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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 2 décembre 2015

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs (n° 3261) (M. Erwann Binet, rapporteur)

– Communication du président sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence

– Information relative à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine, sur le rapport de M. Erwann Binet, le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs (n° 3261).

M. Erwann Binet, rapporteur. Notre commission s’apprête à examiner dans des conditions assez inhabituelles le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs. Les délais procéduraux sont très courts, puisque le Conseil des ministres a examiné ce texte le 25 novembre, que nous l’examinons en commission aujourd’hui et qu’il est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique du mardi 8 décembre.

Cela étant, les quatre articles qu’il comprend, si j’écarte celui relatif à l’application dans les territoires ultramarins, sont connus depuis bien longtemps.

Au printemps dernier, deux affaires particulièrement sordides sont survenues dans des établissements scolaires, à Villefontaine dans l’Isère et à Orgères en Ille-et-Vilaine. Au-delà de l’indignation que suscite toujours légitimement ces actes, toute la France a été choquée d’apprendre, au mois d’avril dernier, que des protagonistes, condamnés précédemment pour détention d’images pédopornographiques et pour recel de biens provenant de la diffusion d’images pédopornographiques, avaient pu continuer à travailler dans un environnement scolaire, au contact de mineurs, sans qu’aucune mesure de prévention ne soit prise pour les en empêcher.

Nous pouvons être satisfaits de constater que tout a été mis en œuvre, et assez rapidement, pour que ce genre de dysfonctionnement ne se reproduise pas. Tout le monde s’est mobilisé, à tous les niveaux, pour corriger les failles de notre système dans l’objectif de sécuriser autant que possible l’environnement dans lequel évoluent nos enfants.

Tout le monde, ce sont d’abord les acteurs de terrain, c’est-à-dire les magistrats du ministère de la Justice et les personnels du ministère de L’Éducation nationale. Je précise que Najat Vallaud-Belkacem et Christiane Taubira seront toutes deux présentes en séance, mardi prochain, lors de l’examen du projet de loi. Une inspection conjointe aux deux ministères a été diligentée après la révélation des affaires de Villefontaine et d’Orgères. Elle a rendu deux rapports en quelques mois, l’un sur les faits précis et les manquements spécifiques à ces deux cas, l’autre sur la base d’une mission plus générale, sur les liens entre Justice et Éducation nationale. Ces deux rapports ont pointé des lacunes dans l’organisation des services ainsi que des imprécisions dans notre législation. Une circulaire conjointe a été adressée le 16 septembre 2015 aux juridictions et aux rectorats. Il y a désormais, auprès de chaque procureur et de chaque recteur, des référents désignés pour échanger sur les condamnations judiciaires prononcées à l’encontre des membres de l’Éducation nationale.

Les rapports avaient également pointé des insuffisances dans la législation. Les parlementaires ont donc, à leur tour, pris leurs responsabilités, indépendamment de toute obédience partisane. L’Assemblée nationale a tenté d’aller au plus vite en adoptant un dispositif complet, par voie d’amendement, dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne. Mais, comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 33 de ce texte, considérant qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui n’est donc pas, comme je l’indiquais au début de mon intervention, un inconnu. L’Assemblée nationale avait adopté ses quatre articles en séance publique le 24 juin dernier, trois sur la base d’amendements gouvernementaux et un quatrième sur la proposition de nos collègues Claude de Ganay et Guy Geoffroy, quatrième dispositif qui a d’ailleurs fait l’objet d’une proposition de loi adoptée à l’unanimité la semaine dernière par notre Commission et qui sera examinée en séance publique jeudi matin. En tant que rapporteur, Dominique Raimbourg avait apporté de nombreuses améliorations à ces articles, et je tiens à l’en remercier.

Par conséquent, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’appelle que peu de commentaires de ma part et, comme vous le constaterez, je n’ai pas souhaité lui apporter de modifications majeures. Les mécanismes insérés dans le code de procédure pénale, le code du sport, le code de l’éducation et le code de l’action sociale et des familles sont, je pense, de nature à susciter le consensus.

Je souhaiterais simplement vous rappeler nos questionnements, l’été dernier, au moment de la première discussion de ces articles, et principalement de l’article 1er. Beaucoup, sur tous les bancs, avaient appelé à la nécessaire conciliation de la protection de la société en général, et des mineurs en particulier, avec la préservation de la présomption d’innocence. C’est un débat absolument fondamental.

Bien sûr, quand un individu est condamné pour des actes odieux, il faut que l’administration en soit informée pour prendre toutes les dispositions propres à éviter une récidive. Mais de nombreuses questions faisaient légitimement débat. Que faire, par exemple, quand la condamnation n’est pas prononcée, ou quand elle n’est pas définitive ? Fallait-il une automaticité de la sanction disciplinaire à l’issue de la procédure pénale ? Était-il juste d’instituer une communication avec l’administration pour surveiller les fonctionnaires alors que les employés du secteur privé pouvaient échapper à toute surveillance ? Nous disposons aujourd’hui de l’avis du Conseil d’État – ce n’était pas le cas cet été – qui permet de rassurer sur l’ensemble de ces points.

Je crois que la rédaction qui nous est proposée aujourd’hui répond à ces interrogations en proposant deux dispositifs distincts. L’un, général, permet aux procureurs de prendre l’initiative de prévenir une administration, une personne morale chargée d’un service public, ou un ordre professionnel, de l’existence de poursuites ou d’une condamnation contre un individu pour toute infraction sanctionnée d’un emprisonnement. L’autre, spécifiquement axée sur la protection des mineurs, rend cette communication obligatoire en cas de condamnation ou de contrôle judiciaire, et l’autorise même au stade de l’enquête en cas d’indices graves ou concordants laissant craindre la commission d’une des infractions limitativement énumérées. Une série de garanties est offerte à la personne concernée, qui est prévenue et bénéficie des droits classiques de la défense devant son administration. Par ailleurs, un retrait de l’information du dossier est prévu si la procédure ne débouche pas sur une condamnation.

Mes chers collègues, nous avons devant nous un texte attendu par les familles, l’administration et l’autorité judiciaire, qui devrait éviter que se reproduisent des drames comme ceux que nous avons vécus au printemps dernier, sans pour autant instaurer un régime de suspicion où la sanction administrative viendrait se substituer à l’action pénale. Nous avons aussi devant nous, je l’espère, un texte aussi consensuel que celui de la semaine dernière et qui saura recueillir l’unanimité de la commission des Lois.

M. Jacques Bompard. La question de l’information des administrations dans la prévention de la récidive dans les cas graves, et notamment sexuels, est cruciale pour éviter la réitération de faits ignobles. Je salue donc l’initiative de ce texte.

Cependant, je regrette que l’article 1er institue des possibilités et non des obligations. Les administrations et l’État devraient strictement assurer leur mission d’information, voire se protéger en promouvant des textes qui rendent la transmission obligatoire en cas d’infraction grave ou sexuelle contre les mineurs. Ainsi, en cas de saisine par un procureur de la République ou de mise en examen, l’information devrait être obligatoire tant il est des affaires qui blessent profondément l’ordre social. Une harmonie entre les familles et les institutions n’est pas possible si ces inquiétudes ne sont pas levées. J’avais fait ces mêmes remarques sur l’automaticité la semaine dernière. Notre droit devrait être bien plus prudent encore, même si je note la dynamique pour protéger les mineurs des affres d’une société fragmentée et donc propice à la déviance.

M. Claude de Ganay. Je me félicite de l’initiative du Gouvernement d’avoir inscrit ce projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée.

Comme vous le savez, depuis le mois d’avril dernier, je me suis engagé très fortement pour tenter de combler une faille juridique concernant ces pénibles affaires. L’article 3 reprend quasiment in extenso ma proposition, complétant le dispositif mis en place par le Gouvernement en matière de transmission d’informations aux autorités administratives de tutelle en cas de condamnation ou de poursuites judiciaires.

Les familles attendent depuis longtemps qu’un dispositif pertinent et efficace soit mis en place pour corriger ces défaillances. Je voterai donc ce projet de loi.

M. Guy Geoffroy. On pourrait penser qu’avec la proposition de loi adoptée à l’unanimité la semaine dernière ici même, la commission des Lois ait fait en quelque sorte un travail en parallèle à ce projet de loi. En fait, il n’en est rien. Il est bon que les initiatives et les responsabilités des uns et des autres aient pu trouver leur prolongement par ces deux textes, suite à l’accord unanime et de belle tenue qui a été le nôtre au mois de juillet dernier en séance publique.

Demain, la proposition de loi de M. Claude de Ganay sera, je pense, adoptée à l’unanimité dans l’hémicycle. Dans la foulée, le présent projet de loi qui reprend les dispositions de cette proposition de loi ainsi que les mesures présentées par le Gouvernement au mois de juillet dernier sera voté de la même manière. Ensuite, c’est la mécanique législative qui fera que l’un ou l’autre texte, ou les deux, pourront se croiser, se retrouver. L’essentiel, c’est que nos objectifs soient atteints, pleinement traduits dans la loi et entièrement validés dans les meilleurs délais par le Parlement sans risque aucun d’inconstitutionnalité, à la fois sur le fond et sur la forme. À cet égard, je remercie notre rapporteur d’avoir rappelé que l’avis du Conseil d’État vient conforter cet édifice législatif, dont nous sommes très fiers les uns et les autres.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Comme nous l’avons dit ici même lors de l’examen de la proposition de loi de M. Claude de Ganay, les failles dans le système de protection des mineurs contre les actes de pédophilie ne sont que trop nombreuses. L’actualité de ces derniers mois nous en a donné la triste preuve.

La semaine dernière, nous avons soutenu le texte de notre collègue visant à rendre automatique l’impossibilité pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de nature pédophile à accéder à des fonctions professionnelles au contact des mineurs. Demain, lors de son examen en séance publique dans le cadre de la séance parlementaire réservée au groupe Les Républicains, je le soutiendrai à nouveau.

Je me félicite que le projet de loi reprenne cette mesure plus que nécessaire.

De manière plus large, le présent texte propose une réponse pour mieux garantir la sécurité de nos concitoyens, et plus spécifiquement celle des mineurs, contre des personnes susceptibles de commettre des infractions dans le cadre d’une activité soumise au contrôle des autorités publiques. Cette garantie passe nécessairement par une meilleure communication entre l’institution judiciaire et les autorités compétentes, et notamment par la transmission d’informations relatives à des procédures ou des condamnations pénales.

Il convient de rester toujours prudent concernant la transmission d’informations nominatives à caractère pénal au regard des principes constitutionnels garantissant le respect de la vie privée et la présomption d’innocence. Le Conseil d’État nous rassure sur ce point en estimant que la transmission d’une information relative à une condamnation pénale, même non définitive, ne porte pas atteinte à ces principes dès lors qu’elle est prononcée publiquement.

Ce projet de loi paraît donc apporter une solution complète et adaptée à la problématique de la protection des mineurs. C’est pourquoi je le voterai.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Le présent projet de loi mérite un vrai consensus. Bien sûr, on comprend qu’il ne réponde pas aux problèmes qui peuvent exister dans le cas d’une mise en examen, lorsque des doutes pourraient conduire, suivant un principe de précaution, à informer les services administratifs.

Si l’on suit l’avis du Conseil d’État, le doute persiste sur la « ligne de crête ». La condamnation pénale ne soulève pas de difficulté dans la perspective d’une transmission. En revanche, la simple mise en examen, qui serait une tentation que nous pourrions tous avoir, ne suffirait sans doute pas à passer la barre, ni constitutionnelle ni encore moins peut-être conventionnelle.

Enfin, il faudra bien que nous nous penchions un jour sur la question de l’effacement dans les fichiers des condamnations, ou des jugements qui ont abouti à un non-lieu, ce qui est le plus grave pour la personne. Je le sais, cette question est récurrente. Elle a été traitée par la nomination d’un magistrat référent lorsqu’il s’agit de la gestion des fichiers de sécurité. Veillons à ne pas créer des injustices futures pour réparer des injustices réelles.

Avec ce texte, nous sécurisons le droit tout en renforçant véritablement la protection des mineurs.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er (art. 11-2 [nouveau], 138 et 706-47-4 [nouveau] du code de procédure pénale) : Information de l’autorité administrative par le ministère public en cas de poursuites ou de condamnation d’une personne exerçant une activité auprès de mineurs

La Commission examine d’abord l’amendement CL2 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je souhaitais préciser que les handicapés sont des personnes fragiles qu’il convient de protéger. Mais comme je ne suis pas parvenue à une rédaction permettant de satisfaire à cette exigence, je retire cet amendement. J’en déposerai un autre au titre de l’article 88.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL3 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL14 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement a été inspiré par une proposition faite par la mission conjointe de l’Éducation nationale et de la Justice. Si le tribunal a, dans son jugement de condamnation, expressément exclu l’inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire, c’est qu’il estime que la culpabilité de la personne condamnée ne justifie pas de lui imposer une incapacité. La communication d’office par le parquet à l’employeur reviendrait donc à contrecarrer la décision des magistrats du siège en substituant à leur sanction une sanction disciplinaire. Dans un tel cas, la communication ne doit être possible que lorsque l’administration a été préalablement informée de la procédure, et doit donc connaître comment elle s’est achevée, ou lorsqu’elle est demandée par l’administration elle-même. S’agissant d’une condamnation publique, le procureur ne peut en effet refuser la communication.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements CL4 de suppression d’une précision superflue, CL5 rédactionnel, CL6 d’harmonisation, CL7 rédactionnel, CL8 d’harmonisation, CL9 de précision, CL10 d’harmonisation, CL11 de précision et CL12 rédactionnel, tous du rapporteur.

La Commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. L. 212-9 et L. 212-10 du code du sport) : Modification des dispositions relatives à l’interdiction d’enseigner, d’animer ou d’encadrer une activité physique ou sportive auprès de mineurs

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 (art. L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles) : Extension de l’incapacité de diriger ou d’exercer au sein des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le code de l’action sociale et des familles en cas de condamnation définitive, indépendamment de la nature et du quantum de la peine prononcée, pour certains délits

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL13 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 (art. L. 914-6 du code de l’éducation) : Modification du régime disciplinaire des chefs d’établissements d’enseignement du premier degré privé

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Article 5 : Application outre-mer des dispositions prévues à l’article 1er

La Commission adopte l’article 5 sans modification.

Puis elle adopte à l’unanimité le projet de loi modifié.

*

* *

La Commission en vient à la communication du président sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, je souhaite tout d’abord vous rappeler le contexte. Sur la base d’un amendement voté à l’unanimité par la Commission, conforté par les débats en séance publique tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, un nouvel article 4-1 a été inscrit dans la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

Cet article prévoit ceci : « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ».

Cet article confère au Parlement un pouvoir de contrôle précis et constant des mesures adoptées et appliquées par l’exécutif durant trois mois. C’est la marque de nos débats, concrétisant une intention avancée lors des emplois précédents de la loi de 1955, à savoir en janvier 1985 puis en novembre 2005, mais jamais matérialisée.

Le vote unanime du Parlement renforce notre détermination collective à démontrer que l’état d’urgence est partie intégrante de l’état de droit puisqu’il ne suspend pas l’application des autres lois.

Il nous faut maintenant organiser les modalités d’exercice de ce pouvoir afin qu’il soit effectif, permanent et efficace. À cet égard, permettez-moi de citer Guy Carcassonne qui écrivait dans la préface d’un ouvrage d’un de nos collègues présents dans cette salle : « Il ne suffit pas de donner des pouvoirs à l’Assemblée, encore faut-il que les députés les exercent ». Nous allons exercer ces pouvoirs.

Quels objectifs allons-nous poursuivre ? Sans préjudice du travail classique a posteriori de l’action du Gouvernement qui nous conduira, le moment venu, à en dresser le bilan, il nous faut mettre en place une veille parlementaire continue tout au long de la durée de l’état d’urgence.

Quoique concomitante de l’action des pouvoirs publics, il s’agira donc de favoriser, en temps réel, le regard de l’Assemblée nationale sur les services auxquels ont été consentis temporairement des pouvoirs particuliers, d’évaluer la pertinence des moyens mobilisés et ainsi signaler, le cas échéant, tout risque d’abus.

Ce mode opératoire permettra ainsi à la commission des Lois d’évaluer l’application de l’état d’urgence en délivrant une analyse technique et statistique complète ainsi qu’objective des procédures mises en œuvre. Notre but étant qualitatif et pas seulement quantitatif, nous allons tenter d’évaluer les bénéfices retirés de ces mesures exceptionnelles en termes de sécurité publique, de procédures judiciaires et de collecte de renseignements. Cela nous amènera, le cas échéant, à adresser au Gouvernement des préconisations dans le but, soit de conforter l’efficacité du dispositif, soit de mieux garantir les libertés individuelles et collectives.

Le contrôle conjuguera un suivi de données relatives à la mise en œuvre de l’état d’urgence et une réflexion plus approfondie sur certaines thématiques et certains faits. Ainsi, dès l’entrée en vigueur du dispositif, vendredi prochain, différents tableaux de bord seront institués et actualisés chaque semaine, grâce à une remontée quotidienne d’informations. Ils intégreront le suivi des procédures exceptionnelles de l’état d’urgence. Nous aurons ainsi des indicateurs détaillés sur les différentes mesures possibles : bien sûr, les assignations à domicile ou les perquisitions à domicile de jour et de nuit, ou encore les remises des armes de catégorie A à D dont le ministre évoque régulièrement les résultats, mais aussi toutes les autres mesures possibles dans le cadre de l’état d’urgence, c’est-à-dire les interdictions de la circulation des personnes ou des véhicules, la dissolution d’associations ou de groupements, les interruptions de sites internet, les fermetures provisoires des salles de spectacles, débits de boisson et lieux de réunion. Il existe sept articles dans la loi de 1955 qui prévoient treize mesures possibles. Nous nous intéresserons à la totalité de ces treize mesures. Ensuite, nous procéderons à un recensement des éventuelles suites judiciaires ou administratives, les recours intentés contre elles ou contre leurs suites.

En complément de ce suivi hebdomadaire et grâce aux données ainsi collectées, le contrôle sera complété par un travail d’enquête et d’information portant sur plusieurs thématiques déterminées en fonction des premières analyses des données fournies. Tous les outils de travail habituels seront alors mobilisés : auditions, demandes de pièces, contrôles sur place, déplacements sur certaines zones, envois de questionnaires.

Quels outils allons-nous mobiliser pour concrétiser ces intentions ? La semaine dernière, j’ai appelé le défenseur des droits, Jacques Toubon. Je lui ai fait part de mon souhait de mobiliser les 397 délégués territoriaux afin de transmettre à la Commission les informations qu’il jugera utiles. Une circulaire du défenseur des droits a déjà été envoyée. Ces délégués recevront les éventuelles réclamations des citoyens concernés par une mesure et communiqueront les éléments indispensables à une exploitation. Parallèlement, j’ai appelé Christine Lazerges, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme afin de conduire un travail de sensibilisation auprès des associations représentées en son sein pour, là encore, faire parvenir aux rapporteurs tous les éléments qu’elles pourraient juger utiles.

De plus, les parlementaires – et pas uniquement ceux de la commission des lois – qui, comme l’a décidé le ministre de l’intérieur, seront régulièrement informés par les préfets de ce qui se passe dans les départements, auront la faculté, et même le devoir de faire remonter des observations.

Mais surtout, je vous propose d’utiliser pour la première fois sous la Vème République l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Cet article permet à une commission permanente de se doter, en plus de ses pouvoirs traditionnels, des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête. Ainsi, elle disposera de moyens d’action non négligeables, et d’abord de pouvoirs de contraintes. Toute personne dont nous jugerons l’audition utile sera tenue de déférer à notre convocation. En cas de faux témoignage, les articles du code pénal prévoyant des peines d’emprisonnement et d’amende seront applicables. La Commission disposera aussi de pouvoirs d’enquête. Je vais vous proposer de me désigner rapporteur de ce travail et de nommer Jean-Frédéric Poisson co-rapporteur d’application, afin de mener des investigations sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter notre mission devront nous être fournis. Nous serons ainsi habilités à nous faire communiquer tous les documents de service. À cette fin, trois administrateurs de la Commission des lois se consacreront à ces tâches pendant les trois mois à venir.

Enfin, j’ai naturellement informé le Gouvernement de ces intentions. Je me suis assuré de la disposition d’esprit du ministre de l’intérieur. Il a adressé hier un courrier à la Commission dans lequel il indique son intention de contribuer très activement à l’effectivité de ce contrôle et que nous pouvons compter sur sa diligence et celle de ses services à qui il a transmis des consignes de coopération d’une grande clarté pour que nous élaborions ensemble un dispositif de contrôle inédit sous la Vème République.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’exposé que vous venez de faire et la note d’information sur laquelle il s’appuie retracent la méthode que nous allons adopter afin de contrôler les pouvoirs exceptionnels que le Parlement a confiés au Gouvernement pendant la période de mise en œuvre de l’état d’urgence. Pour y avoir été associé, j’approuve pleinement cette manière de procéder au contrôle du détail des opérations, mais aussi de leur quantité et de leur qualité. Plusieurs interrogations sont apparues depuis que le Parlement a décidé de prolonger l’état d’urgence. La méthode que nous propose le président permettra à la Commission d’exercer ces nouveaux pouvoirs de contrôle s’apparentant à ceux d’une commission d’enquête, et au Gouvernement de se rendre pleinement disponible à ces fins – condition sine qua non du bon déroulement de nos travaux de contrôle.

J’ai participé avec M. le président, M. Larrivé et d’autres à la réunion qui s’est tenue jeudi dernier au ministère de l’intérieur : nous y avons constaté la bonne volonté du Gouvernement de communiquer ces informations. Je suppose que leur traitement administratif et leur aiguillage vers notre Commission présentent un certain nombre de difficultés matérielles ; il nous appartient de déployer l’énergie nécessaire pour que les délais de traitement habituels soient réduits, de sorte que le Parlement puisse exercer pleinement sa mission de contrôle.

Au terme des trois mois d’état d’urgence – et qu’il soit prolongé ou non, puisque le Premier ministre ne l’a pas exclu, sachant que la réforme de la Constitution ne pourra de toute façon pas avoir lieu avant cette date –, je propose que la Commission use par anticipation des facultés du rapporteur d’application pour qu’il dresse un bilan global de la situation et qu’il le communique à la Commission.

Je demeure attentif à la question de l’information des élus locaux – à laquelle le ministre a répondu avec quelque réserve. Il a en effet donné instruction aux préfets de réunir une fois par mois les maires et les parlementaires de chaque département pour leur présenter l’état précis des opérations menées sur leur territoire. Il me semble toutefois qu’il reste à trouver une formule permettant d’éviter que les maires découvrent par la presse locale, voire par des rumeurs dans le voisinage, que tel ou tel de leurs administrés a été assigné à résidence dans leur commune, même si je suis parfaitement conscient qu’une assignation à résidence ou une perquisition administrative sont susceptibles d’entraîner d’autres opérations incompatibles avec le degré habituel de discrétion des maires. Il faut informer les maires, mais il peut s’avérer délicat de le faire alors que des procédures sont en cours. Quoi qu’il en soit, il faut trouver un équilibre en matière d’information des élus locaux.

Certains s’inquiètent – et la presse s’en fait parfois l’écho – que les pouvoirs publics soient tentés d’effectuer des perquisitions fondées sur d’autres faits présumés que des actes terroristes et, ainsi, déclencher des procédures de droit commun en profitant de la facilité que leur offre l’état d’urgence. À titre personnel, je crois que le recours à des pouvoirs spéciaux peut en effet donner lieu à d’occasionnels débordements, mais je constate que les liens qui existent entre la délinquance de droit commun – y compris la grande délinquance – et les actes terroristes empêchent d’interdire, à supposer que cela soit possible, que l’on profite de l’état d’urgence pour conduire des perquisitions dont le lien avec des faits de terrorisme est plus ou moins lointain. Je comprends les inquiétudes exprimées au nom de la protection des libertés fondamentales et, le cas échéant, la Commission interrogera le ministre de l’intérieur a posteriori pour vérifier qu’aucune atteinte ne leur a été portée. À ce stade, néanmoins, aucun élément ne peut selon moi nous prémunir contre cette éventualité. En l’espèce, je fais confiance à l’appareil policier pour effectuer le tri nécessaire.

Pour conclure, je réaffirme mon accord total avec la méthode que vous avez exposée, monsieur le président, et à laquelle vous avez bien voulu m’associer.

M. Alain Tourret. Le contrôle s’impose d’autant plus que les libertés sont restreintes. Je vous félicite, monsieur le président, d’avoir incité l’Assemblée à adopter un amendement qui, outre le contrôle du juge, instaure le contrôle politique et parlementaire de la procédure.

Il va de soi que je fais toute confiance au président Urvoas et à M. Poisson, mais je note que les groupes politiques minoritaires sont éliminés du processus. Je vous demande d’y être attentifs : nos travaux de contrôle devront se fonder sur l’unanimité des parlementaires, et non pas sur un simple consensus entre les deux principaux groupes politiques. En particulier, on commettrait une erreur en refusant d’emblée d’associer les députés écologistes, dont certains se sont saisis de ce dossier.

Deuxième question : le Gouvernement assistera-t-il à nos travaux en dépêchant un ministre ou l’un de ses représentants ?

Enfin, la garde à vue n’est pas une procédure conçue spécialement pour l’état d’urgence mais, lorsqu’il est en vigueur, elle ne s’applique pas de la même manière. Il me semble donc indispensable de prendre connaissance du nombre de gardes à vue prononcées et de leurs motivations. Il en va de même des référés-liberté liés aux affaires de terrorisme : nous devons exiger de l’autorité administrative qu’elle nous fasse connaître non seulement leur nombre, mais surtout leur véritable motivation. La stratégie du Conseil d’État consiste à rendre sa décision de manière lapidaire, en quelques mots ; de mon point de vue, il est beaucoup plus important de savoir pourquoi tel référé-liberté a été admis ou rejeté – et, pour ce faire, d’avoir accès au texte lui-même desdits référés.

M. Dominique Raimbourg. En cette période très difficile, il est essentiel de préserver l’unité du pays autour des mesures visant à lutter contre le fléau terroriste et à rétablir l’ordre normal des choses. Dès lors, il est indispensable que les mesures exceptionnelles liées à l’état d’urgence soient soumises à un contrôle, de sorte qu’une fois passée l’émotion, cette restriction des libertés ne suscite pas une levée de boucliers.

Nous avons pris la précaution de prévoir dans la loi un contrôle par le juge administratif – une nouveauté par rapport à la loi de 1955. D’autre part, toutes les mesures prises doivent avoir une traduction judiciaire : le procureur de la République, qui est avisé des perquisitions, exerce lui aussi un contrôle. Nous disposons donc déjà d’outils qui permettent de contrôler les mesures exceptionnelles de restriction des libertés.

Avec M. Poisson, vous avez, monsieur le président, pris l’initiative d’instaurer un mécanisme de contrôle parlementaire. Il est non seulement très utile, mais aussi nécessaire, et il va de soi que le groupe SRC en approuve la création car il permettra de rassurer nos concitoyens et de donner sa pleine efficacité aux mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, qui n'ont de sens que si elles recueillent l’assentiment de tout notre peuple dans sa lutte contre le terrorisme.

M. Georges Fenech. L’une des modalités du contrôle que vous instaurez consiste à établir un réseau de sept correspondants. Je m’interroge sur le cinquième d’entre eux : le parquet de Paris. Comment un procureur pourrait-il ainsi être tenu de répondre à une commission parlementaire sans enfreindre le principe de la séparation des pouvoirs – a fortiori lorsqu’il a lui-même été désigné par le Gouvernement ? Ne serait-il pas plus conforme au fonctionnement de nos institutions que le directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice soit notre correspondant, et non un magistrat en exercice ?

D’autre part, envisagez-vous de rendre nos travaux publics ?

M. Pascal Popelin. Mieux vaut exercer pleinement les pouvoirs que la Commission s’est accordée que de se contenter de leur existence théorique. Votre proposition, monsieur le président, a le mérite de prévoir un contrôle exhaustif des mesures liées à l’état d’urgence. Il me semble opportun de mobiliser les autorités administratives et les commissions consultatives concernées afin que nous puissions nous appuyer sur différentes sources d’information. De même, l’emploi original des dispositions permettant d’attribuer à notre Commission les pouvoirs d’une commission d’enquête me semble utile. Les moyens humains et administratifs que vous nous avez indiqués sont en rapport avec l’ambition inédite et loin d’être modeste que vous nous proposez. Cette ambition a d’emblée recueilli le soutien du Premier ministre et du Gouvernement, comme l’a illustré la manière dont nous avons travaillé à l’élaboration de ce texte et les échanges qui ont eu lieu depuis.

Nous allons analyser des informations nationales. J’insiste néanmoins sur l’importance des informations recueillies à l’échelle des territoires. Il est prévu que nous y ayons accès, même si je suis conscient du caractère délicat de cette question compte tenu de l’impératif de confidentialité qui est parfois la condition de l’efficacité des procédures engagées. À ce jour, pourtant, ce n’est jamais le cas dans mon département, la Seine-Saint-Denis. Je comprends que l’on hésite à fournir des données relatives à certains dossiers ; d’autres, en revanche, ne devraient donner lieu à aucune hésitation. Je vous le dis en toute franchise : qu’un parlementaire qui a personnellement contribué à accorder des pouvoirs exceptionnels à l’autorité administrative apprenne par la presse qu’une perquisition administrative a été conduite – par erreur – dans la circonscription dont il est l’élu et qu’il ne dispose à ce jour encore d’aucune information officielle à ce propos relève d’une forme de désinvolture tout à fait inacceptable. La chaîne de commandement – ministère et préfecture – doit être alertée afin que de telles situations – heureusement fort rares – ne se reproduisent pas et que les parlementaires puissent en prendre connaissance.

M. Guillaume Larrivé. Nous débattons aujourd’hui des modalités du contrôle de l’application de la loi de 1955 modifiée en 2015, mais la question de l’application d’autres lois se pose également : je pense à la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement et à la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Dans l’un et l’autre cas, nous aurions tout intérêt à envisager la rédaction d’un rapport d’application. Il n’est pas question d’empiler inutilement les rapports mais, au-delà de l’état d’urgence, il ne faut pas négliger l’application des autres mesures qui sont aussi au cœur du sujet.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Les deux assemblées, en accord avec le Gouvernement, ont élaboré un dispositif très original qui s’inscrit dans le cadre de la mesure législative modifiée à votre initiative, monsieur le président, pour instaurer le contrôle parlementaire de l’état d’urgence. Hier, j’ai eu l’honneur de vous remplacer à la réunion qui s’est tenue à Matignon en présence des présidents des deux Chambres, des présidents de tous les groupes parlementaires et de ceux de toutes les commissions parlementaires régaliennes, ainsi que des ministres concernés, afin que la représentation parlementaire soit informée de l’ensemble des dispositions qui ont été prises. Les informations qui nous ont été fournies étaient d’une très grande précision, et chacun a convenu que le Gouvernement les livrait en toute sincérité.

Les deux dispositifs de contrôle parlementaire ont été évoqués : le Sénat a opté pour la désignation d’un rapporteur, et l’Assemblée a présenté les informations qui figurent dans la note que vous nous avez communiquée, monsieur le président. Ce dispositif très original est tout à fait pertinent pour répondre aux interrogations qu’ont suscitées l’entrée en vigueur puis la prolongation de l’état d’urgence concernant les droits fondamentaux sur lesquels reposent notre République et notre État de droit, en particulier.

Le dispositif législatif ne prévoit pas que les actions administratives se cantonnent aux seuls actes présumés de terrorisme. Si c’était le cas, nous n’aurions pas avancé d’un iota par rapport à la loi de 1955, dont l’obsolescence est pourtant avérée. Au contraire, le processus actuel ne s’enferme pas dans le seul soupçon d’acte terroriste.

Ensuite, nous avons, encore une fois à votre initiative, monsieur le président, imposé la présence d’un officier de police judiciaire dans les opérations domiciliaires. En conséquence, le processus judiciaire s’inscrit désormais dans le cadre de la procédure administrative. On ne parle guère de cette excellente proposition qui, pourtant, est loin d’être anodine ! En effet, l’officier de police judiciaire est tenu par une obligation permanente de communication. En outre, toutes les assignations à résidence et toutes les perquisitions administratives se traduisent par une procédure judiciaire, y compris une garde à vue. Ce dispositif très large et innovant doit satisfaire tout le monde, en particulier les commissaires aux lois de l’Assemblée et du Sénat.

Enfin, lors de la réunion d’hier que j’évoquais, les ministres compétents ont fourni des statistiques très précises sur le nombre de gardes à vue, d’assignations à résidence et d’autres procédures. Ces chiffres constitueront la matière du travail qui nous est proposé. De surcroît, le ministre de l’intérieur nous a indiqué – sans que la question lui soit même posée – qu’il avait donné des instructions très claires concernant la traçabilité de chaque acte, chaque décision, chaque procédure, afin de produire un ensemble d’éléments « susceptibles de rendre possible le contrôle parlementaire », a-t-il ajouté.

En clair, nous disposons d’un mécanisme cohérent, efficace et original dont je souhaite qu’il soit mis en œuvre aussi bien que possible sous l’autorité conjointe de notre président et du collègue désigné par le Sénat, en vue notamment de la prochaine réunion bimensuelle qui se tiendra, comme hier, à l’hôtel Matignon.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. J’approuve totalement l’amendement que vous avez fait adopter en séance, monsieur le président, ainsi que le processus que vous nous proposez aujourd’hui afin de doter la commission des Lois des pouvoirs d’une commission d’enquête.

Est-ce à dire que les acteurs qui seront associés aux travaux de notre Commission – fonctionnaires, préfets, inspecteurs généraux, agents des autorités de sécurité, magistrats ou encore délégués du défenseur des droits – seront libérés du secret professionnel lors de leurs échanges avec vous ?

Ensuite, la divulgation des informations recueillies ne gênera-t-elle pas les enquêtes policières en cours ?

Enfin, sur quels moyens humains la commission des Lois pourra-t-elle s’appuyer afin d’accomplir sa mission de commission d’enquête ?

M. Marc Dolez. Le groupe GDR a approuvé la création d’un nouvel article 4-1 dans la loi de 1955 instaurant le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence. De même, il porte aujourd’hui une appréciation positive sur le dispositif que vous proposez, monsieur le président, afin que ce contrôle parlementaire s’exerce pleinement. Comme M. Tourret, toutefois, je m’interroge sur l’association à ces travaux de l’ensemble des groupes politiques de notre Commission. En effet, il n’est prévu de présenter une communication de synthèse à la Commission dans son ensemble que toutes les trois semaines. Autrement dit, les quatre groupes politiques qui n’ont pas désigné de rapporteur risquent d’être laissés à l’écart du contrôle effectif qui sera pratiqué.

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous avez, monsieur le président, proposé ce dispositif lors du débat sur l’état d’urgence, et nous avions alors exposé plusieurs difficultés. Tout d’abord, il ne correspond pas à la culture parlementaire française depuis 1958 et, de ce point de vue, le fait de donner au Parlement les capacités réelles de contrôler les pouvoirs qu’il a confiés au pouvoir exécutif représente une évolution très favorable et nécessaire, qu’il s’agisse de l’état d’urgence ou d’autres questions. En outre, c’est une excellente manière de protéger l’exécutif contre ses propres services, qui peuvent parfois prendre des initiatives malheureuses susceptibles de mettre tel ou tel ministre en difficulté. Par nature, le contrôle accentue la vigilance des autorités à l’égard de la pertinence des mesures qu’elles prennent.

Le dispositif que vous nous proposez peut sembler efficace mais présente quelques difficultés. Tout d’abord, il est valable pendant la période d’état d’urgence, mais certaines mesures – d’assignation à résidence, par exemple – pourraient être prolongées au-delà ; il faudrait alors que le contrôle parlementaire se poursuive en conséquence.

La deuxième difficulté a trait à la confiance et à la solidité du consensus national qui a été recherché et qui s’est illustré par le vote quasi unanime de l’Assemblée nationale et du Sénat en faveur de la prolongation de l’état d’urgence. Or, pour que le pouvoir législatif confie des pouvoirs exceptionnels au pouvoir exécutif, chacun doit être associé au contrôle. Pourtant, le dispositif prévu exclut de fait quatre groupes parlementaires du contrôle effectif – et non pas du seul contrôle statistique, qui n’a qu’un intérêt très relatif et dont les conclusions ne peuvent éventuellement servir qu’à envisager des suites législatives. Ainsi, les éléments d’informations qui seront demandés aux autorités pour chaque perquisition administrative et chaque assignation à résidence doivent pouvoir être vérifiés par l’ensemble des groupes. On ne saurait en effet demander aux groupes politiques de soutenir les mesures d’état d’urgence tout en privant certains d’entre eux de la capacité de contrôle. À l’inverse, je serais très réticent à ce que tous les parlementaires puissent vérifier ces éléments dans leurs circonscriptions : se poseraient alors des problèmes de secret des informations.

Précisément, qu’en sera-t-il de l’habilitation ou de l’obligation au secret des parlementaires concernés ? M. Popelin évoquait la Seine-Saint-Denis : il existe en effet quelques départements dans lesquels les difficultés et les personnes surveillées se concentrent et, par conséquent, dans lesquels les perquisitions et assignations sont plus nombreuses. Faute de garantir un niveau de secret suffisant, les services pourraient finir par renoncer à certaines opérations de crainte que les liens entre telle et telle personne soient trop diffusés.

Il nous faudra donc trouver un équilibre – c’est déjà en partie le cas – qui doit notamment s’appuyer sur un partage de la mission de contrôle entre l’ensemble des forces politiques, faute de quoi les groupes qui n’auront pas été associés au contrôle effectif de l’action des services ne pourront pas accepter une nouvelle prolongation de l’état d’urgence. D’autre part, il faut que les informations qui seront demandées aux services – dont la liste que vous nous présentez est très complète – soient assorties d’un degré suffisant de confidentialité pour qu’elles nous soient effectivement fournies.

M. Olivier Marleix. Comme M. Fenech, j’estime qu’il faut ajouter la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice à la liste des interlocuteurs de la Commission. Les perquisitions effectuées peuvent se solder par trois sortes de résultats. Premièrement, l’infraction est assez grave pour être constitutive d’un fait de terrorisme, et c’est alors la section antiterroriste du parquet de Paris qui est saisie par le parquet territorial compétent. Deuxième possibilité : l’infraction est plus légère – détention d’armes, par exemple – et ne constitue pas un fait terroriste et, dans ce cas, c’est au procureur compétent sur le territoire concerné qu’il appartient d’engager des poursuites. Le troisième cas s’apparente à une zone grise dans laquelle les services ont l’assurance que les perquisitions ont permis d’effectuer un « nettoyage » – lequel peut donner lieu à quelques suspicions – et une enquête préliminaire pourra être lancée. Il est essentiel que nous sachions ce qu’il adviendra des procédures engagées dans ces deux derniers cas. Pour ce faire, nous devons avoir une vue plus large que le seul tableau dressé par le parquet de Paris. Nous pourrons ainsi répondre à cette question primordiale : à quoi servent les pouvoirs exceptionnels que nous avons octroyés au Gouvernement en remaniant la loi de 1955, et la justice en tire-t-elle le meilleur parti ?

M. Jacques Bompard. Dans notre République, la notion de défense des droits et des libertés est parfois portée à un degré pathologique, voire liberticide. Nous luttons contre des terroristes sans foi ni loi, mais nos combattants sont ligotés par un extraordinaire arsenal de lois. Je reconnais la difficulté de la situation. Je note toutefois qu’il existe environ huit cents défenseurs des libertés. Je veux dire mon admiration à MM. Urvoas et Poisson, car ils vont devoir livrer un combat contre le terrorisme qui risque fort de les dépasser, quels que soient leurs talents respectifs – telle est mon inquiétude.

M. Daniel Goldberg. Je me félicite de la démarche qu’adopte votre Commission, monsieur le président. Permettez-moi, ayant entendu plusieurs collègues de mon département, de proposer que dans certains départements, le contrôle parlementaire puisse s’exercer sur une zone plus restreinte que l’ensemble du territoire national. En effet, le dispositif prévu vous donnera une vision synoptique de la situation. Il faudrait dans certains départements – la Seine-Saint-Denis et d’autres – collaborer de manière plus étroite avec les services concernés pour vérifier les conditions dans lesquelles les opérations sont conduites et pour cerner les problèmes qui justifient qu’elles aient lieu. Je propose non pas de réunir l’ensemble des maires et des parlementaires concernés pour leur livrer les informations prévues dans votre dispositif, mais de constituer un panel représentatif assez restreint pour respecter la confidentialité des informations, auquel le préfet communiquerait des informations par nature confidentielles mais qui pourraient donner lieu à une discussion ; un tel mécanisme serait très utile et contribuerait aux travaux de votre Commission.

Mme Cécile Untermaier. J’ai noté avec satisfaction que vous aviez prévu, dans le cadre de ce contrôle parlementaire, que les préfets rencontrent les députés. Dans mon département, où nous avons déjà organisé ce type de rencontres, nous sommes convenus d’un rendez-vous mensuel. Quel niveau d’informations pourrons-nous requérir ? Si nous avons eu connaissance d’assignations à résidence, ce n’est qu’une fois le climat de confiance instauré que nous avons pu, selon les cas, disposer d’informations plus fournies. Le ministère de l’intérieur et vous-mêmes ne pourriez-vous pas encadrer de façon plus précise les conditions dans lesquelles se dérouleront ces séances d’information ? Je trouve par ailleurs fort utile que nous soit donnée la possibilité de faire remonter l’information. J’ai d’ores et déjà pu, en effet, mesurer la richesse de ces réunions, constater quelques difficultés, et envisager certaines évolutions procédurales.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je voudrais à mon tour, Monsieur le président, saluer ce travail complet, solide et original, d’autant qu’il a été réalisé en un temps très court – l’urgence appelant l’urgence, y compris des procédures. La note qui nous a été distribuée sera à l’évidence d’une grande utilité lors de la future révision constitutionnelle – même si la boîte à outils qu’offre ce document est extrêmement complète, et si une loi organique peut ensuite décliner certaines mesures ici prévues. Sans faire de la loi-fiction, il me semble que nous sommes déjà dans cette perspective – et je remercie les auteurs de cette note de l’avoir ainsi tracée.

La commission des Lois – transformée en commission d’enquête si j’ai bien compris – procèdera-t-elle dans certains cas à des auditions publiques ? L’essentiel du travail ne s’effectuera pas dans une grande publicité pour des raisons évidentes mais il me paraîtrait utile de prévoir, dans le cadre de l’évaluation – qui, certes, constitue l’une des missions du Parlement mais que vous avez spécifiquement définie dans cette note –, une sorte de séance publique de bilan. Cela nous permettrait de faire taire nombre de rumeurs tenaces et de mettre un terme aux ressentiments et dissensions qui ne sont pas toujours empreints de la plus grande maturité.

Enfin, si la question du rapport entre les préfets et les parlementaires a été soulevée ici à trois reprises, ce n’est pas le sujet du jour. Je comprends qu’il puisse y avoir des problèmes ici ou là. Mais cette relation doit être facilitée par le ministre de l’intérieur qui donne des instructions à ses préfets. Il convient que chaque parlementaire ait avec eux des rapports constructifs et apaisés, suffisamment en amont – sachant que certains territoires sont, plus que d’autres, des nids à difficultés.

M. Philippe Gosselin. Je m’associe à tous les propos qui ont été tenus : cette note est parfaite. Je ne suis d’ailleurs pas certain que son contenu plaide en faveur d’une révision constitutionnelle, madame Bechtel.

Puisque l’on se plaint souvent du nombre excessif de communes en France, j’insisterai au contraire sur le caractère extraordinaire de notre réseau de collectivités locales : nos communes sont autant de points de contact et chaque maire étant aussi officier de police judiciaire, il est déjà doté de par la loi de missions et de responsabilités. Nous devons donc faire fructifier ce réseau et formaliser les relations entre les forces de l’ordre – police et gendarmerie –, d’une part, et, d’autre part, les associations de maires ou les élus locaux directement.

Quant aux relations entre préfets et parlementaires, elles se nouent assez naturellement. Il faut bien sûr qu’elles soient particulièrement suivies et efficaces dans cette période mais c’est globalement plutôt déjà le cas.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je remercie l’ensemble des députés qui viennent d’intervenir pour la qualité et la densité de leurs observations. Depuis le vote de la prolongation de l’état d’urgence, Jean-Frédéric Poisson et moi-même avons cherché à inventer un dispositif, le Parlement n’ayant strictement aucune expérience en la matière. Si c’est la septième fois que notre pays connaît l’état d’urgence, jamais en effet aucune chambre ne s’était lancée dans un travail d’investigation. Au regard de l’ampleur des mesures prises – l’état d’urgence ayant été proclamé sur la totalité du territoire, ce qui n’était le cas ni en 2005 ni en 1985 –, il était indispensable que le Parlement se hisse à la hauteur des responsabilités qui lui sont conférées par l’article 24 de la Constitution : celles de l’évaluation et du contrôle de l’action gouvernementale. C’est pourquoi nous avons cherché à bâtir un dispositif exemplaire, fondé sur la recherche d’une efficacité durable. Cela explique que nous ayons pris le temps d’y réfléchir : le temps de la Commission n’est pas celui de la fébrilité. Nous ne sommes pas dans la réactivité à l’immédiat.

Le dispositif que nous vous proposons s’appuie sur quatre convictions.

Tout d’abord, pour contrôler, il faut savoir. Il est donc nécessaire de bénéficier du plus grand nombre possible d’informations. Qu’il y ait eu cette nuit 106 perquisitions, qu’au total, depuis le début de l’état d’urgence, celles-ci s’élèvent à 2 235, est un fait. Mais cela n’est pas suffisant. Nous avons besoin de savoir où elles se sont produites, dans quels locaux, à quelle heure, qui étaient les personnes présentes, s’il y avait notamment un officier de police judiciaire, si des biens ont été détruits, si des infractions ont été constatées et si des saisies informatiques ont été effectuées.

Nous avons donc bâti un dispositif tenant compte des treize mesures – et j’insiste sur ce point – que permet potentiellement de prendre l’état d’urgence. Toutes n’auront certes pas la même ampleur quantitative. Les dissolutions d’associations ou de groupements ne pouvant résulter que d’une décision prise en Conseil des ministres, je ne pense pas qu’on y ait beaucoup recours. J’ignore si la disposition votée à l’initiative du président Schwartzenberg concernant le blocage des sites internet sera utilisée mais il me semble nécessaire que le Parlement sache sur quelles bases juridiques elle le sera : celles de la loi de 1955, comme nous en avons ouvert la possibilité, ou celles de la loi de novembre 2014 – je rappelle que quatre-vingt-dix sites ont été bloqués depuis lors.

Je souhaite que les informations qui nous seront communiquées – nous étions, ce matin encore, Michel Mercier et moi-même, en réunion de travail avec le ministre de l’intérieur –, et que je veux mettre à la disposition du Parlement, soient quotidiennes. Si vous validez le dispositif proposé, nous donnerons, cet après-midi à quinze heures dans le cadre d’une réunion prévue avec des représentants de l’Intérieur, la totalité des exigences statistiques de notre Commission.

D’abord savoir. Ensuite, connaître. C’est la raison pour laquelle le contrôle ne se fait pas seulement à l’Assemblée nationale : la capacité des parlementaires à écouter les élus locaux apportera des informations. Nous ne pourrons exercer un contrôle que si celles-ci n’émanent pas toujours de la même source. Les faits que je lis comme vous dans les coupures de presse viennent d’une parole qui n’est pas nécessairement la plus objective et qui, en tout état de cause, a besoin d’être confrontée à d’autres points de vue. Je suis d’accord avec Olivier Marleix : une perquisition administrative n’aboutit pas nécessairement au constat d’une infraction. La saisine d’un ordinateur nécessite le temps d’examiner le contenu de celui-ci. Si la perquisition est de nature administrative, c’est précisément parce que la procédure n’est pas « judiciarisable ».

Savoir, connaître, puis interroger. C’est pourquoi – je le précise car cela n’était sans doute pas clair dans mon propos liminaire – la commission des Lois ne devient pas une commission d’enquête : elle s’en donne les pouvoirs, ce qui est fort différent. Cette faculté n’a encore jamais été utilisée ; je m’en suis évidemment entretenu avec le Président Bartolone et la garde des sceaux qui, selon les formes, doit nous confirmer qu’aucune poursuite judiciaire en cours ne s’y oppose.

Savoir, connaître, interroger pour évaluer. Ne nous trompons pas : le Parlement a une responsabilité particulière. Nous ne sommes pas une autorité judiciaire donc nous ne jugerons pas. Nous ne sommes pas une voie de recours dans des procédures juridictionnelles. Nous sommes uniquement ici pour contrôler l’application des mesures prévues – raison pour laquelle je suggère que nous ne nous dispersions pas. Nous ne devons avoir qu’un seul interlocuteur : le ministre de l’intérieur, seul responsable de son administration comme le prévoit la Constitution. Sinon, si l’on s’adresse à tel corps, à tel groupement, à telle direction départementale de la sécurité publique, à telle section de recherche, à tel service central du renseignement territorial, à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), nous risquons d’être submergés.

Il est évident que tout cela sera public. J’aurais dû commencer par là – pardon pour cet oubli ! Nous allons donc ouvrir, dès cet après-midi, sur le site de l’Assemblée nationale une page dédiée au contrôle parlementaire qui fera état des données statistiques que nous publierons, des remontées obtenues et des manques constatés – si nous n’obtenons pas les renseignements que nous avons demandés. Cette page sera actualisée autant que nécessaire – et au moins de façon hebdomadaire. Toutes les trois semaines, je suggère que la Commission ait un débat sur ce sujet de façon à répondre aux interrogations évoquées par Alain Tourret, Marc Dolez et Jean-Christophe Lagarde. Il ne s’agit en aucun cas – bien au contraire ! – d’écarter quiconque du contrôle exercé dans le cadre de la commission des Lois. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas pris le chemin choisi par nos collègues du Sénat, qui ont simplement désigné un rapporteur spécial. Pour moi, toute la Commission est engagée dans ce travail : l’information qui parviendra au rapporteur sera destinée à tous ses membres. La tenue d’un débat toutes les trois semaines permettra du reste de combler le manque d’information des uns et des autres.

De même, il est évident qu’à l’issue de l’état d’urgence, à la fin du mois de février, un rapport sera publié. Celui-ci n’aura pas seulement vocation à être adopté par la commission des Lois mais devra faire l’objet, selon moi, d’une séance publique de contrôle dans l’hémicycle. Là encore, en effet, il ne s’agit pas d’informer la seule commission des Lois – même si celle-ci est le bras armé de notre assemblée : tous les parlementaires sont concernés par l’état d’urgence puisque tous l’ont voté. Et dans cette affaire, je ne crois pas que nous puissions agir par délégation. Ce bilan, présenté lors d’une séance de contrôle, nous permettra de disposer des éléments que vous imaginez.

S’agissant des correspondants, nous devons faire évoluer la position prise au moment où cette note a été rédigée. Ce qu’a dit Georges Fenech est frappé au coin du bon sens : comme nous avons besoin d’informations, il faut viser celui qui, à la Chancellerie, les donne – probablement un correspondant à la direction des affaires criminelles et des grâces. En citant le parquet de Paris dans ma note, c’est à cela que je pensais. Il ne s’agit nullement de bafouer le principe de séparation des pouvoirs, alors que nous en sommes tous les défenseurs, en allant nous immiscer dans la procédure judiciaire.

Naturellement, si la Commission le décide, le Gouvernement assistera à nos travaux. Le ministre de l’intérieur, la garde des sceaux et le Premier ministre ont d’ailleurs dit depuis le début qu’ils souhaitaient que nous soyons pleinement associés à la procédure. Effectivement, monsieur Le Bouillonnec, nous pouvons d’ores et déjà nous féliciter que le Gouvernement nous informe. Dès le dimanche 15 novembre, le Président de la République a réuni quelques-uns d’entre nous à l’Élysée. Peu de temps après, le ministre de l’intérieur a fait de même, puis le Premier ministre cette semaine. Le Gouvernement informe : c’est à son honneur et c’est sa responsabilité. Le Parlement, lui, doit contrôler. Il ne s’agit donc pas ici de marcher sur des platebandes qui ne nous sont pas communes.

Qu’allons-nous contrôler ? Là est la difficulté. Il n’y a pas de solution toute prête. Comment mesurer l’efficacité des mesures prises par le Gouvernement ? C’est dans le travail collectif que nous parviendrons à le déterminer. Comment évalue-t-on l’efficacité d’un renseignement obtenu ? Chacun d’entre nous aura une culture nourrie de l’expertise que nous pourrons forger au fur et à mesure

Monsieur Glodberg, si nous nous dotons des pouvoirs d’une commission d’enquête, c’est justement pour permettre à Jean-Frédéric Poisson et à moi-même de nous rendre dans les départements – non seulement de jour mais aussi de nuit afin de vérifier sur pièces et sur place la manière dont les mesures autorisées par le Parlement sont appliquées.

Quant à savoir si le secret sera opposé, je considère que les débats de la Commission doivent être publics : ils l’ont toujours été et le sont toujours. Nous n’avons demandé qu’une fois le huis clos pour une audition du directeur général de la sécurité intérieure. Je ne crois pas que quiconque ait à gagner à ce que nos débats deviennent secrets en période d’état d’urgence – bien au contraire. Comme vous le savez, je suis un adepte du philosophe libéral Jeremy Bentham qui considère que l’œil du public rend l’homme d’État vertueux. Je pense donc que nos débats doivent rester publics. Cela étant, certaines règles s’appliquent : je vous renvoie à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui prévoit dans quels cas le secret est levé ou opposable. Ainsi, le secret défense est opposable dans le cadre d’une commission d’enquête. Naturellement, nous respecterons le cadre légal, personne n’ayant proposé à ce stade de le faire évoluer.

Un dernier mot pour vous dire que le contrôle a commencé depuis vendredi : j’ai adressé quotidiennement, sur la base d’informations qui m’ont été transmises, vingt-quatre courriers au ministre de l’intérieur, concernant des cas précis. Treize d’entre eux me sont revenus pour le moment. Nous publierons sur le site de l’Assemblée nationale le taux de réponses obtenu. Il ne s’agit pas de publier ces courriers – chacun le comprendra. Mais à partir d’informations entendues, relevées et lues, il est de notre responsabilité d’interroger le Gouvernement et de la sienne de nous répondre. Le public, quant à lui, doit savoir si nous avons obtenu réponses ou pas. Ce que nous en ferons figurera dans le rapport que nous publierons. Je crois ainsi que nous n’aurons pas été en deçà de ce qu’il était légitime d’attendre de notre part en termes de capacité à inventer un dispositif exigeant et robuste.

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous dites que l’ensemble de la Commission sera associé à ce travail. Mais la partie la plus pertinente et la plus précise du contrôle des services de l’État sera réservée aux deux rapporteurs et – désormais – aux deux groupes auxquels ils appartiennent, à l’exclusion des quatre autres.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Si c’est aux indications statistiques que vous faites référence, elles n’ont pas seulement vocation à être lues par les rapporteurs. L’anonymisation des données sera évidente mais l’information transmise me paraît devoir être discutée par la Commission.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je fais référence à la dernière page de la note que vous nous avez transmise où sont mentionnés les date et heure de début de perquisition administrative, la nature des locaux concernés, les autorités décisionnaires et les services originaires du ciblage. Vous précisez notamment qu’il s’agira « de déterminer l’élément déclencheur de la perquisition » : cette information me semble devoir être accessible à un représentant par groupe politique et non seulement aux rapporteurs.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. On peut en discuter. Mais dans mon esprit, dès lors que ces données sont rendues anonymes, il n’y a pas de raison d’être restrictif dans l’usage qui est fait de l’information. Ce ne sont pas les noms des individus qui m’intéressent mais les conditions dans lesquelles les mesures sont appliquées.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Vous n’avez pas abordé la question de la divulgation de certains éléments au sein de la commission des Lois. Où est la limite ? Ce contrôle ne va-t-il pas gêner les enquêtes en cours ? D’autre part, quels moyens humains seront-ils mis à disposition de la Commission ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Notre vigilance sera nécessairement constante – raison pour laquelle j’ai rappelé que nous n’étions pas autorité judiciaire ni voie de recours dans une procédure juridictionnelle. Il relève de notre déontologie d’y réfléchir. C’est pourquoi nous y travaillons avec les trois administrateurs que la division du contrôle du service des affaires juridiques de notre assemblée a mobilisés à cette fin. Depuis le début, y compris lorsque Jean-Frédéric Poisson et moi avons imaginé ce dispositif, nous avons à l’esprit la nécessité de ne pas outrepasser la compétence de l’Assemblée nationale pour ne pas fragiliser les procédures parfaitement fondées qui pourraient être engagées.

La Commission en vient au vote de la demande d’attribution des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 et à la désignation du rapporteur et du co-rapporteur chargés d’assurer un travail de veille, de suivi et de contrôle parlementaire des mesures prises pendant l'état d'urgence.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous propose de demander que la commission des Lois soit dotée, pour une durée de trois mois, des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête, ainsi que le permet l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

À l’issue de cette séance, j’adresserai une lettre en ce sens au Président de l’Assemblée nationale. Lui-même saisira immédiatement la garde des sceaux aux fins de savoir si des poursuites judiciaires en cours s’y opposent. Mais je puis d’ores et déjà vous assurer que ce ne sera pas le cas puisqu’il n'est pas question de nous substituer à la justice et que nous agirons dans le respect de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs.

En application des articles 145-2 et 145-3 du règlement de l’Assemblée nationale, la demande sera alors affichée et notifiée aux présidents de groupes. Si avant la deuxième séance qui suit cet affichage, le Président de l’Assemblée n’a été saisi d'aucune opposition par le Gouvernement, le président d’une commission ou le président d’un groupe, la demande sera considérée comme adoptée. Concrètement, nous considérons qu’il devrait en être décidé vendredi matin. Y a-t-il des oppositions à cette intention ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Il n’est pas d’usage de formuler des explications de vote en commission mais j’ai entendu votre réponse concernant l’association de l’ensemble des groupes à ce contrôle : vous nous avez indiqués que nous pouvions en discuter. En l’absence de réponse précise, il m’est compliqué d’émettre un vote, raison pour laquelle je m’abstiendrai. Je vais en discuter avec mon groupe qui, évidemment, souhaite être associé à ce travail dans les mêmes conditions que les autres.

Je rappellerai notre philosophie pour éviter tout malentendu. Le contrôle – et c’est pourquoi je faisais référence aux exemples anglo-saxons – doit être exercé par un nombre restreint de parlementaires parce que cette activité, qui consiste notamment à interpeller quotidiennement le ministre de l’intérieur, ne peut être partagée. Que chacun ait le droit d’interpeller les personnes concernées pour se renseigner, est une autre chose. En l’état, et en l’absence de réponse plus précise de votre part, je m’abstiendrai donc.

M. Alain Tourret. Je suis très gêné, Monsieur le président. Il faut que nous trouvions une solution. Historiquement, du reste, c’est toujours avec les petits groupes que se posent les problèmes – les grands trouvant toujours un consensus. Il faut procéder à une association en amont, éventuellement dans le cadre d’une structure intermédiaire, de sorte que vous ayez tous deux, rapporteur et co-rapporteur, la possibilité d’être à chaque fois accompagné d’un représentant de l’un des groupes de l’Assemblée nationale. Il nous faut trouver une solution médiane entre le contrôle quotidien des deux rapporteurs et la réunion de la Commission. Sans quoi nous serons obligés de ne pas participer au vote – et j’en serai très malheureux. C’est pour nous une question de principe.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. J’entends bien et je suis très attentif à vos observations. La Commission ne change pas son fonctionnement : le bureau de la Commission – qui, depuis trois ans, associe tous les groupes, même ceux qui n’en sont pas membres – continue à exister. Si donc instance réduite il doit y avoir, ce sera le bureau de la Commission.

Nous pouvons bien sûr tout inventer. Mais je veux quand même rappeler le temps que cette affaire exige. Je sais que tout le monde est volontaire lors de nos discussions collectives. Mais qu’en sera-t-il lorsqu’il va falloir mettre l’ouvrage quotidiennement sur le métier ? Les statistiques que nous recevons depuis quatre jours nous parviennent à minuit trente-trois toutes les nuits. Je réunis à ce moment-là la structure – car nous travaillons vraiment en temps réel – et nos interrogations sont adressées au Gouvernement dans la foulée. Je le répète, je suis prêt à tout mais je veux un dispositif robuste, efficace et constant, jusqu’à la fin du mois de février, y compris pendant la période de Noël.

M. Marc Dolez. Je ferai la même remarque que mes deux collègues. Le dispositif proposé est très poussé et particulièrement intéressant. Il serait dommage de ne pas trouver la solution concrète qui permette d’associer tous les groupes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Notre groupe votera bien sûr en faveur de cette demande. Je partage l’avis selon lequel le bureau est la structure idoine pour répondre à l’interrogation de nos collègues. Enfin, je rappelle que si la Commission des lois se dote effectivement des attributions d’une commission d’enquête aux termes de l’ordonnance de 1958, cette même ordonnance ne prévoit pas un élargissement spectaculaire de nos capacités quotidiennes d’enquête. Il nous faut donc trouver un équilibre qui permette à la fois à chacun d’être satisfait des informations qu’il récupère et à la Commission de travailler comme elle le doit, dans le respect des règles qui la régissent.

M. Philippe Gosselin. Ne créons pas un comité Théodule. Le bureau existe, il se réunira sans doute plus souvent. C’est vraiment l’instance paritaire idoine qui répondra très bien aux interrogations légitimes de nos collègues.

M. Paul Molac. Je tiens à exprimer ma satisfaction à l’égard de votre proposition : elle était attendue par les Français et permettra de conjuger sécurité et liberté. Je connais votre capacité de travail et votre volonté. Je crois que vous serez – avec, je l’espère, tous nos collègues ici – à la hauteur de la tâche qui nous incombe. Je soutiens évidemment votre idée de recourir au bureau, auquel tous les groupes sont associés.

La Commission adopte la demande tendant à ce que lui soient attribuées les prérogatives d’une commission d’enquête.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous propose à présent de me confier le soin d’assurer, avec les compétences d’un rapporteur, le travail de veille quotidienne, de suivi et de contrôle que je viens d’évoquer. Je vous propose également d’y associer Jean-Frédéric Poisson, qui a été d’ores et déjà désigné avec moi co-rapporteur d’application de la loi du 20 novembre 2015.

Il en est ainsi décidé.

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La séance est levée à 12 heures.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Jean-Luc Warsmann, co-rapporteur sur la mise en application des lois qui seraient issues de l’adoption définitive des propositions de loi organique et ordinaire relatives à la modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle (nos 3201 et 3214).

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, Mme Pascale Crozon, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Claude de Ganay, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Sergio Coronado, M. Carlos Da Silva, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Daniel Gibbes, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Patrice Verchère, Mme Paola Zanetti

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Goldberg, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jacques Moignard, M. Paul Molac, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Éric Straumann