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Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Jeudi 11 septembre 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 9

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-René Lemas, directeur général du groupe Caisse des dépôts

La Commission a auditionné M. Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.

M. le président François Brottes. Monsieur le directeur général, la Caisse des dépôts et consignations est une de ces grandes maisons familiales nationales auxquelles nous sommes tous attachés ; elle existe depuis fort longtemps et est, rappelons-le, placée sous le contrôle du Parlement. La CDC a abordé la question de la transition énergétique depuis plusieurs années déjà, dans les domaines des transports, de la réhabilitation thermique et des réseaux intelligents. Elle s’occupe désormais aussi des maisons de service public. Enfin, elle est concernée dans le projet de loi qui nous est soumis, qui crée un fonds pour les collectivités territoriales qui joueront un rôle décentralisé, et en prévoit des soutiens aux particuliers en matière de réhabilitation thermique des logements. « Il n’y a qu’à demander à la Caisse des dépôts » : cette phrase est fréquemment prononcée à l’Assemblée nationale mais aussi au Gouvernement, me dit-on. M. Pierre-René Lemas est donc une des personnes les plus sollicitées de notre pays…

M. Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Je vous remercie, monsieur le président.

Comme vous le souligniez, la Caisse des dépôts et consignations est présente dans la vie publique depuis 1816. Elle ne manie pas de deniers publics au sens de produit de l’impôt ; elle travaille avec le produit de l’épargne des Français. Nous sommes donc contributeur et contribuable, et non utilisateur de l’argent public au sens de la loi de finances.

Entre autres missions, qui ont été réactualisées en 2001, le législateur a expressément confié à la Caisse celle du développement durable. Cela est assez cohérent puisque celle-ci a pour mission générale, avec l’argent issu de l’épargne des Français et des dépôts des professions réglementées, d’engager des capitaux sur une durée longue pour financer des investissements dont les revenus sont différés dans le temps. Cela explique pourquoi, depuis de nombreuses années, la Caisse est très présente dans l’accompagnement des politiques publiques menées en faveur de la transition énergétique.

Si je ne suis arrivé à ce poste que depuis trois mois, la Caisse des dépôts réfléchit depuis un an et demi à ses projets et a retenu la transition énergétique parmi ses orientations stratégiques. J’ai pour ma part proposé d’aller au-delà et de faire de la transition écologique et énergétique l’un des grands thèmes fédérateurs d’avenir du groupe – de même que la Caisse fut pendant de nombreuses années le grand outil de l’aménagement du territoire, depuis les chemins de fer jusqu’à la reconstruction de l’après-guerre, de l’après-guerre jusqu’aux grands projets d’aménagement du territoire de l’époque de Paul Delouvrier et de Robert Lion, et enfin avec les programmes de renouvellement urbain. C’est ce que j’ai exposé devant les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat.

La transition énergétique concerne d’ores et déjà plusieurs compartiments de la Caisse : celle-ci intervient en tant que prêteur via son fonds d’épargne, en tant qu’investisseur en fonds propres, en tant qu’opérateur, et depuis quelques années, en tant que mandataire du PIA. Je vous présenterai son action dans ce secteur, ce qui relativisera le lieu commun que vous évoquiez, selon lequel notre organisme serait une grande caisse permettant de financer de nombreux projets. Nous pouvons certes faire beaucoup de choses, mais avec un bilan contraint.

Premier domaine dans lequel notre groupe contribue à la transition énergétique : la rénovation énergétique des logements sociaux et des bâtiments publics.

S’agissant du logement, le dispositif de l’éco-prêt-logement social (éco-PLS) constitue depuis sa création en 2009 le prêt au taux le plus bas de l’ensemble de la gamme de prêts de la Caisse des dépôts et consignations, à 0,5 %. Entre 2009 et 2013, environ 40 000 logements ont été réhabilités et en 2012-2013, 1,3 milliard d’euros ont été engagés pour rénover 108 000 logements sociaux. L’objectif que nous ont fixé les pouvoirs publics est de parvenir à un rythme de 70 000 logements rénovés par an dans les prochaines années. À ce titre, la Société nationale immobilière (SNI), filiale de la Caisse des dépôts et consignations, intervient pour rénover des logements en tant qu’opérateur, à hauteur de 8 100 logements sociaux rénovés l’an dernier, et 6 000 logements sociaux ou intermédiaires mis en chantier aux meilleurs standards énergétiques.

Pour ce qui est des bâtiments publics, il a été décidé l’an dernier d’ouvrir au sein du fonds d’épargne de la caisse une enveloppe globale de 20 milliards d’euros d’aide aux collectivités locales sous forme de prêts à taux préférentiel. Parmi ces 20 milliards, une enveloppe particulière de 5 milliards de prêts sur fonds d’épargne à taux préférentiels appelés prêts de « croissance verte » est destinée à financer les projets de nouveaux bâtiments à énergie positive. Le taux de ces prêts est très bonifié, correspondant au taux du livret A plus 0,75 %. Ce taux est donc intéressant, malgré la baisse des taux d’intérêt. Ce dispositif permettra de contribuer au programme Bâtiments publics qui constitue l’un des axes du projet de loi. Nous avons aussi créé un opérateur particulier, Exterimmo, petite filiale capitalisée à hauteur de 25 millions d’euros, qui commence ses premières opérations et intervient notamment sur les bâtiments publics. L’idée consiste à mettre à disposition des collectivités locales un ensemblier qui prenne en charge la globalité de la réhabilitation, de la conception à la réalisation des travaux en passant par leur financement.

Deuxième domaine d’intervention : la transition écologique et énergétique dans les territoires.

La Caisse des dépôts et consignations investit tout d’abord dans les énergies renouvelables, soit dans des PME soit dans des entités liées aux collectivités locales – entreprises locales de distribution ou entreprises publiques locales. Concrètement, nous investissons par une entrée minoritaire au capital de sociétés de projet. Cela représente environ 140 millions d’euros pour 2011-2013, notre priorité étant l’investissement dans les projets en faveur de la biomasse et de la géothermie, comme nous le demandent les collectivités locales. Nous sommes également présents dans la Compagnie nationale du Rhône, dont le capital est majoritairement public. La Caisse des dépôts en détient 33 % et les collectivités locales près de 17 %, tandis que GDF-Suez n’en détient que 49,97 %. Cette entreprise publique dynamique produit 25 % de l’hydroélectricité du pays et dispose d’une capacité installée de 3 000 mégawatts. Au-delà des travaux qu’elle réalise sur le Rhône, la CNR développe des projets éoliens et solaires dans toute la France.

Nous contribuons également au développement des éco-quartiers, soit par le biais de prêts dédiés sur les fonds d’épargne, soit par le biais du PIA. Pour l’heure, nos programmes ont permis d’accompagner des démonstrateurs dans dix-neuf éco-cités. Près de 300 millions d’euros de PIA ont été engagés, permettant de générer un montant global d’investissement de l’ordre de 3 milliards d’euros. Ces actions visent à réduire la consommation énergétique, à développer les réseaux intelligents et à assurer la qualité des espaces publics en y intégrant les technologies de l’information et de la communication.

De leur côté, les filiales du groupe – la SCET et Egis – accompagnent les collectivités locales dans leur politique de rénovation énergétique.

Enfin, la politique globale de la Caisse des dépôts et consignations vis-à-vis des territoires a intégré à toutes ses actions les enjeux du développement durable et de la transition énergétique. Mais le projet de loi, une fois qu’il aura été adopté par le Parlement, permettra de renforcer cette dynamique.

Troisième domaine d’intervention : le financement des infrastructures de transport et de mobilité durables.

Notre groupe finance sur fonds d’épargne presque toutes les infrastructures de transport, et en particulier de transport durable. Depuis de nombreuses années, nous avons accompagné la construction de la quasi-totalité des lignes à grande vitesse ainsi que les projets de transports fluviaux et de transports collectifs urbains. Les projets d’infrastructures durables sont désormais éligibles à l’enveloppe de 5 milliards d’euros de prêts « croissance verte » que j’évoquais tout à l’heure.

Enfin, la filiale Transdev, dont nous partageons l’actionnariat avec le groupe Veolia, est un acteur majeur auquel nous avons demandé de mettre l’accent sur l’impact en carbone des transports et auquel nous avons assigné un objectif de réduction de la dépendance à l’automobile.

Dernier domaine d’intervention : le soutien aux entreprises de la transition énergétique. Concrètement, nous soutenons la filière « transition écologique et énergétique » et développons un programme de financement des projets d’efficacité énergétique dans les entreprises industrielles. Nous recourons pour ce faire à deux canaux, à commencer par BPI France qui, en 2013, a apporté 900 millions d’euros à des opérations de financement et d’investissement en direction d’entreprises de TEE : il s’agit à la fois d’entreprises de conception et de production de produits et de services verts, et d’entreprises utilisant ces produits et services. L’encours de prêts de la BPI s’élève aujourd’hui à 2,5 milliards d’euros.

Nous avons assigné à la BPI, filiale de l’État et de la Caisse des dépôts, l’objectif de doubler les prêts aux projets de production d’énergie renouvelable, de mettre l’accent sur les aides à l’innovation et de soutenir les projets structurants de la filière. La BPI travaille également à la restructuration de la filière bois, à laquelle tout le monde réfléchit depuis de nombreuses années. Nous avons créé cette année un Fonds bois II, doté de 40 millions d’euros.

Parallèlement à la contribution de la BPI, nous avons institué le programme dit 5E pour financer l’efficacité énergétique des entreprises : ce programme de co-investissement de 30 millions d’euros en fonds propres permet de financer les projets d’efficacité énergétique des entreprises – principalement industrielles ou énergivores. Notre objectif consiste à pallier la carence des financements bancaires pour ce type d’équipements. Ce programme reste expérimental : il a été testé en 2013-2014 sur un site industriel pilote de Solvay à La Rochelle. Nous verrons s’il nous est possible de le développer sur d’autres sites en partenariat avec les entreprises.

Tels étaient les éléments que je voulais vous présenter quant à l’action globale de la Caisse des dépôts et consignations. Je souhaitais ainsi vous montrer que nous agissons dans presque tous les domaines du développement durable mais que, dans le même temps, nous avons besoin d’une vision cohérente – qui est celle sur laquelle vous travaillez.

J’en viens à présent au projet de loi proprement dit, dont je salue l’ambition. J’apellerai votre attention sur cinq points.

J’évoquerai en premier lieu les territoires à énergie positive, visés à l’article 1er. Nous avons réfléchi en amont au principe de reconnaissance des collectivités locales comme acteurs de la transition énergétique, dans une logique de territoires à énergie positive. Nous comptons pour notre part être un partenaire actif de ces projets, aux côtés des collectivités locales, de l’ADEME et des opérateurs, en leur apportant notre expertise. Nous estimons devoir intervenir de façon systémique et multiple afin d’accélérer la transition écologique et énergétique globale. Nous souhaiterions pouvoir, avec les collectivités locales qui le souhaitent, présenter des démonstrateurs en grandeur réelle sur des territoires variés. Cela nécessitera une organisation adaptée aux territoires, en lien avec les collectivités locales. En outre, cela prendra du temps car il nous faudra inventer un nouvel outil d’aménagement énergétique du territoire sur le modèle de ce qui a été inventé il y a vingt-cinq ans en matière d’aménagement urbain.

Les articles 4 et 6 ont trait aux économies d’énergie dans le secteur du bâtiment et à la rénovation thermique du patrimoine bâti. Nous souscrivons complètement au principe, énoncé à l’article 4, d’exemplarité pour tous les nouveaux bâtiments publics. Notre idée serait donc de consacrer la moitié de l’enveloppe de 5 milliards d’euros de prêts « croissance verte » évoqués précédemment, à la rénovation thermique des bâtiments publics et privés et à la construction de bâtiments publics à énergie positive. L’une de nos pistes de réflexion, une fois que nous aurons consommé cette enveloppe, consisterait à instaurer des mécanismes de déplafonnement.

Les sociétés de tiers-financement avaient été définies dans la loi ALUR ; elles devraient connaître une nouvelle avancée avec l’article 6 du projet de loi. Nous avons jusqu’ici été présents au capital de la première et unique société d’économie mixte ayant pour objet d’appliquer ce mécanisme en faveur des travaux d’efficacité énergétique : créée par la région Île-de-France, cette SEM porte le nom d’Énergie Posit’IF. Nous allons analyser les expérimentations que nous sommes en train de mener et sommes disposés à en mener d’autres avec les partenaires locaux qui le souhaitent – la meilleure manière d’avancer étant de mesurer les difficultés au fur et à mesure qu’on fera les choses. Mais ce que nous montre cette expérimentation francilienne, c’est que ce dispositif pose un problème de sécurité juridique et financière et qu’il nous faudra inventer des mécanismes de collaboration avec les réseaux bancaires. Nous ne pourrons en effet être à la fois une banque et un partenaire de banques.

Le titre III comporte beaucoup de dispositions pertinentes sur les transports propres. La CDC est déjà très présente dans le domaine des véhicules électriques et des bornes de recharge, en particulier via sa filiale Egis ; elle soutient également la politique de développement de ces véhicules, et investit, avec EDF, Renault et la CNR, dans le groupement pour l’itinérance des recharges électriques de véhicules, le GIREVE. Cela devrait permettre d’accompagner les dispositions prévues dans le projet de loi. Dans le cadre du PIA, la CDC s’engage aussi dans les programmes de déploiement de bornes de recharge au sein des éco-cités. À ce stade, le projet de loi n’évoque ni les transports publics ni le report modal – qui ne sont pas sans lien avec la transition énergétique –, pour lesquels notre filiale Transdev se mobilise.

Quatrième thème : le développement des énergies renouvelables. Le projet de loi, sur ce point, propose un doublement de la production à l’horizon 2030, dans le cadre, précise l’article 49, d’une programmation pluriannuelle de l’énergie couvrant deux périodes successives de cinq ans. Cette disposition donnera de la visibilité, condition essentielle pour les investisseurs. D’autre part, le « complément de rémunération » représente une évolution sensible du système de soutien aux énergies renouvelables – ce que tous les acteurs ne semblent pas encore avoir mesuré –, notamment en ce qu’il accroît le risque pour les porteurs de projet. La CDC s’impliquera dans ce dispositif, à un niveau qui, toutefois, dépendra du développement de la filière issue de la loi.

L’article 28, quant à lui, tend à regrouper des concessions hydroélectriques en des concessions uniques à ouvrages multiples, à l’échelle des grandes vallées, sur le modèle de la CNR, dont les ouvrages ont été construits entre 1948 et 1986. Une date d’échéance commune est donc fixée à l’échelle de ces vallées. Or, à ce stade, le texte ne prévoit aucune disposition particulière pour la CNR : c’est là un paradoxe car, pour assurer la pérennité du modèle qu’elle représente, il serait logique de prolonger la durée de sa concession. Les élus de la région Rhône-Alpes, M. Mestrallet et moi-même avons déjà alerté sur ce point, qui mériterait sans doute une disposition législative complémentaire. Dans le cas contraire, la CNR aurait la satisfaction morale de constituer un modèle pour les nouvelles entreprises, tout en voyant la durée de sa concession limitée à 59 ans en moyenne, contre 75 pour ces dernières…

Mme Battistel connaît bien le sujet des « SEM Hydro ». Dans cette réflexion, la Caisse a été un acteur en amont, avant mon arrivée à sa tête. L’article 29, tel qu’il est rédigé, nous semble correspondre à un juste équilibre.

La CDC s’engagera, selon le vœu du législateur – et sous le contrôle bienveillant du Parlement –, dans l’accompagnement de certains dispositifs ; aujourd’hui, elle assure d’ailleurs la gestion du CSPE : la loi définit son rôle pour le chèque énergie et le complément de rémunération. J’appelle votre attention sur le point suivant : la Caisse assurera le financement des dispositifs dont nous parlons, sans contribuer à leur trésorerie dans l’hypothèse où ils seraient déséquilibrés, fût-ce temporairement. L’équilibre d’ensemble exige en effet que la Caisse ne s’engage que dans la limite des fonds qu’elle gère. Il faut le préciser car la commission de surveillance, dont je sais qu’elle veille sur ce point, sera appelée à se prononcer sur la mise en œuvre des dispositifs après publication des décrets d’application.

Ce projet de loi traduit une formidable ambition pour le pays, et la Caisse des dépôts – qui n’est pas une institution financière mais une institution publique d’intérêt général chargée de missions bancaires – s’y engagera auprès des territoires.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. Je vous interrogerai plus particulièrement sur le titre V, que j’ai la charge de rapporter.

Quelle analyse faites-vous de l’ouverture aux collectivités territoriales du capital des exploitations de production d’énergie renouvelable ? Un recours aux banques publiques d’investissement régionales, qui disposent d’une réelle expertise en matière de financement vert, est-il envisageable ? Plus généralement, quelle pourrait être la place de la CDC ou des BPI dans le soutien aux projets citoyens d’investissement participatif dans la production d’énergies renouvelables ?

S’agissant du complément de rémunération, les petits producteurs d’électricité risquent d’avoir plus de difficultés à obtenir des prêts bancaires substantiels pour leurs investissements de départ. La CDC a-t-elle réfléchi à un accompagnement en ce domaine, afin de garantir la concrétisation des projets ?

Le projet de loi envisage la création de SEM pour l’hydraulique, dans le cadre du renouvellement des concessions. La Caisse sera-t-elle en mesure de s’engager avec les collectivités, dans une ou plusieurs SEM – selon les périmètres d’attribution –, au regard des nombreux autres engagements qu’elle se voit confier par le texte ?

Pour ce qui est de la CNR, rien n’est aujourd’hui arrêté. La concession regroupant dix-huit ouvrages construits au fil des années, la date de l’échéance n’est pas la même que pour le futures concessions. J’ai évoqué le problème avec la directrice générale du groupe, Mme Ayrault. Nous examinerons ce point avec attention.

M. le président François Brottes. Légiférer sur des cas particuliers pourrait exposer à un risque d’inconstitutionnalité : il faudra y veiller.

Mme Sabine Buis, rapporteure pour les titres II et IV. Merci, monsieur le directeur général, d’avoir rappelé – car cela semblait avoir échappé à certains – que la Caisse, acteur public garant de l’intérêt général, regarde le développement durable comme l’une de ses priorités, et qu’à ce titre elle peut y recentrer des financements.

De l’avis de plusieurs personnes déjà auditionnées, il n’est pas besoin de dispositifs nouveaux : le problème est plutôt que, parmi ceux qui existent, certains fonctionnent mieux que d’autres. Avez-vous identifié des freins ici ou là ? Si oui, comment y remédier ?

Les sociétés de tiers-financement peuvent combler les carences du secteur bancaire ; toutefois, vous avez laissé entendre qu’elles posent de nombreux problèmes. Quelle est la position de la Caisse sur ce point ? Avez-vous identifié d’autres problèmes que l’insécurité juridique et financière ? Avez-vous des pistes pour les résoudre ?

Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. La Caisse des dépôts a-t-elle une approche de droit commun pour ces territoires non interconnectés que sont les outre-mer ?

Pour la rénovation des logements et l’adaptation thermique, la Caisse a-t-elle des modalités d’intervention particulières ? Fondez-vous vos décisions sur des bilans thermiques, par exemple ? Disposez-vous de programmes spécifiques ?

Êtes-vous susceptible d’accompagner davantage les territoires dans les grands projets de transition énergétique – par exemple de géothermie, de barrage ou d’utilisation de la biomasse –, dont les coûts de sortie peuvent être très différents ?

M. Christophe Bouillon. Avez-vous une idée du coût de la transition énergétique, et de la part qu’y prendra globalement la CDC à travers ses différents outils ? La Caisse agira-t-elle comme un véritable levier financier ou sa part restera-t-elle relativement faible, ce qui supposera de trouver d’autres moyens de financement ?

M. Julien Aubert. Les prêts pour la croissance verte ouverts par la Caisse représentent, avez-vous dit, une enveloppe de 5 milliards d’euros ; reste que le périmètre du financement apparaît encore un peu flou. Quel effort supplémentaire ce projet de loi représente-t-il pour la CDC ?

Quel jugement la Caisse, en tant qu’actionnaire de la CNR, porte-t-elle sur la demande des électro-intensifs d’obtenir un régime spécifique d’accès à l’hydroélectricité, au même titre qu’au nucléaire ?

Enfin, j’ai cru percevoir une pointe d’inquiétude dans votre évocation du chèque énergie et de la trésorerie des projets, en cas de déséquilibre financier. De fait, le chiffrage n’est pas clair et il a donné lieu à des échanges politiques. Avez-vous une idée des risques financiers que le texte représenterait pour vous, ou de la couverture assurantielle qu’il suppose ?

Mme Cécile Duflot. Ma question concerne le tiers-financement, dont il est question dans l’article 6. La Caisse, comme vous l’avez rappelé, a participé à des projets bénéficiant de financements innovants, d’abord pour la réhabilitation de bâtiments. Si le tiers-financement est nécessaire, rappelons-le, c’est parce que le système bancaire ne s’engage pas. La rédaction actuelle du texte, limitative, ne risque-t-elle pas de bloquer le développement des projets, voire d’empêcher une expérimentation telle que la SEM francilienne ?

M. Jean-Yves Caullet. Ma première question concerne les modalités de financement des travaux d’économies d’énergie dans les bâtiments, notamment privés. Le tiers-financement repose largement sur l’idée que les économies d’énergie permettent de financer les travaux ; or il y a parfois un écart entre les économies supposées et la marge nécessaire pour investir. On peut alors faire jouer l’effet patrimonial de l’investissement, sachant que l’isolation d’un bâtiment lui confère de la valeur. Cela s’apparente en quelque sorte à ce qui se fait en matière de viager : si l’on utilise la rente ou le bouquet d’un viager pour effectuer des travaux, il va de soi que la valeur du bien s’en trouve augmentée. La Caisse relance un peu cette idée. N’y a-t-il pas matière, lors de la cession du bien, à récupérer la part complémentaire du financement non financée par les économies d’énergie dégagées ?

Les communes ont parfois des difficultés à trouver des investissements pour mobiliser le bois des forêts publiques : selon le schéma traditionnel, c’est le produit des coupes qui doit permettre le financement ; mais pour mobiliser du bois, il faut d’abord investir : la recette n’est engrangée que plus tard. La Caisse, dans ces conditions, pourrait-elle financer ces investissements, pour se faire rembourser une fois la recette perçue ?

M. le président François Brottes. J’avais moi-même évoqué auprès de votre prédécesseur, monsieur le directeur général, l’idée de récupérer le capital investi au moment de la mutation : c’est une possibilité pour un portage de long terme – moyennant quelques frais financiers –, mais le problème est que l’on ne connaît pas forcément l’échéance de la mutation, laquelle peut au demeurant intervenir pour d’autres raisons que le décès. La spoliation est par ailleurs peu probable puisque le bien, quelles que soient les fluctuations du marché, aura pris de la valeur. L’avantage serait d’offrir une solution aux propriétaires modestes, qui profiteraient de surcroît du confort apporté par la rénovation. Cela aurait un effet de levier considérable en termes de croissance verte, d’autant que l’investisseur pourrait être assujetti à une prescription intelligente, à un suivi des travaux par exemple, afin d’éviter de faire n’importe quoi. L’idée, assez iconoclaste à l’origine, commence à faire consensus ; on peut donc s’attendre à ce qu’elle débouche sur des propositions « musclées »…

M. Pierre-René Lemas. Par définition, on ne connaîtra le surcroît d’engagements financiers pour la Caisse qu’une fois le texte voté. L’enveloppe de 20 milliards dont je parlais a été ouverte en juillet 2013, et celle de 5 milliards dévolue à la croissance verte est plus récente encore. Il s’agit bien de moyens nouveaux dégagés sur les fonds d’épargne. Je n’ai pas fait l’addition des coûts exposés par l’ensemble des filiales de la Caisse contribuant au financement de la transition énergétique : ils sont très hétérogènes, et la nature des instruments n’est pas la même. L’une des vertus de la loi sera de regrouper ces outils au service des axes définis par le législateur. Beaucoup de projets étant au stade expérimental, il est difficile d’en tirer des enseignements à l’heure qu’il est et de dire avec certitude ce qui marche mieux, et ce qui marche moins bien.

Notre filiale Exterimmo, dévolue aux opérations de rénovation thermique des bâtiments publics, me semble un outil prometteur : elle négocie avec les partenaires et réalise le montage financier et juridique, afin de livrer un produit clé en main à la collectivité, pour qui elle est donc l’opérateur unique. Pour de telles opérations, les collectivités font souvent preuve d’une frilosité légitime, au regard de la capacité des partenaires à les accompagner dans la durée : il s’agit en effet de récupérer, à terme, des économies générées par des investissements immédiats. Les banques y sont souvent réticentes ; l’intervention de la Caisse permet donc d’assurer un climat de confiance. Sur le papier, et au vu de l’unique expérience réalisée à ce jour, les choses fonctionnent ; mais il n’existe pas, je le répète, de réel bilan à ce stade.

J’ai demandé à CDC Climat une évaluation des flux financiers liés au changement climatique. Ce travail, que je tiens à votre disposition, est en cours ; ses résultats, qui doivent recevoir une validation scientifique – et que je vous soumets donc avec les réserves d’usage –, font apparaître que les investissements climatiques se seraient montés en France, depuis deux ans, à quelque 20 milliards d’euros, pour des besoins qui atteindraient environ le double. Dans ce cadre, la capacité d’intervention de la Caisse me semble importante. Un prêt sur quarante ans à un taux de 0,75 %, par exemple, est assurément de nature à générer des effets de levier, autrement plus qu’un prêt ordinaire. Ceux-ci peuvent aussi être induits par l’apport de fonds propres – de la CDC, d’une de ses filiales ou de la BEI le cas échéant – susceptibles de mobiliser des investisseurs privés, lesquels se déterminent en fonction du taux de rentabilité interne (TRI), mais aussi des garanties offertes par le projet : la Caisse, de ce point de vue, représente un tiers de confiance crédible – et je veux croire qu’elle le restera toujours.

Ces deux types de levier permettent la création de multiples outils ; à vrai dire, j’ai même tendance à penser que nous en avons presque trop depuis quelques années. Regrouper nos filiales permettrait une meilleure lisibilité – et des économies d’échelle, bien entendu –, même si je rends hommage aux équipes qui y travaillent depuis longtemps.

Sur le tiers-financement, beaucoup de choses ont été dites. J’ai même entendu que la CDC désapprouverait le financement des travaux par les SEM des collectivités. C’est tout le contraire : nous y sommes résolument favorables et de ce point de vue, le projet de loi nous convient tout à fait – il pourrait même aller plus loin. Depuis 2010, et de façon accrue en 2012, la Caisse mène une réflexion sur le tiers-financement. Celui-ci, il est vrai, soulève des questions difficiles qui, on l’a rappelé lors de la Conférence bancaire et financière de la transition énergétique, tiennent à la sécurité juridique et financière. Une SEM, par exemple, peut-elle être financeur ? Non, ou en tout cas pas directement, répond le Conseil d’État. Si un outil joue à la fois un rôle de conseil et de financeur, quelle est sa nature juridique ? S’il est financier, il doit être reconnu comme tel, au sens bancaire du terme. À moins d’imaginer un statut nouveau, on passerait donc un temps infini à créer des « sortes de » banques.

Par souci d’opérationnalité, nous penchons pour des établissements ensembliers qui soient concepteurs, conseils et maîtres d’ouvrage, et qui eux-mêmes noueraient des liens contractuels avec les banques afin d’apporter un service global aux collectivités. Le dispositif du tiers-financement ne va pas de soi, mais je pense que c’est la bonne voie. Sa première vertu est celle du guichet unique ; la seconde est de constituer un lieu qui réunit ingénierie publique, administrative, juridique et financière, autrement dit une réponse d’ensemblier, ce qui rejoint ce qui fait la vocation même de la Caisse depuis la nuit des temps. Un tel système présente aussi un avantage pour les acteurs financiers, qui ont tout intérêt à travailler directement avec la Caisse plutôt qu’avec des sociétés de services, des collectivités ou des porteurs de projet.

De ce point de vue, le projet de loi nous semble aller dans la bonne voie, même s’il faudra peut-être aller plus loin le moment venu. La situation est un peu comparable à celle du microcrédit, qui requiert un opérateur spécialisé, un tiers de confiance qui soit ensemblier et des opérateurs de marché qui se trouvent ainsi rassurés. C’est dans cet esprit que nous avons créé Exterimmo, et que nous sommes prêts à participer à des SEM locales.

Le projet de loi nous semble tout à fait pertinent sur les « SEM Hydro », dans lesquels la Caisse jouera tout son rôle, en intervenant au cas par cas ; le seul fait d’évoquer une participation publique nous a d’ailleurs fait comprendre, de façon subliminale, qu’elle serait amplement sollicitée… Si les acteurs le souhaitent, elle interviendra aussi pour l’ingénierie en amont. En tout état de cause, compte tenu de la procédure législative, nous sommes dans des calendriers longs.

Reste le problème, réel, des petits producteurs : il faudra y apporter des éléments de réponse. J’ai d’ores et déjà demandé à la Banque publique d’investissement de réfléchir à des systèmes de garantie ; d’ici au vote du projet de loi, il y aura sans doute des pistes en ce sens. C’est là une nécessité pour ouvrir pleinement le marché aux petits producteurs.

Je n’ai pas d’inquiétude particulière sur la trésorerie, monsieur Aubert : j’appelle seulement l’attention sur le fait que le dispositif, dans son organisation, ne doit pas comporter de risque à cet égard. Jusqu’à présent les choses fonctionnent bien : il n’y a pas de raison que cela change.

Aujourd’hui, madame Bareigts, c’est le droit commun qui s’applique dans les outre-mer. Ayant travaillé pendant plusieurs années au ministère qui leur est dédié, je connais cependant les dispositifs pertinents qui peuvent s’y appliquer. Dans cet esprit, j’ai demandé à la direction des fonds d’épargne de mener des analyses sur la situation thermique propre aux outre-mer ; la prise en compte de leur spécificité relève, pour ainsi dire, de la réglementation interne des fonds d’épargne : elle est nécessaire pour ne pas être en porte-à-faux, notamment quant à l’évaluation de la déperdition énergétique – qui peut être très coûteuse dès lors qu’il s’agit de climatisation. Le bilan thermique ne peut être calqué sur celui de l’Hexagone, quand bien même le résultat moyen final est souvent le même.

S’agissant des sociétés d’économie mixte et des sociétés d’exploitation, nos deux grands domaines d’intervention sont la biomasse et la géothermie. La Caisse a ainsi accompagné la communauté urbaine de Metz dans la modernisation d’un outil dédié à la géothermie, afin d’utiliser la biomasse pour le chauffage urbain, dont le coût s’est ainsi vu réduit. Bien sûr, comme le suggérait M. Caullet, la gestion des coûts se fait dans la durée : c’est précisément le sens de l’intervention de la Caisse, même si elle ne saurait agir seule.

Nous venons par ailleurs d’annoncer la création d’un fonds viager, baptisé « Certivia ». Le marché du viager est quasi inexistant en France ; cela tient à des raisons économiques et financières, mais aussi psychologiques puisque le terme intervient au décès : il y a un petit côté Balzac, avec ces termes de droit romain – le « bouquet », la « rente » – qui fleurent bon le XIXe siècle… Ce à quoi s’ajoute le problème des héritiers : lorsqu’on a peu de revenus, mais que l’on a un bien, on est d’autant plus attaché à le transmettre à ses enfants ou petits-enfants. L’idée, en l’occurrence, est de vendre le bien à un panel d’investisseurs de confiance, parmi lesquels la Caisse des dépôts, acteur public reconnu, en contrepartie de quoi le vendeur perçoit le bouquet et la rente tout en n’étant plus assujetti, détail non négligeable, à la fiscalité afférente à la propriété. La population visée est potentiellement très nombreuse, et le système est également assorti de garanties : le conjoint survivant bénéficiera de la même rente, et en cas de départ en maison de retraite, cette rente se verra même majorée. L’engagement de la Caisse se justifie par la logique sociale du dispositif, mis en œuvre, pour l’heure, à titre expérimental en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Île-de-France.

À terme, le fonds, qui n’a évidemment pas vocation à gérer indéfiniment ces biens, les revendra. Dans le viager classique, le vendeur peut réaliser des travaux pour rendre le bien habitable – encore se limite-t-il le plus souvent au minimum. Mais si des acquéreurs publics réalisent eux-mêmes ces travaux – avec notamment une rénovation thermique – avant la remise sur le marché, ils auront créé de la valeur qui se répercutera sur le prix de vente final ; de sorte que l’on peut en effet imaginer de récupérer le produit de cette valeur au moment de la cession du bien. L’obstacle psychologique, pour un tel dispositif, est de même nature que celui du viager classique ; les vendeurs doivent donc bénéficier de garanties afin de ne pas éprouver un sentiment de dépossession. La Caisse est disposée à travailler dans cette direction.

En plus de ces garanties et de cette confiance, il est bien légitime que les personnes âgées veuillent transmettre le bien à leurs descendants. Dans cette optique, le contrat-type de notre fonds viager comporte une clause selon laquelle le vendeur a la possibilité de désigner un acquéreur privilégié au moment du décès. Reste qu’au-delà de son aspect juridique, le sujet est bien entendu affectif et psychologique ; et dans ce domaine, « l’affect » a probablement autant d’importance que le rendement à moyen terme de l’actif immobilier…

M. le président François Brottes. Merci, monsieur le directeur général, de nous avoir montré à quel point la Caisse est mobilisée dans la transition énergétique et la croissance verte.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du jeudi 11 septembre 2014 à 17 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Cécile Duflot, M. Jean Launay, M. Alain Leboeuf, M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Frédérique Massat, M. Philippe Plisson, Mme Émilienne Poumirol, M. Patrice Prat, Mme Béatrice Santais, M. Stéphane Travert, Mme Catherine Troallic

Excusés. - M. Patrice Martin-Lalande, M. Rémi Pauvros