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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 1er juillet 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Jacques Moignard, Rapporteur,
puis de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, sous forme de table ronde, de Mme Elodie Jung, directrice de l’Association française des aidants, de Mme Aude Messean, directrice de l’association « Le Pari Solidaire – Logement intergénérationnel », fondatrice et présidente du réseau COSI (Cohabitation solidaire intergénérationnelle), de M. Loïc Rumeau, directeur régional du groupe SOS Seniors, et de Mme Thérèse Clerc, féministe et fondatrice de l’association « La maison des Babayagas », sur le projet de loi n° 1994 relatif à l’adaptation de la société au vieillissement

La séance est ouverte à 17 heures 20.

Présidence de M. Jacques Moignard, rapporteur.

La Délégation procède à l’audition, sous forme de table ronde, de Mme Elodie Jung, directrice de l’Association française des aidants, de Mme Aude Messean, directrice de l’association « Le Pari Solidaire – Logement intergénérationnel », fondatrice et présidente du réseau COSI (Cohabitation solidaire intergénérationnelle), de M. Loïc Rumeau, directeur régional du groupe SOS Seniors, et de Mme Thérèse Clerc, féministe et fondatrice de l’association « La maison des Babayagas », sur le projet de loi n° 1994 relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

M. Jacques Moignard, rapporteur, président. Nous vous auditionnons aujourd’hui dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

Mme Aude Messean, directrice de l’association « Le Pari Solidaire – Logements intergénérationnels », fondatrice et présidente du réseau COSI (Cohabitation solidaire intergénérationnelle). Pionnière dans le domaine du logement intergénérationnel en France, l’association Le Pari Solidaire a vu le jour en 2004. Elle a déjà créé plus 2 300 binômes – un jeune logé chez une personne âgée – qui ont très bien fonctionné, à de très rares exceptions près. Reconnue d'intérêt général, l’association a rejoint le groupe SOS Seniors en 2011. Elle est parrainée par le philosophe et écrivain Frédéric Lenoir.

Avec mon amie Bénédicte Chatin, j’ai eu l’idée de fonder cette structure au moment de la canicule de 2003, un événement qui a révélé l’isolement des personnes âgées, alors que dans le même temps, les étudiants ont des difficultés à se loger dans des conditions décentes. Nous inspirant d’une œuvre sociale financée par la CaixaBank en Espagne, nous avons bâti un modèle économique viable et rédigé une charte définissant la nature des relations entre les uns et les autres.

Dès 2005, ce concept a fait des émules au point qu’il existe désormais un réseau national de vingt-six associations dans toute la France et les DOM-TOM, dont le projet a été porté par des centres communaux d'action sociale (CCAS), des unions départementales des associations familiales (UDAF), des PACT (protection, amélioration, conservation, transformation de l’habitat) ou des associations de type loi de 1901. Nous travaillons à la diffusion de notre modèle au Pérou, au Québec, en Écosse et au Japon.

M. le rapporteur. Comment s’effectue le choix du pays ?

Mme Aude Messean. Nous répondons à la demande et nous avons reçu une dizaine de délégations, dont l’une – très nombreuse – d’un parti japonais. D’emblée, notre ambition a été d’entretenir ou de retisser les liens entre les générations et de combattre des stéréotypes : « taties Danielle » d’un côté, « jeunes à capuches » de l’autre.

Aux personnes âgées, nous voulions apporter un remède à l’isolement, plus de sécurité, un complément de revenu, ou les moyens d’un maintien à domicile. Les femmes représentent 80 % de nos hôtes et certaines viennent de perdre un époux avec lequel elles ont parfois passé trente ou quarante ans. Aux jeunes, nous proposons des logements que nous avons visités, qui sont propres, dignes, agréables et calmes – les personnes âgées font rarement du bruit. Sans cet accès à un logement bon marché ou gratuit, certains jeunes ne pourraient tout simplement pas poursuivre leurs études.

Nous participons aussi au développement durable en optimisant l’occupation de grands logements et nous cherchons à développer d’autres projets innovants d’habitat intergénérationnel.

Chacun trouve son compte dans ce type de cohabitation que nous avons décliné de deux manières. Dans la formule dite solidaire, en contrepartie d’une chambre gratuite, le jeune s’engage à être présent le soir.

M. le rapporteur. Pour vous, un jeune est une personne âgée de dix-huit à vingt-cinq ans comme dans la classification de l’INSEE ?

Mme Aude Messean. Chez nous, la fourchette va de dix-huit à trente ans et nous aimerions descendre jusqu’à seize ans car nous avons des projets pour les apprentis avec les groupes AG2R et PRO BTP. L’idée est de faire héberger des apprentis par des retraités de leur corporation, anciens bouchers, couvreurs ou autres. Nous prévoyons de former les premiers binômes dès septembre, mais nous serons obligés d’émanciper les jeunes qui ne sont pas majeurs pour que leurs hôtes ne soient pas responsables de leurs éventuelles bêtises.

Pour les jeunes, la chambre gratuite est un « bon plan » mais aussi la contrepartie d’une petite contrainte. Le jeune dîne tous les soirs avec la personne âgée, discute ou joue au scrabble avec elle avant d’aller travailler. C’est formidable pour les élèves studieux et désargentés. Dans leur lettre de motivation, nous entendons qu’ils nous parlent plus du lien qu’ils pourraient nouer avec la personne âgée que de la taille de la chambre ou des charmes du quartier. Nous ne les recevons que si nous avons un logement à leur proposer chez une personne à qui nous avons rendu visite et nous tenons compte de leurs points communs pour créer les binômes. Quelle que soit la formule, le désir de créer du lien est primordial.

Dans la formule conviviale, le jeune paie une indemnité financière d’occupation mensuelle à son hôte. Il tisse un lien de convivialité avec lui mais n’a plus d’obligation morale de présence. Ce transfert d’argent pourrait nous faire assimiler à une agence immobilière dépendant plus ou moins de la loi Hoguet, mais ce sont des travailleurs sociaux qui rencontrent les personnes âgées et qui sélectionnent les jeunes. C’est une conseillère en économie sociale et familiale, diplômée de psychologie, qui crée et gère ces couples qui fonctionnent très bien.

M. le rapporteur. Cette psychologue travaille sur quel site ?

Mme Aude Messean. Le Pari Solidaire est implanté à Paris, sachant que les structures du réseau COSI, auxquelles nous avons transmis notre savoir, fonctionnent sur le même modèle, avec la même charte.

Nous avons développé d’autres projets innovants tels que la mixité intergénérationnelle en résidence sociale, réalisée en partenariat avec des bailleurs sociaux. Les personnes âgées qui vivent dans des résidences sociales doivent pouvoir accéder à ce plaisir de la convivialité comme les propriétaires ou les locataires du secteur privé. La disposition légale qui leur interdisait purement et simplement d’héberger quelqu’un devait être assouplie par la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.

Dans le cadre de la mixité intergénérationnelle, certains bailleurs sociaux mettent à notre disposition une studette – souvent une ancienne chambre de bonne remise aux normes – que nous meublons. En échange de cet hébergement, le jeune a pour mission de créer du lien et de sortir avec les personnes âgées de l’immeuble qui le souhaitent. Actuellement, nous avons seize studettes occupées par des étudiants qui ont des contacts réguliers avec plus de quarante-cinq personnes âgées ; à la rentrée nous en aurons trente.

Le projet « Les voisins du cœur » a été créé avec ICF Habitat la Sablière, le bailleur social de la SNCF. Après avoir répondu à un appel à projet de la SNCF visant à créer du lien social dans l’habitat diffus, nous avons eu beaucoup de mal à trouver un bailleur social qui mette un trois-pièces à notre disposition pour héberger deux jeunes en service civique.

Dans notre système, le jeune est une présence rassurante, il assure une sorte de veille passive, qui ne peut en aucun cas être assimilée à un travail. Entre la fourniture régulière d’un service et le travail, la frontière peut sembler ténue : c’est pourquoi nous avons recours à des jeunes en service civique qui ont des contrats de trente heures d’accompagnement par semaine. Cette formule permet de remédier à un autre inconvénient : les horaires des étudiants et des personnes âgées sont parfois difficiles à concilier et ils finissent par ne plus se croiser.

Nous ne faisons pas de prospection, de porte à porte pour ne pas être intrusifs, et nous communiquons via les gardiens d’immeubles. Mais ceux-ci ne pensent pas toujours à informer les locataires de la présence de ces jeunes qui peuvent venir leur rendre visite de temps en temps. Des jeunes en service civique, présents durant la journée, pourront peut-être toucher plus de personnes âgées.

À défaut de trouver un trois-pièces en milieu diffus, nous avons créé un partenariat avec ICF Habitat la Sablière. Le bailleur devait réhabiliter l’extérieur et les salles de bains d’une résidence de plus de 200 appartements, située rue du Terrage dans le Xe arrondissement. De tels travaux sont une source d’anxiété pour des locataires âgés : que faire pendant que les ouvriers sont là ? Comment protéger les petits bibelots pour éviter qu’ils ne soient cassés ?

Le bailleur a mis à notre disposition un appartement et un local associatif. Les jeunes volontaires en service civique assistaient aux réunions des comités de pilotage pour savoir qui aurait besoin d’aide au cours de la semaine à venir. Ils allaient emballer les bibelots et écarter les meubles pour les rassembler au centre de la pièce, avant de partir avec la personne âgée pour le local associatif, un musée, etc. Ce fut un franc succès. Nous avons réédité l’expérience à Charenton et trois autres projets de cette nature sont prévus pour la rentrée : deux avec ICF Habitat la Sablière et le troisième avec Élogie.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

M. le rapporteur. Ce sont des travaux qui ne bouleversent pas tout l’appartement puisque les locataires peuvent revenir le soir, n’est-ce pas ?

Mme Aude Messean. Il s’agissait de rénover les cuisines, les salles de bains et les toilettes.

Avec la ville de Vitry-sur-Seine, nous avons mené un projet baptisé « Les résidences solidaires », en partant du constat que, pendant le week-end, les résidences sont souvent un peu tristes pour les personnes les plus âgées et les moins mobiles, même si un employé de la municipalité est d’astreinte. Le bailleur a mis à notre disposition trois logements où nous hébergeons trois jeunes, sachant que sommes habilités à faire de l’intermédiation locative.

Ces jeunes paient quatre-vingt-dix euros par mois tout compris pour un appartement de vingt-sept mètres carrés entièrement équipé. En contrepartie, ils assurent, à tour de rôle et selon leur emploi du temps, une présence dans la salle commune où ils sont à la disposition des seniors : deux heures chaque soir de la semaine, et de quatorze à dix-sept heures le samedi et le dimanche.

L’expérience ayant été très concluante dans la première résidence, nous allons la reproduire dans les trois autres à la rentrée. La ville de Vitry nous demande de favoriser les jeunes de la communauté de communes, dans la mesure où ils ont le profil requis.

Nous avons aussi mis en place un système d’aide aux aidants. Les enfants de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladie cognitives apparentées souffrent souvent d’un épuisement moral et physique car ils ont très peu de moments de répit. Il y a très longtemps, nous avons mené une première expérience dans la banlieue nord. En échange d’un studio indépendant dans la maison d’un couple, la jeune fille assurait une présence trois soirs par semaine pour que le mari puisse aller jouer au bridge. Ces soirs-là, elle passait tout simplement de son appartement à la partie de la maison occupée par le couple. Cet échange nous semblait très correct.

À Sèvres, une personne nous a sollicités parce qu’elle ne conduisait pas et qu’elle avait parfois besoin qu’on l’emmène faire une course ou chez des amis, mais surtout parce qu’elle ne supportait plus de dîner seule. Quand le conjoint n’est plus apte à échanger, certains moments peuvent être difficiles à vivre. Elle a donc hébergé deux jeunes en échange d’un loyer modique et d’une certaine disponibilité.

S’agissant de nos points forts, qui sont nombreux, nous avons tout d’abord une réelle expertise en tant que fondateur de la première association et initiateur du concept. Nous sommes très vigilants et nous veillons à ce que le lien entre la personne âgée et le jeune ne soit pas un lien de subordination. Le jeune ne travaille pas au service de la personne âgée, il ne se substitue pas à une infirmière et n’a pas à effectuer des gestes médicaux. Nous avons installé un modèle de communication entre le jeune, le senior et la famille qui nous permet de limiter les risques de dérive. Ce bon lien tripartite peut encore être amélioré.

Notre bureau d’accueil du XIIIe arrondissement est ouvert toute l’année, du lundi au vendredi de dix heures à dix-huit heures, et il reçoit sans rendez-vous l’après-midi. C’est extrêmement rassurant pour les personnes âgées, qui peuvent passer à n’importe quelle heure, mais aussi pour les jeunes, qui peuvent être confrontés au décès de leur hôte. Je pense à une jeune femme qui vient de perdre la personne âgée avec laquelle elle vivait depuis six ans et qui ressent cette perte comme un drame personnel. Nous travaillons avec les psychologues du centre Popincourt qui peuvent recevoir en urgence un jeune qui serait très perturbé.

Notre méthodologie est rodée et réadaptée dès que la moindre faille est décelée. Nous modifions alors les termes de nos chartes, base du contrat passé entre le jeune et le senior. À l’intérieur de son domicile, la personne âgée fait ce qu’elle veut et elle peut accepter que le jeune reçoive toute sa famille ou son copain dans la chambre qui lui est réservée. Le Pari Solidaire et les autres associations du réseau COSI ne peuvent intervenir dans les relations du binôme que pour des questions qui relèvent du respect de la charte.

C’est un travailleur social professionnel qui opère une sélection rigoureuse du senior et du jeune. Il s’assure notamment que l’état de santé du premier lui permet d’accueillir le second et que les caractères vont pouvoir s’accorder : une vielle dame qui fait de la peinture s’entendra sans doute mieux avec une étudiante des beaux-arts qu’avec un scientifique. Lors de la visite de la personne âgée, qui se fait toujours en présence d’un membre de la famille ou d’un référent, on essaie de cerner le profil idéal du jeune. L'accès à nos formules de cohabitation est ouvert à tous les jeunes, qu’ils soient étudiants, actifs ou en recherche d’emploi.

Sollicités par des structures françaises et étrangères, nous avons désormais une activité de conseil. Au Québec, au Japon et en Argentine, des associations sont en train d’adapter notre modèle à leur cadre légal. En Écosse, nous intervenons en tant que consultants pour un projet financé par le Fonds social européen qui vise à favoriser la mobilité des jeunes.

Nous avons inventé la cohabitation intergénérationnelle mais nous ne nous sommes pas limités à cette formule, d’autant que nombre de nos nouveaux adhérents sont très âgés, parfois centenaires, et les décès sont nombreux.

Nous avons également une importante capacité de gestion et de pilotage des projets, des partenariats institutionnels forts, une recherche continue d’amélioration de notre action, une couverture médiatique encore insuffisante mais indéniable qui nous apporte une notoriété y compris à l’étranger.

Les associations du réseau COSI rencontrent néanmoins quelques difficultés. Elles peinent à trouver des financements pérennes leur permettant d'envisager un développement à plus grande échelle tout en continuant à assurer un travail de bonne qualité. Si nous ne pouvons envisager l’embauche d’un salarié supplémentaire qu’à partir d’un seuil de 200 hôtes par exemple, comment faire pour assurer un bon niveau de service lorsque nous n’avons qu’entre 120 et 200 adhérents ? Peut-être la démarche « La France s’engage », portée par le Président de la République, sera-t-elle pour nous une source de financements inattendus ?

Nous avons également des besoins de communication récurrents. Nous avons bénéficié d’une bonne couverture médiatique, mais les pouvoirs publics devraient promouvoir la formule, notamment par des campagnes d’affichage public, à l’instar de ce qu’a fait la mairie de Paris pendant une durée hélas trop brève. L’information n’arrive pas aux oreilles de toutes les personnes qui pourraient en bénéficier ; certaines s’étonnent et regrettent de ne pas avoir découvert notre existence plus tôt.

M. le rapporteur. Vous parlez des personnes âgées ?

Mme Aude Messean. En effet, car pour ce qui concerne les jeunes, nous avons une demande énorme, d’autant que nous sommes désormais le seul interlocuteur du CROUS en la matière.

M. le rapporteur. Face à la demande énorme des jeunes, vous constatez une certaine frilosité des personnes âgées ?

Mme Aude Messean. C’est un fait. M. Philippe Wahl, le PDG du groupe La Poste, que j’ai rencontré la semaine dernière à l’Élysée, m’a proposé de mobiliser les services réguliers de ses quelque 80 000 postiers. Mais comment pourrions-nous financer 300 000 ou un million de prospectus ?

M. le rapporteur. La Poste se fait généralement payer pour ce genre de distribution.

Mme Aude Messean. Pour notre association, elle le ferait bénévolement dans le cadre d’un partenariat.

Nous avons des souhaits à formuler pour combler les vides juridiques qui subsistent, notamment en ce qui concerne les statuts de l’hôte et du jeune. Cela peut-il être considéré comme du travail au noir ? Il doit être clairement établi qu’il ne s’agit jamais de travail.

D’autre part, il serait bon de réaliser une étude afin d’évaluer les bénéfices financiers et sociétaux de notre action. J’observe que les personnes âgées restent très peu à l’hôpital quand elles sont attendues par un jeune à leur domicile, et que certains médecins nous soumettent le cas de patients qui peuvent rentrer chez eux s’ils n’y sont pas seuls la nuit. Notre action permet donc de réduire les frais d’hôpital et le montant des allocations de logement puisque nombre de jeunes sont logés gratuitement.

Nous souhaiterions aussi pouvoir demander au médecin traitant, si nous avons un doute lors de la première visite, un certificat d'aptitude à la cohabitation intergénérationnelle du senior. Une conseillère en économie familiale n’est pas toujours capable d’identifier certaines maladies apparentées à Alzheimer et les enfants sont souvent dans le déni le plus complet. N’oublions pas que les enfants en question peuvent être eux-mêmes des septuagénaires qui s’occupent de leurs petits-enfants, de leurs enfants et de parents très âgés dont ils ont du mal à admettre la maladie. N’ayant pas accès au dossier médical, nous souhaiterions que le médecin traitant puisse certifier que la personne âgée ne risque pas d’avoir des comportements ou des mouvements d’humeur qui seraient susceptibles de mettre l’année scolaire du jeune en danger.

Nous souhaitons renforcer notre lien avec les jeunes pour qu’ils nous considèrent comme une association et pas seulement comme un moyen de trouver une chambre dans de bonnes conditions.

Le réseau COSI, qui n’emploie pas de salarié, regroupe des associations qui partagent le même esprit, la même charte et les mêmes envies de professionnalisation. Nombre d’associations ont fermé faute de moyens ; les plus récentes ont à peine six mois. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir sur les freins à son développement.

M. le rapporteur. Les freins me font moins peur que certaines solutions. J’ai connu trop de structures qui fonctionnaient très bien de façon spontanée et qui, à force de s’institutionnaliser, devenaient des systèmes complexes et dépourvus de l’enthousiasme initial.

Merci pour cette présentation. Je note que vous avez reçu nombre de distinctions et de prix.

Mme Aude Messean. Le réseau COSI a été sélectionné parmi les quinze premières initiatives portées par le label présidentiel « La France s’engage », la semaine dernière. C’est notre grande fierté.

M. le rapporteur. Si je comprends bien, sans la canicule de 2003, le réseau COSI n’aurait pas vu le jour ?

Mme Aude Messean. Je vous le confirme : à l’époque, j’étais directrice de casting et costumière de cinéma et, sans cet événement, je ne serais pas devant vous.

Mme Élodie Jung, directrice de l’Association française des aidants. L’Association française des aidants a aussi été créée en 2003 mais pour des raisons qui ne doivent rien à la canicule. Une jeune mère, concernée par le handicap rare de son enfant mais ne se retrouvant pas dans les associations traditionnelles par pathologies, a souhaité créer une association qui ait une dimension transversale et qui s’occupe des aidants quels que soient l’âge et la pathologie de la personne accompagnée. Des « cafés des aidants », créés sur le principe des « cafés philo », permettent à des personnes qui affrontent les mêmes difficultés de se rencontrer et d’échanger.

Dix ans plus tard, cette association est constituée autour d’un projet politique : prendre la parole sur la question des aidants, sans être forcément dans la représentativité. À un moment ou l’autre de sa vie, chacun peut avoir à aider un enfant en situation de handicap, un parent âgé, un conjoint victime d’un accident vasculaire cérébral ou d’un accident de la route, un proche souffrant d’une maladie chronique invalidante comme le cancer ou la sclérose en plaque.

L’objet de l’association est de faire émerger cette question des aidants comme sujet de société, et de rappeler que cet accompagnement peut être une belle histoire. L’aidant est un proche, un membre de l’entourage et non pas un professionnel, et c’est un lien affectif qui se joue dans cette relation à l’autre. Cependant, l’accompagnement au quotidien suppose l’aide au corps, la toilette, la préparation des médicaments, le fait de donner à manger. L’aidant peut aussi avoir à coordonner des professionnels autour de la personne malade, à entretenir le logement et le linge, etc. Dans certains cas, il peut se retrouver dans une situation de souffrance majeure.

Cet état de souffrance est souvent lié au déséquilibre qui s’est installé dans la relation. L’un est réduit à sa situation d’aidant ; il n’est plus que l’infirmier, le kinésithérapeute, l’aide-soignant, le médecin, le psychologue, la conseillère en économie familiale et sociale. L’autre est réduit à sa situation de personne malade ; il n’est plus l’époux, le fils, l’ami, le voisin, etc. L’aidant souffre aussi de se sentir réduit à ce seul statut dans la société, quand il voit moins ses amis, qu’il cesse son activité professionnelle ou qu’il n’a plus de loisir, ni de temps à lui.

Parmi ses nombreux sujets d’étude, l’association s’intéresse à la manière dont l’aidant peut avoir une présence bienveillante à l’autre tout en continuant à mener sa vie – aller au travail, à la salle de sport, au cinéma – et en préservant sa santé.

M. le rapporteur. Cette association essaime elle aussi sur tout le territoire.

Mme Élodie Jung. Il existe, en effet, un réseau national de quatre-vingts « cafés des aidants ». Nous travaillons de manière systématique avec une multitude d’acteurs impliqués localement dans ces domaines : centres communaux d’action sociale (CCAS), centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC), maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD)... Chaque structure utilise une méthodologie propre pour créer son café qui doit tenir dans la durée. Il ne s’agit pas d’un groupe de parole fermé qui peut disparaître au bout de six mois, et certains qui existent depuis six ans trouvent toujours leur public. Ces cafés adhèrent à l’association et portent l’ensemble du projet avec nous.

Ces lieux de partage et d’échanges, qui n’ont pas de visée thérapeutique, accueillent des aidants, quels que soient l’âge et la pathologie de la personne accompagnée : la mère d’un enfant autiste peut discuter avec l’épouse d’un homme atteint de la maladie d’Alzheimer, puisque c’est la relation d’aide qui est au cœur du sujet et non la pathologie.

M. le rapporteur. Les associations n’interviennent jamais sur un plan sanitaire.

Mme Élodie Jung. Non, nous sommes dans l’accompagnement social des personnes. Dans ces cafés, les personnes échangent pendant une heure et demie, créent des solidarités de manière tout à fait libre. On a le droit de ne pas parler, de venir de temps en temps, de ne plus y revenir. Ce mode d’échange ne va pas à tout le monde et certaines personnes n’aiment pas exposer leur situation.

M. le rapporteur. C’est le concept du café.

Mme Élodie Jung. D’ailleurs, ils se tiennent dans des bistrots où chacun paie sa consommation.

M. le rapporteur. Cela a-t-il obligatoirement lieu dans un café ?

Mme Élodie Jung. Non, ce n’est pas un aspect non négociable de la charte ; il peut s’agir de lieux très conviviaux comme la petite maison avec cuisine d’un centre local d’information et de coordination (CLIC).

Nous avons aussi créé un centre de formation agréé. Dans le cadre d’un accord avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), nous développons un module de formation destiné aux aidants où il leur est proposé de réfléchir à ce qui se joue dans la relation qui les lie à la personne qu’ils accompagnent. Précisons qu’il ne s’agit en aucun cas de professionnaliser les aidants pour qu’ils puissent se substituer aux aides professionnelles requises par l’état de santé des personnes malades ou en situation de handicap.

Aux professionnels, ce même centre propose des formations où est analysée la relation qu’ils entretiennent avec le proche aidant et la personne accompagnée. Forts de leurs compétences ou expertises respectives, le proche aidant et le professionnel ont parfois du mal à dialoguer, ce qui peut engendrer des situations complexes. Nous proposons des réflexions autour de ces sujets, dans le souci de mieux répondre aux envies et aux attentes de la personne accompagnée.

Dans le cadre d’une convention passée avec la direction générale de la santé, l’association mène une étude visant à mesurer l’impact de l’aide sur la santé des aidants. Des ateliers santé leur sont proposés dans six villes de France. L’évaluation des résultats permettra de déterminer si leur santé pose un problème spécifique.

Dans ce même programme sur la santé des aidants, nous avons mis au point des outils pour sensibiliser le grand public mais aussi les médecins. En milieu rural notamment, le médecin qui passe une fois par mois est parfois la seule personne à entretenir des liens avec les personnes malades et leurs proches. Ce programme sera évalué en fin d’année.

Enfin, nous travaillons avec de grandes entreprises qui créent des dispositifs à destination des aidants ou qui s’interrogent sur la manière dont ceux-ci peuvent continuer à mener une vie professionnelle. Certaines entreprises ont conscience que la situation vécue par certains de leurs salariés peut générer des tensions, de l’absentéisme ou du présentéisme – le salarié est présent mais occupé à appeler le CLIC ou le service d’aide à domicile. Comment travailler sur cette question de la conciliation et faire en sorte que l’entreprise soit un acteur clé du débat ?

Un autre de nos programmes de travail – sur lequel nous communiquons peu – concerne les mineurs en situation d’aidants. La France, contrairement aux pays anglo-saxons, n’a pas réfléchi à ces enfants dont l’un des parents souffre d’une addiction, ou est atteint d’un cancer ou d’une maladie psychique. Ces enfants sont une présence bienveillante pour des parents, voire des grands-parents. Comment peut-on les accompagner ? Nous souhaitons étudier ce phénomène qui ne fait l’objet d’aucune statistique en France.

L’association souhaite développer ses moyens de communication car, très souvent, les aidants ne savent pas qu’ils le sont. Étant une petite association dont la vocation est plus d’essaimer que de grossir, nous voulons aussi travailler en partenariat avec des associations locales spécialisées, afin d’agréger les forces et de faire en sorte qu’en entrant dans l’association, un aidant puisse trouver toutes les réponses adaptées à sa situation. Le café des aidants n’est pas adapté à tous, et notre centre de formation ne donnera pas d’informations sur la maladie d’Alzheimer ou la sclérose en plaque. En revanche, nous pouvons, au cas par cas et en tenant compte de la diversité des parcours, orienter vers les associations qui ont l’expertise recherchée.

Mme Thérèse Clerc, fondatrice de l’association « La maison des Babayagas ». Dans les contes russes, la « Babayaga » est une sorcière qui habite, à l’orée de la forêt, dans une maison en pâte d’amande et en pain d’épice. Cette figure nous plaît bien parce qu’elle aide ceux qui s’aident, ceux qui veulent bien rester autonomes.

Notre projet s’adresse à des femmes âgées et notre premier constat ressemble à un slogan : la vieillesse n’est pas une pathologie, c’est un bel âge de la vie, celui de toutes les libertés. À quatre-vingt-sept ans, je travaille à cette maison des Babayagas depuis presque vingt ans. Ce fut très long et très difficile. Cette maison est autogérée, solidaire, citoyenne, laïque, et féministe bien sûr…

M. le rapporteur. Pourquoi « féministe bien sûr » ?

Mme Thérèse Clerc. Parce ce que je suis féministe depuis quarante ans et que nous sommes entendues ici par la Délégation aux droits des femmes. Mais le fait que cette maison des Babayagas soit réservée aux femmes m’a causé beaucoup d’ennuis : on me reprochait de faire de la discrimination. Réserver la maison aux femmes est une décision politique, pas un péché.

M. le rapporteur. Vous êtes à Montreuil, je crois.

Mme Thérèse Clerc. Nous sommes à Montreuil où nous travaillons depuis vingt ans à la création de cette maison citoyenne, un projet politique et non pas compassionnel, charitable ou sanitaire. Nous ne sommes pas malades. Nous voulons changer le regard assez lamentable que la société porte sur les personnes âgées, et changer la vision qu’elles ont d’elles-mêmes et de la société.

Tout un travail de fond reste à faire pour faire évoluer les mentalités, à un moment où les baby boomers arrivent à l’âge de la retraite. Les femmes de cette génération sont différentes de celles de la mienne car elles ont eu des vies professionnelles, moins d’enfants et plus de diplômes. Ces femmes un peu jeunes ne veulent pas entrer en maison de retraite, elles ne relèvent pas de l’Association pour l’accompagnement et le maintien à domicile (APAMAD) ou d’un EHPAD.

Notre maison compte vingt-cinq appartements : quatre sont réservés à des jeunes de moins de trente ans ; les autres accueillent des femmes âgées de soixante à quatre-vingt ans. C’est un projet de vie complet. Au rez-de-chaussée, deux salles – l’une de cinquante mètres carrés, l’autre de soixante mètres carrés – sont dévolues à une « Université du savoir des vieux », l’Unisavie. Les personnes âgées sont souvent traitées comme des gens un peu démunis, même ceux qui ont toute leur tête. Nous voulons proposer des animations qui soient à leur hauteur et faire une véritable recherche sur la vieillesse car le nombre des personnes âgées de quatre-vingts à cent ans commence à augmenter d’une façon exponentielle.

Nous menons une recherche-action avec Laboratoire d’études et de recherches sur l'intervention sociale (LERIS), des chercheurs en anthropologie de l’université de Montpellier et un chercheur en sciences de l’éducation de Paris VIII, de manière à pouvoir établir de nouveaux critères pour la grande et l’extrême vieillesse. Jusqu’à présent, ces études sont restées l’apanage des milieux médicaux et des agences régionales de santé. Avec notre université du savoir des vieux et des vieilles, nous voudrions démontrer que la vieillesse n’est pas une pathologie. C’est d’autant plus nécessaire qu’un quart de la population française a déjà plus de soixante ans et que ce taux passera à un tiers en 2050. Il n’est pas possible de continuer à avoir une vision strictement sanitaire de la vieillesse.

La loi doit accompagner les projets innovants. Pendant toutes ces années passées à la création de « La maison des Babayagas », nous nous sommes heurtées aux pouvoirs publics. Certes, nous demandons des mesures dérogatoires mais il s’agit d’une formule d’avenir, une troisième voie à côté des EHPAD et des solutions de maintien à domicile à tout prix qui présentent beaucoup d’inconvénients.

L’inauguration de notre université populaire aura lieu le 13 octobre – vous y êtes chaleureusement invités. Avec l’aide du LERIS et d’une recherche lancée par Mme Delaunay à l’époque où elle était ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, nous voulons répondre à la question : qui sont ces personnes âgées qui veulent vieillir autrement ? Chez les Babayagas, nous nous définissons comme les semeuses du futur et nous voulons créer une nouvelle civilisation de la vieillesse et du vieillissement.

L’inconvénient est que la vieillesse est souvent regardée comme une gamme de marché : le vieux coûte mais il rapporte aussi énormément. Nous porterons un regard évaluateur sinon critique sur la silver economy. À Montreuil, dans ce département de la Seine-Saint-Denis qui est si riche de culture et si pauvre en argent, nous voudrions présenter un projet permettant de réaliser des économies. Pour le moment, notre maison autogérée n’a pas de services de soins ou hôtelier ; nous nous débrouillons pour tout faire.

La maison a été construite par l’OPHLM et les bailleurs sociaux. Ce sont aussi des bailleurs sociaux qui créent une maison des Babayagas à Saint Priest, à Palaiseau, à Bagneux.

M. le rapporteur. Et à Bègles prochainement.

Mme Thérèse Clerc. À Bègles, c’est une maison des Boboyagas montée par un couple que nous avons d’ailleurs rencontré. Nous voyons beaucoup d’architectes, de travailleurs sociaux, de jeunes qui se préparent à l’animation. Ce dernier domaine aurait besoin d’être revu et corrigé car, entre boîte de chocolat et repas de Noël, les animations en maison de retraite sont souvent pénibles. Les seniors valent mieux que cela et les écoles d’animation devraient revoir leurs programmes. L’agence régionale de santé (ARS) a ses critères et nous les nôtres : le plaisir, le bien-être, le lien social et l’intelligence sont autant de facteurs qui concourent à la bonne santé des personnes âgées.

À la demande des Babayagas des autres villes, nous allons avoir une journée d’échange au mois de novembre sur les difficultés rencontrées lors de la création d’une maison. Nous avons beaucoup de contact avec l’Allemagne qui est très en avance sur les sujets liés au vieillissement, ainsi que les pays scandinaves et notamment la Suède. Nous voudrions créer un grand réseau labellisé sur l’innovation en matière de vieillesse, ce qui est difficile mais passionnant.

M. Loïc Rumeau, directeur régional du groupe SOS Seniors. En fait, je représente M. Alain Régnier qui est le président de l’association Le Pari Solidaire dont Mme Aude Messean a déjà parlé longuement. J’ajouterai simplement que Le Pari Solidaire a rejoint le groupe SOS Seniors, il y a deux ans, de manière à assurer la pérennité et le développement futur du projet associatif.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Délégation a demandé à la Commission des affaires sociales de pouvoir se saisir de ce projet de loi. La présidente Catherine Lemorton m’a donné son accord et nous avons désigné Jacques Moignard comme rapporteur. Nous n’avons que quinze jours pour mener des auditions, rendre un rapport et faire des préconisations qui pourront se traduire ultérieurement par des amendements.

Vos expériences sont diverses et je partage votre point de vue concernant l’EHPAD qui doit rester le recours ultime. Cette solution ne convient pas à tout le monde, loin de là, alors qu’elle est quasiment la seule proposée, après la fermeture de nombreux foyers. Nous devons donc diversifier les modèles, d’autant que les EHPAD ne répondront pas à la totalité des demandes : le coût moyen mensuel d’un tel hébergement fluctue entre 2 500 à 3 000 euros, et il est plus élevé encore à Paris.

Que pensez-vous de la loi ? Va-t-elle favoriser vos expériences ? Quelles améliorations peut-on y apporter ? Le communiqué de l’Association française des aidants, qui nous fait des compliments sur cette loi, me fait plaisir. Vous saluez le travail de Michèle Delaunay qui a beaucoup consulté et les propositions qui constituent une avancée considérable pour les aidants.

Dans le domaine du logement intergénérationnel, d’autres expériences ont été menées. À Poitiers, avec le concours de l’agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), nous avons porté un projet de bâtiment intergénérationnel labellisé, disposant d’un lieu d’accueil au pied du bâtiment. Nous aurions souhaité que l’entrée dans celui-ci soit conditionnée à la signature d’une charte par le locataire qui se serait engagé à veiller sur les voisins, à rendre service, comme cela se pratique dans un quartier intergénérationnel que nous avions visité à Dijon. L’idée ayant suscité des crispations, nous allons nous y prendre autrement.

L’Italie construit des immeubles où les crèches côtoient les maisons de retraite. Votre formule s’inspire plutôt des formes de cohabitation qui se pratiquent en Espagne, où j’avais travaillé sur les agences des temps, Poitiers étant devenu un site expérimental en la matière. Dans ces agences des temps, nous nous sommes beaucoup interrogés sur ces relations intergénérationnelles indispensables.

Mme Thérèse Clerc. Les porteurs de projets novateurs doivent être davantage aidés. À l’époque, l’ancien député maire de Montreuil, M. Jean-Pierre Brard, avait fini par nous emmener chez Mme Christine Boutin pour que nous puissions compléter le prêt de la Caisse des dépôts et consignation, afin de boucler notre budget de 4 millions d’euros et commencer la construction de l’immeuble de six étages et elle nous a débloqué 400 000 euros. Le conseil régional, la mairie et des organismes tels que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et diverses mutuelles ont apporté le solde. Il faut absolument aider l’innovation, alors qu’elle suscite la méfiance des politiques et des administratifs.

Une fois la forme juridique choisie, il faudrait que les collectivités territoriales, notamment la mairie et l’OPHLM, épaulent l’association et veillent à l’application des chartes et les conventions qui sont signées.

Il faut aussi veiller à l’accueil de nombreuses femmes qui sont dans une pauvreté absolue et penser à réserver des appartements en rez-de-chaussée pour les personnes âgées. À défaut d’être inscrit dans la loi, cela devrait devenir un usage pour les sociétés de HLM.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Avez-vous eu des demandes pour que des hommes puissent ouvrir le même type de maison, ou des demandes de mixité ?

Mme Thérèse Clerc. Non, parce que je suis connue comme une vieille féministe ! D’ailleurs, il n’y a quasiment pas d’hommes dans les nombreux établissements que j’ai visités depuis quinze ans. Les messieurs trouvent souvent des mains tutélaires pour les aider.

Mme Maud Olivier. Les personnes âgées demandent-elles à être avec des enfants ? Pour ma part, je n’en suis pas convaincue.

Mme Aude Messean. En Saône-et-Loire, des expériences sont menées pour sortir les personnes âgées de la grande ruralité et les reloger dans des bâtiments municipaux réhabilités dans le centre des bourgs. Dans l’une de ces opérations, les enfants de l’école viennent déjeuner avec les personnes âgées, et il paraît que les échanges sont extraordinaires.

Même la cohabitation avec un étudiant peut démarrer dans la méfiance et la réticence, et se faire à la demande des enfants de la personne âgée. Au fil du temps, la relation évolue et la vieille dame pleure quand la jeune fille s’en va.

Mme Maud Olivier. Dans la commune où je réside, un EHPAD va être construit près d’une école mais les échanges intergénérationnels se limiteront à des moments précis de la journée. C’est plus compliqué de faire cohabiter des petits enfants et des personnes âgées dans le même bâtiment et je me demande si cela répond à leur attente.

Mme Thérèse Clerc. Il faudrait d’abord définir ce qu’est l’intergénérationnel. Dans la maison des Babayagas, la plus jeune a cinquante-huit ans et la plus vieille a quatre-vingt-huit ans : il y a donc plusieurs générations. Partout en France, j’entends dire qu’il y a des frictions entre les sexagénaires et les octogénaires. Quand on arrive dans la grande vieillesse, je ne suis pas sûre que l’on ait envie d’entendre des gamins hurleurs dans les couloirs.

Le sujet mériterait une étude sérieuse, notamment sur les structures de ce type qui existent en Allemagne. J’ai cru comprendre qu’il y a des moments difficiles quand les vieilles dames descendent prendre leur thé au moment où les gamins rentrent de l’école. Il arrive aussi qu’elles demandent trop de services aux jeunes femmes qui ont une vie professionnelle et maternelle. Dans ma jeunesse, j’allais tous les dimanches chez mes grands-parents et trouvais ces visites d’un ennui confondant. Avons-nous vraiment des choses à nous dire ?

La mairie de Montreuil a donné aux lycéens une grande et belle maison qui est devenue leur bistrot et qu’ils gèrent.. Un jour, j’étais allée les voir au moment où ils tenaient leur conseil d’administration, et je leur avais proposé d’organiser des soirées en commun avec la maison des femmes, pour échanger nos musiques et nos textes subversifs. Sérieux comme des papes, ils m’avaient promis d’y réfléchir mais ils avaient fini par décliner. J’avoue avoir été un peu déçue.

La maison des Babayagas va travailler avec le lycée autogéré de Paris, situé rue de Vaugirard, pour confronter nos idées sur l’autogestion. Pour ma part, j’aimerais susciter un intérêt pour la chose démocratique et politique. Le XXe siècle fut très militant et je suis navrée de constater que la jeunesse actuelle a moins cette fibre.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut probablement s’entendre sur la définition du mot intergénérationnel. Dans les expériences que j’ai vues, il n’était nullement question de faire cohabiter des enfants et des personnes âgées en permanence, mais de les faire passer une vingtaine de minutes ensemble, le temps d’un atelier de peinture ou de raconter une histoire. Cela suffisait aux uns comme aux autres. Certains d’enfants qui n’ont pas de grands-parents apprécient de rencontrer ainsi une autre génération.

M. Loïc Rumeau. Certaines personnes très isolées peuvent recréer du lien grâce à cette présence ponctuelle et encadrée d’enfants d’école maternelle ou primaire. Il faut que l’expérience se déroule sur une période suffisamment longue, une année scolaire par exemple. Passé le temps de la stupéfaction de la première rencontre, le lien peut se tisser au travers de diverses activités. Pour des personnes qui n’ont que très peu de liens sociaux et une mobilité réduite, la proximité d’une école offre aussi des possibilités d’observations. En tant que directeur d’EHPAD, je trouve cela capital pour les établissements.

Mme Aude Messean. Les étudiants peuvent ressentir aussi la nécessité d’avoir un aîné à qui se confier et le désir de ne pas être seul. Nous avons voulu vaincre l’isolement des personnes âgées et nous réalisons que les jeunes souffrent aussi de solitude quand ils n’ont pas de famille à proximité, ni les moyens d’aller prendre un café après leurs cours.

On ne place pas des jeunes de dix-huit ans chez des centenaires très dépendants ; ils cohabitent avec des femmes d’une cinquantaine ou d’une soixantaine d’années qui peuvent devenir des tantes ou des grands-mères de substitution. Pour autant, le nombre d’hôtes reste ridiculement faible par rapport au nombre de personnes potentiellement concernées, ne serait-ce que dans Paris intra-muros : nous avons rarement plus de 200 accueillants en même temps, alors que nous avons 600 ou 1 000 jeunes candidats très intéressés. Nous ne pouvons vous parler que de gens enclins à créer ce lien intergénérationnel, puisque c’est ce qu’ils viennent chercher chez nous.

M. le rapporteur. Les âges que vous citez m’effraient un peu : à soixante ans, nombre de personnes n’ont pas besoin de faire appel à des étudiants pour occuper leurs soirées.

Mme Aude Messean. Dans cette tranche d’âge, elles louent une chambre pour avoir un complément de revenu et créer du lien ; les binômes vont au cinéma ou au théâtre ensemble.

M. Loïc Rumeau. L’association a cherché à répondre à plusieurs besoins progressivement, ciblant au départ les personnes qui pouvaient difficilement rester seules à leur domicile. Puis, nous avons constaté que le service pouvait être élargi à des personnes ayant une chambre disponible qui en profitent pour développer des liens avec des jeunes qui peuvent aussi en ressentir le besoin. Nous recréons ainsi une forme de cohabitation intergénérationnelle.

Mme Élodie Jung. Il ne faut pas faire d’amalgame entre le grand âge et les situations de dépendance. Selon les statistiques, seulement 20 % des personnes deviennent dépendantes à un moment donné. Même en situation de dépendance, on demeure une personne qui a des envies et des attentes : voir des jeunes ou pas, rester chez soi ou aller à l’EHPAD, avoir ou non des intervenants professionnels qui entrent et sortent de la maison comme dans un moulin. La loi doit éviter de faire des amalgames.

Mme Thérèse Clerc. À Saint-Herblain, des jeunes et des personnes âgées font des émissions sur une radio locale. À la Tremblade, des lycéens apprennent aux plus âgés à utiliser un ordinateur. À l’instigation des directeurs de cette jolie maison de retraités où l’on aurait quasiment envie de rester, des équipes de cinq ou six femmes âgées vont raconter leur histoire sur la radio Demoiselle FM de Rochefort. Un historien de la région va regarder comment leurs petites histoires s’inscrivent dans la grande histoire de la Charente et de la Vendée. Il faut faire des choses ensemble, mais avec imagination et en s’adaptant aux horaires des uns et des autres.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Quelles observations portez-vous sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ? En particulier, quels éléments ont conduit l’Association française des aidants à saluer des avancées dans ce projet de loi, dans un communiqué de presse de mars dernier ?

Mme Élodie Jung. Pour revenir au projet de loi, nous avons en effet publié un communiqué pour exprimer notre satisfaction : le texte réaffirme que les aidants n’ont pas vocation à devenir des intervenants professionnels ; le vocabulaire a été choisi avec soin pour qu’il n’y ait pas d’amalgame dans les rôles et les places ; il manifeste la volonté de faire vivre ce qui existe localement.

Cependant, nous qui plaidons pour un accompagnement transversal des personnes qui rencontrent des difficultés, nous regrettons qu’il se concentre uniquement sur les personnes de plus de soixante ans. Quelles sont les articulations possibles entre les différentes mesures mises en œuvre dans le plan sur les maladies neurodégénératives et le projet de loi relatif à la santé ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si les personnes âgées sont souvent des femmes, les aidants le sont aussi majoritairement. À peine les enfants partis, les parents – voire les beaux-parents – réclament leurs soins et les interruptions de carrières s’accumulent. Un autre grand moment de désarroi survient lorsque les enfants doivent prendre des décisions qui ne correspondent pas toujours à la volonté des parents, telles que la vente de la maison et le placement en EHPAD.

Mme Thérèse Clerc. L’essentiel est de sortir les personnes âgées du cadre strict de la santé. Même les foyers-logements ont été médicalisés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans les années 80, la moyenne d’âge des couples qui vivaient dans le foyer logement de ma ville était de soixante-cinq ans. Actuellement, dans l’EHPAD et ce qui reste de foyer-logement, la moyenne d’âge se situe à quatre-vingt-dix ans. On n’entre plus à soixante-cinq ans en foyer-logement car on se sent encore en pleine forme.

M. le rapporteur. Je regrette toujours que les accueils collectifs, quel que soit leur nom, n’existent plus. La maison de retraite de Montech était plutôt sympathique et l’ancien maire y avait pris pension à l’âge de soixante ou soixante-cinq ans, parce qu’il était veuf. Il entrait et sortait à sa guise, et s’y faisait dorloter. Actuellement, les établissements sont généralement spécialisés et médicalisés.

Mme Élodie Jung. Va aussi se poser la question des personnes handicapées vieillissantes qui, par le passé, mourraient avant d’atteindre la soixantaine. L’EPHAD n’est pas forcément la formule adaptée à leur cas.

S’agissant des aidants, les statistiques ne montrent pas qu’il s’agit essentiellement de femmes. Selon les résultats de l’enquête « handicap santé aidants », six aidants sur dix sont des femmes. En réalité, dans les situations de dépendance les plus lourdes et quand il s’agit des soins au corps et des soins personnels, huit aidants sur dix sont des femmes. Les hommes s’occupent davantage de la coordination des professionnels ou des tâches administratives et financières. Il existe aussi une tendance à aller systématiquement chercher la femme dans l’entourage : s’il n’y a pas de fille, de préférence célibataire, on se tourne vers la belle-fille, la cousine, la voisine...

M. le rapporteur. Les stéréotypes sont bien ancrés et on continue à orienter exclusivement des filles vers certains métiers.

Mme Élodie Jung. Il faudrait mener un travail sur les représentations car elles ont la peau dure. Un conseil régional a réalisé une étude sur le nombre d’heures d’intervenants professionnels accordées dans le cadre de l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA). Si l’aidant est une femme, le nombre d’heures accordées est moins élevé que si c’est un homme. On parle d’aidant naturel parce qu’il est naturel d’aider un proche, mais cela renvoie à la représentation des femmes.

Mme Thérèse Clerc. « Biologie n’est pas destin », disait Simone de Beauvoir !

Mme Aude Messean. Dans les cas d’Alzheimer, le conjoint ou l’enfant peut mourir d’épuisement avant le malade. Le temps de l’aide est-il prévu dans le calcul de la retraite comme les congés de maternité et le nombre d’enfants ? N’y a-t-il pas moyen d’attribuer des trimestres supplémentaires à ces femmes aidantes qui, la plupart du temps, quittent leur travail ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faudrait vérifier le nombre de trimestres qui ont été ajoutés mais cela ne résout pas le problème de l’épuisement. Il est nécessaire d’ouvrir des lieux d’accueil le temps d’un après-midi ou d’un week-end, pour que la personne aidante puisse avoir des moments de répit. Mme Bachelot avait annoncé un grand plan Alzheimer. Mais ce sont des sujets compliqués.

Mme Thérèse Clerc. Ma fille a dû rester vingt ans à la maison pour s’occuper d’un enfant autiste. Que prévoit la loi pour améliorer la retraite des gens comme elle ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons adopté des mesures récemment, mais la loi n’est pas rétroactive.

Mme Élodie Jung. Il faut veiller à ce que les femmes ne soient pas obligées de s’arrêter de travailler, en donnant aux personnes en difficulté les réponses requises par leur état de santé.

M. le rapporteur. N’oublions pas le sentiment de culpabilité.

Mme Élodie Jung. C’est pourquoi il faut aussi changer le regard de la société sur les aidants.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mesdames, Monsieur, je vous remercie.

La séance est levée à 19 heures 10.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Catherine Coutelle, M. Jacques Moignard, Mme Maud Olivier.