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Délégation aux outre-mer

Mercredi 5 février 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 8

Co-présidence de M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer et de M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale

– Audition, au Sénat, de M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur son rapport concernant l’identification des moyens visant à mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires (secteur public et secteur privé)

– Audition, au Sénat, de M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur son rapport concernant l’identification des moyens visant à mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires (secteur public et secteur privé)

M. Serge Larcher, président. – Je veux tout d’abord souhaiter la bienvenue à nos collègues députés et remercier le président Jean-Claude Fruteau d’avoir accepté notre invitation à cette nouvelle réunion commune, après celle à laquelle il nous avait conviés à l’Assemblée nationale le 25 juin dernier pour entendre la présentation par Monsieur Serge Letchimy de son rapport au Gouvernement sur l’application de l’article 349 du traité de Lisbonne.

C’est aujourd’hui un autre sujet d’importance pour nos outre-mer qui va faire l’objet de notre séance : la question de la régionalisation de l’emploi.

Notre collègue député de La Réunion, Patrick Lebreton, a remis en fin d’année dernière un rapport au Gouvernement formulant 25 propositions : elles portent essentiellement sur l’emploi public, dont on connaît l’importance du rôle de « buvard social » dans nos outre-mer où le chômage atteint des taux record, mais aussi, pour certaines d’entre elles, sur l’emploi privé.

Concernant la sphère économique, crise et étroitesse de la plupart de nos marchés réduisent les perspectives pour nos jeunes les mieux qualifiés qui, le plus souvent, sont déjà contraints d’aller « décrocher » leurs diplômes ailleurs que sur nos territoires. La confrontation des expériences et l’ouverture sur l’autre est certes une source de richesse : encore faut-il pour que cela bénéficie à nos territoires et nos populations qu’il y ait un jour, à un moment du parcours professionnel et pas seulement à l’heure de la retraite, un retour au pays ! Il faut donc créer les conditions pour que cela soit possible mais aussi pour que cela soit attractif : notre tissu économique, majoritairement constitué de petites et très petites entreprises, manque de compétences d’encadrement. En outre, l’exiguïté de nos marchés nécessite la définition de politiques fortes de développement régional auxquelles les entreprises puissent s’adosser. Une politique de formation initiale et continue en adéquation avec cette stratégie de développement est également une priorité.

Concernant le secteur public, il y a bien évidemment la question lancinante de la gestion des carrières et des mutations outre-mer. Sans porter atteinte au principe d’égalité, un de nos piliers républicains, il faut, dans l’intérêt des familles et de la stabilité du tissu social, faciliter le retour au pays des fonctionnaires. Carrière et exigences de mobilité ne doivent pas rimer avec exil perpétuel.

Comme l’expliquait le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien lors du colloque organisé par notre délégation à l’outre-mer le 12 septembre dernier sur « L’audace ultramarine en hexagone », « des discriminations positives, on ne retient généralement en France que la part du Diable, en pointant du doigt le risque de communautarisme, de fragmentation de l’identité nationale… mais il paraît nécessaire d’entrevoir aussi l’œuvre de Dieu, en considérant qu’elles peuvent représenter un outil de développement économique et social dont il serait dommage de se priver ». Monsieur Mélin-Soucramanien affirmait ainsi que la notion de « centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) » pouvait parfaitement, moyennant une définition juridique sécurisée, constituer un critère permettant de faciliter le retour au pays. J’adhère tout à fait à cette analyse et pense qu’il nous revient, mes chers collègues, d’exploiter toutes les possibilités offertes par la Constitution pour promouvoir une approche républicaine des discriminations positives outre-mer. Une prudence irraisonnée ne doit pas faire obstacle aux évolutions nécessaires au développement de nos territoires.

Respect scrupuleux des principes fondateurs de notre République, d’une part, audace et imagination, d’autre part, peuvent aller de pair. Cela suppose simplement beaucoup de volontarisme politique. Je remercie Monsieur Lebreton d’emprunter cette voie.

Avant que nous n’entendions sa présentation, je cède la parole au président Jean-Claude Fruteau.

M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale. - Monsieur le président, Messieurs les sénateurs, Messieurs les députés, mes chers collègues, c’est avec un grand plaisir que je retrouve aujourd’hui les deux Délégations pour une réunion commune.

Nous nous étions déjà réunis de manière conjointe, le 25 juin 2013, à l’Assemblée nationale, pour entendre M. Serge Letchimy, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, sur les potentialités de l’article 349 du traité de Lisbonne (mesures spécifiques concernant les régions ultrapériphériques).

Nous renouvelons aujourd’hui cet exercice, au Palais du Luxembourg, pour l’audition de M. Patrick Lebreton, également parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, et je m’en réjouis très vivement.

L’audition porte sur son rapport concernant l’identification des moyens visant à mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires, notamment dans le secteur public.

M. Patrick Lebreton – je l’atteste – est un très bon connaisseur de la fonction publique. Il y a longtemps qu’il s’est investi sur le sujet et qu’il réfléchit à une meilleure adaptation du code de la fonction publique à la situation des agents originaires des outre-mer.

Dans son rapport, dont il a déjà eu l’occasion de m’exposer les grandes lignes, on peut distinguer plusieurs mesures phares qui, si elles étaient mises en œuvre rapidement, seraient de nature à fluidifier grandement le système – parfois un peu rigide, il faut bien le reconnaître – des affectations des agents publics dans les DOM et dans les COM.

Donner une assise juridique au « centre des intérêts matériels et moraux » (CIMM) et se servir de ce concept comme pivot pour les mutations outre-mer, mettre fin au dysfonctionnement des carrières des gardiens de la paix, par exemple, originaires des outre-mer, limiter les primes de mobilité qui freinent le retour des fonctionnaires en métropole et bloquent les postes, créer, au sein de la DGOM, une structure consacrée à la gestion des carrières des cadres ultramarins de la fonction publique... Voilà autant de mesures qui seraient vraiment les bienvenues.

Et, de même, M. Lebreton préconise également, dans son rapport, un ensemble de mesures pour fluidifier les marchés de l'emploi dans le secteur privé. Ces mesures doivent permettre aux jeunes ultramarins de mieux s'insérer dans ces marchés et elles doivent faire disparaître chez eux la peur du départ sans emploi hors de leur pays natal – une peur du départ qui est bien souvent, en fait, la peur – tout à fait justifiée – d’un exil sans retour.

Mais, je ne veux pas déflorer davantage le sujet et, tout de suite, je propose de laisser la parole à notre collègue.

M. Patrick Lebreton, député.- Messieurs les sénateurs, Messieurs les députés, je voulais avant toute chose remercier vos présidents d’avoir accepté d’organiser cette audition. Je souhaitais vous remercier de votre présence.

Comme vous le savez, par la lettre de mission remise par le ministre M. Victorin Lurel, le 13 avril 2013 à Saint-Joseph, j’ai été chargé par le Gouvernement de réfléchir aux moyens nécessaires pour favoriser la régionalisation de l’emploi dans les départements d’outre-mer.

Cette mission a donc consisté à réfléchir mais surtout à apporter des solutions pour permettre un meilleur accès des ultramarins aux emplois existants dans les départements d’outre-mer, tant dans le secteur public que le secteur privé. J’insiste sur le mot « existant ». Le travail qui m’a été confié ne consistait pas à formuler des propositions pour créer des emplois même si les sujets peuvent se recouper.

Le meilleur moyen de lutter contre le chômage c’est bien entendu de créer des emplois.

Mais dans le cadre qui m’était fixé, il m’appartenait de déterminer des pistes permettant de faire accéder les ultramarins aux postes dans leurs territoires respectifs pour tenter de mettre fin au dilemme « rester au pays et prendre le risque fort d’être exclu de l’emploi ou bien s’exiler avec des perspectives très improbables de retour ».

Cette ambition du Gouvernement est particulièrement légitime dans nos territoires qui connaissent un chômage structurel très important. Comment peut-on concevoir que dans des départements qui connaissent un contexte si dégradé, des postes disponibles échappent aux personnes qui en sont originaires ?

Ce constat a donc placé ma mission sur un fil. Comment faire des propositions efficaces et répondant â la commande du Gouvernement mais surtout à l’exigence de nos populations sans tomber dans les travers du rejet, du repli sur soi, de la discrimination ?

J’ai donc résolument inscrit ce rapport et mes propositions dans le champ républicain. Nous savons souvent trouver la République lorsque nous avons besoin d’elle, nous ne pouvons la rejeter lorsque cela nous arrange.

Il ne s’est donc pas agi de rompre avec les principes républicains mais davantage de les adapter à nos réalités, de les rendre plus souples pour qu’ils ne soient pas nécessairement défavorables.

Ce travail, qui a duré près de huit mois, m’a conduit dans l’ensemble des départements d’outre-mer ; j’y ai rencontré la plupart des acteurs syndicaux, économiques, un grand nombre d’élus, les administrations, bien entendu. Ici, à Paris, j’ai également auditionné les ministres ou les cabinets des ministères concernés.

Lors de ces auditions, je n’ai pas observé d’opposition majeure à l’objectif que nous poursuivons.

Il y a bien entendu des positions radicales qu’il faut tempérer, il y a aussi des conservatismes qu’il faut décrisper mais tout le monde comprend l’attente des ultramarins et l’exigence des résultats à obtenir.

Contrairement aux travaux qui avaient été entrepris auparavant, je ne souhaite pas, et je me battrai pour cela, que ce rapport finisse dans les archives de la République, pour ne pas dire ses oubliettes. Je veillerai également à ce que le travail fourni n’ait pas été une instrumentalisation sans lendemain.

Nous avons tous ici en mémoire, le rapport du préfet Bédier, commandé par l’ancien Président de la République, en pleine campagne électorale, avec une remise prévue au lendemain du second tour des élections présidentielles. Ce rapport était donc déjà « mort-né ».

Par contre, je demeure conscient que tout ne pourra être fait dans l’immédiat que ce rapport est une étape, qu’il doit servir à ouvrir des brèches et que certains combats au long cours devront être menés.

C’est la raison pour laquelle la cohésion de l’ensemble des parlementaires convaincus du bien-fondé de notre démarche est nécessaire.

J’ai souhaité organiser mes propositions autour de quatre piliers principaux :

– piloter la réforme,

– moderniser et fluidifier les marchés locaux de l’emploi,

– régionaliser les formations pour régionaliser l’emploi,

– adapter les règles de la fonction publique aux réalités des outre-mer et des ultramarins.

Sur le pilotage de la réforme, comme je vous l’ai indiqué, mon souhait premier est de ne pas voir ce rapport ne déboucher sur aucune avancée. J’ai donc proposé différentes mesures permettant de suivre l’évolution des propositions formulées au niveau central avec la mise en place, auprès du ministère des Outre-mer, d’un dispositif d’évaluation et de suivi (proposition 1).

De même, j’ai formulé le souhait que la régionalisation de l’emploi fasse l’objet d’une attention particulière, au niveau local, avec la création, dans chaque département d’outre-mer, d’observatoires composés des différents acteurs intéressés (proposition 2).

La régionalisation de l’emploi est un concept, un objectif qu’il faut faire vivre et faire porter par les acteurs locaux.

Enfin, et pour avoir constaté de vraies difficultés à obtenir des informations chiffrées ou des études statistiques pertinentes, en phase avec les réalités locales, qui sont particulières dans les départements d’outre-mer, j’ai proposé qu’auprès de chaque collectivité régionale soient créés des instituts locaux de la statistique, à l’image de ce que la région Martinique a institué (proposition 3). Cela dépasse le simple cadre de l’emploi mais seule une connaissance approfondie de la situation réelle de nos territoires est susceptible d’aider les décideurs, publics comme privés d’ailleurs, à choisir les options efficaces, non seulement pour l’emploi mais aussi pour les autres domaines.

Sur la modernisation et la fluidification des marchés locaux de l’emploi : le second pilier concerne les marchés locaux de l’emploi.

Nous avons observé que les difficultés liées au chômage dans les départements ne pouvaient seulement s’expliquer par les réticences à employer des Domiens. Le développement économique insuffisant en est en grande partie la cause, de même que la concurrence déséquilibrée entre les entreprises ultramarines et les grands groupes nationaux, voire internationaux.

Toutefois, j’ai pu faire le constat de l’existence de réseaux dans les modes de recrutement, principalement des cadres, dont les pratiques n’étaient bien souvent pas favorables aux ultramarins.

J’estime que chaque territoire, compte tenu de ses spécificités, devrait être en mesure de déterminer ses perspectives propres de développement, de façon décentralisée. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé que soit définie une stratégie de développement économique dans chaque territoire (proposition 4).

De même, les entreprises locales doivent pouvoir accéder aux marchés régionaux. J’ai donc proposé de favoriser l’accès aux marchés publics locaux pour les entreprises actrices de la régionalisation de l’emploi (proposition 7).

La régionalisation du développement économique imposera naturellement la régionalisation des recrutements.

De même, les ultramarins doivent se voir garantir des chances égales d’accéder aux emplois disponibles dans leur région d’origine, dès lors qu’ils en ont les compétences. Le marché de l’emploi doit donc devenir transparent. Les services publics de l’emploi pourraient ainsi se voir confier comme objectifs de rendre plus transparent le marché de l’emploi local (proposition 5) et surtout de renforcer l’accompagnement des cadres ultramarins vers l’emploi local (proposition 6).

Ces cadres, même quand ils disposent des compétences requises, sont souvent sans réseaux et ne peuvent accéder aux emplois disponibles.

Régionaliser les formations pour régionaliser l’emploi : le troisième pilier est pour moi un pilier essentiel. En effet, dans tous les territoires, a été constaté un véritable déficit en matière de formation, tant initiale que continue.

Filières incomplètes ou inexistantes, la politique de formation professionnelle apparaît sans cohérence. Il en résulte un profil du candidat ultramarin faiblement adapté aux besoins réels des entreprises. Il en résulte également l’impossibilité de se former, outre-mer, à la préparation de nombreux concours administratifs pour accéder aux emplois publics.

La logique est simple : régionaliser la formation est le meilleur moyen de régionaliser l’emploi. Permettre aux ultramarins d’accéder aux formations qui leur ouvriront les portes de l’emploi local et qui les conduiront à l’ensemble des postes de la fonction publique ou dans le secteur privé est essentiel.

J’ai donc notamment proposé de créer, dans chaque département d’outre-mer, une école supérieure des cadres d’outre-mer ESCOM (proposition 9) ; d’ouvrir un institut de préparation à l’administration générale par département d’outre-mer (proposition 10) ; de créer un institut d’études judiciaires rattaché à l’unité de formation et de recherche (UFR) de droit de l’Université de La Réunion dès la rentrée 2014 (proposition 11) ; de mettre en place de véritables filières techniques dans les outre-mer (proposition 12) ou de renforcer significativement les filières de formation en santé (proposition 13).

Les ultramarins ne pourront accéder à l’emploi que s’ils peuvent accéder aux formations qui y destinent.

Au-delà de la question essentielle mais de court terme de l’accès des ultramarins à l’emploi local, un système de formation réformé et efficace permettra la constitution d’une véritable et nouvelle élite locale, à même de piloter le redéveloppement économiques des territoires.

Enfin, concernant le cas particulier de Mayotte, j’ai estimé qu’il convenait de mettre en place un véritable plan d’urgence pour redresser le système éducatif (proposition 14).

Car, vous devez le savoir, l’insuffisance du nombre de classe impose un système de rotation faisant en sorte qu’à l’issue du premier degré, un élève mahorais suit cinq années de scolarité quand un enfant français en suit huit.

C’est une injustice profonde faisant de l’enfant mahorais un futur adulte dont les chances d’obtenir un emploi qualifié sont affaiblies. Cette mesure est pour moi une mesure prioritaire.

Enfin, il convient d’adapter les règles de la fonction publique aux réalités des outre-mer et des ultramarins.

La problématique de l’outre-mer dans la fonction publique est probablement ce qui a amené à ce débat sur la régionalisation de l’emploi. C’est par les cas concrets et identifiés par tous que le Président de la République a réellement pris conscience qu’il y avait une situation insatisfaisante. L’adaptation des règles aux réalités est donc le dernier pilier de mon rapport.

Dans la majorité des corps de la fonction publique, les règles de gestion ne tiennent que très peu compte des réalités que vivent les agents publics originaires des outre-mer.

Les mobilités dans l’hexagone durent de longues périodes (voire de très longues périodes dans la police) sans visibilité quant à l’éventualité d’un retour. Il en résulte un vif sentiment d’injustice vis-à-vis de fonctionnaires non ultramarins occupant les postes localement.

Le point de crispation majeur concerne les gardiens de la paix dont les règles de mutations ont été bouleversées en 2002 afin de privilégier l’ancienneté administrative, plutôt que l’ancienneté de la demande.

La conséquence à moyen terme de ce bouleversement a été que le nombre d’originaires mutés dans les départements d’outre-mer est tombé à 27,9 % en 2013 quand il était de 47 % en 2009. Moins d’un tiers des fonctionnaires de police mutés dans les outre-mer sont donc des ultramarins.

Beaucoup renoncent à mener une carrière dynamique et à rechercher de l’avancement. C’est un élément qui peut expliquer la quasi-inexistence de cadres originaires des outre-mer dans les postes offerts localement.

De même, on constate également un phénomène d’affectation de fonctionnaires non originaires, souvent en fin de carrière et peu au fait des réalités locales. Dès lors, j’ai souhaité proposer que soient mises en œuvre des règles claires, justes, solides juridiquement mais surtout adaptées aux réalités de la situation des fonctionnaires ultramarins.

La mesure essentielle concerne les Centres des intérêts matériels et moraux (CIMM) dont j’ai souhaité qu’ils deviennent un principe à valeur législative s’imposant à toute la réglementation relative aux agents de la fonction publique (proposition 15). En plein accord avec le ministère des Outre-mer, je déposerai dans les prochains jours une proposition de loi en ce sens.

De même, et plus particulièrement concernant les fonctionnaires de police, j’ai proposé de mettre fin aux dysfonctionnements dans la gestion des carrières des gardiens de la paix (proposition 17) en revenant à la règle de l’ancienneté de la demande et en attribuant une bonification de 1 000 points à tout gardien de la paix titulaire d’un CIMM dans un département d’outre-mer. Par ailleurs, j’ai proposé de limiter la durée des séjours outre-mer pour les non originaires (proposition 18) et de progressivement supprimer les primes de mobilité (proposition 19) pour mettre fin à un système où la motivation n’est pas de servir la sécurité d’un territoire mais de tirer un gain par une mobilité au soleil.

Favoriser l’emploi d’ultramarins dans des postes outre-mer tout en accentuant la qualité du service public sont des objectifs qui peuvent être atteints en instaurant la prise en compte de la connaissance de l’environnement local dont la maîtrise de la langue est un élément pour les mutations (proposition 16).

Enfin, et en complément des mesures relatives à la création de filières locales menant aux carrières administratives, j’ai estimé nécessaire de proposer de régionaliser la gestion des cadres de la fonction publique de l’État (proposition 21), d’organiser localement des concours interministériels de catégories B et C (proposition 20) et d’adapter les règles de mobilité géographique préalables aux promotions (proposition 23).

Ces propositions devraient permettre, je crois, d’éviter ce qui peut être vécu comme un exil et elles devraient faire en sorte qu’une organisation plus adaptée du fonctionnement des services de l’État élimine ce type de frustration.

Mes chers collègues, comme je vous l’ai dit, je considère ce rapport comme une première étape. Mon objectif est modeste, je n’ai pas souhaité réaliser un catalogue dans lequel les mesures essentielles se perdraient.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité souligner cinq mesures que je considère comme réellement prioritaires pour enclencher le changement dans les perspectives d’accès à l’emploi des ultramarins dans les outre-mer.

C’est mesures sont :

– consacrer les CIMM comme le pivot du droit de la fonction publique applicable aux outre-mer et aux ultramarins (proposition 15),

– mettre fin aux dysfonctionnements dans la gestion des carrières des gardiens de la paix originaires des outre-mer (proposition 17),

– rendre transparent le marché de l’emploi local (proposition 5),

– créer dans chaque département d’outre-mer une école supérieure des cadres d’outre-mer – ESCOM – (proposition 9),

– mettre en place un plan d’urgence pour redresser le système éducatif de Mayotte (proposition 14).

M. Serge Larcher, président. – Merci, cher collègue, pour ce rapport riche et dense.

M. Félix Desplan, sénateur.- Avez-vous d’ores et déjà remis votre rapport au Gouvernement et quel écho a-t-il reçu ?

M. Patrick Lebreton, député.- J’ai remis mon rapport au Gouvernement en fin d’année dernière et plusieurs de ses recommandations devront faire l’objet d’un traitement interministériel. Si elles n’ont encore donné lieu à des annonces de réforme, les services gouvernementaux y travaillent.

Mme Annick Girardin, députée.- Je partage largement les préconisations du rapport tout en considérant que restreindre le champ de certaines d’entre elles aux seuls départements d’outre-mer n’est pas pertinent. C’est notamment le cas pour celle relative aux congés bonifiés.

Concernant la prime de mobilité, s’il peut y avoir des effets d’aubaine, elle constitue un véritable encouragement au déplacement des ultramarins vers l’hexagone même si son montant est alors moindre puisque non indexé. Je m’interroge sur un autre paramètre qui est la durée des mobilités effectuées dans les outre-mer. Enfin, la mobilité d’un ultramarin vers un autre outre-mer que son territoire d’origine ne devrait pas être subordonné à un passage préalable par l’hexagone. J’ajoute que ce type de mobilité devrait être privilégié pour les ultramarins dès lors qu’ils sont, en quelque sorte, d’emblée aguerris aux spécificités de nos territoires.

M. Patrick Lebreton, député.- Le périmètre du rapport est en effet limité aux départements d’outre-mer conformément au cahier des charges fixé par le Gouvernement mais le champ de certaines mesures, comme celle relative aux congés bonifiés, pourra effectivement être étendu. J’ai d’ailleurs auditionné nos collègues calédoniens car les lois de pays peuvent être une source d’inspiration.

La recommandation d’enclencher le processus de suppression des primes de mobilité se justifie par la volonté de mettre fin aux effets d’aubaine ; la mobilité outre-mer ne doit pas être motivée par le seul appât des avantages matériels. Par ailleurs, prévoir des congés bonifiés moins longs et plus fréquents rendrait la mobilité vers l’hexagone plus acceptable pour les ultramarins. Concernant la durée du séjour en outre-mer, nous préconisons quatre ans renouvelables une fois.

La mobilité des ressortissants de l’hexagone en outre-mer est particulièrement problématique dans la police, l’âge moyen élevé posant la question de l’efficacité. Une forte proportion est souvent ainsi inapte à la voie publique (IVP). Une présence prolongée en outre-mer induit un processus de fidélisation et même le recours à des mécanismes illicites tels que les PACS blancs. Il faut rétablir un juste équilibre car la présence de patrouilles exclusivement constituées d’originaires de l’hexagone n’est pas bien perçue par les populations locales et source de tensions.

Mme Brigitte Allain, députée.- Une place marginale est trop souvent réservée à l’outre-mer dans les projets de loi, le dernier exemple en date étant celui du titre VI du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt en cours de navette. Les préconisations de votre rapport pourraient-elles prochainement nourrir un texte spécifique à l’outre-mer ?

Par ailleurs, s’il faut effectivement limiter les effets d’aubaine qui ont pu être constatés, il faut prendre garde à ne pas bloquer la mobilité et mettre fin à des échanges qui sont gage de connaissance mutuelle.

M. Patrick Lebreton, député.- Le rapport sur la régionalisation de l’emploi n’entend pas nourrir une loi particulière pour l’outre-mer. Le droit commun doit s’appliquer à nos départements mais il faut l’adapter pour tenir compte de nos spécificités et remédier aux problèmes les plus saillants ; c’est ce que propose en matière d’agriculture le récent rapport de notre Délégation rédigé par nos collègues Chantal Berthelot et Hervé Gaymard. En matière d’emploi, j’insiste sur l’impossible retour au pays pour les gardiens de la paix ultramarins depuis qu’en 2002 le critère de l’ancienneté dans le grade a été substitué à celui de l’ancienneté de la demande. Il faut mettre en place des critères se référant à la notion de « centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) » pour éviter les drames humains et familiaux. La mobilité vers l’hexagone serait également mieux vécue avec des congés bonifiés d’une durée plus brève mais plus fréquents. Si le problème se pose de façon aiguë pour les gardiens de la paix, il se pose également, bien que dans une moindre mesure, pour les surveillants pénitentiaires. Les créations et réhabilitations de centres pénitentiaires annoncées par la Garde des sceaux, en ouvrant davantage de postes, devraient contribuer à fluidifier la mobilité. Dans certains corps, comme la gendarmerie ou l’éducation nationale où la référence au CIMM est pratiquée, il y a moins de problèmes. Les critères doivent donc être modifiés et clarifiés afin de ménager une véritable visibilité en matière de mobilité.

Mme Annick Girardin, députée.- Pour fluidifier la mobilité, il faudrait sans doute également valoriser la mobilité fonctionnelle et pas la seule mobilité géographique. Concernant la mobilité vers les outre-mer, il faudrait pouvoir tester l’aptitude à servir des candidats et, à cet effet, s’inspirer des pratiques mises en œuvre par le ministère des Affaires étrangères pour les mobilités vers certaines destinations à l’étranger.

M. Patrick Lebreton, député.- Il faut effectivement adapter les règles de mobilité et accroître l’offre d’emplois locaux par la régionalisation des concours pour les cadres de catégories B et C. Il faut aussi régionaliser la gestion des cadres de la fonction publique de l’État en développant la mobilité fonctionnelle entre les services déconcentrés et mettre en place des « contrats de retour » en amont de la mobilité dans l’hexagone. Aujourd’hui, les gardiens de la paix reçoivent une première affectation en région parisienne qui dure en général huit ans et, en cas de promotion de grade, quatre à cinq ans supplémentaires doivent être ajoutés ce qui est dissuasif pour les ultramarins qui préfèrent renoncer à l’avancement et privilégier le retour au pays.

Il faut donner une base législative à la référence au CIMM et sécuriser sa définition : une douzaine de critères pourraient ainsi être retenus pour qualifier le CIMM, notamment la maîtrise de la langue régionale qui est une condition d’efficacité professionnelle dans l’éducation nationale comme dans la police.

M. Serge Larcher, président.- Les sur-rémunérations induisent des distorsions entre secteur privé et secteur public, ce dernier se révélant comparativement plus attractif dans nos outre-mer pour les jeunes diplômés. Il s’agit d’un sujet sensible mais incontournable si l’on veut créer les conditions d’un développement équilibré. Notre mission d’information de 2009 avait préconisé d’ajuster le complément de rémunération au véritable différentiel de coût de la vie, ce dispositif ne s’appliquant qu’aux nouveaux venus et les économies réalisées étant réinjectées localement pour le financement des investissements structurants. Pareille évolution permettrait d’encourager le développement du secteur privé et de supprimer les effets d’aubaine tout en évitant la fuite de nos élites à l’extérieur de nos territoires.

Mme Annick Girardin, députée.- Une autre façon de remédier au problème des surcoûts occasionnés par l’éloignement est leur prise en charge par l’État, comme au Canada.

M. Félix Desplan, sénateur.- La question des sur-rémunérations est délicate et il faut prendre garde à ce que son traitement ne compromette pas l’adoption d’autres mesures bénéfiques. Indépendamment de cette question qui fait périodiquement polémique se pose celle de la surreprésentation des ressortissants de l’hexagone dans les postes d’encadrement de nos outre-mer.

M. Serge Larcher, président.- En effet, la grande majorité des postes d’encadrement des grands groupes est occupée par des originaires de l’hexagone.

Mme Brigitte Allain, députée.- Il faudrait analyser l’origine des surcoûts pour y remédier.

M. Serge Larcher, président.- Les causes des surcoûts sont multiples. Certaines sont objectives comme l’absence d’économies d’échelle résultant du caractère insulaire et de l’étroitesse des marchés ; d’autres comme les marges excessives prélevées par certains opérateurs économiques sont beaucoup plus contestables.

M. Patrick Lebreton, député.- La question des sur-rémunérations n’est pas traitée par le rapport sur la régionalisation de l’emploi. Celui-ci insiste en revanche sur la nécessité de former des élites locales qui font aujourd’hui cruellement défaut au moment où il s’agit de promouvoir des stratégies de développement et où les évolutions institutionnelles confèrent davantage de pouvoirs et de responsabilités aux collectivités. Il faut mettre en place des formations directement opérationnelles, des écoles de cadres, des conventions avec les IEP de l’hexagone, renforcer les formations universitaires locales, mais certainement pas créer, par exemple, des IRA. Il existe par ailleurs des élites expatriées dont il faut encourager le retour mais cela passe par la définition d’une stratégie de développement économique dans chaque territoire.

M. Serge Larcher, président.- Mes chers collègues, au terme de cette audition, je me réjouis de nos travaux en commun et attends avec impatience la proposition de loi qui traduira les recommandations de l’excellent rapport sur la régionalisation de l’emploi.

La séance est levée à 18 heures 30.