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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 22 mars 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 62

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Président

– Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

La séance est ouverte à 16 heures 25.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission procède à l’audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits.

M. le président Dominique Raimbourg. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, venu avec deux de ses adjoints, Mme Claudine Angeli-Troccaz, chargée de la déontologie de la sécurité, et M. Patrick Gohet, chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité. Sont également présents M. Bernard Dreyfus, délégué général à la médiation avec les services publics, et M. Richard Senghor, secrétaire général.

Nous entendons normalement le Défenseur des droits à l’occasion de la parution de son rapport annuel d’activité. L’année 2015 a été, monsieur Toubon, votre première année d’activité complète puisque vous avez succédé à M. Baudis en juillet 2014.

Les relations entre nos deux institutions sont intenses : l’an dernier, vous avez été entendu pas moins de 29 fois par le Parlement. C’est dire que votre expression n’est pas entravée ; au contraire, elle suscite toujours ici même un grand intérêt.

Les questions que nous vous poserons porteront naturellement sur votre bilan, sur l’ensemble des sujets que vous abordez dans le rapport, mais également sur l’état d’urgence. Notre commission, instituée en commission d’enquête pour procéder au contrôle parlementaire de l’état d’urgence, a en effet examiné les réclamations dont vous avez été saisi à ce propos et qui sont pour nous un matériau essentiel à l’heure où nous préparons notre rapport.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Merci de me donner une nouvelle occasion de m’exprimer devant votre commission tout entière. Depuis le début de cette année, j’ai par ailleurs été consulté une dizaine de fois par les deux chambres, principalement par les commissions des lois et leurs rapporteurs, à propos de textes en discussion. La présentation annuelle de mon rapport d’activité fait désormais partie de nos usages. Il a en effet été convenu avec votre prédécesseur, M. Jean-Jacques Urvoas, puis avec vous-même, monsieur le président, que nous ferions le point sur l’activité du Défenseur des droits deux fois par an au total, dont une fois, en début d’année, à propos du rapport d’activité pour l’année précédente.

J’ai bien conscience du fait qu’une telle audition peut sembler décalée dans un contexte dominé par la violence, la peur et la volonté de sécurité. Mais la mission du Défenseur des droits contribue au maintien de la cohésion sociale et au renforcement de l’appartenance à la République, avec les droits et libertés que celle-ci confère à tous ; or ce sont là les seules réponses de fond et durables à la double menace que représentent la terreur imposée de l’extérieur et la division interne dans laquelle on voudrait nous entraîner.

C’est ce que j’ai dit dès les attentats de janvier 2015 aux agents du Défenseur des droits rassemblés pour une minute de recueillement : notre responsabilité allait être plus lourde, plus difficile, plus pressante. J’ai essayé de l’exercer en prenant le risque de m’exposer sur des sujets et dans des débats qui étaient tout sauf consensuels. Car, pour moi, le droit n’est pas une théorie : c’est une action. Et c’est, pour une nation comme la France, un principe absolu, une structure essentielle de la société.

Dans les petites choses comme dans les grandes, notamment celles qui relèvent de la décision du pouvoir politique, nous avons été entendus, écoutés quelquefois, suivis ou critiqués. Les mesures sécuritaires, les enfants à Calais, le droit d’asile, la déontologie des forces de sécurité, les discriminations : sur ces différents sujets, j’ai fait entendre notre voix, j’ai pris des décisions et formulé des recommandations, en toute indépendance, et j’en ai rendu compte, comme je vous en rends compte aujourd’hui. À vous de décider de me soutenir si je suis mis en cause. Quand, il y a un an et demi, vous avez largement ratifié ma nomination par le Président de la République, je vous ai dit que je serais indépendant – c’est mon statut –, impartial – c’est notre méthode –, libre – c’est mon tempérament. J’ai tenu parole.

Voici ce qu’a été le Défenseur des droits en 2015. D’abord, 240 à 250 agents au siège national, essentiellement des experts juristes ; à la date de la semaine dernière, 417 délégués territoriaux – nous avons commencé à en accroître le nombre, puisqu’ils étaient 372 il y a un an et demi, et j’espère qu’ils seront 500 début 2017. Notre institution est jeune : elle a commencé à fonctionner en juin 2011. Nous avons reçu au cours de l’année 120 000 demandes dont vous trouverez le classement détaillé dans les tableaux intégrés au rapport et qui, en gros, se répartissent en trois catégories. Le premier tiers correspond à des demandes de renseignement que nous réorientons. Le deuxième, à des demandes que nous accueillons, traitons et réorientons en travaillant sur l’accès aux droits. Sur le tiers restant, 50 000 dossiers environ relèvent de la médiation avec les services publics : c’est le lot quotidien du Défenseur des droits. En particulier, les questions de protection sociale et de mise en œuvre des droits sociaux représentent 40 % de toute l’activité de médiation avec les services publics.

Nous allons connaître cette année une mutation importante : alors que nous avions jusqu’à présent deux implantations, rue Saint-Florentin et rue Saint-Georges, nos locaux doivent être réunis à l’automne place de Fontenoy, dans des bureaux actuellement en cours de rénovation par les services du Premier ministre. Dans la partie des bâtiments qui donne place de Fontenoy seront installés dès la fin 2016 la CNIL, d’une part, et le Défenseur des droits, de l’autre. Un an plus tard, en 2017, l’immeuble Ségur accueillera toute une série d’autorités indépendantes qui dépendent du point de vue administratif et budgétaire des services du Premier ministre.

À cette occasion, nous procéderons à des mutualisations de services communs et de fonctions support. Voilà pourquoi nous avons dès à présent simplifié notre structure. Depuis 2011, nous avions un secrétaire général, responsable des fonctions métier, et un directeur général, responsable des fonctions support. Celles-ci étant appelées à se réduire considérablement, nous avons supprimé il y a quelques jours le poste de directeur général des services – l’intéressé, conseiller maître à la Cour des comptes, vient d’être nommé secrétaire général du Conseil économique, social et environnemental – et nous sommes en train, dans des conditions que j’aurai certainement l’occasion de vous exposer avant la fin de l’année, de réorganiser et de rationaliser la structure des fonctions métier, notamment en réduisant le nombre de directions concernées.

Le travail du Défenseur des droits consiste naturellement à prendre en considération toute la demande sociale lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des droits et libertés qui ne sont pas suffisamment effectifs. Au-delà des chiffres que vous trouverez dans le rapport, ce travail est donc difficile à résumer. J’ai mentionné l’importance des droits sociaux, mission prenante et prioritaire de notre maison. Vous avez tous entendu parler dans les médias de l’action que nous avons menée pour accélérer la liquidation des droits des retraités et le versement de leur pension, retardés par l’embolie de certaines caisses régionales d’assurance vieillesse du régime général. Vous avez également discuté du blocage du régime social des indépendants (RSI), qui a fait l’objet d’une mission parlementaire. En la matière, nous avons non seulement traité les cas qui nous étaient soumis, mais formulé des propositions et des recommandations de réformes, non sans résultat : Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, a fait publier fin août 2015 un décret prévoyant un dispositif de liquidation provisoire. Pour l’instant, ce dispositif ne bénéficie qu’aux assujettis à l’assurance vieillesse du régime général, mais il sera étendu aux autres régimes en 2017.

En 2015, j’ai beaucoup mis l’accent sur ce qu’il est convenu d’appeler la « fracture numérique ». L’utilisation des nouvelles technologies, qui se développe dans les services de l’État comme dans les collectivités territoriales, est souhaitable, notamment parce qu’elle permet de réaliser des économies dans les administrations et établissements publics, mais elle n’est pas également accessible à tous. On considère généralement que, pour 20 à 25 % des personnes qui vivent en France, il est difficile, voire impossible, de recourir aux procédures numérisées. Nous avons donc demandé – et nous nous battons pour obtenir satisfaction auprès du Sénat, devant lequel se trouve le projet de loi pour une République numérique – que soit inscrit dans la loi ce principe : lorsque l’on passe à des procédures numérisées, on continue d’offrir une alternative papier ; et si, pour telle ou telle raison, ce n’est pas possible, un service d’accompagnement et de médiation est obligatoirement mis à la disposition des usagers. Le ministère des finances semble désireux de le faire s’agissant de la déclaration des revenus en ligne. Mais on nous dit, certaines associations notamment, que ces procédures numérisées présentent des difficultés. Nous devons parvenir à les résoudre. Je le dis devant la commission des Lois, car les droits – vous le savez mieux que moi, monsieur le président –, c’est d’abord l’accès aux droits et la possibilité de s’en prévaloir.

L’année dernière, nous avons aussi fortement agi pour lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité. Nous remportons des succès, dont certains sont spectaculaires, comme dans le cas de ce cadre d’une grande banque qui, au bout de dix ans de procédure, a obtenu plus de 400 000 euros de dommages et intérêts car il avait été maltraité en raison de son état de santé et de son handicap. Dans des affaires plus courantes aussi, nous parvenons à démontrer des discriminations, soit par nous-mêmes, soit en présentant des observations devant les juridictions au titre de l’article 33 de la loi organique relative au Défenseur des droits.

Ainsi, le projet de loi égalité et citoyenneté, un texte important que le Gouvernement a transmis au Conseil d’État et qui sera présenté dans quelques semaines en Conseil des ministres, puis au Parlement, comporte dans son titre III des mesures qui tendent à améliorer la loi de 2008 sur les discriminations et qui résultent de propositions que nous avons formulées afin de rééquilibrer le dispositif. Jusqu’à présent, en effet, en matière d’accès aux biens et aux services, on ne pouvait alléguer les critères de discrimination par la voie civile : seule était ouverte la voie pénale, qui est très ardue car la preuve est particulièrement difficile à établir et les procureurs sont très réticents à s’engager dans ces affaires. Je vous signale ces dispositions car elles seront, selon toute vraisemblance, défendues ici par le ministre de la justice – à l’instar, dans le cadre de la réforme dite « J21 » que vous aurez bientôt à examiner et sur laquelle je vous donnerai prochainement mon avis, de l’action collective contre les discriminations, mesure essentielle.

En ce qui concerne les discriminations, nous ne sommes pas suffisamment saisis. Les situations de discrimination sont beaucoup plus nombreuses et plus graves que ne le laisse croire le nombre de recours – environ 5 000 – que nous recevons chaque année. Voilà pourquoi, dans le cadre de notre action de promotion de l’égalité, nous avons décidé de réaliser cette année une grande enquête en population générale – 5 000 personnes seront interrogées – pour tenter de déterminer l’origine du non-recours, dans toutes nos compétences mais spécialement en matière de discrimination. Ce qui est en jeu, c’est le sentiment qu’éprouvent certaines personnes ou populations vulnérables ou démunies que la République et les droits qu’elle octroie sont pour les autres. C’est terrible dans un pays comme le nôtre. Nous devons redonner confiance dans la République, dans les institutions, dans les administrations et, pour cela, traiter la question du non-recours.

Ces difficultés touchent particulièrement les étrangers qui viennent en France ou qui y vivent, en situation régulière ou irrégulière. J’ai présenté le 6 octobre dernier un rapport complet sur Calais qui a été diversement apprécié. Il montrait l’écart entre les droits fondamentaux de toute personne, y compris les migrants, spécialement les enfants et parmi eux les mineurs non accompagnés, et la situation réelle. Je continuerai sur cette voie, et je présenterai en avril ou en mai un rapport général sur le respect des droits des étrangers dans notre pays. C’est évidemment une question d’actualité, l’une des principales qui se posent aujourd’hui à l’Europe. C’est aussi, en particulier eu égard au tout récent accord entre l’Europe et la Turquie, une question de droit.

Nous avons également accordé une grande attention à la situation des handicapés. Le 11 février 2015, nous avons célébré le dixième anniversaire de la loi de 2005 et dressé le bilan de son application. Il y a incontestablement des avancées, en particulier la scolarisation des enfants handicapés dans les écoles élémentaires, les collèges et les lycées de droit commun plutôt qu’au sein d’établissements d’enseignement spécialisé. Mais il existe encore bien des difficultés et – je le dis à l’intention des nombreux élus départementaux ici présents – trop de différences de fonctionnement entre les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), innovation de la loi de 2005. J’en parlerai avec le bureau élargi de l’Assemblée des départements de France que je rencontrerai la semaine prochaine, répondant à l’invitation du président Bussereau. La décentralisation est un acquis au sein de nos institutions et le pouvoir des élus locaux s’exerce aujourd’hui dans des domaines déterminants, mais nous devons prendre garde de ne pas favoriser les inégalités entre les personnes, surtout entre les enfants, selon l’endroit où ils vivent sur notre territoire. Le problème se pose aussi particulièrement outre-mer.

Nous avons abordé cette question d’une autre façon, qui est passée inaperçue, car c’était malheureusement une semaine après les attentats du 13 novembre. Lors de la journée internationale des enfants, le 20 novembre – date anniversaire de la signature de la Convention internationale des droits de l’enfant –, nous avons présenté un rapport sur les enfants handicapés pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), et qui sont à ce double titre concernés par les décisions des présidents des conseils départementaux. Ces enfants – 70 000 selon les estimations – subissent une forme de double peine ; leur prise en charge est très mal assurée. Nous avons formulé plusieurs recommandations à ce sujet, dont j’espère que Mme Neuville et Mme Rossignol les prendront en considération.

J’en terminerai par un domaine très sensible dans le contexte actuel : la déontologie de la sécurité, en particulier lors des contrôles d’identité. Vous le savez, la cour d’appel de Paris a rendu à ce sujet en juin 2015 des décisions qui introduisent un élément très novateur dans ce contentieux : pour cinq des plaignants, elle a estimé que les contrôles dont ils avaient fait l’objet étaient discriminatoires, portaient atteinte à leurs droits fondamentaux, et jugé qu’ils devaient être indemnisés par l’État. L’été dernier, le procureur général de Paris a présenté un pourvoi devant la Cour de cassation ; celle-ci va donc créer une jurisprudence dans ce domaine. Quoi qu’il en soit, dans cette affaire, nous avions présenté des observations devant la cour d’appel et nous avons été d’une certaine façon suivis. Nous l’avons dit au sujet de la proposition de loi Savary sur la sécurité dans les transports comme du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé : pour garantir les droits fondamentaux des intéressés, il nous paraît nécessaire d’assurer la traçabilité des contrôles d’identité et la possibilité d’un recours.

Tout cela, nous l’avons fait en étroite concertation avec les organes parlementaires, au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Nous avons donné de nombreux avis, le plus souvent sollicités, mais pas toujours. Nous avons souvent remarqué que les parlementaires défendaient, avec plus ou moins de succès, des amendements inspirés de nos propositions. Nous nous efforçons d’introduire dans les débats parlementaires des éléments de technique juridique, en particulier les jurisprudences ou les prescriptions des conventions internationales : la Convention de Strasbourg, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les grandes conventions de l’ONU sur les enfants, les personnes handicapées, les droits des femmes ou la traite des êtres humains.

Nous avons également beaucoup travaillé avec les juridictions. L’an passé, nous avons ainsi présenté, au titre de l’article 33 de la loi organique, une centaine d’observations devant elles, à tous les niveaux, du plus modeste tribunal des affaires de sécurité sociale ou conseil des prudhommes jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

Nous nous sommes aussi très fréquemment appuyés sur des partenariats avec la société civile. Dans notre action, rien n’est fait en chambre, en théorie, encore moins par idéologie. Nous travaillons avec les associations, les administrations, les membres de nos collèges – dont une partie a été nommée par le président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat, celui de la Cour de cassation ou par le vice-président du Conseil d’État, et que nous consultons tous les mois et demi environ à propos de nos décisions – et les membres des comités d’entente ou de liaison, au nombre de huit à dix, que nous réunissons deux fois par an et qui nous informent des besoins de la société.

Ces partenariats existent aussi à l’échelle européenne et internationale. Ainsi, le Défenseur des droits est très actif au sein de l’Association des ombudsmans et médiateurs de la francophonie, laquelle joue un rôle très utile, en particulier pour faire progresser les droits fondamentaux sur le continent africain. Nous avons aussi une Association des ombudsmans méditerranéens qui prend toute sa valeur avec la crise des migrants. S’y ajoutent, au niveau européen, le réseau des organismes de promotion de l’égalité et de lutte contre les discriminations (EQUINET), le réseau des défenseurs des enfants (ENOC) et l’association des médiateurs, dont le médiateur de l’Union européenne lui-même, placé auprès de la Commission. À ce propos, veuillez excuser l’absence de Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, qui s’est notamment occupée de la question des enfants à Calais.

Il y a quelques jours a été publié un rapport du CRÉDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), organisme parfaitement crédible, selon lequel « un Français sur deux se dit confronté personnellement à des difficultés importantes invisibles des pouvoirs publics ou des médias ». Cette observation rejoint ce que je vous disais du non-recours : il existe un écart entre les situations réelles, marquées par les inégalités et les injustices, et les recours. Les personnes dont parle ce rapport sont invisibles ou se rendent invisibles car elles ne veulent pas se signaler. Tout cela constitue un ferment extrêmement dangereux pour notre pays. Car celui-ci se caractérise par une religion de l’égalité, une volonté de justice, et si une partie importante de notre population a l’impression que la République ne tient pas ses promesses, qu’elle ne lui rendra pas la justice, ne lui garantira pas l’effectivité des droits qu’elle attend, cela menace notre cohésion sociale.

En ce qui concerne l’état d’urgence, mon action a été double. En collaboration avec les commissions des Lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, et ici même à l’instigation de votre ancien président Jean-Jacques Urvoas, j’ai accepté, en toute indépendance, de porter à votre connaissance, pour contribuer au contrôle parlementaire institué par la loi du 20 novembre 2015, toutes les informations dont nous disposons depuis que, le 23 novembre, j’ai décidé d’ouvrir la porte de nos délégués, et du Défenseur des droits en général, aux réclamations des victimes des mesures de l’état d’urgence ou de personnes qui se jugent telles. Nous avions reçu à la date d’hier 79 réclamations, que nous sommes en train d’instruire et dont j’ai eu l’occasion de dresser un bilan le 26 février dernier, c’est-à-dire à la date d’échéance de la première prorogation de l’état d’urgence. Je ne reviens pas sur ce rapport au Parlement qui contient tous les éléments quantitatifs et d’appréciation qualitative.

Voici les principales observations que l’on peut en tirer. Premièrement, les mesures qui ont été prises – perquisitions, assignations à résidence, etc. – peuvent créer un climat de suspicion, de délation ou une atmosphère délétère, au détriment des personnes qui en ont fait l’objet, dans la plupart des cas à tort, ou qui en ont subi des dommages tels que la perte de leur emploi. Aujourd’hui, au bout de quatre mois, le Gouvernement, en particulier le ministère de l’intérieur, et le Parlement qui le contrôle sont peut-être plus à même qu’au début de tirer les leçons de l’expérience et de fixer quelques prescriptions ou orientations pour la mise en œuvre de ces mesures.

Deuxièmement, nous avons constaté un déficit particulier de prise en considération de la situation des enfants, pourtant essentielle du point de vue du Défenseur des droits. Hélas, dans les textes adoptés depuis lors, notamment pour procéder à la deuxième prorogation – j’espère que ce sera la dernière – de l’état d’urgence, mes propositions sur la manière de traiter les enfants, en particulier au cours des perquisitions de nuit, n’ont pas été retenues. Les amendements en ce sens au projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ont en effet été rejetés pour des raisons dites « opérationnelles » ; je le regrette.

Troisièmement, il est très difficile à une personne qui a fait l’objet d’une telle mesure de réclamer une indemnisation. Selon la circulaire publiée par le ministre de l’intérieur en novembre, cela suppose en effet de se référer à la jurisprudence administrative de la faute lourde du service public ; il n’existe pas de disposition spécifique et plus expédiente destinée à l’indemnisation. En particulier, toute perquisition ne se solde pas par la remise d’un procès-verbal qui pourrait servir de base à la réclamation. Je pense pour ma part que remédier à cette situation ne nuirait en rien à l’efficacité des mesures et que ce serait justice vis-à-vis de ceux qui ont subi des dommages matériels considérables – vous connaissez les cas spectaculaires qui ont été médiatisés.

Quant au fond des mesures, permettez-moi de citer ici les propos de votre ancien président lorsqu’il a présenté au nom de votre Commission son second rapport sur la mise en œuvre de l’état d’urgence : le droit d’exception, disait-il en substance, ne devrait pas devenir le droit ordinaire ; pour reprendre son expression imagée, les lois « gloutonnes » de l’état d’exception ne doivent pas dévorer le droit commun. Or aujourd’hui, deux mois plus tard, il est clair que nous y sommes. Ainsi, dans le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, comme dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, des dispositions extrêmement restrictives de libertés qui pouvaient, de notre point de vue de défenseur des libertés, se concevoir dans une période limitée et au titre d’un droit d’exception, deviennent le droit commun. Je songe aux mesures que vous avez votées et qui vont être examinées par le Sénat à la fin du mois concernant la retenue administrative, le contrôle administratif des voyageurs ou les dispositions relatives à l’usage des armes par les forces de sécurité.

À propos de ces textes, nous avons dit ce que le Défenseur des droits peut légitimement déclarer en application des principes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ou du Conseil constitutionnel : ces mesures sont susceptibles d’affaiblir l’État de droit et les libertés que nous connaissions jusqu’à présent. J’ai livré notre analyse de ces dispositions, expliqué en quoi, de notre point de vue, elles restreignent les libertés et pourquoi nous pensons que le Parlement et l’ensemble des décideurs politiques devraient se demander s’ils veulent vraiment, dans l’équilibre délicat entre les exigences légitimes de sécurité et la garantie du respect des libertés, déplacer le curseur du côté de la sécurité.

Telle est notre position. Je l’ai dit ici comme au Sénat et à sa commission des Lois. Nous sommes à la croisée des chemins. Nous tous, et surtout les députés et sénateurs membres de la commission des Lois de chaque assemblée, nous devons nous demander quelle philosophie juridique et des libertés nous voulons préserver. Les circonstances nous conduisent-elles légitimement à faire évoluer cette philosophie, ou est-ce en défendant la liberté et les droits humains fondamentaux que nous devons nous battre contre ceux qui nous assassinent et qui veulent assassiner nos libertés ?

J’ai dit que la déchéance de nationalité telle qu’elle était proposée ne me paraissait pas correspondre aux principes républicains. Si elle ne concerne que les binationaux, comme dans la version du Sénat, elle est contraire à l’article 1er de la Constitution selon lequel notre citoyenneté et notre nationalité sont indivisibles, de même que la République. Si elle concerne tous les Français, y compris ceux qui sont nés français, elle se heurte à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui garantit les droits fondamentaux à tout homme et à toute femme du jour de sa naissance, sans quoi notre société n’aurait point de Constitution, comme on disait à l’époque ; l’on ne saurait y revenir.

De toute façon, en vertu de la non-rétroactivité des mesures de procédure pénale plus dures, ces textes ne s’appliqueraient pas à ceux des terroristes que nous voudrions juger pour les assassinats des 7, 8 et 9 janvier 2015 ou du 13 novembre dernier.

M. Patrick Lebreton. Merci de me permettre de m’exprimer dans cette commission dont je ne suis pas membre.

Monsieur le Défenseur des droits, depuis plusieurs années, votre institution se développe dans les outre-mer et accorde une attention particulière aux discriminations spécifiques dont les Français qui en sont originaires peuvent être victimes. Je n’ai toutefois pas trouvé trace dans le présent rapport du problème du cautionnement pour la location de logements dans l’Hexagone, qui était présenté comme un combat pour les droits des ultramarins dans le rapport annuel 2012. Il est malheureusement très courant que les gestionnaires de biens et propriétaires privés hexagonaux refusent un logement à un candidat au motif que la personne qui se porte caution se trouve outre-mer. Cette discrimination frappe avant tout nos étudiants et nos jeunes travailleurs qui font le pari de venir dans l’Hexagone pour se former ou pour entreprendre leur insertion professionnelle. Le Défenseur des droits indiquait dans son rapport avoir adressé des recommandations au ministère du logement pour mettre fin à cette discrimination. Cette action a-t-elle été suivie d’effets ? Si oui, lesquels ?

M. Patrick Mennucci. Monsieur le Défenseur des droits, vous venez de nous faire part de votre position sur l’état d’urgence à peu près dans les mêmes termes que le 26 février, lors de votre conférence de presse. Vous aviez alors alerté au sujet d’un « régime de police administrative qui limite l’intervention du juge […], restreint les libertés et réduit les garanties, pour des périodes reconductibles pouvant s’inscrire dans le long terme ». Je dois vous dire que je n’ai pas beaucoup apprécié cette phrase – il est vrai que vous n’êtes pas là pour faire plaisir –, qui ne me paraît pas refléter l’action menée par le Parlement et le Gouvernement ni nos efforts à tous pour lutter contre le terrorisme. À cette occasion, vous avez même critiqué, comme vous venez de le faire à nouveau, le deuxième texte antiterroriste que le Premier ministre a cité cet après-midi lors des questions au Gouvernement. Je suis un peu surpris. J’ai beaucoup de respect pour vous ; j’étais là lorsque notre Commission vous a auditionné en vue de votre nomination et j’ai fait totalement confiance au Président de la République qui proposait de vous nommer. (Rires.)

M. Jacques Toubon. Merci !

M. Patrick Mennucci. Je vous en prie. Cela m’autorise sans doute, avec tout le respect que je vous dois, à vous parler comme je le fais. Il me semblait que vous étiez chargé du contrôle, et de la critique lorsque les droits existants ne sont pas garantis. En quoi les mesures résultant de l’état d’urgence, ou le texte sur la criminalité organisée que l’Assemblée vient de voter et qui est en cours de navette – à ce propos, il faudrait prévenir Mme Kosciusko-Morizet, qui semblait l’ignorer tout à l’heure lors des questions au Gouvernement, que nous avons, dans ce cadre, porté la période de sûreté de vingt-deux à trente ans pour les crimes terroristes –, bref les lois et règles qui ont été adoptées, en totale conformité avec la Constitution et avec les pratiques républicaines, vous posent-ils un problème ?

Je ne mets nullement en cause votre rapport sur l’état d’urgence, qui est factuel et se borne à reprendre des déclarations. Encore faut-il préciser que celles-ci ne sont pas toujours vérifiées : il n’y a pas eu d’enquête pour confirmer les propos prêtés à des gendarmes et, que je sache, la police des polices n’a pas été saisie du cas où des policiers sont censés avoir justifié la perquisition par le fait que l’intéressé était vêtu de noir ou portait une barbe ! Il est un peu surprenant que ces propos allégués soient retranscrits de manière aussi abrupte dans votre rapport.

Quoi qu’il en soit, il est tout à fait légitime que le Défenseur des droits alerte sur des cas où le déroulement des perquisitions ne garantirait pas le respect de la personne humaine ou ne tiendrait pas compte de la présence d’enfants. Le problème n’est donc pas le contenu du rapport, mais la philosophie générale de votre action. Considérez-vous que ce qui a été fait n’est pas conforme au droit ?

M. Joaquim Pueyo. Dans votre bilan de l’état d’urgence, un point a particulièrement retenu mon attention : la saisine « relative à la mise en isolement d’un détenu en raison de ses pratiques religieuses (confiscation de son tapis et de ses livres de prière) ». Nous ouvrons actuellement dans les établissements pénitentiaires des quartiers dédiés aux individus au profil ou au discours radical à tendance prosélyte, afin de les éloigner des autres détenus qu’ils risqueraient d’influencer. Qu’en pensez-vous ? Comptez-vous formuler des recommandations concernant cette décision du ministère de la Justice ?

En 2011, lors de la création du Défenseur des droits, on avait envisagé de rattacher à cette instance le contrôleur général des prisons, ce qui n’a finalement pas été fait. Le Défenseur des droits a repris les compétences de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, qui jouait un rôle important dans le contrôle des établissements pénitentiaires. Mais que pensez-vous de cette coexistence du Défenseur des droits et d’un organisme indépendant chargé de contrôler les lieux de privation de liberté ? Êtes-vous en relation ?

Le fondamentalisme remet en question la démocratie, la laïcité et jusqu’à la liberté individuelle. Avez-vous été saisi par des associations ou des citoyens sur ce fondement ?

M. Jacques Bompard. J’ai lu avec intérêt votre rapport annuel d’activité : vous ne chômez pas ; bravo !

Toutefois, on est en droit de s’interroger sur les cas concrets qui y sont évoqués. Ainsi, un livreur qui refuse de se rendre dans un quartier sensible ne propage pas des stéréotypes : il exerce un droit inaliénable, celui d’assurer sa propre sécurité. Un professeur qui ne veut pas exercer dans un quartier dangereux n’est pas raciste : il souligne l’aveuglement d’un État coupable de ne pas garantir la sécurité de ses citoyens. Nous le savons bien en Provence-Alpes-Côte d’Azur, à Marseille, à Avignon ou à Carpentras.

Ce que l’on ressent à la lecture de ce rapport, c’est une présomption de racisme à l’encontre des Français, qu’il s’agisse des contrôles d’identité, des institutions, des cantines. Or la France souffre d’un profond questionnement identitaire et la culpabilisation des masses ne fonctionnera plus. On a vu l’accueil que les réseaux sociaux ont réservé à la campagne caricaturale du Gouvernement « Tous unis contre la haine ». Mais quelle haine ? C’est la haine de soi qui constitue, je crois, la matrice du délitement de notre société. Rien sur les habitants de Calais, rien sur les exilés de la France périphérique, rien sur le racisme anti-Blanc, rien sur les masses populaires qui souffrent au quotidien d’une crise identitaire qui n’est traitée que par l’idéologie institutionnelle soumise au prêt-à-penser, incapable, hélas, de résoudre les problèmes auxquels notre pays est confronté.

Monsieur le Défenseur des droits, intégrerez-vous à vos travaux de l’année prochaine la lutte contre la haine de soi au sens large du terme, premier facteur à mes yeux de tension dans notre pays ?

M. Jacques Toubon. Monsieur Lebreton, en ce qui concerne la caution pour la location d’un logement, j’ai présenté en 2014 un avis que j’ai soumis au ministre de l’outre-mer. Cette démarche n’a pas encore abouti, car on m’a opposé l’incidence financière d’une telle mesure. Mais je ne désespère pas ; au contraire, je continue à me battre.

De manière générale, le Défenseur des droits a beaucoup œuvré pour que les banques et les compagnies d’assurances ne traitent pas de manière inégalitaire les personnes originaires des départements d’outre-mer, par exemple lorsqu’il s’agit d’ouvrir un compte bancaire. Nous avons fait beaucoup de progrès dans ce domaine. Il est clair à mes yeux que ma mission s’étend à la totalité du territoire de la République, dont les départements d’outre-mer. Le Défenseur des droits en est d’ailleurs à sa troisième mission et à son troisième rapport sur la situation de Mayotte.

Merci, en tout cas, de me rappeler cette question : je vais poursuivre mes démarches.

M. Patrick Lebreton. C’est un dossier important.

M. Jacques Toubon. Monsieur Mennucci, je sais bien que ce que je dis ou écris ne plaît pas à tout le monde et suscite des discussions. Je vous rappelle que je ne suis pas un juge : si je puis manier la balance pour tenter de rétablir l’équilibre des droits, je ne possède pas le glaive. On peut donc toujours, naturellement, discuter mes points de vue. Mais vous pourriez utilement vous rapporter à mon avis sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, qui a été publié – comme tout ce que je dis ou écris et que l’on peut retrouver soit dans des documents que je fais parvenir aux rapporteurs ou aux présidents des commissions des Lois, soit sur notre site, en temps réel. Au Sénat, j’ai eu l’occasion d’exprimer mon avis, dans les mêmes termes, à M. Michel Mercier, rapporteur, et d’en parler à M. Philippe Bas, président de la commission des Lois, qui en a d’ailleurs fait état, je crois, dans le débat de la semaine dernière, en invoquant l’article 66 de la Constitution sur l’autorité judiciaire.

Voici ce que j’ai écrit : « Le présent projet de loi doi[t] contenir les garanties nécessaires en vue d’assurer un juste équilibre entre la protection des droits et des libertés et l’impératif de sécurité publique et de prévention et de répression des infractions pénales. L’une de ces garanties, essentielle en matière de procédure pénale, est assurément le contrôle du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles en vertu de l’article 66 de la Constitution, lorsque les mesures ordonnées dans le cadre de l’enquête sont susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux, telles que perquisitions, saisies et interceptions de données personnelles. »

Le Conseil constitutionnel n’a pas dit autre chose le 19 février, dans sa décision sur la question prioritaire de constitutionnalité concernant les saisies de données informatiques. Ce n’est qu’à condition de modifier la Constitution que l’on pourrait procéder régulièrement et légalement à ces saisies. Ce que je dis ici n’équivaut donc pas à des propos tenus par le Premier président de la Cour de cassation, par le vice-président du Conseil d’État ou par tel ou tel commentateur : c’est l’expression de la loi, telle qu’elle se présente dans notre édifice normatif.

Vous avez parlé, monsieur Mennucci, de police administrative. Voici ce que j’écrivais encore dans mon avis : « En renforçant les moyens de l’autorité administrative, ce projet de loi crée un déséquilibre entre le préfet et le procureur de la République : il déplace ainsi l’initiative du déclenchement de mesures portant atteinte aux libertés individuelles au bénéfice du préfet, sans que celui-ci soit soumis au respect de garanties procédurales telles qu’un contrôle a priori» La caractéristique de toutes les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, qui est admissible à titre temporaire et exceptionnel mais deviendra permanente si ces lois sont votées, c’est que le contrôle a priori d’un juge est remplacé par le contrôle a posteriori. On juge de la régularité de la mesure une fois qu’elle a été appliquée, on ne la soumet pas à une autorisation préalable. En matière de libertés, la différence est considérable, monsieur le député !

Comme je l’ai déjà dit, notamment à la presse, ce sont aujourd’hui les propos, les comportements, les attitudes qui pourront être mis en cause à travers la police administrative et les mesures à caractère administratif, et non les infractions commises, contrairement au principe même de notre procédure pénale. J’ai donc écrit très clairement : « Eu égard à l’objet de sa mission, le Défenseur des droits émet les observations et recommandations suivantes sur les dispositions relatives aux mesures d’investigation portant atteinte au droit au respect de la vie privée et du domicile, au renforcement des pouvoirs de l’autorité administrative dans le cadre de la prévention du terrorisme ainsi que sur d’autres dispositions relatives au nouveau régime d’irresponsabilité pénale en matière d’usage des armes à feu. »

Je ne suis pas le seul à m’exprimer ainsi, comme en témoigne le très important compte rendu des débats en séance publique à l’Assemblée : l’article 18 relatif à la retenue administrative ne semblait pas aller de soi pour tous les députés, contrairement à ce que vous avez suggéré, et certains d’entre eux ne jugeaient pas le point de vue du Défenseur des droits aussi excessif que vous.

Je ne m’attarde pas sur les raisons pour lesquelles tout cela remet en cause l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et sa jurisprudence.

Monsieur Pueyo, en matière pénitentiaire, votre expérience vous rend plus compétent que moi. Lorsque j’ai été auditionné ici même en juillet 2014 en vue de ma nomination, j’ai indiqué que, à la suite de l’adoption de la loi du 23 mai 2014 qui avait donné un nouveau statut au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, je considérais que le débat ouvert en 2011 sur l’éventualité qu’il rejoigne le Défenseur des droits était clos. À mes yeux, ce n’était pas une priorité et je n’allais pas me battre pour cela. En outre, nous entretenons avec Adeline Hazan, qui occupe actuellement le poste, de bonnes relations de travail. Elle est chargée de tout ce qui concerne la condition pénitentiaire tandis que nous nous occupons des droits des détenus. En année moyenne, nous avons d’ailleurs traité à peu près le même nombre de cas – 4 000 environ –, quoique de manière différente. Je ne méconnais pas le fait que cette situation puisse intriguer les avocats ou les détenus ; souvent, d’ailleurs, ils saisissent les deux instances, pour obtenir une double garantie.

Quant à votre question sur la radicalisation, qui concerne plutôt Adeline Hazan puisqu’elle a trait à l’organisation de la détention, je n’ai personnellement pas de point de vue sur le sujet, mais je dirai, comme je l’ai fait à propos de l’article 20 du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, relatif au contrôle administratif, qu’il faut prendre garde de passer de mesures restrictives de liberté à des mesures privatives de liberté et qui porteraient atteinte aux droits des personnes libres comme des détenus. Vous êtes mieux placé que moi pour savoir qu’un détenu, en effet, n’est pas moins une personne que celles qui sont de l’autre côté des barreaux.

Monsieur Bompard, le Défenseur des droits ne formule nullement une présomption de racisme, bien au contraire ; sa méthode consiste à procéder au cas par cas. Prenons le livreur que vous avez évoqué : aux termes de ma décision, son refus de livrer dans un quartier réputé difficile ou dangereux ne constitue pas, dans les circonstances de l’espèce, une discrimination. Vous voyez que mon point de vue est loin d’être systématique. En particulier, j’ai pris en considération cette donnée du dossier : quinze jours ou trois semaines auparavant, une autre personne avait été attaquée sur place.

Vous avez employé une expression que je reprends à mon compte bien que, sur de nombreux sujets, je ne sois pas d’accord avec vous : les « exilés de la France périphérique ». Mais ces exilés, monsieur Bompard, forment une grande partie de ceux qui s’adressent au Défenseur des droits ; ce sont eux qui, je l’ai dit, ne s’adressent pas assez à lui ou aux autres instances de recours ; ce sont ces populations vulnérables, ces personnes oubliées ou qui se croient oubliées, abandonnées, qui subissent le pire dans une société républicaine de progrès comme la nôtre : l’aquoibonisme. « À quoi bon irais-je demander quelque chose ? De toute façon, je ne l’obtiendrai pas. La loi, le droit, la République, c’est pour les autres. » Quand je rétablis des droits sociaux, quand j’essaie de prendre par la main une personne qui n’arrive pas à avancer dans le labyrinthe administratif, c’est de ces exilés de la France périphérique qu’il s’agit ! Je partage tout à fait le point de vue de ceux qui ont parlé de ségrégation à propos de notre société.

Voilà pourquoi le projet de loi « Égalité et citoyenneté » est particulièrement important. J’en connais une partie, qui me concerne, celle qui touche à la lutte contre les discriminations : elle est très positive. Mais il faut aller plus loin. J’ai parlé de l’enquête que nous allons réaliser. J’ai aussi adressé hier un appel à témoignages aux jeunes qui ont du mal à trouver un emploi du fait de leur origine. Vous avez voté ici même il y a deux ans un nouveau critère de discrimination : le lieu de résidence. Nous en faisons usage, en particulier s’agissant de l’inégalité de traitement en matière de services publics – de l’éducation ou de la santé.

Croyez-moi, monsieur Bompard : notre présomption, c’est une présomption d’égalité ! Or aujourd’hui, dans notre pays, elle est rarement confirmée. Il faut la rétablir.

M. Éric Ciotti. Monsieur le Défenseur des droits, vous avez accompli un travail considérable au cours de cette première année complète d’exercice.

À vous écouter, peut-être plus encore qu’à vous lire, on ressent un grand pessimisme quant à la situation de notre pays en matière de protection des libertés. Je ne partage pas cette analyse. Nous, législateur, qui avons l’honneur de représenter la nation au Parlement, nous devons d’abord dire que la France est un pays de liberté, de droit, une grande démocratie. Bien sûr, des difficultés existent et, naturellement, vous en êtes saisi ; peut-être leur donnez-vous de ce fait plus d’importance qu’elles n’en ont en réalité. Mais ce qui nous menace, ce n’est pas l’absence de libertés, mais ceux qui attaquent les libertés. Je crains que vous ne l’ayez un peu oublié dans votre propos.

En ce qui concerne l’état d’urgence, vous avez parlé de « climat de suspicion » ou « délétère » au sujet de ceux qui ont subi les mesures prévues par la loi, par notre Constitution, bref des mesures de droit. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Ces mesures sont susceptibles d’être contrôlées par le juge administratif, qui est un juge de plein droit. Il y a d’ailleurs eu très peu de contentieux et, surtout, très peu qui ont donné lieu à une sanction par le juge administratif, garant de nos libertés. Cette analyse me paraît donc traduire une dérive que je déplore.

Vous avez évoqué la nécessité de combattre le terrorisme par la philosophie des libertés. Bien entendu ; mais je ne suis pas sûr que ceux qui nous livrent cette guerre, rappelée tout à l’heure encore par le Premier ministre, soient animés des mêmes sentiments. Les bons sentiments peuvent nuire à l’efficacité. Vous avez raison de dire que rien ne nous rattache ni ne doit nous rattacher à ces personnes. Ne faisons pas preuve d’une coupable naïveté. C’est l’éternel débat sur l’équilibre entre sécurité et liberté. Pour moi, la sécurité est la première des libertés. Quand on ne peut pas, en toute sécurité, aller dans une salle de spectacle, assister à une rencontre sportive, s’installer à une terrasse de café, on n’est plus complètement libre. Cela justifie les mesures prises par le Gouvernement dans le cadre de notre État de droit et qui ont été adoptées à une immense majorité par la représentation nationale.

J’aimerais également en revenir à un sujet d’actualité, même si, en tant que tel, il ne concerne pas votre rapport d’activité pour 2015. Il s’agit d’une campagne d’affichage que vous avez lancée, qui stigmatise inutilement les policiers et qui caricature leur action. Sur l’affiche, qui montre des policiers en train de procéder à un contrôle, on peut lire ce slogan : « Être défendu est un droit pour moi aussi ! » Elle suggère un contrôle au faciès et, surtout, l’idée que les policiers manqueraient de manière générale à leurs obligations déontologiques et de neutralité.

Nous avons débattu de ces questions dans l’hémicycle lors de l’examen du projet de loi de réforme pénale défendu par le garde des Sceaux et le ministre de l’intérieur. Le débat, assez vif, opposait le Gouvernement, soutenu par le groupe Les Républicains, aux écologistes, qui s’exprimaient notamment par la voix de M. Mamère. Votre campagne rejoint en tous points les propos que celui-ci a alors tenus.

Les policiers l’ont très mal vécue ; ils vous l’ont écrit, vous l’ont dit, notamment la secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale, connu pour sa modération. Je vous rappelle qu’en 2015, 15 000 policiers ont été blessés en service, que 11 sont morts, que nous vivons sous une menace terroriste maximale et que les policiers sont seuls en première ligne dans ce combat ! Ils sont des cibles parce qu’ils portent l’uniforme de la République pour défendre les libertés ! Ce sont d’abord des défenseurs des libertés, et eux aussi ont droit au respect. Laisser entendre qu’ils procéderaient à des contrôles au faciès, qu’ils ne respecteraient pas leurs obligations, me choque tout autant qu’eux. Je regrette donc très profondément que vous ayez balayé d’un revers de main la demande que les syndicats vous ont adressée de renoncer à cette campagne, et que je réitère devant vous. Dans le contexte actuel, ce n’est pas aux policiers qu’il faut s’attaquer. C’est une injustice, une erreur et une faute.

M. Jacques Valax. Je ne voudrais pas entonner le même hymne que mon collègue, mais je dois malheureusement reconnaître avec lui que, dans le contexte de violence, de peur et d’insécurité que vous avez rappelé, et alors que, comme vous l’avez dit, la terreur nous est imposée de l’extérieur, les lois de la République, auxquelles je suis profondément attaché, sont mises en danger par certains individus. Dès lors, comment concilier les impératifs de liberté individuelle – motivation première de votre action –, de cohésion nationale et de solidarité ? Selon les principes démocratiques, c’est possible ; mais que faire face aux velléités croissantes qui s’opposent à ces principes ? C’est ce problème que sous-entendait la dernière question de mon collègue Pueyo.

À la lecture de votre rapport, je me demande si vous n’auriez pas tendance à « laver plus blanc que blanc ». Vous citez, page 80 du document qui nous a été distribué, le cas de cette manifestante qui arborait un fanion le 14 juillet – comme par hasard, elle faisait partie de « La Manif pour tous » – et concluez qu’au nom de la liberté d’expression, il faudrait supprimer toutes les interdictions de manifester ce jour-là. C’est très bien en théorie, mais auriez-vous défendu de la même manière la liberté d’un syndicaliste de la CGT ?

Sans aller aussi loin qu’Éric Ciotti, je crois qu’il n’a pas tout à fait tort. Le rapport cite l’exemple d’une intervention des forces de gendarmerie dans une situation un peu crispée, et le Défenseur des droits, dans la quiétude et la tiédeur de son bureau, « regrett[e] que l’éventualité d’un problème cardiaque, comme celle de la consommation de médicaments psychotropes et d’un état physique et psychique particulier de la victime le jour des faits […] n'aient pas été […] pris en considération » ! N’allez-vous pas un peu trop loin ? Vous n’auriez peut-être pas dû reprendre cet exemple. Considérer de manière intellectuelle qu’il indique le sens de votre action, je le comprends ; mais de là à en faire un exemple de votre action quotidienne ! Vous nous donnez des leçons de démocratie qui n’ont pas lieu d’être. Je le prends très mal et je tenais à vous le dire.

M. Jacques Toubon. Vous le prenez très mal, mais c’est vous qui avez voté l’article du code de la sécurité intérieure qui prévoit que je contrôle les personnes exerçant des activités de sécurité ! C’est ce texte qui traite du comportement professionnel des gendarmes, auquel vous venez de faire allusion.

M. Jacques Valax. C’est la théorie !

M. Jacques Toubon. Mais si je ne l’appliquais pas, là, oui, ce serait une faute ! C’est l’honneur et la difficulté de la mission du Défenseur des droits que d’appliquer les textes que vous votez.

M. Jacques Valax. De là à chercher le poil à gratter ! Ce n’est plus appliquer la loi, c’est l’interpréter !

M. Sergio Coronado. C’est plus calmement que je saluerai la qualité du travail accompli par le Défenseur des droits en 2015 et synthétisé dans ce beau rapport.

En écoutant mes collègues, j’ai cru n’avoir pas bien compris quelles étaient les attributions du Défenseur des droits. Toutefois, vérification faite, dans l’article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 consacré à ses missions, je n’ai rien trouvé qui concerne la lutte contre le terrorisme ni le maintien de l’ordre public, mais seulement la défense des droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État, la défense et la promotion de l’intérêt supérieur et des droits de l’enfant, la lutte contre les discriminations et le contrôle du respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République.

Rien de tout cela ne fonde les reproches qui vous sont adressés aujourd’hui, monsieur le Défenseur des droits. Je conçois qu’étant donné les conditions de votre nomination, vous soyez aux yeux de certains de mes collègues un Défenseur des droits très surprenant – je le dis au bon sens du terme. Vous assumez pleinement les missions qui vous sont conférées par la loi organique. Voilà pourquoi je salue la voix forte que vous faites entendre dans le débat nécessaire sur la défense des libertés, à l’heure où celles-ci sont parfois fragilisées sous prétexte de lutter contre le terrorisme.

J’aimerais vous poser trois questions d’actualité.

Premièrement, que pensez-vous de l’accord sur la crise migratoire conclu vendredi dernier par la Turquie et l’Union européenne ? Ne fragilise-t-il pas pour le moins les engagements de la France et les conventions internationales ? Nul besoin de rappeler les déclarations à ce sujet du haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, ni la manière dont la Grèce a été contrainte par les pays de l’Union de déclarer la Turquie « pays sûr », ni encore le fait que la guerre d’Erdoğan contre le terrorisme ne connaît aucune exception – journalistes, avocats, organisations de défense des droits de l’homme, parlementaires pro-kurdes : tous sont visés par la forte répression menée par le pouvoir en place. Au demeurant, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ne semble heureusement pas prêt à respecter l’accord.

S’agissant en deuxième lieu des perquisitions dans le cadre de l’état d’urgence, j’aimerais rappeler à ceux de mes collègues qui semblent trouver que vos déclarations sont un peu vives et outrepassent vos attributions que, la semaine dernière, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a été par la bouche de sa présidente, Mme Lazerges, ancienne députée socialiste, tout aussi claire sur les perquisitions, pointant les mêmes abus que vous. Vous évoquez « cris, insultes, propos déplacés sur la pratique religieuse des perquisitionnés, manque d’attention à l’égard des enfants présents […] braquages inappropriés et menottages, dégradations volontaires ». Il me paraît essentiel que, dans le cadre de vos attributions, particulièrement en matière de respect de la déontologie, vous adressiez des recommandations, notamment au ministre de l’intérieur, afin qu’il publie une circulaire donnant des consignes aux forces de l’ordre.

La CNCDH suggère en filigrane la remise en fin de perquisition d’un document rappelant leurs droits aux personnes perquisitionnées, notamment lorsqu’une perquisition n’a rien donné. Je serai très attentif à votre point de vue sur le sujet.

Le ministre de l’intérieur a-t-il donné suite à certaines recommandations que vous avez rendues publiques le 26 février dernier ?

Enfin, je ne reviens pas au fameux débat sur la remise d’un récépissé lors d’un contrôle d’identité, car on connaît la position du Gouvernement à ce sujet, malgré les engagements pris pendant la campagne. Mais le ministre de l’intérieur, répondant non seulement à M. Mamère mais à de nombreux parlementaires de la majorité qui l’interpellaient, a eu à ce sujet une phrase définitive, ce qui arrive assez souvent à ce poste : il n’y aurait pas dans notre pays de contrôles au faciès. De sorte que toute remise en cause, tout rappel des difficultés que rencontre une partie de la population lorsqu’elle est en contact avec les forces de l’ordre, est considéré comme une basse attaque contre ces dernières, soumises à une forte pression pour assurer notre sécurité. Les témoignages que vous recevez confortent-ils ce type de propos ? N’y aurait-il plus aucun problème dans les relations entre les forces de l’ordre et une partie de la population lors des contrôles d’identité ?

M. Erwann Binet. Vous avez rappelé à plusieurs reprises, notamment dans un avis publié en juillet dernier, votre souhait que l’encadrement législatif de l’assistance médicale à la procréation (AMP) évolue pour permettre à toutes les femmes d’y accéder, y compris aux couples de femmes et aux femmes seules. En revanche, je trouve votre réflexion timide ou, du moins, discrète s’agissant des questions d’accès à l’origine. Or nous, parlementaires, sommes saisis par les intéressés d’un problème dont le débat public se fait régulièrement l’écho : des enfants nés d’un don de gamètes, désormais adultes – les plus âgés atteignent aujourd’hui la trentaine –, parfois nés avant les lois de bioéthique de 1994, se voient opposer le secret absolu dont le législateur a entouré ce don.

Cela peut conduire à s’interroger. Sans aller jusqu’à lever l’anonymat du don, on pourrait imaginer de recourir à des solutions existant dans d’autres pays, comme la délivrance d’informations ne permettant pas l’identification. Et pourquoi ne pas autoriser l’enfant, une fois parvenu à l’âge adulte, à connaître l’identité du donneur ?

Êtes-vous saisi de ces questions ? Si tel est le cas, quelle serait votre position sur ce point dans le cadre d’une évolution des lois de bioéthique à laquelle vous nous appelez par ailleurs ?

Je tiens ensuite à vous remercier des efforts que vous déployez pour susciter les témoignages de victimes de discriminations. La page d’accueil du site internet du Défenseur des droits présente ainsi un appel à témoignages concernant les discriminations à l’embauche. C’est une très bonne chose, c’est très bien fait et je partage votre souci à ce sujet. Mais comment ces efforts sont-ils relayés par vos délégués sur le terrain ? Ils accueillent parfaitement les réclamations ; les engagez-vous aussi à les devancer, par exemple en se rendant dans les collèges, les lycées, les agences Pôle Emploi pour y faire œuvre de sensibilisation – bref, à être proactifs plutôt que de rester enfermés dans un bureau de sous-préfecture en attendant que les victimes frappent à leur porte ?

M. Jacques Toubon. Monsieur Ciotti, en ce qui concerne l’affiche, je ne vois pas en quoi la photographie elle-même montre autre chose que le quotidien du métier des policiers en tenue. Elle n’a rien d’une dénonciation ni d’une stigmatisation.

Comme je l’ai écrit à Mme Berthon, secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale, il ne s’agit pas d’une campagne de communication. En juin dernier, nous avons mis en circulation sept affiches portant sur les quatre missions du Défenseur des droits, dont la défense des enfants, la lutte contre les discriminations et la médiation avec les services publics. L’une de ces affiches portait sur les droits des femmes. Il s’agissait, d’une manière générale, d’appeler l’attention sur la possibilité offerte aux personnes qui se trouvent dans ce type de situations de nous saisir pour faire valoir leurs droits. Une seconde série d’affiches a été envoyée plus récemment. Les mairies ou les institutions qui les reçoivent choisissent de les exposer ou non. Je n’ai pas lancé une campagne de publicité en utilisant des affiches de quatre mètres par trois ou des spots radiodiffusés. C’est une campagne d’information, visant à développer le recours au Défenseur des droits.

L’affiche en question, je le répète, n’a pas la portée que vous dénoncez. Elle se contente de décrire l’un de nos domaines de compétence, la déontologie de la sécurité.

J’observe qu’en cette matière le nombre de requêtes présentées au Défenseur des droits a augmenté de 250 % depuis 2010, peut-être pour des raisons de fond, mais d’abord parce que, dans l’ancien système, la CNDS ne pouvait être saisie que par l’intermédiaire d’un parlementaire, alors que le Défenseur des droits l’est directement. Surtout, sur les 550 dossiers que j’ai eu à traiter l’an passé, et qui concernent des policiers nationaux – dans la moitié des cas –, des gendarmes, des gardiens de prison, des policiers municipaux ou des vigiles, un peu plus de 10 % a fait l’objet de notre part d’une décision de manquement et, puisque c’est ainsi que nous procédons, d’une demande de sanction à l’autorité disciplinaire – le ministère de l’intérieur, de la défense ou de la justice. En d’autres termes, dans 90 % des cas, nous avons estimé que le policier, le gendarme, l’agent de sécurité s’était conduit conformément au code de déontologie. Cela confirme qu’il n’y a pas ici la moindre vindicte contre les forces de sécurité, bien au contraire.

En effet, comme vous l’avez très justement rappelé, s’il est possible d’appliquer les lois dans notre pays, et de les faire appliquer par ceux qui voudraient s’y soustraire, c’est grâce aux forces de sécurité, dépositaires du monopole de la violence légitime. En d’autres termes, les premiers serviteurs de la loi, en même temps que ses premiers bénéficiaires, ce sont les forces de sécurité. Pour le dire clairement, en tant que Défenseur des droits, je suis du même côté que les forces de sécurité. Dans les circonstances actuelles, en particulier, je suis le premier à leur rendre hommage.

C’est si vrai que, dans son récent rapport, l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) juge que le Défenseur des droits est beaucoup trop gentil avec la police, complètement impuissant face à ses exactions et à ses violences supposées, et conclut qu’il faudrait désigner quelqu’un d’autre pour s’en occuper !

Ma position se situe probablement à mi-chemin entre la vôtre, monsieur Ciotti, et celle de l’ACAT ; et c’est sans doute la bonne position.

En ce qui concerne l’application des mesures de l’état d’urgence, ce dont j’ai fait état, notamment dans mon rapport du 26 février remis au Parlement, c’est ce que disent les personnes qui m’ont saisi. Pour l’instant, à l’exception de quatre ou cinq règlements à l’amiable – le cas le plus simple étant celui du lycéen empêché de se rendre au lycée par son assignation à résidence et pour lequel nous avons obtenu que soient modifiés les horaires de pointage –, tous les cas sont à l’instruction et je n’ai pris aucune position vis-à-vis de ces déclarations. En parlant du climat, je faisais référence à ce qui ressort des propos ou des écrits des personnes soumises à ces mesures. Je vais maintenant mener une instruction contradictoire dont je tirerai les conclusions. Ce ne seront pas celles du contentieux administratif, qui porte sur le bien-fondé juridique des mesures prises en application de la loi d’avril 1955 ou de la loi du 20 novembre – et peut-être, demain, des nouvelles dispositions constitutionnelles et des textes subséquents. Ce que je vérifierai, c’est si le comportement des policiers ou des gendarmes qui ont par exemple procédé aux perquisitions a été conforme à la déontologie de la sécurité.

Monsieur Valax, il y a une grande différence, du point de vue de l’État de droit, entre les textes qui s’appliquent de manière exceptionnelle et temporaire, comme la loi relative à l’état d’urgence, et ceux qui sont destinés à entrer dans notre droit commun – donc, lorsqu’ils restreignent nos libertés, à les restreindre en permanence. C’est sur ce point que j’interroge la représentation nationale.

L’enjeu, que M. Ciotti et vous-même, après M. Mennucci, avez très bien formulé, est le suivant : la meilleure réponse à ceux qui menacent nos libertés consiste-t-elle à réduire ces libertés au profit de mesures de sécurité ? En janvier, lorsque j’ai pour la première fois fait état devant la commission sénatoriale de suivi de l’état d’urgence des réclamations que j’avais reçues, j’ai posé cette question : si l’on avait fait face aux événements en recourant à l’arsenal législatif que vous, députés élus en 2012, avez vous-mêmes voté en 2012, en 2013, en 2014 ou en 2015, la situation serait-elle si différente aujourd’hui ? C’est une manière pratique ou triviale de s’interroger sur la philosophie que nous devons choisir : celle des mesures d’exception qui peuvent devenir lois ordinaires ou celle de la préservation d’un certain état de nos libertés.

Vous avez fait référence à mes décisions concernant « La Manif pour tous ». Il en ressort que les instructions générales données par l’autorité administrative, en l’occurrence le préfet de police, m’ont paru porter atteinte à la liberté d’expression et de manifestation. Contrairement à ce que vous dites, ce point de vue n’est pas réservé à « La Manif pour tous » : j’ai dénoncé exactement de la même manière la mesure d’« encagement » par la police de parents d’élèves et de syndicats d’enseignants venus manifester devant la mairie d’Asnières, et je le ferai dans tout cas similaire. J’ai en effet formulé une recommandation générale sur l’« encagement », une mesure à mes yeux totalement contraire aux principes mêmes du maintien de l’ordre républicain, comme je l’ai dit à la commission d’enquête qui a été créée l’année dernière après l’affaire du barrage de Sivens. Ce n’est pas une mesure de sécurité, c’est une interdiction de manifester ! Elle porte donc clairement atteinte à la liberté de manifestation et d’expression, de même que l’instruction du préfet de police tendant à faire enlever tous les t-shirts ou fanions au passage du Président de la République sur les Champs-Élysées.

J’avais annoncé en juillet 2014 – certains ne l’avaient pas cru, qui peut-être le croient aujourd’hui, et se mordent les doigts de s’être trompés – que je n’agirais selon aucun a priori. C’est ce qui s’est passé dans le cas que vous citez. En particulier dans ces affaires de liberté d’expression, de manifestation, de liberté religieuse, si difficiles au moins depuis Charlie Hebdo, ma position est guidée par le droit et d’abord par l’impératif de cohésion sociale et nationale.

Pour prendre un exemple récent, si on m’interrogeait sur la fameuse disposition du projet de loi défendu par la ministre du travail Mme El Khomri relative à la liberté religieuse dans les entreprises, je répondrais que l’article à propos duquel on a poussé des hauts cris ne fait que reprendre des dispositions existantes, au mot près ! Par définition, l’entreprise, qui relève du secteur privé, n’est pas couverte par les lois adoptées pour le secteur public. D’un autre côté, il existe des difficultés qui engagent le fonctionnement des entreprises, des problèmes de discrimination, de libertés : il faut les traiter au cas par cas. Quoi qu’il en soit, la loi que vous allez examiner n’apporte aucune novation ; je le dis, car cette question risque de se poser et de faire l’objet d’un débat peut-être difficile.

Monsieur Coronado, en ce qui concerne les contrôles d’identité dits subjectifs, c’est-à-dire discriminatoires, l’affaire a été portée devant la Cour de cassation, à laquelle je présenterai des observations dans lesquelles je ferai valoir mon point de vue.

À mes yeux, l’accord entre la Turquie et l’Union européenne – plus exactement, entre le gouvernement turc et les chefs d’État et de gouvernement, tant qu’il n’a pas été transformé en un accord juridiquement contraignant – n’est pas juridiquement correct, pour deux raisons.

Premièrement, il ne pourrait être mis en œuvre que si, en application des textes sur le droit d’asile, la Turquie était considérée comme un pays sûr. Or elle ne l’est pas, en particulier parce que, aux termes de la directive de 2013, cela supposerait qu’elle ait ratifié la convention de Genève sans aucune limitation géographique, ce qu’elle n’a pas fait. La Commission européenne a d’ailleurs elle-même estimé que « l’application de [l’accord] requiert la modification préalable des législations nationales tant grecque que turque – la législation grecque doit prévoir le statut de pays tiers sûr pour la Turquie et la législation turque doit garantir l’accès effectif à des procédures d’asile pour toute personne ayant besoin d’une protection internationale ».

Je note qu’un autre pays concerné, la Hongrie, qui n’est pas considérée comme « faible » sur les questions migratoires, juge irrecevable les demandes d’asile des personnes ayant transité par des pays sûrs, au nombre desquels les États candidats à l’adhésion à l’Union européenne, à l’exception de la Turquie. De nombreuses personnes signalent donc ce problème.

Deuxièmement, après le renvoi en Turquie, les migrants pourraient être renvoyés depuis ce pays vers d’autres qui, eux, tomberaient sous le coup de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Or la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme interdit aux États contractants d’éloigner une personne vers un pays lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle y courra un risque réel d’être soumise à un traitement contraire à l’article 3. Elle interdit même de renvoyer une personne dans un pays, fût-il considéré comme sûr, si celui-ci risque de la renvoyer à son tour dans un autre pays non sûr, celui de sa nationalité ou de sa résidence. Cela pourrait tout à fait concerner les Syriens.

Il y a donc lieu de mettre en question la légalité internationale et européenne de cet accord. En disant cela, je ne tranche ni dans un sens ni dans l’autre : simplement, je ne crois pas que l’on puisse appliquer ces dispositions sans s’interroger sérieusement sur ces points. Je me tiens naturellement à la disposition de tous pour aller plus loin sur ces sujets. Le Défenseur des droits est en effet l’une des rares instances de notre pays, à l’exception, naturellement, des tribunaux judiciaires, à se préoccuper tous les jours, voire toutes les nuits, des personnes qui, comme les enfants ou les familles retenus en centre de rétention administrative, sont dans une situation violemment contraire aux règles internationales ou nationales.

Monsieur Binet, j’ai justement donné aux délégués instruction d’étendre et d’intensifier leurs activités dans le domaine de la promotion de l’égalité et de la lutte contre les discriminations. Aujourd’hui, il est vrai que certains d’entre eux ont, par tradition, tendance à privilégier les questions de médiation avec les services publics. Mais je vais essayer, en particulier grâce aux recrutements et remplacements, d’accentuer cette dimension de leur action. En outre, je prépare actuellement un projet éducatif, pour l’éducation au droit, que j’aimerais développer avec l’éducation nationale afin de faire mieux comprendre aux collégiens et lycéens le rôle fondamental des règles de droit dans une République comme la nôtre.

En ce qui concerne la procréation médicalement assistée, je maintiens ce que j’ai dit devant la mission sénatoriale conduite par Mme Catherine Tasca. Toutefois, par rapport à la position publique prise par 130 médecins la semaine dernière, qui repose encore essentiellement sur des principes d’éthique biomédicale et surtout sur l’idée de traiter l’infertilité de tous les couples, la mienne est d’une certaine manière plus large et plus fondamentale : elle s’appuie sur le principe d’égalité. Je ne suis pas sûr que d’éventuelles futures discussions à ce sujet aboutiraient si l’on partait de l’idée d’étendre les lois de bioéthique ou de supprimer les obstacles qui y figurent : mieux vaudrait à mon avis – mais vous êtes plus compétent que moi sur ces questions – partir des textes du type de celui sur le mariage pour tous, c’est-à-dire de l’égalité. Juridiquement, philosophiquement, politiquement, cette démarche serait probablement sinon plus facile, du moins plus cohérente.

L’amélioration de nos dispositions sur l’accès à l’origine ont fait l’objet en 2012 et 2013 de discussions auxquelles le Défenseur des droits de l’époque a participé. Puis, après qu’elles ont débouché en 2013 et 2014 sur des textes et des propositions, dont le rapport Théry, on n’en a plus parlé. Si vous me saisissez, je peux réfléchir à ce problème très intéressant, qui se posera dès lors que l’on aura entériné toute la récente jurisprudence de la Cour de cassation sur la gestation pour autrui, et traité les questions de filiation qui font partie des suites du mariage pour tous. Il ne s’agit pas ici d’idéologie mais d’application pratique du droit.

Prenons l’exemple du livret de famille. Il soulève des questions très concrètes du type de celles que vous, parlementaires, devriez vous poser. Qu’y écrit-on ? Que peut-il dire d’un enfant, de ses parents ? En s’appuyant sur quels documents ? Quel doit être son degré de publicité ? Nous devrions mettre ces questions sur la table, ce qui n’a pas encore été fait, et les regarder froidement au lieu de les laisser aux groupes d’intérêt et de pression.

Mme Maina Sage. Merci de vos travaux. Votre rapport montre bien la montée en puissance des activités de médiation, de suivi et de défense d’intérêts qui sont souvent ceux des minorités discriminées. Vous jugez très faible le chiffre de 5 000 saisines pour discrimination en 2015. À combien estimez-vous leur nombre potentiel et quels moyens mettre en œuvre pour les traiter ?

Ma deuxième question porte sur les territoires d’outre-mer, à propos desquels je m’associe aux remarques précédemment formulées : nos jeunes subissent encore trop de discriminations, qu’il s’agisse d’accéder au logement ou à des services de base. Mes collègues doivent en être conscients, certains ultramarins attendent des années pour obtenir une simple couverture sociale et sanitaire : en 2016, c’est intolérable ! Des procédures à rallonge et une administration qui ne comprend pas les exceptions ultramarines exposent nos étudiants à de graves difficultés, lourdes de conséquences pour certains. Pourriez-vous faire le point sur l’avancée de vos travaux à ce sujet, du moins s’agissant de la sécurité sociale ?

J’étais venue vous voir l’année dernière pour vous parler de la représentation de la médiature au sein de nos territoires d’outre-mer. Vous avez des délégués en Polynésie française que j’ai rencontrés. Je tiens à signaler que, pour la plupart d’entre eux, ils ne sont qu’indemnisés. Les moyens restent faibles. Vous avez hérité d’une extension de vos missions, mais les délégués ne sont pas toujours armés pour répondre à l’ensemble des demandes qui en découlent. C’est le cas en Polynésie où le représentant du Défenseur des droits, qui, auparavant, représentait avant tout le Défenseur des enfants, s’est senti démuni face à ces nouvelles missions, faute de moyens. Il faudrait donc renforcer les formations et les moyens dans ces territoires isolés.

La fracture numérique est l’un des problèmes qui ont été soulevés. Or si, comme vous l’avez dit, elle fait partie de vos priorités, elle devrait aussi l’être pour l’outre-mer. Nos délégués ont eu du mal à gérer le nouveau logiciel, à remplir les formulaires de demande, à assurer un suivi. Souvent retraités, ils n’ont pas la pratique de l’outil numérique. Je tenais à vous signaler ce problème très concret.

Enfin, êtes-vous en contact régulier avec les différentes associations d’aide aux victimes, jusque dans nos territoires les plus éloignés ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Dans votre rapport, la carte de la répartition géographique des délégués du Défenseur des droits montre de grandes disparités, avec un rapport de 1 à 7 entre certains départements. Il serait intéressant de disposer également d’une carte permettant de comparer ce chiffre au nombre des affaires dont vous êtes saisis et à la population. Car ce sont sans doute aussi ces données, et non pas seulement la pénurie naturelle de l’État, qui expliquent que les délégués soient si peu nombreux ici ou là. Prise isolément, la carte peut faire croire à des injustices qui n’en sont peut-être pas.

En matière de terrorisme, vous semblez très attaché à l’instruction individuelle des affaires, un principe inhérent à nos démocraties qui proscrivent, du point de vue juridique et philosophique, l’idée de responsabilité et de culpabilité collectives. Mais après les attentats de Toulouse, de Montauban, de Paris et bien d’autres, nous avons entendu, dans le cadre de notre commission d’enquête sur le terrorisme, des victimes et leurs avocats s’étonner de ce que chaque affaire soit traitée séparément, sans possibilité de centralisation des informations, alors que celles-ci concernent des personnes qui ne peuvent être inculpées, qui sont tout au plus des témoins, mais dont on découvrira plus tard qu’ils sont eux aussi des terroristes. Comment, dans cette situation, éviter les instructions collectives ? C’est une question de droit et de déontologie. Est-ce au procureur de la République, est-ce à la police de garder en mémoire tous ceux qui ont été impliqués ou suspectés à un moment ou à un autre et dont on s’aperçoit, plusieurs années après, que l’on aurait mieux fait de les suivre à la trace ?

Notre collègue Erwann Binet est allé jusqu’à évoquer la suppression de l’anonymat du don de gamètes. Nous touchons là à une question essentielle : le principe même du don biologique dans notre tradition nationale – je n’ose dire de notre droit puisque, n’étant pas juriste, je ne le connais pas. L’anonymat est en France un trait fondamental du don, qui va de pair avec la gratuité ; certes cela nous distingue d’autres pays, mais n’est-ce pas le cas de bien d’autres choses dont nous nous glorifions, un peu trop peut-être ? Je ne vous demande pas nécessairement de réponse sur ce sujet délicat, monsieur Toubon.

M. Jacques Toubon. Je vais vous en faire une.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’irai plus loin. La levée de l’anonymat toucherait en définitive, du point de vue du droit, à la distinction, essentielle en droit français, entre le droit du sol et le droit du sang. S’il n’y a plus d’anonymat, c’est le droit du sang qui prime. On donne aux gamètes, aux gènes, la force de la loi. Cette question n’a rien d’anodin, elle est fondamentale. Cela concerne aussi la gestation pour autrui : l’accouchement sous X protège les femmes. En levant l’anonymat du don de gamètes, du don d’organes, du don du sang, on rend les femmes coupables à vie de l’enfant dont elles auront accouché et dont elles ne sont ni la mère génétique ni la mère en droit. Dans bien des pays, en Inde, en Russie, aux États-Unis, un homme peut être le père d’un enfant qui aura eu trois mères : celle qui aura donné les gamètes, celle qui aura porté l’enfant et celle qui l’aura « réceptionné ». Je ne sais pas si j’ai très envie d’aller vers ce monde-là.

Je ne vous pose pas de question à ce sujet, car j’ai bien l’impression que vous avez envie d’être interrogé quant au fond sur ce point et que mon collègue Erwann Binet se fera un plaisir de s’en occuper. Mais j’y reviendrai, car je suis testarde !

M. Patrice Verchère. Je vous félicite et vous remercie, monsieur le Défenseur des droits, ainsi que l’ensemble de vos délégués territoriaux, pour tout le travail accompli ainsi que pour les échanges que nous avons eus avec vous, et qui sont importants même s’ils donnent lieu à des contestations.

Dans votre rapport, vous consacrez page 58 un paragraphe au « sens du silence » : le 12 novembre 2015 est entré en vigueur, dans le cadre du « choc de simplification », le principe selon lequel le silence de l’administration vaut désormais acceptation. Vous en dites assez peu, car il est trop tôt pour en dresser un bilan, mais vous évoquez l’inventaire à la Prévert des exceptions à ce principe : il en ressort que l’on a rendu quelque chose de simple très compliqué. L’inquiétude se fait jour chez les fonctionnaires, notamment territoriaux, et chez les citoyens : comment appliquer le principe, à moins d’aller systématiquement consulter les listes sur la page du site Légifrance dont vous donnez le lien dans le rapport ? Vous semblez vous préoccuper du travail supplémentaire que va engendrer cette réforme, qui risque de susciter beaucoup de contestations et de contentieux. Est-ce bien le cas ?

M. le président Dominique Raimbourg. J’aimerais à mon tour vous remercier, monsieur le Défenseur des droits. La vivacité de nos débats témoigne de l’intérêt que nous accordons à vos travaux.

Quelques questions très pragmatiques sur l’état d’urgence. Vous avez formulé plusieurs recommandations au sujet des perquisitions. Premièrement, mettre les enfants à l’écart et les faire encadrer par du personnel non cagoulé. Avez-vous reçu des réponses à ce sujet ? La pratique a-t-elle changé ? Deuxièmement, en cas de dommages matériels, notamment de bris de porte, la situation a-t-elle évolué concernant l’indemnisation lorsque la perquisition n’est pas fructueuse ? Y a-t-il désormais des indemnisations spontanées ? Troisièmement, vous-même et la CNCDH avez préconisé la remise d’un procès-verbal de perquisition. Avez-vous été suivis ?

M. Jacques Toubon. À tout seigneur tout honneur, monsieur le président ; je commencerai donc par vos questions, d’autant plus facilement que je peux vous répondre trois fois « non » ! Je n’ai pas de réponse concernant les enfants, je n’ai pas de réponse concernant l’indemnisation, je n’ai pas de réponse concernant le procès-verbal. Mais vous avez eu le privilège d’en obtenir à l’occasion du récent débat législatif, lors de la discussion des amendements ; dans ce cadre, le ministre a refusé les dispositions relatives aux enfants. Pour ma part, je n’ai pas eu la faveur d’une réponse.

Monsieur Verchère, la question que vous soulevez est en effet une source de vive préoccupation, non seulement à cause de la complication induite, mais aussi et surtout parce que bien des fonctionnaires, dans le doute, refusent ! En d’autres termes, une mesure censée faciliter l’accès du citoyen à l’administration finit, pour des raisons que l’on peut comprendre, par créer un nouvel obstacle. Bernard Dreyfus, mon délégué général à la médiation, grand spécialiste de ces questions, qui participe aux réflexions sur la simplification, pourra vous donner tous les éléments. Honnêtement, je crois que, dans cette affaire, on a agi de manière un peu improvisée.

Madame Sage, je n’ai aucune idée de ce que représente le potentiel de saisines pour discrimination. Mais il est possible de s’appuyer sur la fameuse enquête « Trajectoires et origines » de l’Institut national d’études démographiques (INED), réalisée sur dix ans et publiée il y a deux mois dans son intégralité : elle distingue discriminations réelles, substantielles et rapportées. Cela donne quelques indications, sans permettre de déterminer combien de réclamations je devrais recevoir ; je sais en tout cas qu’avec 5 000, nous sommes loin du compte.

Je suis d’autant plus attentif aux territoires d’outre-mer que j’ai débuté ma carrière administrative rue Oudinot, au cabinet du secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, et que je n’ai jamais cessé de m’en préoccuper, ni au cabinet du Premier ministre, ni au Parlement, ni au Gouvernement. Je parlerai avec mon directeur du réseau territorial de la situation des délégués de Polynésie. Je l’ai dit, je suis en train d’accroître le nombre de délégués et d’intensifier leur travail, et je ne m’arrêterai évidemment pas à l’Hexagone.

Il est exact que le statut des délégués est difficile : il s’agit de bénévoles, légèrement indemnisés. Mais je ne vois pas comment je pourrais ne pas traiter ceux de l’outre-mer comme ceux du reste du territoire de la République.

Quant aux associations de victimes, je suis spécifiquement en relation avec celles qui défendent les victimes de la délinquance, du terrorisme, et avec le fonds de garantie.

Madame Le Dain, le rapport court qui vous a été distribué doit être complété par le rapport complet disponible en ligne et dans lequel vous trouverez la réponse à votre question sur la répartition territoriale des saisines, rapportée à la population. Elle est à peu près stable.

S’agissant de votre question sur la justice, je rappellerai l’une des critiques que j’ai formulées à propos du projet de loi relatif au renseignement lorsque vous l’examiniez : il n’y avait pas d’interface entre la partie administrative – recueil de renseignements, etc. –, qui peut concerner un groupe, comme vous l’avez dit, et le dossier judiciaire. Ce vrai problème est peut-être résolu par les textes dont vous débattez actuellement, mais je n’en suis pas tout à fait sûr.

Enfin, en matière d’anonymat du don de gamètes, les choses me semblent très claires. Si l’on se place dans la perspective des textes de bioéthique, je suis partisan du maintien de l’anonymat. Mais, eu égard à la filiation et à l’égalité, la réponse pourrait être autre. Sur ce sujet, je vous répondrai donc comme à M. Erwann Binet : le point de vue n’est pas le même selon que l’on part de l’extension de la loi de 1994 ou des libertés et de l’égalité. Et c’est ce dernier point de vue que je vous encourage à adopter même si, vous l’avez fort bien souligné, cette question pourrait faire partie de celles pour lesquelles il n’y a aucune raison de supprimer l’exception française.

M. le président Dominique Raimbourg. Merci, monsieur le Défenseur des droits.

La séance est levée à 18 heures 45.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Éric Ciotti, M. Sergio Coronado, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, M. Guy Geoffroy, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Sébastien Pietrasanta, M. Dominique Potier, M. Joaquim Pueyo, M. Dominique Raimbourg, Mme Maina Sage, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. Patrice Verchère, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, Mme Françoise Guégot, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jean-Luc Warsmann

Assistait également à la réunion. - M. Patrick Lebreton