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Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Jeudi 11 septembre 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 6

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables et de M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité

La commission spéciale a auditionné MM. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), et Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE).

M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs, de votre venue. Vous avez le mérite de contribuer au débat sur la transition énergétique par des propositions et simulations concrètes, sans adopter d’attitude défensive en face de projets nouveaux, mais en allant au contraire, au fil du temps, jusqu’à mettre vos propres propositions en question. Ce n’est pas si courant et cela mérite d’être relevé.

M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE). Notre syndicat professionnel regroupe tous les acteurs du secteur électrique – producteurs, gestionnaires de réseaux, fournisseurs –, et l’ensemble des filières électriques – énergies renouvelables, hydraulique, nucléaire et thermique. Il dispose ainsi d’une vue d’ensemble sur le secteur électrique et sur les diverses composantes du mix énergétique.

L’Union française de l’électricité a participé activement aux nombreux travaux de concertation qui ont entouré l’élaboration de ce texte. Elle poursuivra, soyez-en assurés, cette démarche positive et constructive durant les débats parlementaires. Au nom de l’ensemble de la filière, je voudrais plaider aujourd’hui devant vous en faveur d’une transition énergétique responsable, pragmatique, financièrement soutenable et contribuant à la compétitivité de la France. Tel est le sens de nos propositions d’amélioration du projet de loi.

Elles sont articulées autour des trois grands axes thématiques que sont la stratégie bas carbone, l’efficience économique et la sécurité du système électrique.

La stratégie bas carbone, axe central de la transition énergétique, doit être renforcée. Rappelons que, dans le monde, 40 % des gaz à effet de serre proviennent de l’électricité. Or la France a un atout de poids dans ce domaine puisqu’elle dispose d’un parc de production électrique décarboné à 90 %, grâce à sa production d’énergies renouvelables et d’énergie nucléaire. Des industries leaders dans leur domaine soutiennent cette production.

Ainsi, la France est le deuxième producteur d’hydroélectricité de l’Union européenne avec une filière d’excellence intégrant équipementiers  et producteurs : EDF, GDF-Suez, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), d’autres acteurs de la petite hydroélectricité. Un effort important est également fourni dans le domaine de la recherche et développement. À la veille de la conférence climatique de Paris fin 2015, dite COP 21, notre pays doit renforcer cet atout climatique qui constitue un symbole fort.

Sur ce volet « bas carbone », le projet de loi définit de bonnes orientations, mais doit être plus cohérent et plus ciblé sur les énergies les plus carbonées. Car, s’il fixe un objectif ambitieux et contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 40 % d’ici à 2030, cet objectif est placé sur le même plan que les moyens pour l’atteindre, à savoir l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables ou encore la baisse des consommations fossiles. Ces moyens sont nécessaires dans une stratégie bas carbone, mais ils doivent être déterminés et hiérarchisés pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de dioxyde de carbone, qui demeure l’objectif prioritaire.

De même, il est utile d’instaurer une programmation pluriannuelle des énergies, car elle permettra d’identifier de substituer, là où c’est possible, à des usages carbonés des usages décarbonés reposant sur l’électricité produite par les énergies renouvelables. Mais le pétrole, responsable à 60 % des émissions de dioxyde de carbone, n’est pas complètement intégré dans cet outil de planification. La programmation envisagée fond ainsi les dispositifs qui existent déjà pour le gaz, l’électricité et la chaleur, mais ne crée pas de manière suffisamment évidente d’instrument spécifique pour le suivi de la consommation de pétrole et de fioul, celui-ci étant la troisième énergie de chauffage des Français, devant l’électricité. Aussi l’UFE formule-t-elle des propositions pour que la stratégie bas carbone dépasse concrètement le stade de la volonté affichée.

Quant à l’efficience économique, elle doit être au cœur des mesures proposées pour la transition énergétique. Dans un contexte de crise, les marges de manœuvre de l’État sont limitées, tandis que le pouvoir d’achat des Français doit être préservé. Même s’il ne fait aucun doute que nos concitoyens soutiennent la démarche de transition énergétique, il est aussi certain qu’ils seront très attentifs à la façon dont ce projet collectif sera géré économiquement, à son impact tant que sur les dépenses publiques que sur le pouvoir d’achat. Or il faudra des financements considérables, de sorte que l’effort doit porter de manière prioritaire sur la meilleure affectation possible des ressources.

L’UFE salue donc l’effort de ciblage proposé par le projet de loi, qui vise en particulier à saisir les chances de la rénovation pour améliorer l’efficience énergétique. Mais il est nécessaire d’aller plus loin pour éviter de s’éparpiller. Il convient de cibler les logements les plus énergivores, communément désignés comme des passoires thermiques, mais aussi les énergies de chauffage les plus carbonées, tel le fioul. Toutes les actions qui permettent de faire le plus d’économies sur la facture de chauffage n’étant pas aussi efficaces les unes que les autres, il faut rechercher l’effet de levier maximal.

En matière de précarité énergétique, le chèque énergie a le mérité de viser toutes les énergies. Mais elles ne sont pas traitées sur un pied d’égalité, puisque son financement est assuré par une taxe sur le gaz et sur l’électricité, mais qu’aucune taxe n’est prévue sur le fioul. Je vous livre donc un paradoxe : si ce point n’était pas corrigé, l’électricité et le gaz subventionneraient le fioul…

Enfin, le projet de loi doit prendre davantage en considération la sécurité d’approvisionnement du système électrique et la solidarité énergétique entre les territoires. Non seulement l’électricité ne se stocke pas et l’équilibre entre l’offre et la demande doit être assuré à tout moment, mais la production et la consommation d’électricité sont réparties de manière différente d’une région à l’autre. Certaines sont importatrices, d’autres sont exportatrices. Ainsi, la Bretagne affiche une consommation plus de cinq fois supérieure à sa production, tandis que la Haute-Normandie produit deux fois plus qu’elle ne consomme. C’est en compensant ces différences et en mutualisant les potentiels de production à l’échelle nationale, voire européenne, que la sécurité d’alimentation électrique du consommateur sera assurée.

Aussi faut-il veiller à ce que la décentralisation des compétences en matière d’énergie n’affecte pas de manière négative la cohérence de l’ensemble. Elle constitue une évolution majeure par rapport à la construction historique du système électrique, mais doit s’inscrire dans une cohérence nationale et européenne qui respecte le principe de solidarité entre les territoires. C’est pourquoi l’UFE considère comme légitime le renforcement des compétences énergétiques des collectivités territoriales, mais juge indispensable de coordonner la politique énergétique prescrite au niveau local avec celle prescrite à des mailles territoriales plus larges, voire au niveau national grâce à la nouvelle programmation pluriannuelle.

Aux yeux de l’UFE, les expérimentations prévues dans le projet de loi pourront certainement faire naître des solutions innovantes et prometteuses, mais un dispositif d’évaluation devra précéder leur éventuelle généralisation, afin de s’assurer de leur pertinence économique et climatique, mais aussi du bénéfice qu’elles apportent au consommateur.

Il est important d’aborder tous ensemble la transition énergétique, sans parti pris, avec pragmatisme et de façon responsable tant sur le plan économique que technique. L’UFE peut seulement regretter qu’à l’heure où de nombreux pays européens font le choix de la transition énergétique et alors que nos décisions en matière de mix énergétique auront certainement des conséquences sur nos voisins, le projet de loi ne fasse pas référence à la nécessité de développer une vision européenne coordonnée afin d’assurer la sécurité d’alimentation électrique. L’Europe de l’énergie souhaitée par le président de la République constitue un défi majeur, qui mérite d’être mentionné dans ce projet de loi.

M. le président François Brottes. Je voudrais attirer votre attention sur la distinction qui existe entre les mesures relevant du domaine réglementaire et les dispositions qui appartiennent au domaine de la loi. Pour celles qui relèvent de ce domaine, le droit constitutionnel fait en outre respecter la qualité de la loi en imposant un cadre qui trace des limites strictes aux dispositions expérimentales ou à faible portée normative. Il faut en tenir compte quand vous avancez des propositions.

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Le Syndicat des énergies renouvelables est la seule organisation à rassembler la totalité des filières, géothermique, hydraulique, solaire, éolienne et maritime, mais aussi la filière qui exploite l’énergie de la biomasse grâce à la méthanisation. Il compte près de quatre cents membres, dont 80 % de petites et moyennes entreprises et d’entreprises de taille intermédiaire œuvrant dans le domaine des énergies renouvelables. Il s’emploie activement à développer le marché national, départements d’outremer y compris, ainsi qu’à structurer la filière industrielle et à l’accompagner à l’export. Il salarie directement vingt personnes.

Notre vision d’ensemble du secteur nous permet, forts de l’expérience des différentes filières, de proposer des mesures transversales. Les rapports récents de l’Agence internationale de l’énergie comme de l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) ont montré que ces dernières se développent partout hors d’Europe, car elles s’imposent comme des solutions crédibles d’un point de vue technique et économique. En 2013, ce sont ainsi 300 gigawattheures tous les deux jours qui ont été installés à ce titre, soit l’équivalent d’un EPR (réacteur pressurisé européen). Alors que les coûts baissent, 250 milliards d’euros d’investissement restent investis chaque année dans ces secteurs, accroissant toujours plus rapidement la puissance installée. Car la révolution actuelle de l’énergie n’est pas le gaz de schiste, mais le développement des énergies renouvelables.

Les entreprises françaises sont déjà dans la compétition, mais elles doivent gagner de nouvelles parts de marché. Pour ce faire, il faut un marché domestique crédible, tel que le présent projet de loi en porte l’ambition.

Le SER salue l’ambition neuve qu’il porte pour ses filières. L’horizon de 2030 n’est pas si lointain et nous approuvons les dispositions qui prévoient un pilotage de l’évolution du marché énergétique.

Nous souscrivons à l’ambition d’atteindre la part de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie d’ici à 2030. Réaliste, raisonné et responsable, cet objectif concourt largement à permettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui doivent diminuer de 40 %. Il est compatible avec les engagements européens que nous prenons dans le cadre du paquet énergie climat. Il est réalisable au regard de nos gisements disponibles, qu’il s’agisse du vent, du soleil ou des ressources marines. Il est raisonné, car le rythme prévu permet une bonne intégration aux réseaux, en particulier électriques, sans y faire naître de risque systémique. Car, pour décarboner au maximum nos consommations, le projet de loi doit pousser les consommateurs à des transferts d’usage vers l’électricité.

Du point de vue de la compétitivité économique, les énergies renouvelables soutiennent très bien la comparaison avec les énergies classiques anciennes, l’énergie hydraulique ou l’éolien produisant actuellement à 85 euros du mégawattheure. Le présent projet de loi prévoit que les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables évoluent vers un système fonctionnant sur la base d’un complément de rémunération, comme nous y engage la Commission européenne à travers sa réforme de l’encadrement des aides d’État. Sur ce point, dans la lignée de la position qu’il a défendue au cours des consultations menées au printemps par la direction générale de l’énergie et du climat, le SER propose un amendement visant à garantir une transition vers de nouveaux mécanismes qui soit progressive et assure suffisamment de visibilité aux investisseurs à l’horizon 2020.

Cet été, le SER a en effet analysé le projet de loi avec ses adhérents et élaboré des propositions. Elles sont libellées sous forme d’amendement, parce que ce format vous est familier, mais nous n’entendons certes pas nous substituer au législateur. Ainsi, le Syndicat est également favorable aux dispositions relatives au contrôle des installations. Mais il propose de bien faire encadrer ces contrôles par l’autorité administrative.

A nos yeux, la simplification du cadre réglementaire constitue aussi un chapitre important du projet de loi. Le développement des installations de production à partir d’énergies renouvelables est beaucoup trop long, puisqu’il prend de sept à huit ans. Conformément aux annonces de la ministre, le présent projet de loi doit permettre de diviser par deux le temps de développement des projets. Cette nécessité s’inscrit dans la ligne du choc de simplification appelé de ses vœux par le président de la République.

Depuis le printemps 2013, plusieurs dispositions ont été mises en œuvre pour faciliter le développement d’énergie renouvelables, en particulier pour les filières éolienne, hydraulique et biogaz. Mais il faut généraliser et compléter ces premières mesures, telles que l’autorisation unique ou le certificat de projet prévus par la loi du 16 avril 2013, dite loi Brottes. Le SER formule ainsi de nombreuses propositions de simplification visant à unifier les procédures, à supprimer les doublons et à sécuriser les projets en encadrant les contentieux. Par exemple, il lui semble que sont trop nombreux les niveaux de juridiction à se prononcer en matière d’éolien terrestre. Nous proposons aussi de simplifier la vie des projets géothermiques ou des projets de réseaux de chaleur. Je souligne que cette simplification s’opérerait à niveau constant de protection environnementale.

Le lancement d’initiatives territoriales recueille notre complet assentiment. Il semble de bonne méthode de passer par l’expérimentation, que ce soit dans le domaine des réseaux intelligents ou de la mobilité durable. Je voudrais néanmoins m’attarder sur les régions et collectivités d’outre-mer, qui étaient à la pointe des expérimentations dans les années 1990, mais où des règles techniques concernant le réseau électrique ont coupé cet élan, empêchant le développement de nouvelles capacités d’énergie renouvelable. Cette situation n’est pas acceptable, car ces territoires bénéficient de gisements extrêmement important et que la seule solution de remplacement serait le tout- pétrole, agrémenté d’un peu de charbon. Il est urgent de faire bénéficier ces territoires d’expérimentations à grande échelle, dans le secteur du stockage par exemple. Ils peuvent devenir le laboratoire de technologies nouvelles, qu’ils pourraient même exporter par la suite.

La mobilisation de la biomasse forestière est également un enjeu de territoire fondamental, car la chaleur renouvelable issue de la biomasse, plus encore que la géothermie, fournira une contribution décisive pour atteindre les objectifs fixés. Il convient donc d’éviter les usages concurrents dans le domaine du bâtiment ou de la construction.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Vous avez évoqué, monsieur Bal, la mise en place d’un système de soutien par complément de rémunération. Selon quelles modalités devrait-il, selon vous, mis en place, et qui en serait le gestionnaire ? Par ailleurs, comment les producteurs d’énergie renouvelables, et surtout les plus petits d’entre eux, vont-ils vendre leur électricité sur le marché : directement ou en passant par un agrégateur d’offre ? Est-ce le bon moment pour franchir cette étape ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Je partage vos préoccupations sur le chèque énergie et sur la place faite aux énergies fossiles dans la future programmation pluriannuelle des énergies.

La sécurité d’approvisionnement est loin d’aller de soi, comme le montre l’exemple de la Belgique, où l’approvisionnement électrique est menacé pour l’hiver prochain. J’y vois une incitation à diversifier notre mix énergétique. Lorsqu’une technologie est prépondérante, et qu’elle connaît des difficultés, la sécurité d’approvisionnement s’avère en effet plus fragile. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire l’indique régulièrement. La commission d’enquête sur le coût du nucléaire, dont je faisais partie, a mis cette diversification nécessaire au nombre de ses préconisations. La dépendance énergétique ne sera réduite qu’à ce prix.

Dans le domaine de la distribution d’énergie, la France occupe une position très spécifique, puisque la gestion du réseau est intégrée à la structure d’un fournisseur. Une autonomie plus grande de la distribution ne serait-elle pas souhaitable ? Les collectivités territoriales ne peuvent-elles jouer un rôle plus important dans ce secteur ?

Vous avez également évoqué le coût du renouvelable et la nécessaire simplification réglementaire. La loi Brottes a en effet permis de réaliser un premier petit pas dans le domaine de l’éolien. Au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE), nous avons eu l’occasion de débattre du surcoût inhérent aux délais de lancement des projets. L’idée y fait l’unanimité qu’il faudrait ramener de sept à quatre ans le délai de construction d’une éolienne, comme c’est le cas dans le reste de l’Europe.

Monsieur Bal, comment imaginez-vous les consultations qui entoureront le passage d’un régime de soutien à l’autre, et le pilotage du processus lui-même ? Comment les relations entre producteurs et pouvoirs publics peuvent-elles se structurer de façon durable en ce domaine ? Au CNTE, mais aussi dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), un soutien s’exprime en faveur d’une certaine flexibilité, qui fasse fond sur l’expérience des différentes filières.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Monsieur Bal, je partage pleinement votre analyse sur la situation dans les départements d’outremer, où un blocage est en effet à déplorer, parce que le volume de raccordement y est limité à 30 % de la puissance instantanée sur le réseau. Cela freine le développement des énergies renouvelables.

Mme Frédérique Massat. Le président Brottes a évoqué les limites formelles aux améliorations législatives, mais je citerais également l’article 40, qui impose aux parlementaires eux-mêmes de ne pas déposer d’amendement qui diminuerait les recettes fiscales ou aggraverait les charges publiques.

Ne vous semble-t-il pas que les modalités de raccordement au réseau des producteurs d’énergies renouvelables pourrait faire l’objet d’une concertation accrue ?

Enfin, quelles sont vos propositions en matière de classement des cours d’eau ? Que proposez-vous pour faciliter le raccordement des énergies renouvelables au réseau public ?

M. Julien Aubert. Comment envisagez-vous pour l’avenir la coordination des stratégies locales, régionales et nationales d’approvisionnement en énergie ? Nous avons proposé que soit institué un commissariat à la transition énergétique qui serait directement rattaché aux services du Premier ministre.

Pensez-vous que la loi devrait fixer une trajectoire plus contraignante de réduction des énergies fossiles, par exemple une sortie pure et simple du charbon ?

S’il faut dépasser le débat sur le partage entre le nucléaire et les énergies renouvelables dans le mix énergétique, ne devrait-on pas s’orienter vers la définition d’un équilibre, au sein des énergies renouvelables, entre l’énergie thermique et l’énergie électrique ? Cela ne serait bien sûr pas sans conséquence financière, en particulier à travers le calcul de la contribution au service public de l’électricité.

M. Bertrand Pancher. Monsieur Durdilly, le problème de l’utilisation des ressources se pose en effet avec une acuité particulière en temps de crise, nous incitant en effet à clairement hiérarchiser nos objectifs. J’examinerai les propositions d’amendements que vous nous soumettez. Mais avez-vous réfléchi aussi à un élargissement de la contribution au service public de l’électricité ?

Monsieur Bal, la France a décroché dans le domaine des énergies renouvelables, puisqu’elles doivent s’établir à 23 % de la consommation énergétique de 2020, mais n’en constitueront que 17 % si nous poursuivons au rythme actuel. Défendez-vous des amendements qui, tout en favorisant un atterrissage en douceur pour les entreprises qui devront quitter l’actuel système de soutien, garantissent la réalisation de l’objectif de 30 % fixé pour 2030 ? Nous avons de même évoqué avec le président de l’ADEME l’évolution du fonds qui finance les pompes à chaleur.

Mme Cécile Duflot. Monsieur Bal, vous avez évoqué le financement des sociétés de projets pour les énergies renouvelables. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire peuvent-elles entrer au capital de ces sociétés ?

M. Damien Abad. Je regrette que la dimension européenne ait été un peu négligée dans notre approche, comme je l’ai dit à la ministre lorsque nous l’avons entendue. Disposez-vous de données comparatives ? Par ailleurs, quel est votre avis sur le gaz de schiste ?

M. Jean Launay. L’association UFC-Que choisir nous a interrogés hier sur la séparation entre EDF et ERDF, en proposant que cette dernière entreprise soit contrôlée sur le modèle de Réseau de transport d’électricité (RTE) : qu’en pensez-vous ? Comme mon collègue Bertrand Pancher, je m’interroge également sur un possible élargissement de la contribution au service public de l’électricité à d’autres sources d’énergie. La CSPE conserverait son nom, mais le E final serait la première lettre du mot « énergie », et non plus celle du mot « électricité ».

M. le président François Brottes. Trouver le sigle n’est certes pas le plus difficile…

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Comment calculez-vous la durée d’amortissement d’une installation d’énergie renouvelable ? Il est important de pouvoir évaluer dès le départ le coût financer, mais aussi le coût carbone, de telles installations.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs les présidents, d’avoir mentionné l’apport d’une proposition de loi qui a visé à faciliter l’installation d’éoliennes terrestres et le raccordement d’éoliennes off-shore. Des progrès restent cependant à faire.

Incluez-vous les barrages au nombre des installations productrices d’énergies renouvelables pour lesquelles les modalités de recours doivent être rationalisées ? L’autoconsommation se développe, ce qui est, de l’aveu unanime, souhaitable, sauf lorsqu’il s’agit de groupes électrogènes. Cela étant, ne faudrait-il pas envisager de la faire contribuer à l’utilisation du réseau public d’électricité ? Les auto-consommateurs tiennent en effet à rester rattaché à un réseau et devraient à ce titre être assujetti au tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE). Ne pas le faire aurait, me semble-t-il, un effet pervers. Cela vaut d’ailleurs aussi pour les réseaux d’eau. Les associations de consommateur disent ne pas être opposés au paiement d’un abonnement.

Vous avez abordé la question du stockage des énergies renouvelables et de l’intermittence. Une meilleure gestion du flux permettrait-elle d’économiser sur les investissements dans le réseau, prévu pour des pics d’activité qui seraient amenés à disparaître ? Quel est le modèle économique viable pour le juste partage entre augmentation du stockage et réduction de l’intermittence ?

Je crains que nous n’ayons abordé la question des énergies de manière trop fragmentée jusqu’à présent, établissant des distinctions entre l’éolien terrestre et maritime ou entre l’énergie hydraulique fluviale et maritime. Comment réussissez-vous à mener une approche fine de chaque segment concerné ?

M. Robert Durdilly. Si vous le voulez bien, nous répondrons tour à tour à chacune des questions. À propos du complément de rémunération, l’Union française de l’électricité était attentive à ce qu’un mécanisme de soutien soutenable soit mis en place, et qu’il intègre les producteurs d’énergie renouvelable. L’obligation d’achat a ses vertus. Elle a permis d’obtenir les résultats actuels, mais le complément de rémunération créera moins de distorsions.

Un problème peut apparaître pour les petits producteurs qui n’ont pas les moyens de commercialiser seuls leur électricité. Ils devront passer par un agrégateur d’offres. Il serait envisageable qu’un agrégateur de dernier recours existe pour ceux qui n’en ont pas trouvé d’autre.

M. le président François Brottes. Une sorte de service public de l’agrégation, mais de l’agrégation d’électricité… (Sourires.)

M. Jean-Louis Bal. Au sujet du complément de rémunération, nous avons déjà publié un avis dans le cadre de la consultation organisée au printemps par la Direction générale de l’énergie et du climat. Nous sommes en faveur d’un complément de rémunération qui serait déterminé en fin de période : un prix cible serait défini en début de période, et le complément serait calculé à la fin, en se fondant sur l’écart constaté avec le prix du marché.

Cette formule a le mérite d’initier les producteurs au fonctionnement du marché, mais aussi de garantir une certaine visibilité aux investisseurs. L’autre formule d’une prime ex ante aurait au contraire pour défaut de susciter une certaine frilosité et un surcroît de précaution qui surenchérirait au total l’électricité produite.

Quant à la vente de l’électricité sur le marché, les petits producteurs peinent déjà, en particulier dans l’hydroélectricité, à écouler leur offre. Des start-up se développent pour agréger l’offre des différents producteurs. C’est un nouveau métier qui apparaît. Mais il est difficile de prédire quels seront les tarifs appliqués aux producteurs d’énergie renouvelable devant recourir à leur service.

M. Robert Durdilly. Monsieur Baupin, la sécurité d’approvisionnement est en effet corrélée à la diversité du mix énergétique. La transition énergétique pose précisément le problème du pilotage de son évolution.

Jusqu’où aller dans la séparation juridique entre distributeur et producteur d’électricité ? Les exigences européennes sont moins pressantes dans le domaine de la distribution que dans celui du transport de l’électricité. Au-delà de la question juridique, il faut s’interroger sur les contours d’une distribution envisagée comme fonction indépendante et sur les mécanismes de contrôle dont disposerait un régulateur dans ce schéma.

Quant à la simplification proposée par le projet de loi, nous la soutenons, en particulier lorsqu’elle vise à raccourcir les délais de recours contre les nouvelles installations d’énergies renouvelables.

M. Jean-Louis Bal. Monsieur Baupin, je pense que notre transition énergétique pourrait s’inspirer de l’exemple allemand, qui a permis, au moins au début, aux producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat de passer à leur guise vers le système du complément de rémunération.

Or, contrairement aux attentes, ils ont été très nombreux à opter en faveur de ce dernier. Dans l’Allemagne d’aujourd’hui, le soutien aux énergies renouvelables prend la forme d’un complément de rémunération pour la plus grande partie des producteurs, voire pour 80 % d’entre eux dans le domaine de l’énergie éolienne. Au demeurant, ils n’optent pas définitivement pour le complément de rémunération, puisque l’option leur est offerte chaque mois de revenir au bénéfice de l’obligation d’achat. Ainsi, les producteurs d’énergies renouvelables ne craignent pas la confrontation avec les mécanismes du marché.

Le problème de l’agrégation de l’offre se pose également sur le marché allemand. Les premières années, une prime de management est versée. S’élevant à deux ou trois euros par mégawattheure, elle est censée couvrir le coût de l’intégration.

Du cas allemand, nous retenons, dans nos recommandations, qu’il serait d’offrir aux producteurs, durant une certaine période, la possibilité d’opter pour un système de soutien ou pour un autre.

M. Jean-Louis Bal. Madame Bareigts, le seuil de 30 % en puissance instantanée est fixé de manière empirique. Sur un petit système électrique comme celui de Mayotte, des problèmes peuvent déjà apparaître en-deçà. Dans la métropole, il peut être au contraire dépassé sans difficulté majeure. Cela n’a donc guère de sens de fixer le seuil au même niveau partout. En Guyane, à La Réunion, les ressources hydrauliques stockables qui sont disponibles permettraient de le relever.

Nous avons donc proposé, il y a un an, une adaptation du seuil et la prise en compte des énergies renouvelables susceptibles de stockage. Pour seule réponse, le lancement prochain d’un appel d’offres est annoncé pour développer l’installation photovoltaïque dans les départements d’outremer. Mais aucun dispositif tarifaire n’est encore évoqué.

M. Robert Durdilly. La question du risque d’approvisionnement se pose en effet avec d’autant plus d’acuité que la maille est plus petite. La probabilité de défaillance liée à une production intermittente est régie par des règles héritées de l’histoire, mais qui méritent d’être revues aujourd’hui avec les producteurs d’énergies renouvelables.

Madame Massat, vous nous interrogez sur l’efficacité énergétique des réseaux. Elle est imposée par une directive européenne dont la transposition permettra de préciser les modalités. Quant à l’efficacité énergétique en aval, elle restera de la responsabilité des producteurs.

L’apparition des énergies renouvelables pose le problème de leur intégration dans les réseaux. Censées être vertueuses, elles pourraient paradoxalement ne pas l’être tant si elles supposent un développement accru des réseaux. À mesure de leur montée en puissance, cette question gagnera en acuité, mais les mécanismes d’effacement du réseau électrique pourraient offrir un début de solution.

M. Jean-Louis Bal. Le classement des cours d’eau doit être guidé par le respect de l’environnement. Mais il faut aussi éviter de figer la situation sans tenir compte des progrès technologiques de la production hydraulique. Aussi suis-je en faveur d’une révision quinquennale du classement.

Quant à l’intégration des producteurs d’énergies renouvelables au réseau électrique, j’estime que la mutualisation de l’offre gagnerait à se renforcer, car je préfère parler de variabilité plutôt que d’intermittence de la production. Les schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables fournissent un outil pour améliorer la coordination et la maîtrise des volumes mis sur le réseau. Les coûts inhérents à un raccordement au réseau devraient au reste être partagés avec le gestionnaire de ce dernier.

M. Robert Durdilly. Monsieur Aubert, il est vrai qu’il faut veiller à ce que les différents niveaux territoriaux définissent des approches énergétiques qui s’emboîtent, même si nous n’avons pas proposé de partage précis des responsabilités. Certains territoires sont excédentaires en énergie. Comment s’assurer qu’ils définiront des prescriptions, par un exemple un taux d’équipement en installations d’énergie renouvelable, cohérentes avec les orientations nationales ? Comment garantir l’affectation optimale des ressources ? Ceux qui prennent les décisions ne sont pas toujours ceux qui en supporteront le coût, puisque le soutien financier aux énergies renouvelables restera national.

Quant au fioul, nous pensons en effet qu’il faut réduire davantage sa consommation. Mais le problème principal de la transition énergétique, pour le fioul comme pour les autres énergies anciennes, est de trouver le moyen d’inciter à s’en détourner pour passer aux énergies renouvelables. Au-delà des objectifs chiffrés, le transfert d’usage constitue donc un enjeu crucial.

M. Jean-Louis Bal. Or, si le projet de loi consacre l’ambition d’atteindre la part de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie d’ici à 2030, il ne fournit pas de répartition pour l’usage de ces énergies. Le dossier de presse paru en même temps que le projet de loi était cependant plus explicite, en indiquant que la part des énergies renouvelables représenterait 40 % de l’électricité produite, 38 % de la chaleur consommée et 15 % des carburants utilisés.

L’effort à réaliser sur la chaleur est considérable, puisque les énergies renouvelables n’y représente que 11 % de la consommation aujourd’hui. Cet effort reposera principalement sur la biomasse, mais s’appuiera aussi sur la géothermie. Une répartition stricte entre les trois types d’application de l’énergie reste cependant difficile.

M. Robert Durdilly. À M. Pancher, je voudrais répondre que nous n’avons pas de réflexion particulière sur la contribution au service public de l’électricité, mais que nous déplorons avec lui que le pétrole ne soit pas mis à contribution.

M. Jean-Louis Bal. M. Pancher mentionnait également un décrochage dans le rythme auquel nous poursuivons nos objectifs de développement des énergies renouvelables. Ce phénomène n’est pas dû tant au tarif d’achat qu’à l’encadrement réglementaire, qui s’avère trop lourd. Il pourra être résorbé si le nouveau mécanisme de soutien donne une visibilité suffisante aux investisseurs.

Madame Duflot, nous sommes tous à fait ouverts à la possibilité non seulement pour les entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, mais même pour des particuliers ou pour des sociétés d’économie mixte, de participer au capital des sociétés de projet qui développent des énergies renouvelables. Mais il ne faut pas ériger d’obligation en ce domaine.

M. Robert Durdilly. Au niveau européen, nous travaillons avec les industriels allemands, dont les points de vue ne sont pas éloignés des nôtres. Nous réfléchissons au moyen d’intégrer éventuellement aux mécanismes de capacité nationaux les capacités présentes à la frontière.

Quant au gaz de schiste, j’estime qu’il peut offrir le moyen d’importer moins de pétrole. Quels que soient les choix finalement retenus, l’innovation doit être protégée et nous sommes favorables à la recherche.

M. Jean-Louis Bal. Madame Le Dain, vous nous avez interrogé sur la manière de calculer les amortissements dans le domaine des énergies renouvelables. Les paramètres à prendre en compte sont la durée de vie des installations, la durée des contrats qui les régissent et la durée des financements accordés par les banques aux sociétés de projet. Puisqu’il s’agit de technologies relativement neuves, nous restons prudents.

Dans l’éolien, l’obligation d’achat court sur quinze ans, mais une rénovation assez lourde intervient au terme de cette période, puisqu’il faut changer les pièces en mouvement. Dans le domaine du photovoltaïque, où les pièces ne sont pas en mouvement, une même installation peut durer vingt ans, et même au-delà.

Quant au coût carbone de ces installations, je dirais que l’énergie nécessaire à la fabrication d’une éolienne est produite par cette même éolienne dans les six premiers mois d’activité. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le coût carbone des équipements photovoltaïques met, quant à lui, un à trois ans à être compensé.

Monsieur le président, je souligne à nouveau combien il est nécessaire que les délais de recours et les niveaux de juridiction soient similaires pour l’ensemble des installations d’énergie renouvelable. Une procédure unique pour chacune des filières est également souhaitable. Quant à l’autoconsommation, nous trouverions normal qu’elle contribue à l’acheminement, ce qui suppose cependant un nouveau mode de calcul du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité.

Le stockage pourrait être une réponse à l’intermittence, ou plutôt à la variabilité, pour reprendre la terminologie internationale. Mais le développement du réseau devrait lui-même faire baisser le besoin de stockage. Le taux de pénétration des énergies variables s’établit à seulement 5 % en moyenne annuelle sur le réseau métropolitain. Or il pourrait augmenter jusqu’à 45 %. Je renvoie sur ce point aux études de l’Agence internationale de l’énergie sur la flexibilité des systèmes de production électrique. Quant à la segmentation entre les diverses énergies renouvelables, notre syndicat s’enrichit justement de cette diversité.

M. Robert Durdilly. Le réseau électrique non seulement apporte de l’énergie, mais garantit une sécurité d’approvisionnement. Cette fonction doit être rémunérée comme telle, grâce à un nouveau calcul du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité.

M. le président François Brottes. Messieurs les présidents, nous vous remercions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du jeudi 11 septembre 2014 à 11 heures 30

Présents. - M. Damien Abad, M. Bernard Accoyer, Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Ericka Bareigts, M. Philippe Bies, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Cécile Duflot, M. Daniel Fasquelle, M. Joël Giraud, M. Jean Launay, M. Jean-Luc Laurent, M. Alain Leboeuf, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Serge Letchimy, Mme Frédérique Massat, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, Mme Émilienne Poumirol, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert, Mme Catherine Troallic, M. Jean-Paul Tuaiva

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Rémi Pauvros

Assistaient également à la réunion. - M. Michel Lesage, M. Hervé Pellois