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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 4 octobre 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 1

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Giorgia Maffini, cheffe adjointe de la division des politiques fiscales et des statistiques au Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de Mme Dominique Paturot, statisticienne et analyste à l’OCDE, et de M. Clément Carbonnier, codirecteur de l’axe « Politiques socio-fiscales » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, maître de conférences en économie à l’université Cergy-Pontoise, laboratoire THEMA– Théorie économique, modélisation et applications, sur « La fiscalité française : quel impact sur le travail des femmes ? Et quels enjeux du prélèvement à la source ? »

La séance est ouverte à 16 heures 20.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède tout d’abord à l’élection d’un membre du Bureau.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Avant de commencer notre audition sur la fiscalité, l’ordre du jour appelle l’élection d’un vice-président ou d’une vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes, en remplacement de M. Christophe Sirugue, nommé récemment secrétaire d’État à l’Industrie.

J’ai été saisie de la candidature de notre collègue Maud Olivier.

Le nombre de candidat n’étant pas supérieur au nombre de siège à pourvoir, Mme Maud Olivier est proclamée vice-présidente de la Délégation.

*

La Délégation procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Giorgia Maffini, cheffe adjointe de la division des politiques fiscales et des statistiques au Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et Mme Dominique Paturot, statisticienne et analyste à l’OCDE ; M. Clément Carbonnier, codirecteur de l’axe « Politiques socio-fiscales » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, maître de conférences en économie à l’université Cergy-Pontoise, laboratoire THEMA (Théorie économique, modélisation et applications), sur « La fiscalité française : quel impact sur le travail des femmes ? Et quels enjeux du prélèvement à la source ? ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons mené des travaux sur les femmes et la fiscalité, qui se sont conclus par l’adoption d’un rapport d’information en avril 2014, intitulé « Pour un système fiscal au service de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la justice sociale ». Nous avions beaucoup travaillé sur la question du quotient conjugal, qui est une particularité française et d’un nombre restreint de pays, pour savoir si notre fiscalité était genrée et si le quotient conjugal était favorable ou non au travail des femmes. Notre souci, c’est l’autonomie des femmes. Nous ne voulons pas forcer toutes les femmes à travailler, mais leur donner la possibilité de choisir.

Nous accueillons aujourd’hui trois intervenants, que je remercie chaleureusement d’avoir répondu favorablement à notre invitation : M. Clément Carbonnier, maître de conférences en économie à l’université de Cergy-Pontoise, chercheur au laboratoire THEMA (théorie économie, modélisation et applications), et codirecteur de l’axe « Politiques socio-fiscales » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, auteur de plusieurs analyses concernant le système français d’imposition commune sur le revenu et son influence sur l’activité des femmes ; Mme Giogia Maffini, cheffe adjointe de la Division des politiques fiscales et des statistiques au Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et Mme Dominique Paturot, statisticienne et analyste à l’OCDE.

L’OCDE a publié un rapport intitulé L’impôt sur les salaires 2016, qui analyse les différents systèmes d’imposition pour savoir s’ils sont favorables aux seconds apporteurs de revenu, qui sont le plus souvent des femmes.

J’ai utilisé les travaux de l’OCDE lorsque j’ai déposé un amendement visant à ce que les couples mariés ou pacsés aient la possibilité de choisir entre le quotient conjugal, autrement dit l’imposition commune, ou l’imposition séparée. J’ai cité un précédent rapport qui incitait la France à réformer le dispositif actuel.

Cette année, le débat sur le prélèvement à la source pourrait être l’occasion de rendre optionnel le quotient conjugal. Nous allons tenter de trouver un système qui soit neutre pour l’employeur et pour le salarié. Dans la mesure où c’est l’administration fiscale qui indiquera le taux d’imposition devant figurer sur le bulletin de salaire, nous craignons, si le quotient conjugal ne devient pas optionnel, qu’une femme ayant un salaire très moyen, voire faible si elle ne travaille pas à temps plein, ne se voie appliquer un taux d’imposition ne correspondant pas à son salaire et que son employeur, sachant que son conjoint est bien payé, hésite à l’augmenter ou à l’employer à temps plein, estimant qu’elle n’en a pas besoin.

Il y aura tout de même un effet neutralisant puisque les salariés auront la possibilité de demander un taux individualisé, pour ce qui concerne le prélèvement. Cela étant, la question du quotient conjugal, et notamment de son caractère obligatoire ou optionnel, demeure.

Mme Giogia Maffini, cheffe adjointe de la division des politiques fiscales et des statistiques au Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.  Les données que vous allez voir sur écran proviennent de trois documents que nous avons publiés à l’OCDE.

Le premier s’intitule Les impôts sur les salaires. Il s’agit d’une publication annuelle, qui fournit des données sur les impôts prélevés sur les salaires dans les pays de l’OCDE. Ma collègue Dominique Paturot en est la responsable depuis plus de cinq ans.

Dans le cadre de cette publication, nous avons également exploité des informations dans un document intitulé « Étude spéciale : mesurer le coin fiscal sur les seconds apporteurs de revenu ».

Enfin, nous avons utilisé le document de travail de l’OCDE sur la fiscalité intitulé « The impact of tax and benefit systems on the workforce participation incentives of women ». Il sera prochainement publié.

Pour comprendre les éléments qui composent le coin fiscal total sur les salaires, du côté de l’employeur, on peut partir du salaire brut et ajouter les cotisations de sécurité sociale payées par l’employeur et la taxe sur les salaires. On arrive ainsi au coût total de la main-d’œuvre.

Du côté de l’employé, on part du salaire brut, on enlève les cotisations sociales de l’employé, l’impôt sur le revenu de la personne physique et on ajoute les prestations sociales versées en espèces. On arrive ainsi au salaire net perçu par l’employé.

Tous ces éléments déterminent le coin fiscal total du système d’impôt sur les salaires.

En ce qui concerne la situation des femmes sur le marché du travail, il peut être utile de présenter des données qui démontrent que, dans les pays européens, la majorité des seconds apporteurs de revenus sont des femmes.

La diapositive que vous voyez montre comment la population active est divisée, dans les pays européens, entre les foyers où les femmes sont les seconds apporteurs de revenu, ceux où les hommes sont les seconds apporteurs de revenu et ceux où les salaires sont égaux.

La France, qui se situe à peu près au milieu du tableau, compte 63 % de femmes seconds apporteurs de revenu, 17 % d’hommes et 20 % de foyers où les salaires sont égaux. Le pourcentage de femmes seconds apporteurs de revenu en France est inférieur à celui du Royaume-Uni ou de l’Allemagne. La France n’est donc pas trop mal placée dans ce domaine.

Quant à la participation des femmes au marché du travail, elle est inférieure à celle des hommes dans tous les pays de l’OCDE. Ces données datent de 2014. Si l’on fait un classement des pays selon le taux de participation des femmes, on constate que la France est encore à peu près au milieu du tableau.

Le point positif pour la France, c’est que l’écart entre les hommes et les femmes qui participent au marché du travail n’est que de huit points de pourcentage, soit un pourcentage assez faible par rapport aux autres pays de l’OCDE.

Les données que je viens de vous présenter montrent que, généralement, le second apporteur de revenu est une femme. C’est un élément constant au niveau de l’OCDE et de l’Union européenne.

S’agissant de l’impact des systèmes d’imposition sur le second apporteur de revenu, trois éléments principaux doivent être examinés.

Il y a d’abord le système d’imposition individuelle versus le système par foyer fiscal.

Puis, il y a les abattements fiscaux et les crédits d’impôt basés sur le revenu du foyer ou de l’individu. Au Royaume-Uni, par exemple, le Child Tax Credit est calculé en fonction du revenu du foyer et versé aux familles aux revenus faibles et moyens.

Enfin, il y a les prestations sociales en espèces selon le revenu du foyer. En France, par exemple, depuis juillet 2015, les allocations familiales sont modulées en fonction du revenu du foyer.

Pour ce qui concerne le système d’imposition individuelle versus l’imposition par foyer fiscal, le choix de l’imposition par foyer fiscal est justifié par des motifs d’équité. Les ménages qui touchent le même revenu total paieront le même impôt, quel que soit le titulaire du revenu ou le nombre de personnes qui travaillent dans le foyer.

Cependant, dans un système d’imposition par foyer fiscal, avec des taux marginaux qui augmentent en fonction du revenu, le second apporteur de revenu est taxé à un taux plus élevé du barème de l’impôt sur le revenu que ne le serait un célibataire, parce que l’apporteur principal bénéficie déjà pleinement de la tranche inférieure du barème. C’est précisément ce mécanisme qui freine la participation au marché travail du second apporteur de revenu.

En 2015, vingt-trois pays de l’OCDE sur trente-quatre ont un système d’imposition individuelle. Beaucoup de pays sont passés du système par foyer fiscal au système d’imposition individuelle à cause de la complexité de gérer un système fondé sur l’impôt par foyer fiscal, tant pour l’administration fiscale que pour le contribuable. On s’est aussi aperçu que ce système n’incitait pas le second apporteur de revenu à travailler.

Les pays qui ont un système d’imposition strictement individuel sont le Chili, la Finlande, Israël, le Mexique et la Suède.

Les autres pays disposent d’un système mixte : le système d’imposition individuelle s’applique, mais il y a des abattements fiscaux sur la base du revenu du foyer, un abattement supplémentaire pour conjoint à charge et des crédits d’impôt transférables entre conjoints.

Dans l’OCDE, cinq pays seulement ont un système d’imposition strictement par foyer fiscal : la France, l’Estonie, le Luxembourg, le Portugal et la Suisse.

Dans six autres pays de l’OCDE, les contribuables peuvent choisir entre les deux systèmes.

Mme Dominique Paturot, statisticienne et analyste à l’OCDE. Je vais vous parler de l’indicateur qui sert à mesurer la charge fiscale sur le second apporteur de revenu.

Cet indicateur a été conçu notamment pour l’étude spéciale de la publication des impôts sur les salaires visant à mesurer le coin fiscal sur les seconds apporteurs de revenu. Il a été repris par nos collègues qui ont rédigé un rapport – pas encore publié – intitulé The impact of tax and benefit systemes on the workforce participation incentives of women.

Cet indicateur, c’est le taux moyen d’imposition. Nous sommes partis de l’hypothèse selon laquelle la décision de travailler, pour le second apporteur, était prise au niveau du foyer. À partir de là, nous avons calculé l’augmentation de l’impôt payé par le foyer lorsque le second apporteur de revenu retournait à l’emploi et constaté que, dans ce cas, l’impact portait sur la charge fiscale du foyer.

Nous avons également calculé l’augmentation de l’impôt payé par le foyer lorsque le second apporteur de revenu accédait à l’emploi, sachant que l’augmentation est calculée à partir de la situation où le second apporteur de revenu est sans emploi.

Enfin, nous avons voulu mesurer l’augmentation de la charge fiscale du foyer lorsque le second apporteur décidait de travailler et calculer de combien le revenu du foyer était alors réduit par l’impôt.

Pour calculer le taux moyen d’imposition, la formule consiste à diviser l’augmentation de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et des cotisations de sécurité sociale salariales du foyer, nette des prestations liées à l’exercice d’un emploi, par l’augmentation du revenu brut du foyer.

De fait, il s’agit de calculer le revenu net du foyer lorsque le second apporteur est en emploi, moins le revenu net du foyer lorsque le second apporteur est sans emploi, le tout étant divisé par le revenu brut du foyer lorsque le second apporteur est en emploi, moins le revenu brut du foyer lorsque le second apporteur est sans emploi.

Cet indicateur prend en compte les crédits d’impôt modulés en fonction du revenu, l’impôt sur le revenu de la personne physique, les cotisations de sécurité sociale payées par l’employé. Ces charges fiscales sont réduites par les prestations sociales versées en espèces aux familles en activité.

Nous avons travaillé à partir de plusieurs hypothèses : le second apporteur de revenu gagne 67 % du salaire moyen ; le principal apporteur de revenu gagne le salaire moyen ; la décision de travailler est prise au niveau du foyer.

En revanche, l’indicateur ne tient pas compte des dépenses ou prestations liées aux frais de garde d’enfants, de la perte des prestations sociales versées aux personnes sans emploi, des congés payés, comme le congé maternité, ni des autres sources de revenu, comme l’épargne.

Enfin, le taux moyen d’imposition du foyer est comparé à celui d’un célibataire qui accède à l’emploi – 67 % du salaire moyen.

Le graphique que vous voyez maintenant compare, pour l’année 2015, le taux moyen d’imposition du second apporteur de revenu avec celui d’un célibataire, les deux foyers étant sans enfants. Le célibataire et le second apporteur de revenu sont rémunérés à 67 % du salaire moyen. L’apporteur principal, lui, est rémunéré au niveau du salaire moyen.

Le taux moyen d’imposition du second apporteur va de 48,7 % à 3,2 % au Mexique, alors que celui du célibataire passe de 35,4 % en Belgique à 3,2 % au Mexique.

S’agissant de la France, qui est en septième position, le taux moyen d’imposition du second apporteur de revenu est de 36,7 % et celui du célibataire de 25,9 %.

Ce graphique montre ainsi que le taux moyen d’imposition est plus élevé pour le second apporteur de revenu que pour le célibataire, au même niveau de rémunération, soit 67 % du salaire moyen, sans enfant, dans vingt-quatre des trente-quatre pays de l’OCDE.

On retrouve les plus importantes différences en termes de points de pourcentage en Belgique (13,2), en Islande (12,3), en République tchèque (11,7), en Allemagne (11,4), au Luxembourg (11,3), en France (10,8) et en République slovaque (10,2).

Ces différences, en Allemagne, en France et au Luxembourg, sont dues au système d’imposition par foyer fiscal.

Dans un système d’imposition par foyer fiscal avec des taux marginaux qui augmentent en fonction du revenu, le second apporteur de revenu est taxé à un taux plus élevé du barème de l’impôt sur le revenu que ne le serait un célibataire, parce que l’apporteur principal bénéficie déjà pleinement de la tranche inférieure du barème.

Par contre, il n’y a pas de différences entre les taux moyens d’imposition du célibataire et du second apporteur de revenu en Australie, en Autriche, au Chili, en Finlande, en Hongrie, en Israël, au Mexique, en Nouvelle-Zélande, en Suède et au Royaume-Uni.

En Suède, le système d’imposition est individuel et les abattements fiscaux ne sont pas basés sur le revenu du foyer. De plus, il n’existe pas d’abattement fiscal pour conjoint à charge.

Au Royaume-Uni, certains abattements diminuent en fonction du revenu du foyer, mais sont versés sous condition d’enfants à charge.

Le graphique que vous voyez maintenant représente les taux moyens d’imposition du célibataire et du second apporteur de revenu, rémunérés à 67 % du salaire moyen, avec enfants, pour l’année 2015.

La Turquie a le plus fort taux moyen d’imposition pour le célibataire avec 23,4 %. L’Irlande a le taux le plus bas pour le célibataire avec enfants, avec moins 31,4 %.

Pour le second apporteur de revenu, le plus fort taux est observé en Belgique, avec 48,7 % et le plus faible au Mexique, avec 3,2 %.

Pour ce qui est de la France, le taux moyen d’imposition du célibataire est de 15,9 %. Celui du second apporteur de revenu est, là encore, plus élevé et atteint 30,7 %.

Ce graphique montre que, lorsqu’on inclut les enfants dans le calcul de l’indicateur, le taux moyen d’imposition est plus élevé pour les seconds apporteurs de revenu que pour les célibataires dans trente-deux des trente-quatre pays de l’OCDE.

On retrouve les différences les plus importantes en termes de points de pourcentage en Irlande (59,6), au Canada (50,2), en Nouvelle-Zélande (48,2), en Slovénie (47,4), en Australie (42,6), au Luxembourg (38,3), au Danemark (33,3), en République tchèque (32,2) et en Belgique (30,7).

La différence entre les deux types de foyers, pour la France, est de 14,8.

Le taux moyen d’imposition du second apporteur de revenu est plus important lorsqu’il a des enfants que lorsqu’il n’en a pas dans quinze pays de l’OCDE. Cela résulte d’abattements fiscaux plus généreux ciblant les ménages avec enfants et la perte, totale ou partielle, de ces derniers lorsque le second apporteur accède à l’emploi.

En revanche, en France, le taux moyen d’imposition du second apporteur de revenu avec enfants est plus bas que lorsqu’il n’a pas d’enfants. Cela est dû au quotient familial, qui accorde des demi-parts pour les enfants à charge, en plus des deux parts pour les parents.

Mme Giorgia Maffini. Je vais maintenant aborder la question des implications de la politique fiscale.

Les systèmes d’imposition sont conçus pour garder un équilibre entre les objectifs d’équité et d’efficacité.

Certaines conceptions de l’impôt peuvent accroître les incitations à ne pas travailler auprès des seconds apporteurs de revenu, qui sont généralement des femmes, ou à travailler moins si l’on considère le taux d’impôt marginal.

Étant donné que les seconds apporteurs de revenu sont majoritairement des femmes, il y a, en l’occurrence, de sérieuses incidences en termes d’égalité femmes-hommes.

En ce qui concerne les réponses politiques, les impacts de la fiscalité et des systèmes de prestations sociales doivent être pris en compte.

Un système d’imposition purement individuelle accroît auprès des femmes les incitations à travailler. Mais un tel système pourrait être perçu comme étant globalement injuste, car il traite différemment des foyers ayant le même revenu total, en fonction du nombre de personnes qui travaillent dans le foyer.

Pour les pays qui ont choisi de combiner un système d’imposition individuelle avec des abattements fiscaux basés sur le revenu du foyer, une réforme de ces abattements pourrait être envisagée pour inciter les femmes à entrer sur le marché du travail.

On pourrait, par exemple, remplacer les abattements ou les crédits d’impôt pour conjoint à charge par des crédits d’impôt remboursables ou transférables pour chaque individu. Autrement dit, le foyer ne perdrait ni les abattements ni les crédits lorsque la femme entrerait sur le marché du travail.

On pourrait aussi penser à des crédits d’impôt individuels liés à l’exercice d’un emploi. Dans ce cas, les crédits d’impôts ne disparaissent pas lorsque la femme commence à travailler.

Pour les pays, dont la France, qui ont choisi un système d’imposition par foyer fiscal, la mise en place d’abattements fiscaux individuels pourrait être envisagée pour accroître auprès des femmes les incitations à travailler.

On pourrait remplacer les abattements et crédits d’impôt basés sur le revenu du foyer par des crédits d’impôt individuels. Dans ce cas, les crédits d’impôt individuels peuvent atténuer l’effet négatif d’une taxe plus élevée sur le second apporteur de revenu imposée par un système d’imposition par foyer fiscal.

On pourrait aussi mettre en place des crédits d’impôts individuels liés à l’exercice d’un emploi.

Enfin, on pourrait envisager le versement exceptionnel d’un crédit d’impôt lié à l’exercice d’un emploi, c’est-à-dire un « bonus ».

Mme Dominique Paturot. Nous n’avons pas beaucoup d’études approfondies sur le prélèvement à la source, mais nos collègues du Centre de politique et d’administration fiscales préparent tous les deux ans un document intitulé Tax Administration, dans lequel ils décrivent le mode de fonctionnement de l’administration fiscale dans les pays de l’OCDE. Grâce à de ce document, nous avons pu avoir quelques informations sur la liste des pays qui appliquent le prélèvement à la source.

Le tableau que vous voyez montre les régimes de prélèvement à la source et de déclaration du revenu du travail versus les systèmes d’imposition individuelle et par foyer.

Seules la France et la République slovaque ont un système purement basé sur la déclaration – pas de prélèvement à la source –, contrairement à la plupart des pays de l’OCDE, qui ont un système combiné de prélèvement à la source et de déclaration des revenus du travail. La République tchèque, quant à elle, a un système unique de prélèvement à la source, sans déclaration de revenu.

Les pays où le système d’imposition par foyer fiscal est appliqué ont en général des systèmes combinés de déclaration et de prélèvement à la source, comme l’Estonie, le Luxembourg, le Portugal et la Suisse.

En ce qui concerne les pays qui pratiquent le prélèvement à la source, il y a deux modes de fonctionnement.

Les employés transmettent à leur employeur les détails des abattements fiscaux auxquels ils ont droit, afin que ce dernier calcule le montant de l’impôt à déduire du salaire.

Dans certains pays, comme l’Irlande et le Royaume-Uni, les employés transmettent ces détails à l’administration fiscale, qui envoie alors à l’employeur un code déterminant le montant de l’impôt à déduire du salaire.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La France est l’un des derniers pays, avec la République slovaque, à ne pas pratiquer le prélèvement à la source. Normalement, nous devrions passer à ce système en 2018, en le combinant avec un système de déclaration. Dans notre pays, ce sera l’administration fiscale qui fournira le taux d’imposition à l’employeur. Nous continuerons à faire des déclarations pour les autres revenus.

Reste à savoir si nous en restons au système du foyer fiscal ou si nous passons à l’imposition individuelle des revenus.

Je donne la parole à Mme Chantal Guittet, qui vient de rejoindre la Délégation aux droits des femmes et que nous sommes heureuses d’accueillir.

Mme Chantal Guittet. J’ai des questions à vous poser concernant les comparaisons par pays.

Quand vous parlez de taux moyen d’imposition, je suppose que vous parlez uniquement de l’impôt sur le revenu. Je ne comprends pas comment vous arrivez à comparer un pays comme la Belgique, qui inclut, entre autres, la taxe foncière dans le calcul de l’impôt sur le revenu, avec la France, qui ne l’inclut pas.

Lorsque deux personnes habitent une maison, elles ne paient pas deux fois la taxe foncière et la taxe d’habitation, contrairement à un célibataire qui, lui, paie seul les deux taxes. En outre, il y a des pays comme la Belgique où on ne paie ni taxe foncière, ni taxe d’habitation puisqu’elles sont comprises dans l’impôt. Comment tenez-vous compte de ce paramètre ?

Mme Dominique Paturot. Pour le taux moyen d’imposition, nous prenons uniquement en compte l’impôt sur le revenu du travail.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Comme vous l’avez expliqué tout à l’heure, il s’agit uniquement de l’impôt sur les salaires avec les cotisations sociales du salaire brut et du revenu net. Pour la Belgique, je suppose que vous enlevez l’impôt foncier ?

Mme Dominique Paturot. En réalité, nous faisons une simulation de l’impôt sur les salaires. Comme l’a montré Giogia Maffini dans sa présentation liminaire, on part du salaire brut, duquel on soustrait les cotisations de sécurité sociale de l’employé et l’impôt sur le revenu de la personne physique et auquel on ajoute les prestations sociales versées en espèces. On arrive ainsi au revenu net du foyer fiscal.

Mme Giorgia Maffini. Je crois que le bon choix consiste à prendre en compte seulement les impôts et les taxes qui ont un effet sur l’offre de travail. La taxe foncière n’a pas d’effet sur l’offre de travail.

Mme Chantal Guittet. Je suis d’accord avec vous sur ce point. Mais, dans certains pays, le prélèvement à la source prend tout en compte. Il faut pouvoir faire la distinction.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si je comprends bien, vous arrivez à faire la distinction. Vous faites un comparatif des revenus salariaux avec les charges pour pouvoir faire la comparaison entre les pays. Il s’agit de savoir si cette déclaration et cette imposition communes sont favorables ou non au second apporteur de revenu.

Dans les ménages, l’impôt est sans doute un élément de discussion lorsque le second apporteur de revenu veut reprendre le travail ou travailler s’il n’a pas travaillé jusqu’alors. Mais je pense qu’il y a d’autres facteurs qui influent sur la décision du couple, comme les charges de garde d’enfants ou les compensations de charges – je pense, en France, à la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) ou à la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) –, l’éloignement, l’organisation du travail, sans oublier les prestations que recevait la personne si elle n’était pas salariée.

Sans faire un calcul aussi précis que le ferait le ministère de l’économie et des finances, les couples sont à même d’évaluer si cela vaut la peine que l’un des deux reprenne le travail. Il peut aussi y avoir des facteurs psychologiques importants. Il faut, en effet, espérer que l’aspect strictement financier ou lié à l’imposition ne soit pas le seul pris en compte. Pour autant, cela peut être un facteur bloquant ou incitatif. C’est sur ce point que nous travaillons aujourd’hui.

Mme Cécile Untermaier. Je m’interroge sur vos modalités de calcul. Vous arrivez à onze points de différence entre le taux d’imposition d’un second apporteur de revenu sans enfants et le taux d’imposition d’un célibataire sans enfants, et à quinze points de différence, avec, dans les deux cas de figure, deux enfants.

Vous ne prenez pas en compte toutes les aides complémentaires qui viennent considérablement améliorer la situation et inciter à faire un choix. Les chiffres que vous nous donnez sont extrêmement intéressants, mais il nous manque peut-être le contexte d’appréciation global. À vous entendre, pour un couple comprenant un second apporteur de revenus, avec deux enfants, un taux majoré de quinze points d’impôt est rédhibitoire et proscrit quasiment toute recherche de travail, surtout dans le cas d’un salaire modeste.

Au-delà des chiffres, que préconisez-vous pour que l’imposition liée au salaire du second apporteur ne soit pas désincitative ?

Mme Giogia Maffina. Nous n’avons pas présenté les données du document de travail de l’OCDE sur la fiscalité, intitulé « The impact of tax and benefit systems on the workforce participation incentives of women ».

En l’occurrence, on prend en compte le bénéfice social. L’écart entre les deux taux diminue, mais il demeure, même lorsque le bénéfice social est pris en compte. C’est peut-être parce qu’il s’agit d’un système par foyer fiscal. Pour autant, nous ne voulons pas dire qu’il faut supprimer le système par foyer fiscal, parce que, du point de vue de l’équité, il marche mieux, en théorie, que le système individuel.

Dans nos études, nous cherchons seulement à comprendre comment le système fiscal peut favoriser le travail des femmes ou du second apporteur de revenu. Cela étant, dans la troisième publication dont je viens de parler – The impact of tax and benefit systems on the workforce participation incentives of women –, même si on prend en compte les prestations sociales, il y a encore un écart entre les hommes et les femmes, c’est-à-dire entre le premier et le second apporteur de revenu. L’écart diminue, mais il est toujours là.

Mme Pascale Crozon. Nous sommes très largement minoritaires à utiliser le système par foyer fiscal.

J’aimerais savoir comment s’est passée la transition – si transition il y a eu – dans les pays qui disposaient d’un système d’imposition par foyer fiscal et qui pratiquent l’imposition individuelle des revenus.

On nous a expliqué le dispositif qui va être instauré en France. Des documents ont été mis à notre disposition pour nous aider à comprendre ce passage qui ne va pas être simple et sur lequel nombre de nos concitoyens se posent des questions. Cette transition a-t-elle été analysée pour nous permettre de la vivre dans les meilleures conditions ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous nous avez dit que le passage au système d’imposition individuel s’était fait dans la plupart des pays au cours des trente dernières années. Qu’est-ce qui a entraîné ce mouvement ? Comment cela s’est-il passé ?

Mme Giorgia Maffini. Nous n’avons pas fait d’études sur cette période de transition. Je ne peux donc pas vous répondre. Mais je crois que M. Carbonnier pourra vous donner des informations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vais donc laisser la parole à M. Clément Carbonnier, qui a beaucoup écrit sur le sujet. Votre dernière étude, intitulée Prise en compte de la famille dans l’imposition des revenus en France. Notre système d’impôt familialisé, date de 2016. Vous y avez notamment étudié l’aspect incitatif ou désincitatif de certains impôts sur le travail des femmes.

Pouvez-vous répondre également à la question qui vient d’être posée sur la façon dont s’est passée, dans d’autres pays, la transition entre les deux systèmes d’imposition ?

M. Clément Carbonnier, codirecteur de l’axe « Politiques socio-fiscales » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, maître de conférences en économie à l’université de Cergy-Pontoise, et chercheur au laboratoire THEMA. Je n’ai pas de vision globale sur cette question, mais je peux vous donner des exemples de passages d’un système à l’autre et de leur impact sur la participation des femmes au marché du travail.

Nous venons de voir la différence, liée notamment au système par foyer fiscal, du taux d’imposition du second apporteur de revenu, dont nous pouvons supposer qu’elle peut avoir un impact sur la participation des femmes au marché du travail. Dans le même temps, il y a, comme vous l’avez dit, beaucoup d’autres éléments. Les possibilités de modes de garde vont évidemment jouer énormément, mais l’intérêt porté à certains métiers, à une carrière, à une activité, peut aussi avoir une grande importance.

Nous avons essayé de mesurer, parmi toutes les motivations pour retourner ou non sur le marché du travail, l’impact de l’imposition commune.

Différentes études ont été menées sur cette question. Je vais vous présenter très rapidement les cinq études que je connais.

Quatre d’entre elles ont analysé une transition, dont deux dans un sens, avec les États-Unis et la République tchèque, qui sont passés du système d’imposition individuelle à l’imposition jointe, respectivement en 1948 et en 2005. Les deux autres études ont analysé deux transitions dans le sens inverse, avec la Suède et le Canada, qui sont passés, en 1971 et 1988, au système d’imposition individuelle.

L’objectif des auteurs de ces études était de comparer, avant et après la réforme, les différences de taux de participation des femmes mariées au marché du travail par rapport à la façon dont la réforme les impactait. Il s’agissait de savoir si une forte augmentation du taux d’imposition modifiait, en moyenne, la participation au travail des femmes les plus touchées.

Aux États-Unis, par exemple, on a comparé des femmes mariées dans différents États, sachant que ces femmes ont été touchées différemment en raison de législations étatiques initiales qui ont fait que la réforme a changé les taux différemment selon les États.

Cette étude conclut, notamment sur le haut de la distribution des revenus, à un effet sensible, que l’on peut traduire par deux points de participation en moins, dans une société, certes, différente, en 1948, de celle d’aujourd’hui. Deux points, ce n’est pas un changement du tout au tout, mais ce n’est pas négligeable.

On retrouve en Suède, en 1971, avec le passage au système d’imposition individuelle, un effet un peu plus fort, mais toujours de l’ordre de quelques points de participation au marché du travail et principalement sur le haut de la distribution des revenus. L’étude concernant la Suède a comparé la situation de femmes dont les maris avaient des revenus différents. En passant de l’imposition jointe à un système individuel, les femmes mariées à des hommes aux revenus élevés et qui, de ce fait, étaient fortement taxées, ont davantage bénéficié de la réforme que celles qui étaient mariées à des hommes ayant des revenus plus faibles. Dans ce cas de figure, l’effet de la réforme, sur le haut de la distribution, se traduit par quelques points de participation en plus.

Même chose pour le Canada, qui est passé à l’imposition individuelle en 1988. Compte tenu de la manière dont sont présentés les résultats, il est plus difficile d’avoir une interprétation de l’ordre de grandeur, mais les effets sont, là aussi, assez forts et représentent probablement plusieurs points de participation en plus.

Enfin, pour ce qui est de la République tchèque, qui est passée à l’imposition jointe en 2005, l’étude conclut à environ trois points de participation en moins.

Il s’agit, à chaque fois, de chiffres relativement comparables. Certes, ils peuvent différer parce que les situations, le contexte, les impôts sont différents, mais on n’aboutit pas à un changement radical qui entraînerait tout à coup une très forte ou une très faible participation. Pour autant, les différences sont assez sensibles, de l’ordre de plusieurs points de participation.

Le problème, avec ce type de méthode, c’est qu’elle ne porte que sur les couples du haut de la distribution des revenus.

Le système d’imposition français présente l’intérêt de comporter des tranches assez basses. J’ai essayé d’avoir un autre regard, en utilisant la méthode dite de régression par discontinuité, laquelle consiste à observer la place où se situent les couples dans le barème de l’imposition des revenus, en ne retenant que les revenus du patrimoine et les revenus du mari, avant que le conjoint décide ou non de travailler.

En bas de la tranche ou un peu plus haut, le taux moyen du conjoint ne changera pas beaucoup.

Mais si l’on s’approche de la tranche supplémentaire, on a assez rapidement une très forte variation du taux moyen. L’idée est de voir, parallèlement aux périodes plates et aux périodes de fortes variations du taux moyen qu’on observe au fur et à mesure qu’on avance dans le barème de l’impôt, s’il y a aussi des discontinuités dans les taux de participation des femmes à l’approche de ces tranches du barème. On peut raisonnablement penser que le phénomène est lié aux discontinuités dues au barème de l’impôt, et donc, au quotient conjugal.

On observe un impact assez important en haut de la distribution, tandis qu’au milieu, milieu « haut », il n’y en a plus, ce qui peut s’expliquer notamment par le fait que le choix repose sur d’autres motivations et que l’imposition ne joue qu’à la marge.

On observe, en revanche, un effet très fort en bas de la distribution des revenus, notamment autour de l’ancienne première tranche. Une des raisons possibles de cet impact très fort en bas, c’est probablement que, lorsqu’on passe la première tranche, on ne perd pas seulement 5,5 % de la part des revenus qui dépassent la première tranche, on perd aussi le statut de non-imposable, qui ouvre droit à d’autres allocations, d’autres aides, notamment locales. Cela crée un effet de seuil très fort, qui peut expliquer qu’en bas de la distribution des revenus, l’effet du quotient conjugal redevienne relativement fort.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je ne sais pas si ce système existe dans d’autres pays, mais le passage de la tranche non imposable à la tranche imposable a, chez nous, des effets considérables.

Nous avions déjà observé ce phénomène avec la réforme de la demi-part des veuves, qui a fait entrer dans l’impôt un grand nombre d’entre elles. Mais cela ne s’arrête pas là, le passage au statut d’imposable donnant lieu à une « cascade » de taxes, comme les impôts locaux, la contribution à l’audiovisuel public. En outre, la gratuité de divers services dont bénéficient les non-imposables est alors remise en cause. Les veuves dont je viens de parler pouvaient, par exemple, bénéficier de la gratuité dans les restaurants des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). L’effet de seuil est démultiplicateur.

Mme Conchita Lacuey. Il est déclencheur.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Déclencheur de non-gratuité.

M. Clément Carbonnier. Il faudrait pouvoir tout prendre en compte, c’est-à-dire l’ensemble des aides, pas seulement l’impôt sur le revenu.

Vous m’avez interrogé sur la constitutionnalité du quotient conjugal. Je me suis forgé une interprétation en examinant les décisions du Conseil constitutionnel. N’étant pas un spécialiste de droit constitutionnel, j’en ai parlé avec des collègues juristes, qui m’ont plutôt conforté dans mon interprétation.

L’idée de rapprocher la notion de quotient conjugal, ou de fiscalité jointe, de principes constitutionnels, résulte principalement de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

C’est l’interprétation des termes « en raison de leurs facultés » qui fait que l’impôt doit être calculé en fonction des facultés contributives, lesquelles peuvent dépendre de la composition familiale etc.

Dans sa décision du 29 décembre 2012, un paragraphe illustre l’interprétation qu’en donne le Conseil constitutionnel. Il indique avoir censuré la taxe à 75 % pour différentes raisons, mais pas parce que le quotient conjugal avait valeur constitutionnelle. Il précise que, pour respecter les exigences de l’article 13 de la Déclaration de 1789, le législateur n’est pas obligé de tenir compte du foyer fiscal. Et, comme cela a été précédemment rappelé, il n’est pas obligé d’organiser un dispositif de quotient familial s’il a prévu d’autres dispositifs permettant notamment de prendre en compte les capacités contributives des contribuables.

L’idée est que le législateur doit prendre en compte les capacités contributives, mais qu’il a le choix de la manière dont il le fait. Ce qui nous ramène à la question de la globalité du système de taxes et transferts. Pourquoi, en effet, se focaliser sur l’impôt sur le revenu ?

Quand, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, on parle de « l’entretien de la force publique » et des « dépenses d’administration », il s’agit de dépenses publiques très faibles en proportion du produit intérieur brut (PIB) et, évidemment, très faibles au regard des dépenses d’aujourd’hui, y compris si on les compare aux pays de l’OCDE qui ont la plus faible part de dépenses publiques dans le PIB. À l’époque de la Déclaration des droits de l’homme, les dépenses publiques étaient infiniment moindres. D’ailleurs, il n’est question que de « l’entretien de la force publique » et des « dépenses d’administration ».

Aujourd’hui, les dépenses publiques, ce sont aussi les allocations, les incitations, les aides, la redistribution, ce qui n’était pas pensable à l’époque.

Si l’on réinterprète l’article 13, certes, « une contribution commune est indispensable », mais aujourd’hui, les prélèvements obligatoires, c’est bien plus qu’une contribution !

On pourrait réinterpréter l’article 13 de la façon suivante.

Dans son système de taxes et transferts, l’État doit prendre en compte les facultés contributives. Pourquoi, en effet, se focaliser sur l’impôt sur le revenu, qui ne représente, dans les chiffres du projet de loi de finances pour 2016, que 7 % environ des prélèvements obligatoires, ce qui est relativement faible ? Pour ce qui est de l’équité, il faut prendre en compte l’ensemble des taxes et transferts. Sachant que, individuellement, les dispositifs peuvent avoir des impacts incitatifs. Rechercher l’équité à l’intérieur de chaque dispositif, individuellement, quelle que soit la conséquence incitative, peut multiplier les effets défavorables en termes d’incitation, sans pour autant avoir, au niveau global, l’effet d’équité recherché.

Je pense à un exemple assez parlant en la matière. Il s’agit d’un article paru en début d’année dans la revue Économie et Statistique, dans lequel nos collègues simulent les impacts redistributifs de l’ensemble de la politique familiale française : ce qui passe par les impôts, donc par l’impôt sur le revenu, mais aussi par la modulation de la taxe d’habitation en fonction de la composition familiale, ainsi que par les allocations directes, avec les allocations familiales, le complément familial, la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), les parts modulées en fonction de la composition familiale de l’aide au logement etc.

Dans cet article, nos collègues ont essayé de tout cumuler pour voir combien on donnait aux familles en fonction de leur niveau de revenu, par déciles. Ils ont trouvé des différences au niveau de la composition familiale. Par exemple, on donne plus par enfant à un célibataire qu’à un couple. En revanche, l’article montre que chaque dispositif individuel a des effets redistributifs, mais que l’effet global est une distribution plate.

On peut donc s’interroger sur le fait de penser, en termes d’équité, dispositif par dispositif plutôt que de les envisager dans leur globalité, et sur les effets incitatifs de chacun des dispositifs.

Mme la président Catherine Coutelle. Vous allez nous faire faire une véritable révolution fiscale !

Votre approche est intéressante. Il est vrai que nous analysons dispositif par dispositif. Nous adoptons différentes mesures, telles que la modulation des allocations familiales par rapport aux familles les plus aisées. Mais si, après avoir additionné tous les dispositifs, nous arrivons à une redistribution plate, nous pouvons effectivement nous poser des questions.

Mme Cécile Untermaier. Pensez-vous que la fiscalisation des allocations familiales serait un dispositif plus juste ?

M. Clément Carbonnier. A priori, la fiscalisation des allocations familiales va renforcer la redistributivité de la politique familiale. Cela étant, il y a d’autres moyens de la renforcer. On peut augmenter, par exemple, les dispositifs redistributifs ou diminuer les dispositifs antiredistributifs. Mais il faudrait peut-être examiner aussi cette question dans sa globalité.

Il peut y avoir un intérêt à soumettre des allocations à conditions de ressources si l’on veut redistribuer. Mais si on met l’accent sur des allocations en les soumettant à conditions de ressources, et que par ailleurs, on ne redistribue pas parce qu’on ajoute un dispositif qui donne l’équivalent à ceux qui n’entrent pas dans ce cadre, cela pose problème.

Il y a effectivement des dispositifs – comme ceux dont je viens de parler – qui renforceraient la redistributivité, mais avant d’en ajouter un nouveau, il faut essayer de décortiquer la somme des dispositifs existants.

Mme Conchita Lacuey. Si nous voulons une réelle équité, il faudrait peut-être fiscaliser l’ensemble des prestations.

M. Clément Carbonnier. Si on fiscalisait toutes les prestations, cela augmenterait, sans rien changer, notre taux de dépenses publiques et notre taux de prélèvements obligatoires affichés. Il faut se demander quel affichage et quelle réalité on veut.

Mme Chantal Guittet. Cela peut paraître curieux que l’État donne d’une main pour en reprendre une partie de l’autre. Cela étant, j’aimerais savoir quel est, selon vous, le meilleur système pour favoriser le travail des femmes.

M. Clément Carbonnier. Il semble qu’il y ait un impact non négligeable de la fiscalité jointe sur la participation des femmes au marché du travail. Comme l’équité, me semble-t-il, doit être appréhendée en tenant compte de l’ensemble des dispositifs, on pourrait gommer une part des effets désincitatifs, sans forcément nuire à l’équité, en mettant parallèlement en place un dispositif fiscal et un dispositif non fiscal qui neutraliseraient un peu l’impact de la fiscalité sur le travail des femmes dans les couples, et en envisageant des redistributions qui pourraient passer par d’autres mécanismes.

On en revient à la question de la fiscalisation. Plutôt que de donner différemment à différentes personnes, si elle est fiscalisée, l’allocation est la même pour tous, et donc, les incitations à aller ou non sur le marché du travail sont aussi les mêmes pour tous. Je parle de la part fiscale de l’incitation, pas de l’ensemble des motivations.

Si vous avez plus de revenus, on vous aura donné moins in fine, mais ce sera par rapport à l’intégralité de vos revenus, par exemple, les revenus du patrimoine. Cela peut être une logique de la fiscalisation. Je ne la défends pas forcément, mais il n’est pas en soi aberrant de donner pour reprendre, si l’on veut, par exemple, dans le cadre d’une politique familiale, donner la même chose à tout le monde ou, du moins, afficher une même allocation pour tout le monde, avec une redistribution qui intègre l’ensemble des revenus, y compris les revenus issus des allocations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Notre objectif, à la Délégation, est de lever les freins à l’emploi des femmes. Vous dites dans votre article que cela a un effet désincitatif et vous citez un certain nombre de processus qui poussent les hommes à continuer de travailler, tandis qu’en ce qui concerne les femmes, vous dites clairement que tous les résultats vont dans le même sens, en mettant en évidence que, pour beaucoup de couples, le travail de la femme est la variable d’ajustement, parce qu’il y a une dissymétrie des revenus dans le couple, quelles que soient les mesures que nous prenions. Autrement dit, on n’a pas trouvé, par la fiscalité, le moyen d’inciter les femmes à reprendre le travail. Par contre, la fiscalité peut freiner cette reprise du travail. C’est ce frein que nous voulons lever.

Les femmes arrêtent plus souvent de travailler quand elles ont un deuxième enfant, voire un troisième. À l’inverse, le conjoint homme, en général, voit son salaire ou sa carrière progresser. Quand elle reprend le travail après deux ou trois ans d’arrêt, la femme a une carrière nettement moins avantageuse, parce que, à trente ou trente-cinq ans, les opportunités d’évoluer sont déjà passées. Il n’y a pas que la fiscalité ou le quotient conjugal qui jouent. Ce sont des éléments parmi d’autres.

M. Clément Carbonnier. Tout à fait. Vous m’avez demandé, au début de cette audition, si nous avions une fiscalité genrée. Ce n’est pas le cas.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons, toutefois, une fiscalité très familialisée et nous avons un souci avec l’administration fiscale qui, en cas de divorce, se refuse à séparer les noms des couples divorcés et continue à s’adresser à la conjointe sous son nom de femme mariée. Cette administration a énormément de mal à changer de culture. Après une séparation ou un divorce, il y a donc un souci qui, d’ailleurs, relève plus de l’administratif que de la fiscalité genrée.

Cela étant, il faut reconnaître que le quotient conjugal a été instauré après la guerre, à un période où l’objectif était de favoriser la reprise de la natalité. On ne voulait peut-être pas, à l’époque, inciter les femmes à aller sur le marché du travail.

M. Clément Carbonnier. Le quotient conjugal n’est pas en soi une fiscalité genrée, mais, appliqué à des couples qui ont des comportements asymétriques entre les hommes et les femmes, il renforce ces comportements. Il y a une interaction.

En soi, le quotient conjugal n’implique pas de différence de traitement entre les hommes et les femmes. Par contre, il a un effet différent sur le premier et le deuxième apporteur de revenu. Tous les couples n’ont pas des comportements asymétriques, mais si c’est le cas, l’interférence entre le quotient conjugal et les comportements asymétriques des couples renforce le frein à la participation des femmes au marché du travail.

En ce qui concerne le déclarant principal et le conjoint, effectivement, les pacsés peuvent choisir, mais le code fiscal indique encore que le mari est le déclarant principal. Je l’ai vérifié sur le site Légifrance il y a moins d’un an.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons encore du travail devant nous !

Mes chers collègues, nous allons bientôt examiner le projet de loi de finances. Si vous en êtes d’accord, j’aimerais présenter à nouveau notre amendement visant à laisser aux couples la possibilité de choisir d’appliquer ou non le quotient conjugal. Je l’ai présenté l’an dernier. Nous pouvons, cette année, profiter de la préparation du prélèvement à la source pour le présenter à nouveau.

Je remercie nos trois invités pour leur participation à nos travaux.

La séance est levée à 17 heures 35.

——fpfp——

Membres présents

Présents. – Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, Mme Chantal Guittet, Mme Gilda Hobert, Mme Conchita Lacuey, Mme Maud Olivier, Mme Sylvie Tolmont, Mme Cécile Untermaier.