Accueil > Travaux en commission > Energie : transition énergétique pour la croissance verte > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Jeudi 11 septembre 2014

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire, et de M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

La Commission a auditionné M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

M. le président François Brottes. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) que vous présidez, monsieur Chevet, est un modèle d’indépendance et d’exigence dans le monde, ce qui justifie le surnom « Toujours plus » que vous donnent certains. Quant à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), il œuvre non seulement auprès des centrales nucléaires mais dans tous les domaines où existe un risque d’irradiation – soins dentaires, radiographie, etc. De récents événements ont d’ailleurs malheureusement montré la nécessité de renforcer le contrôle à cet égard.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Je dirai quelques mots sur le contexte français en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection en France, avant d’en venir aux dispositions législatives qu’il nous paraîtrait utile d’adopter. Jacques Repussard évoquera ensuite le fonctionnement du système de contrôle exercé conjointement par l’ASN et par l’expert technique que constitue l’IRSN.

En matière de sûreté et de radioprotection, nous sommes confrontés aujourd’hui, et sans doute pour les cinq à dix années à venir, à des enjeux sans précédent. Parmi ces enjeux, la prolongation éventuelle de la durée de vie des centrales nucléaires, la mise en service de l’EPR de Flamanville et, bien entendu, les suites de l’accident de Fukushima, puisque les actions immédiatement engagées se prolongeront, on le sait, pendant les dix prochaines années. Je ne parle pas de la réévaluation de sûreté des autres installations que les réacteurs nucléaires, c’est-à-dire les installations du cycle du combustible et celles du Commissariat à l’énergie atomique, qui nécessitera un énorme travail au cours des toutes prochaines années. L’ASN et l’IRSN doivent également faire face – vous y avez fait allusion – aux questions de radioprotection dans le domaine médical, en radiothérapie ou lors d’examens diagnostiques plus classiques, pour lesquels les enjeux liés à la dosimétrie sont cruciaux et nécessitent une vigilance sans relâche.

À l’exception de Fukushima, tous ces enjeux pouvaient être anticipés et l’ont globalement été, pour une raison simple : le parc nucléaire arrive à une étape clé, celle de ses quarante ans. En effet, les centrales ont été dimensionnées à l’origine pour une durée forfaitaire de fonctionnement de quarante ans environ. Parallèlement, la génération qui a accompagné le déploiement du parc nucléaire français il y a trente ou quarante ans arrive au terme de sa vie professionnelle. Un problème matériel, celui de l’obsolescence des centrales, se double donc d’un problème de renouvellement des compétences. Cela vaut du parc de production d’électricité nucléaire comme des autres installations, notamment les installations de recherche qui ont précédé et préparé la montée en puissance du parc, mais aussi toutes les installations du cycle. Ces questions se posent pour l’ensemble de la chaîne industrielle nucléaire et les enjeux sont considérables.

Pour y faire face, deux conditions doivent être réunies. Premièrement, l’existence d’un exploitant – EDF – en état de marche, ce qui renvoie à la nécessité de renouveler les compétences et de disposer de la capacité financière d’investir dans des moyens de production comme dans la sûreté. Deuxièmement, l’existence d’une autorité de contrôle – IRSN inclus – elle aussi en état de marche.

Dans ce contexte, la loi de transition énergétique – et d’autres lois peut-être – offre l’occasion de passer à une étape ultérieure en matière de sûreté et de radioprotection.

S’agissant des moyens du contrôle – qui ne concernent sans doute pas principalement la loi de transition énergétique –, nous avons été amenés à nous exprimer, conjointement avec l’IRSN, à propos de nos besoins au cours des prochaines années. En résumé, alors que nous sommes actuellement mille à contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection en France, il faudrait selon notre estimation, que nous avons rendu publique comme il se doit, deux cents personnes de plus au cours des années à venir. Au terme des arbitrages budgétaires rendus cette année en vue du prochain triennal, l’ASN a obtenu – à ce stade de la discussion – 30 postes supplémentaires et l’IRSN a préservé ses moyens. Ce résultat nous paraît le meilleur possible compte tenu du type de financement en vigueur, issu avant tout du budget de l’État, et des contraintes budgétaires actuelles. Mais il reste assez éloigné du chiffre que je viens d’indiquer. Nous avons toujours souligné la nécessité, qui devient aujourd’hui une urgence, de réfléchir à une réforme du financement, en particulier d’envisager un système fondé sur des taxes payées directement par de gros exploitants nucléaires, sous le contrôle du Parlement. Ce système, à l’œuvre aux États-Unis, permet notamment une modulation du contrôle directement proportionnelle, donc ajustable, aux besoins. Nous savons gré au Gouvernement de ses propositions budgétaires, mais elles illustrent les limites du dispositif actuel de financement du contrôle. La réforme que nous appelons de nos vœux pourrait trouver sa place dans la loi de transition énergétique mais aussi dans la loi de finances.

En ce qui concerne la loi de transition énergétique proprement dite, nous avons élaboré des dispositions qu’il nous paraîtrait souhaitable d’y inclure pour l’améliorer.

Il s’agit d’abord de mieux informer le public. Dans cette perspective, la disposition tendant à ouvrir aux étrangers l’accès aux commissions locales d’information (CLI) proches des frontières nous semble tout à fait bienvenue. Actuellement, ils y sont au mieux invités, alors qu’ils devraient avoir le droit et le devoir de s’y exprimer. Ces structures sont d’ailleurs plutôt reconnues en Europe comme un bon outil de concertation avec le public. En revanche, je l’ai déjà dit publiquement, certaines décisions hors norme de l’ASN – réévaluations de sûreté des réacteurs tous les dix ans, réévaluation des quarante ans en particulier – mériteraient davantage que le dispositif prévu par la loi, c’est-à-dire qu’une consultation de trois semaines sur Internet.

Enfin, la loi fait de la transparence une obligation, mais comment en organiser le contrôle ? Ne pourrait-on le confier plus explicitement au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, qui serait chargé de faire rapport public à partir d’un rapport que lui transmettrait l’ASN elle-même chaque année ?

Deuxième thème essentiel : mieux encadrer le démantèlement. À cet égard, le projet de loi s’efforce de traduire l’idée internationale du « démantèlement immédiat ». L’expression est malheureuse car tout démantèlement demande nécessairement du temps. L’idée est en fait que le plan de démantèlement soit préparé très vite, pendant que les personnes compétentes sont encore là. Si on laisse s’écouler dix ans entre l’arrêt d’une installation et le moment où le plan est prêt, il est probable que toutes les personnes compétentes, celles qui ont connu l’installation, voire qui l’ont construite, seront parties dans l’intervalle. La loi introduit ainsi une disposition tendant à limiter le délai qui sépare l’arrêt de l’installation du dépôt par les exploitants du dossier de démantèlement – qu’il reste ensuite à instruire. Cette mesure essentielle est, je le répète, en phase avec les orientations internationales.

Le troisième thème figure dans la loi par l’intermédiaire de l’ordonnance : il s’agit des capacités de sanction dont dispose l’ASN. Entre l’arme lourde – le pouvoir d’arrêter une installation de notre propre chef si la sûreté y est manifestement compromise – et les armes quotidiennes – procès-verbaux, mises en demeure –, nous n’avons guère de moyens intermédiaires, notamment lorsqu’il s’agit de remédier à des écarts mineurs mais qui se prolongent plusieurs années, parfois jusqu’à vingt ans. Nous avons donc proposé un système d’amende journalière que les exploitants devraient verser tant que la situation n’est pas revenue à la normale.

Un aspect, peu connu sans doute, doit absolument être abordé dans cette loi ou dans une autre : la protection des sources radioactives contre les actes de malveillance. Ces sources se trouvent dans de nombreux endroits, dans les installations nucléaires de base, naturellement, mais aussi sur des chantiers plus classiques. Elles permettent par exemple de réaliser des clichés des tuyauteries pour vérifier une soudure. Ce problème est aujourd’hui orphelin de tout encadrement : on ne peut ni demander aux exploitants d’agir ni contrôler ce qu’ils font. Puisqu’il est prévu de confier le contrôle à l’ASN, nous avons lancé depuis deux ou trois ans, sans mandat, un ensemble d’investigations pour étudier la situation et il nous a semblé indispensable de disposer rapidement d’un cadre pour intervenir formellement et imposer des mesures. Cette question est d’ailleurs jugée importante à l’international.

Enfin, notre système sinon unique, du moins original qui allie un expert technique, l’IRSN, et une autorité administrative indépendante chargée de prendre les décisions, l’ASN, nous paraît efficace. Il a l’avantage de décharger l’expert qui rend son avis du poids de la décision. Cela favorise la sûreté nucléaire comme la transparence, sachant que l’avis de l’IRSN est systématiquement rendu public, de même que la décision de l’ASN. De cette appréciation, il convient de tirer toutes les conséquences, d’une part en rendant encore plus transparents et précoces les avis de l’IRSN, d’autre part en améliorant et en clarifiant le pilotage stratégique par l’ASN de l’ensemble de la chaîne de contrôle, y compris les travaux de l’IRSN. Il s’agit bien d’assurer un pilotage, et non de donner un avis sur les avis de l’IRSN, qui relèvent de sa seule responsabilité ; la nôtre consiste à prendre des décisions.

M. le président François Brottes. Et si d’aventure le rapport de l’IRSN ne vous satisfaisait pas, sur quelle contre-expertise pouvez-vous vous appuyer ?

M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). La question est légitime. Il existe auprès de l’ASN des groupes permanents d’experts, composés d’experts individuels chevronnés qui examinent notre rapport sur les sujets majeurs, nous entendent, recueillent les observations de l’exploitant. Et, souvent, un consensus se dégage, qui s’étend aux exploitants eux-mêmes, sur ce qu’il faudrait faire, compte non tenu des questions de délais et de financement qui nous échappent. Le système est d’autant plus solide qu’il inclut ainsi une possibilité d’analyse critique du travail de l’expert institutionnel. Nos experts savent qu’ils devront rendre compte de leurs travaux quant au fond.

En ce qui concerne le projet de loi, j’indiquerai d’abord celles de ses dispositions qui me paraissent de nature à renforcer la sûreté nucléaire, ensuite celles qui pourraient être améliorées par le débat à venir avec le Gouvernement et le Parlement.

Parmi les très nombreux sujets dont traite la loi et qui n’ont pas tous, loin de là, à voir avec la sûreté nucléaire, deux innovations en particulier devraient la renforcer – un objectif que nous poursuivons en tant qu’institution, mais qui préoccupe également tous nos concitoyens, ce qui laisse espérer un consensus politique national analogue à celui de 2006 sur la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

Premièrement, le pilotage de la ressource énergétique en général est confié à l’État, et à travers lui à la nation, ainsi investis d’une mission claire obéissant à des règles précises. En matière de nucléaire, il est particulièrement bienvenu de susciter ainsi un débat sur les besoins du pays à long terme, car les choix dans ce domaine demandent du temps, des discussions, une planification : c’est sur une décennie au moins que s’éprouvent les décisions en matière d’investissement ou de changement de mode de production. On l’a vu au cours des dernières années, l’absence de planification et de mécanisme de surveillance par le Parlement a fait obstacle à la prise de décision ou entraîné des choix industriels contestés, ce qui n’est pas propice à la sûreté nucléaire.

Le texte de loi recourt à des formules fortes qui renvoient à la notion de vigilance de la nation. Car la sûreté nucléaire, c’est aussi la nation elle-même qui en est comptable. Ainsi, la catastrophe de Tchernobyl était inscrite d’avance dans la déliquescence de l’Union soviétique, dans la séparation complète entre le système et le plan de production et dans la manière de gérer les équipes au sein des centrales. En associant la nation à la réflexion sur l’énergie par l’intermédiaire de la démocratie locale et régionale, notamment des CLI, on incite chacun à s’interroger sur la sûreté nucléaire, ce qui est en soi bienvenu.

En matière de sûreté nucléaire, nous faisons en réalité un pari, longtemps occulté au niveau politique, sur le bénéfice global de l’énergie nucléaire, qui suppose l’absence d’accident. Il s’agit d’un pari parce que le risque zéro n’existe pas. Nous devons le gagner en tant que nation : aussi longtemps que nous aurons des installations nucléaires et que nous utiliserons les technologies que nous connaissons aujourd’hui, il s’agit pour les exploitants, comme pour les contrôleurs que nous sommes, d’éviter un accident qui neutraliserait tous les gains économiques procurés par l’énergie nucléaire. L’enjeu est majeur.

Ce qui nous amène au second volet particulièrement bienvenu du projet de loi, qui porte sur le filet de sécurité qu’est le système français de sûreté nucléaire. Celui-ci a été élaboré par la loi de 2006, qui fonde la sûreté nucléaire sur trois piliers. Le premier est l’exploitant, que cette loi désigne sans ambiguïté comme le responsable pénal de la sûreté nucléaire de ses installations. Le projet actuel a le grand intérêt de mieux codifier la phase de démantèlement, désormais toute proche pour une partie des installations. Le deuxième pilier est la police administrative, à propos duquel le texte propose des améliorations qui nous paraissent opportunes car, même si elles ne sont pas de notre ressort, elles rendent notre travail d’expertise plus utile. Je ne les détaille pas, puisque Pierre-Franck Chevet les a exposées.

La question des moyens est extrêmement sensible. Je sais moi aussi gré au Gouvernement de ses arbitrages budgétaires, qui nous sont favorables compte tenu du contexte et du mécanisme de financement actuels. Ainsi, la baisse planifiée de la subvention versée à l’IRSN sera compensée par une hausse, dans des proportions presque équivalentes, de la contribution déjà acquittée par les exploitants. On va ainsi atteindre le plafond autorisé par la loi de finances qui a instauré ce dispositif il y a quelques années, ce qui doit nous inciter encore davantage à réfléchir à l’avenir de ce mode de financement. Nos moyens sont préservés, ce qui est préférable au projet initial du ministère des finances mais ne suffit pas à nos besoins : il faudra donc faire des choix, peut-être revoir le rythme de progression sur certains sujets ; nous ferons avec ce que nous aurons. Mais l’essentiel est préservé. En outre, pour la première fois, le Gouvernement a considéré cette année – contrairement à 2013, année catastrophique pour nous du point de vue budgétaire – que c’était le budget de l’IRSN tout entier qu’il fallait sauvegarder au nom de la sûreté nucléaire, et non simplement la part qui finance l’appui à l’ASN. Car la recherche menée à l’IRSN, c’est l’expertise de demain : nous l’avons fait valoir l’année dernière et, cette fois, nous avons été entendus. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

La vigilance de la société est le troisième pilier de la sûreté nucléaire. Elle est ici abordée explicitement à propos des CLI, ce qui constitue un progrès.

À ces trois piliers, il faut à mes yeux en ajouter un quatrième : la science. Il figure partout dans les documents internationaux ; la nouvelle directive européenne sur la sûreté nucléaire, qu’il nous faudra transposer, le mentionne sans ambiguïté. En d’autres termes, la sûreté nucléaire ne peut être absolue, mais elle dépend de l’état de l’art et c’est compte tenu de celui-ci que la police administrative se prononce. Voilà pourquoi elle a besoin d’une expertise.

Malheureusement, dans le corpus législatif actuel, ce quatrième pilier n’est qu’implicite. La loi de 2006 disposait simplement que l’ASN est consultée par le Gouvernement sur la part de la subvention de l’État à l’IRSN correspondant à la mission d’appui technique de l’institut à l’ASN. C’est tout à fait insuffisant pour nous doter d’une assise juridique. L’ASN est une autorité administrative indépendante alors que l’IRSN est un établissement public de l’État. L’application des règles générales qui en découlent entrave au niveau institutionnel un dialogue pourtant satisfaisant au quotidien. Par exemple, le président de l’ASN ne peut siéger avec voix délibérative au conseil d’administration de l’IRSN. Il faut remédier à cette situation.

La première lacune qui nous est apparue dans le texte est d’ailleurs la surprenante absence de mention des missions de l’IRSN. Celui-ci ne tient pourtant aujourd’hui qu’à un fil puisque, de la loi de 2001 qui l’a créé et qui a été abrogée, ne reste qu’un cavalier qui mentionne la création de l’Institut et astreint ses agents au secret professionnel lorsqu’ils ont accès à des données confidentielles. C’est d’autant plus paradoxal que le code de la défense, le code du travail ou le code de la santé publique contiennent des dispositions relatives à l’IRSN, qui concernent par exemple la sécurité nucléaire ou la comptabilité des matières nucléaires. Nous travaillons d’ailleurs avec le cabinet de la ministre de la santé, dans le cadre de la loi de santé publique en préparation, à une modification du code de la santé publique en vue d’habiliter l’IRSN à accéder aux données médicales des patients, car l’argument a pu être utilisé par certains directeurs d’hôpital pour nous empêcher d’enquêter dans son établissement. Bref, il nous semblerait utile – comme à l’ASN, d’ailleurs – que la loi récapitule dans un bref article, destiné à la partie législative du code de l’environnement, les missions essentielles de l’Institut et le système dual de contrôle en vigueur, afin de les graver dans le marbre.

Des missions de l’IRSN découle naturellement la nécessaire transparence de ses travaux. Aujourd’hui, c’est du seul bon vouloir du président de l’ASN que dépend la publication de certains avis de l’IRSN, les autres n’étant publiés que tardivement ou ne l’étant pas du tout. Nous pouvons en discuter entre nous, mais cette situation n’est en tout cas pas idéale. Mieux vaudrait préciser dans la loi que les avis de l’IRSN sont des documents publics auxquels les décisions de l’ASN doivent faire formellement référence – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, de sorte que les citoyens ne savent pas sur quoi se fonde la décision.

S’agissant enfin de l’interface entre les deux organes, je répète que le président de l’ASN n’a qu’une voix consultative au conseil d’administration de l’IRSN, alors que l’ASN devrait être associée au pilotage stratégique de l’appui technique et aux grands choix opérés en conseil d’administration. Rappelons également la nécessité de veiller à la continuité entre les deux institutions lors des arbitrages budgétaires.

Nous avons soumis au ministère de l’écologie – un peu tard, hélas – ces différentes dispositions que nous appelons de nos vœux. Elles n’ont malheureusement pas été retenues par Mme Royal, non parce qu’elles n’étaient pas pertinentes mais au motif qu’il ne fallait pas surcharger le volet nucléaire de la loi. Nous comprenons cet argument, mais nous regrettons que nos propositions, qui étaient prêtes, aient été laissées de côté après une première étude par l’administration du ministère et les cabinets ministériels et une validation à ce niveau. Nous aimerions étudier avec le Gouvernement et le Parlement le moyen de les réintroduire soit dans le texte, soit, pour éviter d’alourdir celui-ci, dans l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.

M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI. J’entends vos demandes, messieurs, et je n’ai rien contre l’inscription dans la loi des missions de vos organismes. Mais je doute qu’il soit possible de réintroduire dans le texte des dispositions que le Gouvernement a déjà étudiées et écartées.

J’aimerais avoir votre avis sur les demandes d’amendements que les représentants d’EDF m’ont communiquées.

L’article 31 dispose en son alinéa 9 qu’en cas d’accident, l’exploitant organise une visite de l’installation. EDF aimerait que la visite soit limitée dans le temps : la commission locale d’information nucléaire viendrait sur le site à un moment précis et pour une durée déterminée.

Aux termes de l’article 32, alinéa 12, l’exploitant n’est plus autorisé à faire fonctionner l’installation après un arrêt. EDF souhaite que la phrase soit supprimée au motif que c’est de fait le cas, de sorte que la précision serait inutile. Ces dispositions ayant été établies à la suite d’une discussion entre l’ASN, l’IRSN et le Gouvernement, j’aimerais avoir l’avis des deux premières puisque j’ai déjà demandé le sien au troisième.

S’agissant de l’article 32, alinéa 14 – « l’exploitant adresse, sans tarder et au plus tard deux ans après la déclaration mentionnée à l’article L. 593-26 », etc. –, EDF juge trop court le délai de deux ans, notamment au motif que quatre ans sont nécessaires à l’étude d’impact sur la faune et la flore.

L’article 33, alinéa 3, habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour doter l’ASN du pouvoir de prononcer des astreintes. EDF souhaiterait que leur montant soit le même que pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), afin d’éviter qu’il n’atteigne des niveaux pharaoniques.

Enfin, la requalification des matières en déchets radioactifs par l’autorité administrative, prévue à l’article 34, alinéa 4, pose problème à EDF, surtout à La Hague où elle risque d’empêcher certains déchets de devenir un jour des combustibles de quatrième génération.

Qu’en pensez-vous ?

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Mes questions font suite à la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, qui avait pour but de préparer le débat sur la loi de transition énergétique.

Monsieur Chevet, la production d’électricité en France se caractérise par une quasi-monotechnologie puisqu’elle est issue à 80 % du nucléaire. Diriez-vous que la diversification de la production d’électricité renforcerait la sûreté en réduisant notre dépendance et le risque d’incidents génériques, que vous jugez élevé et qui pourrait engendrer un conflit entre notre besoin de sûreté et notre nécessaire approvisionnement ?

Alors que la durée de vie des centrales approche les quarante ans, la loi devrait selon vous prévoir une « concertation renforcée » sur l’éventuelle prolongation de chaque réacteur – ce sont vos termes, que nous avons également utilisés dans les conclusions du rapport de la commission d’enquête. Quelle forme cette concertation pourrait-elle prendre ? Une enquête publique ? Un débat public ?

M. Plisson a fait état de l’avis d’EDF sur les sanctions. J’ai cru comprendre qu’à vos yeux celles-ci devaient être dissuasives pour être efficaces. Dans cette perspective, sachant que l’arrêt d’un réacteur coûte un million d’euros par jour environ, une astreinte qui ne dépasserait pas 1 % de ce montant ne semble pas avoir grand sens. Le texte vous paraît-il suffisamment clair sur ce point ?

En matière de transparence, les dispositions du texte relatives aux CLI sont bienvenues. Ne faudrait-il pas toutefois que les lettres de suite que s’échangent l’ASN et les exploitants après un incident nucléaire, par exemple à partir du niveau 1, soient transmises à leurs membres ?

Aujourd’hui, l’ASN présente son rapport annuel devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; c’est un aspect parmi tant d’autres des travaux du Parlement. L’OPECST ne devrait-il pas émettre régulièrement un avis sur le rapport de l’ASN et sur le niveau de sûreté en général ? Vous avez dit devant la commission d’enquête que la sûreté nucléaire du pays pourrait être notée 12 à 13 sur 20. Ce n’est guère rassurant. Peut-être le Parlement devrait-il se saisir de cette question afin d’améliorer la situation.

Vous avez souligné à de nombreuses reprises que l’ASN n’était pas compétente en matière de sécurité des installations. Ne serait-il pas plus cohérent que la loi inclue cet aspect dans vos référentiels de sûreté ?

Vous avez également indiqué maintes fois que le niveau de sous-traitance atteint dans les centrales françaises nuisait à la sûreté. Plus les sous-traitants sont nombreux, en effet, plus ils risquent de ne pas être assez formés. Le texte devrait-il, selon vous, mieux encadrer le recours à la sous-traitance ?

La loi devait initialement inclure un article sur Cigéo, le projet de Centre industriel de stockage géologique. Il n’est pas impossible que nous en reparlions lors du débat parlementaire. Selon vous, ce projet est-il suffisamment mûr pour qu’une décision soit prise ?

Enfin, étant donné la complexité technique et juridique du sujet, il pourrait nous être utile de prendre connaissance des propositions que vous avez préparées – même si notre président nous a rappelé ce matin qu’il n’appréciait guère les amendements prérédigés.

M. le président François Brottes. Je parlais de la rédaction : des propositions précises sont bienvenues, mais c’est aux parlementaires de rédiger les amendements. Outre les problèmes de recevabilité au titre de l’article 40 et de distinction entre les domaines législatif et réglementaire, il faut éviter les méprises : il arrive que ceux qui nous envoient leurs propositions aient l’impression de ne pas être entendus parce que nous ne les avons pas reprises sous forme d’amendement. Je ne dis rien d’autre, et je dis cela depuis près de vingt ans !

J’aimerais avoir votre avis, messieurs, sur l’une des préconisations de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire : que les sous-traitants, notamment salariés, soient toujours suivis par le même médecin du travail.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Je ne répéterai pas inutilement les propos de mes collègues rapporteurs. Monsieur Chevet, le dispositif actuel de financement du contrôle atteint selon vous ses limites et vous nous demandez par conséquent de réfléchir à un mode de financement reposant sur les gros exploitants.

Monsieur Repussard, vous souhaitez que les relations entre l’ASN et l’IRSN soient clarifiées. Nous avons bien noté ces problèmes et nous nous efforcerons d’y remédier.

M. Pierre-Franck Chevet. Je vais tenter de répondre aux questions des rapporteurs.

Un point de méthode, tout d’abord. En rédigeant nos propositions – que nous sommes tout disposés à vous transmettre –, ou plutôt en les corédigeant, notamment avec le ministère chargé de la sûreté nucléaire, nous n’avons pas manqué de consulter les exploitants. Nous avions donc déjà à l’esprit une partie des questions relayées par M. Plisson.

La visite de la CLI que la loi oblige les exploitants à accueillir en cas d’accident ne doit avoir lieu ni « à chaud », car il peut être nécessaire de gérer l’urgence, ni trop longtemps après l’événement, car il faut que les membres de la CLI puissent observer quelque chose. Je n’ai aucune objection de principe à ce que cette visite intervienne à un moment déterminé, mais il ne faudrait pas que cette mesure revienne de fait à l’interdire.

Sur le délai de deux ans, l’idée est de donner corps à la stratégie du démantèlement dit immédiat. Il n’est pas souhaitable de mettre l’installation sous cocon, c’est-à-dire de la réduire, de limiter les gestes au minimum nécessaire à la sûreté, puis de la refaire démarrer trois ou quatre ans plus tard, quelle qu’en soit la cause. Pour des raisons de sûreté, il faut éviter de prolonger les états intermédiaires, qui ne sont pas très faciles à maîtriser. Voilà pourquoi il était nécessaire de fixer le terme de la mise sous cocon et le moment d’une nouvelle décision. Tel est le sens du délai de deux ans, par lequel la loi désigne en réalité un ordre de grandeur. Il faut bien deux ans pour préparer un bon dossier de démantèlement avec un exploitant motivé.

Les amendes applicables aux exploitants des ICPE sont de 1 500 euros. Il est permis de mettre en doute l’effet dissuasif d’une amende journalière de 1 500 euros quand on sait que le fait d’empêcher un redémarrage de tranche, ce que nous faisons régulièrement et parfois très longuement – sans qu’EDF ne vienne s’en plaindre, d’ailleurs – coûte un million d’euros par jour. Les astreintes étant abordées dans le cadre de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, leur montant n’est pas encore fixé, ce qui explique les inquiétudes d’EDF. La sanction doit être proportionnée aux enjeux de sûreté et aux capacités financières de l’exploitant, au vu des enjeux économiques sous-jacents. En d’autres termes, il n’est pas question de mettre en péril par des procédures très coûteuses une petite installation où l’écart constaté est mineur. Le chiffrage précis – dont je n’ai pas d’idée a priori – devra être établi dans des textes subséquents, encadrés le cas échéant par la loi.

Certaines des matières radioactives qu’il est question de requalifier en déchets pourraient théoriquement être utilisées, mais lorsque c’est à échéance de cinquante ou soixante ans, à condition de mener des recherches approfondies et sous réserve que celles-ci portent leurs fruits, il devient légitime d’envisager leur requalification – quitte à en revoir l’utilisation à la lumière de recherches ultérieures : il n’est pas obligatoire d’opter pour la version la plus dure du traitement. Nous n’avons pas hésité à procéder ainsi dans les cas où la question s’est déjà posée. Quoi qu’il en soit, l’on ne saurait se dispenser de certaines obligations de sûreté au motif que ces matières sont réutilisables, ce dont nous ne pouvons être certains. La disposition prévue paraît donc tout à fait utile.

En ce qui concerne la monotechnologie, le fait que le parc français ait été standardisé est à mes yeux propice à la sûreté. Certes, le risque d’incidents génériques est plus élevé mais les chances de les traiter correctement sont proportionnellement encore plus grandes. Sans citer personne, des pays qui ont une production beaucoup plus disparate ont plus de mal à gérer les incidents. Le caractère avantageux de notre système est subordonné à notre stricte vigilance. De fait, nous appliquons de manière particulièrement rigoureuse l’échelle de gravité des incidents, de sorte que le nombre d’incidents par réacteur est significativement supérieur en France, parce que nous tenons à la transparence et parce que cela permet d’alimenter plus efficacement la mécanique technique de retour d’expérience. L’exploitant joue lui aussi le jeu de la vigilance car il en a compris l’intérêt, notamment industriel. Certes, nous sommes parfois passés assez près d’une difficulté ; je songe au couvercle de cuve de la centrale du Bugey il y a une vingtaine d’années. Toutefois, globalement, cette caractéristique reste un avantage.

J’en viens à la nécessité d’une concertation renforcée à propos des quarante ans. La consultation en cours ne concerne que le projet de prescription qui fait suite à la dernière visite décennale, très en amont de la procédure. Il faudra attendre la future consultation sur le rapport d’examen lui-même. Devra-t-elle prendre la forme d’une enquête publique, d’un débat public, d’une consultation renforcée ou améliorée sur Internet ? Je ne suis pas spécialiste de ces questions ; vous serez juges du moyen le plus adapté. Quoi qu’il en soit, la consultation devra porter sur le dossier proposé par EDF dans le cadre du réexamen de sûreté des quarante ans.

Il me semblait que les lettres de suite étaient publiques, donc transmises aux CLI. Si tel n’est pas le cas, nous ne voyons aucun inconvénient à les publier, qu’elles fassent suite à un incident ou à une inspection.

En ce qui concerne les propositions d’amélioration du rapport que nous présentons chaque année au Parlement en application de la loi de 2006, le fait que l’OPECST rende un avis ne me poserait aucun problème. Évitons simplement d’entretenir la confusion : il ne s’agit pas de doubler une autorité, instance décisionnelle, d’une super-autorité qui prendrait d’autres décisions. Pour que l’avis de l’OPECST apporte une plus-value, il faut qu’il se démarque. Si nous nous trompons, il faut le dire : nous sommes ouverts et habitués à la critique. Mais l’avis devrait porter, plutôt que sur les décisions individuelles, sur les priorités et les orientations que nous définissons, le cas échéant à propos d’un sujet particulier – sous-traitance, facteur humain, etc. Dans ce cas, l’audition par l’OPECST devrait, au-delà de notre rapport annuel, intégrer les apports des exploitants, qui pourraient être appelés à rendre des comptes, et du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, entre autres. Cela permettrait de faire le point sur le fonctionnement global du système.

Il est exact qu’en matière de sécurité, la situation française est particulière : 95 % de mes homologues sont également chargés de la sécurité des installations et de leur protection contre des actes de malveillance. L’orientation actuelle consiste à resserrer nos liens avec les autorités de défense, plus précisément avec le Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité. Le fait que certains membres de cette institution soient issus de l’ASN facilite d’ailleurs le dialogue. La sécurité des sources représente une autre manière d’aborder le sujet : il ne serait pas difficile de progresser sur ce sujet délaissé. En revanche, je ne suis pas certain que la solution que vous proposez soit facile à mettre en œuvre, monsieur le rapporteur. Je vais y réfléchir.

Les pouvoirs de l’inspection sont actuellement limités aux installations nucléaires elles-mêmes, à l’exclusion des services centraux des grands exploitants, qui jouent pourtant un rôle essentiel en matière de sécurité : ce sont eux, par exemple, qui préparent certains gros dossiers. Il serait donc très utile de pouvoir évaluer leur travail sur place et sur pièces. Il en va de même des sous-traitants : nous pouvons contrôler leur action de terrain dans les installations, mais non sa conception ni sa préparation, qui ont lieu ailleurs. D’où la disposition contenue dans le c) du 1° du I de l’article 33, qui tend à étendre le contrôle « aux activités participant aux dispositions techniques ou d’organisation […] exercées par l’exploitant nucléaire, ses fournisseurs, prestataires ou sous-traitants, y compris hors des installations nucléaires de base ».

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Permet-elle de limiter le nombre de niveaux de sous-traitance ainsi que vous le proposiez ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je n’ai pas formulé cette préconisation.

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. L’ASN n’a-t-elle pas proposé dans un rapport de le limiter à trois ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je ne le pense pas. Peut-être s’agissait-il de mes prédécesseurs. C’est à vérifier. Quoi qu’il en soit, le nombre de niveaux de sous-traitance doit assurément être maîtrisé et adapté à la tâche qu’il s’agit d’accomplir. Il doit donc être réduit pour que l’intervention soit efficace. Toutefois, la sous-traitance permet aussi d’accéder à des ressources techniquement rares qui sont un gage de qualité. Nous devons donc nous montrer très vigilants sur ces questions.

M. le président François Brottes. Il faut éviter la sous-traitance en cascade, mais il ne s’agit pas de se priver des savoir-faire qui existent.

M. Pierre-Franck Chevet. C’est l’exploitant – EDF – qui a proposé le chiffre de trois. Pour ma part, je ne saurais donner de limite. Il faut pouvoir accéder à la ressource là où elle se trouve ; cela implique d’aller assez loin dans certains cas.

M. le président François Brottes. Même s’il convient de faire preuve de mesure, une limite chiffrée risque de nous empêcher de recourir à un sous-traitant dont le savoir-faire serait unique. Ne nous rendons pas à cette extrémité. Tel n’était d’ailleurs pas le propos du rapporteur.

M. Pierre-Franck Chevet. Enfin, Cigéo est-il mûr ? Pour le déterminer, deux aspects nous semblent particulièrement importants. Il s’agit d’abord, du point de vue technique, de l’inventaire : qu’y met-on ? La réponse à cette question, posée par le public, est essentielle à la sûreté car elle engage la capacité de résistance ou l’adéquation du stockage. Il faut donc que l’inventaire proposé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, soit suffisamment large, compte tenu des politiques actuelles, pour que nous n’ayons pas de mauvaises surprises plus tard. Car on peut imaginer des changements de politique. Sans retraitement, ce ne seront plus des verres que l’on fera descendre, mais des combustibles usés, ce qui modifie le dimensionnement du stockage. Il nous paraît donc essentiel de nous assurer à tout moment, en développant le futur stockage, que l’on pourra réutiliser le même lieu si l’on change d’option : il ne faudrait pas gâcher l’espace pour une solution donnée et se priver ainsi de toute autre possibilité dans l’hypothèse où l’orientation politique viendrait à changer. Il s’agit en somme d’une forme de réversibilité.

La réversibilité du stockage est précisément le second aspect qui nous semble essentiel. Sur ce point, issu du débat public, le Parlement s’était donné rendez-vous à lui-même dans la loi de 2006 en prévoyant une nouvelle loi sur la réversibilité. De fait, cette notion très complexe mérite un débat parlementaire. Elle recouvre à la fois la possibilité de récupérer les colis enfouis et l’adaptabilité aux changements de politique publique, donc au type d’objets que l’on stocke.

M. le président François Brottes. Nous l’avons vu lors de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, chacun fait varier l’acception du mot selon ses intérêts.

M. Pierre-Franck Chevet. On parle d’une montée en puissance industrielle progressive, d’une phase pilote. Ces notions également issues du débat public peuvent elles aussi s’entendre de bien des manières et il serait bon de les définir précisément, notamment en vue de ce qui constitue – sous réserve des décisions politiques – la prochaine étape : une demande d’autorisation de création au sens de la loi de 2006. Pour l’instant, la loi ne contient aucun de ces éléments.

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. En somme, ce n’est pas complètement mûr.

M. Pierre-Franck Chevet. Je le répète, il n’y a pas d’éléments ni sur l’inventaire ni sur la réversibilité.

Nous avons retrouvé nos fermes engagements sur le nombre de niveaux de sous-traitance : dans notre rapport sur les suites de l’accident de Fukushima, nous avons écrit que « la proposition d’EDF, d’Areva et du CEA de limiter à trois le niveau de sous-traitance est intéressante et mérite d’être étudiée ». En tout cas, nous ne sommes pas compétents pour fixer le nombre, mais nous pensons que cette suggestion ne va pas dans le mauvais sens.

Nous avons rédigé des propositions que nous pouvons vous transmettre.

Je n’ai pas d’avis sur la question de la médecine du travail ; je crois comprendre que vous souhaiteriez qu’elle agisse par site ou par lieu.

M. le président François Brottes. Non, par personne. Les sous-traitants qui travaillent dans différentes centrales sont vus par les médecins du travail en fonction du site sur lequel ils se trouvent au moment de leur visite. Nous pensons qu’il est préférable que le salarié soit suivi par le même médecin du travail.

M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Ces salariés ne sont pas tous sous-traitants que du nucléaire. Chaque personne devrait avoir le même référent quelles que soient ses expositions à différentes sources de pollution.

M. Pierre-Franck Chevet. Je n’ai pas d’expertise sur le sujet. Cette idée rejoint la mise en place des passeports dosimétriques et se révèle donc cohérente avec d’autres dispositifs.

M. Jacques Repussard. La diversification est liée à la réduction de la part du nucléaire dans notre pays. L’IRSN, dans un avis formulé dans le cadre du débat sur la transition énergétique, a affirmé que la réduction de la part du nucléaire dans notre production énergétique était potentiellement bénéfique pour la sûreté nucléaire, à condition que l’on préserve des marges de production.

Il importe de mettre en place une procédure pour la réutilisation des matières ; dans cette optique, l’IRSN a rendu un avis à l’ASN sur les problèmes radiologiques de ces matières. L’Institut y exprimait ses craintes, car même l’invention d’une technologie de transmutation n’éviterait pas les dangers radiologiques auxquels seraient exposés les travailleurs dans les usines. L’IRSN soutient la création d’un mécanisme de qualification de déchet des matières qui n’ont pas vocation à redevenir exploitables.

L’IRSN joue le rôle d’appui technique des autorités de sécurité dans les domaines civil et militaire. Le code de la défense recèle des dispositions complexes qui forment un maquis réglementaire complexe. Vouloir le remettre en cause dans le cadre de ce projet de loi que le Gouvernement souhaite voir adopté rapidement me semble une gageure.

Les aspects de sécurité qui conduisent à des déficits de sûreté sont de mieux en mieux traités grâce au dialogue trilatéral, et il n’est pas nécessaire d’élaborer des mesures législatives en la matière. La surveillance des matières, leur comptabilité, les engagements internationaux de la France pour leur transport, leur stockage et la sécurité des installations constituent une chaîne, dont la sûreté n’est qu’un élément.

Si l’ASN demandait l’avis de l’IRSN sur le lancement d’une autorisation d’installation pour Cigéo, l’Institut manquerait d’éléments pour lui apporter une réponse. Au-delà des questions de dimensionnement, nous sommes favorables au déploiement d’une phase intermédiaire, qui nous permettrait d’émettre un avis documenté. Nos équipes de recherche ont développé une installation expérimentale dans le laboratoire de Bure, indispensable pour s’engager définitivement dans le stockage d’un inventaire, dont la définition reste aujourd’hui un peu floue.

Nous devons poursuivre le dialogue avec le Gouvernement pour faire évoluer le projet de loi sur ce sujet qui peut faire l’objet d’un consensus politique.

Nous pourrons bien entendu vous communiquer les projets de texte à la rédaction desquels nous avons participé.

M. le président François Brottes. Si les radars protègent les sites nucléaires, l’installation d’éoliennes à proximité de ces centrales pose-t-elle un problème ? C’est une question de thèse universitaire que je ne vous pose pas, mais qui existe du fait des périmètres de protection.

M. Julien Aubert. J’ai compris du texte que tant qu’EDF ne fermerait de centrale, on ne pourrait pas procéder à de nouveaux investissements, le commissaire du Gouvernement veillant au respect de la trajectoire de la programmation pluriannuelle.

La capacité nucléaire installée est plafonnée à 63,2 gigawatts, et l’article 32 du projet de loi dispose qu’une centrale mise sous cocon s’arrête définitivement au bout de deux ans. L’ASN et l’IRSN considèrent-ils qu’une centrale arrêtée mais non démantelée reste intégrée dans le calcul de la capacité nucléaire ? Le démantèlement doit-il avoir débuté pour qu’elle sorte du calcul du plafond ? En d’autres termes, existe-t-il une marge de souplesse ? Cette question est importante, car l’effet de seuil possède des répercussions sur la manière dont l’exploitant – qui pèse plus du tiers de la production – peut envisager son plan de déploiement.

L’exploitant nucléaire doit rencontrer un commissaire du Gouvernement dès qu’il dépasse le seuil autorisé. Comment l’ASN voit son rôle dans le champ de la sécurité, alors que le parc nucléaire pourrait subir un effet de substitution – la mise en route du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville entraînerait le démantèlement d’une centrale ? Une telle situation pourrait faire passer la sécurité au second plan, car l’effet mécanique primerait sur le paramètre du vieillissement des centrales.

La diminution de la capacité nucléaire de la France sera-t-elle suivie d’une baisse des effectifs de l’ASN et de l’IRSN ?

M. Jean-Yves Caullet. Monsieur le président, j’ai été frappé de l’importance que vous accordez à la disponibilité de la compétence, c’est-à-dire au fait générationnel qui implique que les agents ayant installé le système quittent la carrière. Comment envisagez-vous de capitaliser les savoirs et les compétences pour assurer le tuilage ? L’ingénierie publique ayant beaucoup évolué en 40 ans, de quels formation, statut et compétences seront dotés les futurs employés ? Quelle est votre réflexion, au regard notamment de la question de la sûreté ?

La maîtrise des techniques de démantèlement vous paraît-elle un enjeu industriel stratégique pour la France, qui pourrait exporter ses compétences dans l’ensemble de la filière ?

Les perturbations climatiques peuvent faire craindre des périodes de sécheresse et d’étiage prolongées dans les prochaines décennies : prenez-vous en compte cette dimension dans la sûreté des installations telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui ?

Mme Cécile Duflot. M. Jean Jouzel vient de remettre un rapport à Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur la déclinaison territoriale des effets du dérèglement climatique en France ; il montre une hausse importante des températures, notamment en été et dans le sud du pays : ces éléments sont-ils pris en compte ?

Les écologistes estiment que le projet de loi souffre d’une insuffisance majeure liée à l’absence de moment particulier d’évaluation des centrales nucléaires de 40 ans. J’ai entendu avec intérêt, monsieur Chevet, vos déclarations sur la non-automaticité possible de ce passage à 40 ans, y compris pour des raisons budgétaires d’amortissement. Comment pourrait-on reconnaître ce moment de prolongation en termes d’évaluation financière, de sécurité et de sûreté ?

Comment peut-on arrêter une position sur Cigéo alors que l’évaluation financière oscille du simple au double ?

Mme Frédérique Massat. Je souhaitais vous interroger sur les conditions de travail des agents des entreprises de sous-traitance, car on a constaté une différence de situation entre eux et ceux qui opèrent chez l’exploitant. Doit-on prévoir une disposition dans la loi à ce sujet ?

Le démantèlement entraînera des reconversions qui posent la question de la formation. La loi doit-elle contenir un dispositif touchant à ce domaine ?

Le texte actuel reprend un certain nombre de mesures de la directive sur la sûreté nucléaire transposée en juin dernier, mais en laisse de côté plusieurs. Quelles sont celles qu’il conviendrait d’intégrer ?

M. Pierre-Franck Chevet. Après son arrêt, une centrale reste soumise au régime de son décret d’autorisation, qui lui fixe une puissance maximale, nonobstant les autres autorisations administratives de l’énergie qui pourraient entrer en ligne de compte ; tant qu’un nouveau texte n’a pas été pris, la centrale ne sort pas du cadre. À la suite de l’arrêt, un dossier de démantèlement est constitué, et l’État mène une instruction d’une durée de deux ou trois ans. Un nouveau texte, qui ne fait plus référence à la puissance électrique fournie, organise le démantèlement.

M. Julien Aubert. Le projet de loi dispose que l’arrêt est réputé définitif au bout de deux ans. Passé ce délai, il existe donc un risque de coupure même si le décret subsiste.

M. Pierre-Franck Chevet. De toute façon, un redémarrage éventuel de la centrale se trouve conditionné à une procédure complète, ce qui annule tout effet au décret ; dans ce contexte, la centrale sort du calcul de la capacité de production.

M. Julien Aubert. Cette sortie aurait donc lieu au bout de deux ans ?

M. Pierre-Franck Chevet. Oui, sauf si le démantèlement a été anticipé et se trouve prévu par le décret.

Les arrêts et les mises en route de centrales doivent, du point de vue de la sûreté, faire l’objet d’une planification ; en effet, les décisions prises dans l’urgence sont, en la matière, loin d’être souhaitables, et les acteurs doivent pouvoir anticiper ces mouvements.

Nous constatons l’émergence d’enjeux sans précédent pour les cinq à dix ans qui viennent, et il convient de prendre cette dimension en compte lorsque l’on pose la question des moyens de l’autorité de contrôle. Ces défis relèvent de la prolongation ou non de la durée de vie des centrales – sujet qui ne sera tranché que dans plusieurs années, si bien que l’arrêt éventuel ne se produira pas avant longtemps – et des suites de l’accident de Fukushima qui induisent des charges supplémentaires jusqu’au moins le début de la prochaine décennie. Au-delà de cette période, il est possible – selon les décisions de politique énergétique qui seront prises – que les charges diminuent et que les effectifs suivent le mouvement. C’est dans ce contexte que nous souhaitons une réforme du financement, afin d’établir un lien direct entre les besoins entre les moyens et éviter les décalages que le budget de l’État ne sait que très partiellement gérer.

La question du renouvellement des compétences et du maintien de l’expertise chez les exploitants se pose également pour les autorités de contrôle. Bon nombre d’agents viennent des écoles d’ingénieurs ou de l’université, et la connaissance scientifique nécessaire ne se réduit pas à celle liée au nucléaire. Les enseignements généraux conviennent bien pour la formation de ces salariés, les entreprises assurant l’enseignement des connaissances nécessaires à la filière. L’ASN et l’IRSN dispensent également des formations spécifiques. Nous évaluons les actions menées dans les sites et nous jugeons des résultats, les entreprises devant remplir des obligations de qualification pour leurs salariés. Nous avons relevé certains dysfonctionnements, notamment à Bugey où le personnel de contrôle de la maintenance exercée par EDF s’avérait insuffisamment expérimenté. Ce problème devra être vite réglé – EDF en est conscient –, car se profile la perspective éventuelle d’un grand carénage qui accroîtra les travaux de maintenance.

Le démantèlement présente un enjeu de sûreté majeur, ce qu’attestent les procédures prévues par la loi qui sont de même nature que celles de création d’une installation nucléaire. Le découpage d’éléments qui ont été radioactifs et la gestion de déchets sont en effet dangereux pour les personnes. La difficulté industrielle ne s’avère pas, en revanche, immense, même si on doit affiner certains procédés.

Nous essayons d’intégrer les éléments liés au changement climatique, et nous effectuons des réévaluations de sûreté tous les dix ans ; au cours de cette opération, nous modifions les aléas externes comme les prévisions climatiques. Nous nous concentrons sur les tendances lourdes à cinquante ans, plus visibles que celles de court terme. Cette préoccupation est particulièrement présente pour un projet comme celui de l’EPR dont la durée de vie est estimée à soixante ans. Les centrales actuelles situées sur des cours d’eau ont rencontré des problèmes de refroidissement en cas d’été chaud ; or les étés le seront de plus en plus et dureront plus longtemps. De même, dans les réévaluations conduites à la suite de l’accident de Fukushima, nous avons revu à la hausse les aléas externes importants, comme les tsunamis.

Le rendez-vous des quarante ans est hors-norme en termes de sûreté. La procédure actuellement retenue consiste en une consultation, par internet, sur notre projet de décision. Il serait intéressant d’organiser une consultation, non seulement sur le projet de décision finale, mais également, en amont, sur le dossier soumis par l’exploitant.

La transposition de la directive européenne sur la sûreté nucléaire, intervenue au début de l’été, présente une disposition complètement nouvelle qui prévoit d’effectuer des stress-tests thématiques tous les six ans – nous en avons réalisé un sur les suites de l’accident de Fukushima et avons souhaité reconduire cet exercice. Nous choisirons un sujet pertinent tous les six ans et comparerons les pratiques dans le domaine retenu. J’ignore si la sanctuarisation de ce rendez-vous relève de la loi.

M. Jacques Repussard. L’agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE a mis en place un groupe de travail – auquel l’IRSN participe – sur la prise en compte des aléas climatiques dans le monde. Des phénomènes redoutables peuvent se produire, pas forcément du fait du changement climatique, et ils n’ont pas tous été pris en compte lors de la conception des installations. L’IRSN a lancé un projet d’étude probabiliste de sûreté intégrant ces événements climatiques ; cette démarche de recherche s’avère nécessaire car l’industrie nucléaire n’incorpore pas ces chiffres pour les fusions de cœurs de réacteurs.

L’IRSN a créé une université interne permettant de cadrer les carrières des personnels et de conserver l’expertise des agents partant à la retraite ; il y consacre des moyens et il a également pris l’initiative, avec ses homologues allemand, tchèque et lituanien de fonder un institut de formation pour les cadres de sûreté nucléaire – l’European Nuclear Safety Training and Tutoring Institute (ENSTTI) –, cofinancé par l’Union européenne. La directive prévoit également des modes de coopération et des audits croisés entre les autorités et les organismes techniques d’appui ; il convient d’ailleurs que la mutualisation des ressources progresse. Cette directive aura peu de traduction législative, mais elle devrait avoir des effets bénéfiques dans les pays européens, qui cherchent à éviter tout accident.

Les incertitudes financières entourant Cigéo perdureront jusqu’au dernier moment et ne peuvent donc constituer un argument justifiant l’absence de décision. Les devis dépendront des choix qui seront effectués : il est donc logique que la fourchette financière s’avère importante, même s’il faut la réduire, non pas par une discussion économique mais par une démarche scientifique et technique conduisant à préciser les contours du centre industriel de stockage géologique. Nous n’en connaîtrons le coût qu’une fois cette opération achevée.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du jeudi 11 septembre 2014 à 14 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Cécile Duflot, M. Jean Launay, M. Alain Leboeuf, M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Frédérique Massat, M. Philippe Plisson, Mme Émilienne Poumirol, M. Patrice Prat, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert, Mme Catherine Troallic

Excusés. - M. Patrice Martin-Lalande, M. Rémi Pauvros