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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 20 mai 2015

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 68

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Échange de vues sur l’organisation des travaux de la Commission

– Présentation du rapport de la mission d’information sur la prescription en matière pénale (MM. Georges Fenech et Alain Tourret, rapporteurs)

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 h 30

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous indique que la Commission a décidé de se saisir pour avis du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Compte tenu de la date d’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre Assemblée, nous examinerons ce texte mardi 26 mai prochain. Je vous informe que la date limite de dépôt des amendements sur ce texte, qui aurait dû être fixé au jeudi 21 mai en raison du lundi de Pentecôte férié, est reportée au vendredi 22 mai, afin de permettre à chacun de travailler dans des conditions acceptables.

M. Dominique Bussereau. Quel est le calendrier d’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous examinerons très probablement ce texte dans le courant du mois de juin mais je n’en sais pas davantage, pas plus que le rapporteur visiblement.

M. Guillaume Larrivé. Je souhaiterais savoir si le Gouvernement a précisé le calendrier d’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, déposé en juillet 2014 et dont le rapporteur est M. Erwann Binet.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. À ma connaissance, ce calendrier n’est pas précisément arrêté mais le Gouvernement souhaite que ce texte soit voté avant la suspension de fin juillet. Il ne serait donc pas surprenant que cela fasse partie des derniers textes examinés au cours de la session extraordinaire.

*

* *

La Commission examine le rapport de la mission d’information sur la prescription en matière pénale (MM. Georges Fenech et Alain Tourret, rapporteurs).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je cède à présent la parole aux deux rapporteurs de la mission d’information sur la prescription en matière pénale, qui a longuement travaillé et dont les conclusions sont déjà présentées dans un article du Figaro d’aujourd’hui comme « une œuvre d’importance ». L’on avait dit cela de Chateaubriand ; on le dira maintenant de MM. Alain Tourret et Georges Fenech ! (Sourires)

M. Alain Tourret, rapporteur. Monsieur le Président, je voudrais tout d’abord me féliciter du travail que nous avons réalisé avec Georges Fenech. Nous avons beaucoup travaillé, entendu et écouté de nombreuses personnes ; nous avons ainsi pu nous faire notre propre opinion, rédiger ce rapport et formuler les propositions que nous allons vous présenter, avant de nous atteler à la rédaction d’une proposition de loi. Il s’agit d’une méthode fructueuse qui avait déjà fait ses preuves sur la question de la révision des décisions pénales et permis l’adoption, par notre Assemblée, d’une loi à l’unanimité.

Je souhaite qu’il en soit de même sur la réforme de la prescription pénale mais il faut avouer qu’elle ressemble un peu à la « réforme impossible », tant tous ceux qui s’y sont attelés avant nous ont échoué, à commencer par le président Pierre Mazeaud ou le sénateur Jean-Jacques Hyest qui, après avoir en 2007 formulé des propositions de réforme de la prescription civile et de la prescription pénale, n’a pu faire aboutir que celles relatives à la première. Il y a eu aussi, en 2008, le rapport de M. Jean-Marie Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires, qui est resté lettre morte puis, en 2010, l’avant-projet de réforme du code de procédure pénale, qui a également échoué. J’espère que cette fois-ci, nous y parviendrons.

Ce que nous proposons n’est pas, comme l’écrivait Le Figaro ce matin, une « petite révolution pénale » mais une révolution pénale douce, qui essaie de trouver des solutions adaptées aux problèmes soulevés.

Deux formes de prescription affectent, en droit pénal, l’action de la justice. La première, la prescription de l’action publique, est un mode général d’extinction de l’action publique par l’effet de l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de la commission de l’infraction ; elle intervient avant la condamnation définitive. Elle se distingue des autres causes d’extinction de l’action publique mentionnées à l’article 6 du code de procédure pénale. La seconde, la prescription de la peine, met en échec le droit, pour la puissance publique, d’exécuter, à l’expiration d’un certain délai les sanctions définitives prononcées par le juge. Ces deux types de prescription se distinguent également par la durée de leurs délais et, au sein de chacune d’elles, par des délais différents en matière criminelle, délictuelle et contraventionnelle : ce sont donc pas moins de six délais de prescription de droit commun qui existent dans notre droit.

La prescription est une institution séculaire et – puisque nous parlons en ce moment beaucoup du latin – elle serait apparue pour la première fois sous le règne d’Auguste, vers 18 ou 17 avant Jésus-Christ, avec la loi Julia, de adulteriis qui instaura une prescription de cinq ans pour les delicta carnalia – chacun aura reconnu ici notamment l’adultère. Par la suite, les codes romains fixèrent à vingt ou trente ans le délai de prescription de l’action publique et rendirent imprescriptibles les infractions les plus graves, comme le parricide : on a déjà là la distinction entre prescription et imprescriptibilité. C’est Saint Louis qui va installer la prescription dans notre droit avec l’octroi de la Charte d’Aigues-Mortes de 1246 qui, fait notable, posait déjà le principe d’une classification tripartite des délais de prescription. Il y est écrit qu’« on ne pourra pas enquêter après une période de dix ans au sujet d’un crime (…) contre celui qui aura été présent pendant ces dix ans ou la plus grande partie de ces dix ans ; (…) ni au sujet d’un vol après une période de deux ans ; ni au sujet d’une amende non réglée après une période d’un mois ». Cette charte, d’une extraordinaire modernité, montre que l’essentiel des principes du code de procédure pénale – classification par infraction, motif d’interruption – relatifs à la prescription ont été posés dès 1246 !

Les articles 7 et 8 du code de procédure pénale sont simples : ils disposent que la prescription de l’action publique court à partir du moment où le fait est commis. Toutefois, estimant qu’il était insupportable que certaines infractions ne puissent pas être poursuivies, la jurisprudence s’est progressivement écartée de la lettre de ces articles et a multiplié, à partir de 1935, les décisions contra legem en retenant la date de révélation des faits pour point de départ du délai de prescription de l’action publique. Dans le même temps, et cela témoigne de notre totale schizophrénie, nul ne remet véritablement en cause le principe même de la prescription. En effet, à la différence des pays anglo-saxons dans lesquels l’imprescriptibilité est plutôt la règle, la prescription demeure une tradition forte dans notre pays de droit romain, même si un courant de la doctrine défend désormais la généralisation de l’imprescriptibilité en soulignant que ses effets pervers pourraient parfaitement être tempérés ou corrigés par la possibilité laissée au procureur de la République d’entamer ou non les poursuites.

Cette jurisprudence erratique remet en cause la sécurité juridique en faisant courir le délai de prescription de l’action publique de certains délits à partir du moment où ils sont commis – y compris dans la délinquance économique – et d’autres à partir du moment où ils sont révélés. Tous les professionnels du droit ont estimé qu’il n’était plus possible de continuer ainsi et ont reproché au législateur sa frilosité, en l’invitant à se saisir du problème.

Nous-mêmes, législateurs, avons notre part de responsabilité dans le dérèglement du système, car nous avons allongé les délais de prescription de l’action publique et des peines. Nous avons ainsi soumis certains crimes à des délais de prescription de trente années et porté le délai de prescription de l’action publique de certains crimes commis sur mineurs à vingt années. Nous avons également porté à vingt ou dix ans la durée des délais de prescription applicables à certains délits. Peut-on admettre que notre droit soit devenu si peu lisible et insécurisant en raison, d’une part, d’une jurisprudence contra legem en perpétuel renouvellement et, d’autre part, de lois qui modifient incessamment les règles ? Nous ne le pensons pas et c’est la raison pour laquelle nous avons souhaité apporter des réponses à ce double éclatement du droit de la prescription.

Je le disais à l’instant, beaucoup d’autres ont, avant nous, essayé de réfléchir aux modifications nécessaires. Rappelons-nous de la réforme proposée par le président Pierre Mazeaud – chacun se souvient ici de son art du droit et de sa combativité – qui a buté sur la question de la prescription du délit d’abus de biens sociaux, qui, il faut bien le reconnaître, a systématiquement conduit le législateur à renoncer à réformer dans son ensemble le droit de la prescription, souvent sous d’insistantes pressions extérieures. Georges Fenech vous expliquera en quoi la solution que nous avons retenue sur ce sujet nous évitera un tel écueil.

Nous formulons au terme de nos travaux quatorze propositions ayant vocation à être reprises par une proposition de loi qui sera soumise à l’avis du Conseil d’État et, nous l’espérons, rapidement examinée par notre assemblée. Je vais vous en présenter les grandes lignes.

En premier lieu, il nous est apparu que les délais actuels de prescription de l’action publique, respectivement fixés à un an, trois ans et dix ans en matière de contraventions, de délits et de crimes, ne permettaient plus une juste répression des infractions commises. C’est l’avis de toutes les personnes que nous avons entendues et l’enseignement du droit comparé, les délais de prescription instaurés par nos voisins européens étant généralement plus longs que les nôtres. C’est d’ailleurs en raison de la brièveté de nos délais que la Cour de cassation a développé toute sa jurisprudence contra legem.

En conséquence, nous proposons de doubler les délais de prescription de l’action publique et de les porter d’un an à deux ans en matière contraventionnelle, de trois à six ans en matière délictuelle et de dix à vingt ans en matière criminelle. C’est, à notre avis, le seul moyen de ne pas assurer l’impunité des auteurs d’infractions, car, rappelons-le, l’impunité en raison de l’acquisition de la prescription doit demeurer l’exception et chacun doit répondre de ses actes devant les juridictions. Nous suggérons également de procéder à l’unification des délais de prescription de l’action publique et des peines.

Quelles alternatives se présentaient à nous ? D’autres systèmes juridiques sont fondés sur l’imprescriptibilité mais nous n’y sommes pas favorables : l’imprescriptibilité doit être réservée au crime de génocide et aux autres crimes contre l’humanité, sous réserve – j’y reviendrai – d’y ajouter les crimes de guerre. Il nous a également été proposé d’instaurer un délai butoir d’une durée de dix années, courant à compter de la mise en cause de la personne, au terme duquel la procédure judiciaire s’arrêterait définitivement si aucun procès ne s’est tenu. C’est, selon nous, oublier l’intelligence et la malignité juridiques des parties, singulièrement des avocats qui – c’est un avocat qui parle – soulèvent systématiquement de multiples moyens de nullités de procédure, freinant d’autant l’action judiciaire. Je vous laisse imaginer la situation des victimes qui se trouveraient confrontées à une telle situation. Et je rappelle que les affaires dans lesquelles un tel délai serait aujourd’hui dépassé ne manquent pas, à commencer par le procès de l’amiante.

Nos travaux ont été l’occasion de réfléchir aux fondements de la prescription.

La « grande loi de l’oubli », justification traditionnellement avancée à l’existence de la prescription, selon laquelle, au bout d’un certain temps, il ne serait plus normal ni légitime de poursuivre une infraction, a du plomb dans l’aile et n’est plus revendiquée que par de rares personnes.

Mais d’autres fondements conservent leur validité comme la disparition des preuves qui ne sont pas seulement scientifiques mais aussi humaines. Si ce fondement paraît remis en cause par l’irruption des preuves scientifiques, notamment l’ADN, le Syndicat de la magistrature nous a, à juste titre, invités à ne pas en être les esclaves et à tenir compte des conséquences d’un allongement de la durée des délais de prescription de l’action publique sur la fiabilité des témoignages humains. La prescription demeure également la sanction légitime de l’inaction de l’autorité judiciaire tant il paraît inadmissible de laisser la justice n’accomplir aucun acte pendant un certain temps. Comme vous l’expliquera Georges Fenech, nous avons repris l’une des propositions formulées par le procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-Claude Marin, sur ce sujet. Nous devons enfin prendre en considération de nouveaux fondements, inspirés des réflexions européennes et anglo-saxonnes autour des notions de droit au procès équitable et de délais raisonnables.

Pour toutes ces raisons, il nous est apparu nécessaire de maintenir un système de prescription, en faisant en sorte qu’elle ne constitue pas un moyen d’impunité mais qu’elle puisse jouer lorsque l’action publique n’a pas été exercée correctement par ceux qui en ont la charge, c’est-à-dire les magistrats et les enquêteurs.

En deuxième lieu, nous nous sommes également intéressés au régime de la prescription des crimes de guerre, actuellement soumis à des délais de prescription de l’action publique et des peines de trente années. Faut-il rendre ces crimes imprescriptibles au même titre que le crime de génocide et les autres crimes contre l’humanité ?

Notre Commission a déjà débattu de cette question en 2010, lors de la discussion du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, qui a introduit dans notre droit la définition des crimes de guerre et les a soumis à des délais de prescription allongés. J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de la position défendue par le président Jean-Jacques Urvoas, favorable à l’imprescriptibilité des crimes de guerre car il estimait alors qu’un magistrat pourrait poursuivre d’éventuels crimes de guerre prescrits en droit français en invoquant leur imprescriptibilité en application de l’article 29 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998. Cette argumentation nous a convaincus, tout comme celle de M. Bruno Cotte, ancien magistrat à la Cour pénale internationale, qui démontre, dans sa contribution écrite annexée au rapport, que nombre de faits sont susceptibles de recevoir la double qualification de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, les moyens mis en œuvre pour les commettre étant souvent les mêmes. Dès lors, il ne nous semble plus possible de continuer à ignorer plus longtemps l’exigence d’imprescriptibilité posée par la norme internationale. Nous sommes dans l’obligation de mettre notre droit en conformité avec celle-ci, à défaut de quoi le juge le fera à notre place en développant, une nouvelle fois, une jurisprudence contra legem s’appuyant sur la hiérarchie des normes. Nous avons, enfin, été convaincus par la position de madame la garde des Sceaux sur ce sujet lors de son audition.

Vous l’aurez compris, c’est une modification essentielle et sensible de notre droit que nous proposons, qui nous obligera à réfléchir aux modalités d’application dans le temps de ce nouveau cas d’imprescriptibilité et à décider s’il a vocation à s’appliquer aux faits commis à partir de 2010, date à laquelle les crimes de guerre ont été introduits en droit français.

En troisième et dernier lieu, nous proposons de revenir sur la disposition relative au report du point de départ du délai de prescription de l’action publique lorsque la victime est une personne vulnérable. Introduite à l’article 8 du code de procédure pénale en 2011, elle permet de différer le cours de la prescription aussi longtemps que la victime de l’infraction est soumise à un état de vulnérabilité. Peut-on vraiment considérer que l’« état de grossesse » d’une femme enceinte constitue un motif de vulnérabilité ? Aussi stupide que cela puisse paraître, le législateur l’a fait. Est également visée la personne vulnérable « du fait de son âge » : mais comment peut-on se guérir de l’âge alors qu’on vieillit un peu plus tous les jours ? Cela figure pourtant dans notre code ! Le même constat s’impose pour les personnes privées de leur libre arbitre et placées dans l’incapacité de se rendre compte qu’elles ont été victimes d’une infraction : cela reviendrait à confier à la victime le soin de déterminer par elle-même le point de départ du délai de prescription. Cela nous semble intolérable. L’abrogation de cette disposition est, à notre avis, une solution sage, au surplus souhaitée par tous les magistrats entendus qui avaient unanimement manifesté leur incompréhension au moment de son adoption.

En revanche, nous souhaitons que, s’agissant des mineurs, le délai de prescription de l’action publique des infractions commises à leur encontre continue de courir seulement à compter de leur majorité, comme le prévoit déjà notre code de procédure pénale.

Je cède à présent la parole à mon collègue Georges Fenech qui va vous présenter nos autres propositions.

M. Georges Fenech, rapporteur. Monsieur le Président, mes chers collègues, vous nous avez confié à Alain Tourret, membre de la majorité, et moi-même, membre de l’opposition, cette mission d’information sur la prescription en matière pénale. Nous ne dirons ni l’un ni l’autre qu’il s’agit d’une œuvre mais d’un défi à relever, qui suppose de parcourir encore un long chemin pour parvenir à un texte équilibré, satisfaisant et protecteur à la fois de la société et du justiciable. Nous avons travaillé comme nous l’avions fait précédemment lors de la mission sur la révision des décisions pénales, dans un esprit qui transcende les clivages politiques. Il ne s’agit d’ailleurs pas, à proprement parler, de politique pénale, sur laquelle nous avons l’occasion de nous confronter, mais de philosophie d’une justice qui se veut admise universellement, de quelque côté que nous nous trouvions.

Notre société moderne, à l’heure de l’internet ou de la mondialisation, fait prévaloir la mémoire sur l’oubli, contrairement à l’époque napoléonienne, quand l’espérance de vie ne dépassait guère les quarante-cinq ans, quand la police scientifique n’existait pas encore, quand enfin la religion du juge ne reposait le plus souvent que sur les témoignages. Les formidables progrès de la preuve, notamment par ADN, ont relégué aux oubliettes l’un des fondements de cette trop courte durée de la prescription, celui du dépérissement des preuves. Le premier président de la Cour de cassation, M. Bertrand Louvel, nous faisait ainsi remarquer que des égyptologues venaient d’identifier, 3000 ans après sa mort, le meurtrier de Ramsès III !

Que valent en conséquence aujourd’hui les fondements liés au dépérissement des preuves et à la faillibilité des témoignages pour justifier une prescription de dix ans en matière criminelle et de trois ans en matière délictuelle ? D’ailleurs, reconnaissons que l’opinion publique n’accepte plus que certains crimes puissent rester impunis. Il suffit de penser à l’affaire des disparues de l’Yonne, en réalité prescrite et dans laquelle il a fallu utiliser un subterfuge juridique pour éviter la prescription et considérer qu’un simple soit-transmis du parquet adressé à la DDASS (direction départementale des affaires sanitaires et sociales) l’avait interrompue, et permettre ainsi de poursuivre leur auteur, Émile Louis.

C’est pourquoi les règles édictées par les articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale sont devenues obsolètes et infondées. Tant le législateur que le juge se sont efforcés, au fil du temps, d’en limiter la portée, voire de les contourner. À telle enseigne que les systèmes multiples de prescription sont devenus incohérents, illisibles et sources d’une insécurité juridique préjudiciable tant à la société, qu’à l’auteur et à la victime.

Je ne reviendrai pas sur les points qu’à excellemment développés Alain Tourret, notamment en ce qui concerne l’allongement des délais de la prescription de l’action publique et l’imprescriptibilité des crimes de guerre qui nous permettra de nous mettre en conformité avec nos engagements internationaux. Je m’attacherai pour ma part à vous exposer deux autres propositions essentielles, issues de nos quarante auditions de personnalités du monde judiciaire et associatif.

Il s’agit, premièrement, de la consécration législative de la jurisprudence relative aux modalités de computation des délais de prescription de l’action publique des infractions occultes et dissimulées, ou lorsqu’un obstacle rend impossible l’exercice des poursuites en application de la règle romaine contra non valentem agere non currit praescriptio, selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir. Cette seconde règle a dernièrement fait l’objet d’une application très commentée à l’occasion d’un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 novembre 2014 portant sur une affaire d’octuple infanticide, commis par une mère dont l’état d’obésité chronique avait masqué les différentes grossesses et constituait, selon la plus haute juridiction, un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites.

Mais vous l’aurez compris, la modification des règles de computation des délais de prescription de l’action publique concerne beaucoup plus fréquemment les délits occultes ou dissimulés, notamment en matière économique et financière, ceux-là mêmes sur lesquels les précédentes tentatives de mise en cohérence du droit de la prescription ont échoué. Sans doute est-ce là l’un des points les plus sensibles, politiquement, de nos propositions et qui est à l’origine des échecs précédents.

Le principe légal est, rappelons-le, que le point de départ de la prescription est celui du moment de la commission des faits. Mais face à la complexité et à la clandestinité de certaines infractions dites astucieuses, tels que l’abus de biens sociaux ou la grande corruption internationale, qui se jouent des frontières, qui sont commises dans la plus grande opacité par de simples jeux d’écritures ou par la fabrication de faux très difficiles à déceler, cette jurisprudence dite de la « révélation » nous apparaît nécessaire et mérite d’être enfin consacrée par le législateur.

Prenons l’hypothèse, telle que nous l’a notamment expliquée le juge émérite du pôle financier, M. Renaud Van Ruymbeke, de malversations à partir de comptes offshore. Bien souvent les faits remontent à plus de trois ans et ne se révèlent que bien plus tard, en raison de législations étrangères très protectrices du secret bancaire. Si effectivement la prescription est interrompue par des actes interruptifs, encore faut-il que l’enquête ait commencé moins de trois ans après la commission des faits, ce qui se révèle pratiquement être une hypothèse d’école dès lors qu’ils se commettent dans les paradis fiscaux.

Il est un fait qu’en vous proposant de consacrer par la loi la jurisprudence sur les faits occultes ou dissimulés, nous nous inscrivons à contre-courant de plusieurs tentatives de réforme précédentes – celle de la commission dite « Coulon » portant sur la dépénalisation de la vie des affaires ou celle de l’avant-projet de réforme du code de procédure pénale de 2010 – qui suggéraient de retenir toujours la date de commission des faits comme point de départ de la prescription avec, en contrepartie, un allongement du délai de prescription. Nous pensons que de telles dispositions auraient conduit à un affaiblissement de la lutte contre la grande délinquance économique et financière et je suis convaincu que nul ici ne le souhaite. Face à la difficulté de traquer la délinquance qui occasionne un trouble grave et durable à l’ordre public et économique, les juges ont développé, pour l’abus de bien social, la théorie dite de la « dissimulation » à partir d’un arrêt du 7 décembre 1967, afin de retarder le point de départ de la prescription au jour où l’infraction a pu être décelée. De même, dans un arrêt de principe du 10 août 1981, la chambre criminelle a énoncé que le point de départ de la prescription triennale est fixé « au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ». Plus récemment, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 19 mars 2008, que le délai de prescription en matière de trafic d’influence ne commençait à courir, en cas de dissimulation, qu’à partir du jour ou l’infraction a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites. La même solution a été retenue le 6 mai 2009 dans une affaire de corruption et d’abus de confiance, le 27 juin 2001 dans une affaire de favoritisme et le 18 juin 2002 à l’occasion d’une affaire de détournement de fonds publics.

C’est cette jurisprudence que nous vous proposons de consacrer dans la loi en édictant que le point de départ de la prescription ne court qu’à compter de la date à laquelle les faits ont pu être constatés dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Nous nous inscrivons dans la continuité des propositions qu’avait formulées, le 20 juin 2007, la mission d’information du Sénat conduite par MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung. Nous considérons en effet, à la suite de l’avis exprimé le 16 avril 2010 par la Cour de cassation, que revenir sur la jurisprudence de la révélation serait « contraire aux impératifs de lutte contre la grande délinquance ».

Nous pouvons imaginer cependant que quelques esprits chagrins – qui ne sont pas ici bien entendu – puissent objecter la disproportion qu’il y aurait à vouloir rendre quasiment imprescriptibles certains délits occultes ou dissimulés, à l’instar des crimes contre l’humanité, bien plus graves. C’est un point de vue purement caricatural. Ainsi dans les pays de common law qui ne connaissent pas la prescription comme principe général, les poursuites sont de fait abandonnées lorsque le temps écoulé a effacé les preuves ou fait disparaître tout trouble à l’ordre public. Rappelons, dans le même ordre d’idées, que notre système judiciaire repose sur le principe de l’opportunité et non de la légalité des poursuites, ce qui permet de réguler l’action publique en lui conservant tout son sens.

Enfin, avec cette consécration législative, nous renforcerions la sécurité juridique. En effet, d’une part, les justiciables tentés de commettre ces infractions astucieuses seront préalablement avertis des risques encourus et, d’autre part, une définition légale de la notion de dissimulation délimitera plus précisément le champ des infractions concernées par ce report du point de départ de la prescription, qu’il appartiendra bien entendu ensuite à la jurisprudence d’appliquer.

La seconde et dernière proposition que je veux évoquer et que nous soumettons à votre examen, et sur laquelle je voudrais insister, est celle, très novatrice, de la sanction de l’inaction judiciaire. Elle découle en réalité des précédentes propositions sur le report du point de départ de la prescription et l’allongement des délais. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un nouveau cas de prescription mais plutôt d’extinction de l’action publique en raison de l’inaction de l’autorité judiciaire. Nous ne souhaitons pas que, par le jeu cumulé du doublement des délais de prescription de l’action publique, du report du point de départ de la prescription et de l’effacement rétroactif total du temps de prescription déjà écoulé par l’accomplissement d’un acte interruptif, l’on aboutisse à l’avènement d’une forme d’imprescriptibilité de fait. Il n’est en outre pas tolérable, comme nous l’a fait remarquer M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, qu’aucun acte d’investigation ne soit accompli durant trois ans à partir de la mise en mouvement de l’action publique.

Ainsi, dans l’hypothèse de l’ouverture d’une enquête ou d’une instruction judiciaire contre personne dénommée, l’action publique se trouverait éteinte si aucun acte n’intervenait pendant un délai de trois ans à compter du dernier acte interruptif de prescription. Il s’agit, vous l’aurez compris, de sanctionner l’inaction judiciaire pendant une durée incompatible avec l’exigence européenne sur le délai raisonnable et d’éviter une forme d’imprescriptibilité de fait. Il appartiendra dès lors aux acteurs du procès pénal de veiller à l’ininterruption du cours de l’enquête et de l’instruction, exigence qu’est en droit d’attendre tout justiciable.

Voilà, mes chers collègues, les points essentiels sur lesquels je souhaitais revenir. Nous vous proposons donc d’approuver ce rapport, prélude à une prochaine réforme d’envergure qui ambitionne de rendre cohérent, harmonieux et moderne notre régime de prescription pénale, tout en améliorant la prévisibilité juridique pour l’ensemble des justiciables. C’est aussi cela la justice du XXIème siècle.

M. Alain Tourret, rapporteur. J’appelle enfin votre attention sur notre proposition n° 14 qui vise à « inscrire à l’article préliminaire du code de procédure pénale le principe de l’interprétation stricte de ses dispositions » car autant nous pouvons admettre un certain nombre d’interprétations par le juge, autant celles-ci doivent demeurer d’ampleur limitée. Cet élément essentiel doit être rappelé par la loi aux magistrats.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. À l’occasion de la création de la mission d’information, nous lui avions assigné l’objectif d’une reconquête de ses prérogatives par le législateur pour sortir de la situation de brouillard que vous avez décrite. Les propositions formulées ont le mérite de la clarté. Nous aurons l’occasion d’approfondir leur présentation en consultant le volumineux rapport qui les accompagne.

M. Philippe Gosselin. Je tiens à saluer le travail de nos collègues : leur exposé très riche témoigne de la bonne entente qui a présidé à leurs travaux. Mais le sujet de la prescription en matière pénale a tout du « serpent de mer » ; il y a de nombreuses années que l’on s’interroge sur le droit à l’oubli. Évoquer cette question nous fait aller d’Auguste à la Révolution française en passant par Saint Louis, comme vous l’avez rappelé. Les règles de prescription sont aujourd’hui peu lisibles et difficiles à appréhender, ce qui est sans doute à mettre au débit du législateur. L’interprétation qu’en font les juridictions et la notion d’ordre public ont également profondément changé.

Nous ne devons pas non plus négliger les évolutions paradoxales de la société : alors qu’internet et les réseaux sociaux voient l’individu revendiquer un droit à l’oubli, la société le récuse collectivement dans la sphère publique. Le phénomène n’est sans doute pas nouveau, mais il connaît une accélération ces dernières années. Sans doute est-ce une conséquence de la considération plus importante dont bénéficient les victimes, ce dont nous devons nous féliciter, mais qui a pour effet d’estomper l’intérêt de la société devant celui de la victime. J’y vois aussi une suite logique de l’idée instillée par certaines séries télévisées américaines, dont il ne faut pas sous-estimer l’impact, qui mettent en scène des enquêtes résolues par la police scientifique laissant penser – dans un droit bien différent du nôtre – que toutes les affaires peuvent être éclaircies, même cinquante ans après les faits.

Malgré ces évolutions, je crois qu’il faut rappeler tout l’intérêt de ce « pardon légal » dont l’abandon serait tout à fait regrettable. Nous ne sommes pas un pays de common law. Pour ma part, je revendique ce droit continental de la prescription, issu de notre histoire et qui façonne en partie notre société. Quelles que soient les accélérations de la vie moderne et la nouvelle place dévolue aux victimes, le trouble suscité par une infraction s’apaise avec le temps. Comme l’ont indiqué nos rapporteurs, le progrès technique n’efface pas complètement la question de la détérioration des preuves et de l’altération des témoignages par l’âge ou par la maladie.

Vos propositions sont, à cette aune, réellement intéressantes. Vous recommandez de conserver le principe d’une prescription, ce que je soutiens, tout en aménageant les durées et le dies a quo. Cette évolution attendue pourrait peut-être éviter, à l’instance, quelques arguties et autres recherches d’éléments en nullité parfois peu convaincantes, même si le succès légal est parfois au rendez-vous. Cette orientation nécessitera une transcription législative que vous saurez, j’en suis sûr, mener à bien.

Je m’interroge sur votre suggestion relative aux crimes de guerre, qui sont par définition insoutenables. Le droit actuel les distingue, en prévoyant leur prescription, des crimes contre l’humanité qui sont imprescriptibles. Aussi le rapprochement des deux régimes me laisse-t-il perplexe : ne risque-t-on pas de banaliser, de donner à penser que tout se vaut et qu’il n’y a pas de gradation entre crimes de guerre et crimes contre l’humanité – ce qui est peut-être, d’ailleurs, une position intellectuellement soutenable ? Une modification de la définition des crimes de guerre n’en résulterait-elle pas nécessairement ? Ce sont des interrogations dont j’ignore les réponses.

En revanche, je m’inscris en faux contre la recommandation d’une modification rétroactive du régime de la prescription. La loi pénale plus rigoureuse ne dispose que pour l’avenir ; c’est un principe intangible. Envisager une application de nouveaux délais à partir de 2010 me semble délicat et même franchement inconstitutionnel. Nous pouvons discuter de l’application future, mais ne touchons pas au passé !

Je veux conclure en rappelant la très grande qualité de ces travaux qui, sans doute, pourront recueillir un très large soutien dans notre Assemblée et dans notre Commission. Plus qu’une base, c’est une première pierre sur laquelle nous pourrons construire efficacement.

M. Philippe Houillon. Je voudrais rebondir avant toute chose sur le propos du rapporteur Alain Tourret, qui a mentionné l’importance de Saint Louis dans l’histoire de la prescription en France. Ce Roi avait sa résidence habituelle à Pontoise et je m’en félicite. (Sourires)

À titre liminaire, je tiens à rappeler que s’il y a des exceptions de nullité qu’invoquent des avocats, c’est parce que le législateur a estimé que le respect de certaines règles était fondamental pour garantir les libertés publiques et les droits de la défense. Ce ne sont donc pas des arguties. D’ailleurs, pour ces mêmes raisons et cette fois comme Philippe Gosselin, j’imagine mal qu’une loi pénale moins favorable puisse être rétroactive : chacun sait que ce n’est pas possible.

Le travail qui nous est présenté ce matin est d’excellente qualité. Je suis plutôt favorable à la consécration législative de la jurisprudence classique sur la prescription des infractions occultes, à savoir retenir le jour de leur découverte comme point de départ du délai de prescription. Je note d’ailleurs, ce qui n’est sans doute qu’une imperfection rédactionnelle, que cette suggestion entre en contradiction avec votre recommandation générale selon laquelle le dies a quo devrait toujours être le jour de l’infraction.

Je ne suis pas défavorable à un allongement du délai de prescription de l’action publique en matière criminelle. C’est le point qui me semble le plus réclamé pour la société, encore que votre rapport d’information soit précisément présenté au moment où, à Rennes, se déroule un procès d’Outreau dix années après l’acquittement, alors même que le Président de la République et le garde des Sceaux ont présenté leurs excuses et que l’État a versé une indemnisation à la personne qui comparaît maintenant devant la cour d’assises des mineurs. Or ce procès se tient à la limite de la prescription, qui devait intervenir en fin d’année… Rien n’est simple sur des sujets compliqués ; c’est sans doute la raison pour laquelle il est si délicat de les réformer.

Vous avez semblé opposer le droit à la mémoire et le droit à l’oubli. Chacune des deux thèses pourrait être soutenue par de très bons arguments. Mais je crois que nous devons nous intéresser à ce qui constituerait une justice moderne. Est-ce une justice qui intervient vingt ans après les faits ? J’en doute. Je pense qu’il n’est pas utile de doubler le délai de prescription des contraventions, fussent-elles de cinquième classe, alors même que l’institution peine à traiter l’ensemble des dossiers qui lui sont confiés. Ce doublement est-il pertinent en matière délictuelle ? Je n’en suis pas convaincu non plus. Juger vingt ans après des dossiers délictuels n’a pas grand sens. Certes, certaines affaires sont plus lourdes que d’autres, mais la science tend à mettre à la disposition des magistrats des preuves solides plus rapidement que par le passé… D’ailleurs, je signale que l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale se trouve aussi à Pontoise. (Sourires)

Enfin, les rapporteurs proposent une prescription automatique en cas d’inaction de l’autorité judiciaire dans une affaire ouverte depuis plus de trois ans. C’est un premier pas pour lutter contre les procédures qui s’éternisent, même si un même délai ne devrait pas s’appliquer à tous les dossiers, certains demandant plus de temps que d’autres. Néanmoins, dans la mesure où n’importe quel acte interruptif fait repartir pour trois ans le délai de prescription, je crains que l’évolution ne soit vaine, surtout quand vous indiquez dans votre rapport que ces actes interruptifs seront plus nombreux. Il est donc probable que cette bonne réponse ne suffira pas concrètement à résoudre le problème identifié.

J’en termine en insistant sur le fait que les victimes doivent recevoir toute la considération qui leur est due, mais qu’elles disposent toujours de l’action civile pour l’indemnisation d’un préjudice causé par une faute pénale pour laquelle la prescription pénale serait acquise.

M. Dominique Raimbourg. Je félicite tout d’abord les rapporteurs pour le travail fourni et la méthode employée. On en voit les résultats par le consensus qu’ils suscitent, mais aussi par le compromis auquel ils permettent de parvenir entre les nécessités de la répression et le droit à l’oubli. Ce rapport est une base prometteuse.

De plus, les propositions des rapporteurs sont nécessaires. La jurisprudence essaie aujourd’hui d’allonger des prescriptions trop courtes et l’opinion publique est sensible à la possibilité de poursuivre les infractions découvertes tardivement. Il faut un cadre législatif pour améliorer la sécurité juridique. Cependant, c’est plus la question du fonctionnement et de la lenteur de la justice que celle de l’allongement de la prescription qui est posée par ce rapport. L’allongement de la prescription permet des poursuites à retardement, mais il ne faut pas admettre qu’elles puissent être trop tardives.

J’ai été convaincu par l’argumentation de Georges Fenech sur l’inaction judiciaire. Dans un premier temps, j’ai cru que cette proposition était contradictoire avec l’ensemble des autres recommandations. Mais j’ai compris par la suite que la sanction de l’inaction judiciaire au bout de trois ans ne s’appliquerait que lors de poursuites contre une personne dénommée. Par conséquent, il s’agirait de sanctionner l’absence absolue d’actes de procédure pendant trois ans, ce qui paraît être un délai tout à fait raisonnable.

Enfin, je suis, moi aussi, perplexe quant à l’application de la loi dans le temps : je ne crois pas qu’elle puisse être rétroactive. Il m’a semblé que les rapporteurs évoquaient une application à compter de 2010 et je souhaite des éclaircissements sur ce point.

M. Gilbert Collard. Je voudrais commencer par une observation de géographie historique : il ne faudrait pas ne parler que de Pontoise, c’est à Aigues-Mortes que la prescription est née, ville dont j’ai l’honneur d’être le député. (Sourires) Sur le fond, je trouve le travail remarquable et nécessaire : il ouvre le champ à une critique très constructive.

Toutefois, il y a un fondement de la prescription étrangement absent de l’argumentaire des rapporteurs. On croit être moderne, et on en revient finalement à Beccaria qui, dans son Traité, a rappelé que la prescription existait non pas en raison de l’oubli mais parce que le temps qui passe pouvait transformer l’homme. Le criminel poursuivi quinze années après les faits peut ne plus être l’homme du crime. Cicéron l’a également relevé dans nombre de ses plaidoyers. Il faut donc garder à l’esprit que le temps qui s’écoule peut, si la prescription ne l’interrompt pas, nous amener à juger un homme qui n’est plus le même.

Je considère que l’ensemble des propositions des rapporteurs est recevable sur le plan criminel. Sur le plan délictuel, il y a des éléments à discuter. Sur le plan contraventionnel, en revanche, je pense qu’il faut cesser de persécuter les petites gens pour de petites infractions.

Plus généralement, je crains qu’il y ait un danger à l’allongement de la prescription : l’allongement des lenteurs de la justice. Quand on sait la durée des affaires et le poids des procédures judiciaires sur un homme victime ou poursuivi, on peut redouter de donner aux juges une sécurité absolue et la garantie de pouvoir tranquillement s’endormir sur les dossiers. Le sujet, qui ne souffre pas la polémique, mérite d’être débattu.

Par ailleurs, je voudrais savoir si, dans les crimes de guerre que vous rendez imprescriptibles, vous incluez le terrorisme. Le terrorisme doit être imprescriptible, car on sait que, par l’effet des évasions transfrontalières, des terroristes sont parfois retrouvés dix ou quinze ans après les faits. Il faut affirmer que le terrorisme, c’est la guerre, et le faire entrer dans la notion de crime de guerre.

Je suis surpris de la solution que vous préconisez pour les infractions commises à l’encontre de personnes qui n’ont plus leur libre arbitre. Sans libre arbitre, l’individu est un fantôme dans un procès, un fantôme dans son drame. Il est un peu comme le personnage de Goya : il crie mais on ne l’entend pas. J’ai connu personnellement des personnes qui se trouvaient dans cette situation. Il n’est pas possible de les priver, quand elles retrouvent leurs facultés, du droit d’ester en justice. Il faut donc prévoir la possibilité de ne prescrire les infractions commises à leur encontre qu’à partir du moment où elles ont recouvré leur libre arbitre. Je vous demande d’y réfléchir.

Quant à la théorie, presque ecclésiale, de la révélation – il est vrai que notre rapporteur est un spécialiste du droit canonique –, je considère que c’est une jurisprudence pour les maîtres-chanteurs. Elle a son utilité mais peut être très dangereuse. Dans une vie sociale, elle constitue un élément de chantage et de vengeance, souvent utilisé dans les divorces : faire partir la prescription pénale de la révélation des faits me paraît un risque trop grand.

Enfin, j’estime que vous ne prenez pas suffisamment en compte l’honneur et la considération. Pourquoi ne pas rallonger la prescription en matière de diffamation ? Un individu diffamé ne peut agir en trois mois ! Il faut tout de même savoir que, même si la procédure dure pendant un an, l’avocat doit conclure tous les trois mois pour éviter la prescription de l’affaire. Il faut avoir le courage de dire que la presse n’a pas tous les pouvoirs, ni les diffamateurs tous les droits. Lorsqu’un individu se prend une bordée de diffamations et d’injures, il n’a pas le temps de réagir dans un délai si bref. Victime de diffamation, il faut d’abord se remettre avant de pouvoir agir, trouver un avocat et faire l’assignation en justice : or, en trois mois, c’est impossible. L’honneur et la considération méritent donc aussi un rallongement des délais de prescription.

Je suis également contre la rétroactivité de la loi, quelle qu’elle soit. Aucune loi ne devrait rétroagir, mis à part le cas de la rétroactivité in mitius. Car la rétroactivité, c’est l’insécurité totale et le manque de publication, qui ne peuvent être acceptées dans un État de droit humaniste.

M. Patrick Devedjian. Beaucoup de choses ont déjà été dites et je voudrais à mon tour féliciter les rapporteurs pour leur excellent travail et pour l’analyse saisissante du sujet. J’adhère à la prudence exprimée par Alain Tourret qui nous a rappelé que toutes les tentatives de réforme précédentes avaient échoué, ce qui montre la complexité du sujet. Pourtant, la remise en ordre est indispensable et elle est inséparable de la durée des procédures, notamment en matière financière dans laquelle la question de la prescription est particulièrement aiguë. Il y a des procédures pénales qui durent vingt ans. J’ai connaissance d’une procédure dans les Hauts-de-Seine pour laquelle l’instruction a duré quinze ans et qui vient seulement d’être présentée aux juges, ce qui n’a plus beaucoup de sens. Or l’allongement de la prescription risque inévitablement de conduire à l’allongement des procédures, en encombrant encore davantage les cabinets des juges d’instruction – à Paris, certains cabinets traitent 200 à 300 dossiers.

Par ailleurs, je ne suis pas convaincu par la proposition n° 13 relative à la « prescription-sanction » lorsque les poursuites sont engagées à l’encontre d’une ou de plusieurs personnes nommément désignées, car j’ai peur que vous ne généralisiez ainsi l’ouverture de procédures contre X plutôt que contre des personnes nommément désignées.

En revanche, je suis tout à fait d’accord avec l’imprescriptibilité des crimes de guerre : les crimes contre l’humanité se commettent généralement pendant les guerres et les crimes de guerre sont connexes aux premiers et doivent être rendus eux aussi imprescriptibles. Néanmoins, j’estime que l’on ne peut pas prévoir dans la même réforme l’imprescriptibilité des crimes de guerre et le doublement du délai de prescription de l’action publique des contraventions car les deux propositions ne se situent vraiment pas sur le même plan.

De plus, n’y a-t-il pas une contradiction entre la proposition n° 7, qui réaffirme la règle selon laquelle le point de départ du délai de prescription de l’action publique est fixé au jour de la commission de l’infraction, « quel que soit celui de sa constatation », et la proposition n° 10, qui vise à donner un fondement législatif à la jurisprudence relative au report du point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions occultes ou dissimulées ?

M. Alain Tourret, rapporteur. Il s’agit d’un principe et de l’exception mais je vous l’accorde, il conviendra d’améliorer la rédaction de la proposition n° 7.

M. Patrick Devedjian. Probablement. En outre, je ne crois pas à la proposition n° 14 qui vise à inscrire à l’article préliminaire du code de procédure pénale le principe de l’interprétation stricte de ses dispositions. C’est un vœu pieux : cela n’est jamais arrivé et n’arrivera jamais.

Je partage les propos de mes collègues sur la rétroactivité des nouvelles dispositions mais je suis convaincu que nous nous sommes mal compris.

Je pense également, comme d’autres ici, que la prescription de trois mois en cas de diffamation par voie de presse ou, pire encore, par l’intermédiaire d’internet pose un problème majeur car le citoyen est tout à fait démuni s’il fait l’objet d’une campagne de dénigrement sur un site sans le savoir et qu’il s’en rend compte au-delà du délai de trois mois. Or, je le sais, certains services secrets étrangers participent à la déstabilisation de personnes par ce moyen-là. Ne pas légiférer sur cette question est donc, selon moi, extrêmement dangereux.

Enfin, il me semble important de souligner que la jurisprudence relative au délit d’abus de bien social, créée à l’origine pour répondre à l’affaire Stavisky, a rendu cette infraction, de fait, imprescriptible, au même titre que le crime contre l’humanité. Elle est désormais utilisée par les actionnaires d’une société comme moyen de pression sur des rivaux pour prendre le contrôle de l’entreprise. Or il me semble que le législateur ne devrait pas graver dans le marbre cette forme d’imprescriptibilité.

Pour conclure, je m’inquiète de l’ampleur du projet de réforme que vous proposez compte tenu de la complexité de chacune des questions posées, même si je salue votre initiative. Personnellement, je pense qu’il vaudrait mieux procéder par étapes.

M. François Vannson. Je veux saluer l’excellent travail de nos rapporteurs et les en remercier. Je partage les inquiétudes de mes collègues Gilbert Collard et Patrick Devedjian s’agissant de la prescription de trois mois en cas de diffamation, compte tenu de tous les nouveaux outils technologiques mis à la disposition des auteurs de tels actes. Ce délai de prescription est beaucoup trop court pour permettre aux personnes attaquées de se défendre, et ce d’autant plus qu’il faut parfois solliciter des opérateurs de télécommunications à l’étranger, et que ces derniers ne donnent généralement pas suite aux sollicitations de la justice. Je souhaiterais enfin savoir dans quel délai vos propositions pourront trouver une traduction législative ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Au nom de la Commission, je souhaite remercier les rapporteurs. L’œuvre était délicate. Vous vous êtes lancés dans un défi dans lequel il n’était pas certain de trouver une heureuse issue. Ce me semble être le cas, car la prescription est à l’image du travail que vous avez fait. C’est une recherche de l’équilibre entre l’effectivité de la peine et le souhait qu’a la société d’être certaine d’être défendue, entre la proportionnalité et le sens éducatif de la peine et la prévention de la récidive. Vous savez ce que disait Cicéron sur les affaires délicates : en substance, « les dossiers sensibles se traitent par l’autorité, l’accumulation de bons avis et la prudence ». Je constate que vous avez réuni ces trois qualités, si j’en juge notamment par la qualité des contributions écrites annexées à votre rapport.

La question qui se pose désormais est celle de savoir si l’autorité judiciaire saura répondre efficacement à une telle réforme. S’il n’y a pas les moyens, s’il n’y a pas de questionnement sur les critères de l’engagement des poursuites ou non, s’il n’y a pas de temps, il sera très difficile pour elle d’y parvenir.

En tous cas, si vous élaborez une proposition de loi, la Commission demandera au Président de l’Assemblée nationale, pour la première fois depuis le début de la législature, de saisir le Conseil d’État pour obtenir un avis éclairé sur ces questions sensibles et complexes.

M. Alain Tourret, rapporteur. Nous allons rédiger dans les semaines qui viennent une proposition de loi. Nous aurons des échanges avec la Chancellerie ainsi qu’avec le parquet général et la première présidence de la Cour de cassation – cela me semble très important. Nous souhaitons aller vite. Notre président saisira ensuite le Président de l’Assemblée nationale afin que le Conseil d’État examine la proposition de loi, tant la matière est importante. Cela nous aidera. Vous nous avez couverts de fleurs mais ce sont les enterrements où l’on est couvert de fleurs. (Sourires) Je me méfie beaucoup d’une telle « floraison ».

Je voudrais répondre à plusieurs observations.

S’agissant d’abord des crimes de guerre, on voit bien que c’est une question très importante. J’ai fait référence à l’année 2010 car c’est à compter de l’adoption de la loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale que la notion de crime de guerre a été introduite dans notre droit. Sur l’application de la loi dans le temps, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai jamais dit que la disposition serait d’application immédiate car je suis en faveur de la solution inverse. Il faut simplement bien vérifier quel est l’état de la jurisprudence en droit international et quelles sont les obligations internationales de la France en la matière.

Je voudrais dire un mot des nullités en droit pénal. Pourquoi certaines affaires sont-elles si longues à juger ? C’est à cause des nullités. Lorsqu’une instruction paraît être terminée, le juge d’instruction propose aux avocats, en application de l’article 175 du code de procédure pénale, de faire leurs observations dans le délai d’un mois avant que le procureur de la République ne prenne ses réquisitions. Or, que se passe-t-il ? Une dizaine de moyens de nullité est toujours soulevée au dernier moment, souvent le dernier jour. Les avocats spécialisés ne le sont pas pour rien. Il ne faut pas tout rejeter sur la justice. Admettons que certains avocats spécialisés font tout ce qu’ils peuvent pour que la procédure soit prolongée. Lorsqu’un moyen de nullité est soulevé, il faut que le juge puisse y répondre ; ensuite, il peut y avoir appel, ce qui oblige la chambre de l’instruction à se prononcer, puis la chambre criminelle de la Cour de cassation à faire de même. Si celle-ci casse, elle peut le faire sans renvoi mais, généralement, elle saisit une nouvelle cour et l’affaire est ensuite portée devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

MM. Bertrand Louvel et Renaud Van Ruymbeke souhaitent qu’une réflexion soit engagée sur les nullités en droit pénal. Il faut avoir le courage de se poser certaines questions. Les nullités ne devraient interrompre la procédure qu’à la condition qu’elles portent véritablement préjudice – un préjudice démontré. Il faut aussi s’interroger sur la possibilité de confier à la chambre criminelle un pouvoir d’évocation et de l’autoriser à casser sans renvoi ; une autre solution consisterait à confier à la juridiction de jugement le soin de se prononcer sur tous les moyens de nullité soulevés devant le juge d’instruction. Autrement, les procédures sont allongées de trois ou quatre ans. Regardez l’affaire de l’amiante : elle a commencé en 1996, j’en sais quelque chose, j’ai déposé la première plainte. En 2015, le tribunal n’est toujours pas saisi, notamment en raison du nombre de nullités soulevées tout au long de la procédure. Ne fallait-il pas, à un moment donné, tout renvoyer devant le tribunal, qui aurait statué ?

Je sais bien que l’on va me répondre que les moyens de nullité sont des moyens de liberté. On ne transige pas avec la liberté, mais on enterre les affaires. Il faut savoir ce que l’on veut ! En tout cas, ce n’est pas parce que l’on allongera les délais de prescription que l’on allongera la durée des procédures. C’est lorsque l’on aura résolu le problème des nullités que l’on résoudra le problème de la lenteur des affaires les plus complexes.

Je remercie notre collègue Dominique Raimbourg pour ses propos. Consensus et compromis caractérisent en effet notre travail. Je laisserai Georges Fenech répondre sur la question de la sanction de l’inaction de l’autorité judiciaire. C’est essentiel. Pourquoi ? Parce que nous proposons de porter le délai de prescription délictuelle de trois à six ans. Si nous ne prévoyons pas de sanctionner l’éventuelle inaction de la justice, le cours de la prescription risque d’être prolongé de manière excessive. Rappelez-vous qu’en matière criminelle, nous portons le délai à vingt ans. Il est donc indispensable qu’il y ait un délai préfix qui oblige la justice à accomplir des actes. Je ne pense pas que les magistrats interrompront le cours de la prescription de manière artificielle. Quand un dossier est enterré, il est enterré. Les procureurs généraux nous ont demandé de soutenir cette proposition. Les procureurs de la République sont beaucoup plus circonspects car ils s’interrogent sur l’adaptation de leurs moyens à une telle modification. C’est à nous de faire en sorte que le budget permette de répondre aux obligations du droit.

S’agissant de notre proposition de porter le délai de prescription de l’action publique des contraventions à deux ans, nous l’avons faite dans un souci de lisibilité du droit : il s’agissait de doubler les délais de prescription de l’action publique. Nous avons aussi proposé de ramener le délai de prescription de la peine de trois à deux ans, mais nous savons que cela risque de ne pas plaire à Bercy.

En ce qui concerne le terrorisme, le délai de prescription est de trente ans. Tous les spécialistes que nous avons rencontrés nous ont dit que cela ne correspondait à rien car le terrorisme ne se traduit pas par des infractions occultes mais par des infractions commises en plein jour, dont la publicité est immédiate. En revanche, je comprends parfaitement que l’on puisse dire que puisque le terrorisme est un acte de guerre, il doit être traité comme tel. Nous allons y réfléchir.

En ce qui concerne les modifications à apporter à la loi sur la presse, je vous invite à la prudence. La loi de 1881 est avant tout une loi sur la liberté de la presse. Si vous soumettez à une pression très forte l’ensemble de ce secteur, je pense que vous aurez attaqué la notion de même de liberté de la presse. Le délai de prescription de droit commun est de trois mois en la matière. Certaines infractions se prescrivent par un an. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, certaines infractions sont soumises à une prescription de trois ans. Introduire des infractions de presse dans le code pénal aurait pour conséquence de les soumettre à une prescription de six ans, le délai que nous proposons en matière délictuelle. Cela n’est pas envisageable. Il est préférable de ne pas modifier les régimes spéciaux de prescription. Il faudrait, sinon, les examiner un à un. Nous en oublierions forcément certains.

M. François Vannson. Je voudrais ajouter quelque chose sur la question de la prescription des infractions de presse. Il faudrait faire un distinguo entre deux situations. Pour les diffamations commises par la voie de la presse écrite, l’on peut s’accommoder du délai de trois mois. En revanche, sur internet et les réseaux sociaux, n’importe qui peut utiliser un pseudo et commettre des infractions. Or les opérateurs étrangers ne donnent pas suite aux demandes de la justice. Peut-être que pour la diffamation commise sur internet, l’on pourrait avoir des règles spécifiques.

M. Georges Fenech, rapporteur. Afin d’éviter toute confusion, je voudrais apporter une explication au sujet de l’application de la loi dans le temps. Il ne faut pas confondre les lois pénales de fond et les lois de procédure. Les premières s’appliquent pour l’avenir sauf lorsqu’elles sont plus douces – c’est la rétroactivité in mitius. Les lois de procédure sont en revanche d’application immédiate : c’est ce qu’énonce l’article 112-2 du code pénal selon lequel sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines, lorsque les prescriptions ne sont pas acquises. Avant 2004, cette règle s’appliquait sauf lorsque les lois avaient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé mais cette précision a été supprimée. Autrement dit, les lois de procédure sont d’application immédiate. Quel serait l’intérêt de faire une réforme qui s’appliquerait dans cinquante ans ? Sur ce sujet, la seule discussion qui aura sans doute lieu portera sur les crimes de guerre. Il nous faudra nous rapprocher de la Chancellerie pour travailler ce point.

Je voudrais revenir sur ce qu’a dit Philippe Gosselin, qui voit un paradoxe entre les notions de droit à l’oubli, que l’on revendique aujourd’hui, et de devoir de mémoire. Je ne vois pas de paradoxe. Le droit à l’oubli s’applique lorsque le coupable a été identifié : une fois qu’il a payé sa dette, il peut bénéficier de l’oubli. Dans l’hypothèse où l’individu n’est pas identifié, la société et la victime se souviennent du crime. Il n’y a donc pas de paradoxe.

M. Philippe Houillon a évoqué l’affaire d’Outreau – il avait été rapporteur de la commission d’enquête, vous vous en souvenez – qui a été l’objet d’une erreur judiciaire. La question de la prescription ne se pose pas en la matière.

M. Houillon a surtout insisté sur la notion de justice moderne et s’est demandé s’il était normal que l’on puisse juger vingt-cinq ans après les faits. Cela pose en effet la question de la lenteur de la procédure judiciaire et des nullités. Le problème a été soulevé par le premier président de la Cour de cassation et par M. Van Ruymbeke. Il y a des réflexions à la Cour de cassation et au tribunal de grande instance de Paris sur le sujet. Nous leur avons d’ailleurs appris qu’ils menaient des réflexions parallèles. Aujourd’hui, il faut réfléchir aux moyens de lutter contre l’usage abusif des moyens de nullité. Lorsque le juge clôture son instruction, il fait face à une avalanche de moyens de nullité formés par des avocats spécialisés. Ce sont des moyens dilatoires et la procédure est prolongée de dix-huit mois, deux ans, trois ans… J’en profite pour dire au président de la commission des Lois que nous serons amenés, avec Alain Tourret, à le solliciter de nouveau pour travailler sur ce sujet.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vois bien que vous préparez une saison trois ! (Sourires)

M. Georges Fenech, rapporteur. Notre volonté est d’aller dans le sens d’une amélioration de la procédure pénale. Je remercie tous ceux qui sont intervenus ; cela montre l’intérêt pour nos travaux.

Je pense que nous avons répondu aux questions de M. Dominique Raimbourg, notamment celle sur l’application de la loi dans le temps.

En ce qui concerne la presse, MM. François Vannson, Gilbert Collard et d’autres ici nous ont interrogés sur les délais de prescription applicables. On ne peut pas y toucher. Nous avons entendu ce que nous ont dit les représentants de ce secteur. La loi de 1881 est un monument ; il n’aurait pas été opportun d’y apporter des modifications dans le cadre de nos travaux. Il ne faut pas rompre l’équilibre de cette loi.

Par ailleurs, nous l’avons dit, le terrorisme n’est pas, aujourd’hui, un crime de guerre. Il ne nous appartient pas, dans le cadre de cette mission, de redéfinir les crimes de guerre.

Enfin, je pense que nous avons répondu aux interrogations de notre collègue Patrick Devedjian. Je m’inscris en faux lorsqu’il dit qu’il y a deux infractions imprescriptibles en droit français : les crimes contre l’humanité et l’abus de biens sociaux. Cela n’est pas vrai. Le point de départ du délai de prescription, pour cette seconde infraction, correspond généralement au moment où les comptes de l’entreprise sont rendus publics, sauf lorsqu’ils ont été falsifiés ou occultés. Il ne faut pas tomber dans la caricature.

Encore une fois, je vous remercie, M. le président, de nous avoir confié cette mission et d’avoir proposé de saisir le Conseil d’État. Cela nous semble très important.

La Commission autorise, à l’unanimité, le dépôt du rapport de la mission d’information relative à la prescription en matière pénale, en vue de sa publication.

*

* *

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

– M. Dominique Raimbourg, rapporteur sur la proposition de loi relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage (n° 1610) ;

– M. Razzy Hammadi, rapporteur sur la proposition de loi instaurant une action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités (n° 1699) ;

– M. Guy Geoffroy, co-rapporteur sur la mise en application de la loi qui serait issue de l’adoption définitive du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne (n° 2341) ;

– M. Hugues Fourage, rapporteur pour avis sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (n° 2779).

La séance est levée à 12 heures 15.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. François-Xavier Villain, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Jacques Bompard, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Carlos Da Silva, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mazetier, M. Edouard Philippe, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - Mme Claude Greff, M. Mathieu Hanotin, M. Christophe Premat