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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 16 juin 2015

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

La séance est ouverte à 17 heures 30.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Monsieur le Défenseur des droits, sur les 100 000 demandes d’intervention en 2014 auprès de votre institution, 73 000 ont donné lieu à des dossiers de saisine, dont 4 500 réclamations pour discrimination. La réforme constitutionnelle de 2008 avait donné lieu à beaucoup de discussions sur l’intégration de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) au sein de votre institution, en particulier pour savoir si les personnes victimes de discrimination retrouveraient facilement leur interlocuteur auprès de vous. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Mais au vu de votre activité, j’ai l’impression que la réponse est positive.

Pour nous, le Défenseur des droits remplit deux rôles. Le premier est de recevoir les réclamations, et votre bilan annuel témoigne des discriminations à l’œuvre dans la société française. Le second est d’alerter le Gouvernement et le Parlement sur des textes de loi, comme vous avez pu le faire récemment à propos de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, du projet de loi relatif à la réforme de l’asile, la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, et le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, sur lequel vous avez, à la mi-mai, alerté le Gouvernement et écrit à notre rapporteure, Mme Sandrine Mazetier, votre lettre nous étant parvenue le 29 mai. En fait, vos avis nous arrivent trop tard, car nous devons travailler en amont de la commission saisie au fond des projets de loi. Or, la commission des Affaires sociales a commencé l’examen du projet de loi relatif au dialogue social à la mi-mai. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) et le Conseil supérieur à l’égalité professionnelle (CSEP) travaillent en amont, ce qui nous est très utile pour proposer des améliorations aux textes.

Aujourd’hui, nous souhaitons vous entendre sur le travail du Défenseur des droits et connaître votre regard sur les textes de loi, à travers le prisme de l’égalité femmes-hommes.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Je suis accompagné de Mme France de Saint-Martin, ma nouvelle attachée parlementaire, et de Mme Nathalie Bajos, directrice de notre nouveau département « Promotion de l’égalité et de l’accès aux droits » (PEAD), dont je vous dirai un mot tout à l’heure.

Depuis que la HALDE a été remplacée par le Défenseur des droits, nous avons reçu 80 % de requêtes supplémentaires en matière de discriminations, preuve que la demande en la matière reste très exigeante.

Le Défenseur des droits est compétent dans quatre domaines : la médiation avec les services publics, la déontologie de la sécurité, la défense des droits des enfants et, enfin, la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité – discriminations à raison du sexe, de la maternité ou de la situation familiale notamment. Dans ce dernier domaine, nous avons beaucoup à faire. Néanmoins, nous ne disposons pas de toutes les compétences liées aux problématiques des droits des femmes. Par exemple, notre compétence sur les violences est très limitée : nous n’intervenons qu’en cas de défaillance d’un service public d’accompagnement ou de protection, ou de mauvais comportement professionnel d’une force de sécurité. Par contre, étant garants de la protection de l’enfant, nous intervenons en matière de violences intrafamiliales – je rappelle qu’un tiers des auteurs de réclamation relatives à la défense des enfants sont des mères. Le Défenseur des droits est également très impliqué sur les questions liées à la protection maternelle et infantile (PMI) – nous sommes à l’origine, dans le cadre du projet de loi relatif à la santé, d’une disposition à ce sujet. Enfin, nous travaillons à l’accompagnement de la parentalité.

En 2014, nos services centraux et nos 400 délégués territoriaux ont instruit 73 000 dossiers. Sur ce nombre total de réclamations, 4 500 portaient sur les discriminations, dont 8 % à raison du sexe (ce qui en fait le quatrième critère de discrimination) et 5 % à raison de l’état de grossesse (ce qui en fait le cinquième critère) – le premier critère restant l’origine, à 25 %, et le deuxième critère étant le handicap, à 20 %. Bien entendu, les motifs de réclamation peuvent se croiser, puisque nous pouvons être saisis de femmes en situation de handicap – nous menons actuellement une étude sur les femmes handicapées au travail. Depuis un an et demi, nous avons mis en place un outil, dénommé AGORA, qui va nous permettre de mener un travail d’observation des réclamations et de les analyser, ce qui nous sera fort utile pour la promotion de l’égalité.

La France possède le taux de natalité le plus élevé d’Europe – après l’Irlande – et un taux d’emploi des femmes lui-même très élevé. On pourrait donc penser que les choses vont bien. Or, il n’en est rien : l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle est très difficile pour les femmes, comme le montrent les discriminations observées à raison de la maternité. C’est d’ailleurs une des choses qui m’a le plus frappé depuis les neuf mois que je suis en fonction : il existe encore, en 2015, des comportements discriminatoires – en matière de congés, d’heures supplémentaires, de carrière, etc. – à l’égard de femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher !

Nous avons donc rendu beaucoup de décisions en la matière. La première que j’ai signée concernait un grand cabinet d’architecte, qui avait très mal traité, jusqu’à la licencier, une de ses architectes salariés, mère de trois enfants. En outre, le 11 décembre 2014, le Conseil de prud’hommes d’Évry a suivi nos observations en reconnaissant l’existence de discriminations à l’encontre d’une salariée à raison de son sexe, de sa situation de famille et de sa grossesse, et il a condamné la société à verser à cette dernière 5 000 euros de dommages et intérêts pour discrimination et 15 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement entaché de nullité.

Nous recevons beaucoup de réclamations, je l’ai dit, mais rapporté aux données d’enquête sur les discriminations, ce nombre est bien inférieur à la réalité. C’est pourquoi un de mes axes de travail est le développement de l’accès aux droits, grâce à une action plus systématique devant les tribunaux, la diffusion d’informations sur les droits et les voies de recours, la mobilisation des associations, mais aussi tout le travail dont est chargé notre nouveau département PEAD. Concrètement, il s’agit de venir en aide à une partie de la population, démunie matériellement ou socialement, qui ne connaît pas ses droits ou ne sait pas comment les faire valoir, et qui éprouve souvent un sentiment de résignation, voire d’abandon. C’est ainsi que notre site Internet apporte une information directe au grand public et diffuse des fiches d’orientation, notamment sur les éléments à réunir pour porter une réclamation.

Bien entendu, nous tirons de ces règlements individuels des recommandations générales. À titre d’exemple, dans une décision du 30 mars 2015, nous avons épinglé un centre d’examen délivrant le certificat d’aptitude professionnelle agricole de maréchal-ferrant, une jeune femme ayant saisi le Défenseur des droits pour nous signaler que le certificat y était peu délivré aux femmes. Grâce à une comparaison statistique, méthode aujourd’hui admise par la Cour de cassation, nous avons réussi à démontrer que, par rapport à d’autres centres d’examen, le centre en question ne traitait pas les candidates de manière égale. Nous avons alors recommandé au ministre de l’agriculture, M. Le Foll, de prendre des mesures afin que chaque centre d’examen s’assure de l’absence de critère d’évaluation discriminatoire ou de biais discriminatoire dans le processus d’évaluation, et de mettre en place des moyens de vigilance sur les taux de réussite selon le sexe dans ses centres d’examen. Ces indicateurs statistiques permettant d’apprécier l’égalité entre les femmes et les hommes pour l’accès à ces diplômes.

Voilà pour notre activité qui nous amène à prendre en compte des réclamations : un droit existe, mais n’est pas appliqué ; une inégalité de traitement est constatée ; nous essayons de rendre effectif le droit en corrigeant l’inégalité de traitement.

Bien évidemment, nous voulons aller plus loin, c’est-à-dire promouvoir les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes et, à ce titre, être un des acteurs qui contribue à ce travail à l’œuvre dans notre société grâce à un certain nombre d’institutions publiques, comme le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), créé en 2013 et dont est membre Mme Nathalie Bajos.

Le Défenseur des droits est, premièrement, un organe de protection : nous défendons les personnes dont les droits ne sont pas respectés. Deuxièmement, notre maison est un centre de ressources, où nos experts peuvent apporter à l’ensemble de la société – institutions, professions, entreprises, syndicats, écoles, particuliers – toute une série d’informations et d’outils, par exemple sur ces sujets de discrimination et d’égalité femmes-hommes. Troisièmement, nous menons un travail de promotion, en particulier en essayant de faire avancer le droit ; c’est dans ce cadre que nous sommes amenés à présenter au Parlement des propositions de réforme ou d’amendement, ou à interroger les ministres – pour ce qui vous concerne, Mme Marisol Touraine et Mme Pascale Boistard, mais aussi Mme Laurence Rossignol au sujet de la protection de l’enfant et de la famille.

Jusqu’à mon arrivée, notre maison comportait une direction de la promotion des droits, et, parallèlement, diverses activités de promotion et de communication. J’ai donc installé un nouveau département de la promotion de l’égalité et de l’accès aux droits, à la tête duquel Mme Nathalie Bajos a été nommée il y a deux mois, et où sont désormais regroupés la promotion des droits, la lutte contre les discriminations – en matière de logement, d’emploi, à raison du sexe, etc. –, mais aussi la communication, la documentation, les études, la recherche, nos activités internationales et européennes et, enfin, notre contribution aux réformes. Ce nouveau département nous permettra de promouvoir plus efficacement les droits, notamment au regard de l’égalité femmes-hommes, en contribuant au changement des mentalités, à l’amélioration des textes, bref, en menant des actions de prévention et de promotion, et pas seulement des actions de réparation. Nous nous appuyons sur trois instruments.

Premier instrument : nos relations partenariales.

Nous avons d’abord des partenaires associatifs. Dominique Baudis avait créé un comité de concertation pour l’égalité femmes-hommes, au sein duquel sont représentées quatorze associations œuvrant chacune sur un aspect de cette question et qui se réunit deux fois par an. Nous tirons un très grand profit de ces relations avec la société civile. Je précise que nous avons huit comités de concertation ou d’entente et de liaison, lesquels ne comportent aucun représentant de l’administration, aucune personnalité politique, uniquement des représentants de la société civile, à savoir des associations (de défense des droits de l’enfant, par exemple), ou des acteurs professionnels (intermédiaires de l’emploi, représentants du logement), autant de secteurs où les risques de discrimination sont très élevés et où nous pouvons avoir une action pédagogique très importante.

Nous avons également des partenariats institutionnels, notamment avec le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dont le Défenseur des droits est membre de droit. À l’invitation de sa présidente, Mme Danielle Bousquet, j’ai participé au mois de novembre dernier à une séance du HCEfh. J’ai rencontré Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du CSEP, et Mme Stéphanie Seydoux, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité. Le département PEAD participe à de très nombreuses rencontres. Nous essayons par ailleurs de construire des réflexions communes avec d’autres centres de ressources, dont le Centre Hubertine Auclert.

Nous travaillons, en outre, avec des réseaux européens, notamment le plus important d’entre eux, Equinet, qui rassemble les organismes luttant contre les discriminations et pour l’égalité. À titre d’exemple, le Défenseur des droits a animé un séminaire de la Commission européenne sur le harcèlement sexuel.

Deuxième instrument : les travaux de recherche et les études.

À notre demande, des équipes d’économistes ont réalisé pendant deux ans une étude – financée par le Défenseur des droits et la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) – sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans les trois fonctions publiques, dont les résultats, publiés en mars 2015, sont particulièrement éclairants. Ils montrent, en effet, que l’écart de salaire global moyen entre les femmes et les hommes employés à temps complet était, en 2009, de 8 % dans la fonction publique territoriale. Plus les niveaux de rémunération des emplois sont élevés, moins les femmes ont une probabilité d’y accéder, ce qui confirme l’existence du plafond de verre. Les écarts de rémunération frappent plus particulièrement les femmes de catégorie A et C, puisque respectivement 13 % et 14 % des différences de rémunération sont liées au sexe. En outre, l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle a un impact négatif sur le déroulement de carrière. Ainsi, au sein de la fonction publique territoriale, les femmes ayant donné naissance à leur premier enfant perçoivent un salaire journalier, en équivalent temps plein, trois années après cette naissance, en moyenne 5,5 % inférieur à celui perçu par les femmes n’ayant pas encore donné naissance à un enfant ; la naissance d’un deuxième enfant engendre une perte additionnelle de salaire journalier en moyenne de 8,7 % trois années après cette naissance ; et celle d’un troisième enfant une perte supplémentaire de salaire journalier de 17,9 %. Des écarts similaires sont également constatés dans la fonction publique de l’État et dans la fonction publique hospitalière.

Au vu de ces résultats, une mobilisation de toutes les fonctions publiques – dans lesquelles, je le rappelle, les femmes sont surreprésentées – est nécessaire en vue d’élaborer des plans d’action visant à réduire les écarts constatés, avec des objectifs et un calendrier. Certains sujets doivent être creusés, par exemple l’attribution des primes, les exigences de mobilité pour la promotion. Peut-être faut-il de nouveaux travaux de recherche. Il convient en outre de s’interroger sur le socle des rémunérations dans les cadres d’emploi, l’évaluation des différents corps et emplois, sachant que la ségrégation horizontale est forte dans la fonction publique, à l’instar du secteur privé.

Par ailleurs, nous avons réalisé un travail sur les emplois à prédominance féminine. Je rappelle que la négociation sur les classifications professionnelles dans le privé a échoué, alors qu’elle pouvait justement constituer un support pour traiter ces questions. Il faut donc reprendre la révision des classifications professionnelles, mais dans un autre cadre, puisque jusqu’à présent les employeurs et les syndicats ont été incapables de se mettre d’accord.

La deuxième étude importante est le huitième baromètre DDD/OIT (Défenseur des droits/Organisation internationale du travail) de perception des discriminations dans l’emploi, publié au mois de janvier 2015. Du 27 octobre au 18 novembre 2014, nous avons interrogé les demandeurs d’emploi, ce qui nous a permis de constater la persistance des discriminations à l’embauche liées au sexe, à l’état de grossesse ou à la situation de famille. Par exemple, le fait d’être enceinte est considéré comme désavantageux pour l’obtention d’un emploi pour 80 % des personnes interrogées – ce qui en fait le deuxième critère ressenti comme discriminant après celui de l’âge. Avoir des enfants est considéré comme handicapant pour 50 %, et être une femme pour 37 % des personnes interrogées. Pour les demandeurs d’emploi qui déclarent avoir été victimes de discrimination, ils et elles considèrent que 19 % des discriminations étaient fondées sur le sexe, 12 % sur la situation de famille et 2 % sur la situation de grossesse. Enfin, 48 % des personnes témoignent avoir été interrogées lors d’un entretien d’embauche ou d’une épreuve de concours administratif sur leur situation de famille actuelle ou future – deuxième question la plus posée après celle sur l’âge. Naturellement, tout cela est interdit.

Je précise que nous préparons un nouveau dépliant d’information sur les droits des demandeurs d’emploi et les discriminations, que nous ferons parvenir à Pôle emploi notamment.

Nous avons également réalisé avec 60 Millions de consommateurs, un testing par téléphone sur l’accès au logement locatif, dont les résultats ont été publiés en février 2014. En la matière, les discriminations sont très claires, les critères les plus discriminants étant l’âge, l’origine supposée, la situation familiale et le handicap. Cette enquête a montré la force des discriminations à l’encontre des mères célibataires, qui essuient un tiers des refus de visite, et auxquelles il est demandé, beaucoup plus qu’à d’autres candidats, de produire un contrat de travail.

Par ailleurs, nous sommes partenaires de l’enquête « Violences et rapports de genre » (VIRAGE), qui concerne 30 000 personnes et dont l’opération de collecte est en cours. Dans ce cadre, nous nous intéressons tout particulièrement aux enfants, aux travailleuses, aux migrantes, et à l’accès au recours.

Troisième instrument : des outils ou des actions que nous avons mis ou que nous envisageons de mettre en place.

Le premier, que vous connaissez bien, est notre « Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine » dont l’objectif est de favoriser l’effectivité du principe « un salaire égal pour un travail de valeur comparable ». Ce guide a été publié le 1er mars 2013 sur la base d’une réflexion collective menée, pendant plus de deux ans, par un groupe de travail pluridisciplinaire animé par deux chercheuses, Mme Rachel Silvera et Mme Séverine Lemière, et associant des experts de l’égalité femmes-hommes, des représentants de l’administration, des organismes, des partenaires sociaux et des organisations syndicales. En 2010, la HALDE avait déjà mené une étude sur le sujet. Ce guide est toujours diffusé – le principe d’égalité salariale est encore trop largement méconnu – et il est utilisé comme base pour de nombreuses formations et sensibilisations auprès des acteurs de l’emploi. Acteurs de l’emploi qui, je le redis, n’ont pas avancé sur les classifications professionnelles. Aussi envisageons-nous de réfléchir avec un certain nombre de partenaires, peut-être avec les parlementaires eux-mêmes, sur des pistes d’action pour relancer ce sujet, en l’étendant à la fonction publique, en l’occurrence au cadre de gestion des rémunérations.

Deuxièmement, nous publierons prochainement une fiche thématique de synthèse qui élargira le propos de notre guide sur les métiers à prédominance féminine, en apportant des informations sur la rédaction d’une fiche de poste, l’entretien d’embauche, l’évaluation, la rédaction d’un curriculum vitae, etc.

Toujours dans le domaine de l’égalité de traitement dans l’emploi, nous agissons au niveau des collectivités territoriales. Nous passons une convention avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), qui portera sur un grand nombre de sujets, comme l’extension de notre réseau territorial, le travail sur le terrain avec nos délégués territoriaux, mais aussi l’égalité femmes-hommes dans les fonctions publiques territoriales. Nous mettons en place un module de formation sur la lutte contre les discriminations et l’égalité professionnelle. En outre, le 13 octobre prochain, un événement rassemblera le Défenseur des droits, le CNPFT et d’autres partenaires sur l’application de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Nous avons conclu un partenariat avec l’Essonne il y a quelques années, qui nous a permis de créer une « mallette ressources humaines » comportant des fiches pratiques sur tous ces sujets – on peut imaginer le faire avec bien d’autres départements.

Pour ce qui est des employeurs privés, nous allons publier et diffuser à l’automne prochain le guide « Évaluer et agir pour l’égalité », qui sera le contrepoint du guide destiné aux collectivités territoriales.

Le Défenseur des droits souhaite également agir sur les territoires. C’est ainsi que nous participons à la mise en œuvre de la politique de la ville au travers des contrats de ville. Grâce à une convention avec le Commissariat général à l’égalité des territoires, nous allons lancer des expérimentations à Vaulx-en-Velin, à Plaine Commune, à Istres et Miramas, et travailler sur l’introduction de la lutte contre les discriminations dans les contrats de ville. Naturellement, l’égalité femmes-hommes est au cœur de ce dispositif.

Nous travaillons aussi sur l’emploi des femmes en situation de handicap. C’est tout l’intérêt de notre comité de concertation pour l’égalité femmes-hommes, car c’est à la suite d’une intervention de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir (FDFA) que nous avons lancé ce sujet. En effet, l’intégration des travailleurs handicapés montre une absence d’égalité entre les femmes handicapées et les hommes handicapés. Nous avons lancé une étude sur le cadre juridique et procédé à l’audition d’associations spécialisées, et je pense que nous aurons les conclusions de ce travail en septembre prochain.

Je vais maintenir dire un mot sur le harcèlement moral et sexuel.

Sur le harcèlement sexuel au travail, nous avons réalisé une enquête dont les résultats ont été publiés en mars 2014. Comme le montre cette enquête inédite, 20 % des femmes actives déclarent avoir été confrontées personnellement à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle, 20 % des Français déclarent connaître au moins une personne ayant été victime de harcèlement sexuel dans le cadre de son travail, et 30 % des personnes concernées déclarent avoir gardé un silence total à la suite de ces faits. Or, les saisines du Défenseur des droits sont rares par rapport à l’ampleur d’un phénomène que les enquêtes permettent de constater. D’où la diffusion massive de nos deux dépliants d’information sur le harcèlement moral et sur le harcèlement au travail, mais aussi les études que notre département PEAD va réaliser pour analyser les raisons d’une telle distance entre les situations vécues et l’absence d’appel au Défenseur des droits ou au procureur – la résignation, dont je parlais tout à l’heure. Contrairement à ce que vous nous avez suggéré, nous n’avons pas expertisé la piste proposée par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP), à savoir l’introduction dans le code du travail de la notion d’agissement sexiste. Néanmoins, nous sommes d’accord pour approfondir la réflexion, en particulier sur le développement de la jurisprudence en matière de harcèlement sexuel comme de harcèlement moral lié au sexe. Pour ce faire, nous travaillons avec l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), membre de notre comité de concertation femmes-hommes, laquelle nous a transmis des dossiers, dont l’un va être plaidé au conseil des prud’hommes cette année et sur lequel nous ferons des observations.

J’en viens à nos interventions sur les projets de loi discutés au Parlement. La Délégation aux droits des femmes travaille en amont de ces textes, alors que le Défenseur des droits intervient auprès du rapporteur de la commission saisie au fond. À ce stade, nous sommes souvent entendus, mais sur les questions qui vous concernent, nous n’abordons pas les choses suffisamment en amont comme vous le faites. Il nous faut donc réfléchir à la façon dont nous pourrons, à l’avenir, agir par le truchement de votre délégation avant d’intervenir auprès de la commission saisie au fond.

Concernant le projet de loi relatif à la santé, nous avons applaudi la suppression du délai de réflexion de sept jours préalable à l’IVG, que nous avions demandé comme vous. Mais nous avons demandé plus, à savoir la suppression de la clause de conscience, à laquelle vous êtes également favorables. J’en ai fait part au rapporteur du Sénat où le texte sera examiné en commission le 22 juillet et en séance publique au mois de septembre.

S’agissant du projet de loi sur le dialogue social, inscrit à l’ordre du jour du Sénat à partir du 22 juin, nous avons fait une démarche, malheureusement trop tardivement, auprès de Mme Sandrine Mazetier. La pression des employeurs au sujet des articles 13 et 14 reste très forte – il faudra donc être très vigilant, car la simplification du dialogue social ne doit pas brider les avancées de l’égalité professionnelle.

D’autre part, je vais faire le nécessaire pour que le Sénat prenne en compte ce que nous avions proposé à Mme Sandrine Mazetier, à savoir le rétablissement de l’article 7 et de l’article 10 de la loi du 4 août 2014, censurés par le Conseil constitutionnel comme cavaliers législatifs, dispositions que vous aviez soutenues, dont l’une prévoyait le remboursement par l’employeur des indemnités versées par Pôle emploi, sanction à mes yeux efficace.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons été victimes de la règle dite de « l’entonnoir » : le Conseil constitutionnel a jugé que les articles 7 et 10, introduits par voie d’amendement après la première lecture, étaient inconstitutionnels car insuffisamment rattachés à des dispositions restant en discussion. Il faudra que le Sénat reprenne ces dispositions dans le projet de loi relatif au dialogue social en juin !

M. Jacques Toubon. Ce sera tout le travail de mon attachée parlementaire, Mme France de Saint-Martin, qui a travaillé au groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) du Sénat pendant plusieurs années.

Autre texte sur lequel nous avons été très actifs, la proposition de loi de M. Razzy Hammadi sur le recours collectif en matière de discrimination, votée à l’Assemblée avec des améliorations. Mme Christiane Taubira va certainement l'intégrer dans son projet « Justice 21 » et nous participons au travail d’élaboration du texte du ministère de la Justice – nous avons encore eu une réunion vendredi à ce sujet. Il est clair que, s’il existe un domaine de discrimination dans lequel le recours collectif peut avoir une efficacité, c’est celui de la discrimination à raison du sexe, mais à condition que le texte soit véritablement maniable, comme nous l’avons proposé, c’est-à-dire que le passage obligé par les associations et les syndicats ne soit pas exclusif. En effet, et je l’ai dit à M. Razzy Hammadi, la possibilité de constituer des groupes spontanés et de présenter des recours individuels, sans passer par des associations et des syndicats, aurait plus d’efficacité, notamment pour un sujet comme les droits des femmes.

Je termine par trois sujets sur lesquels travaille le Défenseur des droits.

Un groupe de travail du Défenseur des droits étudie la question de l’évolution de la procédure pour le changement de la mention du sexe à l’état civil. En effet, la procédure actuelle est d’une très grande lourdeur, pour ne pas dire d’une très grande sauvagerie. Nous envisageons de faire une proposition à Mme Christiane Taubira pour la mise en place d’une procédure plus humaine.

Ensuite, nous travaillons sur la question de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes. Le HCEfh a travaillé sur ce sujet. La saisine du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ne donnera probablement pas beaucoup de résultat avant un certain temps. Pour nous, cette question se pose au titre de l’égalité des droits, et je pense que nous aurons l’occasion de nous exprimer prochainement.

Enfin, sous l’impulsion de Mme Nathalie Bajos, nous nous attachons à développer la féminisation du vocabulaire et des titres dans notre maison. Mais nous nous sommes aperçus que les logiciels sont configurés de telle sorte que nous sommes bloqués sur notre site internet… Nous allons donc nous adresser à Google pour qu’il invente un autre algorithme ! (Sourires.)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup pour ces réponses très intéressantes.

S’agissant des personnes transgenres, envisagez-vous une situation à la maltaise ? Malte, pays pourtant très conservateur, a voté une loi, sidérante de simplicité, sur le changement de sexe.

M. Jacques Toubon. Je ne suis pas sûr que la France votera une loi à la maltaise, mais il est certain que les exigences de la jurisprudence actuelle – excessives et inhumaines – doivent évoluer. Ce sujet, qui intéresse principalement les représentants de la Fédération LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans de France) et qui concerne un petit nombre de personnes, revêt néanmoins une très haute portée symbolique, en particulier pour le Défenseur des droits dont la mission est d’assurer l’égalité de tous – et l’égalité de tous par rapport à ce que chacun veut être.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je voulais simplement dire qu’il est très étonnant que Malte ait traité ce sujet avec une telle rapidité.

M. Jacques Toubon. Ne pensez-vous pas que cela ait été fait pour attirer un certain tourisme ? Cela n’est pas nouveau : d’autres pays ont voté des lois pour attirer certaines personnes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans le cadre notamment d’un accord national interprofessionnel (ANI), nous avons beaucoup discuté du thème « salaire égal pour un travail de valeur comparable ». La négociation sur les qualifications doit avancer car, pour ne prendre qu’un exemple, un homme portant des charges est considéré comme exerçant un métier pénible, alors que cette pénibilité n’est pas reconnue à une femme travaillant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et portant des personnes âgées toute la journée.

M. Jacques Toubon. Il est sidérant que les écarts de rémunérations entre les hommes et les femmes soient encore évalués à 15 % dans la fonction publique, où les grilles indiciaires devraient garantir l’égalité !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Et personne ne nous croit, d’où l’importance des enquêtes pour prouver cette inégalité ! On m’a encore dit cette semaine que les inégalités salariales entre les femmes et les hommes n’existent pas dans la fonction publique !

M. Jacques Toubon. Mais si ! Il y a des inégalités salariales dans les trois fonctions publiques !

Mme la présidente Catherine Coutelle. On comprend l’importance des indicateurs de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes !

Mme Édith Gueugneau. Monsieur le Défenseur des droits, je vous remercie de votre intervention très riche.

Vous avez rappelé que l’égalité femmes-hommes reste un chantier inachevé. Selon vous, comment la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes modifie-t-elle aujourd’hui les comportements dans l’entreprise ? L’évolution est-elle positive ou le chemin est-il encore très long ?

M. Jacques Toubon. Il faudrait réaliser une évaluation à ce sujet. À ce stade, mon sentiment est que les comportements n’ont pas changé.

M. Christophe Premat. Monsieur le Défenseur des droits, vous avez rappelé les inégalités salariales. La discrimination en matière de mobilité professionnelle est beaucoup plus difficile à repérer. Député des Français établis en Europe du Nord, je suis témoin d’un certain nombre de difficultés auxquelles sont confrontées les femmes à leur retour en France, notamment après avoir connu une rupture dans leur vie professionnelle ou familiale. Il me semble que Mme Chantal Bourragué avait été chargée d’une mission il y a quelques années pour évaluer la répartition des postes en termes de genre au sein du réseau culturel. La mobilité touche aussi les fonctions publiques, notamment les femmes. Il serait intéressant de l’évaluer.

Par ailleurs, je connais beaucoup de cas de personnes transgenres dans ma circonscription confrontées à ce problème d’identité.

Enfin, une question a été posée lors d’une séance plénière de l’Assemblée des Français de l’étranger en mars 2014 sur la création d’un défenseur des droits pour les Français de l’étranger. Pour l’instant, certaines plaintes sont dirigées directement vers la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Le Quai d’Orsay a évoqué la nécessité d’un diplomate. Pour ma part, je pense qu’une personne ayant une sensibilité juridique serait plus appropriée. Que pensez-vous d’un défenseur des droits pour les Français de l’étranger ?

M. Jacques Toubon. Je m’occupe de cette question dans le cadre de l’extension de mon réseau territorial, la meilleure solution étant probablement la mise en place de quelques délégués territoriaux chargés de certaines circonscriptions. La meilleure solution est celle d’un défenseur des droits – et non d’un diplomate, car il existe déjà des consuls.

Mme Nathalie Bajos va vous répondre sur la mobilité professionnelle.

Mme Sophie Dessus. Merci, monsieur le Défenseur des droits, de votre exposé.

À l’occasion de la fête des mères, nous avons reçu dans nos boîtes aux lettres des prospectus publicitaires pour des aspirateurs, des fers à repasser, des grille-pain et même une balayette de toilettes rose et noire, et sur lesquels était écrit « Faites-leur plaisir » – avec le mot « plaisir » en très gros caractères ! Il faut changer cette image !

M. Jacques Toubon. Notre travail de promotion consiste aussi à s’attaquer aux stéréotypes. L’année dernière, je me suis rendu dans un collège avec Mme Najat Vallaud-Belkacem pour une séance consacrée aux stéréotypes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous pensions que les choses avaient progressé, mais quelle claque nous recevons avec ce genre de publicité ! Il faut lutter contre ces préjugés fondés sur le sexe, d’où l’importance de l’éducation sur l’égalité dès l’école.

Mme Pascale Crozon. Les catalogues pour jouets au moment de Noël sont scandaleusement sexistes, avec, d’un côté, les camions, les voitures, etc., et, de l’autre, les poupées, la poussette, la cuisine... Cette représentation des garçons et des filles ne fait qu’augmenter le sexisme ambiant.

Je suis très sensible à votre propos, monsieur le Défenseur des droits, sur le changement de sexe. Depuis un an et demi, M. Erwann Binet et moi-même menons des auditions sur ce thème ; nous avons rencontré les associations et des personnes en changement de sexe et avons rédigé une proposition de loi, que nous avons envoyée à Mme Taubira et que mon groupe envisage de déposer d’ici à la fin du mois sur le Bureau de l’Assemblée. Je vous ferai parvenir dès demain cette proposition de loi relative à la modification de la mention du sexe à l’état civil sur laquelle j’aimerais avoir votre avis : il serait intéressant de croiser nos réflexions avec celles de votre groupe de travail. Nous ne pouvons pas continuer à laisser une partie de la population dans la souffrance, certaines personnes en parcours de transition vivant actuellement des choses épouvantables.

M. Jacques Toubon. Je propose que M. Erwann Binet et vous-même rencontriez des personnes travaillant au département PEAD.

Mme Nathalie Bajos, directrice du département promotion de l’égalité et de l’accès aux droits (PEAD). Bien volontiers, mon département s’occupe de ce sujet.

La mobilité professionnelle est une vraie question. À ma connaissance, il n’existe pas d’étude quantitative sur le sujet, mais de nombreuses recherches sociologiques ont montré les difficultés rencontrées par les femmes non seulement pour partir, mais aussi à leur retour pour se réinsérer. Ce thème fait partie du champ des inégalités que nous souhaitons prendre en charge.

S’agissant de la question des stéréotypes, on pourrait en parler pendant des heures. Mon nouveau département adopte une approche genrée – je suis moi-même spécialiste de ces questions –, mais aussi une approche intersectionnelle qui va être privilégiée dans toutes nos analyses. Comme le montrent les enquêtes, la situation tend globalement à se dégrader du fait de la crise économique qui touche en premier lieu les femmes. D’où un cercle vicieux : les stéréotypes existent, ils sont liés à l’éducation, mais aussi aux pratiques discriminatoires qui elles-mêmes alimentent les stéréotypes. La semaine dernière, je suis tombée sur un paquet de biscuits BN sur lequel était écrit « Le rugby féminin existe... ça s’appelle les soldes » !

Ainsi, le rôle du département « Promotion de l’égalité et de l’accès aux droits » est d’agir à tous les niveaux – stéréotypes, bonnes pratiques, lutte contre les discriminations –, éventuellement en proposant des réformes législatives ou réglementaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le rapport récent de la Délégation aux droits des femmes du Sénat sur les jouets montre que, dans les années quatre-vingt-dix, la mondialisation de l’industrie du jouet a imposé l’émergence de la segmentation du marché entre filles et garçons. Dans ce domaine, il y a une régression : même la marque Lego vend aujourd’hui des boîtes pour filles et des boîtes pour garçons !

Mme Maud Olivier. Lorsque j’étais conseillère générale de l’Essonne, ce département était lié par des conventions avec le Défenseur des droits, ce qui m’avait conduite à m’interroger sur votre rôle vis-à-vis de l’aide sociale à l’enfance (ASE), dont les professionnels ne sont pas formés à l’identification de l’enfance en danger de prostitution. Pour être rapporteure de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, je peux vous dire que, dans nos régions, la prostitution enfantine est très mal connue – on ne veut pas la voir. Or, la défense des droits des enfants est un objectif primordial. Ces conventions pourraient-elles intégrer un volet formation des professionnels de la fonction publique territoriale sur cette question des enfants victimes des réseaux de traite ? Il est important de ne pas fermer les yeux sur ce problème extrêmement grave, car le repérage est assez facile quand on veut bien s’en donner la peine.

M. Jacques Toubon. Le Défenseur des droits fait connaître les droits de l’enfant et les défend. Mon adjointe, Mme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, participe en ce moment même aux Assises de l’enfance à Rennes.

Une partie très importante de notre travail a pour but de faire en sorte que la protection de l’enfance porte vraiment son nom et que les services départementaux compétents en la matière fassent leur travail. Or, la décentralisation est à l’origine d’un cloisonnement, c’est-à-dire de politiques inégales et inégalitaires selon les territoires. C’est pourquoi nous travaillons actuellement, au travers de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant de Mmes Michelle Meunier et Muguette Dini, à l’amélioration de la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, notamment sur l’introduction d’un pilotage national et les moyens de rendre effectif le projet pour l’enfant, qui était au cœur de la loi de 2007. Après avoir lancé une enquête auprès des départements, dont 54 nous ont répondu, nous nous sommes en effet rendus compte que le projet pour l’enfant était très peu utilisé. Nous avons donc relancé un travail avec les départements, et j’ai rendez-vous avec le nouveau président de l’Assemblée des départements de France (ADF), M. Dominique Bussereau, pour évoquer ces sujets. En ce qui concerne la prostitution enfantine et les mineurs isolés étrangers, nous agissons jour après jour : nous nous sommes battus pour la suppression du test d’âge osseux, et nous demandons une meilleure prise en compte de ces mineurs dans tous les départements, que certains refusent de prendre en charge quand d’autres sont surchargés. La circulaire du 31 mai 2013 de Mme Christiane Taubira a mis en place un pilotage national de répartition, en partie annulé par le Conseil d’État. Dans le cadre de la proposition de loi relative à la protection de l’enfance, la représentation nationale a voté un article qui reprend cet aspect. Madame la députée, ce sujet est au centre de notre action. Aujourd’hui même, une petite équipe du Défenseur des droits, dont une de mes adjointes en charge de la déontologie de la sécurité, se trouvent à Calais pour examiner la situation dans cette ville où se trouvent des enfants potentiellement menacés.

Mme Virginie Duby-Muller. Le Défenseur des droits a participé, en mars, à un colloque intitulé « Le sexe de la ville », au cours duquel il s’est engagé pour l’égalité femmes-hommes dans les villes. Menez-vous ce combat pour la ruralité, sachant que les femmes en milieu rural rencontrent des difficultés spécifiques – isolement, aide aux aînés, etc. ?

Des centaines de millions de femmes sont victimes de mariage forcé, problème moins prégnant en France que dans certains pays d’Europe, comme la Grande-Bretagne, où le mariage forcé est désormais un délit. Avez-vous des chiffres à ce sujet et sous quelle forme pouvez-vous intervenir, y compris sur le problème de l’excision ?

M. Jacques Toubon. Une des priorités du Défenseur des droits est la lutte contre la discrimination territoriale dont sont victimes les habitants de certaines villes ou quartiers dits « difficiles », mais aussi de la campagne. Lorsque j’ai participé, le 6 novembre, à une session du HCEfh, celui-ci venait de rendre publique une étude très intéressante sur les médias et les femmes en zone rurale. En septembre, je me rendrai à Montpellier, mais aussi en Lozère, où votre collègue, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, porte ce dossier de l’inégalité de traitement au détriment des zones rurales. Il est clair que ce critère de discrimination sur le lieu de résidence, introduit par la loi l’année dernière, ne concerne pas seulement les quartiers difficiles.

Sur les mariages forcés, nous n’avons pas de dossier. En revanche, nous travaillons beaucoup sur le problème de l’excision, et ce dans deux cadres. D’abord, nous animons l’Association des ombudsmen et médiateurs de la francophonie, où se trouvent notamment nos collègues médiateurs de pays subsahariens comme le Mali. Au travers de ces médiateurs, nous essayons de faire avancer dans ces pays, auprès des décideurs politiques, la lutte contre l’excision. Ensuite, nous avons inscrit dans notre avis sur le projet de loi réformant l’asile, dont Mme Sandrine Mazetier est la rapporteure à l’Assemblée, une recommandation sur l’examen médical systématique prévu par le texte. En effet, cet examen gynécologique obligatoire risque de stigmatiser les familles et les petites filles, si bien qu’il s’apparente à une manière de pousser à la clandestinité, et qu’il revient à traiter les gens, notamment les jeunes filles, d’une façon qui ne nous paraît pas digne. Dans le texte sur le droit d’asile, une partie des dispositions a pour but de lutter contre une fraude supposée, c’est-à-dire qu’elles relèvent, non de l’application du droit d’asile, mais de la politique migratoire. Or, à confondre les deux, je crains fort qu’on aboutisse à des résultats comme ceux que nous constatons aujourd’hui. En tout cas, le Défenseur a été saisi de plusieurs cas.

Mme Nathalie Bajos. Nous avons des liens très forts avec l’équipe de recherche ayant mené l’enquête Excision et Handicap (ExH), qui apporte des informations tant sur les enjeux de santé que sur les enjeux sociaux et politiques de l’excision, et sur laquelle nous nous appuyons en grande partie pour réaliser des actions en matière de formation et d’information des femmes. Une enquête européenne est sur le point d’être lancée sur le modèle de cette enquête française, dont les résultats seront également très intéressants pour nous.

Quant aux mariages forcés, vous dites qu’ils sont plus nombreux en Grande-Bretagne qu’en France. Mais comparaison n’est pas raison car, d’après les données de l’Institut national des études démographiques (INED), les populations concernées ne sont pas les mêmes. En la matière, le département PEAD essaie de penser les choses en termes de continuum, les mariages forcés n’étant pas réservés à certaines catégories de la population – la pression, voire l’obligation d’épouser certaines personnes existant aussi dans des milieux « très bien ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. Sur les mariages forcés, des éléments d’information avaient été donnés aux consulats et aux proviseurs des lycées, grâce à l’action conjointe de Mmes Hélène Conway-Mouret et Najat Vallaud-Belkacem.

En ce qui concerne le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, nous avions défendu la disposition sur l’examen médical dans un souci de protection des petites filles.

Mme Pascale Crozon. Monsieur le Défenseur des droits, après que vous aurez reçu ma proposition de loi sur le changement de sexe à l’état civil, je prendrai contact avec vous en début de semaine prochaine afin de vous rencontrer pour en discuter.

Je voudrais vous interpeller sur le sport dans les médias. Nous avons des équipes féminines de football extrêmement fortes, notamment à Lyon et à Paris. Mais à la télévision, le sport est essentiellement masculin, ce qui n’est pas une bonne chose pour l’image du sport.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les discriminations dans le sport sont quotidiennes – au travers des médias, des attitudes, des subventions versées par les collectivités...

M. Jacques Toubon. On a vu une petite percée des femmes dans le sport il y a quelques années – dans le cyclisme par exemple, avec Mme Jeannie Longo, ou bien le patinage artistique ; puis, les choses se sont calmées, avant qu’elles ne progressent à nouveau dans le football, avec la coupe d’Europe, le basket, aux Jeux Olympiques et aux championnats d’Europe, le handball, où notre équipe est très populaire, et le rugby, l’année dernière. Cette année, c’est la Coupe du monde de foot féminin.

Il y a donc une brèche. Néanmoins, je suis frappé par la manière dont les choses sont traitées. Au début de la Coupe du monde, il y a huit jours, le journal L’Équipe a réalisé sept ou huit pages de publicité avec des jeux de mots du genre : « Ce soir, mon mari est à la maison, il regarde le foot, c’est moi qui joue ». J’ai envoyé ce journal à Mme Nathalie Bajos, car j’ai trouvé cette vision des publicitaires extraordinairement machiste ! Et pourtant, il s’agissait de mettre en valeur le football féminin ! En fait, ce type de publicité porte tous les stéréotypes dont nous parlons.

Mme Nathalie Bajos. Le HCEfh a fait un rapport évoquant notamment le sexisme dans les médias ; il a proposé des mesures, en particulier en ce qui concerne la formation des journalistes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai appris récemment, de la bouche même d’un président de club, qu’il existait aussi des discriminations dans le remboursement des frais de déplacement : un garçon utilisant sa voiture est mieux remboursé qu’une fille exerçant le même sport au même niveau. Ce président, par ailleurs médecin, m’a même avoué être mieux remboursé pour ses frais de déplacement et d’hébergement que l’infirmière qui l’accompagne dans les congrès professionnels – il a droit à un hôtel trois étoiles, et elle à un hôtel deux étoiles…

Mme Maud Olivier. L’Euro 2016 risque, comme d’autres grands championnats de foot, d’attirer les réseaux de prostitution sur notre territoire. Si la prostitution n’est pas interdite en France, le proxénétisme l’est. J’avais déjà envoyé un courrier à la Fédération internationale de football (FIFA) qui m’avait répondu de manière peu satisfaisante, en indiquant que ce n’était pas son sujet, que la fédération organisait le foot et pas du tout ce qui se passe à côté. Je pense que le Défenseur des droits pourrait promouvoir l’information selon laquelle les réseaux de prostitution ne sont pas les bienvenus sur le territoire, sachant que ce grand événement sportif va engendrer un afflux touristique sexuel important.

M. Jacques Toubon. Je vous suggère d’écrire à M. Michel Platini, président de l’Union européenne des associations de football (UEFA), qui sera très certainement sensible à cette question.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Très bonne idée, je pense que nous pouvons le faire au titre de la délégation. Lors de la Coupe du monde de football en Allemagne, en 2006, les contrôles avaient été allégés aux frontières pour laisser passer les réseaux de prostitution.

Monsieur le Défenseur des droits, je vous remercie pour cette audition très intéressante. À côté des textes sur l’égalité, d’autres textes importants peuvent être étudiés entièrement sous le prisme de l’égalité femmes-hommes – comme celui sur la santé, qui traite de la contraception, mais aussi de la prévention, des maladies professionnelles, etc. C’est pourquoi nous apprécions tout particulièrement que vous ayez créé un département « Promotion de l’égalité et de l’accès aux droits ».

La séance est levée à 19 heures 15.

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Membres présents

Présentes. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, Mme Sophie Dessus, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Edith Gueugneau, Mme Maud Olivier, Mme Sylvie Tolmont.

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Premat.