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Délégation aux outre-mer

Mardi 6 mai 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les acteurs de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » avec la participation de :

– Mme Isabelle Chmitelin, directrice de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer) accompagnée de Mme Sandrine Chevillon, chef du pôle canne-sucre-rhum ;

– M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Le Maire, déléguée générale ;

– M. Patrick Lorcet, président-directeur général de l'usine Gardel au Moule (Guadeloupe) ;

M. Emmanuel Detter, consultant auprès d’EURODOM (association de promotion des territoires ultramarins) accompagné de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement 2

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation

La séance est ouverte à 17 heures 10.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle l’audition des acteurs socio-professionnels de la filière « sucre » des DOM. Cette audition s’inscrit dans le cadre des travaux de la Délégation sur l’OCM « sucre », travaux qui ont donné lieu à l’établissement d’un rapport dont le contenu vous sera présenté à l’issue de cette réunion.

Nous accueillons donc pour cette table-ronde :

- Mme Isabelle Chmitelin, Directrice de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer), accompagnée de Mme Sandrine Chevillon, chef du pôle « canne-sucre-rhum » ;

- M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Lemaire, déléguée générale ;

- M. Patrick Lorcet, président directeur général de l’usine Gardel au Moule (Guadeloupe) ;

- M. Emmanuel Detter, consultant auprès d’EURODOM (Association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement.

Le but de cette rencontre est de faire le point sur les conséquences pour la filière de la suppression par l’Union européenne, au 1er octobre 2017, des quotas de production.

Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, d’avoir accepté notre invitation.

Mme Sylvie Lemaire, déléguée générale du syndicat du sucre de La Réunion. La filière « canne-sucre-rhum-bagasse » à La Réunion est une filière historique. Née il y a 230 ans, elle a traversé de nombreuses vicissitudes mais elle perdure car elle est particulièrement adaptée au climat et aux conditions environnementales de notre territoire, contrairement à d’autres cultures comme le café ou les épices. Avec 10 % d’emplois dans l’industrie, la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » est la première filière agro-industrielle intégrée et la première filière agricole du territoire de La Réunion dont elle occupe plus de 57 % de la surface agricole utile, regroupant 3 500 exploitations familiales dont la taille moyenne est de 7,5 hectares.

L’industrie est répartie sur l’ensemble du territoire – toutes les communes de l’île sont concernées, à l’exception d’une seule – et elle s’attache non seulement à la fabrication du sucre mais aussi à celle des coproduits : la bagasse, utilisée pour la production d’énergie, la mélasse, destinée à la nourriture animale et à la distillation du rhum, et les écumes utilisées comme fertilisants dans les champs.

La filière totalise 12 000 emplois directs et 18 300 emplois indirects ou induits, ce qui représente 13,3 % de l’emploi privé. Elle a donc un poids significatif dans l’économie de l’île, en particulier en termes d’emploi. Si nous transposions ces chiffres à l’échelle métropolitaine, la filière représenterait 2,3 millions d’emplois, et 4 millions d’emplois au niveau de l’ensemble des DOM. Elle joue donc un rôle considérable.

La filière « canne-sucre-rhum-bagasse » est également la première filière en matière d’exportations. Le sucre représente 50 % de la valeur et 80 % des volumes des exportations, et si l’on ajoute le rhum, la valeur exportée de la filière atteint 66 % des exportations.

La filière est également l’un des piliers de l’agriculture de l’île. La garantie qui lui était donnée par le passé d’écouler toute sa production de canne permettait de sécuriser les revenus des planteurs, de stabiliser leur activité et de diversifier les cultures. C’est ce qui nous a permis d’atteindre 80 % d’autonomie alimentaire dans le domaine des produits frais et de développer des complémentarités entre les filières. Ainsi, la canne à sucre permet aux filières d’élevage d’épandre leurs effluents et, à l’inverse, la filière fournit de la paille pour les élevages et des écumes utilisées pour améliorer la qualité des sols dans le cadre du maraîchage.

Parmi les produits valorisés, la bagasse, en tant que matière organique issue du processus de fabrication du sucre, constitue la deuxième source d’énergie renouvelable du territoire. Elle fournit 12 % de l’électricité produite et jusqu’à 30 % en période de campagne sucrière.

En conclusion, la filière n’a jamais cessé de se développer et d’innover. Les DOM sont les seuls territoires européens qui produisent du sucre de canne, tandis que le sucre produit en Europe est essentiellement issu de la betterave. Le savoir-faire de La Réunion est reconnu dans le monde, en témoigne la présence sur l’île d’un centre de recherche dans le domaine de la sélection variétale. Notre expérience dans ce domaine est telle qu’au cours des six dernières années, cinq innovations mondiales ont été réalisées sur notre territoire.

M. Patrick Lorcet, président directeur général de l’usine Gardel au Moule (Guadeloupe). Je vais, pour ma part, vous présenter la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » en Guadeloupe et en Martinique.

Sur le territoire de la Guadeloupe, l’exploitation de la canne occupe 14 000 hectares, sachant qu’environ 10 000 hectares supplémentaires sont potentiellement exploitables.

La capacité de production de la Guadeloupe avoisine les 800 000 tonnes de canne.

Avec 3 000 hectares consacrés à la canne, Marie-Galante constitue un bassin cannier qui produit de 100 à 120 000 tonnes de canne, réparties entre 1 700 exploitations de très petite taille, ce qui constitue un handicap pour le développement de la filière. Afin de conforter la position de la sucrerie, le choix a été fait récemment d’y associer une centrale thermique fonctionnant en faisant appel à la bagasse.

En Guadeloupe continentale, la canne occupe 11 000 hectares, exploités par 4 300 planteurs sur des propriétés généralement de petite taille – moins de 2 hectares ; si 71 % des planteurs sont pluriactifs, la canne, à l’instar de la banane, reste le pivot du développement de l’agriculture de l’île, permettant de développer des complémentarités entre les filières et de diversifier les cultures

La sucrerie Gardel transforme entre 600 et 700 000 tonnes de canne. Depuis un certain nombre d’années, elle procède à des investissements importants afin de développer la fabrication de sucres de qualité qui représentent aujourd’hui 30 % de sa production. Destinés aux besoins du marché local, ils sont actuellement orientés vers les marchés régionaux, en particulier la Martinique ou la Guyane, cette dernière ne produisant pas de sucre.

La sucrerie Gardel dispose en Guadeloupe d’une centrale thermique, opérationnelle depuis un certain nombre d’années.

S’agissant de la production sucrière de Martinique, cette dernière souffre de la forte concurrence qui frappe la sucrerie du Galion.

La sucrerie du Galion, dont la production théorique repose sur le traitement d’environ 110 000 tonnes de canne, a malheureusement vu son tonnage diminuer fortement du fait de la survenue de périodes de sécheresse, du fait de l’existence de problèmes phytosanitaires – car nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, des produits de traitement nécessaires pour endiguer l’enherbement des parcelles – et du fait enfin de la concurrence entre les cannes destinées à la distillerie et celles destinées à la sucrerie – le prix de la tonne de canne destinée à la distillerie étant plus élevé. Je rappelle que 71 % des planteurs martiniquais, dont la production moyenne s’élève à 18 tonnes à l’hectare, livrent leurs cannes aux distilleries.

Aujourd’hui, il nous faut développer de nouvelles techniques pour favoriser la fertilisation des sols et l’amélioration des rendements à l’hectare. Ce sont là des sujets de réflexion qui mobilisent notre groupement interprofessionnel Iguacanne, ce groupement mettant en place des outils et des structures susceptibles d’aider les planteurs qui ont besoin d’un encadrement technique.

Considérant l’évolution des marchés, la sucrerie Gardel, comme je l’ai dit, s’efforce de diversifier sa production et de l’orienter vers les sucres spéciaux, dits de qualité, destinés à la consommation de bouche et aux besoins des industries agroalimentaires. Cependant, nous allons évoluer désormais dans un marché européen au sein duquel il sera difficile de trouver un équilibre.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Ce que dit le président de la sucrerie Gardel est juste, mais il préconise d’augmenter les surfaces de plantation de canne. Or, il est difficile de trouver des terres disponibles et de nombreux agriculteurs demandent le déclassement de leurs terrains.

Je ne nie pas l’importance de la culture de la canne et de la banane, mais certains planteurs choisissent, depuis quatre ans, de planter du melon sur les terres cultivées en canne. Qu’en pensez-vous ?

M. Patrick Lorcet. En Guadeloupe, les surfaces consacrées à des rotations banane-canne représentent une superficie qui, selon les années, oscille entre 300 et 400 hectares. Elles sont situées essentiellement sur la Basse-Terre. Ces rotations sont nécessaires pour stabiliser le sol et assurer la pérennité des cultures.

Il est vrai que la culture du melon, pratiquée principalement sur la Grande-Terre, progresse fortement, mais tous les acteurs de la filière sucre, qu’il s’agisse des industriels ou de l’interprofession, essaient de défendre leurs surfaces agricoles.

Il est d’ailleurs tout à fait indispensable d’assurer une diversification des cultures. Nous devons réserver des parcelles au maraîchage, à condition toutefois de tenir compte, à Grande-Terre, de la disponibilité en eau. La Grande-Terre souffre en effet d’une pénurie en ce domaine, due, en partie, à la disparition de 40 à 50 % de la réserve, à cause du très mauvais état du réseau.

En ce qui concerne le foncier, nous sommes conscients de la nécessité absolue d’augmenter les rendements à l’hectare, en développant, par exemple, de nouvelles variétés. Pour cela, nous travaillons en collaboration avec une structure réunionnaise, eRcane, avec qui nous avons signé une convention dans le but de transposer les variétés les mieux adaptées aux terrains, aux climats et à la nature des sols de Guadeloupe.

L’usine Gardel dispose en propre de 930 hectares de terrain, ce qui fait d’elle une exploitation agricole. Cette surface constitue une vitrine permettant à eRcane d’implanter des variétés diversifiées et de présenter de nouvelles pratiques culturales. Nous avons ainsi initié la pratique du double rang que nous tentons de développer dans les bassins canniers de la Guadeloupe, sous la réserve absolue de disposer de suffisamment d’eau et de soleil.

Il reste en Guadeloupe 10 000 hectares de terres qu’il faudrait remettre en culture. Les collectivités et administrations disposent d’un certain nombre d’outils permettant de contrôler l’évolution du foncier – par exemple le SAR (Schéma d’aménagement régional) ou la CDCEA (Commission départementale de consommation des espaces agricoles). Nous cherchons à nous impliquer dans ces différentes instances, mais la maîtrise du foncier exige une prise de conscience très forte de la part des responsables politiques. Ainsi, Madame la députée, vous êtes très impliquée dans le développement du bassin du Moule, mais vous êtes aussi sollicitée, et cela est bien naturel, pour faciliter le développement d’activités industrielles et commerciales dans le département. Les arbitrages constituent un exercice difficile.

La taille de notre sucrerie nous permet tout juste d’atteindre le seuil de rentabilité. Malheureusement, nous ne pouvons engager de nouvelles restructurations industrielles. Pour rendre la sucrerie plus performante, il nous manque donc des surfaces de canne.

Au total, la filière doit se mobiliser pour augmenter la superficie agricole utilisée (SAU), développer la recherche variétale et améliorer les rendements à l’hectare.

M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion. Je vais tenter de dresser le tableau d’une situation inédite. Depuis 1969, et même après la réforme de 2005, les filières « canne-sucre » des départements d’outre-mer évoluaient dans un marché entièrement réglementé par l’Union européenne.

En 2017, la réforme de l’OCM mettra fin aux quotas sucriers et au marché réglementé. À partir du 1er octobre 2017, il n’y aura plus de quotas en Europe, ce qui impactera l’ensemble de la profession, les sucreries de betterave européennes mais plus encore les sucreries de canne des départements d’outre-mer. Car nous serons plongés, à partir de cette date, dans un monde de compétitivité totale, et la filière sera connectée aux marchés internationaux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

La politique ultralibérale menée par l’Union européenne va aboutir à ce qu’une partie du sucre que nous fabriquons outre-mer – sucre qui n’est pas directement concurrent du sucre de betterave puisqu’il n’est pas destiné à être transformé en sucre blanc – soit confrontée aux marchés mondiaux.

L’ensemble des départements d’outre-mer produit, en moyenne, près de 260 000 tonnes de sucre par an, ce sucre étant livré sur le marché communautaire et écoulé dans tous les pays d’Europe, essentiellement en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne. Cette production se retrouve sur un marché européen face à des opérateurs continentaux qui fabriquent environ 16 millions de tonnes de sucre, pour une consommation moyenne de sucre de 18 millions de tonnes. L’Union européenne produit donc moins de sucre qu’elle n’en consomme. Elle en importe 3,5 millions de tonnes par an, mais elle ne peut en exporter que 1,5 million de tonnes.

Ces chiffres sont le résultat de la politique européenne mise en place en 2005, à la suite d’une contestation portée devant le GATT par le Brésil, la Thaïlande et l’Australie qui reprochaient à l’Union européenne de pratiquer des prix trop élevés sur le marché intérieur afin de permettre aux opérateurs européens d’exporter d’importantes quantités de sucre. D’exportateur net en 2005, l’Union européenne est devenue l’un des principaux importateurs mondiaux.

La suppression des quotas permettra aux sucriers européens de produire sans limite. D’après les prévisions de la Commission européenne, publiées en décembre 2013, cette production augmentera fortement dès lors que la limitation des quotas aura disparu. En termes de compétitivité, l’Europe a beaucoup gagné au cours des dernières années car la réforme de 2005 a entraîné la fermeture de 45 % des sucreries existantes et le licenciement de 40 % du personnel, ce qui a considérablement augmenté la production des sucreries restantes. En 2005, les deux sucreries de La Réunion produisaient chacune 100 000 tonnes de sucre, tandis que les sucreries européennes en produisaient, en moyenne, 109 000 tonnes. Du fait de la fermeture de 45 % des sucreries européennes et de l’allongement de la campagne sucrière, les sucreries en Europe produisent aujourd’hui 170 000 tonnes de sucre et l’Europe des Quinze, qui est la plus performante, en produit 207 000. En quelques années, la production européenne est devenue deux fois plus importante que la production réunionnaise.

Lorsque les quotas et la limitation à 1,5 million de tonnes des exportations des sucriers européens auront disparu, il est vraisemblable que l’Europe retrouvera sa compétitivité et sa place sur les marchés internationaux, et qu’elle redeviendra un gros exportateur de sucre.

En outre, les productions de l’outre-mer, qui n’ont jamais atteint leurs quotas du fait de l’exiguïté des territoires et des difficultés d’accès à la matière première, se trouveront privées de la garantie qui existait depuis 1969. Les prix pratiqués en Europe seront ceux du marché mondial, ce qui offrira à l’Europe la possibilité d’importer des quantités de sucre très importantes, notamment dans le cadre des accords avec les PMA (pays les moins avancés) et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) qui autorisent, depuis 2009, un accès sur le marché européen sans quotas et sans droits.

Pour nous, producteurs de l’outre-mer, cette situation pose deux types de questions.

Sur les 260 000 tonnes de sucre produites outre-mer, environ 60 %, soit près de 160 000 tonnes, sont appelés à être transformés dans les raffineries européennes pour y devenir du sucre blanc, après quoi il n’est plus possible de les distinguer du sucre de betterave dont la production, en 2015, atteindra 18 millions de tonnes. Notre sucre se retrouvera donc en pleine concurrence pour l’accès à un marché devenu totalement libre et dans lequel les consommateurs, les chaînes d’hypermarchés et les grands utilisateurs industriels – Danone, Nestlé, Coca Cola – auront le choix entre acheter du sucre de betterave, fabriqué dans l’une des nombreuses sucreries européennes, ou acheter du sucre blanc raffiné, issu d’une raffinerie alimentée par des sucres de canne provenant soit de l’outre-mer français, soit de pays ayant conclu des accords commerciaux avec l’Europe ou ayant déjà des accès privilégiés – les PMA, les ACP et, depuis peu, la Colombie, le Pérou et les pays du pacte andin qui sont nos concurrents potentiels dans le domaine du sucre de canne. Nul doute que nous rencontrerons des problèmes de compétitivité.

Actuellement, notre production sucrière est assurée de trouver des débouchés et si nous ne parvenons pas à la vendre, l’Europe s’est engagée à nous l’acheter à un prix déterminé. Demain, cette garantie n’existera plus.

Près de 40 % de la production de sucre des départements d’outre-mer concernent des sucres de qualité supérieure, appelés parfois sucres spéciaux. Près de 60 % de ces sucres, qui ont vocation à être consommés en Europe en tant que « sucre roux de canne », sont destinés aux industries agroalimentaires, notamment les fabricants de produits diététiques – Bjorg, Gerblé – et les confituriers – Andros, Bonne Maman –, et 40 % de ces sucres deviennent du sucre de bouche vendu dans les hypermarchés, en tant que sucre roux, sous les marques La Perruche, Blonvilliers, L’Antillaise ou Daddy. Nous ne risquons pas de voir disparaître les débouchés de ces sucres au profit du sucre de betterave, puisque celui-ci est forcément blanc, mais le risque peut venir des sucres en provenance de Colombie et du Panama, dont les coûts de production et les normes environnementales sont très différents des nôtres. Or, ces pays, dont la production entre librement sur le marché européen, au titre des accords conclus il y a deux ans, sans acquitter la moindre taxe, sont assujettis à un quota global de 300 000 tonnes, y compris les sucres spéciaux et le sucre blanc raffiné, mais à l’exception du sucre roux. Par comparaison, le marché global des sucres spéciaux en Europe s’élève à 240 000 tonnes.

Nous sommes donc en compétition avec des pays qui ne respectent pas les mêmes standards que nous.

Tous les sucres que l’on trouve sur les marchés en Europe sont vendus à des prix en relation avec le prix du sucre blanc. Or, le prix du sucre blanc, déjà en baisse, pourrait s’effondrer et converger vers les prix pratiqués sur les marchés mondiaux. De même, le prix des sucres spéciaux pourrait subir une baisse parallèle.

Ma collègue Sylvie Lemaire vous parlera des démarches que nous avons engagées auprès des autorités européennes et nationales pour éviter que l’hémorragie ne s’accélère et pour obtenir des protections spécifiques dans le cadre des futurs accords commerciaux, afin que le dispositif propre à la Colombie et au Panama ne s’étende pas au Pérou, ainsi qu’à tous les autres pays signataires de ces accords.

J’en reviens à la question des quotas, qui n’est que l’un des aspects de la politique globale ultralibérale de l’Europe. Dans le domaine du sucre blanc, la compétition repose sur le seul coût du produit. Sont éliminés les producteurs qui proposent les prix les plus élevés. C’était le cas, en 2005, pour les 45 % des entreprises qui produisaient du sucre de betterave et qui ont fermé.

La périphérie de l’Europe a cessé, petit à petit, de produire du sucre et la production s’est concentrée au cœur de l’Europe dans les pays les plus performants : Allemagne, Autriche, Pays-Bas, France, Pologne.

Quel impact aura pour nous la fin des quotas ? Nous vendons nos sucres, y compris ceux qui doivent être raffinés, dans les différents pays d’Europe. Il est fort probable que nous perdrons les marchés de l’Allemagne et de la France, puisque les sucreries de betterave pourront produire sans limite. Il nous faudra, si nous parvenons à être compétitifs, réorienter nos exportations vers les pays du pourtour de l’Europe dans lesquels la consommation de sucre est plus importante que la production : sud de l’Italie, Espagne, Portugal, Roumanie, Bulgarie, Grèce. Mais les opérateurs d’Athènes s’intéresseront au prix du sucre de betterave d’Allemagne qui, arrivant par la route, sera moins cher que le sucre fabriqué en Guadeloupe ou à La Réunion, sucre qui sera acheminé par bateau et qui devra encore être raffiné. Et les opérateurs d’Italie et d’Espagne feront de même pour le sucre français.

Pour ce qui concerne les coûts, aujourd’hui, la production de sucre d’outre-mer subit, à la sortie d’usine, un surcoût de production, par rapport aux producteurs de sucre de betterave, de 385 euros par tonne de sucre brut, duquel il convient de déduire les aides mises en place par l’Union européenne et la France en 2005, aides qui s’élèvent à 250 euros par tonne, ce qui porte le handicap à 135 euros.

La plus grosse part du coût de revient d’un kilo de sucre est le coût de la matière première, qu’il s’agisse de la canne ou de la betterave, auquel il faut ajouter le coût du transport. Or, compte tenu de la teneur des plantes en saccharose, il faut, pour faire une tonne de sucre, 5,6 tonnes de betterave mais 9,1 tonnes de canne.

En 2005, la France et l’Union européenne ont fait le constat suivant : l’effort de restructuration imposé aux sucreries de betterave ne peut être demandé à la filière « sucre » des départements d’outre-mer, dans la mesure où le secteur a déjà spontanément engagé ces réformes et concentré ses outils industriels. À La Réunion, il existait, à l’époque, 180 sucreries. Il n’en reste, aujourd’hui, que deux, situées aux deux extrémités de l’île, et les coûts de transport ne permettent pas d’amener les cannes d’un bassin à l’autre.

Contrairement à l’Europe, condamnée par le GATT à réduire sa production, les départements d’outre-mer ne produisaient pas les quotas attendus. Il leur a donc été demandé de produire plus. Les pouvoirs publics ont fini par comprendre que le système économique mis en place outre-mer, fondé sur des exploitations familiales, était créateur d’emplois et qu’il n’était pas concevable de demander aux planteurs de vendre la canne moins cher – et donc de réduire leurs revenus – comme ont pu le faire les betteraviers grâce à des aides européennes découplées. Aujourd’hui, pour produire une tonne de sucre, ceux-ci achètent 5,6 tonnes de betteraves à 26 euros alors que nous achetons 9,1 tonnes de canne à 42 euros, conformément à l’engagement que nous avons pris de maintenir le prix de la canne.

Par ailleurs, une autre cause – et non des moindres – du différentiel en matière de coûts de production vient de l’importance des quantités de sucre produites dans les sucreries européennes, d’autant que leurs investissements sont dimensionnés pour traiter 5 tonnes de betterave là où nous avons à traiter 9 tonnes de canne.

Il convient d’ajouter que le surcoût de 135 euros s’applique à du sucre blond qui doit être raffiné. Il faut pour cela le transporter en Europe – mais le coût du transport est correctement compensé par les aides communautaires et nationales – et le transformer. Le coût de la transformation peut être évalué à 65 euros par tonne.

Enfin, lorsque la suppression des quotas entrera en vigueur, nos collègues betteraviers feront exactement ce qu’ils ont fait en 2005, à savoir fermer des sucreries et augmenter l’amplitude de la campagne sucrière. En 2005, la campagne sucrière à La Réunion durait 120 jours, ce que nous considérions, à l’époque, comme un avantage, en comparaison de la campagne des betteraviers qui dure 90 jours. Aujourd’hui, la campagne sucrière moyenne en Europe dure 133 jours.

Les betteraviers seront ainsi en mesure d’augmenter leur production tout en abaissant leurs coûts de revient de près de 40 euros.

Au total, en ajoutant les 135 euros de surcoût, les 65 euros du raffinage et le gain de 40 euros, nous parvenons à un handicap de compétitivité, après déduction des aides, de 240 euros par tonne.

Cette difficulté ne pourra pas être surmontée. On me suggère souvent de produire plus de sucre, mais le marché européen correspond à 240 000 tonnes de sucre roux, dont 45 % sont produits par les départements d’outre-mer. Notre principal concurrent est l’île Maurice et bientôt, sans doute, le Malawi et le Swaziland, qui ne pouvaient pas entrer sur le marché avant 2009, mais qui ont désormais la possibilité de le faire grâce aux accords PMA et ACP.

Nous pouvons peut-être gagner de 2 à 4 % de parts de marché, mais la plupart de nos clients refusent d’être approvisionnés par une seule île, de peur qu’une grève ne survienne. Il est vrai qu’à La Réunion, récemment, une grève des personnels du port a empêché la filière « sucre » d’assurer ses livraisons pendant trois semaines. Nos clients ne veulent pas non plus voir figurer sur les paquets de sucre vendus en Europe la mention « sucre roux de La Réunion » car ils complètent le contenu de ces paquets avec du sucre de l’île Maurice, du Malawi, du Panama ou de Colombie.

En 2017, nous n’aurons pas la possibilité de concentrer nos productions, mais nous devrons impérativement restaurer notre compétitivité. Actuellement, nous souffrons déjà de déficits de compétitivité, mais nous sommes certains de vendre notre sucre, dans la mesure où les betteraviers, eux, n’ont pas le droit de produire plus. Demain, non seulement les surcoûts ne seront pas entièrement compensés – les aides étant destinées à soutenir les revenus des exploitants agricoles, ce qui nous permet d’acheter la canne à La Réunion plus cher qu’en 2005 – mais nous ne serons plus sûrs de vendre. Et il ne saurait être question, non plus, de diminuer les recettes déjà peu élevées des planteurs.

Nous sommes pris dans un étau car il nous est totalement impossible de gagner 240 euros sur nos coûts de production. Les industriels achètent la canne à La Réunion, avant déduction des aides, au prix de 42 euros la tonne. Il faut 9,1 tonnes de canne pour produire une tonne de sucre, ce qui porte le prix de la tonne de sucre à environ 400 euros. Or, c’est le prix de la tonne de sucre blanc prévu par l’Europe pour 2017. Et pour les producteurs d’outre-mer, ce prix ne tient compte ni du transport de la canne, ni de sa transformation, ni du transport du sucre brut vers l’Europe, ni de son raffinage.

Il est vrai que le coût d’achat de la canne fait l’objet de différentes aides au titre du premier pilier de la PAC et du POSEI – 75 millions d’euros d’aides communautaires et 90 millions d’euros d’aides nationales – ce qui permet d’abaisser les coûts de production globaux. Mais il subsiste néanmoins un déficit de compétitivité par rapport à la production de sucre de betterave de 135 euros. D’autre part, le coût du raffinage demeure.

Nous avons peu de marges de manœuvre. L’Europe nous impose une vraie gageure à l’horizon de 2017.

J’ajouterai enfin qu’il existe un centre d’études européen : l’Observatoire des prix en Union européenne qui publie des statistiques globales concernant les marchés du sucre. Cet organisme nous donne une bonne connaissance de la situation.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Votre tableau est particulièrement alarmant. Pourtant, je suis certain que l’industriel avisé que vous êtes n’est pas résigné et qu’il a des solutions à proposer… Comment voyez-vous l’avenir de la filière ?

M. Thierry Robert. Après le tableau qu’il vient de dresser, il est absolument nécessaire que M. Philippe Labro nous rassure !

M. Jean Jacques Vlody. Quelles sont les perspectives industrielles envisagées par le groupe Tereos ?

S’agissant des aides publiques, lorsque l’Europe fait défaut, c’est vers l’État que l’on se tourne. L’État parviendra-t-il à garantir le prix de la canne aux agriculteurs et à préserver un modèle social auquel tous les acteurs de la filière sont attachés ?

Loin de moi l’idée d’abandonner la filière sucre, que je défends ardemment, en particulier à La Réunion. Mais où en est la recherche concernant les molécules issues de la canne qui pourraient offrir des débouchés en termes de produits dérivés ? Cette piste peut-elle être sérieusement envisagée ? Permettrait-elle d’offrir des revenus aux industriels et surtout aux agriculteurs ?

M. Philippe Labro. J’aimerais, Messieurs les députés, pouvoir vous apporter des réponses, mais je ne suis pas en mesure de le faire.

Avant de rechercher de nouvelles pistes de valorisation de la canne à sucre, demandons-nous si le sucre est la meilleure valorisation de la canne. Pour ma part, je le pense, et pour longtemps encore. La valorisation due à la production d’énergie, qui représente à La Réunion 12 % de la production d’électricité depuis la mise en place, en 2009, du tarif EDF, est de l’ordre de 13 euros par tonne de canne. Ce chiffre est à comparer aux 80 euros par tonne du revenu global moyen des planteurs. Aucune valorisation ne saurait égaler celle du sucre.

Quant aux molécules, elles font actuellement l’objet de recherches, notamment la lignine, la cellulose et l’hémicellulose ; mais il s’agit là de recherches fondamentales et nous sommes encore loin des recherches appliquées. Et même si les études font un jour l’objet d’applications, nous nous heurterons à une problématique liée non pas à l’utilisation de la molécule mais au lieu où sera fabriqué le produit contenant la molécule, pour une simple raison d’économie d’échelle propre à toutes les économies insulaires.

Nous aurons deux possibilités. La première consiste à nous insérer dans un schéma de recherche très large, en collaboration avec des instituts importants ou de grandes firmes cosmétiques comme L’Oréal, afin de déposer un brevet ou un co-brevet et afin d’en percevoir ensuite les rémunérations.

Je suis beaucoup plus réservé sur la seconde solution qui consisterait à produire industriellement à La Réunion ce qui pourrait l’être en Afrique du Sud, en Australie ou au Brésil à des coûts beaucoup plus faibles. Le département de La Réunion ne disposant que d’une récolte annuelle d’un peu plus d’un million de tonnes de canne, contre 40 millions de tonnes pour le Brésil, nous souffririons d’un manque de matière première, sans oublier que, pour approvisionner les marchés européens, il faudrait transporter le produit fini. C’est pourquoi je suis dubitatif quant à la fabrication sur notre territoire, sauf à trouver la molécule à très forte valeur ajoutée que les clients voudront voir produite selon les normes et la qualité européennes. Dans ce cas, La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe sont les seuls endroits au monde qui pourront le faire.

Je nourris beaucoup d’espoirs sur le projet de valorisation des cires d’écume de sucrerie. Nous avons des contacts avec des industriels allemands désireux que la production soit située dans un univers européen. Mais cette valorisation ne représente que 4 ou 5 emplois et ne peut donc remplacer les débouchés actuels.

Monsieur le député, vous me demandez de vous rassurer. Moi aussi, j’aimerais être rassuré…

Actuellement nous essayons, avec le concours de Tereos, de réorienter nos flux de vente de sucre du cœur de l’Europe vers de nouveaux pays comme la Roumanie et la Bulgarie. Mais pour ce qui est de la survie du modèle social réunionnais, nous n’avons pas de réponse. Les exploitants agricoles qui cultivent 20 hectares de betterave cultivent également des céréales, souvent sur une centaine d’hectares. À La Réunion, les exploitations sont de 7 hectares, auxquels s’ajoute un demi-hectare de cultures diversifiées. La façon la plus rationnelle d’abaisser les coûts de la canne serait de créer des exploitations de 30 hectares, sachant qu’au Brésil leur superficie varie, en moyenne, entre 150 et 200 hectares.

À La Réunion, le coût de la matière première, à l’entrée de l’usine, représente 70 % du coût global de fabrication. Je n’ai pas de solution à vous présenter, sauf à payer la canne au même prix que nos concurrents colombiens ou panaméens. Pour cela, il faudrait remembrer les exploitations, ce qui aurait pour conséquence de faire chuter de 18 000 à 6 000 les emplois de la filière, et il nous faudrait gérer les 12 000 personnes privées de leur emploi. Je n’ose pas proposer cette solution, même si, comme tout industriel, je dois avant tout diminuer les coûts en augmentant les volumes ou en restructurant. Si les planteurs avaient des revenus 5 à 10 fois supérieurs au SMIC, nous pourrions leur demander de baisser leurs revenus, mais ils ne perçoivent que 1,2 fois le SMIC. Nous sommes confrontés à un problème de choix politique, de modèle social, et ce n’est pas l’entrepreneur que je suis qui peut vous donner la réponse.

Ce que peut faire le chef d’entreprise, en revanche, c’est optimiser au maximum les outils industriels. C’est ce qu’ont fait les sucreries de La Réunion en termes de qualité, de rendement, de réduction de la consommation énergétique, ce qui nous place parmi les deux ou trois pays les plus performants au monde. Les deux plus grands exportateurs mondiaux, les Brésiliens et les Thaïlandais, viennent chez nous pour voir comment fonctionne notre modèle.

Nous allons essayer d’orienter nos ventes vers les pays les plus éloignés du cœur de l’Europe et, avec l’appui du Gouvernement français, tenter d’exclure les sucres spéciaux, vitaux pour notre économie, des accords à venir. Cela ne devrait pas contrarier les autres pays européens car ils ne sont pas producteurs, mais, précisément, parce que cette exclusion ne protégerait que la France, elle n’intéresse guère nos partenaires de l’Union européenne et il nous est difficile de trouver des soutiens.

Nous allons également essayer de vendre une petite part de ces sucres – entre 5 000 et 10 000 tonnes – sur les marchés du Japon et de la Corée, où nous entrerons en concurrence avec des exportateurs déjà implantés. Mais, une partie des aides européennes qui compensent les handicaps de surcoût étant destinées à accompagner la logistique, je ne suis pas certain que l’Union les maintiendra.

Nous allons poursuivre nos efforts, mais, avant de renouveler la convention « Canne » avec les planteurs, nous avons besoin d’obtenir des engagements sur le cadre institutionnel de la filière, notamment sur le montant des aides. Certes, grâce au report de la réforme du POSEI, celui-ci ne connaîtra aucune modification pendant deux ans, mais nous attendons de l’État un cadre réglementaire qui nous permette de dire aux exploitants que nous pourrons leur acheter la canne au même prix que précédemment. Il va de soi que nous ne prendrons pas l’engagement de leur acheter des cannes si nous ne sommes pas certains de vendre le sucre.

Notre devoir d’industriel est de moderniser nos équipements, d’utiliser les aides qui nous sont allouées pour payer la canne, d’engager des actions en faveur des planteurs et d’élever le niveau de notre production. Sur tous ces points, nous avons accompli ce qui nous avait été demandé. Face aux nouvelles modifications introduites par l’Europe, nous faisons entendre notre voix, mais notre sucre pèse 200 000 tonnes sur un marché de 16 millions de tonnes. L’État doit exercer une pression sur l’Europe, car la réponse ne peut venir d’un surcroît de performance de nos productions.

Il nous reste toutefois un certain nombre d’espoirs. Le premier est que l’Europe se trompe dans ses prévisions, ce qui est déjà arrivé…

Lorsque le sucre entrera sur le marché au coût le plus bas, il nous faudra investir dans la qualité de nos produits. Nous l’avons déjà fait par le passé, ce qui nous a valu d’être les premiers bénéficiaires, à La Réunion, de la norme ISO 22 000 sur la sécurité des denrées alimentaires. C’est un gage de qualité recherché par une partie de nos clients.

Je place également beaucoup d’espoir dans la sélection variétale. Nous essayons de trouver des cannes de plus en plus performantes, en termes de rendement et de résistance au manque d’eau – car le territoire de La Réunion, du fait du changement climatique, connaît de plus en plus de périodes de sécheresse – et nous investissons chaque année 5 millions d’euros en recherche et développement.

Nous agissons sur tous les leviers que nous avons à notre disposition, mais nous n’avons pas la main sur tout.

Cela dit, je reste optimiste pour cette filière qui existe depuis deux siècles et a traversé des étapes difficiles. Nous avons réussi, en 2005, à faire valoir nos arguments de façon logique et cohérente. Nous avons piloté la filière au mieux de ses intérêts, en partenariat avec les pouvoirs publics, européens et nationaux. Nous sommes sûrs qu’il continuera à en être de même, après l’échéance de 2017.

M. Patrick Lorcet. Pour prolonger la réponse de M. Philippe Labro sur les nouveaux débouchés possibles de la canne à sucre, je dirai que nous ne sommes pas dans la même échelle de temps.

Notre activité s’inscrit dans le concret de la gestion quotidienne et nous avons besoin d’une vision sur plusieurs années pour réaliser des choix techniques et des investissements. Les espoirs de nouvelles productions ou de nouvelles valorisations de la canne n’en sont qu’au stade de la recherche fondamentale et il faudra attendre un certain nombre d’années pour qu’elles parviennent au stade industriel.

Par ailleurs, les relations entre les planteurs et les industriels sont gérées par des conventions pluriannuelles. La dernière, en vigueur depuis 2007, arrivera à échéance à l’issue de la campagne de commercialisation 2015/2016. Nous devrons alors préparer une nouvelle convention interprofessionnelle à compter du début de la campagne de commercialisation 2016/2017. Lorsque nous connaîtrons le cadre réglementaire et le niveau du soutien de l’État, nous engagerons une négociation constructive avec les planteurs pour trouver un accord. Mais, pour l’instant, nous ne savons pas ce que sera l’avenir après l’abandon des quotas, le 1er octobre 2017. En l’absence de garantie sur la vente de nos sucres, nous ne savons pas quel prix attribuer à la tonne de canne. Pourrons-nous convaincre les planteurs de négocier une convention interprofessionnelle a minima ou de prolonger l’existante de deux ans, sachant que le prix de la tonne de canne est figé depuis 2007 ? Il est clair que les planteurs chercheront surtout à augmenter le prix de leur matière première. C’est là une problématique immédiate et très sensible. Elle prime sur la recherche de nouveaux produits.

Il nous reste cependant des pistes à explorer dans le domaine des coproduits. Nous avons un projet en cours visant le développement de substances fertilisantes obtenues en mélangeant les écumes et les cendres de bagasse et de vinasse. Une autre piste, qui n’a pas encore été étudiée, consiste à récupérer les pailles restant dans les champs pour les valoriser ou les brûler.

Enfin, la dernière question que je voudrais évoquer est celle de la pérennité des trois unités de production sucrière des Antilles, en particulier celle du Galion en Martinique et celle de Marie-Galante en Guadeloupe. Il s’agit là d’un sujet de réflexion qui est autant politique qu’économique.

Je rappelle que c’est grâce au soutien des collectivités locales que la sucrerie du Galion doit sa survie.

De même, la sucrerie de Marie-Galante est confrontée au coût de la double insularité et au fait que la plupart des décideurs la considèrent comme un outil industriel classique, alors qu’il s’agit, bien autant, d’un outil d’aménagement du territoire. Ainsi, le projet de centrale thermique alimentée par la bagasse, qui représente un investissement de 80 millions d’euros, marque le pas actuellement parce que le coût du kilowatt produit – un coût qui est très élevé – n’a pas été validé par la Commission de régulation de l’énergie.

Nous attendons une prise de conscience des collectivités locales et des responsables politiques. Maintenir ou pas ce type d’unité relève d’un choix politique.

En Guadeloupe, la sucrerie Gardel a anticipé les difficultés éventuelles en procédant à de nouveaux investissements et en développant les sucres de qualité. Mais elle va conserver un handicap structurel important dû à l’impossibilité d’augmenter les tonnages de cannes. Si des aléas climatiques se produisent, au cours des trois ou quatre prochaines années, elle sera confrontée à un problème très réel d’approvisionnement.

Le choix a été fait, en 2006, de maintenir l’activité des sucreries des DOM. La prochaine étape exige un soutien politique si nous voulons pérenniser la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » dans les départements d’outre-mer.

Mme Isabelle Chmitelin, directrice de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer). L’ODEADOM est un établissement public placé sous la double tutelle du ministère de l’Agriculture et du ministère de l’Outre-mer. L’Office, qui emploie 39 personnes, est l’organisme payeur des aides communautaires de la PAC en outre-mer, à savoir le POSEI, et d’une grande partie des 280 millions d’euros destinés à l’agriculture ultramarine, dont 75 millions à la filière « canne-sucre-rhum-bagasse ».

Les aides communautaires se déclinent sous trois formes : une aide forfaitaire d’adaptation à l’industrie sucrière, d’un montant de 60 millions d’euros, au profit des cinq industries sucrières de La Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique ; une aide au transport, destinée à alléger le coût du transport de la canne entre les bords des champs et le lieu où elle est regroupée ; enfin, une aide à la transformation de la canne en rhum agricole, d’un montant de 6 millions d’euros. L’Office assure la gestion et le paiement de ces aides.

Il intervient en outre pour attribuer des aides nationales, dans le cadre des programmes de développement ruraux (PDR) établis dans chaque département ; les crédits nationaux de l’Office, qui représentent 500 000 euros par an, sont mobilisés en contrepartie des crédits du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) ou en top-up pour accompagner des investissements dans des exploitations agricoles ou des industries.

L’Office intervient également en faveur de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » à travers d’autres actions comme la conduite d’études susceptibles d’éclairer les décideurs publics et les différents acteurs professionnels sur la situation du secteur. Dans le domaine qui nous intéresse, il faut citer une étude financée sur des crédits communautaires et destinée à évaluer les soutiens publics à la filière « sucre ». L’étude doit envisager aussi l’adaptation de ces aides publiques. Elle devrait être publiée dans quelques semaines.

Il faut citer également l’étude réalisée en 2012/2013 sur le développement de l’agriculture biologique dans les Outre-mer. Cette étude très attendue, mise en ligne sur le site Internet de l’Office, montre que le développement d’une filière biologique pour le sucre pourrait apporter des solutions, mais de façon très marginale.

L’Office intervient par ailleurs, en appui des crédits publics communautaires, sur des missions qui peuvent concerner le secteur du sucre. À ce titre, deux missions relatives à la valorisation énergétique de la biomasse, dont la bagasse, ont été conduites.

L’Office intervient enfin par le biais du comité sectoriel de concertation qui réunit, une fois par an, l’ensemble des acteurs de la filière « canne-sucre » pour évoquer la situation économique et tracer des perspectives d’évolution. Le comité, qui s’est réuni en avril, s’est intéressé à un projet transversal, initié à la demande du ministre de l’Agriculture, M. Stéphane Le Foll, et dont le thème est la construction de nouvelles filières à l’horizon 2025. Les travaux conduits au sein de ce comité sectoriel se poursuivent dans chaque département avant d’être présentés au conseil d’administration.

Beaucoup de choses qui ont été dites durant cette table ronde – en particulier les problématiques évoquées par les professionnels et les pistes de travail présentées par M. Philippe Labro – figurent dans le projet en cours d’élaboration.

En ce qui concerne les quotas de production, l’Office, qui n’intervient pas dans leur gestion, n’est pas directement concerné par leur suppression au 1er octobre 2017. Les dispositifs qui sont mis en œuvre ne seront pas remis en cause à cette date, mais ils devront certainement être adaptés au nouveau contexte. D’ailleurs, un certain nombre de soutiens qui ont été cités, en particulier l’aide d’adaptation à l’industrie sucrière, ont été mis en place en 2006, après la réforme de l’OCM.

La réforme du POSEI, qui a été reportée en attendant la mise en place de la nouvelle Commission européenne, sera débattue par celle-ci au cours des prochains mois.

Mme Sylvie Lemaire. J’insiste sur la nécessité de maintenir l’industrie sucrière des départements d’outre-mer sur le marché des sucres roux de canne car, en Europe, seuls les DOM sont capables de les produire. Nous n’avons pas réagi lors de la signature de l’accord concernant l’entrée de la Colombie et du Pérou sur le marché ; ne refaisons pas la même erreur avec les accords en cours de négociation, car ils concernent les États-Unis et peut-être l’Inde. Nous avons demandé au Gouvernement d’intervenir pour exclure des accords commerciaux les sucres de canne non destinés au raffinage. Les ACP producteurs seront solidaires de notre démarche, de même que les industries sucrières de l’Europe continentale, dans la mesure où la demande ne concerne pas le marché du sucre de betterave.

M. Patrick Lorcet. Nous nous efforçons d’assurer le développement durable de la canne et d’améliorer les rendements à l’hectare, mais nous sommes confrontés à l’envahissement des parcelles par l’herbe à riz. La Martinique a enregistré des pertes de rendement de 25 %. La Guadeloupe a été sévèrement frappée par ce parasite et La Réunion le sera prochainement. À l’heure actuelle, nous sommes incapables de lutter contre cette graminée parce qu’il n’existe pas, sur le marché, de molécule active susceptible de la combattre. On trouve, en métropole et en Europe, une diversité de produits qui pourraient aider efficacement les exploitants, mais leur utilisation n’est pas autorisée dans les DOM et le marché ultramarin est de trop petite taille pour intéresser les grands laboratoires. Nous sommes donc obligés, en permanence, de solliciter des autorisations provisoires d’importation. Avec l’appui des administrations et des élus, nous avons obtenu le droit de traiter les champs de cannes à sucre avec de l’Asulam ou de l’Asulox, mais cette autorisation est temporaire. Nous devons pouvoir assurer la protection phytosanitaire des plantations dans les départements d’outre-mer, grâce à des traitements spécifiques.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est un point qu’il faudra veiller à ne pas négliger.

Mes chers collègues, je ne voudrais pas que vous gardiez en vous des interrogations non satisfaites. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Nos questions seront toujours insatisfaites. Notre département, la Guadeloupe, souffre de pénuries d’eau, et je vois mal le conseil général augmenter l’irrigation dans les zones agricoles.

Le tableau de M. Philippe Labro est sombre. La filière « canne » a toujours été aidée car elle est l’un des piliers de l’économie guadeloupéenne. Mais, compte tenu du contexte économique et de l’entrée de nouveaux pays sur le marché du sucre, peut-on espérer qu’elle le sera encore demain ?

Les décisions des industriels sont d’ordre économique, mais, dans la mesure où elles concernent la population de nos îles, ce sont des décisions politiques. J’étais une jeune conseillère générale lorsqu’il a été question de supprimer les usines productrices de sucre en Guadeloupe. La seule usine qui reste est celle de la société Gardel. Je me suis battue pour cela. À Marie-Galante, nous nous sommes battus pour implanter une usine comme celle du Moule, mais les élus ont toujours refusé.

M. Jean Jacques Vlody. Je voudrais faire écho aux propos de notre collègue, peut-être avec moins de pessimisme. La canne en outre-mer, en particulier à La Réunion, ce sont 250 ans d’histoire, ponctués de nombreuses crises, dont la prochaine étape sera un nouveau défi pour la production sucrière. Les responsables politiques, en accord avec les industriels et les professionnels, devront prendre les décisions qui s’imposent.

Je tiens à le dire devant la Délégation, certains souhaitent déréglementer le système et proposent de cultiver autre chose que de la canne à sucre. Que cela soit clair, ce n’est pas possible. D’autres considèrent que nous mettons trop d’argent dans la filière « sucre » et qu’il serait plus intéressant de consacrer ces ressources à d’autres productions. La question de la réorientation et du découplage des aides a été posée au sein même du Gouvernement et elle réapparaît en filigrane chaque fois que la canne doit surmonter une nouvelle étape.

Je crois, pour ma part, en l’avenir de la canne. La Réunion ne peut pas faire l’impasse sur cette production. Les agriculteurs et les transformateurs ont compris qu’ils devaient travailler ensemble. À nous tous de trouver les conditions susceptibles d’assurer le revenu des agriculteurs et le maintien de l’activité. J’aimerais que la volonté politique de trouver des solutions propres à assurer la pérennité de la production dans les Outre-mer, ainsi que la stabilité de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse », soit clairement réaffirmée.

Mme Chantal Berthelot. L’histoire économique et culturelle des territoires des Antilles et de La Réunion est liée à la filière « canne » et elle montre la capacité des hommes à affronter de multiples défis.

Mais nous devons être lucides : les trois territoires producteurs de canne ne sont pas homogènes. La Réunion a basé son développement sur l’activité sucrière, mais la question de son maintien se pose de manière fondamentale en Martinique et en Guadeloupe.

Lorsque les quotas seront libérés, nous devrons faire des choix d’orientation et de diversification. Et si nous voulons que l’économie de nos territoires perdure, nous devrons faire preuve d’imagination.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs.

Vous ne serez pas étonnés de découvrir dans le rapport, lorsque celui-ci sera rendu public, un grand nombre de vos préoccupations. M. Philippe Labro sait que je suis un ardent défenseur de la filière « canne-sucre » et que je crois à son avenir, en particulier à La Réunion où elle constitue un pôle économique considérable. La disparition de la filière serait une hérésie économique et une catastrophe sociale, car abaisser le revenu des planteurs reviendrait à en terminer avec la culture de la canne. Nous ne pouvons imaginer que 18 000 personnes se retrouvent au chômage du fait de l’absence de volonté des pouvoirs publics.

Nous ferons ce que nous pourrons, par l’intermédiaire de la Délégation, comme nous l’avons fait dans d’autres cas. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, et je compte pour cela sur le soutien de la majorité. Je vous remercie.

La séance est levée à 19 heures.