approche de la mission a été pragmatique. Même s’il serait préférable, au nom des principes, que le juge correctionnel continue à sanctionner les infractions de délit de conduite en état alcoolique, une sanction administrative émanant du préfet, pour la première infraction, permettrait d’alléger la charge des tribunaux correctionnels.

Si le nombre de places de prison est porté à 63 500, il y en aura 6 000 de plus qu’actuellement. La loi de programmation du printemps 2012 en prévoyait 20 000 de plus, mais leur financement, qui devait consister en versements de loyers d’un montant indéterminé, n’était pas assuré.

Il me semble que la certitude de la sanction est plus dissuasive que sa sévérité. Je crois aussi à la pertinence du proverbe anglais selon lequel la justice doit non seulement être rendue mais aussi qu’elle doit être visible pour le citoyen, ce qui suppose effectivement une certaine rapidité. Il me semble que l’on abuse de la peine de prison justement parce que celle-ci est la seule à être visible.

La proposition de la libération automatique de certains condamnés après l’exécution des deux tiers de leur peine répond à l’urgence qu’il y a à mettre un terme à la situation de surpeuplement des prisons. Elle offre le grand avantage de s’accompagner d’une surveillance de la personne libérée, qui constitue encore une forme de peine.

Je ne suis pas sûr que l’on puisse espérer une forte baisse du nombre de détentions provisoires, car celui-ci a déjà nettement diminué au cours des quinze dernières années. Nous formulons néanmoins des propositions dans ce domaine.

Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il n’existe pas de « prisons trois étoiles », mais seulement des établissements assurant des conditions de détention dignes. En revanche, la mission met l’accent sur la dureté du régime de détention en maison d’arrêt, qui conduit au maintien d’un grand nombre de personnes détenues dans leur cellule pendant plus de vingt heures par jour, alors même que ces personnes sont dans leur grande majorité en détention provisoire ou en train de purger une courte peine.

La question des UHSA renvoie à celle de l’articulation entre l’intervention des services de psychiatrie et celle des services pénitentiaires. Ces unités sont des hôpitaux entourés d’une enceinte pénitentiaire. Il serait préférable que les personnes souffrant de troubles mentaux soient hospitalisées dans des unités pour malades difficiles. Mais les personnes qui sont envoyées en UHSA n’ont pas été déclarées privées de discernement au moment des faits délictueux ou criminels, généralement parce que les psychiatres consultés n’ont pas estimé qu’elles étaient dans ce cas.

Les femmes ne constituent de 3,5 % des personnes détenues, ce qui représente environ 2 300 personnes. La surpopulation est très marginale dans les quartiers ou établissements qui leur sont réservés.

La question de la dépénalisation du racolage passif est en effet délicate, mais c’est un exemple de pénalisation d’un comportement qu’aucune autre solution n’est parvenue à empêcher.

La quasi-totalité des personnes entendues par la mission ont critiqué les « peines plancher ». Elles ont notamment pour effet de compliquer le travail des juges car leur contournement impose une motivation particulière.

Je tiens à vous remercier tous pour l’intérêt et la bonne tenue de ce débat.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Ce n’est pas un débat clos, c’est un débat qui ne fait que commencer. J’ai compris que la publication du rapport faisait la quasi-unanimité.

La Commission autorise ensuite le dépôt du rapport de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale en vue de sa publication.

La séance est levée à 12 heures 30.

Informations relatives à la Commission

La Commission désigne :

—  M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur sur la mise en application de la loi organique et de la loi qui seraient issues de l’adoption définitive du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (n° 630) et du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modifiant le calendrier électoral (n° 631) (M. Pascal Popelin, rapporteur) ;

—  les membres de la mission d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale :

MM. Marcel Bonnot, Gilles Bourdouleix, Mme Colette Capdevielle, MM. Jean-Michel Clément, Hugues Fourage, Daniel Gibbes, Yves Goasdoué, Philippe Houillon, Sébastien Huyghe, Pierre-Yves Le Borgn’, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mmes Elisabeth Pochon, Cécile Untermaier, M. François Vannson ;

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président, a indiqué que le groupe SRC proposerait la candidature de Mme Cécile Untermaier aux fonctions de rapporteure, le groupe UMP proposant celle de M. Marcel Bonnot aux fonctions de co-rapporteur.

—  Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (n° 566).

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, M. Marcel Bonnot, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Carlos Da Silva, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Yann Galut, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Bernard Lesterlin, M. Pierre
Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Barbara Pompili, M. Pascal Popelin, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Daniel Vaillant, M. François Vannson, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - Mme Laurence Dumont, M. Édouard Fritch, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Corinne Narassiguin, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jean-Jacques Urvoas, Mme Marie-Jo Zimmermann

Assistaient également à la réunion. - M. Paul Molac, M. Michel Zumkeller