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Délégation aux Outre-mer

Mardi 15 octobre 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 3

Présidence de Mme Chantal Berthelot, vice-présidente

– Table ronde avec les représentants de l’Agence de services et de paiement (ASP) : M. Edward Jossa, président directeur général, M. Bernard Bezeaud, directeur général délégué, M. Omer Roche, délégué régional de l’ASP Guyane et M. Thomas Rüger, chargé de mission, correspondant outre-mer.

La séance est ouverte à 17 heures 10.

Présidence de Mme Chantal Berthelot, vice-présidente.

- Table ronde avec les représentants de l’Agence de services et de paiement (ASP) : M. Edward Jossa, président directeur général, M. Bernard Bezeaud, directeur général délégué, M. Omer Roche, délégué régional de l’ASP Guyane et M. Thomas Rüger, chargé de mission, correspondant outre-mer

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente de la Délégation, corapporteure. Le président de la Délégation, M. Jean-Claude Fruteau, intervient actuellement en séance publique dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Il vous prie de l’excuser de ne pas être parmi vous et m’a demandé de le remplacer.

Je vous remercie, Messieurs, d’avoir accepté de participer à cette table ronde qui s’inscrit dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l’agriculture outre-mer, sujet sur lequel la Délégation a nommé deux rapporteurs, M. Hervé Gaymard et moi-même. 

Nos travaux se déroulent parallèlement à la préparation du projet de loi d’avenir pour l’agriculture que le Gouvernement nous présentera dans les prochaines semaines. Ce texte est actuellement examiné par le Conseil d’État. La commission des Affaires économiques de notre assemblée a d’ores et déjà désigné un rapporteur, M. Germinal Peiro, et m’a confié la responsabilité du groupe outre-mer.

Nous accueillons autour de cette table les représentants de l’Agence de services et de paiement (ASP), établissement public placé sous la double tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, et du ministère du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Il s’agit de M. Edward Jossa, président directeur général, de M. Bernard Bezeaud, directeur général délégué, de M. Omer Roche, délégué régional de l’ASP Guyane, et de M. Thomas Rüger, chargé de mission, correspondant outre-mer.

Les délégations outre-mer de l’ASP jouent un rôle différent dans chacun des cinq départements d’outre-mer. Pouvez-vous nous présenter ce rôle ?

M. Edward Jossa, président directeur général de l’ASP. Je commencerai par vous présenter le rôle des services de l’ASP dans les départements d’outre-mer, puis j’aborderai quelques sujets d’actualité directement liés à l’aménagement foncier et à l’installation des agriculteurs.

L’ASP est un établissement public administratif qui emploie 2 200 agents. Elle verse des crédits d’intervention, dont 50 % dans le domaine de l’agriculture et 50 % pour le compte d’autres ministères, pour un montant total de l’ordre de 18 milliards d’euros. Environ la moitié est donc destinée à payer aux agriculteurs les aides de la PAC.

L’Agence a trois missions outre-mer : elle effectue les paiements issus des fonds européens, elle joue un rôle d’opérateur dans le domaine de l’installation des jeunes agriculteurs et elle effectue des missions spécifiques dans le domaine foncier dans deux départements.

Notre premier métier, effectuer les paiements, mobilise le plus grand nombre de nos agents outre-mer. Il faut distinguer les aides du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), second pilier de la PAC, pour lesquelles l’outre-mer n’a pas de réelle spécificité par rapport au territoire national, les aides plus spécifiques que nous versons dans le cadre du POSEI (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) et les aides issues des autres fonds.

Avec le prochain transfert aux régions de l’autorité de gestion au titre du FEADER, nous jouerons un rôle plus direct auprès des conseils régionaux, sauf, sous réserve de confirmation de la décision, à La Réunion, où l’autorité de gestion sera le département, qui verse déjà l’essentiel des contreparties nationales, et à Mayotte où ce rôle est confié au préfet.

Autre particularité, l’ASP paie les contreparties nationales pour le compte de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole des DOM) non pas en crédits dissociés mais en paiements associés.

S’agissant de certaines aides du POSEI, l’Agence est à la fois organisme payeur et prestataire pour le compte de l’ODEADOM. En tant qu’organisme payeur, nous versons directement les aides animales, principalement l’ADMCA (aide au développement et au maintien du cheptel allaitant) qui remplace la PMTVA (prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes) en place sur le territoire métropolitain. En tant que prestataire, l’ASP assure les contrôles sur place dans les domaines de la canne et de la banane, l’ODEADOM n’ayant pas de délégation régionale.

Parmi les autres aides, qui représentent près de 50 millions d’euros, on trouve des aides spécifiques destinées à accompagner la filière canne-sucre à La Réunion.

À Mayotte, nous versons également des aides dans le cadre des OGAF (opérations groupées d’aménagement foncier), ainsi que les ICAM (indemnités compensatoires annuelles à Mayotte) en remplacement des ICHN (indemnités compensatoires aux handicaps naturels), et la DIA (dotation à l’installation des agriculteurs), qui est l’équivalent de la DJA (dotation Jeune agriculteur). Toutes ces aides nationales ont vocation, avec la départementalisation, à entrer dans le droit commun du FEADER.

Enfin, en Guyane, l’ASP est l’autorité de certification du programme opérationnel PO Amazonie qui est financé par le FEDER.

L’ASP est également, dans les DOM comme ailleurs, l’autorité de paiement et de certification du FEP (Fonds européen pour la pêche), destiné à devenir le FEAMP (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche), qui représente des enjeux importants outre-mer.

Le deuxième volet de notre mission est notre rôle dans les aides à l’installation qui nous a été confié à l’époque où le CNASEA (Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles), aujourd’hui intégré à l’ASP, jouait un rôle de tête de pont des ADASEA (associations départementales pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles). Il s’agit d’un rôle d’animation et d’information, individuelle ou collective, et de conseil pour la constitution des dossiers de demande d’aide. Dans certains départements, nous avons aussi la responsabilité du Point Info Installation (PII).

Mais il est prévu que cette mission relative à l’installation soit progressivement transférée aux chambres d’agriculture.

Enfin, l’ASP intervient de manière transversale sur le foncier agricole puisque nous sommes membres du conseil d’administration des SAFER de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion et opérateur foncier en Guyane et à Mayotte.

En Guyane, le programme de développement rural (PDR) 2007-2013 nous a confié deux missions principales : la gestion de l’observatoire du foncier agricole disponible et la mise en œuvre de la gestion des périmètres d’attribution simplifiée (PAS).

À Mayotte, le contexte juridique est différent puisque l’ordonnance du 31 mai 2012 a confié officiellement à l’ASP la mission de SAFER. Mais compte tenu des difficultés que nous rencontrons, liés à la disponibilité du foncier et à de nombreux cas d’occupation irrégulière, il a été convenu avec le ministère en charge de l’agriculture et les autorités concernées de ne jouer que deux rôles : gérer l’observatoire du foncier agricole et établir le diagnostic foncier sur les périmètres à forte potentialité agricole, avec pour objectif de préserver et de renforcer le rôle de l’agriculture dans la perspective du passage aux aides du premier et du second pilier de la PAC.

Nous exercions à Mayotte pour le conseil général deux missions très proches de celles des SAFER, dont la première était la gestion de la régularisation foncière, comme nous l’avons fait en Nouvelle-Calédonie. Nous avons ainsi géré la procédure relative à la délivrance des titres de propriété pour 18 000 parcelles, mais malheureusement, sans doute par manque de moyens, le conseil général n’a validé que 2 200 dossiers.

La seconde était d’acquérir à l’amiable ou par voie de préemption pour le compte et à la demande du conseil général un certain nombre de parcelles destinées à constituer des réserves foncières ou à installer des agriculteurs. Nous avons ainsi été à Mayotte délégataires du droit de préemption pour le compte du conseil général. Nous avons aujourd’hui rétrocédé la quasi-totalité des parcelles au conseil général..

Comme vous le voyez, les missions de l’ASP dans les outre-mer reflètent la diversité des problématiques de ces territoires.

J’en viens aux questions d’actualité. J’ai lu les comptes rendus des auditions précédentes. Notre diagnostic, s’agissant du foncier, rejoint en grande partie les conclusions des divers intervenants. Nous partageons l’analyse qui a été faite à propos de la faiblesse de la taille des exploitations dans les DOM, en particulier à Mayotte où la SAU (surface agricole utile) n’est que de 0,45 hectare. Nous notons la diminution globale de la SAU, sous la pression foncière et l’urbanisation, à l’exception de la Guyane où elle a augmenté au cours des dernières années de 8 %.

Nous constatons également un phénomène de concentration des exploitations. Celle-ci peut être souhaitable sauf lorsqu’elle conduit, cumulée à la réduction de la SAU, à une forte diminution du nombre d’exploitants. Le cas le plus frappant est celui de la Martinique où, en dix ans, 80 % des exploitations de moins d’un hectare et 60 % des exploitations de un à deux hectares ont disparu, ce qui n’est pas sans conséquence sur la sociologie agricole de ces départements.

J’en viens aux aides à l’installation, dossier sur lequel mon diagnostic rejoint celui établi par les intervenants des précédentes auditions.

Dans les DOM, 90 à 100 dossiers d’installation bénéficient de la dotation Jeune agriculteur, à rapporter aux 6 000 dossiers enregistrés sur l’ensemble du territoire, ce qui place les DOM largement en dessous de la moyenne nationale. Dans ces départements, 40 % des installations effectives d’agriculteurs de moins de 40 ans bénéficient de la Dotation jeune agriculteur, contre 56 % en métropole. Qui plus est, l’âge moyen d’accès à la DJA est de 34 ans dans les DOM contre 29 ans en métropole. Cette particularité s’explique, selon nous, plus par les difficultés d’accès au foncier que par les critères de formation exigés pour l’obtention de la DJA.

L’analyse des situations locales nous a appris qu’il existe en matière de DJA une dynamique plus forte à La Réunion que dans les autres DOM. En effet, 41 % des dossiers DJA proviennent de La Réunion, mais les agriculteurs y bénéficient plus qu’ailleurs de prêts bonifiés.

Le dispositif OGAF avait par le passé permis d’inciter à la mobilité du foncier, notamment en direction des jeunes agriculteurs.

J’en viens aux perspectives offertes à l’ASP.

Comme vous le savez, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) dispose que nos missions dans le domaine des installations dans les DOM soient transférées aux chambres d’agriculture avant janvier 2016.

Les discussions n’ont pas beaucoup progressé, essentiellement parce que la situation financière d’un certain nombre de chambres d’agriculture ne leur permettrait pas d’assumer cette mission. Face à ce constat, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture reporte à 2020 la date limite de transfert. J’espère que la situation sera clarifiée dans les prochaines années. Je crois savoir que la situation est très différente d’un département à l’autre.

Nous intervenons de plus en plus dans un cadre conventionnel auprès du ministère, et demain nous effectuerons des missions ponctuelles en liaison avec les autorités de gestion. L’ASP a de nombreux atouts : notre expérience en matière de foncier, notre maîtrise à la fois de sujets très techniques et des règles qui encadrent les fonds européens, notre position d’opérateur et enfin notre neutralité vis-à-vis des politiques engagées en amont.

En revanche, comme tous les opérateurs publics, nous sommes soumis à un plafond d’emplois, ce qui limite notre capacité à engager de nouvelles missions.

Nous réalisons un certain nombre d’actions dans le cadre des conventions, mais nous nous heurtons quelquefois aux difficultés pour les collectivités territoriales de nous payer ce qu’elles nous doivent, ce qui illustre la situation financière très tendue d’un certain nombre de collectivités d’outre-mer. Nous rencontrons plus souvent cette difficulté à Mayotte.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Vous dites avoir régularisé à Mayotte 18 000 dossiers fonciers, dont seulement 2200ont abouti. L’Agence n’a-t-elle pas toute latitude pour aller jusqu’au bout de la régularisation ?

M. Thomas Rüger, chargé de mission, correspondant outre-mer de l’ASP. Notre charge consistait à identifier les ayants-droit sur un parcellaire cadastré. Ces terres étant réputées appartenir au conseil général, il nous revenait alors uniquement de constituer les dossiers pour la commission du patrimoine foncier du conseil général, à qui il appartenait in fine d’attribuer les terres. C’est là que le système s’est engorgé.

M. Edward Jossa. Notre mission nous a été confiée par le conseil général dans un cadre conventionnel.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Les représentants des chambres d’agriculture de l’hexagone que nous avons auditionnés nous ont indiqué que ce transfert représentait une charge non négligeable, de l’ordre de 250 000 euros par an. Pouvez-vous en estimer le montant dans les départements d’outre-mer ?

Ce transfert a-t-il été enclenché dans la perspective de 2016 ? Est-ce l’aspect financier ou tout autre aspect du dossier qui pourrait entraîner l’incapacité des chambres d’agriculture ?

M. Bernard Bezeaud, directeur général délégué de l’ASP. La mise en œuvre de la politique d’installation des agriculteurs dans les DOM mobilise entre 10 et 12 agents de l’Agence, à raison d’un ou de deux ETP par département – un peu plus à La Réunion où notre activité est légèrement supérieure.

Bien que cela ne représente pas une lourde charge, les chambres d’agriculture, en dépit de leur volonté de s’impliquer dans la politique d’installation, semblent avoir du mal à pouvoir mener à bien cette mission.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je me permets d’insister. Dans la mesure où les quatre chambres d’agriculture des DOM souhaitent le transfert, pourquoi ne signent-elles pas une convention globale avec l’ASP pour que celle-ci les accompagne ?

M. Edward Jossa. Je serais plutôt favorable à ce que chaque chambre signe une convention individuelle parce que leurs possibilités et les problématiques liées à l’installation sont différentes dans chaque département.

Je suis tout à fait ouvert à toute convention, sous réserve que le financement soit assuré, d’autant qu’il ne représente pas des montants considérables. La question doit être évoquée avec les différentes collectivités territoriales. Nous pourrions également envisager l’intervention du FEADER au titre de l’assistance technique.

M. Thomas Rüger. Lorsque la réforme foncière a été mise en œuvre en Guadeloupe, la mise en place des groupements fonciers agricoles (GFA) prévoyait la signature d’une convention d’assistance technique entre le CNASEA et la chambre d’agriculture, financée par des crédits provenant de l’État et des collectivités.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. En Guyane et à Mayotte, où la gestion du foncier ne relève pas de la SAFER, comment aider les jeunes agriculteurs à accéder au foncier ?

M. Edward Jossa. N’étant que des opérateurs, nous serons très prudents sur cette question…

M. Omer Roche, délégué régional de l’ASP Guyane. Nous intervenons sur le foncier en Guyane dans le cadre du PDR (programme de développement rural). Nous avons présenté un dossier, qui a été validé en comité de programmation, pour mettre en œuvre deux actions distinctes : l’observatoire du foncier agricole disponible et les périmètres d’attribution simplifiée.

En ce qui concerne l’observatoire du foncier agricole disponible, nous avons identifié, dans les dix communes dont le PLU a été validé, 68 000 hectares de foncier agricole disponible, mais celui-ci présente certaines caractéristiques, en particulier une grande difficulté d’accès.

En Guyane, l’observatoire du foncier agricole (OFAG) est ouvert à l’ensemble du monde agricole et chacun peut le consulter. Nous consulterons prochainement le conseil régional et la direction de l’agriculture pour déterminer qui prendra le relais de l’ASP et poursuivra la mise à jour de l’observatoire.

En ce qui concerne les périmètres d’attribution simplifiée, la mission de l’ASP succède à l’ordonnance de 1998 en matière de régularisation foncière.

Le PAS est un mode opératoire selon lequel une commune sollicite la direction de l’agriculture. Celle-ci nous demande, dans un périmètre déterminé, de proposer aux agriculteurs des lots qui correspondent au mieux à leur projet économique. Nous avons ainsi traité avec cinq ou six communes, sur 8 400 hectares de foncier, et avons attribué 2 050 hectares à près de 150 agriculteurs.

Notre rôle prend fin dès lors que nous avons établi le parcellaire et identifié les candidats. En Guyane, le foncier que nous attribuons aux agriculteurs est constitué de forêt primaire. En termes de résultats, notre mission n’est pas satisfaisante, d’autant que les jeunes Guyanais ont peu accès aux prêts bonifiés qui leur permettraient de mettre en valeur leur exploitation.

Que faire devant un tel constat, sachant que notre mission s’achève le 31 décembre 2013 ? Devant le grand nombre de demandes – le Point info installation a recensé près de 500 projets agricoles, que nous pourrions satisfaire en dégageant du foncier – ne pourrait-on mettre en place en aval une structure chargée d’aménager le foncier ?

M. Thomas Rüger. Nous sommes confrontés à Mayotte à un certain nombre de difficultés. En premier lieu, il existe du foncier disponible mais il est difficilement accessible, ce qui renchérit le coût de l’installation ; ensuite, de grandes incertitudes pèsent sur les droits d’usage puisque le processus de régularisation n’a pas été finalisé ; enfin, nous enregistrons beaucoup de créations d’exploitation mais peu de transmissions. Il nous apparait urgent de faire aboutir le processus de régularisation pour permettre aux porteurs de projet ou bien de mettre en route leur exploitation, ou bien de vendre ou de louer les parcelles titrées.

M. Edward Jossa. Je suis moins expert que mes collègues sur ces questions mais il me semble qu’en Guyane, comme à Mayotte, nous ne pouvons jouer notre rôle qu’appuyés par un acteur fort et disposant de certains leviers d’action.

À Mayotte, cet acteur ne peut être que le conseil général puisque c’est lui qui dispose du foncier. La première étape consiste donc à faire aboutir le processus de régularisation. Cette perspective me convient. À court terme, nous avons signé une convention tripartite avec l’État et le conseil général, l’État prenant en charge le financement. Mais il faudrait peut-être envisager une action « coup de poing » pour accélérer les dossiers en instance, faute de quoi le travail qui a déjà été accompli sera perdu car la situation est mouvante et Mayotte est confrontée à de nombreux cas d’occupation illégale du foncier agricole. La délivrance de titres de propriété doit être réalisée, à marche forcée s’il le faut, car il y a urgence.

En Guyane, ce partenaire pourrait être le conseil régional ou l’EPAG (Établissement public d’aménagement en Guyane), mais je connais mal la situation institutionnelle de ce territoire. Quoi qu’il en soit, la gestion du foncier agricole exige un pilote, un acteur opérationnel capable de déterminer le rythme de mise en œuvre des opérations et suffisamment bien positionné pour coordonner les actions de l’ONF, de l’EPAG, de l’ASP et d’autres – je pense à la récupération du bois pour les besoins énergétiques… Il convient de rationaliser les processus et de les accélérer car les délais sont encore longs, notamment pour la mise en œuvre du système d’attribution des PAS.

M. Serge Letchimy. S’agissant du transfert des fonds européens aux départements, je vous rappelle que d’ici deux ans la Martinique et la Guyane seront des collectivités uniques. Personnellement, je considère qu’il n’est pas idéal, en matière de gestion du foncier, de prévoir deux entités sur un même espace. Le développement économique nécessite une vision globale, c’est pourquoi le transfert des fonds européens doit être effectué au sein d’une structure unique.

Je suis surpris du peu de résultats que vous avez obtenus en matière d’installations, mais je suis satisfait du rôle que joue l’ASP en Martinique, où elle constitue une structure souple et bien adaptée pour la gestion des paiements.

En matière d’installation et d’accès aux terres agricoles, nous assistons à une vraie cacophonie : votre agence est membre du conseil d’administration de la SAFER dans certains départements, tandis que dans d’autres elle est un acteur opérationnel. Vous avez évoqué les problèmes de viabilisation et les difficultés d’accès au foncier. Le drame n’est pas le manque de terres, surtout en Guyane, mais leur accessibilité, or, sur ce plan là, vous n’intervenez pas. Pourquoi ne pas renforcer votre compétence en la matière, ou définir clairement à qui il appartient de financer l’accessibilité et de réaliser les travaux ?

Nous avons mis en place en Martinique un plan de désenclavement. C’est un projet complexe et très coûteux, or, ni les financements, ni l’opérateur ne sont clairement identifiés. Cette limite constitue un frein aux projets d’aménagement.

Par ailleurs, vous indiquez que la gestion du foncier exige un chef de file opérationnel. Mais où est la cohérence si ce chef de file distribue des terrains sur lesquels on plantera de la banane ou de la canne, alors que nous avons besoin de promouvoir des filières de diversification ?

J’en profite pour dire que je regrette profondément que l’engagement du Président de la République, M. François Hollande, portant sur l’adoption d’une loi spécifique à l’agriculture ultramarine, n’ait pas été respecté : c’est une erreur économique grave et une erreur politique majeure, comme je ne manquerai pas de le faire remarquer en séance. De fait, l’agriculture, le tourisme et la biodiversité – en lien avec la mutation énergétique et écologique – sont les trois grands vecteurs qui, dans nos pays, pourraient nous porter et nous réconcilier avec nous-mêmes. Au lieu d’un texte spécifique, nous devrons nous contenter d’une sorte d’annexe et de deux articles et, qui plus est, d’un renvoi à des ordonnances. Et je sais, Madame la présidente, que vous partagez mon point de vue – même si votre fonction ne vous permet pas de vous exprimer aussi librement que moi.

Quoi qu’il en soit, la stratégie foncière est un véritable problème dans nos pays. En effet, sans accès au foncier, on ne peut pas produire. En Martinique, la monoculture est liée à une structuration agraire qui ne bouge pas facilement. Dans ces conditions, il est difficile d’accompagner la mutation économique en valorisant certains produits locaux, puisque cela suppose de développer certaines filières et d’installer ceux qui souhaitent se lancer dans telle ou telle production. Nous avons parfaitement réussi à produire de la pulpe de Goyave, au point que nous sommes maintenant complètement autonomes et que nous assurons 100 % des besoins des agro-transformateurs. Mais aujourd’hui, nous souhaitons relancer le café de Martinique. Or, ce café d’excellence ne pousse que dans deux ou trois communes de Martinique, et nous devons disposer de 150 hectares. Il en est de même de la production de cacao, qui ne pousse que dans cinq communes.

Il y a donc un lien entre la politique économique agricole, la politique foncière à mettre en œuvre et les produits à valoriser – destinés aux agro-transformateurs et aux marchés locaux. Mais dans une telle chaîne, les intervenants sont nombreux – ASP ; SAFER ; chambre d’agriculture – et le financement éclaté – région, FEADER (premier et deuxième pilier), département. En Guadeloupe, par exemple, la situation est très alambiquée : d’un côté la région définira la stratégie, et de l’autre le FEADER restera aux mains du département. C’est complètement incohérent ! Il en va de même de la formation professionnelle, dont une partie est transférée au département, une autre à la région et une autre à l’État. Pourquoi diviser la société en trois ? Mieux vaudrait prendre en charge globalement l’individu qui entre dans un cycle de formation.

Je n’ai pas d’observation négative à faire, Madame la présidente, mais cela me préoccupe beaucoup. La loi pourrait être l’occasion de poser le problème et de proposer des amendements. Nous avons besoin tout à la fois : d’un pilote dans l’avion, d’une organisation structurée, d’une politique déclinable en grandes actions par filières, d’une personne parfaitement identifiée qui maîtrise des fonds financiers pour pouvoir faire de la viabilisation, d’opérateurs, d’une relance des structures coopératives, et donc de la petite agriculture – mais c’est un vœu pieux de parler d’une petite agriculture, endogène, capable de satisfaire le marché local, en ne comptant que sur la bande de terre régionale. En résumé, il y a une véritable stratégie à mettre sur pied. Sans oublier une fiscalité propre.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Globalement, c’est ce qui ressort de toutes les interventions et de toutes les auditions.

Mon cher collègue, je partage votre regret. Nous avions demandé une loi agricole spécifique aux outre-mer, parce l’agriculture ultramarine demande une approche différente, parce que le poids de l’agriculture dans nos territoires est très différent de celui qui subsiste dans l’hexagone et parce que nous souhaitons avoir une vision globale de la question. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire au ministre de l’Agriculture.

Lorsque la procédure législative a été enclenchée, des missions ont été mises en place – par exemple, il y en a une sur la forêt, une sur l’enseignement agricole, une sur l’installation des jeunes agriculteurs – mais elles ne portent pas spécifiquement sur les outre-mer.

Qu’est-ce qui pourrait, sur nos territoires, booster l’installation de nos jeunes ? Car la demande est là – en Guyane, il y a 500 demandes en attente. Toutes les SAFER nous l’ont dit : des jeunes souhaitent travailler dans le secteur agricole. Malheureusement, on ne peut pas répondre à cette demande : pas de foncier, pas de financements bancaires. Ne pourrait-on pas accompagner plus fortement nos chambres d’agriculture, au-delà des contrats d’objectifs et de moyens que peuvent conclure les collectivités territoriales ?

Nous disposons des outils indispensables pour accompagner l’ambition que nous nourrissons pour nos agricultures. Malheureusement, on ne les a pas suffisamment prises en compte et, dans tous les cas, on ne nous a pas répondu de manière très claire et affirmée.

M. Edward Jossa. Il me semble que, dans chaque DOM, compte tenu de la spécificité de chacun d’entre eux, il faudrait peut-être, plus clairement que par le passé, distinguer pilotage et mise en œuvre opérationnelle. Ceux qui font la mise en œuvre opérationnelle ne doivent pas s’occuper de pilotage – et inversement.

La solution au problème foncier nécessite de nombreux leviers différents : fiscaux peut-être, comme je l’ai vu dans un certain nombre de propositions ; subventions ; montages financiers ; mobilisation des fonds européens ; et dans certains cas, outils peut-être plus spécifiques.

La détermination et la combinaison de ces différents leviers, dans un sens unique et cohérent, au service des politiques, nécessitent des arbitrages entre ce que l’on veut faire, les règlements et les financements. À mon avis, c’est le rôle du pilotage. Quant au rôle du pilote, il est de s’assurer que les opérateurs atteignent leurs objectifs dans le cadre des missions qui leur sont données. Cette claire distinction entre la mise en œuvre et le pilotage me semble être la première exigence.

Mais faut-il raisonner en isolant le foncier agricole de l’ensemble de la problématique foncière ou pas ? La question a été posée ici et là. Certains pensent qu’il faut séparer l’opérateur agricole de l’opérateur foncier. D’autres pensent qu’il faut tout regrouper pour avoir une vision globale. C’est un sujet qui est compliqué, qui nécessite un arbitrage peut-être différent dans chaque DOM. Mais une fois que l’arbitrage est pris, il faut qu’il soit maintenu et stabilisé dans la durée. Une collectivité, avec l’ensemble des opérateurs, peut choisir de distinguer la gestion de l’urbanisme et la gestion du foncier agricole. Mais il faut s’y tenir pendant un certain temps. L’inverse est vrai aussi. Chacune de deux voies a des avantages et des inconvénients. Je ne crois pas que l’on puisse apporter une réponse unique sur l’ensemble des territoires.

Passons aux opérateurs : nous-mêmes, les SAFER, les chambres d’agriculture, l’EPAG et peut-être d’autres structures. Là encore, il faut que les arbitrages soient clairs, que l’on fixe le rôle des uns et des autres, que l’on stabilise leurs perspectives dans la durée, notamment leurs perspectives financières. Bien sûr, ce n’est qu’un vœu d’opérateur. Plus généralement, nous plaiderions pour une clarification. Par ailleurs, une stabilisation des règles dans la durée serait de nature à éviter que l’on mélange débat institutionnel et débat opérationnel.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Aujourd’hui, ce sont bien les services de l’ASP qui, dans les DOM, interviennent sur les installations – ce que faisaient les ADASEA (associations départementales pour l’aménagement des structures et des exploitations agricoles) dans l’hexagone.

On a constaté qu’en ce domaine, la situation différait de celle de la métropole : les jeunes agriculteurs sont plus âgés et doivent s’attendre à un véritable parcours du combattant. Concrètement, en tant qu’opérateur, quel serait l’idéal à atteindre et quels seraient les principaux problèmes à résoudre ? Comment pourrait-on faciliter l’installation de nos jeunes ? On a déjà parlé du foncier. Pouvez-vous nous parler plus particulièrement des questions liées au financement de l’installation et au rôle des filières ?

M. Bernard Bezeaud. Je ne prétends pas avoir réponse à toutes ces questions, qui sont à la fois multiples et très complexes. Nous allons supposer que l’accès au foncier est un sujet réglé, ce qui est un préalable à beaucoup de choses. On l’a vu, l’installation bute souvent sur l’incapacité à trouver et à libérer du foncier.

Le rapide examen des chiffres cités tout à l’heure montre que le problème n’est pas lié à la formation, qui serait plus faible dans les DOM. Nous sommes face à des jeunes qui sont formés, qui en veulent et qui ont des idées. C’est tout à fait comparable à ce qui se passe sur l’ensemble du territoire national.

En revanche, l’environnement général de l’économie agricole n’est pas le même, et le besoin de structuration de filières y est beaucoup plus criant. Savoir quels marchés porteurs développer pour sortir des canaux classiques de certaines cultures dominantes, c’est déjà avoir un projet agricole, et c’est l’idée du plan régional d’agriculture durable. Il me semble extrêmement important de connaître la politique que l’on veut mettre en œuvre, sur quel territoire, comment on veut la mettre en œuvre et avec quels acteurs. On ne peut pas lancer des jeunes dans une production nouvelle si on n’a pas structuré l’aval et si on n’a pas une idée précise de l’écoulement des produits. Ce travail des acteurs en amont – et mon propos sort largement des compétences de l’ASP – est déterminant pour connaître les champs de développement possibles.

Je pense ensuite qu’on a un besoin d’accompagnement fort des projets, surtout en cas d’installation progressive. Cela suppose qu’un conseiller passe du temps auprès du jeune, pour l’aider à monter et à mettre en place son projet, y compris financièrement, puis pour le suivre pendant les premières années. On passe forcément, à un moment donné, par des investissements. Ceux-ci ne sont pas toujours très lourds. Reste qu’on a besoin de partenaires financiers. Or, comme on le disait tout à l’heure, ceux-ci sont tout de même un peu réticents et en retrait.

M. Edward Jossa. Je souhaiterai apporter quelques compléments.

Premièrement, je ne l’ai pas évoqué dans le diagnostic, mais nous avons noté que, outre-mer, il y avait moins d’installations bénéficiant de la DJA sous forme de société qu’en métropole. Je ne vois pas pourquoi l’individualisme y serait plus fort qu’ailleurs. Mais c’est peut-être culturel. On pourrait néanmoins se demander si, dans un univers où le parcellaire est plus restreint, il n’y aurait pas lieu d’encourager cette forme d’installation.

Deuxièmement, pourquoi l’accès au crédit est-il plus facile dans certains départements et régions d’outre-mer et plus difficile dans d’autres ? Peut-être ce point pourrait-il faire l’objet d’analyses complémentaires. Je ne vois pas pourquoi ce qui a été réglé dans un territoire ne pourrait au moins être amélioré dans les autres.

Troisièmement, dans les DOM, près de la moitié des installations se font hors DJA. Peut-être faudrait-il inventer des outils moins contraignants ? La DJA est une aide massive mais qui suppose des engagements très forts : notamment, le fait de se consacrer à titre principal à l’agriculture pendant une longue durée. Cela peut être considéré comme difficile à assumer dans un certain nombre de cas, par exemple si l’exploitation s’avère non rentable ou si l’exploitant souhaite avoir une double activité – ne serait-ce que parce que son parcellaire est trop petit. Et lorsque l’on sort de l’éligibilité, on peut perdre la DJA et devoir rembourser des montants non négligeables à l’État. Voilà pourquoi d’autres instruments, d’un moindre montant peut-être, mais plus souples d’utilisation, seraient peut-être mieux adaptés à la situation de certains candidats exploitants.

M. Thomas Rüger. On gagnerait à avoir une vision plus globale – ou transversale – des dispositifs qui permettent, à travers l’accompagnement de l’insertion, d’intégrer un processus de professionnalisation. Souvent, l’accès aux aides ne se fait pas, alors qu’on a une opportunité foncière, parce que celle-ci n’est pas suffisante pour monter un projet de développement économique avec des perspectives compatibles avec la Dotation jeune agriculteur. Pour autant, si l’installation se faisait malgré tout et si on pouvait accompagner l’intéressé vers une professionnalisation plus progressive, peut-être accroîtrait-on globalement le nombre des installés. Cela suppose, sans doute, que ceux qui sont en charge de conseiller et d’accueillir puissent avoir une certaine visibilité, et donc qu’ils puissent plus facilement orienter et, ensuite, accompagner.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. À La Réunion, les filières sont globalement structurées. On donne même ce département en exemple. Pourtant, les chiffres de l’installation sont à peine plus élevés que dans les autres DOM : 41 % pour les installations aidées. Et encore, comme vous l’avez dit, le phénomène s’explique en partie par une meilleure structuration des financements bancaires. Dans ces conditions, faut-il se focaliser sur les filières ? Je me demande, pour ma part, si l’on est suffisamment clair avec le jeune, au moment où il met au point son projet d’installation sous la forme du PDE (plan de développement de l’exploitation).

Ensuite, je pense que l’on viendra, au fil du temps, à la forme sociétaire. Mais vous aviez raison de le dire : c’est sociologique. Les formes sociétaires ne sont pas innées. Ce n’est pas le choix que fera spontanément celui qui s’installe. Le monde paysan est un monde à part. Il est marqué d’individualisme, même si l’on ne peut pas parler d’individualisme forcené.

Enfin, j’aimerais revenir sur les conseillers d’accompagnement. Avez-vous quelque chose de précis à proposer ? Quel serait, selon vous, l’opérateur le mieux à même d’offrir ce temps de conseil et d’accompagnement ? Vous-mêmes, ou un autre opérateur ?

M. Omer Roche. En amont de l’installation, un stage de 21 heures a été intégré dans le parcours de professionnalisation personnalisé (PPP). Généralement, à l’issue de ce stage, le jeune peut présenter son projet, dans le cadre du PDE, et obtenir – ou non – une validation. Pour avoir participé à certains de ces stages, je reconnais que les jeunes présentent souvent des faiblesses. Faut-il les pénaliser malgré tout ? Pour eux, le PDE est une pièce dans leur dossier, qui leur permet de bénéficier de l’aide.

Mais allons au fond des choses. Les difficultés surviennent dans les premières années d’installation En effet, la totalité de la DJA, soit 30 000 euros, constitue pour le jeune un apport personnel, puisqu’il n’a pas d’autres sources de financement, hormis ses premières rentrées de trésorerie. En Guyane, nous avons cherché à combiner l’installation avec la modernisation. Cela permet au jeune de bénéficier d’un financement plus important dans le cadre de la mesure « modernisation » – qu’il faudra préfinancer pour en obtenir le remboursement au titre du FEADER.

Comment favoriser l’installation ? En Guyane, nous sommes passés de deux installations, en 2008, à une quinzaine d’installations. Mais pour avoir assuré un suivi administratif de ces installations, nous avons relevé un certain nombre de faiblesses qui sortent du champ d’intervention de l’ASP. Qui devrait pouvoir assurer ce suivi technique pour permettre au jeune d’avancer dans son projet ? Pour l’instant, il y a carence sur le terrain. Pour autant, nous devons continuer à installer.

Les choses semblent désormais évoluer en Guyane et nous pensons que la chambre d’agriculture, notamment, va pouvoir mettre en place les moyens nécessaires pour assurer ce suivi.

Enfin, vous avez parlé de la structuration des filières, concernant le choix des productions dans le cadre des PDE. Mais faut-il obliger le jeune à rentrer dans le cadre d’un plan ? La liberté de production existe. Y a-t-il un plan général des filières ? Non.

M. Edward Jossa. Si j’ai bien compris ce que vous dites, les chambres d’agriculture sont difficilement contournables. Elles ont la capacité d’assurer un suivi technique, et le programme de transfert progressif fait que nos responsabilités administratives, dans le domaine de l’installation, devraient également aller aux chambres d’agricultures. Donc, c’est bien là que, institutionnellement, se trouve ou doit être recherchée la solution.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. La réalité de l’agriculture des outre-mer est très mal perçue et très peu connue, y compris dans l’ensemble des territoires, en dehors des filières « canne » et « banane ». Dans toutes les autres filières, nous rencontrons des difficultés pour pérenniser les outils mis à notre disposition dans une vraie vision de développement. Par exemple, l’ODEADOM peut se contenter d’assurer trois ans d’accompagnement technique, sans se préoccuper de l’état du marché ni d’un éventuel manque de coordination ou de pilotage. Dans ces conditions, les structures économiques n’arrivent pas à jouer leur rôle d’organisation des filières. Sur les quatre départements d’outre-mer, le constat est amer. Sauf à La Réunion, nous ne pouvons pas être assurés que nos agricultures bénéficieront d’un accompagnement durable.

J’ai deux questions :

Premièrement, que pourriez-vous nous dire des installations hors DJA ? Quelles sont les raisons qui font qu’elles sont de plus en plus nombreuses ?

Deuxièmement, que penseriez-vous de la BPI, en tant que partenaire financier ? Il n’est pas prévu qu’elle intervienne dans le secteur agricole. Cela dit, il y a, à la BPI, une structure particulière pour les DOM. Ne pourrait-elle pas assurer un accompagnement, notamment auprès des jeunes agriculteurs ? Ceux-ci manquent en effet de partenaires financiers, dans la mesure où leurs structures financières ne répondent pas aux critères des banques traditionnelles. Un établissement comme la BPI ne pourrait-il pas remplir ce rôle ? Je sais que vous n’avez qu’un avis d’opérateur, et que vous n’êtes pas spécialistes, mais j’aimerais avoir votre avis.

M. Edward Jossa. Franchement, sur la question de la BPI, je suis en difficulté. J’avoue ne pas connaître suffisamment l’organisation ni les missions de la BPI pour donner un avis qualifié. Mais j’aurais tendance à vous mettre en garde contre les risques de dilution de l’activité de la BPI, qui intervient sur un certain nombre de projets lourds.

Je pense qu’il faut plutôt travailler sur la viabilité des projets qui conduisent les banques à accorder des prêts bonifiés. Ce n’est pas en mettant de l’argent supplémentaire qu’il convient d’agir, c’est en viabilisant les projets – ce qui n’est pas le plus facile, je le reconnais. Si les projets sont viables, il n’y a pas de raison que les banques n’y aillent pas.

On peut également s’interroger sur l’intérêt d’avoir des exploitations un peu plus importantes et de mettre quelques forces en commun pour augmenter les superficies, ce qui permettrait d’accroître la mécanisation sur les exploitations. En effet, la principale cause de non viabilité des exploitations est leur petite taille.

Si l’on veut régler le problème, la subvention à fonds perdus me paraîtrait plus logique qu’un système de financement : que ce soit la BPI ou d’autres, il faut rembourser ; pour rembourser, il faut que le projet soit viable. Le sujet, ce n’est pas le vecteur, c’est bien le projet.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Selon vous, les surfaces sont trop petites pour que les exploitations soient viables. Cela dit, vous ne pouvez pas obliger les personnes à se mettre en société. Mais quel est le seuil de rentabilité ? Si je prends l’exemple de la Guyane, que je connais bien, il faut 80 hectares au moins pour pouvoir faire des vaches allaitantes.

Ensuite, vous avez dit qu’il n’y avait pas de transmissions, mais beaucoup d’installations. J’observe que, pour pouvoir installer un jeune sur 80 hectares, il faut déforester, ce qui mettra cinq ou six ans. Où trouver l’investissement ? Une mise en valeur complète revient à 8 000 ou à 9 000 euros l’hectare.

Concrètement, que pouvez-vous nous en dire ?

M. Edward Jossa. S’agissant du seuil de viabilité, on ne peut répondre que secteur par secteur et collectivité par collectivité. Je ne vois pas tellement d’autre solution que de réunir les professionnels et les pilotes qu’on évoquait tout à l’heure autour de la table afin qu’ils indiquent, globalement, pour telle activité, dans tel secteur, et en fonction de telle terre, à quelles conditions une exploitation peut être viable. Vous le savez mieux que moi, il suffit d’un détail pour qu’un projet n’aboutisse pas – des terres moins bonnes, plus sablonneuses… À mon avis, on peut faire ce travail de typologie et mettre au point des grilles sur la base des expériences qui ont réussi et qui n’ont pas réussi.

M. Omer Roche. En Guyane, comme dans tous les départements, il existe la SMI, ou surface minimale d’exploitation, définie par arrêté préfectoral. . Mais on l’ utilise aujourd’hui davantage dans le cadre des schémas de structures que dans le cadre des PDE, où l’on travaille surtout sur la rentabilité du projet. Reste que l’on ne peut produire des bovins que sur un certain nombre d’hectares. Nous avons donc la liste de toutes les productions en Guyane, qui est d’ailleurs distincte de ce que la sécurité sociale demande pour l’affiliation.

Pourquoi certains exploitants s’installent-ils hors DJA ? Parce qu’ils ne souhaitent pas s’engager dans des processus de contrôle. Ils tiennent à conserver leur liberté ancestrale et s’installent hors de tout schéma de production, de formation, d’âge, etc. Dans le département de la Guyane, nous savons comment cela se passe, par exemple dans les abattis. Mais nous n’avons pas identifié très clairement l’importance de ces installations non aidées. La région a voulu le faire à une certaine époque, mais l’exercice est compliqué.

M. Thomas Rüger. Par définition, nous gérons les dispositifs aidés. Il est donc logique que nous connaissions mal les personnes qui n’en bénéficient pas. Il y a bien sûr quelques transferts entre conjoints ; le cas de personnes affiliées à l’AMEXA, mais n’ayant pas de projet professionnel susceptible de les amener dans un processus d’inclusion économique et de professionnalisation ; enfin, comme le disait M. Roche, celui des producteurs ou des personnes qui ont une opportunité foncière et qui vont s’installer en restant dans l’informel, des exploitants pour lesquels le fait de rentrer dans un dispositif administré et encadré poserait des difficultés.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Vous n’intervenez pas du tout dans les autres collectivités d’outre-mer ?

M. Edward Jossa. Non. Nous intervenions beaucoup en Nouvelle-Calédonie, mais aujourd’hui, c’est l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (ADRAF) de Nouvelle Calédonie qui a repris les sujets d’opérateur foncier, même si une grande partie de notre expertise a été acquise dans cette collectivité où nous avons mené des opérations très réussies.

Autre élément notable : les opérations groupées d’aménagement, ou OGAF, que nous avons menées dans le passé ont donné de bons résultats. Ce type d’opération combinait une approche globale avec des aides à la cession et à l’installation. Nous pourrions revisiter cette formule en nous demandant si un certain nombre d’éléments, qui avaient contribué au succès de ces politiques, pourraient être repris et remis au goût du jour.

M. Thomas Rüger. L’intérêt des OGAF était qu’il s’agissait d’une approche territorialisée, donc infra-départementale, menée à l’échelle d’un canton et basée sur un diagnostic partagé, ce qui permettait de mettre autour de la table différents porteurs de projets et différents acteurs. D’où une synergie qui permettait d’avancer ensemble vers des dispositions susceptibles de faciliter le transfert de foncier, de favoriser telle ou telle installation ou d’améliorer les structures d’exploitation avec des microprogrammes.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Il n’y a pas eu beaucoup d’OGAF. Mais il me semble qu’au moment de la réforme foncière en Guadeloupe, on a eu recours aux groupements fonciers agricoles, les GFA, qui ont connu leur heure de gloire.

M. Thomas Rüger. Au moment de la réforme foncière en Guadeloupe, on a utilisé l’outil GFA pour se rendre propriétaire des terres issues des domaines sucriers. Dans ces GFA, on trouvait comme actionnaires, d’une part, une société d’investissement, créée pour les besoins de la cause, et, d’autre part, les futurs attributaires qui étaient porteurs de parts. Le GFA louait par bail à long terme à l’agriculteur qui s’installait sur sa parcelle. L’avantage d’une telle formule est qu’elle a complètement préservé le foncier agricole, qui était devenu incessible et non constructible.

Mme Chantal Berthelot, vice-présidente. Je ne sais pas s’il y a eu des OGAF réussies sur les Antilles. Je sais qu’en Guyane, il y en a eu deux : une à Cacao et une autre à La Carapa. Mais j’observe que l’OGAF de Cacao – je prends cet exemple que je connais bien – a été mise en place pour répondre à un besoin de financement. Les agriculteurs étaient déjà installés, il fallait aménager. La création de l’OGAF a permis de financer cet aménagement.

Vous avez parlé de pilote. Mais en Guyane, le développement économique dépend de l’État. Il en est de même du foncier, qui ne dépend ni de l’EPAG, ni de la région. Voilà pourquoi j’affirme que lorsque l’État aura une vraie politique foncière en Guyane, nous aurons fait un grand pas. De la même façon, quand l’État sera clair sur sa politique de développement agricole des territoires d’outre-mer, nous aurons fait un grand pas.

Nous regrettons d’autant plus qu’il n’y ait pas de loi agricole spécifique à l’outre-mer. De fait, on a l’habitude d’utiliser les outils qui existent pour essayer de répondre aux problèmes qui se posent, au lieu de partir des besoins des territoires – besoins qui varient d’ailleurs en fonction des particularités de chacun de ces territoires.

Quel que soit le sujet à traiter, qu’il s’agisse de l’installation ou des filières, il reste à imaginer le cadre dans lequel on doit intervenir, à identifier le pilote ou les pilotes, les opérateurs, et à clarifier le rôle de chacun. Nos paysans attendent qu’on leur offre un cadre stable et durable pour s’installer et faire leur métier.

Je connais le rôle qu’a joué l’ASP dans le passé. Nous verrons ce qu’il en sera dans l’avenir. Mais il faut bien reconnaître que vous intervenez de moins en moins dans le domaine agricole en général, et dans l’agriculture des outre-mer en particulier, et de plus en plus souvent comme établissement de paiement. Je trouve que c’est dommage.

En tout cas, merci d’avoir pris du temps sur la semaine que vous passez à Limoges. Je demanderai que vous soyez à nouveau auditionnés, dans le cadre de la loi d’avenir, sur quelques sujets – par exemple, la pertinence des propositions sur l’installation des jeunes agriculteurs.

La table ronde prend fin à 19 heures 05.