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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 11 octobre 2016

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président et de M. Gilles Carrez, Président de la commission des Finances

– Audition commune avec la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport relatif aux finances publiques locales.

La réunion débute à 16 heures 45.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président,

et de M. Gilles Carrez, président de la commission des Finances,

de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

La Commission entend, en audition conjointe avec la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport relatif aux finances publiques locales.

M. le président Gilles Carrez. Je me réjouis de cette audition commune car avec la commission des lois, nous travaillons sur de très nombreux sujets qui touchent aux collectivités territoriales ; il est donc logique que nous recevions ensemble les magistrats de la Cour pour évoquer le rapport annuel relatif aux finances locales.

Les collectivités territoriales font l’objet de multiples réformes et réflexions. Citons, dans le seul domaine financier, la baisse des dotations de l’État au nom de la contribution au redressement des finances publiques (CRFP), qui poursuit sa course en 2017, et la réforme des valeurs locatives, sur laquelle nos commissions, monsieur Dosière, ont travaillé il y a vingt-cinq ans sans jamais aboutir, et à laquelle nous allons peut-être parvenir s’agissant des locaux professionnels. Mais nous verrons, car, à l’automne, lorsque les avis d’imposition arriveront, il y aura quelques surprises pour les 3 millions de locaux concernés, même si les évolutions vont être lissées dans le temps. À ces deux réformes s’ajoute celle de la dotation globale de fonctionnement (DGF), sur laquelle nous avons travaillé conjointement et dont on connaît maintenant bien les contours ; comme pour les valeurs locatives, il viendra un moment où il faudra passer à l’acte.

Par ailleurs, nous travaillons régulièrement sur les finances locales avec l’assistance de la Cour des comptes, que ce soit dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) ou au titre du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Voilà qui me fournit l’occasion de vous demander, monsieur le Premier président, si la Cour entend remettre prochainement le rapport que nous lui avons demandé sur la prise en considération de la dépense locale et de son efficacité dans la répartition des concours de l’État aux collectivités territoriales et dans les critères de péréquation.

Enfin, la Cour rend chaque année deux rapports, l’un sur les comptes de l’État, l’autre sur ceux des régimes sociaux, que celui qui nous est présenté aujourd’hui vient compléter pour la quatrième année. Comme toujours, il est attendu avec impatience ; j’ai d’ailleurs vu avec plaisir que la presse de l’après-midi lui consacrait une très belle une, qui met une fois de plus en évidence le travail de la Cour.

M. le président Dominique Raimbourg. Je me réjouis moi aussi de cette audition conjointe. La commission des lois est compétente en matière d’organisation des pouvoirs publics, donc notamment des collectivités locales ; c’est à ce titre que nous avons participé à la préparation de la réforme territoriale, qui a soulevé plusieurs questions concernant les finances locales et l’autonomie fiscale des régions, des départements et des communes.

Les membres de la commission des lois et moi-même attendons donc les conclusions du rapport avec un intérêt aussi vif que M. le président de la commission des finances.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je me réjouis moi aussi de présenter pour la première fois aux commissions des finances et des lois, dans le cadre d’une réunion commune, notre rapport annuel sur les finances publiques locales – le quatrième. Cette année, comme l’année dernière, ce rapport est remis au Gouvernement et au Parlement en application des dispositions de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

À mes côtés, pour vous le présenter, se trouvent Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, et Christian Martin, président de la formation interjuridictions chargée de l’élaboration du rapport ; nous sommes également accompagnés de Perrine Biéchy, rapporteure générale auprès de cette formation, et de plusieurs rapporteurs de la Cour et des chambres régionales des comptes parmi tous ceux, nombreux, qui ont travaillé à préparer le rapport.

Chaque année, les juridictions financières rendent publics plusieurs centaines de rapports faisant état de leurs contrôles des administrations publiques locales. Des enquêtes conjointes de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes permettent par ailleurs d’éclairer la gestion locale sous des angles transversaux et font l’objet de rapports publics.

Le rapport que nous publions aujourd’hui s’appuie sur ces travaux et les prolonge. Pour ce faire, il se fonde sur les éléments suivants : des observations à partir des outils d’analyse des données comptables et financières des collectivités, qui nous permettent d’apprécier la diversité des situations locales et d’anticiper leurs évolutions ; des instructions conduites dans 130 collectivités situées dans treize régions, qui alimentent notamment un chapitre sur la fonction publique territoriale ; enfin, le contrôle par la Cour des administrations d’État compétentes et son dialogue nourri avec les associations nationales des collectivités.

Rappelons que les finances locales sont une composante majeure des finances publiques de notre pays. En 2015, les dépenses des administrations publiques locales s’élevaient à 249 milliards d’euros, ce qui représente 20 % du montant total des dépenses publiques. Par ailleurs, les administrations locales bénéficient de transferts financiers de l’État qui ont dépassé, en 2015, les 103 milliards d’euros. C’est la raison pour laquelle – vous l’avez rappelé, monsieur le président – le redressement des comptes publics auquel la France s’est engagée suppose nécessairement la maîtrise de leurs finances par les collectivités territoriales.

Dans ce rapport, la Cour formule trois constats principaux et se penche sur un enjeu de gestion majeur pour toutes les collectivités territoriales.

Premièrement, en 2015, la situation financière globale des collectivités territoriales s’est améliorée. Les collectivités ont contribué à l’amélioration du solde public national, grâce à des mesures d’économies de dépenses et au dynamisme de la fiscalité locale.

Deuxièmement, cette amélioration d’ensemble recouvre des situations diverses selon les catégories de collectivités territoriales, et à l’intérieur même de ces catégories.

Troisièmement, la poursuite nécessaire de ces efforts de gestion devra reposer sur un pilotage budgétaire plus efficace, fondé sur une plus grande prévisibilité des ressources et sur une concertation mieux organisée avec l’État. La gestion de la fonction publique territoriale constitue certainement un levier essentiel de la maîtrise des dépenses locales et un moyen d’accroître l’efficacité et l’efficience de l’action publique locale.

Le premier message formulé dans ce rapport est le suivant : en 2015, les collectivités territoriales ont mieux maîtrisé l’évolution de leurs dépenses et ont bénéficié d’une fiscalité locale dynamique. Elles ont ainsi contribué à l’amélioration du solde public national.

Tout d’abord, les contraintes financières pesant sur les ressources des collectivités territoriales ne se sont que modérément durcies en 2015, dans un contexte dynamique pour la fiscalité locale.

L’année dernière, la Cour avait constaté que la baisse de 1,5 milliard d’euros des dotations de l’État en 2014, conjuguée au ralentissement des ressources fiscales, s’était traduite par un renforcement de la contrainte financière pesant sur les collectivités. En 2015, la baisse des dotations de l’État a été nettement plus marquée puisqu’elle a représenté 3,7 milliards d’euros. L’ensemble des concours financiers de l’État, qui inclut les prélèvements sur recettes, ont diminué de 6,8 % en 2015, soit environ 3,9 milliards d’euros.

Le fait que la contrainte financière pesant sur les collectivités ne se soit pourtant durcie que modérément peut s’expliquer par deux éléments. Tout d’abord, l’accélération de la baisse des dotations a été partiellement compensée par la hausse des dotations de péréquation en faveur des collectivités les moins favorisées financièrement, à hauteur de 327 millions d’euros, et par une augmentation de 9 % – soit 2,9 milliards d’euros – de la fiscalité transférée par l’État aux départements et aux régions.

Ensuite, les collectivités ont bénéficié en 2015 de recettes fiscales en plus forte hausse. Un ralentissement de la fiscalité des ménages et une stabilité de la fiscalité économique avaient été observés en 2014. À l’inverse, les produits des impôts directs se sont accrus de 5,9 milliards d’euros en 2015. Cela constitue la plus forte progression depuis la réforme de la fiscalité locale de 2011.

Au total, le solde résultant de la progression des ressources fiscales et de la baisse des concours financiers de l’État est resté pratiquement inchangé en 2015 par rapport à l’année précédente, autour de 2 milliards d’euros.

Je rappellerai ici un message récurrent des juridictions financières : il est souhaitable que la baisse des concours financiers de l’État aux collectivités s’accompagne d’une meilleure maîtrise des dépenses de fonctionnement et d’une sélection plus exigeante des investissements, plutôt que d’une augmentation des impôts locaux. Ce principe de bonne gestion semble avoir été respecté par une majorité de collectivités depuis 2012. La baisse des concours de l’État en 2014 et 2015 n’a pas conduit les communes et les intercommunalités, prises globalement, à rehausser sensiblement les taux de leurs impôts locaux, même si des exceptions peuvent être relevées. La progression des produits fiscaux est venue d’un accroissement spontané des bases des impôts, ainsi que de la revalorisation votée annuellement par le Parlement – laquelle est supérieure à l’inflation –, davantage que d’une augmentation des taux.

En 2015, ce dynamisme des recettes fiscales s’est conjugué avec une baisse globale des dépenses des collectivités, ce qui a donné lieu à une amélioration de leur situation financière globale. Les données de la comptabilité budgétaire montrent ainsi que, en 2015, les dépenses des collectivités territoriales ont reculé de 0,9 % ; elles ont également reculé en comptabilité nationale.

Les efforts de gestion des collectivités ont commencé à produire des résultats perceptibles. Le rythme de leurs dépenses de fonctionnement a diminué grâce à des baisses d’achats de biens et de services ainsi que de subventions versées. Le rythme des dépenses de personnel a été divisé par trois, déduction faite de l’effet des décisions prises au plan national touchant la fonction publique. Même si leur épargne a cessé de diminuer, elles ont encore réduit leurs dépenses d’investissement.

La situation financière des collectivités territoriales s’est donc améliorée dans l’ensemble, ce qui n’est pas contradictoire avec une augmentation de la quantité de départements rencontrant des difficultés, ni avec le fait qu’un certain nombre de collectivités territoriales se trouve toujours dans une situation très sensible.

Dans ce contexte, comme l’a relevé la Cour dans son rapport de juin 2016 sur la situation et les perspectives des finances publiques, les administrations publiques locales ont contribué pour plus de moitié à la réduction du déficit public national.

Si la Cour constate ainsi une amélioration globale, les situations diffèrent selon la nature des collectivités. C’est le deuxième message du rapport.

L’évolution de la situation financière a été globalement plus favorable pour les communes et les groupements intercommunaux. Au-delà des transferts de compétences qui se sont poursuivis, notamment avec la mise en place des nouvelles métropoles, des efforts de gestion ont trouvé une traduction concrète. Combinés à la reprise des recettes fiscales, ils ont permis aux collectivités du bloc communal, prises dans leur ensemble, d’interrompre l’effet de ciseaux constaté les années précédentes, et d’accroître leur épargne après deux années de diminution importante.

En revanche, les départements, dont les dépenses sociales ont connu une évolution toujours dynamique, bien que ralentie, ont seulement pu freiner l’érosion de leur épargne. Ce résultat est d’abord dû au dynamisme accru de leurs produits fiscaux, notamment des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui a plus que compensé la baisse de la DGF. Pour les départements, l’année 2015 s’est aussi caractérisée par le ralentissement de certaines charges de fonctionnement – notamment les dépenses de personnel – et par la baisse de certaines autres – les achats de biens et de services, les subventions versées.

Enfin, les régions ont globalement connu l’évolution la plus défavorable. Leur épargne brute a continué de se dégrader pour la troisième année consécutive. À la différence des autres catégories de collectivités, elles ont investi davantage. Elles ont cependant bénéficié de la croissance retrouvée de leurs recettes de fonctionnement, malgré la baisse de la DGF. Cette marge de manœuvre a été plus que compensée par l’accélération des dépenses de fonctionnement due, en grande partie, aux nouvelles compétences transférées par l’État. Même si la progression des subventions versées et des autres charges de gestion courante s’est accentuée, celle de la masse salariale et des achats s’est ralentie.

Je le répète : globalement, l’évolution de la situation financière des collectivités territoriales en 2015 montre que de réels efforts de gestion ont été entrepris et qu’ils commencent à porter leurs fruits.

Il reste toutefois un sujet à propos duquel il convient d’être vigilant : bien que la réduction de leurs investissements se soit poursuivie, les trois catégories de collectivités ont continué à s’endetter, étant entendu que les collectivités ne peuvent emprunter, donc s’endetter, que pour investir – à la différence de l’État qui, lui, emprunte pour ses dépenses courantes, comme la sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Gorges. Essentiellement ! Il n’y a pas d’investissement !

M. le Premier président de la Cour des comptes. En effet, il n’y en a pas beaucoup, et nous le disons. Mais il y en a tout de même un peu !

Cela étant, l’investissement n’est pas vertueux en lui-même ; nous le répétons régulièrement. Il l’est quand il répond à un besoin collectif, lorsqu’y préside le souci de l’efficacité et de l’efficience, et dès lors que les dépenses de fonctionnement qu’il entraîne ont été correctement anticipées. Or, dans ses rapports publics, la Cour évoque traditionnellement des investissements qui se révèlent beaucoup plus coûteux que prévu.

De grandes disparités entre les situations sont également à relever au sein de chaque catégorie de collectivité. Le rapport de la Cour en fournit de nombreux exemples. L’effet de la baisse de la DGF est loin d’être uniforme et les efforts de gestion ne sont pas également répartis.

La proportion des communes en grave difficulté financière n’a pas augmenté en 2015, mais elle demeure préoccupante. Par exemple, 77 villes de 20 000 à 50 000 habitants, soit 23 % du total, et 4 villes de plus de 100 000 habitants sur 39 ont affiché une épargne nette négative. Le nombre des départements qui connaissent une situation financière délicate est en hausse. Ainsi, en 2015, huit départements présentaient une capacité d’autofinancement négative, au lieu de cinq l’année précédente – qui sont demeurés dans cette situation pour la deuxième année consécutive.

En outre, l’amélioration globale, quoique contrastée, que l’on observe en 2015 pourrait ne pas se poursuivre en 2016. Trois constats expliquent la prudence de la Cour sur ce point.

Premièrement, l’exercice prospectif conduit dans le cadre du rapport montre que les collectivités vont subir un durcissement de la contrainte pesant sur leur gestion, du fait d’une baisse plus forte – de 2,9 milliards d’euros – de l’ensemble des transferts financiers de l’État, et peut-être d’un moindre dynamisme de leurs recettes fiscales.

Par ailleurs, leurs dépenses de fonctionnement devront intégrer les conséquences financières des mesures prises au niveau national touchant non seulement la fonction publique, mais aussi l’organisation territoriale : le regroupement des régions, le resserrement de la carte intercommunale, la création de treize métropoles, les prochains transferts de compétences des départements aux régions.

Enfin, la reprise de l’investissement local, rendue possible par un effet de cycle au sein du bloc communal, ne sera vraisemblablement pas sans conséquence sur la situation financière des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Dans ce contexte, la Cour recommande de nouveau aux collectivités de poursuivre leurs efforts de maîtrise des dépenses de fonctionnement. Il s’agit en effet du principal levier dont elles disposeront pour préserver leur capacité d’autofinancement.

J’en viens au troisième message : la recherche d’un pilotage budgétaire plus efficace de la part des collectivités devra s’appuyer sur la prévisibilité accrue de leurs ressources et sur une concertation mieux organisée avec l’État.

Chaque année, au-delà de nos observations générales sur la situation et les perspectives des finances locales, nous apportons un éclairage spécifique sur plusieurs points qui le nécessitent. Cette année, j’insisterai notamment sur les marges de manœuvre que la Cour a mises en évidence concernant la gestion de la fonction publique territoriale.

Un pilotage efficace de l’équilibre budgétaire des collectivités territoriales nécessite que ces dernières puissent disposer de ressources prévisibles, notamment fiscales. Or les impôts locaux présentent – vous avez évoqué cet aspect, messieurs les présidents – d’importants défauts qui en limitent l’équité, la lisibilité et in fine la prévisibilité. Trois exemples de lacunes sont détaillés dans le présent rapport.

Le premier est l’obsolescence des valeurs locatives cadastrales, qui permettent notamment de calculer la taxe foncière et la taxe d’habitation, et qui n’ont pas été révisées depuis les années 1970. Depuis 2010, une réforme de ce système est engagée, qui reste inaboutie.

Le deuxième exemple est l’opacité du système extrêmement complexe des exonérations législatives d’impôts locaux et de leurs compensations par l’État. Excepté pour la taxe d’habitation, les compensations versées aux collectivités diminuent selon un rythme difficilement prévisible pour celles-ci. Il est vrai que c’est souvent ainsi qu’elles sont conçues : comme une variable d’ajustement.

Le dernier exemple est l’instabilité du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui constitue une part significative des produits de fonctionnement des collectivités. Le produit de cet impôt subit des fluctuations fortes et imprévisibles qui affectent les exercices de prévision budgétaire.

Forte de ces constats, la Cour formule plusieurs recommandations pour appeler l’État à remédier rapidement au manque de transparence affectant certaines composantes de la fiscalité locale.

Un nouveau cadre de dialogue entre l’État et les collectivités territoriales doit être instauré pour anticiper la contribution de ces dernières au redressement des comptes publics. Actuellement, la trajectoire financière des collectivités fait l’objet de prévisions peu étayées et non concertées. Ce constat s’applique à la fois au programme de stabilité 2016-2019, qui a fixé pour objectif l’équilibre des comptes des administrations publiques locales en 2016, et à l’objectif d’évolution de la dépense locale (ODEDEL), qui ne prévoit pas en 2016 de nouveau ralentissement des charges de fonctionnement des collectivités territoriales. Les collectivités territoriales ne sont toujours pas associées à la définition de ces deux éléments de programmation, alors même que le programme de stabilité organise leur trajectoire financière sur plusieurs années.

Par ailleurs, afin de donner plus de portée à l’ODEDEL, un document budgétaire pourrait être annexé à la loi de règlement, qui analyserait les écarts entre les prévisions et les réalisations. Les progrès accomplis en ce sens étant très limités, le rapport de 2016 reprend des constats et des recommandations déjà formulés les années précédentes.

La concertation entre l’État et les collectivités territoriales à propos des objectifs d’évolution des dépenses, de recettes, de solde et d’endettement reste encore trop peu formalisée, ce qui nous distingue de plusieurs pays européens. Aussi la Cour recommande-t-elle l’organisation d’une concertation approfondie sur la trajectoire-cible des finances publiques locales au sein d’une instance associant des représentants de l’État et des collectivités territoriales. Cette instance pourrait être le nouvel observatoire des finances et de la gestion publique locales prévu par la loi NOTRe. En tout état de cause, quel que soit le cadre retenu – cela relève de votre responsabilité –, l’État devrait partager plus systématiquement les informations financières dont il dispose en la matière.

De plus, la Cour réitère, en la précisant, sa recommandation d’une loi de financement des collectivités territoriales. Cette loi, qui n’aurait pas un caractère prescriptif pour les collectivités, rassemblerait en un texte unique l’ensemble des dispositions ayant un effet sur les prévisions de dépenses, de recettes et de solde. Elle intégrerait par exemple l’impact budgétaire des « normes », c’est-à-dire des décisions prises au plan national et qui peuvent peser sur les budgets des collectivités, ainsi que celui des mesures nouvelles adoptées en loi de finances initiale en matière de transferts financiers de l’État ou de fiscalité locale. L’élaboration de ce projet de loi de financement serait au centre de la concertation entre l’État et les collectivités territoriales.

Une meilleure gestion de la fonction publique territoriale constitue aussi une piste majeure d’économie de dépenses et un moyen d’accroître l’efficacité et l’efficience de l’action publique locale.

La gestion de la fonction publique territoriale présente un caractère ambivalent. D’un côté, la fonction publique territoriale s’inscrit dans le cadre des statuts nationaux en vertu du principe de parité entre les fonctions publiques, de sorte que l’État peut engager les collectivités par certaines décisions, par exemple concernant le point d’indice. De l’autre, la gestion de cette fonction publique relève de l’entière responsabilité des collectivités territoriales, conformément au principe de leur libre administration, inscrit dans la Constitution.

Avec près de deux millions d’agents à la fin de l’année 2014, la fonction publique territoriale représente plus d’un tiers des effectifs totaux de la fonction publique. Le rapport étudie deux enjeux relatifs à sa gestion : les marges de manœuvre envisageables et le pilotage du suivi de cette gestion.

Aux yeux des juridictions financières, les marges de manœuvre budgétaires sont importantes. De 2008 à 2015, les dépenses de personnel des administrations publiques locales sont passées de 64 à 79 milliards d’euros. Cette forte progression – de 23 % – explique plus de la moitié de l’augmentation totale des dépenses des collectivités au cours de cette période. À plus long terme, les dépenses de personnel des administrations publiques locales ont progressé nettement plus vite que celles de l’État et de ses opérateurs ou des administrations de sécurité sociale.

Le rapport dessine plusieurs pistes d’économies, en s’appuyant notamment sur les observations issues des contrôles opérés en 2015 par les chambres régionales et territoriales des comptes sur la base d’un échantillon de 130 collectivités territoriales et groupements intercommunaux.

De 2002 à 2013, les effectifs de la fonction publique territoriale ont augmenté de 27,5 %, ce qui représente 405 000 agents supplémentaires. Plus de la moitié – 243 000 – se trouvent dans le secteur communal, qui, à la différence des départements et des régions, n’a pourtant pas fait l’objet de nouveaux transferts de compétences de la part de l’État.

Des observations des chambres régionales et territoriales des comptes, il semble ressortir que, sous la pression de la baisse accélérée des dotations de l’État, les collectivités territoriales ont engagé des efforts de gestion de leur masse salariale pouvant passer par une meilleure maîtrise de leurs effectifs. Il importe, pour que cette démarche soit durable et efficace, de remédier à des faiblesses de gestion qui ont favorisé l’évolution observée jusqu’à aujourd’hui : une évaluation non méthodique des besoins ; un suivi imprécis des ressources humaines ; une gestion prévisionnelle encore insuffisamment développée ; des mutualisations à approfondir au sein des ensembles intercommunaux ; un remplacement des départs à la retraite qui reste trop souvent systématique malgré ces constats.

La gestion du temps de travail devrait être plus rigoureuse. La durée annuelle de travail est encore trop souvent inférieure à la durée réglementaire. Cela dit, les juridictions financières font le même constat à propos de la fonction publique hospitalière, et de la fonction publique d’État dans certaines administrations. En revanche, l’absentéisme est plus élevé dans la fonction publique territoriale que dans les deux autres. Toutefois, les chambres régionales des comptes observent l’amorce d’un mouvement de rattrapage. De bonnes pratiques émergent, comme la suppression d’heures supplémentaires forfaitisées irrégulièrement utilisées comme compléments de rémunération dans certaines collectivités, ou l’annualisation de la durée du travail dans des services connaissant une variation saisonnière de leur activité.

L’impact budgétaire de la gestion des carrières doit être davantage pris en considération. Les collectivités territoriales pratiquent trop systématiquement l’avancement d’échelon à la durée minimale prévue par les textes. De même, la gestion des avancements de grade reste insuffisamment modulée en fonction de la valeur professionnelle des agents. Les collectivités territoriales ne régulent qu’exceptionnellement leur politique d’avancement de grade ou d’échelon en fonction d’objectifs de maîtrise de leur masse salariale.

En outre, selon les observations des chambres régionales, les régimes indemnitaires sont dynamiques et faiblement modulés.

Dans ces différents domaines, la Cour formule des recommandations pour inciter les collectivités territoriales à se doter de méthodes et d’outils permettant une gestion plus performante de leurs ressources humaines.

Au plan national, enfin, le suivi de la gestion de la fonction publique territoriale devrait être mieux piloté. Dès lors que la contribution des collectivités territoriales au redressement des comptes publics passe particulièrement par une meilleure maîtrise de leurs dépenses de personnel, il importe en effet de suivre de manière précise et rapprochée l’évolution des pratiques de gestion et leurs incidences budgétaires.

Différents acteurs sont chargés à des titres divers de suivre l’évolution de la fonction publique territoriale : l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), la direction générale des collectivités locales (DGCL), le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), les centres de gestion et leur fédération nationale. Cette multiplicité d’acteurs et de dispositifs de suivi a très souvent pour effet un manque de complémentarité et de coordination. En termes statistiques, malgré les progrès accomplis grâce à l’action coordonnée par la DGAFP, tous les champs ne sont pas couverts et les évolutions en cours ne sont pas suffisamment analysées du point de vue qualitatif. Un guide des bonnes pratiques de gestion des ressources humaines a été réalisé pour recenser les démarches innovantes dans les ministères, mais il n’en existe aucun équivalent dans la fonction publique territoriale. Les juridictions financières recommandent que le pilotage du suivi de la gestion des agents territoriaux soit confié à une instance unique constituée des représentants des services centraux et des collectivités territoriales.

En conclusion, la Cour a pu noter des signes d’évolution positive des finances publiques locales en 2015. Elle appelle l’attention, d’une part, sur l’hétérogénéité des situations selon le niveau des collectivités territoriales concernées ; d’autre part, sur le risque que les évolutions positives ne se poursuivent pas en 2016.

Des efforts restent nécessaires à la poursuite du redressement des finances publiques dans leur ensemble. Certains ont été engagés dans de nombreuses collectivités territoriales, ce qui montre que des améliorations sont possibles. Le rapport comporte de nombreux exemples de bonnes pratiques qui continuent de se diffuser, y compris en matière de gestion de la fonction publique territoriale.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Monsieur le Premier président, je vous remercie de votre rapport, que je n’ai pas encore eu le temps de lire en détail mais que je trouve absolument fabuleux.

Vous présentez aux pages 89 et suivantes des simulations inédites : il s’agit d’une projection du bilan des différentes collectivités, sous réserve d’hypothèses qui sont explicitées page 90. Je note que vous partez du principe que la DGF, après les baisses opérées jusqu’en 2017, restera stable jusqu’en 2020 : c’est une hypothèse assez lourde. On voit bien la différence entre les résultats des simulations selon la taille des villes concernées. L’exercice est particulièrement intéressant.

Vous indiquez page 112 que l’effet-base joue un rôle prédominant dans les ressources des collectivités. La revalorisation des bases fait rituellement l’objet d’un amendement du ou de la rapporteur(e) général(e). Que penseriez-vous d’une revalorisation proche de zéro cette année ? Je serais pour ma part prête à la défendre. L’hypothèse n’est pas prise en considération dans vos simulations, mais elle pourrait être envisagée.

À la page 126, toujours à propos de l’effet-base, il est cette fois question de la révision des valeurs locatives. Vous présentez une carte extrêmement intéressante, comme l’est toujours la dimension géographique des réformes et leur traduction concrète sur le territoire. On constate que c’est l’Ouest de la France qui va connaître la plus forte hausse des valeurs locatives sous l’effet de la réforme touchant les locaux professionnels. La Cour a-t-elle un commentaire à formuler sur ce point ?

À propos des exonérations, abordées notamment pages 134 et 135, je ne peux que vous rejoindre : à la commission des finances, nous avons beaucoup de mal à déterminer précisément le montant réellement compensé par l’État. C’est une sorte de maquis auquel on finit par ne plus rien comprendre. On constate à lire le rapport que certaines villes, dont Bordeaux, ont vraiment suivi les compensations à la trace mais que les variations sont très grandes, y compris entre villes, c’est-à-dire entre collectivités de même nature ; c’est assez inquiétant.

Il me paraît essentiel que nous nous saisissions des recommandations que vous formulez pages 215 et 216, notamment celles qui portent les numéros 7, 8 et 9, et que nous suggérions en particulier au Gouvernement de mettre rapidement en œuvre la proposition 8, tendant à « améliorer la présentation et la qualité des informations transmises individuellement aux collectivités locales sur les allocations compensatrices d’exonérations fiscales ».

Mes chers collègues, je ne doute pas que vous me permettrez pour finir une question plus « locale ». On constate page 259 que la région Midi-Pyrénées, qui m’est chère, est la seule pour laquelle l’évolution des produits régionaux de CVAE est inversement corrélée à celle du PIB. Auriez-vous des éléments d’explication ?

Mme Christine Pires Beaune, rapporteure spéciale des crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales. Je m’associe aux propos de la rapporteure générale sur la richesse du rapport de la Cour des comptes, même s’il nous a été remis trop tardivement pour que nous ayons pu l’examiner complètement avant la présente audition – aussi me permettrai-je de vous interroger par écrit sur certains points, monsieur le Premier président.

Vous écrivez que la participation des collectivités au redressement des finances publiques se justifie par l’importance des transferts financiers – de 103 milliards d’euros. Pour gagner en clarté voire en sincérité, je souhaite qu’on compare ce montant aux transferts hors fiscalité puisque, dans le cadre de la fiscalité, l’État ne sert que de « boîte aux lettres ».

En 2015, vous avez relevé une amélioration réelle de la situation financière. C’est la première fois, en effet, depuis douze ans, qu’une capacité de financement est dégagée. Reste que cette situation est très contrastée selon les catégories de collectivités mais aussi au sein de chaque catégorie. Ainsi les départements forment-ils la catégorie qui souffre le plus.

Autrement dit, si la situation macroéconomique s’améliore, l’hétérogénéité persiste et le système de financement atteint ses limites. Dans ce contexte, la réforme de la DGF, qui, je le rappelle, représente en volume presque la moitié des transferts financiers – 30 milliards d’euros sur 63 milliards –, aurait été indispensable ; or elle est reportée au mieux à 2018, à moins qu’elle ne soit purement et simplement abandonnée. Je considère qu’il s’agit d’une erreur historique. Il aurait en effet fallu corréler la division par deux de la contribution des collectivités et la réforme de la DGF et je suis sûre que les élus locaux auraient trouvé la solution pour qu’une réforme consensuelle soit menée.

Vous avez par ailleurs souligné que si la situation des collectivités s’était améliorée en 2015, c’est essentiellement parce que les recettes fiscales se sont accrues mais aussi parce que l’investissement a reculé – sauf pour les régions –, enfin parce que les efforts de gestion ont commencé de porter leurs fruits – il me semble important de souligner ce dernier point en ces lieux.

Le rapport évoque les perspectives d’évolution et la situation de 2016 qui serait moins favorable que celle de 2015 puisque les collectivités prises dans leur ensemble, écrivez-vous, ne disposeraient pas de marges de manœuvre pour faire face à l’évolution de leurs dépenses de fonctionnement. Vous ajoutez que l’investissement, en revanche, pourrait, lui, repartir à la hausse. En effet, les mesures mises en place sont susceptibles de le stimuler. Avez-vous des éléments tangibles permettant de le montrer ?

En ce qui concerne le programme de stabilité, la fixation des objectifs en termes de dépenses, je ne puis que vous rejoindre : nous devons en effet parvenir à définir un nouveau mode de gouvernance. Vous préconisez une concertation approfondie sur la trajectoire-cible des finances locales, au sein d’une instance associant les représentants de l’État et ceux des collectivités locales – j’ai cru comprendre que vous aviez mentionné le futur observatoire ; mais peut-il s’agir d’une instance à créer en fonction d’un objectif qui serait déterminé par le type de collectivité, compte tenu, encore une fois, de leur hétérogénéité ?

J’en viens à une autre recommandation : l’adoption par le Parlement d’une loi de financement spécifique aux collectivités locales. Il semblerait que vous ayez été entendu, cela au grand bonheur des associations d’élus. Ce texte ne serait pas prescriptif. Pouvez-vous préciser quels seraient son périmètre et, surtout, son calendrier et son articulation avec le projet de loi de finances ?

Enfin, je vous remercie pour votre analyse de la fiscalité locale et d’avoir souligné combien le pilotage de cette dernière devenait primordial. Car les défauts en sont connus, anciens, dénoncés ; et rien ne change. Vous avez choisi trois exemples : l’obsolescence des valeurs locatives cadastrales, l’opacité des compensations d’exonération, et notamment du taux de couverture – la rapporteure générale vient de citer quelques exemples édifiants de taux de couverture entre villes –, enfin l’instabilité du produit de la CVAE. J’espère que, sur ces trois points, nous pourrons avancer dès 2017. L’Assemblée des communautés de France (AdCF) a en effet produit des études intéressantes sur l’instabilité de la CVAE. J’espère en tour cas que vos recommandations seront suivies en la matière.

M. Hugues Fourage, rapporteur pour avis des crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales. Je m’associe aux compliments déjà formulés sur la qualité du rapport qui vient de nous être remis.

Vous évoquez, monsieur le Premier président, la forte augmentation des produits fiscaux – 3,8 milliards d’euros en 2014. Est-elle liée à une anticipation des baisses des dotations d’État ou bien est-elle liée à la volonté des collectivités d’appliquer leur programme ?

Ensuite, je fais miennes les remarques de Christine Pires Beaune sur le projet de loi de financement spécifique aux collectivités locales. Selon le rapport, son instauration nécessite une réforme de la Constitution : quelles sont les dispositions qui devraient être prises ?

Enfin, sur la fonction publique territoriale, je vous trouve un peu dur, même si vous reconnaissez que des efforts ont été faits et même si vous admettez qu’elle est un levier de maîtrise des finances locales. J’insiste sur les efforts réalisés par les gestionnaires locaux pour tâcher de compenser le transfert de compétences ou l’absence de l’État sur le territoire. Pouvez-vous, à cet égard, préciser ce que vous entendez par « le suivi des bonnes pratiques » ? Cette notion me paraît quelque peu attentatoire à la libre administration des collectivités territoriales. L’application d’un tel guide de bonnes pratiques ne risque-t-elle pas de conduire les chambres régionales et territoriales des comptes à pointer du doigt les gestions locales ?

M. Alain Chrétien. Je reviens sur la fameuse augmentation de 400 000 agents au sein de la fonction publique territoriale, entre 2002 et 2013. Vous avez souligné le fait que, parallèlement, le nombre de compétences dévolues aux collectivités était pour sa part resté identique. En fait, de nombreuses compétences leur ont été insidieusement transférées comme l’urbanisme, secteur dont l’État s’est totalement déchargé sur les communes – c’est le cas en particulier de l’obligation de mettre en place des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI), laquelle nécessite une expertise juridique nouvelle. Je pense également à l’application de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui a nécessité la création de nombreux services de gestion. Vous n’avez pas non plus évoqué la suppression du jour de carence, facteur d’accroissement de la ressource humaine territoriale. Enfin n’oublions pas la réforme des rythmes scolaires qui a contraint de nombreuses communes à embaucher alors qu’elles n’en avaient pas les moyens, nonobstant l’octroi de subventions de l’État qui se sont révélées insuffisantes.

En somme, certes, de nouvelles compétences n’ont pas été transférées aux communes, mais des compétences insidieuses – j’y insiste, et l’expression me paraît idoine – leur ont été imposées qui les ont conduites à augmenter la masse salariale.

Dernier point : vous n’avez pas prononcé, monsieur le Premier président, le mot de « mutualisation ».

M. le Premier président de la Cour des comptes. Je l’ai bien évoqué, pourtant.

M. Alain Chrétien. Alors je ne l’ai pas entendu, veuillez m’excuser. Reste que la mutualisation est en marche et constitue sans doute un levier important d’optimisation de la ressource humaine territoriale – expression que je préfère à celle de « fonction publique territoriale » dans la mesure où il est ici question, avant tout, d’hommes et de femmes.

M. Olivier Dussopt. Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour la qualité du rapport qui nous a été remis, en application de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE), afin de faciliter nos échanges préalablement à la discussion du projet de loi de finances.

Vous rappelez que les administrations publiques locales représentaient, en 2015, 20 % de la dépense publique, 13,7 % des prélèvements obligatoires et 9 % de la dette publique, administrations publiques locales qui ont dans le même temps contribué pour 50 % au redressement des finances publiques. La prise de conscience de cette seule distorsion devrait nous épargner les polémiques autour de l’idée selon laquelle les collectivités seraient dépensières, voire les élus locaux irresponsables.

En ce qui concerne l’évolution de la situation financière, vous amenez un autre élément nouveau en précisant que la baisse de la DGF s’est élevée à 3,47 milliards d’euros tandis que la baisse totale des transferts de l’État s’élève, elle, à 3,87 milliards d’euros, soit plus que ce qui apparaît dans le programme de redressement des comptes publics. Voilà qui met en évidence les premiers résultats des efforts des collectivités en matière de maîtrise des dépenses publiques. En revanche, je trouve dommage qu’on ne fasse pas suffisamment apparaître le poids des mesures nationales sur l’évolution des dépenses de personnel, même si vous prenez la précaution d’indiquer que ces dernières progressent trois fois moins vite hors impact des mesures nationales. On songe à la réforme des rythmes scolaires, à un certain nombre de revalorisations – question rendue plus cruciale encore en 2016 avec l’application du parcours professionnel, carrière et rémunération (PPCR) et avec la revalorisation du point d’indice.

Pour ce qui est de la fiscalité, la présentation de l’accroissement des recettes mériterait d’être ventilée en fonction des collectivités et en tenant compte des effets liés à l’arrêt de l’exonération dont bénéficient certains contribuables qui ont réintégré les bases pour une période donnée – je pense en particulier à la taxe d’habitation.

Mon inquiétude à propos de l’évolution de l’investissement est plus forte que celle que vous exprimez dans le rapport. On peut difficilement se satisfaire de la présentation de l’amélioration de la situation des collectivités, certes bien réelle d’un point de vue comptable, mais qui est le résultat de la baisse des dépenses d’investissement. Si un excédent de financement apparaît, il convient en effet de souligner qu’il provient aussi d’une baisse de l’investissement de 22 % pour le bloc local pour les deux dernières années, ce qui n’est pas satisfaisant, j’y insiste, notamment pour ce qui est de l’entretien des infrastructures et du soutien à la croissance.

Ensuite, si la situation semble s’être améliorée en 2015, les premiers éléments dont nous disposons pour 2016 sont relativement inquiétants puisque nous percevons d’ores et déjà une évolution des dépenses de fonctionnement plus rapide par rapport aux recettes. Cet effet ciseaux ne permettrait pas le rebond de l’investissement public local que vous évoquez et que vous présentez comme acquis. J’ajoute que, pour le bloc communal, le dynamisme de la fiscalité que vous mentionnez n’est pas équitablement réparti : vous avez souligné l’hétérogénéité de la situation, c’est un fait, mais le dynamisme fiscal local global s’explique aussi par des décisions prises par les conseils départementaux tant en matière de taux qu’en matière de DMTO. C’est à mon sens une raison de plus pour ventiler la présentation du dynamisme de la fiscalité par catégories de collectivités.

Pour finir sur la fiscalité locale, je rejoins Christine Pires Beaune : la question de l’obsolescence des valeurs locatives cadastrales se pose et l’opacité des compensations d’exonérations est un vrai problème. Le financement de ces dernières, tel que le prévoit le projet de loi de finances pour 2017, par le biais de l’extension de variables d’ajustement à certaines lignes budgétaires – je pense à la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) des départements –, serait, si j’ose dire, « doublement contre-péréquateur ». On l’a constaté au cours de plusieurs auditions.

En outre, nous nous interrogeons tous sur l’instabilité du produit de la CVAE. Nous plaidons pour la consolidation et la territorialisation de la CVAE, et je regrette que le rapport n’appuie pas suffisamment cette demande.

Concernant le projet de loi de financement des collectivités, je souscris totalement aux propos de Christine Pires Beaune : nous avons besoin d’un tel texte, qui ne soit pas prescriptif, et je souhaite connaître vos préconisations en termes de méthode et de calendrier.

Par ailleurs, les budgets annexes ont tendance à proliférer, notamment pour les services publics administratifs, et, dans la mesure où la CRFP n’est calculée que sur les recettes réelles de fonctionnement du budget principal, on note parfois un effet d’optimisation. Nous sommes quelques-uns à penser que l’intégration des recettes réelles de fonctionnement – comme des dépenses d’ailleurs – des budgets annexes des services publics administratifs, et non pas des services publics à vocation industrielle et commerciale – pour ne pas pénaliser des modes de gestion en régie –, serait de nature à rendre le calcul de la CRFP plus juste entre les différentes collectivités.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour ce travail très intéressant. Je déplore seulement que nous n’en ayons pas disposé au moment où nous avons examiné, avec le Comité des finances locales, la refonte de la DGF, car c’est une mine d’informations.

Le recul des dépenses des collectivités ne concerne-t-il que les dépenses de fonctionnement ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Ce sont les dépenses totales.

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est donc l’ensemble des dépenses, ce qui n’est pas surprenant : les collectivités ne pouvant, du jour au lendemain, diminuer leurs dépenses de fonctionnement de 15 ou 20 %, elles rognent sur l’investissement. J’ai ainsi constaté, dans le département du Jura, une chute terrible des investissements. C’est pourquoi la baisse globale des dépenses n’est pas un bon signe puisqu’elle est due à une baisse de l’investissement qui diminue l’offre de travail pour nos entreprises.

Vous avez fait état, monsieur le Premier président, des compensations. L’année dernière, nous avons eu une longue discussion avec Christine Pires Beaune sur les compensations d’exonérations concernant les bas revenus. J’ai gardé un document qu’elle m’avait envoyé assurant que l’État s’était engagé à s’en charger. Or, vérification faite, l’État n’a absolument pas compensé lesdites exonérations, et les collectivités en subissent donc les conséquences. Pour un département comme le Jura, l’impact est d’environ 180 000 euros. Il est inadmissible de mettre les collectivités à contribution contre leur gré.

En ce qui concerne la révision des valeurs locatives cadastrales – je suis présidente de la commission ad hoc dans mon département –, nous étions tous ravis, l’an dernier, que cette mesure soit reportée d’un an, avec l’espoir qu’elle le soit aux calendes grecques. On sait bien qu’il faut les réviser, mais laissez-moi vous décrire la réalité du Jura. Une telle révision ne changera certes pas grand-chose pour les industries et pour les commerces – nous sommes en train de baisser leur base locative d’imposition. En revanche, si l’on intègre les collèges au dispositif, qui va payer ? Les collectivités. Ensuite, comment calculer la revalorisation locative des maisons de retraite ? Sur le prix de la journée : là encore, ce sera au département de payer. En effet, tout système vertueux ayant ses travers, je souhaite que vous preniez en compte cette réalité, monsieur le Premier président.

Vous évoquez par ailleurs l’imprévisibilité de la CVAE ; je parlerais plutôt de son absence de dynamisme. Dans le cadre de la loi NOTRe, le Gouvernement propose des transferts de compétences au détriment des départements dont l’épargne brute va se trouver déstabilisée par le versement d’une part importante du produit de la CVAE aux régions.

Si l’on voulait tuer les départements en l’espace d’un ou deux ans, on ne s’y prendrait pas autrement. Ils sont dans une situation catastrophique.

Je terminerai en évoquant la revalorisation du point d’indice de la fonction publique. Vous nous invitez, monsieur le Premier président, à une meilleure gestion de la fonction publique, qu’il s’agisse des carrières, du temps de présence… Fort bien, et tout le monde partage ce souhait ; mais ce n’est pas nous qui décidons de la rémunération, c’est l’État ! Il est facile d’imposer aux collectivités une augmentation de la masse salariale sans qu’elles aient eu leur mot à dire.

M. Dominique Lefebvre. Je salue à mon tour l’intérêt de ce travail qu’a institutionnalisé la loi NOTRe, même si cela fait longtemps que la Cour des comptes examine les finances locales, sujet à la fois passionnant et passionnel du fait de la persistance du cumul des mandats qui ne prendra fin que l’année prochaine mais qui risque de rester longtemps dans les têtes – j’y reviendrai.

Le rapport de la Cour des comptes est une contribution utile au débat. On sait que la période actuelle a été marquée par la discussion sur la CRFP. Le rapport confirme ce que nous constatons depuis un certain temps : cette contribution n’a pas eu un effet aussi dramatique que d’aucuns ont bien voulu le soutenir ; les transferts de l’État vers les collectivités locales continuent en réalité de progresser.

Cette contribution, pour la période 2014-2017, aura été de 10 milliards d’euros mais, comme vous le soulignez, elle pose des problèmes d’avenir pour tous ceux qui envisagent de poursuivre la baisse des dépenses locales – j’entends des annonces de diminution des dépenses publiques de 100 milliards d’euros dont 20 milliards pour les collectivités locales, tout en ignorant s’il s’agit de 20 milliards de baisse de dotation d’État ou de 20 milliards de baisse de dépenses et, si c’est le cas, lesquelles.

Au fond, il ressort du rapport que le problème n’est pas tant celui de la maîtrise de la dépense publique locale que celui de l’application de ces mesures nécessaires à un système qui reste profondément inégalitaire. Vous indiquez que les prélèvements sur recettes des collectivités trop riches pour pouvoir bénéficier de dotations d’État posent un problème – j’aimerais savoir lequel.

Pour finir, j’avoue que, contrairement à mes collègues, je m’interroge sur votre préconisation d’une loi non prescriptive sur les finances locales. Sans aller jusqu’à recourir à Montesquieu qui écrivait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », je ne trouve pas très pertinent le rapprochement avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui, je vous le rappelle, passe chaque année de 60 articles initiaux à 150 articles en fin d’examen et prévoit des dispositions tous azimuts. Vous faites référence à des exemples étrangers mais les pays en question ont-ils l’équivalent de l’article 72 de la Constitution, qui prévoit la libre administration des collectivités territoriales ?

M. le président Gilles Carrez. Non.

M. Dominique Lefebvre. Certes, le non-cumul intégral s’appliquera en 2017. Aussi la prochaine assemblée ne devrait-elle pas mener des débats du même type que ceux que les députés plus anciens que moi ont toujours connus ici, mais, je l’ai dit, ces débats risquent malgré tout de rester longtemps dans les têtes... Je m’inquiète vraiment de l’instauration d’une loi de financement des collectivités locales spécifique et des dispositions qu’elle pourrait contenir. Je ne suis pas certain qu’une telle initiative aidera vraiment le pilotage des finances publiques locales.

Mme Véronique Louwagie. Je remercie la Cour des comptes pour cet excellent rapport qui donne de nombreuses informations que nous allons pouvoir exploiter.

Je reviens sur la révision des valeurs locatives cadastrales. Vous avez évoqué, monsieur le Premier président, la première étape, qui concerne les locaux professionnels, puis une seconde étape, à venir, sur les locaux d’habitation. À vous écouter et à vous lire, vous semblez attaché à cette réforme et du reste la Cour recommande de la poursuivre sans délai. Sa mise en œuvre rencontre-t-elle donc, selon vous, des réticences, des difficultés ?

Vous faites par ailleurs état de l’augmentation de 27,5 % des effectifs de la fonction publique territoriale entre 2002 et 2013, soit plus de 400 000 agents supplémentaires. Vous avez précisé que, dans le même temps, l’État n’a pas transféré de nouvelles compétences au bloc communal mais, et on l’a souligné précédemment, de nouvelles charges pèsent sur les communes ; j’évoquerai les nouvelles activités périscolaires qui, si elles n’ont pas eu beaucoup d’effet sur la période 2002-2013, se sont traduites dès 2014 par une croissance des effectifs.

Enfin, vous avez analysé la durée du travail annuelle moyenne de 103 collectivités. La moyenne constatée est de 1 562 heures par an au lieu des 1 607 heures réglementaires, la moyenne de certaines collectivités descendant jusqu’à 1 491 heures ou, comme le département de l’Hérault ou la métropole de Lille, à 1 501 heures. Vous préconisez d’infliger des pénalités financières aux collectivités qui ne respecteraient pas la durée légale du temps de travail, et d’abroger la disposition de l’article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 autorisant les collectivités territoriales à conserver un temps de travail inférieur à la durée réglementaire. Avez-vous pu en évaluer l’impact financier pour les 103 collectivités examinées et, plus largement, pour l’ensemble des collectivités ?

M. Michel Vergnier. Monsieur le Premier président, votre rapport ne me rassure pas. Ce n’est bien sûr pas sa qualité que je remets en cause – je le trouve bon – mais ce qui m’inquiète est la tendance qu’il dégage. Tout va bien, en fin de compte, tout va mieux pour les collectivités territoriales : les efforts ont été faits, l’état des finances s’est amélioré, l’investissement, bon an mal an, se maintient – n’étaient les terribles inégalités entre collectivités, je dis bien : « terribles ». Certaines n’en peuvent plus et c’est le cas de celle dont je suis l’élu.

Ne pourrait-on dès lors pas faire une analyse plus fine des différentes strates, ainsi que l’a suggéré Olivier Dussopt ? J’ai en effet l’impression que les petites villes, celles de 10 000 à 20 000 habitants, sont tout de même celles qui connaissent les difficultés les plus grandes et pour des raisons très simples : elles ont des charges de centralité dont on ne mesure pas l’ampleur, ces villes ne disposant pas des ressources des collectivités plus importantes. C’est une vraie difficulté. Quand mes collègues évoquent les contraintes supplémentaires auxquelles les collectivités sont soumises, toutes ne sont pas logées à la même enseigne : ainsi de la réforme des rythmes scolaires ; la qualité des mesures prises pour son application – quand elle est possible – varie en fonction des capacités des collectivités. Ainsi, celle que je gère depuis quelques années n’est pas très endettée mais elle n’a plus de marges d’autofinancement. Je me refuse à augmenter les impôts locaux, mais combien de temps encore cela sera-t-il possible ? Je souhaite donc savoir si le cas de ma collectivité est isolé ou bien si c’est telle ou telle strate qui se trouve en réelle difficulté.

Ce rapport, bien fait, dégage une tendance, je l’ai dit, et le risque est qu’on laisse de côté ceux qui sont dans la souffrance. Il est bien possible qu’un jour ou l’autre je présente un budget en déséquilibre, et, alors, à charge pour le préfet de la Creuse de s’en débrouiller.

M. Marc Le Fur. Je me joins au concert de louanges, monsieur le Premier président, concernant ce rapport très instructif. Il permet en particulier de démontrer que la collectivité qui souffre le plus depuis plusieurs années est la région. C’est d’autant plus surprenant qu’il s’agissait de la collectivité de prédilection du Président de la République, qu’il s’agit de la collectivité qui accompagne les projets d’avenir : formation, emploi, investissement…

Ensuite, je ne perçois pas dans le rapport le décrochage de pans entiers du territoire qui se manifeste par la fermeture des commerces notamment. La logique géographique du pays est la métropolisation. Les finances publiques n’accompagnent-elles pas, n’exagèrent-elles pas cette métropolisation au détriment de collectivités qui ont à gérer les territoires ? Or, sauf erreur de ma part, je ne vois pas la réponse dans le rapport.

Vous évoquez par ailleurs l’objectif des dépenses. Il est vrai qu’on pense à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM), qui fonctionne plutôt bien. Ne peut-on imaginer un dispositif analogue pour les collectivités locales ? Quel est le risque de son inconstitutionnalité ? Et quelle en serait l’efficacité ? Il est en effet souhaitable qu’il soit quelque peu prescriptif et permette de tenir le fonctionnement tout en libérant l’investissement. La chute de l’investissement des collectivités locales est d’autant plus paradoxale que nous étions dans un contexte très favorable en matière de taux d’intérêt – or nous avons privé les collectivités de la possibilité d’en profiter. Nous pouvions en effet nous projeter dans l’avenir mais l’absence d’accompagnement de la part de l’État l’a empêché.

Enfin, je partage le point de vue d’Alain Chrétien sur la nature des dépenses des communes, en particulier pour ce qui concerne la réforme des rythmes scolaires – et tous les maires le confirmeront. Au-delà, on constate une explosion des effectifs de la fonction publique locale et l’on voit des personnels exercer des missions qui, en d’autres lieux, le sont par le secteur privé. N’y a-t-il pas, sur ce point, des dispositions à imaginer qui permettraient aux collectivités de recruter des personnels en fonction de statuts divers et variés ? Entre la fonction publique locale et le transfert au secteur privé d’un certain nombre de missions, n’existe pour l’heure aucun sas qui permettrait aux collectivités de recruter directement, en particulier sous forme de contrats à durée indéterminée (CDI).

M. Joaquim Pueyo. Merci, monsieur le Premier président, pour votre analyse de la situation des collectivités territoriales. Il est vrai que, malgré la baisse de la DGF, les élus locaux ont consenti des efforts importants pour maîtriser les dépenses de fonctionnement, parfois au détriment des investissements.

Je souhaiterais insister, pour ma part, sur le rôle de la péréquation, laquelle permet de mieux prendre en compte les charges de centralité, qui augmentent, ainsi que les problématiques liées à la pauvreté que l’on observe dans les centres-villes. Je souhaite également revenir sur les exonérations de taxe d’habitation. Dans certaines communes, jusqu’à 40 % des habitants en bénéficient, de sorte que, si elles ne sont pas compensées à 100 %, les finances locales risquent de connaître de grandes difficultés.

Je souhaiterais savoir ce que vous pensez de la dotation de solidarité urbaine (DSU), notamment de la « DSU cible », qui permet aux communes de gérer les charges de centralité que j’évoquais à l’instant.

Enfin, vous avez indiqué que l’absentéisme était important dans certaines collectivités. Nous en prenons acte ; beaucoup d’élus y sont attentifs. Mais je sais, en tant que maire, qu’ils ont très peu de moyens pour lutter contre ce phénomène. Peut-être avez-vous des recommandations à nous faire en la matière.

M. Jacques Bompard. Monsieur le Premier président, nous connaissons votre sérieux et votre indépendance d’esprit vis-à-vis de la classe politique. Je souhaiterais donc que la Cour des comptes nous indique comment elle peut analyser certains faits économiquement regrettables, qu’il s’agisse du dédoublement coûteux des candidats aux élections cantonales, des errements de l’État sur la DGF, de la réforme non financée des rythmes scolaires ou du coût important des centres de migrants qui, in fine, pèsera sur les finances locales. Quid de l’augmentation du coût des élus en raison de la suppression du cumul des mandats et donc de l’écrêtement des ignobles cumulards dont je suis ? Je souhaiterais également que vous nous indiquiez pourquoi l’État ne met pas fin à certaines anomalies liées à la politique de la ville ; je pense notamment à des subventions qui ont un caractère communautariste évident.

Votre rapport sur les finances publiques locales est édifiant, mais n’oublie-t-il pas les ralentissements, voire les blocages, qu’impose parfois l’État dans la gestion des projets portés par des communes prêtes à investir de manière importante ?

M. Jean-Pierre Gorges. Maire depuis 2001, président d’une intercommunalité et député, membre de la commission des finances, depuis 2002, je connais bien ces sujets. Aussi, je m’étonne des propos qui sont tenus à l’égard des collectivités.

La DGF, qui contribue à la péréquation entre les collectivités locales, est une compétence de l’État car elle est financée par l’impôt, notamment l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Aujourd’hui, vous nous dites que, pour réduire le déficit structurel, on va réduire cette dotation, qui représente une masse importante. On montre ainsi du doigt les collectivités locales, qui seraient trop dépensières. Or, à l’exception de certaines d’entre elles, toutes présentent des comptes en équilibre. J’ajoute que, sur les 2 170 milliards de dettes, 194 milliards seulement leur sont imputables. Encore s’agit-il de dettes d’investissement qu’elles remboursent chaque année. Les collectivités locales sont vertueuses !

Dès lors que l’on décide de réduire leurs dépenses, ce qui me paraît normal, on doit transférer les impôts perçus au niveau national vers les collectivités locales. Or, que se passe-t-il ? La DGF va être supprimée, mais les collectivités augmenteront leur fiscalité d’autant – 8,4 % en moyenne en 2016 – et l’État ne diminuera pas les impôts. C’est une supercherie ! Ma collectivité, monsieur Migaud, baisse ses deux taxes chaque année depuis 2001, tout en étant celle qui investit le plus par habitant. Il n’est pas normal de tenir de tels propos sur les collectivités !

Par ailleurs, ce qu’a dit Dominique Lefebvre est désobligeant, car ceux qui ne voulaient pas cumuler n’avaient qu’à ne pas se faire élire en 2012.

M. Dominique Lefebvre. J’ai démissionné en 2012, et je suis le seul maire d’une commune de plus de 30 000 habitants à l’avoir fait !

M. Jean-Pierre Gorges. Vous êtes président de l’agglomération de Pontoise et la Cour des comptes vous offre une solution de repli.

M. Dominique Lefebvre. C’est une attaque personnelle. Respectez les lois de la République !

M. Jean-Pierre Gorges. Je conteste le procès qui est fait aux collectivités locales. Elles présentent des comptes en équilibre, ce qui n’est pas le cas de l’État.

Enfin, Michel Vergnier a raison. Lorsque l’on a créé l’intercommunalité, on a transféré aux agglomérations l’ensemble de la fiscalité économique, laquelle a perdu tout dynamisme puisque l’attribution d’une compensation a figé les choses. Comment, dans ces conditions, la ville centre peut-elle assumer tous les besoins nouveaux ? On est en train de tuer le couple commune-intercommunalité, tout cela parce que l’État est en déficit structurel et que personne ne veut toucher à certaines dépenses. On s’en prend aux méchantes communes mais, un jour, elles se rebelleront contre ce système jacobin destructeur !

M. Jean-Louis Gagnaire. Nous aurions dû prévoir dans la loi NOTRe que la Cour des comptes présente également son rapport lors de chacun des congrès des différentes collectivités locales – départements, régions… –, car certains propos sont salutaires. Nous nous sommes d’ailleurs presque unanimement félicités du contenu de ce rapport, même si ses conclusions peuvent faire grincer des dents. Quelle est la réalité ? La fiscalité représente environ 60 % des recettes des collectivités locales, et la baisse de la DGF se fait à un niveau très faible.

Tout d’abord, monsieur le Premier président, que produirait une réévaluation des bases en fonction de l’inflation ? On l’a fait assez massivement au cours des dernières années antérieures, ce qui a permis à certains élus de ne pas relever leur taux d’imposition. Ensuite, pouvez-vous confirmer que les économies qui ont été demandées aux collectivités locales sont bien proportionnelles à celles qui ont été réalisées par l’État ? S’agissant des dépenses de personnel, on s’aperçoit que les deux courbes divergent, notamment à partir de 2011. J’en déduis qu’il existe un problème spécifique aux collectivités locales, qui n’est pas le fait des seuls élus, car les transferts de personnels des collèges et des lycées respectivement vers les départements et les régions n’ont produit d’effets qu’à terme, les alignements de carrière ayant été réalisés au fil du temps.

Enfin, je ne crois pas non plus à une loi consacrée aux finances locales, d’une part, parce que la part de la fiscalité est trop importante et, d’autre part, parce que le système français est hybride, à la différence de celui de l’Allemagne, où la rétrocession se fait en accord avec les collectivités, et de celui de l’Espagne, où les collectivités prélèvent l’impôt pour l’État central.

M. Pascal Terrasse. Un certain nombre de candidats à l’élection présidentielle affirment qu’il faudrait faire entre 100 milliards et 150 milliards d’économies. Or, nous savons qu’il est difficile de toucher à la dette, à la sécurité ou à l’éducation nationale. C’est donc le quatrième budget, celui des collectivités territoriales, qui sera affecté. Ainsi, ceux qui reprochent aujourd’hui à la Cour des comptes d’imaginer ce que serait une politique publique active pourraient se retrouver bientôt dans une situation extrêmement délicate car, si l’on fait une règle de trois, les économies annoncées seraient de l’ordre de 2 à 3 milliards d’euros par an sur les collectivités. Je préfère que cela soit dit ici, car nous aurons besoin de ces éléments l’an prochain.

Par ailleurs, les collectivités s’appuient sur le principe constitutionnel de la libre administration, mais nous avons la particularité, en France, de ne pas appliquer le principe de spécialisation de l’impôt. Jean-Pierre Gorges demande que l’État rende une partie de la fiscalité qu’il perçoit, mais de quelle fiscalité parle-t-on ? En réalité, les collectivités peuvent équilibrer leurs comptes grâce aux subventions qu’il leur verse largement, au détriment de son propre déficit public.

Enfin, on a transféré aux départements de nombreuses charges qui devraient relever, non pas du budget de l’État, mais de celui de la sécurité sociale. Je pense aux services d’incendie et de secours, aux politiques en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées ou, dans une moindre mesure, à la protection de l’enfance. Ces dépenses sont actives tandis que les recettes sont de plus en plus passives. Dès lors, la question de l’affectation de CSG aux départements se posera un jour ou l’autre. On ne peut pas, en effet, continuer à transférer des charges de la sécurité sociale vers les départements si ceux-ci ne disposent pas de ressources actives.

M. le président Gilles Carrez. Je souhaiterais, tout d’abord, soulever un point de méthode, monsieur le Premier président. Vous avez évalué le montant des transferts financiers à 100 milliards d’euros ; Christine Pires Beaune a, quant à elle, retenu le chiffre de 65 milliards. Certes, vous travaillez sur le « jaune » budgétaire, mais il me paraît contestable de comptabiliser dans ces transferts le produit de la fiscalité transférée au titre de nouvelles compétences. En effet, l’État en tire argument pour montrer que les collectivités bénéficient de montants considérables. Or, lorsqu’un impôt a été transféré parallèlement à une compétence, il ne s’agit pas, me semble-t-il, d’un transfert financier.

Par ailleurs, les exonérations d’impôts locaux constituent, en effet, un véritable maquis : on ne sait plus quelles sont celles qui sont compensées entièrement, celles qui sont compensées partiellement et celles qui sont en voie d’extinction. Mais il est un autre domaine pour lequel il conviendrait que nous disposions de chiffres, c’est celui des dégrèvements de taxe d’habitation ou de contribution économique territoriale (CET). Il serait intéressant que nous en connaissions les montants par région, par exemple, car, là aussi, les écarts sont considérables. Ainsi, une étude réalisée il y a une dizaine d’années montrait que le montant moyen du dégrèvement de taxe d’habitation par habitant était six fois plus élevé dans les Alpes-Maritimes que dans la Creuse, ce qui devrait signifier, du reste, que les habitants des Alpes-Maritimes étaient six fois plus pauvres que ceux de la Creuse… On voit là les limites du système.

Enfin, je suis d’accord avec Dominique Lefebvre sur les dangers que présenterait une loi de financement des collectivités territoriales. En effet, pourquoi le déficit de l’État pour 2015, 2016 et 2017 reste-t-il « scotché » à 70 milliards d’euros ? Parce que l’État sert lui-même de variable d’ajustement. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale prévoit, chaque année, le branchement de nouveaux tuyaux du budget de l’État vers celui de la sécurité sociale, en raison du principe de compensation des exonérations. Or, on oublie que, dans les 70 milliards du déficit de l’État, il y a pour 20 à 30 milliards de fiscalité locale qui, parce qu’elle fait trop mal au contribuable local, qu’il s’agisse des entreprises – plafonnement de la taxe professionnelle – ou des ménages – dégrèvements ou plafonnements de la taxe d’habitation –, a été prise en charge par l’État. Il faut le dire : le budget de l’État vient en permanence à la rescousse soit des comptes sociaux, soit des comptes locaux ! Une loi de financement des collectivités territoriales pourrait donc être très dangereuse. Nous espérons tous que le déficit public passera sous la barre des 3 % en 2017, mais il n’en demeure pas moins que la totalité de ces 3 % sera logée dans le budget de l’État.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Je veux dire à M. Gorges que la Cour et les juridictions financières ne font le procès de personne ; ce ne sont pas elles qui votent la réduction des dotations. Elles raisonnent toujours à partir des décisions votées par le Parlement. Craindre les avis de ces juridictions revient à douter de sa propre légitimité et de sa capacité à décider, puisque c’est vous qui décidez ! Leur rôle est, autant que faire se peut, d’éclairer le débat par leurs avis, tout en restant à leur place. Un certain nombre de questions sont adressées au Gouvernement ou à vous-même. Ni la Cour ni les juridictions financières n’ont le pouvoir de réformer la DGF ou de réviser les valeurs cadastrales.

M. Jacques Bompard. Mais votre avis nous intéresse !

M. le Premier président de la Cour des comptes. Et nous nous efforçons de le donner, y compris quand cela dérange.

Oui, nous pensons que la réforme de la DGF est utile. Mais nous savons que ce n’est pas simple car, et vos interventions l’ont bien montré, selon que l’on représente telle catégorie de collectivité ou telle strate, on peut avoir des opinions divergentes. Il est incontestable que la péréquation a plutôt sensiblement augmenté au cours des dernières années. Il faut vraisemblablement aller plus loin, d’où l’intérêt de la réforme de la DGF et, pour d’autres raisons, de la révision des valeurs cadastrales. Si nous disons que celle-ci est au milieu du gué, c’est parce qu’un certain nombre d’orientations ont été définies, que des décisions ont été prises, et que vous êtes actuellement dans l’attente d’un rapport qui vous a été promis par Bercy sur la révision des valeurs locatives, notamment des locaux d’habitation. Ce n’est pas simple car, lorsque vous examinez les simulations et que vous envisagez les conséquences de la réforme, vous ressentez forcément une certaine hésitation. Cela dit, vous avez vous-même voté un lissage sur dix ans et des mesures qui tendent à atténuer les éventuelles conséquences de cette réforme. Peut-être faut-il prévoir un lissage plus long, mais dix ans, ce n’est déjà pas mal. Ces réformes sont sans doute indispensables, et elles nécessitent une concertation approfondie entre l’État et les collectivités territoriales.

En ce qui concerne la présentation des transferts financiers, la Cour s’efforce de faire œuvre de pédagogie et d’identifier la totalité des transferts financiers en en faisant clairement apparaître les différentes catégories. Ainsi, à la page 20 du rapport, un tableau montre bien les prélèvements sur recettes, dont la DGF et le Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), le total de l’enveloppe normée, ce qui relève des dégrèvements et des exonérations. Sur ce dernier point, je partage le point de vue de la rapporteure générale : la compensation des exonérations est assez opaque, ce qui peut arranger l’État dès lors qu’elle peut servir de variable d’ajustement. Du reste, souvent, le périmètre change sans que l’on en comprenne toujours les raisons. C’est pourquoi le rapport comporte des propositions de nature à renforcer la transparence dans ce domaine.

S’agissant de la gestion de la fonction publique territoriale, ce n’est pas stigmatiser les élus que de faire apparaître l’augmentation des emplois dans certaines collectivités territoriales. On a évoqué un transfert de compétences insidieux – ce n’est pas forcément le vocabulaire qu’emploient les juridictions financières. En tout cas, nous constatons, au niveau du bloc communal, une augmentation du nombre d’emplois qui n’est pas toujours liée aux transferts de compétences. Les collectivités territoriales ne peuvent pas toujours exercer des compétences qui ne leur sont pas confiées par la loi. Les élus en sont, du reste, tout à fait conscients, et ils s’efforcent aujourd’hui de mieux maîtriser la masse salariale car on sait que les dépenses de personnel représentent une part importante des dépenses de fonctionnement.

Nous ne faisons que des photographies. Certes, nous les analysons, mais, encore une fois, ce n’est pas nous qui prenons les décisions. Je vous annonce d’ailleurs que, l’année prochaine, nous nous concentrerons plus particulièrement sur les dépenses sociales des départements.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très intéressant. N’oubliez pas les compensations !

M. le Premier président de la Cour des comptes. Nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir.

En ce qui concerne les observations de Mme la rapporteure générale, nous n’avons pas forcément les explications des constats que nous faisons, et je ne suis même pas certain que Bercy puisse répondre à toutes les questions que soulèvent certains de ces constats.

Les disparités entre collectivités territoriales – vous avez été plusieurs à insister sur ce point – sont très nombreuses, d’où l’intérêt de mener une réflexion sur la DGF et la péréquation.

Enfin, la CVAE n’a baissé qu’une seule fois, et son augmentation peut varier d’une année à l’autre sans que cela ait un lien avec l’activité économique. Il est donc probablement nécessaire de mener un travail approfondi sur ces variations afin de mieux appréhender leurs déterminants et, surtout, d’envisager une meilleure prévision de l’évolution de cette cotisation.

Je laisse maintenant la parole à Christian Martin, qui pourra vous apporter des explications complémentaires, notamment sur la loi de financement des collectivités territoriales.

M. Christian Martin, président de la formation interjuridictions de la Cour des comptes. Sur ce sujet, qui n’est pas le moindre, la recommandation de la Cour, qui a fait l’objet de nombreux échanges avec les associations de collectivités territoriales et les services de l’État, porte sur un texte financier qui aurait avant tout pour objectif de mettre toutes les cartes sur la table, c’est-à-dire l’ensemble des éléments de prévision des dépenses et des recettes des collectivités locales pour l’année considérée, afin que la prévision du solde effectif soit cohérente. Aujourd’hui, nous constatons en effet que ces différents déterminants sont relativement épars. Ainsi, l’impact des normes n’est pas réellement pris en compte par les services de l’État dans leur prévision d’ODEDEL, qui est très peu documenté.

Une loi de financement présenterait l’avantage de mettre en cohérence l’ensemble des facteurs et de favoriser, en vue de son élaboration, une véritable concertation entre les services de l’État, notamment la direction du budget, et les représentants des collectivités locales. Si l’on veut que la « trajectoire financière cible » relève d’une responsabilité collective, il faut que l’information soit réellement partagée et que l’on ne découvre pas, après coup, que certaines mesures que l’on avait mal évaluées faussent l’ensemble des prévisions. C’est vrai pour les mesures d’ordre fiscal, par exemple. Il s’agirait bien entendu d’une loi non prescriptive ; il serait inconcevable qu’elle comporte un plafond de dépenses.

En tout état de cause, les élus locaux et leurs représentants – cela semble être un peu moins le cas pour les parlementaires – sont très intéressés par un tel texte, qui obligerait l’État à être davantage responsable vis-à-vis des collectivités et à partager l’information ainsi que les outils d’analyse.

M. le Premier président de la Cour des comptes. S’agissant du rapport que nous devons remettre à la commission des finances en application du 2° de l’article 58 de la LOLF, nous respecterons le délai, monsieur le président Carrez : il vous sera transmis d’ici la fin du mois d’octobre.

M. le président Dominique Raimbourg. Je remercie M. le Premier président ainsi que l’ensemble des membres de la Cour des comptes ici présents. La réunion de nos deux commissions est une initiative originale, mais l’éclairage que vous nous apportez est important car notre commission est appelée à statuer sur l’organisation des collectivités. Nous avons essayé de deviner, lors des interventions des uns et des autres, la catégorie de collectivité qui leur était la plus proche ainsi que sa taille, et je dois dire que nous nous sommes assez rarement trompés !

M. le président Gilles Carrez. Autrement dit, une loi de financement des collectivités territoriales serait compatible avec la suppression du cumul des mandats…

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jacques Bompard, M. Jean-Michel Clément, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Paul Molac, M. Joaquim Pueyo, M. Dominique Raimbourg, Mme Cécile Untermaier

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, Mme Karine Berger, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Alain Chrétien, M. Romain Colas, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Laurent Marcangeli, M. Patrick Ollier, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Nicolas Sansu, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier