Accueil > Travaux en commission > Energie : transition énergétique pour la croissance verte > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Mardi 16 septembre 2014

Séance de 21 heures 30

Compte rendu n° 10

Présidence de M. François Brottes Président

– Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Guillaume de Bodard, président de la Commission environnement et développement durable de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), M. Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

M. le président François Brottes. Nous poursuivons nos auditions en accueillant les représentants des opérateurs économiques et industriels directement concernés par le problème de l’énergie. Je relève que certaines organisations, parce qu’elles rassemblent à la fois des marchands et des acheteurs, sont vouées à une sorte de schizophrénie, ce qui explique qu’elles aient parfois du mal à exprimer une position consensuelle.

M. Michel Guilbaud, directeur général du MEDEF. Il me semble que cette schizophrénie s’efface quand il s’agit de chercher la bonne voie pour l’économie française.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est un texte majeur, que nous abordons de manière résolument positive, car nous assumons, sur le plan industriel et économique, la nécessité de la transition. Celle-ci est attendue tant par nos concitoyens que par les entreprises, pour lesquelles elle constituera un facteur de développement et d’investissement. Lors de son université d’été, le MEDEF l’a d’ailleurs intégrée à la liste des grands défis que l’économie française devra relever à l’horizon de 2020.

Ces dernières années, le paysage mondial de l’énergie, facteur clé de compétitivité, de croissance et d’emploi, a été bouleversé. On a vu apparaître de nouveaux enjeux, comme l’efficacité énergétique, les villes durables, la mobilité dans un monde aux ressources limitées ou l’adaptation au changement climatique. Nous assistons en même temps à la transition énergétique allemande, à la révolution énergétique aux États-Unis et à l’exploration et à l’exploitation des gaz et huiles non conventionnels. Ces évolutions modifient profondément le scénario énergétique et industriel des grandes puissances.

La France a longtemps bénéficié d’une relative indépendance énergétique et d’un prix de l’énergie particulièrement compétitif, mais cet avantage relatif tend à se réduire pour les industriels. Les politiques énergétiques de nos partenaires, notamment de l’Allemagne, intègrent un volet de protection de l’industrie. Les Allemands ont pris des mesures qui ont réduit de 20 % le prix effectif de l’électricité pour ses industriels fortement consommateurs, rapporté à celui que paient leurs homologues français. L’écart pourrait atteindre 25 % en 2014.

Le moment est venu pour la France de partager une vision positive de l’énergie, qui lui permettra d’aller vers une économie durablement compétitive. Le projet de loi est une opportunité de diversifier notre mix énergétique en développant les énergies renouvelables, ce qui améliorera notre efficacité énergétique et sécurisera notre approvisionnement.

La France possède des atouts, au premier rang desquels figurent ses champions de l’énergie : producteurs, fournisseurs, acteurs de l’efficacité énergétique, opérateurs de réseaux, industries consommatrices, fournisseurs de solutions dans l’industrie, le bâtiment et les transports. Le MEDEF est garant de leur capacité de dialoguer ensemble afin de trouver des solutions.

Nous souhaitons que le projet de loi permette aux entreprises d’exprimer leur dynamisme et leur créativité dans tous les domaines de la recherche et de l’innovation, et de s’appuyer sur leur expertise. La transition doit s’appuyer sur le patrimoine que constituent le réseau électrique et son parc nucléaire et hydroélectrique faiblement émetteur de gaz à effet de serre (GES), le réseau de gaz, les infrastructures d’approvisionnement et de production de produits pétroliers, le patrimoine des collectivités et les ressources réparties sur le territoire.

La transition, qui engagera des dizaines de milliards d’euros d’investissement, doit s’inscrire dans la durée. Pour réussir le changement, il faut le préparer, en prévoyant une allocation optimale des moyens en fonction de nos marges de manœuvre financières, budgétaires et surtout économiques, puisqu’on ignore ce que sera notre taux de croissance dans les prochaines années. Certaines actions en matière de transition énergétique – par exemple les gains d’efficacité – nécessitent de la croissance économique, que d’autres permettront de doper.

Le débat sur la transition énergétique, dans lequel le MEDEF s’est fortement impliqué, a été long et difficile, mais les échanges passionnés, parfois clivants, ont toujours été respectueux.

Nous nous félicitons que le projet de loi ait retenu plusieurs de nos priorités.

Il était essentiel de reconnaître la compétitivité comme un objectif structurant de la transition énergétique. Les objectifs généraux mentionnent la mobilisation de toutes les filières industrielles et pas seulement celles de la croissance verte. L’essentiel est non de développer une filière verte, mais de verdir l’ensemble de l’économie, ce qui suppose d’étudier la manière dont chaque filière industrielle peut contribuer à la transition écologique et énergétique.

Cette insistance sur la compétitivité, qui n’était même pas mentionnée dans les premiers travaux, est un sujet de satisfaction pour le MEDEF. Nous saluons le travail accompli par le groupe compétitivité coprésidé par Denis Baupin, rapporteur du texte, et le dialogue très constructif qu’il a mené avec un représentant des entreprises.

Nous nous réjouissons, en deuxième lieu, que le texte ait l’ambition de conforter l’excellente position de la France en matière de lutte contre le changement climatique. Les entreprises souhaitent s’impliquer dans la préparation de la conférence Paris Climat COP21, qui se tiendra à Paris en décembre 2015.

Nous nous félicitons que des objectifs soient annoncés avec suffisamment d’avance pour offrir une visibilité aux acteurs économiques.

Nous apprécions le pragmatisme dont témoignent l’introduction d’un nouvel outil de programmation des investissements énergétiques et l’examen périodique, au vu de la situation économique, de l’atteinte des objectifs. Ces mesures sont précieuses, car nous travaillons sur le long terme dans un contexte incertain.

La mise en avant du rôle de l’efficacité énergétique dans le bâtiment est un autre acquis du texte, qui mise sur l’efficacité passive pour accélérer l’effort de rénovation. Il faudra compléter cette avancée en favorisant aussi l’efficacité active.

Le texte rapproche heureusement les mécanismes de financement des énergies renouvelables (EnR) d’une logique de marché, ce qui améliorera le rapport coût/efficacité, même si cette évolution n’exclut pas un soutien mutualisé aux EnR.

Le texte simplifie à bon escient les procédures en matière d’énergies renouvelables et d’infrastructures. Il affirme enfin le rôle majeur de la recherche et de l’innovation dans la politique énergétique.

En dépit de ces avancées, les entreprises conservent des attentes fortes et des sujets de préoccupation.

Tout d’abord, le texte met la compétitivité au rang des principes, sans la décliner sur le plan opérationnel. Le mot devrait figurer dans les objectifs du projet ainsi que dans l’intitulé du titre I. D’autre part, l’article 1er pourrait mentionner, à côté des objectifs énergétiques et climatiques – réduction des émissions, efficacité énergétique –, des objectifs liés à la compétitivité, comme celui de fournir de l’énergie à des prix en rapport avec la concurrence internationale.

Au titre VII, les articles 43 et 44, qui traitent des électro-intensifs, portent essentiellement sur le tarif de réseau. Dès lors que nos concurrents utilisent d’autres atouts, il faut compléter ces mesures, notamment par des dispositions sur les gazo-intensifs.

Au titre VIII, l’article 49 porte sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui comprend quatre volets : sécurité d’approvisionnement, efficacité énergétique, EnR, réseaux. Il faut en ajouter un autre : la préservation de la compétitivité des prix de l’énergie pour les consommateurs, particulièrement les entreprises exposées à la concurrence internationale. On doit construire un véritable outil de pilotage économique qui s’appuie sur des scénarios robustes, si l’on veut garantir la cohérence des objectifs et des trajectoires avec la conjoncture économique, les ressources mobilisables et le contexte européen et international. Ce pilotage permettra de choisir les meilleures solutions en fonction de leur rapport coût efficacité. Nous formulerons des propositions en ce sens.

D’autre part, si nous prenons acte des objectifs énergétiques et climatiques fixés par l’article 1er, nous regrettons que leur multiplicité rende le pilotage complexe et la visibilité incertaine. Le texte met sur le même plan des objectifs réels, comme la baisse des émissions de GES – qui devrait être au cœur du dispositif –, et des objectifs de moyens, comme la composition du mix énergétique ou la baisse de la consommation. La réduction des émissions doit être conditionnée en 2015 par un accord climatique international contraignant. Nous appuierons les efforts de notre pays en ce sens, sachant qu’une action française et européenne qui ne serait pas suivie par les autres puissances ferait courir un risque important à nos entreprises.

Troisièmement, l’efficacité énergétique doit être encouragée dans une approche globale. Dans le titre II, il faut inclure à l’article 5 des technologies d’efficacité énergétique actives, comme le pilotage des consommations et le numérique, ainsi que la dimension humaine du pilotage.

Quatrièmement, il faut compléter les dispositions relatives à la gouvernance. Au titre VIII, on doit élargir l’importance que l’article 53 accorde à la recherche et développement (R&D), et lever l’interdiction de la recherche et de l’exploration de toutes les formes d’énergie, en particulier des ressources énergétiques non conventionnelles. Une dynamique d’innovation n’est pas incompatible avec le respect du principe de précaution.

Au titre VIII, l’article 56 doit encourager la dynamique des territoires à énergie positive, tout en respectant le principe de la solidarité nationale. Le système électrique s’est construit dans une cohérence nationale fondée sur la mutualisation, garante de l’équilibre du système. Veillons à ce que les initiatives locales ne remettent pas cette organisation en cause.

De manière générale, les instances qui seront mises en place, notamment par voie réglementaire, devront donner leur place aux entreprises.

Cinquièmement, l’étude d’impact doit être renforcée sur le plan économique. Elle doit évaluer l’effet des mesures sur le prix de l’énergie, donc sur l’activité des consommateurs d’énergie, sur leur compétitivité intra- et extra-européenne, sur les enjeux industriels et sur l’emploi.

M. Guillaume de Bodard, président de la commission environnement et développement durable de la CGPME. La CGPME est une organisation patronale interprofessionnelle qui représente les TPE et les PME, c’est-à-dire des entreprises qui emploient moins de 250 salariés. Celles-ci sont essentiellement familiales et patrimoniales. La France compte 3 millions d’entreprises, dont 5 000 emploient plus de 250 salariés et 2,8 millions moins de 9 salariés.

Comme le MEDEF, la CGPME a participé activement aux débats difficiles mais fructueux qui ont permis d’établir une synthèse des propositions. Le projet de loi, qui en reprend la plupart, est un texte équilibré dans lequel les parties peuvent se retrouver, pourvu que les objectifs soient réalisables et leur coût économique acceptable.

Nous éprouvons toutefois quelques regrets. Les TPE-PME, sans lesquelles on ne peut réussir la transition énergétique, apparaissent trop peu dans le projet de loi.

Celui-ci se concentre sur l’efficacité passive, alors qu’il existe en France beaucoup d’innovations en matière d’efficacité active, par exemple grâce aux réseaux intelligents (smart grids).

Le projet de loi traite de l’économie circulaire, alors que la Conférence environnementale de l’automne 2013 n’avait pas conclu à la nécessité de prendre de dispositions législatives dans ce domaine.

La formation, sujet consensuel, dont l’urgence est reconnue par tous, n’apparaît pas assez dans le texte. Nous avions observé le même travers en 2007 dans le Grenelle de l’environnement.

Le projet de loi prévoit de multiples recours aux ordonnances sur des sujets très importants, ce qui risque de priver les entreprises d’une vision précise.

Nous souhaitons que le texte respecte certains principes. Il doit dessiner une trajectoire claire afin de porter la transition énergétique dans toutes ses composantes : efficacité énergétique, mix énergétique équilibré, grâce au développement des EnR, financements adaptés, réseaux de distribution, développement de la R&D comme de la formation. Nous sommes très attachés à ce que les objectifs soient réalistes et non idéologiques, de même que nous tenons à l’indépendance énergétique, à la stabilité des prix et à la garantie de la compétitivité des entreprises, en particulier des TPE et des PME. Ces éléments constitutifs d’une trajectoire claire et définie sont arrivés tardivement dans le débat, alors qu’il faut fixer des orientations stratégiques, qui doivent s’inscrire dans une politique européenne de l’énergie. Enfin, nous regrettons que de nombreux objectifs du texte ne semblent guère réalistes.

Le deuxième principe auquel nous sommes attachés est la compétitivité. Les entreprises françaises disposent d’un avantage concurrentiel important par rapport à leurs voisins européens et internationaux : le prix de l’énergie. Le sujet est stratégique pour les TPE-PME, dont les marges ont baissé de 20 % à 30 % en France entre 2000 et 2011, tandis qu’elles progressaient de 7 % en Allemagne pendant la même période. Dans notre pays, 63 000 entreprises déposent le bilan chaque année. Nombreuses sont celles qui connaissent la précarité énergétique, par exemple dans le secteur de la logistique des transports ou de l’hôtellerie. Il faut donner aux entreprises une visibilité à long terme, se doter des outils nécessaires pour mesurer les conséquences de la transition énergétique et retenir l’innovation comme un axe prioritaire de cette transition et de son financement.

Le troisième principe est d’agir sur la demande, en favorisant l’efficacité énergétique plus que la sobriété, qui risquerait d’entraîner une croissance zéro, voire une décroissance. Si nous ne croyons guère à la possibilité de diviser par deux la consommation finale, objectif qui n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact sérieuse, une meilleure efficacité énergétique permettrait de réduire la consommation en conservant le niveau de confort actuel.

J’en viens à quelques points du projet de loi. La CGPME est globalement favorable au titre II, notamment aux dispositions qui permettent les travaux de rénovation aux moments-clés de la vie du bâtiment, à condition qu’elles soient bien encadrées. Deux questions nous préoccupent toutefois.

La première est la cohabitation de deux réglementations. Le Grenelle 2 oblige les entreprises à réduire de 38 % leur consommation énergétique avant 2020 dans le tertiaire existant, ce qui pose des difficultés majeures de mise en œuvre. Pourtant, le décret d’application de cette mesure n’est toujours pas disponible. On pourrait profiter du projet de loi pour supprimer cette disposition et permettre le déploiement du dispositif d’étude préalable.

La seconde question concerne l’étude de faisabilité, qui devrait jouer un rôle incitatif sans créer d’obligation aux chefs d’entreprise.

Le transport a fait d’énormes progrès en termes de réduction des GES, mais, dans ce secteur, les marges des entreprises sont faibles. Au lieu de privilégier le tout-électrique, comme le fait le projet de loi, la CGPME propose de favoriser également d’autres technologies, comme les biocarburants ou l’hydrogène. Le texte oblige les grandes entreprises de la distribution à mettre en place un programme d’action pour réduire l’émission de GES, mais à quoi bon stigmatiser une profession qui risque de reporter ses obligations sur les entreprises sous-traitantes, notamment les transporteurs ?

Nous ne croyons pas que, dès 2020, on puisse réduire de 30 % par rapport à 2010 la quantité de déchets non dangereux non inertes admis en installation de stockage. La CGPME propose d’établir des seuils annuels permettant d’anticiper la progression et d’ajuster les objectifs. Elle rappelle qu’il est important de poursuivre la lutte contre les sites illégaux de tri et de traitement des déchets, nos entreprises ne pouvant pas lutter contre des concurrents qui s’affranchissent de toute contrainte. Il faut aussi rappeler que le développement du recyclage est conditionné par l’existence de débouchés et d’un marché aval pour les matières issues des déchets. Dans le cadre des filières de responsabilité élargie du producteur (REP), qui instaurent la proximité dans la gestion des déchets, les cahiers des charges des éco-organismes doivent mettre en place des incitations proportionnées à la poursuite d’un intérêt général. Mais le principe de proximité ne doit pas faire oublier les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans certains cas, il n’est ni possible ni rentable d’obliger les entreprises à retraiter des déchets sur le territoire français.

Enfin, le projet de loi reprend assez fidèlement les débats sur les EnR, qui se sont tenus au sein du groupe de travail. La CGPME propose de développer l’ensemble des EnR et non pas simplement le photovoltaïque. Il est favorable au développement industriel et territorialisé des filières EnR pour les TPE-PME, à l’instauration d’un cadre ne déstabilisant pas la filière – évitons de reproduire l’épisode malheureux du moratoire photovoltaïque – et à la simplification de la réglementation et des démarches administratives obligatoires pour la mise en œuvre des projets d’EnR. Le projet de loi semble avoir bien repris ces propositions.

M. le président François Brottes. Il ne nous a pas échappé que vous proposiez d’amender non seulement le projet de loi, mais la législation en vigueur.

M. Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l’UNIDEN. Les membres de l’UNIDEN consomment plus de 70 % de l’énergie industrielle, qu’il s’agisse d’électricité ou de gaz. Ils sont réunis sur plus de 700 sites industriels en France, emploient plus de 300 000 personnes et composent un tissu économique complexe souvent très localisé. Présents dans l’agroalimentaire, l’automobile, la chimie, les ciments et les chaux, l’électronique, les métaux, le papier et le verre, ils savent que la maîtrise des coûts énergétiques est un facteur essentiel de compétitivité en France, en Europe et dans le monde.

L’objectif de l’industrie à forte consommation d’énergie (energy intensive), où l’énergie représente 10 % à 25 % du prix du produit, est de réduire non le prix du mégawattheure, mais celui de l’énergie en euro par tonne de produits finis. Pour cela, il faut non seulement accéder à une énergie compétitive, mais être efficace énergétiquement. En l’absence de rupture technologique, l’industrie parvient, par des progrès lents et réguliers, à gagner en efficacité. Un rapport récent du Conseil économique pour le développement durable montre que la quantité d’énergie dépensée par tonne de produits finis baisse de manière progressive et significative. Entre 2001 et 2012, elle a diminué de 21 % dans la chimie et de 10 % dans la sidérurgie.

L’industrie française dispose des meilleures technologies et les met en œuvre partout où c’est possible. Reste que les projets mobilisent d’importants moyens financiers. En outre, plus une installation est efficace, plus l’amélioration marginale est chère, rapportée à l’économie d’énergie qu’elle génère. C’est pourquoi, surtout en période de crise économique, il faut soutenir l’amélioration de l’efficacité énergétique.

Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) évalue à 35 %, en France, la réduction de l’émission de GES entre 1990 et 2012. Ce résultat est imputable à certaines améliorations, mais aussi à la désindustrialisation. Or, quand la production quitte notre pays, qui recherche l’efficacité énergétique et utilise une énergie peu carbonée, c’est pour s’effectuer ailleurs dans des conditions écologiques moins favorables. Le maintien d’une activité industrielle en France permet de conserver sur le territoire un volume de R&D qui aide à réaliser des progrès continus ou à préparer une rupture technologique.

Il faut mettre l’accent sur l’énergie industrielle, qui est consommée principalement en base et permet une certaine flexibilité. Parce qu’elle évite la production d’électricité destinée à compenser la fluctuation des énergies renouvelables, elle joue un rôle positif en termes d’émission de GES.

Dès lors que la promotion de l’industrie française permet l’amélioration de l’intensité énergétique, le maintien de la R&D sur le territoire et la consommation en base et de manière flexible, elle contribue à lutter contre le réchauffement climatique. La réduction des émissions de gaz carbonique doit être pensée à l’échelle mondiale. Restaurer la compétitivité des industries à forte consommation énergétique répond à la fois à une obligation économique et à un impératif écologique.

Depuis 2003, nous répétons, chiffres à l’appui, qu’il faut améliorer le coût complet de l’électricité en France. L’Amérique du Nord se tourne vers le gaz de schiste et prolonge la durée de vie de ses centrales jusqu’à soixante ans. En Russie, les industriels paient le gaz à prix coûtant et perçoivent des subventions pour décentraliser la production. Les pays du golfe Persique optent pour un offshoring de la rente pétrogazière et tentent de développer des industries en aval. Dans tous ces grands pays industriels, l’énergie – qu’il s’agisse de l’électricité ou du gaz – est près de deux fois moins chère qu’en Europe.

Plus près de nous, les écarts de coût se développent entre les pays. Par rapport à leurs rivaux allemands, les grands consommateurs français sont défavorisés de près de 30 % sur tous les postes de leur facture d’électricité. L’an prochain, les Allemands se fourniront à 6 euros de moins que nous par mégawattheure, tout en bénéficiant d’une exonération sur le transport. Nous nous félicitons cependant qu’un premier pas ait été fait en France afin de faire baisser le coût du transport pour les électro-intensifs et que le projet de loi pérennise cette mesure. Même si nous concevons quelques inquiétudes sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE), les taxes se situent au même niveau en France et en Allemagne. En ce qui concerne la gestion de la demande, autrement dit de l’interruptibilité, les mesures prévues vont dans le bon sens, bien qu’elles soient trop peu nombreuses et trop peu efficaces : on parle de quelques centaines de mégawatts en France, mais de quelques milliers en Allemagne. En outre, l’Allemagne répercute dans le prix de l’électricité dont bénéficient ses entreprises la compensation de l’émission de gaz carbonique, que la France affecte à la rénovation de l’habitat.

Quand on additionne chacun de ces éléments, un électro-intensif allemand peut coûter une trentaine d’euros par MWh quand il est impossible pour un électro-intensif français de coûter moins de 40 euros par MWh. On constate donc un écart supérieur à 30 %. Outre l’Allemagne, l’Espagne se révèle beaucoup plus compétitive que la France ; or il s’agit des deux pays avec lesquels nous partageons les plus longues frontières. De nombreux progrès ont été réalisés, de nouvelles idées ont été avancées – l’interruptibilité, la réduction des transports –, mais nous devons faire plus et plus vite.

En ce qui concerne le gaz naturel, si le Nord de la France paye un prix comparable à celui des pays du Nord-Ouest de l’Europe, il faut savoir que le Sud de la France paie 4 euros plus cher. Il existe une véritable ligne de démarcation : une entreprise qui se trouve du mauvais côté de la frontière gazière française paie 20 % plus cher que sa voisine installée du bon côté. Cette situation coûte globalement plus de 100 millions d’euros aux gazo-intensifs. Or, dans le Sud de la France, se trouvent des entreprises relevant de différents secteurs sensibles : chimie, pétrochimie, sidérurgie, métallurgie, des raffineries également…

Aussi, pour que cette transition énergétique soit une transition pour une industrie compétitive sur le long terme, nous proposons des mesures simples, concrètes et réalistes, déjà appliquées dans d’autres pays.

Pour ce qui concerne l’électricité, notre première proposition consiste à permettre aux industriels électro-intensifs d’investir dans des capacités de production électrique, nucléaire ou hydraulique – la réouverture des concessions hydrauliques est prévue par la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité), mais reste un enjeu important pour les collectivités, l’État et les industriels.

La deuxième proposition vise à élargir le champ d’application du rabais sur les prix du transport électrique. Nous nous félicitons que le texte reprenne cette idée qu’il vise à pérenniser dans un cadre légal fort.

Troisièmement, nous voulons rémunérer les effacements industriels à leur vraie valeur, car ils rendent un double service : économique pour le réseau et environnemental grâce à la limitation d’émissions de dioxyde de carbone qu’ils permettent. Mais il faut aller plus loin et plus vite que la loi NOME. En effet, la France, qui connaît des pointes de consommation électrique démentielles, est le pays dont l’intensité thermique est la plus grande : l’hiver, quand les gens allument leur chauffage électrique, la consommation explose. Cette aberration constitue un surcoût notable pour l’ensemble du système. Les industriels sont donc susceptibles d’apporter un vrai service en en diminuant l’impact.

Ensuite, il faut veiller à ce que les industriels ne soient pas affectés par le développement des énergies renouvelables – intermittentes – qui ont leur intérêt et leur valeur propres, mais qui ne permettent en aucun cas de faire tourner une usine. Les moyens de production renouvelables, éoliens ou photovoltaïques, et dont la CSPE tient forcément compte, ne doivent pas être répercutés sur les entreprises qui ne bénéficient pas de cette électricité-là.

Enfin, en ce qui concerne l’évolution de la fiscalité de l’énergie, nous devons prendre en considération la sauvegarde de l’industrie et des emplois. La redéfinition de la CSPE dans le cadre de l’application des nouvelles règles européennes sur la taxation pourrait conduire à une contribution beaucoup plus importante des industriels, représentant un surcoût éventuel de plusieurs centaines de millions d’euros.

Tout le monde connaît la révolution du gaz de schiste en Amérique du Nord. Je vous invite à lire le rapport de l’Institut Montaigne, que les uns jugeront trop audacieux, les autres trop timide, mais qui a le mérite de poser les bonnes questions. Avant de décider s’il faut exploiter ou non le gaz de schiste, encore faut-il savoir si nous en avons. N’étant pas géologue, je ne suis pas à même de répondre. Reste que, dans le secteur de l’industrie chimique et pétrochimique, des investissements majeurs sont réalisés aux États-Unis, et pas en Europe. La compétitivité à court terme de certaines industries chimiques et pétrochimiques en France et en Europe est remise en question par l’arrivée, en Amérique du Nord, de toutes ces nouvelles unités grâce à un gaz très peu cher.

Pour les industriels du Sud de la France, la situation liée au différentiel Nord-Sud est insupportable. Le statut de gazo-intensif adopté par le Parlement – il s’agit d’une mesure que nous saluons – donne aux industriels concernés accès à la capacité Nord-Sud à un prix préférentiel. Toutefois, même pour les gazo-intensifs, le problème n’est résolu qu’à moitié : ils n’ont accès qu’à 50 % des besoins et on ne peut faire tourner une usine à 50 % de ses capacités.

Nous avons quatre demandes assez claires concernant le gaz. Nous proposons d’abord que tous les sites gazo-intensifs du Sud de la France soient rattachés à la zone Nord pour qu’ils aient accès à un prix normal. Cette mesure est techniquement facile à mettre en œuvre.

Ensuite, nous souhaitons l’application de mesures permettant de réduire le coût complet de l’accès au gaz. Il s’agirait de redistribuer le fruit des enchères Nord-Sud en faveur des gazo-intensifs. Le prix de transport du gaz pourrait ainsi être réduit : le transport en gaz est moins important en proportion du coût complet que le transport en électricité. On pourrait également aller plus loin dans l’exonération de taxes et de contributions.

Troisième mesure : nous souhaitons le développement de l’effacement de la consommation du gaz. Le principe de tarifs interruptibles existait déjà du temps de la défunte Compagnie française du méthane (CFM). Nous pourrions mettre en place, pour le gaz, un tel dispositif qui a du sens d’un point de vue économique. Nous verrons cet hiver si, du fait de la crise ukraino-russe, des problèmes d’approvisionnement rendaient nécessaires de tels effacements industriels.

Enfin, nous souhaitons le lancement d’une réflexion de fond sur l’accès des industriels gazo-intensifs à des contrats d’approvisionnement à long terme compétitifs au niveau international, l’échelle européenne n’ayant plus guère de sens aujourd’hui. C’est la seule solution à même de faire baisser le prix par rapport à l’Amérique du Nord. Nous en mesurerons l’impact au cours des deux ou trois prochaines années, quand toutes les nouvelles installations chimiques et pétrochimiques auront démarré en Louisiane et au Texas.

Nous avons préparé sept propositions d’amendements simples, concrètes, et qui prévoient des dispositions déjà appliquées par ailleurs.

Pour qu’une transition énergétique soit vraiment créatrice de valeur, il faut promouvoir l’industrie en France, meilleur moyen de lutter efficacement contre le changement climatique.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Que pensez-vous du nouveau mécanisme de soutien au développement des énergies renouvelables, le complément de rémunération visant à inciter à la vente de la production sur le marché et par conséquent à stabiliser la CSPE ? Quelles devraient être, selon vous, les modalités – ex ante, ex post ? – de ce versement ?

Que pensez-vous de la possibilité donnée aux collectivités d’entrer dans le capital de sociétés anonymes dont l’objet social est la production d’EnR, disposition qui devrait mobiliser davantage d’acteurs autour de projets locaux ?

Comment valoriser davantage l’effacement industriel, mais aussi la saisonnalité au regard des services rendus notamment pendant les périodes de pointe ?

Le texte ouvre de nouvelles possibilités, comme la création de sociétés d’économie mixte dont l’objet est d’exploiter des contrats de concessions hydroélectriques. Qu’en pensez-vous et quel est, selon vous, le degré le plus pertinent de la participation publique ?

M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI du projet de loi. Une de vos préoccupations, du reste respectable, est la notion de compétitivité dont vous déplorez qu’elle n’apparaisse pas suffisamment dans le projet de loi. Il faut certes en tenir compte, mais je rappelle que l’objectif premier du texte est la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans un souci de santé publique.

Le titre III, dont j’ai la responsabilité, vise avant tout à limiter, à encadrer les déplacements. Deux propositions, en la matière, nous serons sûrement faites par voie d’amendement. Il s’agit d’abord de la mise en place de plans de déplacements des employés par les entreprises de plus de 50 salariés, entreprises qui seraient donc acteurs et contributeurs du plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La seconde proposition vise à développer le télétravail et le travail nomade, toujours dans la perspective de limiter voire d’éviter les déplacements. Êtes-vous prêts à reprendre ces objectifs à votre compte ?

M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Avez-vous un avis sur l’éventuelle intégration de la composante carbone des importations dans l’évaluation du budget carbone prévu par le texte ? Si elle n’était pas prise en compte, en effet, les entreprises pourraient y voir une incitation à délocaliser leurs activités.

Le projet de loi prévoit de fixer une valeur tutélaire du carbone. Cette disposition est-elle utile à vos yeux en tant qu’indicateur pour les politiques publiques ?

Les parlementaires semblent s’accorder sur la nécessité de dispositifs permettant aux industriels énergo-intensifs de rester sur le territoire indépendamment des variations des prix de l’énergie. Néanmoins, il faut veiller à éviter que ces dispositifs n’incitent pas à rechercher l’efficacité énergétique. Avez-vous des suggestions en la matière ?

Enfin, c’est un article plutôt bref qui aborde les transitions professionnelles alors même qu’un long travail a été réalisé et a abouti à un consensus de l’ensemble des partenaires sociaux, repris dans l’avis du Conseil économique, social et environnemental, qui préconise la mise en place d’un plan de programmation de l’emploi et des compétences. Êtes-vous favorables à l’insertion dans le texte d’un tel dispositif ?

M. le président François Brottes. Il semblerait que l’Allemagne soit susceptible d’être sanctionnée par la Commission européenne à propos de la réduction prévue de l’émission de gaz à effet de serre. De quelles informations disposez-vous en la matière ?

M. Emmanuel Rodriguez. En ce qui concerne l’Allemagne, et pour ce qui est de l’énergie, le prix en question est un prix de marché et ne peut donc être l’objet de contestation. Quant aux taxes, la nouvelle loi allemande a été votée fin août, début septembre et a reçu un nihil obstat de la Commission européenne ; il n’y aura donc pas de recours sur le sujet. La compensation des coûts de dioxyde de carbone indirect, elle, est de droit européen puisque c’est la Commission qui l’a instaurée. Enfin, un aménagement est certainement en cours sur certaines règles de transport. Mais je ne m’étendrai pas sur ces sujets horriblement techniques. La modalité changera certainement, mais l’impact sera le même. La volonté politique allemande est d’ailleurs de trouver le moyen d’obtenir l’impact recherché. De ce point de vue, le différentiel de compétitivité entre la France et l’Allemagne est durable, de même qu’entre la France et l’Espagne. Au début des années 2000, en France, les tarifs de l’énergie, encore en bonne partie régulés, étaient moins élevés qu’ailleurs et notamment qu’en Allemagne. Dès 2003, nous avons averti que le marché tel qu’il était défini n’était pas viable. Nous n’avons pas été entendus immédiatement. Or, aujourd’hui, la courbe est inversée de façon durable.

Pour ce qui est de la problématique contracyclique, on note en France une forte consommation de gaz et d’électricité en hiver. Une bonne partie de la solution résiderait dans l’établissement d’un vrai transport horo-saisonnalisé qui favoriserait significativement ceux qui coûtent le moins cher au réseau. Or le dimensionnement du réseau n’est pas fonction de la moyenne, mais bien du pic de consommation, les gens qui consomment réellement en base étant donc ceux qui coûtent le moins cher au réseau.

L’UNIDEN n’a jamais pris position sur l’accès à la ressource hydrologique – ressource collective – même si certaines sociétés membres de l’UNIDEN ont beaucoup travaillé sur le sujet à l’occasion de l’élaboration de la première mouture du texte. En revanche, en matière d’optimisation des ressources existantes de la collectivité, une solution commune et de long terme aurait du sens.

En ce qui concerne l’effacement de la consommation des industriels électro-intensifs, les systèmes électriques nous semblent suffisamment bien adaptés pour cette opération, de même que pour le gaz. Les réponses doivent être proportionnées à l’urgence, le dispatching permettant une capacité de réaction instantanée – et rendant par là le plus grand service au réseau. L’accès au système de réserve primaire ou secondaire est possible pour certains industriels dans plusieurs pays en Europe, mais très compliqué en France, même s’il n’est pas impossible technologiquement. L’électricité ne se stocke pas ; il faut donc qu’à tout instant le gestionnaire de réseau – et c’est la principale mission de Réseau de transport d’électricité (RTE) – maintienne l’équilibre sur le réseau en niveau de tension et en fréquence. La réponse à un creux de tension peut prendre un certain temps, alors qu’il faut une réponse instantanée à une perte en fréquence. RTE agit grâce à un système de réserve : la réserve primaire permet de répondre à une perte de fréquence et la réserve secondaire à un creux de tension. Pour cela, les producteurs contribuent et les consommateurs le peuvent également. Un producteur, lorsqu’il contribue à la réserve primaire ou secondaire, est rémunéré 150 000 euros par MW et par an. Un industriel qui participe au mécanisme d’effacement perçoit dix à quinze fois moins. On doit pouvoir trouver une solution intermédiaire.

J’évoquais, dans mon propos liminaire, le récent rapport du Conseil économique pour le développement durable qui rappelle que, pendant les douze dernières années, l’intensité énergétique de l’industrie, à savoir la consommation de MWh par tonne de produits finis, a baissé de 20 % pour la chimie et de 10 % pour la sidérurgie. Nous sommes convaincus de la nécessité d’un progrès continu. Nous nous trouvons dans une configuration asymptotique : l’effort marginal économique étant disproportionné par rapport au gain d’efficacité, nous devons être soutenus, à un moment de crise, pour investir plus. Nous pouvons en tout cas nous réjouir de la capacité de l’industrie française à rester efficace d’un point de vue énergétique, ce qui lui permet de survivre malgré des prix élevés. Mais si, aujourd’hui, nous pouvons poursuivre notre activité sans interruption, nous ne pouvons pas réinvestir à cause d’une énergie trop chère par rapport à celle de nos concurrents.

J’en viens, pour finir, à la taxe carbone. Nous importons des produits de pays qui n’ont pas de coûts CO2. L’instauration d’une taxe aux frontières ne semble pas conforme aux règles du commerce international. Aussi avons-nous le sentiment que l’Europe s’est tirée une balle dans le pied : elle veut entrer dans une logique vertueuse, mais celle-ci la pénalise puisque la mise en place d’un garde-fou serait contraire aux règles du commerce international.

M. Guillaume de Bodard. Nous sommes favorables à la rémunération des EnR à condition de les développer dans leur ensemble et pas uniquement dans le secteur photovoltaïque, de conserver un cadre stable, ne déstabilisant pas les filières, et de simplifier la réglementation. Nous souhaitons également que la CSPE n’augmente pas trop.

Nous sommes, par ailleurs, favorables aux plans de déplacements des employés des entreprises de plus de cinquante salariés, à condition qu’ils soient fondés sur le volontariat.

Sur l’accompagnement des transitions professionnelles, je renvoie – même s’ils méritent d’être approfondis – aux travaux réalisés sur la formation en lien avec les branches concernées.

Quant au télétravail, en tant que chef d’entreprise, je n’y suis pas du tout hostile, d’autant que quelque 20 % de mes employés travaillent de cette façon. Notons au passage que le télétravail ne concerne pas seulement des employés habitant la ville où se situe leur entreprise.

M. Michel Guilbaud. Nous sommes tout à fait favorables au mécanisme de soutien aux énergies renouvelables, qui se rapproche de la logique économique tout en prévoyant un complément de rémunération. En effet, grande est la préoccupation des entreprises sur la croissance non maîtrisée de la CSPE au cours des années écoulées. On en revient à une logique économique, mais qui, malgré tout, incite au développement réaliste des EnR sans créer de bulle qui défavorise les filières industrielles françaises. Aussi ce véritable mécanisme d’incitation devrait-il susciter un développement réel assurant à terme la viabilité économique des EnR. Je ne saurai répondre en revanche à la question de savoir s’il vaut mieux prévoir des modalités de versement ex ante ou ex post ; le projet de loi comporte en effet des dispositions assez générales dont nous ne connaissons pas les modalités d’application éventuellement prévues.

Ensuite, monsieur Plisson, nous ne prétendons pas que la compétitivité doive constituer le but primordial et unique du projet de loi. Néanmoins, il nous semble que la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas le seul objectif du texte qui prévoit d’ores et déjà de renforcer l’indépendance énergétique et de lutter contre le réchauffement climatique. Et il est bien question de compétitivité. Il s’agit pour nous d’équilibrer ces objectifs, mais ensuite de disposer d’un outil de pilotage afin de traduire cette compétitivité en actions concrètes.

Monsieur Baupin, il paraît nécessaire d’inclure la composante carbone des importations. Nous souhaitons que la lutte contre les fuites de carbone figure dans le texte. Selon le niveau de contrainte que nous allons nous fixer, le risque existe réellement d’une délocalisation d’activités et d’investissements.

La valeur tutélaire du carbone est, quant à elle, une question très complexe selon qu’on l’appréhende du point de vue des ménages, des industriels, de ceux qui se trouvent en concurrence, des électriciens, des équipementiers. Nous sommes en tout cas tout à fait prêts à travailler sur le sujet avec les pouvoirs publics.

M. Julien Aubert. La conjonction de vos trois interventions permet des convergences d’analyse. Compte tenu du fait que le débat sur la transition énergétique n’avait pas donné toute sa place au secteur privé, nous aurions aimé que soient organisées des auditions plus longues pour discuter plus à fond. Vous avez en effet relevé plusieurs défaillances du projet de loi : le tout-électrique, l’absence de référence aux hydrocarbures non conventionnels, le trop grand nombre d’objectifs, l’absence de dispositions relatives à l’efficacité énergétique active – autant de points qui, pour les députés du groupe UMP, méritent de figurer dans le texte.

Ma première question porte sur la compétitivité. Vous évoquez, au sujet des énergo-intensifs, le cas allemand ; seulement, outre-Rhin, c’est le contribuable qui finance les énergies vertes. Vous appelez de vos vœux la poursuite d’un objectif de compétitivité et souhaitez dans le même temps un bas coût de l’énergie pour le consommateur. Est-ce compatible dès lors que le texte vise à augmenter la proportion d’énergies vertes financées par la CSPE ? Peut-on réduire le coût de l’énergie pour les entreprises et garder un prix de l’énergie bas pour le contribuable ? Il va bien falloir que quelqu’un finance ces nouvelles énergies – et j’en profite pour vous demander votre opinion sur l’élargissement de l’assiette de la CSPE.

Au cours du débat sur la transition énergétique, nous avons retenu l’idée que la compétitivité devait s’apprécier comme la réduction du coût de la tonne de CO2 évitée. En d’autres termes, il s’agit de remplir au moindre coût les objectifs que nous nous fixons en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Cette mesure de la compétitivité
– c’est-à-dire de l’efficience budgétaire et économique par rapport à un objectif environnemental – correspond-elle à votre propre définition ?

Enfin, M. de Bodard a critiqué l’expression d’« économie circulaire ». Le projet de loi évoque par ailleurs la « croissance verte ». Quelle est votre opinion à ce sujet, vous qui représentez les entreprises françaises ? Distinguez-vous croissance verte et économie circulaire ? Et pourquoi estimez-vous que l’économie circulaire n’a pas sa place dans ce texte ? Il est vrai que cette expression, que certains cherchent à imposer dans le débat public, est de plus en plus souvent reprise.

M. Jean-Luc Laurent. J’ai été très frappé par votre convergence – qui ne m’étonne pas – quant à l’idée que la compétitivité énergétique doit être au service de la compétitivité des entreprises. Vous avez déploré la perte de ce qui fut un avantage comparatif de la France vis-à-vis d’autres pays européens, notamment de l’Allemagne, qui, on le sait, mène une politique industrielle particulièrement attractive, qu’il s’agisse des avantages économiques ou des subventions, qu’elles soient déguisées ou non. J’aimerais que vous reveniez sur ce point de façon très concrète : quelles sont vos suggestions pour nous permettre de reconquérir un avantage comparatif ? Depuis la publication du rapport Gallois, nous savons l’importance de la dimension énergétique dans la compétitivité des entreprises.

Le représentant de l’UNIDEN a rappelé que le coût de l’énergie était d’abord constitué d’un coût de production, mais aussi d’un coût de transport et de coûts liés à la fiscalité – notamment à la CSPE. Quelles pistes proposez-vous pour élargir l’assiette de la fiscalité afin qu’elle repose moins sur l’électricité ? Dans le domaine du transport, suggérez-vous que nous nous alignions sur d’autres pays européens, dont l’Allemagne ?

Enfin, l’UNIDEN est attentive à la cogénération industrielle : j’aimerais que vous développiez ce point.

M. Bernard Accoyer. Julien Aubert a mis le doigt sur la question essentielle que le Gouvernement a découverte il y a peu : la compétitivité de l’économie française.

Ce texte vise à diminuer la part du nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre, à augmenter la part des énergies renouvelables, mais sans tenir compte des incertitudes qui pèsent sur nos approvisionnements en gaz et sur le coût du gaz, même si nous sommes moins exposés que d’autres pays, et sans se préoccuper de la situation instable au Moyen-Orient.

Nous avons vu que le coût de l’énergie constituait déjà un problème pour la France et, en particulier, pour les industriels électro-intensifs. Nous avons vu qu’un certain nombre de contraintes supplémentaires, qui allaient renchérir les coûts de production et menacer l’équilibre de nos grands opérateurs, étaient en préparation – d’aucuns souhaitant même en rajouter. Quel est l’avenir des industriels électro-intensifs et de l’industrie française, non seulement face à ces perspectives, mais encore à la lumière de ce texte ?

M. Jean-Yves Caullet. Je tiens à souligner l’engagement des représentants des entreprises dans la transition énergétique, non seulement comme consommateurs – l’énergie est un élément essentiel de la production –, mais également en vue d’apporter des solutions, notamment dans le domaine du logement, qui demeure un enjeu important en termes de croissance.

Comment les entreprises considèrent-elles l’enjeu du biogaz et de la biomasse, qui n’est pas mis suffisamment en valeur à ce stade du projet de loi, la logistique nécessaire à sa mobilisation étant difficile à imaginer ? Alors que l’électricité se présente sous une forme qui permet une régulation fine de sa distribution par les consommateurs, la biomasse et le biogaz reposent sur des logistiques bien plus lourdes puisqu’il faut travailler sur la matière première avant de pouvoir réguler la distribution – je pense notamment à la reconcentration des déchets méthanisables, qui posent de nombreux problèmes de transport.

Comment abordez-vous ces enjeux qui me paraissent porteurs en termes de production de gaz renouvelable ?

M. Patrick Hetzel. Au regard de la compétitivité des entreprises, quel serait selon vous, en 2030, le mix énergétique optimal ?

Quelle sera la part du PIB national que la croissance verte – concept protéiforme –sera susceptible de représenter à l’horizon de 2030 ?

L’étude d’impact accompagnant le texte est assez sommaire en ce qui concerne le nombre d’emplois susceptibles d’être créés par la transition énergétique. S’ils existent, quels sont à vos yeux les potentiels en matière de création d’emplois ?

Mme Frédérique Massat. Monsieur Guilbaud, vous avez souligné que le texte doit aller plus loin sur la question des électro-intensifs : quelles sont vos propositions en la matière ?

Monsieur Rodriguez, pouvez-vous préciser ce que vous entendez par une rémunération à sa juste valeur de l’effacement ?

Monsieur de Bodard, vous considérez que les réseaux intelligents ne sont pas suffisamment développés. Alors que l’article 59 du projet de loi introduit un droit à un déploiement expérimental de réseaux électriques intelligents, quelles sont vos propositions en la matière ?

La loi fixe déjà des objectifs ambitieux, susceptibles de créer de l’emploi, notamment l’implantation de 7 millions de bornes de recharge à l’horizon 2030. Quelles sont vos perspectives de développement ?

Les dispositifs prévus dans le projet de loi – une aide fiscale de 30 % du montant des travaux accordée aux ménages qui s’engagent dans une rénovation énergétique, la relance de l’éco-prêt à taux zéro et le chèque énergie – vous paraissent-ils suffisants ? Doivent-ils être améliorés ?

La loi prévoit plusieurs mesures pour développer l’implantation des EnR sur le territoire national : simplification des procédures administratives pour réduire les coûts et limiter les délais, appel à manifestation d’intérêt, adaptation des aides financières aux énergies électriques renouvelables ou appels d’offres. Avez-vous des propositions à faire pour compléter cet arsenal ou émettez-vous des doutes sur certains de ces dispositifs ?

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur Guilbaud, je suis étonnée que vous n’ayez pas repris dans vos propos liminaires l’intégralité de ceux que vous aviez tenus lors de la conférence de presse qui avait suivi l’adoption du texte en conseil des ministres : vous aviez alors critiqué l’absence de toute évaluation chiffrée des efforts financiers à fournir pour atteindre les objectifs fixés par le texte. Alors même que M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, a, depuis, confirmé que la transition énergétique sera avant tout l’affaire du privé, sans que celui-ci en connaisse le montant, avez-vous pu vous rapprocher du secteur bancaire – je rappelle qu’une conférence bancaire et financière pour la transition énergétique s’est tenue après la conférence environnementale ? De quelles pistes disposez-vous pour étudier la faisabilité financière du texte ? Vous auriez intérêt à rappeler que la transition énergétique risque de coûter très cher : c’est le moment de le faire.

M. Jean-Louis Bricout. Comme le projet de loi aborde la question de l’économie circulaire, je souhaite évoquer les stratégies industrielles en matière de conception et de positionnement du produit, stratégies qui restent à développer.

Deux logiques s’affrontent. La première, qui recouvre une triste réalité, comme nous le prouvent les dégâts industriels qu’elle provoque, privilégie la production à moindre coût à l’étranger : cette logique, accélérée par l’obsolescence programmée, encourage la consommation puisque le produit est jeté dès qu’il tombe en panne. La seconde, qui est plus vertueuse, mise sur la qualité du produit, sa réparation et son recyclage. Si la consommation est moindre, la planète s’y retrouve, ainsi que l’économie, puisque cette logique valorise la filière de la réparation, qui est non délocalisable, et privilégie la production made in France.

Le pacte de responsabilité vise à conforter vos taux de marge pour innover plus et concevoir mieux, voire autrement. Vous engouffrerez-vous dans cette nouvelle logique de production plus vertueuse ? Attendez-vous du Gouvernement qu’il vous accompagne, grâce à ce texte, dans une logique de production plus intelligente et plus vertueuse pour l’environnement ?

M. Michel Guilbaud. Le concept de compétitivité, pourtant bien accepté de tous aujourd’hui, demeure, comme le concept de croissance, un peu abstrait aux yeux de chacun. La compétitivité, qui est la capacité d’être présent sur les marchés européens et mondiaux dans des conditions de concurrence équitable, afin de vendre à des prix alors qualifiés de « compétitifs », est constituée de différents facteurs, qu’on ne peut isoler : l’énergie, le coût du travail, la fiscalité, la valeur de l’euro pour les exportations hors zone euro. S’agissant de nos exportations à l’intérieur de cette zone, d’autres facteurs que la valeur de l’euro jouent évidemment pour expliquer notre manque de compétitivité et le fait que nous perdions régulièrement des parts de marchés.

Les entreprises françaises ont le taux de marge le plus faible d’Europe. La différence est phénoménale par rapport à l’Allemagne : 28 % d’excédent brut d’exploitation ramené à la valeur ajoutée pour la France contre 40 % pour l’Allemagne. L’énergie est un des éléments de la compétitivité : certes, son prix n’explique pas tout, mais il peut devenir très vite un facteur aggravant.

En matière de transition énergétique, les entreprises ne demandent pas de mesure de soutien particulière, exception faite des industries électro-intensives et gazo-intensives, que la plupart des pays du monde traitent de manière spécifique. Le fait que la part de l’intrant énergétique soit majeure dans la valeur ajoutée d’un secteur – d’une moyenne de 14 % dans l’industrie, elle passe à 50 % dans la plasturgie et la chimie – justifie des mesures ciblées.

S’agissant de l’ensemble des entreprises, nous demandons simplement que la transition énergétique prenne en compte le facteur économique. Si nous ne contestons pas les objectifs – lutter contre le changement climatique, préserver les approvisionnements énergétiques –, il faut absolument que, pour réussir la transition, la loi fixe un critère de compétitivité économique. Il est a minima nécessaire de prendre en compte le facteur énergétique dans la compétitivité des entreprises. Si nous avons déploré que l’impact économique n’ait pas été évalué – nous l’avions souligné lors de l’adoption du texte en conseil des ministres –, le projet de loi nous paraît en revanche relativement pragmatique puisqu’il prévoit une programmation pluriannuelle et crée des outils permettant d’adapter les grands objectifs à l’évolution, notamment, de la croissance – il serait toutefois souhaitable que le texte soit encore plus précis sur ce point.

Alors que, d’un côté, l’énergie apparaît comme un facteur parmi d’autres de l’économie – une loi n’est pas là pour déterminer le fonctionnement des différents éléments qui constituent le marché –, de l’autre, elle exige une programmation à long terme des investissements dans le cadre d’une régulation des réseaux : le marché de l’énergie n’est donc pas totalement libre. C’est pourquoi personne ne saurait évaluer le mix énergétique optimal à l’horizon 2030. Aussi aurait-il été souhaitable, dans le cadre du débat national, de prévoir plusieurs scénarios, établis en fonction de la part laissée dans le mix énergétique à chaque type d’énergie – nucléaire, énergies renouvelables, gaz, pétrole, etc.

Nous sommes favorables, je le répète, au pragmatisme du texte qui prévoit de conduire la politique énergétique de la France dans le cadre d’une stratégie bas carbone sur quinze ans revue tous les cinq ans et d’une programmation pluriannuelle de l’énergie. Les opérateurs de l’énergie que vous avez auditionnés ont pu vous apporter des réponses plus précises en la matière. Les consommateurs que nous sommes espèrent que le prix de l’énergie évoluera au mieux de l’économie.

Nous reconnaissons bien volontiers, d’ailleurs, que certaines catégories justifient des mesures spécifiques de soutien : d’un côté du spectre, les ménages en précarité énergétique, de l’autre, les industries électro-intensives. Quant à la masse des consommateurs, ils devront bénéficier d’un prix maîtrisé.

Chacun s’accorde à reconnaître que la transition énergétique aura un coût, puisqu’elle nécessitera d’énormes investissements. Il en sera ainsi du nucléaire, qui sera plus cher demain qu’aujourd’hui, et des autres formes d’énergie, qui subiront toutes des aléas entraînant sans aucun doute leur surenchérissement. On ne peut que souhaiter la mise en place de dispositifs de pilotage du mix énergétique qui soient les meilleurs possible.

Quant au coût des industries électro-intensives, il faut prendre en compte non seulement le transport, mais également la CSPE et les taxes qui, d’une manière générale, sont payées par les opérateurs, ainsi que les mécanismes d’effacement.

S’agissant du nombre d’emplois ou du taux de PIB liés à la croissance verte, nous nous refusons à donner des chiffres. Non que nous refusions le concept de croissance verte, mais, de même que le numérique s’est traduit par de nouveaux business models, de même la transition énergétique se traduira par le verdissement de toute l’économie. Toutes les filières industrielles devront diminuer leur émission de gaz à effet de serre. On ne saurait donc réduire la filière verte aux entreprises qui aideront les autres à s’équiper en dispositifs moins énergivores, puisque toutes les technologies devront être mises au service de la croissance verte. C’est pourquoi, s’agissant notamment du nombre d’emplois qui seront créés par la transition énergétique, nous contestons généralement les chiffres qui sont avancés : faute d’une définition précise de la croissance verte, nous ignorons comment ils ont pu être établis.

M. le président François Brottes. Vous avez évoqué le numérique : il est très énergivore, ce que nous n’avions pas prévu.

M. Michel Guilbaud. S’agissant des aides fiscales à la réalisation de travaux de rénovation thermique, l’expérience montre que, en l’absence de mécanisme d’accompagnement, les ménages n’engagent pas d’investissements aussi lourds. Nous soutenons le titre II relatif à la rénovation thermique, en précisant que les dispositifs d’efficacité énergétique envisagés doivent être plus incitatifs qu’obligatoires pour être adaptables aux spécificités des entreprises du tertiaire ou des ménages. Nous sommes favorables à tous les dispositifs d’efficacité énergétique actifs, et non seulement passifs.

Nous soutenons également les nouveaux mécanismes de rémunération des énergies renouvelables et la simplification administrative, en sachant que tout dépendra, en la matière, de la rédaction des textes d’application.

M. Guillaume de Bodard. Si la CGPME n’a aucune opposition de principe à la création du chèque énergie, il est à ses yeux impensable que les entreprises en soient la source de financement.

Je ne saurais formuler aucune prévision à l’horizon 2030, mais je sais ce qu’il ne faudra pas faire : nous retrouver avec un coût de l’énergie supérieur à celui de nos concurrents, faute d’avoir réfléchi, pour des raisons idéologiques, aux sources d’énergie employées demain par tous les autres pays. Le coût de l’énergie est à l’heure actuelle acceptable par les TPE et les PME : la pire des choses serait que ce ne soit plus le cas en 2030.

Si nous sommes opposés au titre IV du texte, consacré à l’économie circulaire, c’est que le sujet nous paraît distinct de celui de la transition énergétique, d’autant que, au sein de la conférence environnementale, qui a pris la suite du Grenelle de l’environnement, le consensus s’était établi pour juger inutile l’adoption de dispositions législatives relatives à l’économie circulaire. En effet, les débats avaient permis de constater que la France est très performante dans ce domaine – de grands groupes comme de nombreuses PME sont très efficaces dans la récupération des déchets et leur recyclage –, sans compter qu’une nouvelle loi risquerait de créer des contraintes supplémentaires. En termes d’éco-conception, M. Peugeot a rappelé l’objectif de recycler les véhicules à hauteur de 95 % d’ici à quelques années. Toutes les industries ont réalisé des progrès considérables en la matière. On redécouvre la réparation, notamment dans le secteur automobile : c’est une question de bon sens. Une loi est-elle nécessaire pour rappeler qu’il faut réparer les produits ? Nous sommes donc surpris de voir apparaître dans le texte, sans concertation, des dispositions relatives à l’économie circulaire.

M. Emmanuel Rodriguez. S’agissant de la compétitivité des industries utilisatrices d’énergie, j’ai souligné qu’on parlait d’euro par tonne. Si l’énergie représente 20 % du coût de production d’un industriel et 10 % de celui de son concurrent, il suffit à celui-ci, pour mettre à genoux le premier, de baisser son prix de 10 %, puisque cela ne l’empêchera pas de continuer à gagner de l’argent. La compétitivité, vous le voyez, c’est quelque chose de très concret !

La plupart des grands groupes industriels comparent tous les mois les coûts de production usine par usine, avant de prendre leurs décisions en matière d’allocation, d’investissement, de maintenance ou de développement. Telle est la réalité de l’efficience économique qu’aucune loi ne saurait modifier. C’est pourquoi le législateur doit veiller à ce que les dispositions qu’il adopte n’aient pas pour conséquence de peser à plus ou moins long terme sur l’investissement ou de favoriser les délocalisations. Les meilleurs pays industriels sont ceux qui se battent pour que leur industrie puisse jouer de ses avantages compétitifs pour mettre ses concurrents à terre. Cette logique manque de charme : elle n’en est pas moins celle de l’économie.

M. le président François Brottes. La comparaison des coûts de production ne prenant pas en compte la fiscalité, la part de l’énergie s’en trouve augmentée.

M. Emmanuel Rodriguez. Les grands groupes ne prennent pas en compte la fiscalité sur le résultat des sociétés : en revanche, ils y incorporent la fiscalité liée à la production – taxe foncière, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

L’équivalent allemand de la CSPE, l’Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), s’élève à 62 euros par mégawattheure, contre près de 21 euros pour la CSPE. Si le citoyen allemand a adhéré au dispositif, c’est que celui-ci a permis d’aider les petites exploitations agricoles, auxquelles les Allemands sont très attachés, ainsi que le Mittelstand, c’est-à-dire les entreprises moyennes, dont le nombre est important en Allemagne. Le dispositif est aujourd’hui moins bien accepté, non seulement en raison de son coût, mais aussi parce que des sociétés qui s’étaient développées rapidement dans le photovoltaïque ou l’éolien ont fini par mettre la clef sous la porte. Les emplois créés ont disparu. Les Allemands sont des gens pragmatiques.

Il appartiendra à la majorité politique qui a été élue de faire adhérer les Français à toute hausse des tarifs de l’électricité liée à celle de la CSPE.

Pour que les industries électro-intensives françaises rejoignent leurs concurrentes allemandes, elles ne devront plus payer que 10 % du transport. Aujourd’hui, on n’évoque qu’une exonération de 50 % pour une soixantaine de sites, dont le texte envisage d’augmenter le nombre. La différence avec l’Allemagne reste donc considérable.

En matière d’effacement, 9 euros par mégawattheure reviennent à une rémunération à 100 000 euros du mégawatt par an pour un effacement quasi instantané. Il est donc possible de passer d’une rémunération de 20 000 à 100 000 euros par mégawatt et par an, selon qu’il s’agit d’un effacement en J−1 – la veille pour le lendemain – ou d’un effacement quasi instantané – c’est RTE qui décide alors d’arrêter une partie de la production. Des programmations intermédiaires entre le J−1 et l’instantané sont possibles. Il faut savoir que certains pays européens sont au-delà des 150 000 euros par mégawatt et par an.

En matière de mix énergétique, il faut avoir les moyens de ses ambitions, qu’il s’agisse des investissements – durée de vie des centrales existantes, renouvellement des centrales hydrauliques – ou de la part des énergies renouvelables et de celle des effacements. Les effacements industriels font partie du mix énergétique, qu’on le veuille ou non. Nous ne parviendrons à un mix énergétique équilibré et peu onéreux que si nous réussissons à classer et à privilégier les différents moyens de production dans une logique conciliant la diminution de l’impact du CO2 et un coût d’investissement raisonnable. Telle est la méthode pour établir le meilleur mix énergétique. Pour les industries électro-intensives, l’effacement est un moyen à la fois très efficace et peu onéreux, qui ne demande aucun investissement.

M. le président François Brottes. Il exige toutefois en amont, sur le plan du process, un immense travail pour déterminer ce qui peut être arrêté et ce qui ne peut pas l’être.

M. Emmanuel Rodriguez. Je parlais en termes de coût d’investissement et non de process. L’effacement permet de réaliser, en termes d’investissement, une économie très importante.

La biomasse est un sujet majeur pour l’UNIDEN, au sein de laquelle les industries de papiers sont représentées par la COPACEL – Union française des industries des cartons, papiers et celluloses –, qui s’inscrit dans une logique de biomasse naturelle et non de biomasse forcée – il n’y aurait en effet aucun intérêt à importer des copeaux de bois du Canada pour produire de l’électricité dans le Sud de la France, le coût CO2 de la démarche étant prohibitif.

Je ne saurais répondre sur la question du biogaz en France. Ce que je sais, c’est que le principal problème posé par cette énergie est le raccordement de la source de biogaz au réseau, qui nécessite des autorisations de droit de passage des tuyaux. Pour une utilisation industrielle du biogaz, il faudra donc faciliter son acheminement, ce qui impliquera de fournir d’immenses efforts en termes de simplification administrative. Or l’expérience m’a appris qu’il faut dix ans pour installer quelques kilomètres de tuyaux.

S’agissant des cogénérations industrielles, un arrêté a permis de pérenniser les installations existantes supérieures à douze mégawatts. Un de nos amendements vise à ne pas limiter le temps de fonctionnement des installations afin de leur assurer un rendement maximal en termes de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, puisque c’est un mode de production très efficace.

M. le président François Brottes.  Je ne saurais trop le répéter : une loi ne doit pas être trop précise, sous peine de ne pas pouvoir répondre à l’évolution de la situation. S’agissant de la cogénération, nous avons frôlé la catastrophe en l’absence de support législatif permettant de pérenniser les installations : pour l’éviter, il a fallu présenter un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable.

Le projet de loi sur la transition énergétique devra fournir avant tout un cadre, afin de permettre aux textes réglementaires de s’adapter aux évolutions.

M. Emmanuel Rodriguez. S’agissant de l’économie circulaire, je tiens à rappeler que l’acier est indéfiniment recyclable et que les métaux précieux sont recyclés au maximum. Il en est de même du papier et de certains plastiques. Les secteurs déjà très performants doivent être distingués des autres.

Il faut qu’EDF et GDF s’attellent à la tâche de la simplification administrative, s’agissant notamment des certificats d’économie d’énergie, dont le coût administratif est bien trop élevé. Ces deux entreprises ne peuvent avoir que de bonnes idées en la matière : sinon, ce serait désespérant !

M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du mardi 16 septembre 2014 à 21 h 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Philippe Bies, M. Jean-Luc Bleunven, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Michel Clément, M. Pascal Deguilhem, M. Daniel Fasquelle, M. Claude de Ganay, M. Michel Heinrich, M. Patrick Hetzel, M. Jean Launay, M. Jean-Luc Laurent, Mme Frédérique Massat, M. Philippe Plisson, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Stéphane Travert, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter

Excusé. - M. Franck Reynier

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Louis Bricout, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Hervé Pellois, M. Christophe Premat