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Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 7 mars 2017

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Colloque, ouvert au public, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, sur le thème : « Qui sont les nouvelles féministes ? »

La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, un colloque, ouvert au public, a été organisé sur le thème : « Qui sont les nouvelles féministes ? », en présence de :

– Mme Marie-Ophélie Latil, membre du collectif féministe Georgette Sand, et de M. Frédéric Robert, représentant de l’association Zéromacho ;

– Mme Anaïs Bourdet, créatrice du blog Paye ta shnek, et Mme Ketsia Mutombo, du collectif Féministes contre le cyberharcèlement ;

– Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, et de Mme Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter « Les Glorieuses ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, c’est avec grand plaisir que je vous accueille dans la galerie des fêtes de l’Assemblée nationale pour ce colloque consacré aux nouvelles féministes.

Avant toute chose, je souhaiterais remercier chaleureusement Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, qui a organisé cet événement avec nous et qui nous permet aujourd’hui de profiter de ce très beau lieu. Je dois dire que, tout au long de la législature, le président Claude Bartolone a accédé à toutes nos requêtes et a encouragé nos initiatives, permettant ainsi l’affirmation du rôle de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Je voudrais ici le remercier pour son soutien, son amitié et son engagement féministe. (Applaudissements.)

La création d’une Journée internationale des droits des femmes a été proposée pour la première fois en 1910 par Clara Zetkin, alors présidente de la Conférence internationale des femmes socialistes. Elle est officiellement reconnue par les Nations unies en 1977, et en France en 1982 grâce à Yvette Roudy, qui a suivi nos travaux avec attention tout au long de la législature qui s’achève, et à qui je veux rendre un hommage chaleureux et sincère.

Où en est-on aujourd’hui ?

Fondée sur une approche intégrée de l’égalité, cette XIVe législature aura été synonyme d’avancées réelles pour les droits des femmes. La Délégation aux droits des femmes a d’ailleurs fait le bilan de ces avancées dans un rapport d’information adopté il y a deux semaines.

En parcourant la synthèse de ce rapport, vous pourrez constater que les avancées ont été nombreuses en matière de parité, d’égalité professionnelle, de lutte contre les violences faites aux femmes, de nouveaux droits sociaux, de développement de l’éducation à l’égalité dès le plus jeune âge, et de diplomatie des droits des femmes à l’international.

C’est également pour conclure cette législature que nous avons souhaité organiser ce colloque, afin de rappeler les victoires obtenues, mais aussi les combats qu’il reste encore à mener, et surtout afin de mettre en valeur l’engagement des nouvelles féministes et de leur passer le témoin.

Cette fin de législature a évidemment pour toile de fond l’élection présidentielle. Même si notre colloque ne s’inscrit pas comme un temps de la campagne, je veux lancer ici un message solennel : à l’heure où les candidats sont appelés à s’exprimer sur de nombreuses causes, j’appelle chacun d’eux à s’engager fortement pour l’égalité femmes-hommes, et je leur demande de s’engager à reconduire un ministère des droits des femmes de plein exercice lors du prochain quinquennat. (Applaudissements.)

Tous les programmes ne se valent pas en termes d’égalité. Les Glorieuses, qui interviendront tout à l’heure par la voix de Rebecca Amsellem, ont d’ailleurs mis en ligne sur leur site une étude comparative entre les programmes : n’hésitez pas à le consulter.

Car le féminisme n’est pas un combat obsolète ; il n’a rien d’une mode dépassée.

C’est un combat universel contre les discriminations et dominations que subissent les femmes parce qu’elles sont femmes. C’est un engagement de tous les jours pour promouvoir les droits des femmes et faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. Et, comme le montre la présence de nos intervenantes et intervenant, que je remercie d’avoir accepté de participer à ce colloque, les jeunes aussi sont féministes !

Ces jeunes féministes s’inscrivent dans la continuité des combats d’hier, et ne manquent d’ailleurs pas de veiller au respect des droits fondamentaux précédemment acquis. Je pense aux droits politiques – du droit de vote jusqu’à la parité, qui n’est pas encore achevée, et nous verrons en juin 2017, à l’issue des élections législatives, si le doublement de la pénalité aura eu un effet – , aux droits sociaux, notamment l’accès à la contraception et à l’avortement, ainsi qu’aux droits économiques et à l’égalité professionnelle.

Les « trois vagues » du féminisme sont également le fruit de grandes figures, des grandes femmes qui ont créé l’histoire. C’est ce que décrit le Dictionnaire des féministes du XVIII e au XXI e siècle, publié il y a quelques semaines par Christine Bard. Pour filer la métaphore, les vagues se succèdent, se superposent, s’amplifient, mais entre les vagues, il peut aussi y avoir des reflux…

Les jeunes féministes marquent également une nouvelle ère : en effet, de nouveaux modes d’expression collective et de mobilisation sont apparus. La révolution numérique a ainsi permis de rénover profondément les formes du combat pour l’égalité femmes-hommes, grâce à de nouveaux outils et à une audience démultipliée.

Mais qui sont ces nouvelles féministes ? Quels sont leurs combats et leurs actions ?

Pour répondre à ces questions, nos intervenantes et intervenant nous apporteront bien sûr leur propre expérience et nous permettront de mieux comprendre les nouveaux modèles d’engagement féministe.

Mais avant cela, je souhaiterais revenir sur ma propre expérience de présidente de la Délégation aux droits des femmes : tout au long de cette législature, les mouvements et les associations féministes – de jeunes et de moins jeunes –, nous ont aiguillonnés et aidés à porter nos projets.

Les « nouvelles féministes » l’ont fait avec des moyens d’action souvent très réactifs, voire créatifs : recueil de témoignages via des blogs ou des tumblr, pétitions en ligne, campagnes virales sur internet et sur les réseaux sociaux, hackathons…

Ces modes d’actions permettent un élargissement considérable de l’audience : dès lors que l’on dispose d’une tablette ou d’un smartphone, il est désormais possible de se joindre à ces combats et de défendre ses convictions féministes d’un simple clic – étant précisé que les défendre sur la durée demande tout de même un investissement un peu plus important.

Ce « féminisme 2.0 » développe ainsi une logique participative, horizontale, démocratique.

Vos actions ont maintes fois prouvé leur efficacité. Je me souviens, par exemple, de la forte mobilisation des Georgette Sand, que nous entendrons lors de la première séquence du colloque, contre la « taxe tampon », qui désigne le taux de TVA appliqué aux produits d’hygiène féminine, et plus généralement contre la « taxe rose » qui fait que les produits destinés aux femmes seraient plus chers que ceux s’adressant aux hommes. Les actions menées par les Georgette Sand ont eu un véritable succès, puisqu’elles ont permis de voter, ici, à l’Assemblée nationale, par voie d’amendement, la baisse de cette « taxe tampon » ! Elles restent très attentives à ce que la loi soit bien appliquée et évaluée.

Les associations féministes jouent ainsi un vrai rôle en amont de l’élaboration des lois, permettant de faire remonter des difficultés et des inégalités qui ne sont pas toujours simples à percevoir : le centre Hubertine Auclert nous a alertés sur le cyberharcèlement et les difficultés à engager les poursuites.

Nous, parlementaires, nous nous nourrissons de votre travail, de vos actions et de vos mobilisations. Je citerai Zéromacho, sur la lutte contre la prostitution ; le collectif Féministes contre le cyberharcèlement, sur le harcèlement sur internet ; la Fondation des Femmes, sur le revenge porn notamment ; les Glorieuses, sur les inégalités de salaires ; le blog Paye ta schnek, sur le harcèlement de rue. Et ce ne sont que quelques exemples !

À l’Assemblée nationale aussi, les choses évoluent. Le collectif Chair collaboratrice a permis de libérer la parole et contribuer à mettre en lumière le sexisme subi par un certain nombre de collaboratrices et de fonctionnaires, mis en lumière par des événements récents.

À ce sujet, je souhaite une nouvelle fois remercier l’engagement de Claude Bartolone et du secrétariat général de la Présidence, qui ont accepté nos propositions pour lutter contre le harcèlement à l’Assemblée nationale. Il ne faudrait pas croire qu’après l’affaire Baupin, rien n’a été fait : au contraire, des mesures très concrètes ont été prises, avec la désignation d’une personne référente afin d’entendre et conseiller les victimes de harcèlement, l’amélioration du site de l’Assemblée ou encore la possibilité pour les collaborateurs parlementaires de bénéficier d’une formation au début de la prochaine législature, en septembre 2017.

Toutes vos actions, les témoignages recueillis, votre analyse, votre expertise sont pour nous des ressources précieuses et nécessaires.

Les associations féministes jouent également un rôle important en aval du vote des lois, pour s’assurer de leur application et mesurer leur efficacité. Votre travail de terrain et d’alerte permanente contribue aussi à évaluer la loi et l’efficacité des politiques publiques, et à porter des mesures correctives quand il le faut.

Je ne peux m’empêcher d’y voir une traduction concrète du « triangle de velours », selon l’expression consacrée d’Alison Woodword : c’est l’action conjuguée de ces trois pôles que sont les institutions – les délégations aux droits des femmes du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Haut Conseil à l’égalité et sa présidente Danielle Bousquet, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) –, les associations et la recherche, qui permet de faire avancer les choses.

Car, oui, les choses ont avancé !

Oui, le combat pour l’égalité a connu de nombreuses victoires !

Oui, ces cinq dernières années ont été marquées par d’importantes avancées pour les droits des femmes !

Oui, ces victoires ont été le fruit d’un travail sans relâche, d’un engagement partagé, d’un combat commun !

Oui, chacune des personnes présentes aujourd’hui a participé, d’une façon ou d’une autre, à ces victoires !

Mais je suis consciente qu’il reste encore beaucoup à faire. Nous sommes toutes et tous conscients que rien est jamais acquis et que des reculs peuvent toujours survenir, comme nous l’ont montré les dernières élections aux États-Unis, en Pologne, en Italie et, dans une certaine mesure, en Espagne. Et je profite de cette occasion pour rappeler que les combats et les engagements qui nous unissent sont plus forts que ce qui nous divise. Il est nécessaire de créer du lien entre nous, entre chaque actrice et acteur du féminisme. Cette unité, cette coopération, cette cohérence vont nous permettre de continuer à avancer.

Le féminisme a encore de beaux jours devant lui, la relève est assurée. Jamais autant d’associations féministes ne se sont créées qu’au cours des dernières années et, de nos jours, plus de la moitié de la population française se dit féministe.

Si j’espère que ce sondage reflète bien la réalité, je n’en suis pas toujours persuadée. À ce sujet, j’aimerais vous raconter une anecdote. Je traversais ce matin la salle des Quatre-Colonnes alors qu’un groupe de lycéens s’y trouvait. Comme j’arrivais à la hauteur d’un jeune homme planté devant le buste d’Olympe de Gouges et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, je l’ai entendu s’écrier : « Alors, ça, c’est pas ma culture ! » Inutile de vous préciser qu’il a été un peu saisi quand, surgissant de nulle part, j’ai entrepris de lui expliquer qu’il aurait tout intérêt à faire évoluer sa vision des choses !

Au moment où je quitte la vie politique – puisque je ne me représente pas –, je voudrais rappeler aux jeunes féministes qu’il faut veiller à ce que cette nouvelle constellation d’associations, de collectifs, de sites internet, souvent spécialisés sur une thématique précise, ne soit pas trop atomisée, dispersée.

C’est d’ailleurs aussi pour créer du lien entre toutes et tous les féministes, jeunes et moins jeunes, spécialisés sur un combat ou généralistes, que nous avons souhaité organiser ce colloque.

En conclusion, je veux vous dire que nous devons continuer à avancer ensemble, et pas seulement nous féliciter des progrès accomplis par le passé – même s’il faut, de temps à autre, savoir faire le point et nous féliciter pour ces progrès, car personne ne le fera pour nous. Les victoires d’hier resteront des victoires si demain nous continuons à les défendre, sans relâche. (Applaudissements.)

Pour rythmer nos échanges, le colloque va se structurer en plusieurs étapes.

Il y aura tout d’abord trois séquences d’échanges, où à chaque fois, nous écouterons les témoignages de deux associations, suivis d’un temps de questions-réponses.

Puis, à la fin du colloque, le président Claude Bartolone et la présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), Danielle Bousquet, signeront la convention d’engagement pour une communication publique sans stéréotype de sexe.

*

Mme Marie-Ophélie Latil, fondatrice du collectif féministe Georgette Sand. Madame la présidente, je vous remercie d’avoir invité Georgette Sand à prendre part à ce colloque. Nous faisons partie de ce qui constitue effectivement une véritable constellation d’associations et de collectifs féministes – il s’en crée actuellement environ un par jour.

Constitué en 2014, le collectif Georgette Sand était initialement sous-titré : « Faut-il s’appeler George pour être prise au sérieux ? ». Nous avions effectivement constaté que, même au sein d’une école aussi prestigieuse que Science Po, par exemple, il n’était pas rare que George Sand soit plus connue pour ses amours romantiques avec Chopin et Musset que pour les nombreux ouvrages qu’elle avait elle-même publiés et pour les deux journaux politiques qu’elle avait créés. Très peu de gens savent, par ailleurs, que lorsque Gambetta a fui Paris au moment de la Commune, il l’a fait à bord d’un ballon portant le nom de George Sand, ce qui montre l’importance et la notoriété qu’elle avait de son vivant.

S’il est frappant de constater que cette femme a dû, de son temps, singer les codes de la masculinité, en prenant un nom et un costume d’homme, pour être prise au sérieux, il est tout aussi frappant de voir que, de nos jours, être un homme, le plus viril possible, constitue un gage de sérieux, tandis que la femme est condamnée à rester une petite chose mignonne qui gambade aux alentours, pour le plaisir des yeux. Nous regrettons que la publicité et les médias s’en tiennent, aujourd’hui encore, à cette image de la femme. La majorité des femmes intervenant dans les médias le font au titre de victimes ou de témoins, rarement d’expertes, et elles ont intériorisé cette représentation, puisqu’elles se présentent elles-mêmes par leur prénom plutôt que d’indiquer, ou d’exiger que l’on indique en s’adressant à elles, également leur nom de famille.

L’idée qui a présidé à la création de notre collectif est donc la suivante : au XXIe siècle, il n’est plus nécessaire d’être un homme pour être pris au sérieux. Nous avons choisi de nous constituer en collectif plutôt qu’en association, ce qui nous permet de ne pas avoir de structure juridique, de conseil d’administration, d’assemblée générale ou encore de budget. Pour travailler, nous nous réunissons au domicile de l’une d’entre nous et, partant d’un sujet sur lequel nous avons repéré un article intéressant, par exemple, nous approfondissons ce sujet en menant une discussion.

Nous avons ainsi travaillé sur des questions très diverses, notamment celle des stéréotypes, consistant à se demander s’il y a vraiment d’un côté les hommes, de l’autre les femmes, traditionnellement gentilles et dotées d’une grande capacité d’écoute.

Constatant que les insultes sont souvent à caractère sexiste, nous avons lancé sur internet un concours d’insultes qui ne seraient pas fondées sur cette caractéristique.

Nous organisons également des débats mouvants, tel celui qui aura lieu ce soir sur le thème de la libération de la prise de parole féminine.

Nous avons mené une campagne sur les hommes dans le féminisme, car notre collectif est mixte – même s’il comprend actuellement moins de garçons – et se revendique comme tel, ce qui constitue à nos yeux une avancée par rapport au féminisme de la génération précédente. Nous partons en effet du principe qu’il ne saurait y avoir de révolution si seulement 51 % de la population veut s’engager en faveur d’une égalité réelle entre les droits des femmes et ceux des hommes.

Deux campagnes ont joué un rôle particulier dans la médiatisation de notre cause : celles consacrées à la « taxe tampon » et à la « taxe rose ». Concernant cette dernière, tout est parti de la lecture d’un article paru aux États-Unis sur la différenciation des prix des articles vendus dans le commerce, selon qu’ils sont destinés aux hommes ou aux femmes. Nous nous sommes rendues au Monoprix, où nous avons photographié des rasoirs et des déodorants, mettant ainsi en évidence des différences de prix – ce qui est d’autant plus aberrant que les femmes sont moins bien payées que les hommes ! Sur un mode collaboratif, notre alerte a donné lieu à des centaines de signalements, y compris à l’étranger. La secrétaire d’État chargée des droits des femmes nous a appelées, Le Parisien nous a consacré sa une et, un beau jour, nous nous sommes même retrouvées à la une du New York Times !

Peu de temps après, des femmes se sont mises à manifester en Argentine pour une « mutuelle sans utérus », c’est-à-dire contre le fait que, pour bénéficier du même tarif de mutuelle que les hommes, les femmes devaient signer une déclaration par laquelle elles renonçaient expressément à la prise en charge des frais d’obstétrique – gynécologie et maternité. Alors que notre téléphone n’arrêtait pas de sonner, nous avons compris que nous avions déclenché un phénomène que nous ne contrôlions plus. À partir de ce moment, nous avons été contactées par des femmes de tous horizons et avons même dû recruter des Georgette interprètes afin de pouvoir communiquer avec ces femmes de Pologne, de Chine, du Congo ou du Sénégal.

Nous nous félicitons de cette ouverture qui fait que, globalement, notre combat s’étend au-delà des droits économiques ou relatifs à la santé des femmes pour porter sur d’autres sujets tels que la polygamie, par exemple. Les différents collectifs féministes ne travaillent pas en concurrence, mais en complémentarité. C’est ce qui fait toute leur beauté et leur richesse, et c’est également ce qui fait que l’on ne saurait nous reprocher de travailler uniquement sur la taxation des tampons, des coupes menstruelles et des serviettes hygiéniques, alors qu’il y a évidemment des thèmes plus graves.

Il faut reconnaître qu’il existe aujourd’hui plusieurs formes de féminismes, notamment celui véhiculé par Beyoncé, qui donne lieu à de vrais débats au sein des mouvements féministes, au même titre que le voile ou la prostitution. Beyoncé est une artiste qui, tout en arpentant la scène en culotte, reprend, dans sa chanson Flawless, la définition que donne l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie du féminisme : « Féministe : une personne qui croit en l’égalité des sexes au niveau social, économique et politique ». On peut en penser ce qu’on veut, notamment qu’une telle conception du féminisme est fortement marquée par les impératifs du marketing, mais le fait est que, grâce à Beyoncé, de très nombreuses personnes se revendiquent aujourd’hui féministes. Je le répète, c’est toute la beauté, mais aussi l’efficacité, de la nébuleuse de collectifs féministes que de s’intéresser à tant de sujets différents et d’apporter une telle diversité de points de vue, sans que, pris individuellement, aucun de ces collectifs prétende défendre l’intégralité de la cause féministe et encore moins sauver les femmes. La contribution de Georgette Sand à cette œuvre collective consiste à se demander comment faire pour que les femmes soient prises au sérieux. (Applaudissements.)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Lorsque l’amendement sur la « taxe tampon » a été examiné à l’Assemblée, l’un de mes collègues m’a confié avoir demandé à ses collaboratrices de lui expliquer les choses. Quant au secrétaire d’État chargé du Budget, qui a pourtant l’habitude de traiter de sujets nombreux et extrêmement sérieux du fait de ses attributions, il nous a dit n’avoir jamais reçu autant de messages qu’au sujet de cette taxe, ce qui l’a conduit à rendre les armes et à accepter le principe de la réduction du taux de TVA sur les produits d’hygiène féminine.

Je vais maintenant donner la parole à Frédéric Robert, porte-parole de Zéromacho. Ce réseau nous a accompagnés – peut-être nous avait-il même précédés – dans le combat que nous avons mené trois ans durant, au sein de l’Assemblée, contre le système prostitutionnel. Je précise qu’auparavant, Danielle Bousquet avait rédigé un rapport d’information ayant abouti à l’adoption d’une résolution parlementaire. La France a aujourd’hui une position abolitionniste qu’elle s’efforce de défendre dans le monde entier, ce dont je suis très fière. J’ai assisté le mois dernier en Inde au congrès international contre l’exploitation sexuelle des femmes et des filles, organisé par la Coalition pour l’abolition de la prostitution, au cours duquel des survivantes ont apporté leurs témoignages : je peux vous assurer qu’après avoir entendu ces récits, nul ne pourrait encore prétendre que la prostitution est un choix !

M. Frédéric Robert, porte-parole de l’association Zéromacho. Je commencerai par vous faire part de mon plaisir d’avoir été convié à participer à ce colloque sur les nouvelles féministes – au féminin pluriel, donc.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons effectivement fait le choix de vous inclure dans cette appellation féminine.

M. Frédéric Robert. Vous avez bien fait, et c’est une grande satisfaction pour nous de voir que la langue progresse enfin.

Dès sa création en 2011, le collectif Zéromacho a été constitué comme une entité internationale, ayant vocation à dire non au machisme et surtout à son expression la plus extrême, à savoir la prostitution. C’est Florence Montreynaud, fondatrice de plusieurs mouvements féministes – notamment Les Chiennes de garde en 1999 –, qui nous a encouragés à donner une visibilité à la parole des hommes contre la prostitution, une pratique où se superposent plusieurs formes d’oppression. Ce sujet, qui nous paraissait être l’un de ceux sur lesquels les hommes étaient le plus légitimes à s’exprimer, représente un combat très clivant. Bien que tout le monde ait un avis sur la question de la prostitution, celle-ci est en réalité très mal connue. Il était intéressant de faire entendre une parole masculine dans un domaine où il existait une majorité silencieuse, à laquelle nous pouvions donner une voix. C’était également l’occasion d’exprimer notre engagement à considérer les femmes comme les égales des hommes, et à estimer que le refus de la prostitution constituait une clé d’entrée du féminisme.

Je ne pense pas que nous ayons précédé la prise de conscience qui a eu lieu sur ce point en France. En revanche, nous nous félicitons d’avoir contribué à l’avancée de la loi, notamment en prenant part au collectif Abolition 2012, qui a regroupé plus de soixante associations féministes. Il fallait convaincre certains politiques, certaines féministes, une grande partie de la population, des journalistes et des intellectuels pour qui la réouverture des maisons closes constituait une réponse à la prostitution. Pour avancer sur cette question, il a fallu que Mme Catherine Coutelle et Mme Maud Olivier fassent preuve chaque jour, durant trois ans, d’une détermination sans faille. Aujourd’hui, la loi existe, mais tout reste à faire en matière d’accompagnement de la sortie de la prostitution, de droits des étrangers mais aussi et surtout de responsabilisation des délinquants. Il nous paraissait important de dire avec force que les hommes doivent accepter leur responsabilité, leur complicité, voire leur culpabilité dans les violences, les inégalités et les brimades dont sont victimes les femmes.

Nous ne cherchons ni à nous sentir meilleurs, ni à être donnés en exemple, mais souhaitons avant tout réfléchir sur nous-mêmes et essayer de déconstruire, très modestement, ce qui constitue notre héritage culturel en tant qu’hommes. Nous écrivons, nous manifestons, nous nous efforçons d’être présents sur les réseaux. Pour cela, nous nous sommes constitués en association, mais sans chercher à attirer un trop grand nombre de personnalités afin de conserver la plus grande marge de manœuvre possible, et en faisant en sorte que le collectif reste le plus actif.

Si nous n’avons pas grand-chose à apporter aux militantes féministes en matière de théorie et de recherche, nous présentons un avantage, celui de pouvoir faire entendre la parole féministe à certains hommes particulièrement imperméables à cette question – l’homme de la rue se situe généralement au niveau zéro de la conscience des problèmes posés en la matière. En effet, il nous a semblé que la singularité consistant à être un collectif d’hommes permettait de désamorcer un peu cette posture défensive.

J’ai découvert le féminisme sur le tard, il y a une quinzaine d’années, avec Les Chiennes de garde et La Meute, et cela a été pour moi comme si je chaussais des lunettes adaptées à ma vue : voyant net pour la première fois, je ne pouvais plus envisager de les retirer. Cela dit, pour un homme, la prise de conscience se fait généralement de manière progressive, car on part de loin. Elle est d’autant plus difficile qu’elle doit nécessairement s’accompagner du disempowerment, un terme dont je ne saurais vous donner la traduction française, mais qui signifie le fait pour un homme d’abandonner tous les privilèges indus qui lui échoient en tant qu’homme. Cela implique de refuser de siéger dans des lieux de pouvoir masculins, pour laisser la parole aux autres – je suis bien conscient de la contradiction qu’il y a pour moi à dire cela aujourd’hui, alors que je m’exprime à cette tribune devant une assemblée très majoritairement féminine.

Pour conclure, je voudrais citer quelques phrases tirées du blog tenu par l’Américaine Kettetastic, constituant des conseils aux hommes pro-féministes, qui ont tous les mêmes défauts.

« Prenez conscience du fait que les discussions ne tournent pas toutes autour de vous ».

« Soyez conscients de vos privilèges ».

« Apprenez à écouter ».

« Résistez à la tentation inconsciente de vouloir dominer ».

« Essayez de ne pas être défensifs ».

« Sachez que ce n’est pas notre tâche que de vous éduquer ».

« Si les gens vous traitent de trolls, c’est qu’il y a probablement une bonne raison à cela ».

« N’essayez pas de jouer au chevalier servant ».

« Les femmes ne sont pas un bloc monolithique ».

« Ne laissez pas faire d’autres hommes lorsqu’ils ont un comportement sexiste ».

« Ce n’est pas parce que vous vous qualifiez de féministe que vous êtes exempt de ces suggestions ».

Enfin, « ne vous attendez pas à être gratifié d’une tape dans le dos parce que vous suivez ces suggestions ». Je ne vous cache pas que cette dernière recommandation est sans doute l’une des plus difficiles à suivre. Bien que je réfléchisse depuis quinze ans sur moi-même et mon comportement, je m’attends toujours à être félicité lorsque j’étends le linge ou que je fais la vaisselle. (Applaudissements.)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je sais que Zéromacho se bat aussi pour la reconnaissance de la notion de droits humains. La Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, qui souhaite également que l’on parle de droits humains plutôt que de droits de l’Homme, a obtenu une avancée dans ce domaine. Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre – récemment adoptée en lecture définitive à l’Assemblée –, j’ai en effet réussi à faire adopter un amendement visant à remplacer, à l’article 1er, la notion de droits de l’Homme par la notion de droits humains. Certes, ce n’est qu’un début, mais pour la première fois l’expression « droits humains » est officiellement reconnue dans un texte de loi français, et nous espérons qu’il continuera à en être ainsi désormais. (Applaudissements.)

Nous allons passer au débat sur cette première séquence, que je vais lancer en lisant deux questions que nous avons reçues par internet : « un homme féministe est-il légitime ? » et « comment réussir à mobiliser les hommes dans le combat féministe, sachant que cela implique pour eux une perte de privilèges ? »

M. Frédéric Robert. Je ne suis pas certain d’être le mieux placé pour répondre à la première question, mais je vais tout de même m’y efforcer.

Effectivement, les hommes ne sont pas forcément légitimes pour prendre part au combat féministe et, dès lors, doivent plutôt s’y positionner en tant qu’auxiliaires venant soutenir la parole féministe, portée par la voix des femmes. Si le féminisme reste un combat de femmes pour les femmes, à une époque où le marketing est devenu incontournable, il nous paraît intéressant de tirer parti de la singularité de la parole des hommes, et d’utiliser cette clé d’entrée pour nous faire entendre.

Il y a une quinzaine de jours, j’ai assisté à une réunion au cours de laquelle a été posée cette même question – qui, il faut l’avouer, revient assez souvent. Plusieurs femmes ont exprimé la revendication de voir se constituer des groupes de réflexion non mixtes, en invoquant un argument encore inédit. Je connaissais celui selon lequel il peut être difficile d’évoquer les violences sexuelles en présence d’un homme, mais j’ai été surpris de m’entendre dire que, dès lors qu’un homme était présent, il fallait le rééduquer en lui donnant des explications sur une multitude de points, ce qui cause une perte de temps considérable par rapport aux assemblées constituées uniquement de femmes.

Si un homme féministe n’est donc pas « illégitime » dans le combat féministe, sa présence au sein d’un milieu militant féminin est intéressante mais sous certaines conditions.

Mme Monique Dental, membre du réseau féministe RupturesJ’aimerais interroger Frédéric Robert sur le rôle des hommes « porteurs de valises » dans le féminisme. Zéromacho se revendique-t-il d’une telle attitude, ou agissez-vous autrement ? Quelle est par exemple la différence entre Zéromacho et les hommes avec lesquels nous nous sommes beaucoup battues de 1975 à 1985 pour obtenir la criminalisation du viol et dont le mouvement, Types, a produit des revues très intéressantes sur la déconstruction des archétypes masculins ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Qu’appelez-vous les « porteurs de valises » ?

Mme Monique Dental. L’expression fait référence aux Français qui ont soutenu les Algériens pendant la guerre d’Algérie. Les militants de Types disaient qu’ils n’étaient pas seulement des porteurs de valises.

M. Frédéric Robert. Je ne suis pas très à l’aise pour répondre à cette question, car je ne suis pas sûr de maîtriser les tenants et aboutissants de cette notion. Mais il serait vraiment prétentieux de notre part de vouloir nous inscrire dans une tradition ou une filiation d’hommes féministes : je le répète, à ma grande honte, nous sommes peu, beaucoup trop peu à militer, et je n’ai pas l’impression que nous ayons constitué une pensée qui ajoute grand-chose à ce que les militantes et les expertes ont déjà produit. Non par excès de modestie, mais du fait d’un constat pratique, je nous crois donc plus utiles comme auxiliaires et comme supports que comme experts.

Mme Marie-Ophélie Latil. Pour rebondir sur la question des hommes dans le féminisme, nous avons chez nous une petite cellule d’hommes : ils sont minoritaires, mais ils sont bien là. Nous avons commencé par les former, à leur demande : ils nous ont expliqué que leur situation était compliquée, parce qu’ils avaient tendance soit à tomber dans tous les travers des hommes qui se revendiquent féministes – être bavards, monopoliser la parole, etc. –, soit à ne rien faire et à se cacher dans un coin : bref, ils faisaient de la figuration, et cette inversion des rôles n’est pas forcément préférable à leur répartition habituelle. Bien que nous soyons une toute petite structure, nous avons donc formé les garçons, en reprenant la liste citée par Frédéric Robert et qui figure, je crois, dans la base de données d’à peu près tout le monde chez nous. De même que nous avions formé les filles à prendre la parole sans s’excuser à l’avance parce que ce qu’elles vont dire a peut-être déjà été dit, nous avons appris aux hommes à se taire, et, surtout, à ne pas interrompre.

Mme Clémence Bodoc, rédactrice en chef de MadmoiZelle.com. La seconde question qui a été lue était la mienne. Comment impliquer les hommes dans le féminisme, alors qu’ils y perdent beaucoup de privilèges ?

Je vais citer un exemple concret sur lequel j’aimerais entendre votre réaction. Il y a quelque temps, Christophe Barbier a déclaré que l’égalité salariale entre les hommes et les femmes était une utopie : c’est économiquement compliqué, expliquait-il, parce qu’il faudrait, du coup, baisser les salaires des hommes. Pour moi, c’est sur ce point qu’il existe une véritable friction au sein de la société, une barrière à laquelle se heurte le combat féministe. Du point de vue des valeurs, on arrive à un consensus : de moins en moins de gens, même s’ils sont encore trop nombreux, pensent qu’il est normal que les hommes et les femmes n’aient pas les mêmes droits ; mais quand on va toucher au porte-monnaie, concrètement, on rencontre une limite.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je suis tout à fait d’accord.

Mme Marie-Ophélie Latil. Pour gagner en légitimité, il faudrait déjà baisser le salaire de Christophe Barbier ! (Applaudissements.) Ce serait une mesure efficace : si on arrive à écarter des hommes comme lui du réseau des éditocrates français, on aura peut-être des éditocrates femmes, un peu plus de femmes qui iront sur les plateaux de télévision vous expliquer ce qu’elles pensent sur tout comme si elles maîtrisaient le sujet, même quand elles n’y connaissent rien ; ce sera un sacré pas en avant !

Le problème, c’est que, pour l’instant, ce sont toujours les mêmes personnes qui, depuis quelques décennies, hantent les plateaux de télévision. Je pense aujourd’hui que la mise en place de quotas, notamment dans les lieux de pouvoir comme les plateaux télévisés et les réseaux d’experts, à l’image de ce qui existe dans les pays du Nord, serait un moyen d’obliger les récalcitrants. (Applaudissements.)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) s’en occupe. Sa mission dans ce domaine a été renforcée par la loi du 4 août 2014 et plus récemment encore, dans le cadre de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. Des actions ont été engagées en direction des chaînes de télévision concernant l’égalité et la représentation des femmes, et notamment la présence d’expertes ainsi que la lutte contre les propos sexistes : le CSA a d’ailleurs adressé un avertissement à Cyril Hanouna pour les propos ultra-sexistes tenus dans son émission.

En novembre 2016, nous avons organisé un colloque à l’Assemblée nationale avec Sylvie Pierre-Brossolette, membre du CSA et présidente de son groupe de travail sur les droits des femmes, et je peux vous assurer que le CSA prend le sujet très au sérieux. Reste qu’il faut que le dispositif se mette en place.

Mme Maudy Piot, présidente de l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir (FDFA). En ce qui concerne les hommes, je suis beaucoup moins optimiste. Même si nous avons dans notre association des adhérents hommes, dont deux membres de Zéromacho, et même si j’ai bien entendu les principes énumérés par Frédéric Robert, aujourd’hui encore, même les hommes ouverts au féminisme, même ceux qui se battent pour ne pas rester dans la domination masculine donnent l’impression de nous faire un petit cadeau… Je ne ressens pas de véritable changement dans le milieu masculin.

Un exemple. À la fin de la bande-annonce du film Patients de Grand Corps Malade, on entend : « C’est dommage que les femmes handicapées soient dans un fauteuil roulant, parce qu’on ne peut pas savoir si elles ont un gros cul ! » J’en ai parlé à beaucoup de messieurs soi-disant féministes ; ils m’ont répondu : « Tu ne vas quand même pas prendre la mouche pour ça ! C’est normal ». Pour moi, ce n’est pas normal. Malgré tout notre travail, il y a encore beaucoup à faire. Tant qu’on ne nous respectera pas en tant que femmes, totalement femmes, on ne pourra pas réellement avancer. Tous les hommes présents ici et ailleurs devraient affirmer que l’on n’a pas le droit de dire que si une femme handicapée est en fauteuil roulant, on ne verra pas son postérieur ! Cela résume parfaitement le travail qui nous reste et notre difficulté, à nous, femmes, à être dans les faits les égales de nos partenaires masculins.

*

Mme Anaïs Bourdet, créatrice du blog Paye ta shnek. Je suis ravie d’être là et de découvrir d’autres initiatives que la mienne. Je suis particulièrement heureuse de m’exprimer au même moment que le collectif Féministes contre le cyberharcèlement, car notre démarche et le courant dans lequel nous nous inscrivons sont similaires.

Je commencerai par expliquer l’origine de mon projet.

En 2012, une jeune vidéaste belge, Sofie Peeters, a filmé en caméra cachée ses déplacements dans l’espace public à Bruxelles. Dans sa vidéo, on observe les nombreux épisodes de harcèlement auxquels elle est confrontée de la part de nombreux inconnus qui tiennent des propos très violents, très insistants, très sexualisés. Elle a ainsi révélé à la face du monde ce que pouvait vivre une femme qui se déplace dans l’espace public.

Pour moi, comme sans doute pour beaucoup de femmes, cette vidéo a été une révélation. Je me suis dit que moi aussi, en fait, je vivais ça, depuis des années, et que je le vivais comme si c’était normal. C’était admis, c’était comme ça, je n’en avais jamais parlé. Après un énième épisode de harcèlement qui a suivi le visionnage de cette vidéo, j’ai décidé de lancer ma première conversation entre copines sur le sujet. Le résultat a été absolument affligeant : aucune d’entre nous n’avait été épargnée. Les injures, les mains au cul, les agressions sexuelles, les viols, les suiveurs, les frotteurs : toutes les formes de violence sexuelle et sexiste étaient représentées. Aucune de nous ne pouvait dire qu’elle n’avait jamais été harcelée dans l’espace public. Cette conversation a été un second choc.

J’ai alors commencé à suivre de plus près le débat ouvert par la vidéo de Sophie Peeters. Celle-ci avait créé un énorme buzz. Pour la première fois, on a mis un mot sur le phénomène : le « harcèlement de rue ». Le terme date donc à peu près de 2012.

En suivant ce débat, j’ai été particulièrement marquée par deux aspects. Premièrement, un énorme déni : beaucoup disaient que ce n’était que de la drague, qu’on aurait dû être flattées d’être abordées en permanence et que, grosso modo, ce n’était pas très grave. Deuxièmement, un racisme exacerbé. Dès qu’on évoquait le harcèlement de rue, il y avait une levée de boucliers : « c’est eux, c’est pas nous ». En tant que femme, je peux pourtant témoigner de la diversité des profils des hommes qui m’ont harcelée dans l’espace public ou dans les transports.

C’est ce qui m’a décidée à lancer mon initiative : j’ai ouvert un Tumblr, un blog qui s’appelle Paye ta shnek – un nom aussi fleuri que ce que je peux moi-même entendre dans la rue. L’idée est de collecter tous les propos qui nous sont adressés quand nous nous déplaçons dans l’espace public, et de les géolocaliser pour prouver que le harcèlement de rue s’illustre absolument partout, et non pas seulement dans les quartiers dits populaires comme peuvent le prétendre les médias.

J’ai reçu plusieurs centainerés de témoignages en quelques jours. Quatre ans et demi plus tard, j’en suis à 13 000 : une sacrée collection de témoignages sur les violences sexistes dans l’espace public et les transports. Je suis ainsi un peu devenue, sans le vouloir, la confidente de toutes les victimes du harcèlement de rue.

J’aimerais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour restituer devant vous ce qu’elles m’ont appris, mon expérience seule n’étant absolument pas représentative de la réalité du harcèlement de rue.

Premièrement, à propos de ces 13 000 témoignages, il est très rare de ne pouvoir parler que de sexisme. La plupart du temps, les agressions subies par les personnes qui témoignent sur Paye ta shnek attestent de plusieurs oppressions à l’intersection desquelles se situe la personne. Bien souvent, il y a du sexisme et du racisme ; du sexisme et de l’homophobie ; du sexisme et de la transphobie ; du sexisme et de l’islamophobie. Très souvent, une autre forme d’oppression vient croiser le sexisme. Je ne peux donc pas analyser le contenu de ce recueil à travers le seul prisme du sexisme.

Pour illustrer mon propos, je voudrais vous citer plusieurs témoignages, qui vous parleront bien mieux que moi.

Je reçois beaucoup de témoignages de femmes noires qui sont exotisées et hypersexualisées par des inconnus. J’ai en tête l’exemple de cette jeune femme à qui, lors d’une fête de village, un homme qu’elle ne connaissait pas a dit qu’il n’avait jamais léché les seins d’une Noire, de façon tout à fait naturelle et détendue et, évidemment, avec un regard lubrique.

Concernant l’homophobie, je peux vous citer ce jeune couple de femmes qui traversait tranquillement un parc à Limoges et à qui un inconnu a proposé d’aller se « faire péter la shnek », parce que « c’est cool d’être des soumises normales ». Les femmes lesbiennes sont elles aussi hypersexualisées, et renvoyées à une espèce de norme dont elles seraient exclues, la norme étant bien évidemment la soumission à un homme.

Concernant l’islamophobie, je reçois beaucoup de témoignages de femmes musulmanes ou supposées telles qui sont agressées à la fois pour cette raison et parce qu’elles sont femmes. Par exemple cette jeune femme marseillaise, voilée, qui m’écrit qu’un homme lui a dit dans le métro : « Bonjour petite beurette soumise ! On dit de vous que lorsqu’on vous libère, vous devenez complètement incontrôlables, des folles de sexe ! Je veux bien t’éduquer, mi-pute mi-soumise ! » Ces témoignages se multiplient dans le contexte actuel de racisme et d’islamophobie exacerbés.

Concernant le validisme, j’ai reçu un témoignage qui m’a marquée : celui d’une femme qui se déplace en fauteuil roulant et qu’un inconnu a coincée et menacée de viol, en disant fièrement qu’elle ne pourrait pas se défendre et qu’il pourrait donc faire d’elle ce qu’il voulait.

Le dernier exemple concerne la transphobie : il s’agit d’une femme trans à qui un jour, dans le métro, un homme a ordonné de se déshabiller devant tout le monde pour vérifier son genre.

Ces exemples ne représentent qu’un minuscule échantillon, mais ils donnent une idée de la violence que peuvent subir les femmes qui se déplacent dans l’espace public, pour diverses raisons qui ne se limitent pas au sexisme.

Que sont donc les nouveaux féminismes ? À mon sens, ce sont des féminismes qui prennent justement en considération ces intersections et qui ne traitent plus du sexisme seul. On ne peut pas parler du harcèlement de rue en ne parlant que de sexisme. Cela m’est en tout cas impossible au vu des nombreux témoignages dont je dispose. Pour moi, les nouveaux féminismes, poussés par l’avancée de l’afroféminisme, sont donc nécessairement intersectionnels et se préoccupent également du racisme, de l’homophobie, de la transphobie. C’est mon seul regret au sujet de ce colloque : qu’y soient très peu relayées ces questions d’intersections, qui demeurent très périphériques dans la sphère politique alors qu’elles sont à mon sens absolument centrales. Elles sont en tout cas primordiales dans notre pratique des féminismes.

Malgré tout, c’est pour moi un honneur de m’exprimer à l’Assemblée nationale, particulièrement en ce jour doublement symbolique, la veille de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes et le lendemain du jour où le parquet a décidé de classer sans suite l’affaire Baupin – non sans reconnaître que les faits pouvaient être avérés. Je veux réaffirmer que nos luttes sont nécessaires, mais que tout le monde sait maintenant que le sexisme et les violences sexistes s’expriment de la rue jusqu’à l’Assemblée nationale. Il est de notre devoir d’être vigilantes à tous les niveaux et de ne rien laisser passer, où que ce soit. (Applaudissements.)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous avez tout à fait raison : aucun lieu n’est exempt de sexisme. J’ai été frappée par l’enquête selon laquelle 100 % des Franciliennes déclaraient avoir un jour subi un harcèlement dans les transports. Ce chiffre est stupéfiant.

Tous les combats se croisent, mais toutes les femmes dont vous avez parlé, qu’elles soient lesbiennes, d’origine africaine ou en situation de handicap … – sont femmes.

Mme Anaïs Bourdet. Bien sûr. C’est pour cela que l’on parle d’intersection.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le sexisme est englobant. Il n’y a là rien d’incompatible.

En ce qui concerne le cyberharcèlement, nous avons réécrit la définition du harcèlement sexuel en 2012, le Conseil constitutionnel ayant annulé la précédente définition à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). C’est la première loi que nous avons adoptée, en juillet 2012. Je pense que la définition actuelle est bonne et satisfait tout le monde lorsqu’il s’agit de lancer des poursuites pour harcèlement. Mais je n’ai pas le souvenir que nous ayons parlé à l’époque de cyberharcèlement, et je me demande pourquoi. Nous avons cité le terme une fois dans le cadre de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Surtout, nous en sommes venus à cette notion, et nous y avons beaucoup travaillé en faveur des victimes, en modifiant la loi pour assouplir le régime de la preuve, ainsi qu’à travers certaines dispositions de la loi pour une République numérique. C’est alors que le collectif Féministes contre le cyberharcèlement nous a sollicités.

Mme Ketsia Mutombo, membre et cofondatrice du collectif Féministes contre le cyberharcèlementMa présence aujourd’hui, comme personne issue de la société civile, a effectivement été rendue possible par une mobilisation en ligne contre le cyberharcèlement : en premier lieu, le cyberharcèlement à caractère sexuel ; désormais, plus largement, les cyberviolences.

Comme Paye ta shnek, nous nous déployons majoritairement dans l’espace numérique immatériel, où, à l’instar d’Anaïs, qui a donné de la substance à la notion de harcèlement de rue, nous avons pu donner de la substance à la notion de cyberharcèlement – deux phénomènes malveillants que beaucoup de personnes s’acharnaient à dire inexistants. Notre lutte, comme l’a dit Mme Coutelle, a été facilitée par le fondement légal que nous a apporté son amendement à la loi pour une République numérique, en 2016.

On pourrait définir le cyberharcèlement comme une persécution menée à plusieurs ou seul, via les outils numériques et les nouvelles voies de communication, contre un individu, souvent une femme – car il s’agit d’une violence genrée –, dans le but d’atteindre son intégrité morale et physique. Il fait plus largement partie des cyberviolences, qui sont, dans une optique féministe, la continuation, par des canaux modernes de communication et par des outils numériques, des injonctions et violences faites aux femmes.

Le cyberharcèlement a la particularité de réinitialiser tout ce que l’on savait du harcèlement en matière de temps et d’espace : il peut être mené en continu par des centaines de personnes et, en quelques heures, la victime peut devenir une personnalité publique, avec tout ce que cela implique. Cette perte forcée de l’anonymat et du pseudonymat entraîne une mise en danger, une vulnérabilisation, et surtout une surveillance de la personne : de ses déplacements, de ses propos, de son lieu de travail, parfois de son lieu d’habitation.

Ce savoir assez inédit et très peu théorisé, nous l’avons obtenu par l’intelligence collective. Au départ, nous étions une trentaine de jeunes femmes – c’est très important pour la suite. L’intelligence collective, c’est un travail d’équipe dans lequel chaque contributrice apporte un labeur et un savoir situé. Il diffère du simple travail collectif par la relation entre les membres. L’intelligence collective permet le respect mutuel de nos expériences, la priorisation des victimes d’une oppression dans la prise de parole et la dénonciation de cette oppression, et surtout la création d’un savoir dynamique. C’est en ces sens que nous exhortons les associations, organismes et institutions bien installés à collaborer avec nous, jeunes féministes et jeune association, et à nous accorder les moyens et la crédibilité nous permettant d’échanger avec eux d’égal à égal. Nous remercions le Centre régional d’information et de prévention du sida (CRIPS) d’Île-de-France, le HCEfh et le Planning familial, entre autres, qui s’orientent vers cette voie.

Nous agissons selon une démarche d’innovation sociale. L’innovation sociale, c’est l’élaboration de réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux, impliquant la participation et la coopération des personnes concernées par ces nouvelles problématiques. C’est dans cette optique que nous nous réclamons du féminisme intersectionnel. Car il existe des femmes aux parcours différents, qui subissent des violences différentes, et confrontées à des injonctions différentes.

Notre collectif est majoritairement constitué de femmes afrodescendantes ; en ce sens, nous nous affirmons féministes décoloniales, c’est-à-dire que nous voulons la fin des représentations coloniales qui semblent encore nous entourer et, dans les faits, nous étouffent. Il y a encore des difficultés, dans notre contexte national, à parler de ce pan de notre histoire et de ses conséquences sur la construction des individualités et le rapport à l’altérité. Une association étudiante de Paris 8 en a récemment fait les frais. Mais c’est très important, et je dois vous dire pourquoi.

Lors du premier harcèlement de rue que j’ai vécu – j’avais quinze ans –, un homme d’une cinquantaine d’années, blanc, m’a dit : « Tiens, je te donne mon numéro, parce que moi j’en ai marre des femmes blanches, elles savent pas s’occuper des hommes ; moi j’aime bien les Africaines et les Noires ; tu prends mon numéro, tu me demandes de l’argent quand tu veux. » Cette interaction était non seulement sexiste, et dangereuse en raison de mon âge, mais également raciste. Or c’est le quotidien d’énormément de Françaises et de femmes, en France, issues de l’immigration.

L’origine, il faut l’admettre, est un outil de contrôle des femmes. Elle sert aux personnes malveillantes à les contraindre, à les contenir, à stigmatiser leur expression personnelle, ainsi que leur sexualité ou des caractéristiques assez aléatoires comme le rapport à la douleur. Nous avons remarqué empiriquement que l’origine permet par exemple de légitimer certains cas de cyberharcèlement ou d’hypersexualiser des photos ou des vidéos qui, en elles-mêmes, ne sont ni sexuelles ni intimes.

C’est en ce sens que nous estimons nécessaire d’écouter, comme vous le faites aujourd’hui, ces cyberféministes qui agissent sur le terrain immatériel, car des intersections telles que genre et handicap visible, genre et poids, genre et transidentité peuvent particulièrement exposer aux cyberviolences. (Applaudissements.)

Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est un phénomène qu’il faut prendre en considération, en particulier s’agissant des plus jeunes. Nous savons tous que de jeunes lycéennes – et collégiennes – se sont suicidées, et aussi des garçons, à cause du cyberharcèlement. L’Éducation nationale a pris le phénomène au sérieux, des mesures témoignent de cette attention, mais l’ensemble des personnels ont besoin d’être formés pour pouvoir reconnaître ce harcèlement.

Sans vouloir franciser tous les termes, j’ai d’ailleurs un peu regretté l’utilisation à ce sujet de termes anglais qui ne disent pas suffisamment la violence du phénomène. Le revenge porn, la vengeance pornographique, se comprend bien ; mais on parle de happy slapping pour désigner le fait de filmer une violence et de la mettre aussitôt sur internet en s’en réjouissant, alors que la chose n’a rien de happy. J’ai donc demandé que l’on traduise ces termes en français pour exprimer plus immédiatement leur très grande violence, qui produit une grande souffrance – dont la Délégation a reçu des témoignages.

Deux questions nous ont été posées par internet via le formulaire en ligne relatif à ce colloque :

– « À quel âge et à quel moment se sent-on féministe ? »

– « Comment inclure la lutte contre le racisme au sein du mouvement des jeunes féministes sans qu’il relève d’une seule communauté ? »

Mme Luce Sirkis, membre du Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS). Je voudrais suggérer à Mme Anaïs Bourdet de faire un test en demandant à celles d’entre nous qui ont déjà été harcelées dans la rue de lever la main.

Mme Anaïs Bourdet. Mesdames, qui, parmi vous, a déjà été harcelée dans l’espace public ou dans les transports ? (Toutes les femmes présentes lèvent la main.) C’est la réponse à laquelle nous nous attendions, malheureusement.

Mme Mégane Ghorbani, membre de Peuples Solidaires – ActionAid FranceOn a beaucoup parlé de ce qui se passe en France. Vous avez rappelé l’importance d’une approche féministe intersectionnelle. Avez-vous aussi noué des solidarités avec des mouvements à l’international ?

En ce qui concerne plus précisément le cyberharcèlement, auriez-vous remarqué que les défenseuses des droits humains sont spécifiquement visées parce que plus exposées ?

Mme Ketsia Mutombo. Pour ce qui est de la solidarité internationale, notre approche intersectionnelle, qui prend en considération les oppressions liées aux origines, nous permet de parler de thématiques qui concernent non seulement la France, mais aussi plusieurs autres pays. Souvent, ces liens internationaux sont créés avec des personnes de certaines communautés culturelles ou pays qui ont de la famille sur place ou dont la venue en France est récente.

Sur le second point, je l’ai dit, nous avons été forcées d’étendre aux cyberviolences notre mobilisation, qui était d’abord particulièrement dirigée contre le cyberharcèlement à caractère sexuel. En effet, le fait d’être une femme qui dispose d’une plateforme sur laquelle s’exprimer, et d’y défendre des idéaux en réaction aux violences subies, expose lui-même à énormément de violences. Or les plateformes d’hébergement de contenus se mobilisent encore très faiblement contre ces violences, car le phénomène reste méconnu et parce que, de manière très générale, les violences faites aux femmes sont rarement prises au sérieux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons rencontré ce phénomène de violence lorsque nous avons travaillé sur le sexisme dans les jeux vidéo. J’aurais voulu exclure les jeux sexistes du bénéfice du crédit d’impôt accordé aux jeux vidéo (CIJV) ; je n’y suis pas arrivée, mais je ne désespère pas. Certaines gameuses se disent obligées de prendre des pseudonymes masculins pour ne pas se faire insulter. Mar_Lard, celle qui a dénoncé le sexisme des geeks, s’est fait copieusement injurier, voire harceler ; une autre, aux États-Unis, a dû déménager pour se mettre à l’abri. Le monde des jeux vidéo demeure très sexiste.

À quel moment se sent-on donc féministe, Anaïs ?

Mme Anaïs Bourdet. Je me suis découverte féministe sur le tard, mais je me suis alors rendu compte que c’était un état ancien – par exemple, que je m’étais toujours bagarrée pour avoir ma place en tant que fille à l’école. J’observe que de plus en plus de jeunes se revendiquent féministes et luttent activement pour leurs droits, ce qui est une bonne nouvelle. Il en découle que Paye ta shnek fait des petits – par exemple Paye ton bahut, qui a été ouvert par une lycéenne.

Mme Léa Arguel, bénévole à l’association En avant toute(s). Les membres de notre association ont créé un site Internet conçu pour permettre à des jeunes filles, pour la plupart mineures, d’exposer leurs questionnements sur leur couple et éventuellement les violences qu’elles subissent. La plateforme est ouverte les lundis, mardis et mercredis. L’association intervient également en milieu scolaire pour éduquer les jeunes à l’égalité entre les hommes et les femmes et à combattre les stéréotypes sexistes de genre. Nous avons été relayées sur Paye ton couple, qui est l’une des suites de Paye ta shneck ; nous en sommes très contentes car cela a donné de la notoriété à notre plateforme, adaptée aux jeunes qui ne se reconnaissent malheureusement pas dans les courants féministes anciens, ni même dans le mot « féministe ». Enfin, nous déplorons que les mineures ne soient pas prises en compte dans les statistiques relatives aux violences faites aux femmes. (Applaudissements)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous félicite pour votre travail. Il est vrai que les mouvements féministes évoqués sont ceux du siècle précédent…

Mme Clémentine du Pontavice, membre du collectif Les Glorieuses. On peut devenir féministe très tôt si l’on sent que les choses ne se passent pas comme elles devraient à la maison, là où tout commence : les parents ont une responsabilité à ce sujet. Pour ma part, je l’ai ressenti très jeune. Je vous remercie toutes pour les initiatives que vous avez prises car elles donnent envie de rejoindre ces collectifs et nous donnent une légitimité – et c’est ainsi que nous gagnerons ces combats.

Une représentante du Fonds pour les femmes en Méditerranée. Le Fonds pour les femmes en Méditerranée soutient les associations de femmes des pays du pourtour méditerranéen, France comprise. Nous accompagnons aussi, dans ce bassin, le renforcement du mouvement de la jeunesse féministe et je tiens à rendre un hommage particulier aux femmes et aux féministes qui, au cours des révolutions arabes en Tunisie et en Égypte, ont dénoncé avec un grand courage le harcèlement dans la rue. Je me réjouis de cette constellation de jeunes féministes. Nous, vos aînées, sommes très fières de ce que vous êtes. La question est maintenant de savoir comment en venir à une action commune. Puisque vous êtes une multitude, comment vous fédérer ? Comment user de l’intelligence collective pour ne pas répéter nos erreurs passées et parvenir, cette fois, à faire cause commune ?

Mme Anaïs Bourdet. Je ne saurais vous donner une date précise, mais c’est en cours de construction. Nous faisons face aux mêmes problèmes que ceux qui se sont posés à votre génération – des différences de courants et des divisions sur certains sujets – mais des regroupements se dessinent et des collaborations se profilent. Nous surfons sur une vague, nous ne demandons qu’à la faire grossir et je nous fais confiance pour dépasser les clivages. (Applaudissements)

*

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les mouvements féministes ne vivent pas que d’eau fraîche : ils ont besoin d’argent qu’il faut savoir trouver, et peut-être les femmes parviennent-elles moins que les hommes à réunir des fonds, car elles sont moins en réseaux. C’est l’une des pistes suivies par la Fondation des femmes.

Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes. Je vous remercie de m’avoir invitée en qualité de « nouvelle féministe ». Mais si j’ai pu me découvrir telle, c’est parce qu’il y a eu d’innombrables féministes avant moi. Beaucoup sont présentes aujourd’hui et je vous remercie de ce que vous avez fait pour nous ; si nous sommes ici, c’est aussi grâce à celles qui ont mené ce combat avant nous. (Applaudissements)

La création de la Fondation des femmes s’explique par l’urgence de parvenir à une égalité tangible dans une situation paradoxale. D’une part, on assiste à un bouillonnement d’initiatives féministes à la visibilité croissante : même si elles demeurent périphériques, les féministes n’étaient pas aussi visibles que nous le sommes il y a vingt ou trente ans, époque à laquelle aucune star internationale ne se déclarait féministe pendant des concerts, devant des centaines de milliers de personnes. Il y a un élan vers une plus grande égalité, et la majorité des Françaises se déclareraient féministes ; on progresse donc, d’autant que, ces dernières années, les législateurs ont beaucoup travaillé en ce sens, en France en particulier.

Mais, dans le même temps, on ressent une recrudescence sournoise de la domination masculine, sous de nouvelles formes, et l’explosion d’une violence de plus en plus forte à l’encontre des femmes. Cela est dû à l’apparition du nouveau territoire qu’est l’espace numérique, où prévaut la notion de liberté sans partage – mais toute féministe sait ce que signifie la liberté quand elle n’est pas assortie de l’égalité : la liberté totale, c’est la loi du plus fort. C’est ce qui se passe sur l’internet, où des groupes d’hommes mènent des raids à l’encontre de femmes dont l’expression, singulièrement quand elles se déclarent féministes, ne leur convient pas. La violence exercée est telle que certaines femmes en viennent à quitter cet espace. De même que le harcèlement de rue les conduit à abandonner l’espace public, par exemple en ne sortant plus tard le soir ou en rentrant en taxi ou en métro plutôt qu’à pied, de même, dans l’espace numérique, les femmes, par peur, sont contraintes de se cacher, de s’exprimer sous pseudonyme, de cesser de donner leur opinion.

La violence prend aussi la forme de la vengeance par la pornographie – revenge porn –, pratique consistant à diffuser des images à caractère sexuel sans le consentement des personnes concernée. La Fondation des femmes a travaillé sur ce sujet. En effet, nous appuyons les associations financièrement, matériellement et juridiquement. Notre réseau d’une soixantaine d’avocates bénévoles sont à leur disposition et toutes peuvent faire appel à nous pour toute question d’ordre juridique. Ces avocates ont accompagné un collectif d’associations afin de déterminer comment mieux condamner le revenge porn ; cela a été fait dans le cadre de la loi pour une République numérique promulguée en octobre dernier.

Outre le fait qu’Internet a permis l’apparition de nouvelles formes de violences et qu’il les démultiplie, le capitalisme et la marchandisation de toute chose contribuent à la diffusion de représentations de plus en plus genrées et stéréotypées : il va sans dire qu’en fabriquant des dentifrices bleus « pour les hommes » et roses « pour les femmes », on incite les familles à acheter deux tubes quand un seul suffirait.

L’époque est celle d’une représentation hyper-sexualisée très violente pour les femmes – voyez combien est dégradante et humiliante la dernière campagne publicitaire de la maison Saint Laurent ! Que se passe-t-il donc dans la tête des hommes ? Comment expliquer la haine des femmes qui explose dans ces images ? La diffusion massive de la pornographie n’aide pas, et le pire est que la multiplication de telles images fait que l’on s’y accoutume ; il en résulte ainsi qu’un homme venu à une réunion de la Fondation des femmes il y a quelques jours m’a dit ne pas comprendre ce que ces images ont de choquant. Simone de Beauvoir le disait justement : « Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue ».

Prévaut aujourd’hui une grande sournoiserie : le prétendu « blues de l’homme blanc » – le pauvre ! – qui s’invente une perte de pouvoir. Ce discours sur une prétendue « dévirilisation » de la France, dont le sort funeste tiendrait à ce qu’elle s’est féminisée, est relayé par MM. Zemmour, Buisson et Debray depuis une quinzaine d’années et de plus en plus fortement depuis cinq à sept ans ; il influence les esprits. De même, il est très regrettable, et même révoltant, de savoir qu’une majorité de femmes blanches ont voté pour Donald Trump alors que son élection à la présidence des États-Unis a été analysée comme la revanche des hommes blancs. Un discours masculiniste particulièrement pervers se développe, qui appelle la plus grande vigilance.

Nous avons donc créé la Fondation des femmes car, face à ces menaces, un tissu d’associations engagées est indispensable, et des solutions tangibles pour répondre à l’espérance d’égalité qui se manifeste. Cela montre l’importance d’associations telles qu’En avant toute(s), que nous accompagnons et qui apporte des solutions concrètes à des jeunes femmes victimes de violences. De plus grands moyens sont nécessaires pour permettre à ces associations de se développer et de travailler ensemble, car faire émerger le « nous féministes » demande du temps, des espaces collectifs et, un jour peut-être, de cités des femmes. La Fondation des femmes se concentre sur les moyens à apporter aux associations et collectifs centrés sur les femmes, les féministes et les droits des femmes, sans entrer dans les débats qui peuvent les opposer.

Mme Monique Dental a évoqué les « porteurs de valises », faisant référence aux compagnons de route français anticolonialistes du FLN algérien. C’est l’optique de la Fondation des femmes : nos valises sont l’argent et les armes juridiques que nous allons chercher pour les mettre à la disposition du plus grand nombre possible d’associations, afin de renforcer les droits des femmes confrontées à des menaces croissantes. (Applaudissements)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il est vrai que, protégés par l’anonymat rendu possible par internet, certains s’autorisent les expressions les plus violentes. J’ai le sentiment que la perte de pouvoir des hommes et le fait que les femmes gagnent en liberté et en égalité poussent certains à ce type de réaction ; c’est ce qui transparaît dans l’idéologie masculiniste.

Mme Rebecca Amsellem va maintenant nous expliquer la genèse du collectif Les Glorieuses, dont la célébrité subite a été due à un appel au retentissement inattendu. Cet appel invitait les femmes à arrêter de travailler le 7 novembre dernier à 16 heures 34, en soulignant que, si l’on rapportait leur salaire à celui que perçoivent les hommes pour un travail équivalent, toute tâche qu’elles effectueraient au-delà de cette date et de cette heure serait bénévole.

Mme Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter Les Glorieuses. Le mouvement a été lancé en septembre 2015. Il s’agissait au départ d’une lettre hebdomadaire d’information féministe ; nous la diffusons toujours. Nous l’avons créée parce que nous connaissions trop de femmes manquant de confiance en elles-mêmes. Notre ambition initiale était de faire comprendre à nos lectrices qu’elles peuvent tout faire : devenir cheffe d’entreprise, professeure, élue de la République… Chaque mercredi, nous parlons d’empowerment, de santé, d’éducation et de toutes sortes d’autres sujets, de manière que, ayant lu ces articles, nos lectrices se sentent plus puissantes. Notre lettre d’information compte désormais 40 000 abonnés, dont 15 % sont des hommes. Nous avons lancé il y a peu Les Petites Glo, destinée aux adolescentes et écrite sous la forme du journal d’une jeune fille de 16 ans – ce que nous aurions aimé pouvoir lire lorsque, adolescentes, nous étions en train de devenir féministes. Dans trois semaines, nous lancerons Glorious, la version anglophone de notre lettre d’information.

Parce que l’on ne peut se revendiquer féministe sans inclure une dose de politique dans son action et parce que nous nous étions rendu compte que les femmes sont un électorat privilégié du Front national, nous avons aussi publié, en décembre 2015, un manifeste encourageant les femmes à voter contre ce parti, en étayant cet appel par les arguments montrant en quoi le Front national est un parti dangereux pour les droits des femmes. Nous avons d’autre part rédigé un manifeste visant à ce que le Syndicat national des journalistes (SNJ) inscrive dans sa charte de déontologie le respect de la parité pour les experts cités dans les medias.

L’appel que nous avons lancé aux femmes pour les inciter à cesser de travailler le 7 novembre à 16 heures 34 est probablement la plus connue et la plus populaire de nos actions. Elle visait à susciter une prise de conscience générale de l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes en France pour provoquer l’engagement de tous, chacun à son niveau. Des syndicats ont alors lancé des appels à la grève, notamment au journal Le Monde. Plus largement, grâce à cet appel, des femmes se sont rendu compte qu’elles n’étaient pas les seules dont les collègues masculins, à travail égal, étaient mieux rémunérées qu’elles, et elles ont trouvé le courage de demander une augmentation. Nous avions pour idée de provoquer une prise de conscience, et aussi de faire que l’on ne parle pas des droits des femmes uniquement le 8 mars, puisque toutes, ici, nous battons pour cela tous les jours.

L’idée de cet appel nous a été inspirée par les Islandaises qui, le 24 octobre 2016 à 14 heures 38, sont descendues dans la rue par milliers pour dire le mal qu’elles pensaient de l’inégalité salariale persistante entre les hommes et les femmes. Alors que l’Islande est le pays où la différence de salaire est de 9 %, le taux le plus faible au monde, il était frappant de constater que les Islandaises continuent de se battre pour parvenir à l’égalité salariale parfaite.

Notre objectif était aussi de faire que l’on cesse de rejeter le blâme sur les femmes en arguant que si elles sont moins payées c’est soit qu’elles « choisissent » de travailler à mi-temps ou d’exercer un métier moins rémunéré que celui des hommes, soit que, souffrant du « syndrome de la bonne élève », elles n’osent pas demander d’augmentations de salaire. Ce dernier argument est peut-être le pire de tous : il revient à dire que même si les femmes sont parfaites, ce n’est pas suffisant, et l’on trouve encore un moyen de les blâmer.

Nous souhaitons maintenant participer plus largement au débat politique ; aussi avons-nous mis en ligne il y a quelques jours Les Femmes ont le pouvoir, plateforme politique non partisane. Elle comprend trois rubriques. La rubrique « S’informer » vise à déterminer la position des candidats à l’élection présidentielle 2017 au sujet des droits des femmes. Nous avons recensé ce qu’ils ont fait à ce sujet précédemment et ce que proposent leurs programmes. On apprend ainsi que Mme Le Pen n’est pas la candidate qui défend le mieux les droits des femmes – ce qui n’est pas vraiment surprenant. Nous apportons la preuve qu’au Parlement européen elle a voté systématiquement contre toutes les résolutions qui pouvaient améliorer ces droits en Europe – ainsi de la résolution sur l’égalité des genres et l’émancipation des femmes à l’ère du numérique – et que, lorsqu’elle ne vote pas contre ces textes, elle s’abstient ou est absente lors du vote.

De manière plus optimiste, on constate que les programmes à ce sujet des autres candidats à l’élection présidentielle sont plus intéressants qu’ils ne l’ont jamais été. L’un deux propose de faire du droit à l’avortement un droit constitutionnel, un autre de rendre la procréation médicalement assistée légale pour toutes. On note encore la proposition d’interdire de subventionner les associations qui ne respectent pas l’égalité entre les femmes et les hommes et celle qui vise à aligner le congé de paternité sur le congé post-natal. Recenser et diffuser les informations sur ce que les candidats ont fait au cours de leurs mandats précédents permet de mesurer l’intérêt réel qu’ils portent aux droits des femmes.

La rubrique « S’inspirer » de la plate-forme fournit des cartes interactives des initiatives prises dans le monde en matière de droits des femmes, qui fonctionnent et qui pourraient être appliquées ailleurs – par exemple, l’interdiction signée par le maire de Londres d’afficher des publicités sexistes dans le métro de sa ville.

Enfin, la rubrique « S’engager » vise à ce que chacun exprime ses propres propositions relatives aux droits des femmes.

Je précise à nouveau que notre projet n’est pas partisan : nous ne choisirons ni ne soutiendrons un candidat.

Les femmes représentent 52 % de la population et 53 % du corps électoral. Elles ont donc le pouvoir, et il est temps qu’elles le sachent. L’objectif des Glorieuses est de faire se rassembler celles et ceux qui ont compris que ce combat n’est pas une guerre des genres mais une nécessité pour arriver à la paix entre les genres. (Applaudissements)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous soumets la question suivante qui nous a été transmise par internet : « comment intéresser davantage le féminisme aux questions économiques et aux politiques sociales qui touchent souvent la condition des femmes ? »

Mme Anne-Cécile Mailfert. Le féminisme, mouvement transversal, s’intéresse à tout, pas seulement aux personnes de genre féminin. Il est de première importance que les candidats à la présidence de la République entendent ce message ; nous les interpellerons à ce sujet lors du débat que la Fondation des femmes organise le 24 mars prochain à l’auditorium de la maison du barreau de Paris.

Notre message est double. D’une part, il faut des moyens, ce qui rend indispensable un ministère des droits des femmes doté d’un budget suffisant (Applaudissements).

D’autre part, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes doit être envisagée de manière transversale : si l’on veut dessiner, comme l’a dit l’un des candidats, un avenir désirable par l’écologie et les nouvelles technologies, il faut se demander quelle est la place des femmes dans ce schéma. Cela vaut pour tout sujet : à chaque fois que l’on entend tracer une voie pour demain, il faut avoir pour prisme l’égalité entre les sexes. Autant dire que le féminisme n’a pas pour seuls objets la contraception et le droit à l’IVG ! Les femmes doivent être partout et l’égalité doit être pensée de manière transversale ; les féministes en ont conscience mais comment en convaincre les politiques, qui ont souvent tendance à nous cantonner à quelques sujets précis ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons conscience que la transversalité s’impose. Najat Vallaud-Belkacem disait que, sous peine d’échouer, il faut attaquer la question sur tous les fronts. Je pense que l’on en vient à une nouvelle étape, celle des budgets sensibles au genre, dans les collectivités territoriales comme au niveau national.

Mme Chantal Brichet-Nivoit, médecin de santé publique. Je signale l’existence à l’Université Paris-Descartes d’un enseignement en psycho-traumatologie et en sexologie ouvert à d’autres que les seuls étudiants en médecine, notamment à des avocats. Il est nécessaire d’avoir un minimum de savoir scientifique pour mieux comprendre l’autre.

Mme Laalia Ducos, membre de la commission contre les extrémismes religieux de l’association CLEF – Coordination pour le lobby européen des femmes. À propos de la recrudescence des violences faites aux femmes, il ne faut pas oublier que les problèmes socio-économiques font le lit de l’extrême droite et des fondamentalismes religieux. La situation est très dangereuse : on constate la régression des mentalités, et les réseaux sociaux sont source de grands périls car ils amplifient le phénomène. Nous devons prendre garde à nos acquis.

Mme Agnès Cerighelli, présidente du Club IAE au féminin, association des femmes diplômées des instituts d’administration des entreprises de France. Je suis conseillère municipale à Saint-Germain-en-Laye. La France est une société fortement numérisée.

Internet est une magnifique invention mais les réseaux sociaux ont une responsabilité dans la diffusion d’images sexistes et pornographiques. Le législateur doit s’interroger sur le fait que si l’on tape le mot « femme » sur Twitter, des informations sur ce colloque apparaîtront mais aussi, très certainement, des images pornographiques.

D’autre part, les appréciations de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) semblent parfois singulièrement laxistes. Les réseaux féministes ont dénoncé les images dégradantes pour les femmes de l’actuelle campagne publicitaire de la maison Saint Laurent et obtenu que l’ARPP, il y a quelques heures, somme l’entreprise de les retirer. Cela étant, je ne parviens pas à m’expliquer que les services de marketing et de communication d’un si grand groupe puissent encore songer afficher de telles photographies, qui plus est dans les jours précédant le 8 mars. Cette démarche est profondément biaisée, puisque l’affichage de ces images a fait que l’on a parlé, beaucoup, de cette marque en France et à l’étranger. Mais elle n’en sort pas à son avantage, et le législateur doit interdire les représentations de cette sorte. (Applaudissements.)

Mme Laure Herbert. Je ne me reconnais pas dans certaines propositions faites sous couvert de féminisme pour lutter contre le harcèlement sexiste dans les transports. Il a ainsi été suggéré que, la nuit, les autobus s’arrêtent à la demande, au plus près du domicile des femmes. Pour ma part, je veux descendre à trois arrêts de chez moi si j’en ai envie et marcher ensuite tranquillement dans la rue, même la nuit ! Je suis très étonnée que des féministes formulent une proposition qui revient à nous priver d’une liberté. Que l’on offre cette possibilité à tous, très bien, mais le faire au motif de protéger les femmes me paraît surprenant et je me demande si des associations féministes peuvent porter une telle proposition.

Mme Honorine Koenig, conseillère municipale des Mureaux, présidente de l’association Faiga des Îles Wallis-et-Futuna. À Wallis-et-Futuna, îles dont je suis originaire, le féminisme n’existe pas ; je l’ai découvert à mon arrivée en France. C’est en 2013 que, pour la première fois, une femme a été élue à l’assemblée territoriale des îles de Wallis-et-Futuna – en 2013 seulement ! Cette anomalie m’a trotté dans la tête mais, comme je vous l’ai dit, je ne connaissais pas le féminisme jusqu’à ce que j’entre en contact avec l’Assemblée des femmes, que je remercie. Le fait d’être moi-même élue en 2014 aux Mureaux a accéléré ma prise de conscience féministe, car j’ai subi de nombreuses remarques sexistes. De très nombreuses femmes continuent d’ignorer l’existence d’associations féministes et le fait qu’elles peuvent y adhérer. Je me réjouis de l’action menée par Les Glorieuses et je compte propager avec vigueur cette bonne nouvelle dans les îles de Pacifique Sud. (Applaudissements)

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous accueillons le président Claude Bartolone. Nos deux intervenantes vont réagir aux questions, puis nous en viendrons à la dernière partie de notre colloque.

Mme Anne-Cécile Mailfert. En Polynésie, il y a des femmes absolument fabuleuses qui ont commencé à mener ce combat sans nous attendre. J’en citerai deux, qui sont à la fois des auteures magnifiques, des combattantes pour la liberté et l’indépendance de Tahiti, et des féministes : Chantal Spitz et Titaua Peu. Je vous invite à lire leurs ouvrages qui montrent l’envers du décor de ces îles paradisiaques. Elles ne nous ont pas attendues pour se libérer.

Mme Rebecca Amsellem. Pour ma part, je voudrais ajouter qu’avec Les Glorieuses, nous essayons de faire de la sororité une notion aussi universelle que la fraternité. La sororité est la capacité de toutes les femmes à s’entraider et à reconnaître que chacune vit différemment sa condition selon son environnement ou son origine sociale. Je vous propose d’en faire un but et non pas un moyen. (Applaudissements)

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Puis, le président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, a signé la convention d’engagement pour une communication publique sans stéréotype de sexe, en présence de la présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), Mme Danielle Bousquet.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous allons passer à la dernière séquence de notre colloque avec M. le président Claude Bartolone et Mme la présidente Danielle Bousquet. Je voulais vous remercier toutes et tous. Nos combats, d’un siècle à l’autre, sont marqués par des continuités et des ruptures. Je suis très encouragée car je pense que la relève est là, sur tous les continents, extraordinairement inventive, imaginative et enthousiaste. Grand merci à toutes et à tous. Cette très belle soirée nous rassure. (Applaudissements.)

Avant d’en venir à la signature de la convention pour une communication publique sans stéréotype de sexe, je voulais vous remettre, monsieur le président, le dernier rapport d’information de la Délégation aux droits des femmes, qui comporte deux tomes et 200 pages, et qui est aussi disponible sur le site de l’Assemblée nationale, en formant le souhait qu’il devienne un outil de référence : je vous invite, toutes et tous, à l’utiliser et à le diffuser.

M. le président Claude Bartolone. Merci, madame la présidente de la Délégation aux droits des femmes, chère Catherine.

Je suis très heureux de me trouver parmi vous ce soir pour célébrer, avec une très légère avance, la journée internationale des droits des femmes. Chaque année, elle est l'occasion de réaffirmer notre engagement commun pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Pour beaucoup d'entre vous, je sais que c'est un combat que nous partageons de longue date, et je vous en remercie. Je pense notamment à Yvette Roudy, qui défend toujours avec ténacité la cause des femmes, et à Danielle Bousquet, la présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). Parmi les combattants de l'égalité, je salue également Grégoire Théry, l'infatigable secrétaire général du Mouvement du Nid, Ernestine Ronai, notre coordinatrice nationale de la lutte contre les violences faites aux femmes, et Annie Sugier, la présidente de la Ligue du droit international des femmes. Dans ce palmarès, je ne voudrais pas oublier Véronique Séhier et Carine Favier, les coprésidentes du planning familial qui nous stimulent et nous accompagnent. Merci également à Yves Charpenel, le président de la fondation Scelles, à Réjane Sénac, chercheuse au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), à Gérard Briard, Patrick Jean et Frédéric Robert, de l'association Zéromacho, qui me tient à cœur.

Je ne peux malheureusement pas citer tout le monde, et je le regrette. Mais je veux dire un grand merci à vous tous, et en particulier à tous les intervenants de cet après-midi.

Permettez-moi enfin d'avoir une pensée pour une grande dame, compagne fidèle de toutes les luttes féministes : Maya Surduts, la fondatrice de la coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception, qui nous a quittés l'année dernière. Son engagement continue à nous inspirer. (Applaudissements.)

Cette année, nous marquons une avancée concrète avec cette convention d'engagement pour la communication publique sans stéréotype de sexe, que je signerai dans quelques instants au nom de l'Assemblée nationale. Oui, le combat pour l'égalité des femmes et des hommes se mène à tous les étages, de nos attitudes personnelles à la communication publique de nos institutions.

La discrimination envers les femmes est une construction sociale et politique. C'est donc par la lutte sociale et politique qu'il faut, en retour, la combattre et la vaincre. Depuis 2012, grâce à de nombreux professeurs de talents qui m’ont convaincu, je m'y suis employé et j'ai tenu à placer l'Assemblée nationale sous le signe de la parité. J'ai ainsi appliqué le principe de stricte parité dans les nominations que j'avais à effectuer. Pour la première fois, l'Assemblée nationale a même nommé plus de femmes que d'hommes : j’avais soixante-cinq nominations à effectuer au cours de cette législature et j’ai nommé trente-trois femmes et trente-deux hommes. Il faut se fixer cet objectif d’emblée car, compte tenu de la pyramide des responsabilités, on vous fait remonter plus facilement des noms d’hommes. En décidant d’appliquer la parité, on crée un réflexe et on parvient au résultat.

Nous avons aussi mis en place la stricte parité au sein de l'institution, tant pour les vice-présidences que pour les présidences de commission. C'était inédit. Avec le soutien du Bureau et en lien avec la Délégation aux droits des femmes, j'ai renforcé la lutte contre le harcèlement moral et sexuel au sein de notre institution.

Enfin, parce que le combat pour l'égalité se déploie aussi au niveau symbolique, j'ai souhaité faire entrer à l'Assemblée nationale, pour la première fois, une représentation féminine qui ne soit pas une allégorie. C'est ainsi qu'en octobre dernier, avec le concours de Françoise Durand, la présidente de l'association Olympe de Gouges aujourd'hui, le buste d'Olympe de Gouges, figure révolutionnaire et pionnière du combat pour l'égalité des droits, a été installé en salle des Quatre-Colonnes, le saint des saints.

Pour ce bel événement et pour toutes les réformes engagées, je tiens à remercier tout particulièrement la Délégation aux droits des femmes et sa présidente, Catherine Coutelle, qui œuvrent chaque jour pour une Assemblée nationale plus paritaire et pour une société plus juste. Catherine et moi, nous abordons nos derniers jours dans cette maison puisque nous n’allons ni l’un ni l’autre solliciter le renouvellement de notre mandat. Je voulais donc la remercier plus particulièrement. (Applaudissements.) Je remercie également toutes celles et tous ceux qui agissent et ont agi depuis cinq ans pour plus d'égalité et de parité.

L'image de notre hémicycle est d'ailleurs comme un symbole de notre combat, des victoires déjà engrangées dans cette lutte au long cours mais aussi de celles qui restent encore à obtenir. L’Assemblée nationale est encore trop peu féminine, avec 155 femmes élues en 2012, soit un peu moins de 27 % de la représentation nationale, mais il faut pourtant se réjouir du fait qu’elle n'a jamais compté autant de femmes élues de la nation. En comparant ce chiffre aux trente-trois députées élues en 1945, on s'aperçoit des progrès accomplis. Pourtant, dans son décalage avec l'idéal qui nous anime, cette réalité ne cesse de résonner comme une exigence nouvelle qui nous fait mesurer le chemin qui reste à parcourir.

Tous les partis politiques doivent réagir : pour parvenir à la parité, il faut qu’il y ait des candidates dans des circonscriptions gagnables comme dans des circonscriptions non gagnables. Concernant la loi sur la parité pénalisant les partis politiques sur le plan financier, si elle avait pu susciter des réserves, je constate qu’elle pousse certains responsables de partis à réagir. La mise en œuvre des recommandations du HCEfh pour une communication sans stéréotype de sexe pourra, je l’espère, nous permettre de franchir un pas supplémentaire sur ce chemin.

Je veux d'abord me réjouir d'une chose : en examinant la manière dont l'Assemblée nationale pourrait appliquer les recommandations de votre guide pratique, nous avons pu constater que la représentation paritaire est déjà largement entrée dans les mœurs de notre institution. Les femmes sont de plus en plus nombreuses parmi les fonctionnaires de l'Assemblée nationale, en particulier dans les postes d’encadrement. On en revient à ma remarque concernant les nominations : il faut que les femmes soient présentes à tous les niveaux de responsabilité pour que l’on puisse leur proposer des postes d’encadrement, sinon on n’a le choix qu’entre des hommes.

La loi, qui a fixé l’objectif d'avoir un minimum de 40 % de personnes de chaque sexe pour les nominations au sein de l'encadrement dirigeant et supérieur de la fonction publique, est entrée en vigueur le 1er janvier 2017. Notre institution respecte déjà cette recommandation depuis 2014. Cela ne nous empêche évidemment pas d’aller plus loin, bien au contraire. Je sais pouvoir compter sur notre secrétaire général pour ce faire.

Notre communication institutionnelle propose une vision très largement paritaire de notre institution. Nous avons néanmoins identifié une marge d'amélioration en ce qui concerne le film projeté aux visiteurs. Une nouvelle version de ce film est en cours de préparation pour la prochaine législature, et nous veillerons à ce qu'il propose une représentation égale des femmes et des hommes.

De la même manière, les recommandations du HCEfh quant à l’adaptation de l'expression orale et écrite pourront être largement diffusées auprès des administrateurs des commissions et des services législatifs, afin qu'elles soient respectées dans les rapports parlementaires.

Enfin, d’autres mesures pourront être mises en œuvre. Par exemple, nous voulons aller vers plus de parité dans les expertises proposées à la représentation nationale au cours des auditions préalables aux travaux parlementaires. Pour ce faire, le vivier d'expertes recensées par le site expertes.eu sera largement diffusé auprès des services législatifs.

Grâce à l'acquisition récente de l'hôtel de Broglie, nous pourrons également équilibrer les noms de bâtiments, d'équipements et de salles, afin de donner une meilleure visibilité aux grandes femmes de la nation.

Certaines de ces mesures paraîtront peut-être anecdotiques, mais nous savons que les grandes victoires sont faites d'une multitude de petits succès. L'Assemblée nationale, qui avance avec la société, a à cœur de se montrer exemplaire sur ce sujet comme sur d'autres. Au moment de signer cette convention d'engagement pour une communication publique sans stéréotype de sexe, je veux vous dire que je suis fier de présider une institution vivante, qui ne craint pas de se réformer et qui demeure animée d'un seul espoir : faire progresser la liberté et l'égalité pour tous et pour toutes.

Mesdames et messieurs, comme vous le savez, en matière de droits des femmes, quand on arrête d'avancer, on ne fait pas du sur-place mais on recule. Ici comme ailleurs, tous les satisfecit – dont nous pouvons nous réjouir – pointent en même temps de nouvelles barrières, de nouveaux murs, de nouveaux plafonds.

Ici, en France, les femmes travaillent mais, à poste égal, elles gagnent en moyenne 19 % de moins que les hommes : dans le dernier rapport du Forum économique mondial, la France arrive ainsi au 134e rang parmi 144 pays classés en fonction de l’égalité salariale. Est-ce honorable ? De même, les femmes sont entrées dans les conseils d’administration, mais leur présence dans les instances exécutives de direction reste très faible, à seulement 14 %, et progresse trop lentement.

Au Parlement européen, il y a tout juste quelques jours, un député polonais s’est levé pour justifier les inégalités de salaires. Après une démonstration sur les joueurs d’échecs polonais, il a déclaré que les femmes étant « plus faibles, plus petites et moins intelligentes que les hommes », elles devaient être moins payées qu’eux. Même si députée espagnole l’a heureusement remis à sa place, il faut bien constater que de tels propos ont été tenus au sein de l’assemblée européenne.

En Turquie, le président Erdogan n’hésite pas à se prononcer contre l'avortement et la contraception, mais aussi contre la césarienne qui viendrait contrarier les desseins sacrés de la nature. En Russie, une loi dépénalisant les violences domestiques a été adoptée à une écrasante majorité de députés à la fin du mois de janvier. Le président Vladimir Poutine l'a promulguée le 7 février.

Je pourrais continuer très longtemps à énumérer les batailles qui nous restent à mener. Ici et ailleurs, l'égalité entre les femmes et les hommes aura toujours besoin de militantes et de militants.

À vous voir si nombreuses et si nombreux ce soir, rassemblés à l'issue de ce colloque, je sais que la relève est là. Je me réjouis de voir tant de jeunes associations parmi vous, tant de nouveaux et nouvelles féministes qui continuent à brandir le flambeau de l'égalité. Oui, j’en suis persuadé, la relève est assurée. Sur vos visages, je lis la détermination de ceux qui savent que leur combat est juste. Je lis aussi la confiance en votre pouvoir de faire changer l'avenir. Cette même confiance donnait leur force à Olympe de Gouges, à Simone de Beauvoir, à Simone Veil. Cette confiance nous inspire, aujourd'hui comme hier.

C'est ainsi que nous pourrons, je l'espère, continuer à avancer sur les chemins de la République, de cet idéal qui nous éclaire, qui nous inspire, et qui continuera, pour peu que nous lui demeurions fidèles, à nous entraîner sur les voies du progrès. En ce qui concerne cette réunion, ce sera mon dernier souhait. (Applaudissements.)

Mme Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). C'est un plaisir tout particulier de revenir à l'Assemblée nationale en cette veille de 8 mars, journée que nous célébrons avec beaucoup de solennité car elle est extrêmement importante au plan international.

Je vous remercie chaleureusement, monsieur le président de l'Assemblée nationale, de vous engager aujourd'hui en signant cette convention pour une communication publique sans stéréotype de sexe. Soit dit en passant, nous devons réfléchir collectivement à trouver un autre nom ou acronyme pour cette convention car l’appellation actuelle est un peu compliquée à utiliser.

Ce guide, que vous avez entre les mains, n'est pas un prêt-à-penser. Il n’est pas à prendre tel quel ou à laisser. Ce document est un élément dans une démarche qui tend à l’égalité entre les femmes et les hommes. La mise en œuvre des dix engagements qu’il comporte relève d'une appropriation et d'échanges au sein de chaque institution signataire. Pour ce faire, il faut avant tout une volonté et une impulsion politiques. Je vous remercie, monsieur le président, d’en avoir fait preuve.

Ce guide et le rapport que nous avons produit sur les stéréotypes de sexe plaident pour une démarche structurée et structurante, qui ait le souci de la cohérence entre le discours politique et les politiques publiques. La pratique d’une langue est tout sauf neutre. Elle est profondément politique. Elle est le reflet de notre société, de nos choix. Elle traduit nos valeurs, ce que nous sommes et ce que nous voulons être. Elle illustre notre vivre ensemble. Nommer les femmes, les rendre visibles dans la sphère publique comme dans la sphère privée ne relève pas de l'anecdote. C'est le cœur même de l'enjeu d'égalité de droits entre les femmes et les hommes. Nous nommer au féminin, nous faire exister aux yeux de tous et de toutes, c'est refuser une société où les femmes auraient un second rôle. Puisque nous ne sommes pas des secondes mais que nous nous revendiquons des égales, n’hésitons pas à user du féminin.

Pourquoi interroger le langage et les images qui sont des vecteurs de lourds stéréotypes sexistes ? Certains pensent, de manière tout à fait légitime, qu'il existe des questions plus importantes dans le combat féministe : le plafond de verre, l'égalité de salaire ou encore la lutte contre les violences. Pourtant, je pense que l'usage du féminin dans la langue est directement lié à ces sujets. Les mots ont un sens : ils sont le reflet de nos représentations ; ils véhiculent les stéréotypes qui entretiennent les inégalités. La question du langage, comme celle de la parité, renvoie à la manière dont s'est construite la République française, en excluant les femmes de la citoyenneté et de la vie de la cité.

Réjane Sénac, politiste et présidente de la commission parité du HCEfh, analyse brillamment comment la République s'est prétendue, s'affirme et se veut encore égalitaire, mais s'est construite en excluant les femmes et tous les autres « non-frères », c'est-à-dire les non-hommes blancs. Cela explique pourquoi l'expression « droits de l'homme » et l'usage du masculin, considéré comme neutre dans la langue française, se fondent sur un prétendu universalisme où « le masculin l'emporte » et représenterait les femmes et les hommes.

Plus personne ou presque ne conteste désormais qu'il demeure un problème de représentation dans les assemblées politiques qui sont encore composées en très grande majorité d'élus hommes. Pourtant, sur la question du langage, nous sommes encore très loin de l’adhésion. Un vrai travail pédagogique de conviction reste à faire. Ceux qui s'opposaient hier à la parité s'opposent aujourd'hui au remplacement de « droits de l’Homme » par « droits humains ». Ce sont les mêmes qui s’opposent au rétablissement de l'usage du féminin dans la langue française. C’est bien d’un rétablissement qu’il s’agit puisque, jusqu’au Moyen Âge, l’usage du féminin et du masculin pour les professions était la norme. Ce n'est qu'à partir du XVIIIsiècle et par la volonté de l'Académie française que « le masculin l'a emporté » sur le féminin dans la grammaire et dans les titres. C’est ainsi qu’on dit encore couramment madame le député ou madame le vice-président de l’Assemblée nationale, ce qui est totalement insupportable.

Cette convention que vous allez signer, monsieur le président, est inspirée de toute cette réflexion et est proposée à la signature de toutes les organisations qui le souhaitent : ministères, administrations centrales, établissements publics, collectivités territoriales, associations, etc. Nous proposons trois engagements aux signataires : reconnaître l'importance de prévenir et faire reculer les stéréotypes de sexe dans la communication publique, en interne comme en externe ; adopter le guide pratique et le diffuser à leur personnel ; transmettre le guide aux prestataires extérieurs qui communiqueront ou élaboreront des communications pour le compte de l'institution.

À ce jour, la liste des signataires compte des institutions prestigieuses : le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Conseil national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qui forme les fonctionnaires territoriaux ou encore l’École nationale d’administration (ENA). Plusieurs ministères ont également signé : le ministère de la Justice, le ministère des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, le ministère des Affaires sociales et de la Santé, le ministère de l’Agriculture. La convention a également été signée ce matin par Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l'Éducation nationale, et par tous les recteurs et rectrices d’académie. Le ministre de l’Intérieur a aussi demandé à la signer très rapidement.

Le HCEfh est fier de pouvoir dorénavant compter l'Assemblée nationale parmi les signataires. C'est une pierre supplémentaire à l'édifice construit année après année, grâce notamment à votre soutien, monsieur le président, et à l'impulsion de député.e.s féministes extrêmement déterminé.e.s que l’on a pu voir effectuer un travail remarquable pendant ces cinq années. Je souligne en particulier le travail remarquable effectué par la Délégation aux droits des femmes qui a redoublé d’efforts de conviction et de vigilance, et qui a apporté son expertise sur tous les sujets.

Il faut bien prendre en compte une chose : considérer les politiques publiques comme étant neutres du point de vue du genre est souvent synonyme de reculs. À l'inverse, prendre en compte l'impact différencié que peuvent avoir les lois sur les femmes et les hommes, c'est faire en sorte que celles-ci soient synonymes de progrès pour toutes et tous.

Ce travail, vous l'avez fait, Madame la présidente, en défendant des amendements aux projets et aux propositions de loi, et en réalisant un remarquable travail de conviction auprès de vos collègues. Je tiens bien évidemment à saluer l’impulsion que vous avez initiée par le biais de la Délégation. Vous en avez parlé dans votre discours introductif et votre très riche rapport de bilan en atteste. Pour avoir déjà utilisé ce rapport, j’encourage tout le monde à se le procurer. Il va aider à faire connaître et à rappeler ces avancées, ce qui est très important pour ne pas céder à la résignation et pour montrer que l’on peut continuer à avancer grâce aux lois, aux politiques publiques et à l’application des sanctions. Faire connaître ces avancées est aussi le meilleur moyen de les graver dans le marbre pour qu'elles ne puissent être remises en cause.

Vous avez adopté des textes remarquables : la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées et, tout récemment, la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, concernant les sites internet, définitivement adoptée en février 2017.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a fait son travail en nourrissant les travaux des parlementaires. Près de 40 % de nos recommandations ont été reprises dans des textes de loi ou des politiques publiques. Le HCEfh est d'ailleurs désormais pérennisé par la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, ce dont je remercie les parlementaires.

Monsieur le président, vous avez soutenu les députés qui ont porté cette question d’égalité. En octobre dernier, vous inauguriez le buste d'Olympe de Gouges, ardente défenseure des droits des femmes et des droits humains. Le buste d'Olympe de Gouges à l'Assemblée nationale, c'est un symbole de reconnaissance de la place des femmes dans l'histoire et en politique. Il a fallu enlever un autre buste pour installer le sien dans la salle des Quatre-Colonnes. Je comprends bien que cela ne s’est pas fait tout seul…

Le 2 février, nous avons rendu public notre rapport sur l'application des lois relatives à la parité depuis les dernières élections locales. Il y a une parité quantitative dans la quasi-totalité des assemblées, sauf à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais ce n’est pour le moment qu’un partage des places et non un partage du pouvoir. Les progrès réalisés montrent que c'est avant tout la voie législative qui permet d'avancer. Il ne faut donc pas hésiter à légiférer dans ce domaine.

Les freins à l'entrée des femmes en politique sont également liés aux préjugés sexistes dont elles sont l'objet. Vous avez pointé du doigt ce problème en faisant tout un travail à l’Assemblée nationale pour montrer que les femmes sont à leur place dans cette institution, alors que ces préjugés sont un moyen très efficace pour signifier qu’elles sont illégitimes en politique. Monsieur le président, vous avez pris à bras-le-corps cette problématique soulevée notamment par le collectif Chair collaboratrice.

Rendre vivante la convention du HCE est la première étape d'une démarche qui va prendre du temps, qui va exiger du travail de sensibilisation en interne et une volonté affichée au plus haut niveau. Le travail entrepris ici depuis plusieurs semaines est un gage de réussite à long terme. J’en profite pour remercier de leur présence le secrétaire général de l’Assemblée nationale ainsi que des responsables de la communication. C’est un travail à poursuivre au-delà de cette législature.

Pour conclure, je me réjouis de voir que cette signature va avoir lieu en présence de jeunes féministes dont nous avons apprécié le talent, l’engagement et les méthodes terriblement modernes comparées aux nôtres. Nous avons besoin de vous comme vous avez besoin de nous. Il ne faut pas croire que vous allez inventer le monde à vous seules. On est encore là et on vous aidera autant qu’il le faudra ! (Sourires.) Il faut que l’égalité et la parité, qui sont des principes inscrits dans notre Constitution, deviennent des droits effectifs pour chacune des femmes vivant en France. Nous allons y travailler ensemble. (Applaudissements.)

La séance est levée à 19 heures 45.

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Membres présents

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, Mme Véronique Massonneau, Mme Sandrine Mazetier.

Assistaient également à la réunion. – M. Claude Bartolone, M. David Comet, M. Jacques Dellerie, Mme Frédérique Massat, Mme Elizabeth Pochon.