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Délégation aux outre-mer

Mardi 3 juin 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer

– Audition de M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), accompagné par Mme Annie Iasnogorodski, déléguée générale, et par M. Philippe Mouchard, nouveau délégué général

La Délégation aux outre-mer procède à l’audition de M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (FEDOM), accompagné par Mme Annie Iasnogorodski, déléguée générale, et par M. Philippe Mouchard, nouveau délégué général.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je suis heureux de vous accueillir, monsieur le président, avec vos collaborateurs, pour un échange de vues sur la déclinaison outre-mer du pacte de responsabilité, notamment sur les mesures qu’il serait intéressant d’y voir figurer.

Lors de sa dernière réunion, la Délégation a désigné deux rapporteurs sur le pacte de responsabilité et sur son éventuelle déclinaison outre-mer : M. Daniel Gibbes, député de Saint-Martin, et moi-même.

Les dispositions du pacte de responsabilité devraient être proposées dans le cadre de deux textes : le projet de loi de finances rectificative pour 2014 et le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, qui pourraient être présentés en Conseil des ministres respectivement le 11 et le 18 juin prochain. Ces deux textes pourraient être examinés par l’Assemblée nationale en séance publique à la fin du mois de juin.

L’objectif de la Délégation est de présenter son rapport vers le 18 juin, afin de faire connaître son sentiment avant l’examen en séance publique de ces deux textes, en particulier du PLFR, qui devrait comporter la plupart des dispositions relatives au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer. Je suis heureux que nous poursuivions ainsi nos échanges, avec la même liberté de parole. Nous avons obtenu ensemble des résultats concrets, notamment le maintien de la défiscalisation outre-mer. Nous devons beaucoup à la Délégation, qui a mené des travaux de qualité et a fait preuve d’une grande détermination sur cette question.

M. Mouchard, qui a notamment été le coordonnateur de l’Agence française de développement pour l’océan Indien, La Réunion et Mayotte, succède aujourd’hui à Mme Iasnogorodski au poste de délégué général de la FEDOM. Mme Iasnogorodski va diriger notre think tank aux côtés de mon prédécesseur, M. Guy Dupont. Cette structure nous aide à réfléchir aux meilleurs moyens de faire fonctionner les économies ultramarines et à mieux anticiper les réformes concernant les Outre-mer, souvent discutées dans l’urgence. Nous restons trop souvent sur la défensive, notamment vis-à-vis des médias métropolitains, qui continuent à ignorer les réalités et à véhiculer, chaque semaine, des poncifs sur les Outre-mer.

Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé des mesures nouvelles pour les Outre-mer dans le cadre d’une déclinaison du pacte de responsabilité et de solidarité – ce dernier terme a son importance. La ministre des Outre-mer les a confirmées.

Cependant, trois mesures existantes, pourtant indispensables aux économies ultramarines, apparaissent menacées. Il s’agit, d’abord, des abattements appliqués à l’impôt sur les sociétés, à la taxe foncière, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, tels qu’ils résultent de la loi pour le développement économique des Outre-mer de 2009. Ces abattements étant soumis à dégressivité à compter de 2014, leur taux est appelé à diminuer au cours des quatre prochaines années, jusqu’en 2017. Qui plus est, l’abattement appliqué à l’impôt sur les sociétés est assorti de conditions : l’entreprise doit utiliser une partie du bénéfice exonéré pour réaliser des dépenses de formation professionnelle et verser une contribution au Fonds d’expérimentation pour la jeunesse. Nous souhaitons que ce dispositif, qui a fait ses preuves, soit prorogé au-delà de 2017.

La deuxième mesure menacée est le dispositif dit de la « TVA non perçue récupérable », objet, en ce moment même, d’une enquête du ministère des Finances. Son principal défaut tient à son nom, qui le rend difficilement justifiable aux yeux de ses détracteurs. Il constitue pourtant une aide précieuse à l’investissement, le dispositif ayant été recentré sur les investissements neufs. À notre demande, Bercy a confié à un cabinet privé le soin de réaliser une étude auprès des entreprises disposées à ouvrir leurs livres de comptes. Nous avons mobilisé notre réseau, et cette enquête se déroule dans de bonnes conditions. Nous sollicitons l’attention de la Délégation sur cette question. Vous pourriez notamment demander que l’on vous adresse, en temps et en heure, les conclusions de l’étude.

Troisième disposition susceptible d’être remise en cause : l’aide au fret. Une mission a été confiée à M. le préfet Lacroix sur ce sujet. Il s’agit d’une allocation européenne, à laquelle s’ajoute une aide nationale, qui représente la moitié de son montant. L’allocation européenne est gérée par les régions, alors que l’aide nationale est administrée par l’État. À la Martinique, le dispositif est géré en totalité par l’État. Le Gouvernement souhaite que cette aide, qui s’applique aux échanges entre les Outre-mer et le continent européen, soit recentrée sur le fret régional – par exemple entre les îles de la Caraïbe ou entre La Réunion et Mayotte. Nous y sommes favorables : cela contribuerait au développement des marchés régionaux. Cependant, les conseils régionaux sont très inquiets : ils risquent de récupérer la compétence d’administrer l’aide au fret, sans bénéficier des moyens correspondants. Votre collègue, M Serge Letchimy, a déjà posé plusieurs questions à ce sujet.

En outre, les formalités à accomplir pour obtenir cette aide découragent les entreprises. D’où la chute des crédits inscrits en loi de finances au titre de l’aide au fret : ils sont passés d’environ 25 millions d’euros, il y a quelques années, à 6 millions en 2014. Les enquêtes sont encore en cours, et aucune décision n’a été prise à ce stade. Nous sollicitons l’attention de la Délégation sur ce point également. Vous pourriez demander au ministère des Finances de vous faire part de l’état de ses réflexions.

Il convient certainement de réaliser des économies, mais la réforme de ces trois dispositifs ne nous paraît pas une bonne piste pour ce faire. Quoi qu’il en soit, l’amélioration de la compétitivité des entreprises ultramarines passe nécessairement par une diminution du coût du travail. Or, il n’est ni possible ni souhaitable de nous engager dans une course aux bas salaires avec les pays voisins. Cela n’a d’ailleurs jamais été la position de la FEDOM. Il convient donc de diminuer les charges. Mme Iasnogorodski va vous présenter les mesures que nous proposons à cet effet.

Mme Annie Iasnogorodski, déléguée générale de la Fédération des entreprises d’outre-mer. Le pacte de responsabilité, tel qu’il est envisagé, prévoit une amplification des exonérations de charges : celles-ci seraient totales au niveau du SMIC, puis dégressives jusqu’à 1,6 SMIC. Mais l’extension de cette mesure aux Outre-mer aurait un impact nul ou très faible. En effet, un très grand nombre d’entreprises ultramarines bénéficient, depuis plusieurs années, d’exonérations plus favorables qui ont été revues par la loi LODEOM. Ainsi, on avait déjà reconnu que le problème de compétitivité était plus aigu outre-mer, les entreprises devant être compétitives non seulement vis-à-vis de la métropole, mais aussi de leur environnement régional, qui est composé pour l’essentiel de pays peu développés, où les salaires sont très bas et les charges quasi inexistantes. Il nous paraît indispensable de maintenir le différentiel entre les aides accordées en métropole et celles qui le sont outre-mer, lors de l’adoption du pacte de responsabilité.

Pour ce faire, nous proposons de jouer sur le dispositif du CICE, qui est, à ce stade, identique en métropole et dans les Outre-mer : mêmes entreprises éligibles, même assiette, même taux.

D’après les annonces, les charges des entreprises françaises devraient être allégées de 30 milliards d’euros au titre du pacte de responsabilité. Les habitants des départements d’outre-mer représentant 3,2 % de la population française, il serait logique que les entreprises ultramarines se voient allouer 3,2 % de ce total, soit 960 millions. Dans la mesure où elles bénéficient déjà d’allègements de charges à hauteur de 480 millions au titre du CICE, il faudrait donc doubler le montant de l’aide actuelle.

Nous suggérons de distinguer trois catégories : les entreprises éligibles au seul CICE ; les entreprises éligibles aux dispositifs de la LODEOM ; les entreprises appartenant aux secteurs particulièrement exposés à la concurrence qui ont été définis comme « prioritaires » par la LODEOM – entre autres, le tourisme, les technologies de l’information et de la communication, l’agriculture et l’agroalimentaire, la recherche et développement. Nous laisserions donc de côté les entreprises non éligibles au CICE.

Nous proposons de garder le même taux de CICE qu’en métropole pour la première catégorie, soit 6 %, mais de la porter à 9 % pour la deuxième catégorie et à 15 % pour la troisième. Compte tenu du nombre de salariés par secteur d’activité, que nous avons obtenu de l’Institut national de la statistique et des études économiques, la mesure coûterait 265 millions d’euros pour la deuxième catégorie et 244 millions pour la troisième, ce qui ferait un total de 509 millions. Ce montant est supérieur à la cible de 480 millions, mais nous avons fait l’hypothèse, pour nos calculs, que tous les salaires étaient inférieurs à 2,5 SMIC – plafond d’éligibilité au CICE –, ce qui n’est pas le cas en réalité.

M. Jean-Pierre Philibert. Il faut également tenir compte de la segmentation de l’emploi outre-mer : la plupart des 302 200 salariés des DOM travaillent dans des entreprises qui n’appartiennent pas aux secteurs exposés ou surexposés à la concurrence, éligibles au seul CICE : la grande distribution, la banque ou les assurances, par exemple. Les entreprises éligibles aux dispositifs de la LODEOM, hors secteurs prioritaires, ne représentent que 111 100 salariés, soit environ 36 % du total. Quant à celles des secteurs prioritaires au sens de la LODEOM, elles ne comptent que 61 500 salariés. Je rappelle que la définition des secteurs prioritaires a fait l’objet de débats nourris, lors de l’examen du projet de loi. Ainsi, le président de la chambre de commerce et d’industrie de La Réunion, M. Ibrahim Patel, aurait souhaité y inclure le petit commerce, secteur pourvoyeur d’emplois.

Mme Annie Iasnogorodski. Nous formulons une proposition alternative qui consisterait à aider plus particulièrement le tourisme, secteur prioritaire le plus exposé à la concurrence, qui emploie 18 300 salariés. Le taux du CICE pourrait n’être relevé qu’à 13 %, et non plus 15 %, pour les entreprises appartenant aux secteurs prioritaires définis par la LODEOM hors tourisme, mais relevé à 19 % pour le seul secteur du tourisme. Le coût total de la mesure serait inchangé : 509 millions d’euros, à supposer que tous les salaires soient inférieurs à 2,5 SMIC.

M. Jean-Pierre Philibert. Nous suggérons de privilégier le secteur du tourisme, car c’est le plus exposé à la concurrence des pays voisins à bas coûts salariaux. Lorsque la ministre des Outre-mer a présenté sa feuille de route, elle a elle-même évoqué des mesures spécifiques pour le tourisme, sans plus de précision à ce stade. Il pourrait notamment s’agir d’aides à la rénovation hôtelière.

Le secteur du tourisme souffre d’une autre difficulté : l’âge moyen des employés y est très élevé, notamment à la Martinique, où il atteint 53 ans. Or, les métiers du tourisme deviennent de plus en plus pénibles, ne serait-ce qu’en raison de l’évolution de la literie, où les lits classiques sont de plus en plus souvent remplacées par des sommiers « king size », autrement plus difficiles à manipuler. C’est pourquoi les hôteliers et la FEDOM ont engagé, notamment à la Martinique, une négociation avec les organisations syndicales et les services de l’État sur des mesures d’aide au départ des salariés âgés ou handicapés. Parallèlement, le secteur recruterait des jeunes nouvellement formés, à raison de 1,1 ou 1,2 pour 1 salarié âgé partant. Ces discussions sont longues et compliquées, mais nous avons bon espoir de les voir aboutir. Les organisations syndicales antillaises, à une exception près, sont plutôt favorables à cette négociation. Nous abordons actuellement la question des compensations et du nombre d’embauches.

Cela étant, si nous augmentons les aides au tourisme, il nous faudra diminuer d’autant les aides aux secteurs prioritaires mais non surexposés. C’est particulièrement le cas du bâtiment : même s’il n’est évidemment pas soumis à la concurrence des pays voisins, il n’en est pas moins indispensable au développement de nos économies. À La Réunion, le secteur du bâtiment n’emploie plus que 14 000 salariés, contre 27 000 en 2009. C’est un secteur qui souffre. Pour l’aider, il faut trouver une formule qui permettrait de jouer sur l’aide au logement intermédiaire. Avant la LODEOM, ce secteur était soutenu par les dispositions de l’article 199 undecies A du code général des impôts qui permettait la défiscalisation au titre du logement libre et intermédiaire. Cela a donné lieu à un certain nombre d’effets d’aubaine auxquels la LODEOM a mis un terme, mais d’une façon très brutale – c’est un domaine dans lequel nous ne savons pas doser, on en sait quelque chose dans le domaine de l’industrie photovoltaïque ; la suppression de la défiscalisation dans ce domaine a totalement déstabilisé le secteur qui était pourtant prometteur en termes d’emplois : nombre de jeunes, souvent très qualifiés, attendaient sur des projets de microcentrales qui ont été réduits à néant, et ont fini par abandonner ce domaine d’activité pour partir en métropole.

Bien que le dispositif soit clos depuis 2009, il reste aujourd’hui 230 millions d’euros de dépenses fiscales au titre de l’article 199 undecies A. Sur ce point, je suis sidéré par le silence de Bercy. Pourquoi ne pas les réutiliser, à des conditions dont nous sommes prêts à débattre, pour redynamiser le secteur du bâtiment ? Il est clair que les lois Duflot et le Scellier ne fonctionnent pas outre-mer. Un investisseur métropolitain a tout intérêt à investir en métropole. Pourquoi irait-il le faire à La Réunion, à la Martinique ou en Guadeloupe ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie pour ces propositions qui doivent être examinées avec la plus grande attention.

M. Boinali Said. Les dispositifs d’accompagnement doivent pouvoir être déclinés en fonction des besoins de chaque territoire ; or, les difficultés et les priorités ne sont pas les mêmes partout. Il faut aider en priorité les secteurs les plus en difficulté, qui ne sont pas forcément les mêmes dans chaque territoire. Comment ajuster les taux en fonction des besoins propres de chaque territoire ? Un DOM n’est pas une entité abstraite et uniforme. Une analyse fine des spécificités de chaque territoire s’impose avant toute décision politique.

Mme Monique Orphé. Le CICE est entré en application le 1er janvier 2013. Avez-vous une idée du nombre de bénéficiaires outre-mer, et plus particulièrement à La Réunion ?

Avez-vous identifié les freins qui empêchent les TPE de l’utiliser ? Comment lever ces freins ?

Quelles pourraient être, selon vous, les contreparties au pacte de responsabilité en matière d’investissement et de création d’emplois en outre-mer ? Avez-vous une idée du nombre d’emplois susceptibles d’être créés ?

Comment appliquer le pacte de solidarité dans nos territoires ?

Mme Éricka Bareigts. Je reprends les questions de mes deux collègues et m’associe à l’approche de M. Boinali Said : les dispositifs figés par la loi ne correspondent pas toujours à la réalité sur le terrain et ne permettent pas d’entraîner une dynamique de territoire. L’économie est quelque chose qui vit, qui évolue en fonction de son environnement, ainsi que des hommes et des femmes qui prennent le risque de créer de l’activité. Figer les choses dans la loi empêche cette dynamique – pour ce qui est des secteurs les plus performants, s’entend : il en est d’autres qu’il vaut mieux cadrer, ne serait-ce que pour éviter certains effets d’aubaine.

Je crois, pour ma part, à la contractualisation territoriale et au développement des engagements territoriaux, à l’instar de ceux que nous avons conclus au niveau européen. Nous ne pouvons plus continuer à mobiliser l’investissement public sans contreparties en termes d’emploi, de dialogue social, de conditions de travail, de formation, d’organisation de la mobilité. Nous devons promouvoir des dispositifs contractuels qui obligent les entreprises à accompagner les jeunes dans l’emploi. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Philibert. Vous avez posé des questions essentielles.

Nous sommes extrêmement favorables à ce que vous appelez, Madame Bareigts, la contractualisation, et qui n’est autre que la déclinaison des mesures par territoire. Je ne suis pas moi-même ultramarin, mais, en tant que président de la Fédération, je peux témoigner de la complexité et de l’hétérogénéité des Outre-mer. Prétendre, dans un esprit jacobin, appliquer les mêmes mesures à l’ensemble des territoires n’est certainement pas la meilleure façon d’agit, même s’il est extrêmement compliqué de les adapter à chaque collectivité. La LODEOM a déjà reconnu le principe de secteurs géographiques éligibles : la Guyane, les îles du sud de la Guadeloupe – Marie-Galante, la Désirade, les Saintes.

La chose est donc possible, mais cela relève de la responsabilité des entreprises, des fédérations adhérentes et des élus. Lors de nos discussions sur la défiscalisation, nous avions suggéré que le mécanisme pourrait être différent selon les territoires, car chaque élu sait quelles activités sont véritablement prioritaires dans sa région. Souvenons-nous de la crise qu’a entraînée, à La Réunion, la défiscalisation sur le matériel industriel. Nous avons réfléchi, avec le Gouvernement, votre majorité et la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, à la façon de mieux encadrer le dispositif, mais nous aurions pu aller plus loin.

La situation de l’emploi est différente sur chaque territoire. À Mayotte, par exemple, où le chômage des jeunes atteint des taux insupportables, nous pourrions concevoir des dispositions spécifiques qui, s’inspirant de celle imaginée par la ministre, Mme George Pau-Langevin, pour aider les entreprises à créer leur premier emploi, permettraient d’aider les jeunes à accéder à des emplois marchands – car l’emploi aidé dans le secteur non marchand n’est, reconnaissons-le, qu’un pis-aller.

Cette démarche exige une réflexion colossale. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas favorables à l’uniformité des dispositions applicables aux Outre-mer. Nous ne serons pas opposés à travailler avec vous et avec le Gouvernement sur cette question.

Madame Orphé, vous connaissez comme moi les difficultés que nous rencontrons pour obtenir les chiffres des bénéficiaires du CICE. Je peux toutefois vous indiquer le nombre des salariés éligibles au crédit d’impôt : 73 500 à la Martinique, 66 800 en Guadeloupe, 136 900 à La Réunion, 25 000 en Guyane, Mayotte n’étant pas intégrée au dispositif.

Quant aux salariés éligibles à la LODEOM, mis à part la Guyane où ils sont tous concernés, ils sont 55 800 à La Réunion, 27 800 en Guadeloupe, 27 500 à la Martinique. Il est étonnant de constater que la Martinique compte un nombre plus important de salariés dans le secteur non éligible, ce qui signifie sans doute qu’on y trouve plus de banques, d’assurances et de grande distribution qu’en Guadeloupe.

Lorsqu’on observe le ratio des salariés du secteur le plus exposé par rapport à l’ensemble des salariés, on s’aperçoit que La Réunion est à la traîne par rapport aux deux DOM antillais. À la Martinique, 73 500 salariés sont éligibles au CICE, contre 27 500 hors secteurs prioritaires et 14 300 éligibles aux secteurs prioritaires – contre 20 100 à La Réunion, soit seulement 6 000 personnes de plus, alors qu’ils devraient logiquement être presque deux fois plus nombreux.

Mme Éricka Bareigts. C’est normal, car, à La Réunion, le secteur le plus prioritaire, à savoir le tourisme, ne fonctionne pas.

M. Jean-Pierre Philibert. Vous avez raison ; pourtant, La Réunion est le seul territoire qui offre un grand nombre de structures d’accueil de qualité, et le problème des visas, notamment avec la Chine, sera bientôt résolu. Quoi qu’il en soit, cette situation ne peut être imputée uniquement à la profession et aux institutionnels du tourisme de La Réunion : nous en sommes tous responsables. J’assiste, ce soir même, à une réunion en présence de Mme Fleur Pellerin : tout porte à croire que La Réunion y sera représentée par le dixième sous-fifre… Je ne comprends pas les difficultés du secteur touristique dans une île qui a énormément d’atouts sur ce plan.

Pour ce qui est des contreparties du pacte de responsabilité, j’ai toujours dit que le patronat ultramarin jouerait le jeu. Nous sommes parfaitement conscients de nos responsabilités. La FEDOM a signé des conventions avec l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité et le service militaire adapté, pour parfaire la formation initiale et l’insertion des jeunes dans leur territoire, et ces conventions sont suivies d’effets. Ainsi, la première convention que nous avons signée avec un groupe réunionnais et la LADOM a permis à 300 jeunes de suivre une formation avant de trouver un emploi sur leur île. Voilà un exemple concret de notre engagement.

Il existe d’autres possibilités. Les abattements comportent des contreparties qui doivent être répercutées en faveur de l’employabilité. Beaucoup souhaitent leur suppression. Pour ma part, je ne suis pas hostile à leur maintien, voire à leur augmentation. Même si nous ne changeons rien sur le plan institutionnel, le retour de la croissance s’accompagnera, outre-mer, d’un retour de l’emploi plus rapide qu’en métropole. Mais ce n’est pas suffisant. Comme je l’ai indiqué aux membres de la Fédération, il nous faudra nous engager plus avant dans les deux domaines que le Président de la République a définis comme étant les contreparties du pacte de solidarité, à savoir les mesures en faveur de l’emploi et le dialogue social.

Or, le dialogue social outre-mer doit être inventé, ou tout au moins largement amélioré, ce qui relève de la double responsabilité des entreprises et des organisations de salariés. Le dialogue social se traduit trop souvent par un blocage de l’économie – des routes, des ports, des aéroports – quand ce ne sont pas les stations-services.

Des expérimentations sont en cours. À la Martinique, grâce à une instance initiée par un préfet avant 2009, nous avons pu éviter le traumatisme qu’a vécu la Guadeloupe. Le dispositif mis en place depuis deux ans, dans le domaine du tourisme, en faveur des salariés les plus âgés et handicapés, va dans le bon sens et pourrait être dupliqué dans les autres territoires.

Madame la députée, vous regrettez que le CICE ne fonctionne pas dans les TPE, pourtant sa mise en œuvre n’a rien de complexe. Pour calculer l’exonération, il suffit de prendre la déclaration annuelle de données sociales et de lui appliquer le taux en vigueur.

Mme Annie Iasnogorodski. C’est certainement le préfinancement qui ne fonctionne pas, mais la Banque publique d’investissement et l’Agence française de développement commencent à en comprendre le mécanisme. Nous pouvons espérer qu’il fonctionnera mieux.

M. Jean-Pierre Philibert. Je suis d’accord pour qu’on le « booste » un peu…

Mme Monique Orphé. Si je vous ai posé la question, c’est que nous avons demandé un CICE renforcé. Si le CICE est peu utilisé, on risque de ne pas nous l’accorder.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Pour en avoir discuté récemment avec les représentants de l’AFD, j’ai le sentiment que, malgré les difficultés liées à son préfinancement, le crédit d’impôt commence à fonctionner.

Madame, Messieurs, vous devez, comme moi, être frustrés de cette rencontre, car il y avait encore beaucoup à dire sur ce sujet. Nous sommes preneurs de tout document que vous voudrez bien nous communiquer.

M. Jean-Pierre Philibert. Je voudrais ajouter quelques mots : tous les ministres ont mis en place des comités de suivi des politiques publiques outre-mer, mais certains ne se sont jamais réunis. Nous sommes demandeurs de telles initiatives. Nous regrettons par ailleurs que Bercy ne nous communique pas les chiffres et qu’il nous soit aussi difficile d’obtenir ceux de l’INSEE.

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’évaluation des politiques publiques ne fonctionne pas parfaitement bien dans notre pays, quel que soit le Gouvernement. C’est un mal français et pas seulement ultramarin.

M. Jean-Pierre Philibert. Mais il est accentué outre-mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie.

La séance est levée à 10 heures.