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Délégation aux outre-mer

Mardi 3 mars 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition de Mme Pierrette Crosemarie, membre du Conseil Économique, Social et Environnemental et rapporteure de l'avis sur " la microfinance dans les Outre-mer ", adopté le 10 février 2015.

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

La Délégation procède à l’audition de Mme Pierrette Crosemarie, membre du Conseil Économique, Social et Environnemental et rapporteure de l'avis sur " la microfinance dans les Outre-mer ", adopté le 10 février 2015.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Chers collègues, le 11 février dernier, nous avons adopté le rapport d’information de Mme Monique Orphé sur le projet de loi relatif à la santé. Ce projet de loi devrait être étudié le 17 mars prochain par la Commission des affaires sociales et le 31 mars prochain en séance publique. Nous définirons bientôt un autre sujet de réflexion. Je procède actuellement à des consultations au sein de notre Délégation et je vous réunirai prochainement pour désigner des rapporteurs.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’entendre Mme Crosemarie, inspectrice principale des douanes, membre du groupe de la CGT, qui siège au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Vice-présidente de la Délégation à l’outre-mer du CESE, Mme Crosemarie est la rapporteure d’un avis, adopté par le CESE en séance plénière le 10 février 2015, sur la microfinance dans les Outre-mer.

La microfinance comprend le microcrédit, c’est-à-dire la mobilisation de ressources destinées à des publics qui souhaitent créer leur propre activité, mais sont exclus, faute de garanties, du crédit bancaire classique. Il regroupe également la micro-assurance, qui vise à trouver des solutions d’assurance adaptées pour des personnes qui cherchent à créer leur propre emploi tout en ne disposant que de ressources très modestes ; il regroupe enfin les fonds qui peuvent être collectés, soit au titre de la finance solidaire, soit au titre de la finance participative.

Cette réflexion du CESE sur la microfinance nous a paru intéressante, car elle peut compléter les réflexions de la Délégation sur le nécessaire développement, outre-mer, de certaines filières agricoles de petite dimension – filières qui ont été visées dans la loi d’avenir pour l’agriculture –, sur la mise en place, dans les DOM ou dans les COM, de certaines installations touristiques de taille réduite, en dehors des structures hôtelières classiques, ainsi que sur la réalisation de filières locales relevant du secteur du développement durable – ces initiatives venant en complément des éco-entreprises.

Avant de passer la parole à Mme Crosemarie que je remercie pour sa présence parmi nous, je vous indique que, lorsque cela sera possible, nous entendrons M. Eustase Janky, membre du CESE, sur son avis concernant l’insertion sociale et professionnelle des jeunes ultramarins, avis adopté en séance plénière le 11 février 2015.

Mme Pierrette Crosemarie. Monsieur le président, je voudrais tout d’abord remercier la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale pour cette invitation. Notre Délégation est une création récente du CESE, et nous avons d’emblée souhaité nouer des relations avec les parlementaires de la Délégation de l’Assemblée nationale et de celle du Sénat, afin qu’ensemble nous puissions agir comme force de proposition auprès du Gouvernement et contribuer au développement économique des Outre-mer. C’est en ce sens que la Délégation du Conseil avait choisi comme sujet  « La microfinance dans les Outre-mer ».

Outil de politique de l’emploi et d’insertion professionnelle et sociale, le microcrédit accompagné outre-mer est à la fois une réalité pour certains territoires comme Mayotte, et un dispositif sous-estimé au regard des potentialités qu’il recèle.

De fait, un tiers des microcrédits distribués par l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) le sont dans les territoires ultramarins et, sur cette part, un quart concerne Mayotte. Cela représente, à la fois, beaucoup et peu. Un ensemble de 4119 microcrédits ont été mis en place en 2013. Mais, même si l’ADIE affiche une croissance de 15 % par an, avec un objectif de 24 000 microcrédits distribués en 2017, les chiffres demeurent modestes au regard de la situation de l’emploi dans les Outre-mer et au regard des demandes de crédits formulées.

L’avis du CESE se propose d’observer, compte tenu des bons résultats du microcrédit accompagné en termes d’activité économique, et de son coût pour les finances publiques, comment la microfinance pourrait franchir une étape significative.

Qui recourt au microcrédit ? Les populations les plus éloignées de l’emploi, qui n’ont pas accès au crédit bancaire classique. Et il y en a davantage dans les Outre-mer qu’en métropole. Par ailleurs, la part des femmes, dans le recours à ce type de financement, est plus importante outre-mer qu’en métropole.

Les secteurs d’activité que nous avons repérés sont : le commerce, les prestations de service – ce qui est assez classique – mais aussi, dans les Outre-mer, l’agriculture et la restauration-hôtellerie. Bien sûr, il s’agit de petite restauration et de petite hôtellerie – aménagement de gîtes ou de chambres d’hôtes. Mais cela mérite d’être noté puisque la démarche s’inscrit souvent dans des projets de tourisme responsable.

Les montants moyens de financement, soit 8 000 euros, sont supérieurs à ceux établis en métropole – tout en dépassant rarement 20 000 euros. C’est malheureusement une particularité des Outre-mer, où l’effet levier des prêts bancaires que l’on pourrait attendre est moins important qu’en métropole. Il est en effet plus difficile de coupler un microcrédit avec du crédit bancaire classique pour pouvoir porter son financement à un niveau supérieur.

En prenant en compte le nombre des microcrédits distribués, le nombre des personnes aidées et l’ensemble des coûts engagés, le coût d’un emploi est estimé par l’ADIE à 1 500 euros, ce qui est très peu par rapport à certains dispositifs métropolitains, et à 2 700 euros pour Initiative France – pour des projets un peu plus importants, qui réclament souvent un accompagnement plus long et renforcé.

Ce coût est à mettre en relation avec les économies réalisées en termes d’allocations chômage, de minimas sociaux, sans parler de ce qui, à titre personnel, me semble le plus important, à savoir l’indépendance des personnes concernées – je pense aux femmes qui créent leur activité et qui, par ce biais, peuvent élever leurs enfants – et la dignité qu’elles retrouvent pour avoir créé leur emploi et s’être insérées dans la société, malgré des moyens très limités. Il faut penser qu’un certain nombre de ces personnes sont illettrées. Donc, de mon point de vue, elles – et ce sont en majorité des femmes – n’en ont que plus de mérite.

Dans notre avis, nous formulons trois séries de propositions.

Nous préconisons d’abord de mieux connaître le microcrédit sous ses différentes formes dans l’ensemble des territoires. Je ne vous apprendrai pas que nous avons un problème de connaissance statistique pour tout ce qui concerne les activités économiques outre-mer. Cette recommandation est donc valable à la fois pour le microcrédit personnel et le microcrédit professionnel. Mais le cœur de nos propositions, c’est de faciliter l’accès au microcrédit, de l’améliorer et de permettre son développement.

Il convient de favoriser l’implantation des institutions de microfinance (IMF) dans l’ensemble des territoires ultramarins, puisqu’il y a des disparités en fonction des territoires. Notre président, par exemple, qui est de Saint-Pierre-et-Miquelon, a regretté tout au long des travaux qu’il n’y ait pas de microcrédit à Saint-Pierre-et-Miquelon et qu’aucun établissement ou aucune institution ne le propose.

De la même façon, il convient d’assurer aux IMF un fonctionnement pérenne. Voilà pourquoi nous pensons qu’il faut accroître leurs possibilités de refinancement auprès de l’Agence française de développement (AFD). Nous pensons que, sur mandat de l’État, l’AFD pourrait faire plus en la matière.

La mobilisation des acteurs bancaires pourrait être sollicitée, notamment en développant la coopération régionale dans l’environnement géographique des territoires ultramarins. Souvent, nos grands acteurs bancaires, nos compagnies d’assurances, sont déjà présents dans l’environnement géographique, soit directement, soit par le biais de fondations ou d’associations qu’ils font vivre. Des projets de coopération régionale pourraient créer des synergies et les amener à s’implanter dans les territoires ultramarins pour y offrir du microcrédit, ou, au moins, pourraient les conduire à être plus actifs en ce domaine.

Nous proposons de renforcer ce qui fait la spécificité du microcrédit, à savoir l’accompagnement. De ce point de vue, il nous semble important que cet accompagnement soit assuré en amont du projet – et c’est en général le cas – mais surtout après son lancement. Il faut mobiliser non seulement les personnels des IMF et les bénévoles, mais aussi les services de l’État pour informer les créateurs d’entreprises sur les différentes formalités, notamment administratives et fiscales, qui les attendent et dont ils ne peuvent se dispenser sans risquer de mettre en péril la pérennité de leur activité.

Cet accompagnement est fondamental. Il est le gage de succès du microcrédit accompagné. Selon les chiffres dont nous disposons pour la métropole, la pérennité des entreprises créées avec des microcrédits accompagnés est nettement plus importante que celle des entreprises qui sont créées sans accompagnement. Pour financer cet accompagnement, nous proposons de diversifier les sources de financement. Sur mandat de l’État, il nous semble que la Caisse des dépôts et consignations, qui intervient déjà en aidant les têtes de réseau et en animant des fonds de garantie dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, pourrait voir son rôle conforté et accru.

La mobilisation des acteurs bancaires et des acteurs assurantiels devrait, là encore, être sollicitée. Nous partons de l’idée que les destinataires du microcrédit représentent des clients à venir – dès lors qu’ils seront insérés dans la vie économique des territoires.

Nous proposons donc, pour développer l’activité de microcrédit, de faire varier deux paramètres. Le montant du microcrédit professionnel pourrait être porté à 15 000 euros (au niveau européen, le maximum est de 25 000 euros) et alloué au-delà des cinq premières années de l’entreprise, compte tenu du manque de fonds propres des créateurs d’activités et de leurs difficultés de trésorerie.

Nous soutenons également des formes innovantes de structuration d’activité, comme les coopératives d’activité et d’emploi qui permettent à un porteur de projet de tester une production ou un service tout en étant entrepreneur salarié. Le porteur de projet, dès qu’il entre dans cette coopérative, touche un salaire en fonction du chiffre d’affaires qu’il réalise et dispose d’une couverture sociale ; en même temps, les fonctions supports sont mutualisées et il peut bénéficier d’un accompagnement lui aussi mutualisé. L’expérience à laquelle nous avons assisté à La Réunion était extrêmement positive, dans la mesure où l’accompagnement portait sur toute la gamme des formes de management possibles. Nous pensons que la coopérative d’activité et d’emploi mériterait d’être mieux connue et reconnue.

Le microcrédit personnel peut, lui aussi, accompagner la personne vers l’emploi. En effet, il est souvent destiné à accroître la mobilité et à améliorer les conditions de vie du demandeur. Le CESE propose également sa montée en puissance – augmentation du niveau du montant alloué et allongement de la durée de remboursement.

Par ailleurs, compte tenu de la situation du logement dans les Outre-mer, et compte tenu également de retours d’expériences positives provenant des caisses de CCAS, nous préconisons que le microcrédit personnel puisse être consacré, en partie, à l’amélioration du logement, pour permettre certains travaux d’efficacité énergétique – par exemple, l’installation de chauffe-eaux solaires.

Nous préconisons, ensuite, d’implanter la micro-assurance dans les Outre-mer, dans la mesure où celle-ci permet de sécuriser l’activité qui vient d’être créée.

Dans les Outre-mer, en général, la problématique assurantielle est sous-estimée. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’offres d’assurance disponibles, mais celles-ci paraissent trop onéreuses aux porteurs de projets qui ont peu de moyens. Il est nécessaire de développer l’information pour montrer en quoi une assurance adaptée va sécuriser l’activité – par exemple, contre le dommage qui peut être causé à un tiers ou au local (vol ou dégâts matériels).

La micro-assurance a été expérimentée en métropole et fonctionne bien, notamment grâce à une formule mise au point entre la MACIF et AXA. Nous invitons les assureurs à développer, dans les Outre-mer, des produits d’assurance adaptés à de petits projets – une offre de faible montant, mais avec des garanties couvrant l’activité.

Nous suggérons, là encore, d’accompagner le bénéficiaire – comme cela se fait en métropole pour certains entrepreneurs – dans un parcours d’assurance adapté. En effet, la micro-assurance n’a pas vocation à être pérenne. Si l’activité se développe bien, il faut que l’entrepreneur trouve une autre forme d’assurance. De ce point de vue, le produit proposé en métropole par la fondation « Entrepreneurs de la Cité » est intéressant, puisqu’il permet d’évoluer vers des formes classiques d’assurance.

Nous tenons d’autant plus à la micro-assurance que celle-ci existe déjà dans les territoires voisins des Outre-mer français, par exemple à Madagascar ou aux Comores. Elle y est proposée par de grandes compagnies d’assurances qui la font, soit directement, soit par l’intermédiaire d’associations ou de fondations. Ainsi, le savoir-faire existe, les modalités d’assurance existent aussi. Reste la volonté de développer ce produit dans les Outre-mer français.

Nous pensons que le microcrédit et la micro-assurance peuvent être des éléments de coopération régionale, dans la mesure où l’activité économique du territoire d’origine développera, en même temps, l’activité dans les pays limitrophes de l’espace régional. Nous avons vu, par exemple à Mayotte, des exemples très concrets de coopération régionale dans l’espace économique géographique. C’est ainsi qu’une jeune femme a développé une activité de transport d’effets personnels entre Mayotte et les Comores.

Selon nous, microcrédit et micro-assurance peuvent générer des synergies nouvelles. Nous proposons donc que l’AFD pilote ce dispositif de coopération régionale et, par exemple, organise, dans chacun des espaces régionaux, une conférence sur les potentialités du microcrédit et de la micro-assurance. Ce serait l’occasion de réunir partenaires publics et privés, et de mettre en synergie les grands établissements et les IMF qui sont concrètement impliqués dans ces projets de développement régional.

Enfin, nous suggérons de mobiliser davantage la finance solidaire.

La finance solidaire repose sur une épargne placée dans des produits financiers solidaires. Elle a vocation à financer des projets d’utilité sociale ou environnementale – commerce équitable, confection de vêtements ou de conserves issues de filières biologiques, par exemple. Nous pensons que c’est une source de financement possible pour les petits entrepreneurs.

Nous avons souhaité par ailleurs appeler l’attention du Gouvernement  sur le développement du financement participatif qui permet de collecter des fonds auprès du public, par internet, pour financer un projet entrepreneurial et/ou culturel. Des mécanismes dédiés aux Outre-mer ou orientés sur les problématiques ultramarines devraient permettre la création d’activités nouvelles et d’emplois, et, en tout cas, répondre à des besoins nouveaux, fournir des produits et des services innovants et promouvoir une économie plus durable. Certains de ces dispositifs pourraient mobiliser l’épargne des ultramarins qui résident dans l’hexagone.

Nous citons l’exemple de la plate-forme POC-POC à La Réunion – financement participatif par dons – qui a soutenu un projet de « case à lire » que j’ai trouvé intéressant. Il s’agit d’une sorte de cabine téléphonique, très mobile, qui permet de mettre des livres à la disposition de tous, petits et grands. On peut installer cette « case à lire », décorée par des artistes, aussi bien dans un jardin public que dans une cour de récréation. C’est un projet à la fois entrepreneurial et culturel, qui nous semble tout à fait en phase avec le nécessaire développement de l’île de La Réunion.

Monsieur le président, cet ensemble de propositions devrait permettre, si le Gouvernement nous suit, de donner une dimension nouvelle au microcrédit, à la micro-assurance, au financement participatif et au financement solidaire, et de favoriser le développement d’emplois et d’activités dans les territoires ultramarins. La situation de l’emploi et de l’activité dans les Outre-mer étant très préoccupante, le jeu en vaut largement la chandelle. Ce serait une façon de redonner de l’espoir aux ultramarins.

M. le président Jean-Paul Fruteau. Merci pour cet exposé très intéressant, qui porte sur des sujets que nous n’abordons pas souvent.

Mme Huguette Bello. Madame, vous nous avez parlé des femmes qui ont recours au microcrédit, et je tiens à vous rassurer à propos de celles de La Réunion : elles sont plus alphabétisées et plus diplômées que les hommes, dans un département où 120 000 personnes ne savent ni lire ni écrire. Pourtant, elles ont moins facilement accès au crédit que les hommes – comme c’est le cas dans toute la France et sur la planète entière. Or, certaines d’entre elles auraient vraiment besoin de microcrédits pour monter leur entreprise. C’est pour elles une ressource essentielle. Je vise plus particulièrement le domaine de la beauté – coiffure, esthétique, salons de soins pour les ongles – ou celui de l’agriculture, du tourisme et de la restauration. Certaines, par exemple, font de la cuisine, à partir de produits locaux, dans de petits camions-bars.

Comme vous l’avez dit, il faudrait diffuser l’information sur le microcrédit. L’enjeu est important, car notre pays est sinistré par le chômage. Environ 60 % des jeunes, dont de nombreuses jeunes filles et de nombreuses jeunes femmes, n’ont pas de travail. Or, le travail, c’est l’indépendance économique, et c’est la liberté.

J’ai apprécié également vos propos sur la coopération régionale. L’exemple que vous avez cité, celui de la jeune femme qui commerce entre Mayotte et les Comores, est très positif.

La micro-assurance mériterait aussi d’être développée. En cas d’accident, on ne sait pas toujours quoi faire. Certaines personnes se retrouvent au tribunal. D’autres se découragent.

Vous avez remarqué que le microcrédit et la micro-assurance existaient ailleurs, notamment à Madagascar, et que les banques étaient beaucoup plus attentives. Nous aimerions que ce soit le cas outre-mer et que l’AFD, en particulier, s’implique davantage. Nous aimerions également que ces dispositifs soient mieux connus. En particulier, les personnes en formation devraient être informées à leur propos.

Cela m’amène à dire quelques mots sur la formation à La Réunion. Nous y consacrons environ 100 millions d’euros par an. Or, et je vais être critique, on ne se préoccupe quasiment pas de ce que l’on fait en matière de formation. Il n’y a aucune analyse de conduite…

M. le président Jean-Claude Fruteau. … ni aucune évaluation.

Mme Huguette Bello. Il arrive que les formateurs, ceux qui dirigent ces « boîtes de formation », dirigent les jeunes vers des métiers qui ne les intéressent pas ou qui sont des impasses. N’oublions pas qu’il s’agit d’argent public. Nous souhaiterions qu’il soit bien utilisé. Une dépense de 100 millions, ce n’est pas rien !

Ensuite, le microcrédit peut être obtenu après que l’on a réussi une formation. Il peut concerner, par exemple, le bijoutier qui ira ensuite présenter ses créations sur le marché forain, ou celui qui a appris à féconder ou à sécher la vanille, du côté de Sainte-Suzanne. Tout cela pour dire, Madame, que le rapport que vous nous présentez – et dont la couverture est très joliment illustrée – mériterait d’être largement diffusé. On ferait bien d’en parler sur nos radios car il y a là un moyen, pour les jeunes et les moins jeunes, de se réaliser.

Celui qui a mis en place le microcrédit a eu le prix Nobel. Il vient de l’Inde, un pays encore plus pauvre que les Outre-mer, où certains ne vivent qu’avec un dollar par jour ou un dollar et demi. Je pense que ce qui a réussi dans certaines régions peut faire merveille chez nous. Mais, encore une fois, il faut développer l’information. Quoi qu’il en soit, Madame, je vous remercie pour ce beau travail.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Ma chère collègue, je suis d’accord en tous points avec ce que vous avez dit.

Madame Crosemarie, vous avez évoqué l’AFD et la Caisse des dépôts et consignations. J’aimerais savoir comment elles réagissent à vos propositions. Cela m’intéresse d'autant plus que ce sont des organismes bancaires spécialisés. J’ajoute que l’AFD est très présente dans les pays limitrophes des collectivités ultramarines – et notamment de La Réunion. Nous aimerions qu’elle s’implique davantage outre-mer.

Que pourriez-vous m’en dire ? Tout un champ d’investissement leur est ouvert. En outre, cela correspond à leur vocation.

Mme Pierrette Crosemarie. Madame, je ne ciblais pas particulièrement les femmes. Simplement, elles sont souvent concernées par les problèmes d’emploi et confrontées à des difficultés de tous ordres. Je n’en ai été que plus admirative vis-à-vis de celles qui se prennent en main et qui, par exemple, partent acheter des marchandises en Chine pour les revendre à Mayotte. Personnellement, je ne sais pas si j’en serais capable. Leur cheminement intellectuel, la volonté et l’énergie dont elles font preuve dans cette activité sont tout à fait remarquables.

Maintenant, comment diffuser l’information ? La question m’a préoccupée. Par exemple, à Mayotte, il faut parler d’autres langues que le français pour être entendu des populations demandeuses de microcrédit. L’ADIE, avec ses structures de bénévoles, y réussit assez bien. Elle sait utiliser les compétences pour offrir une information et un accompagnement.

Nous avons pensé que, dans des territoires comme ceux de La Réunion, l’information sur le microcrédit pourrait être centralisée, non pas dans un « guichet unique », mais à un endroit où les personnes, notamment les jeunes, viennent chercher diverses informations. On leur indiquerait, en même temps, les activités que le microcrédit permet de développer et les obligations qu’il impose, avec des exemples positifs de personnes qui ont eu recours au microcrédit, qui ont créé leur entreprise et qui ont prospéré. On leur fournirait davantage d’informations sur le microcrédit qu’on ne le fait dans les structures où se rendent les personnes qui rencontrent des difficultés d’emploi ; par exemple, je ne suis pas persuadée que les conseillers de Pôle emploi connaissent très bien ces procédures. Mais le problème est bien de trouver le moyen d’atteindre les publics concernés.

Nous pensons que les jeunes en cours de formation économique devraient pouvoir participer à l’accompagnement des bénéficiaires d’un microcrédit. Nous avons notamment proposé qu’une telle activité, qui serait effectuée dans le cadre du bénévolat, soit valorisée dans leur cursus universitaire, à l’instar de ce qui existe en métropole. Cela concernerait les élèves des écoles de commerce ou en études économiques, dès leur première ou deuxième année.

Ensuite, vous avez eu raison de dire qu’il n’y avait ni retour ni évaluation de la façon dont était employé l’argent consacré à la formation. De notre côté, nous avons insisté auprès du Gouvernement sur le fait que le microcrédit accompagné était un outil efficace, qui n’était pas si cher que cela. En tant que parlementaires, vous avez bien évidemment le souci de la dépense publique. Mais il me semble que 1 500 euros pour une création d’emploi ne représente pas un coût très élevé, notamment si on le rapporte aux dépenses sociales que cette création permettra d’éviter.

Il serait également intéressant que les collectivités qui s’engagent en faveur du microcrédit s’engagent en même temps en faveur de l’accompagnement des bénéficiaires. Car le gage de la réussite est bien l’accompagnement. Notre idée n’est pas de donner de l’argent pour créer de l’emploi, mais de permettre que le microcrédit soit accompagné pour que l’emploi soit pérenne.

Enfin, Monsieur le président, vous m’avez interrogée sur les réactions de l’AFD et de la Caisse des dépôts. Je n’ai pas encore rencontré la Caisse des dépôts, mais je peux vous parler de l’AFD.

J’ai dit aux représentants de l’AFD, que je viens de rencontrer, que je souhaitais un rôle nouveau pour l’Agence, un rôle de leader, d’ « ensemblier » dans la coopération régionale, susceptible de prendre un certain nombre d’initiatives. Ils m’ont répondu qu’ils étaient capables de faire une évaluation pour voir si les opérateurs agissaient bien, mais qu’ils n’étaient pas des opérateurs de premier plan pour ces projets-là. Nous avons du mal à leur faire comprendre que, même s’ils sont petits, ces projets méritent considération. Mme Barbaroux a coutume de dire que ce n’est pas parce que c’est un petit projet que c’est un projet sans envergure. De belles entreprises ont été créées à partir de projets financés par des microcrédits.

Je pense que les décideurs sont bien conscients que la chaîne est incomplète, et qu’il manque un chaînon de garantie pour conforter la microentreprise, entre le microcrédit et la micro-assurance. Ils se disent prêts à faire ce qu’ils savent faire, à savoir du conseil et de l’animation. Ils nous ont parlé de mécanismes de gestion de garanties, mais on sent bien que le signal devra venir de l’État.

J’ai écrit : « il faut qu’il y ait un mandat de l’État ». Ils m’ont parlé d’une « demande » de l’État. Dans mon esprit, c’était simple : il faut une commande claire pour que nos institutions, AFD et Caisse des dépôts, occupent davantage ce créneau. Certes, ce n’est pas leur champ premier d’intervention, mais elles ont une expérience incontestable. Par exemple, dans le montage des fonds européens, dans la coopération régionale, elles savent mettre en place de beaux projets. J’aimerais qu’elles passent à des projets de taille moins importante, mais qui n’en sont pas moins vitaux pour la population, comme j’ai essayé de l’expliquer. Ce peut être tout aussi porteur de cohésion sociale qu’un gros projet d’équipement collectif ou de grande infrastructure.

La porte n’est pas fermée, mais je ne suis pas celle qui peut donner l’ordre. J’ai bien compris qu’il faudrait poursuivre les démarches auprès du Gouvernement pour tenter d’élargir les possibilités existantes. Il s’agit, en fait, de conforter les dispositifs. Si nous obtenons la création d’un fonds de garantie, l’AFD sera capable de le gérer. L’AFD nous a dit que, dans la mesure où elle serait opérateur de la BPI, on pourrait s’attendre à des évolutions significatives dans les Outre-mer. Mais je pense qu’il faudra un signal.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je crois qu’il faudra aussi beaucoup de volonté politique.

Mme Huguette Bello. Il faut que l’État mandate ces grands organismes, qui font un peu peur. Et il faut que ceux-ci se mettent à la portée de tout un chacun.

M. le président Jean-Claude Fruteau. En même temps, dans ces grands organismes, la pratique du ronronnement est bien installée. On y fait les choses que l’on a l’habitude de faire, que l’on a toujours faites, et on n’a pas vraiment envie de changer et de s’investir. Il faut donc effectivement que l’État intervienne d’une manière ou d’une autre. Car on sait parfaitement comment cela fonctionne. Avec une volonté politique, il peut y avoir de bons résultats.

Vous parliez de l’intérêt des projets, qu’ils soient grands ou petits. Mais je remarque que la seule fois où j’ai dû intervenir, c’était sur un projet qui, à l’échelle d’une commune de La Réunion, n’avait rien de petit. Or, la réponse de la BPI avait été que c’était un projet « trop réduit » pour qu’elle puisse s’y intéresser. Pourtant, ce n’est pas tout à fait ce que j’avais compris lorsque nous avions mis en place la BPI. J’attends toujours le résultat de cette intervention, et je ne suis pas sûr qu’il soit positif. Mais il est certain qu’il y a beaucoup d’inertie de la part des institutions. Il est plus facile de regarder les autres agir et de dire qu’on est là pour les grandes opérations ou pour régler les problèmes en amont. Quand il s’agit d’aborder les problèmes de manière concrète, très souvent, il n’y a plus personne.

Je terminerai par une question. Un territoire comme Mayotte, qui est un pays de culture musulmane, peut manifester des réticences face à des prêts d’argent rémunérés entre coreligionnaires. Ne pourrait-on pas envisager d’y appliquer un système de tontine ?

Mme Pierrette Crosemarie. Monsieur le président, je pense que vous avez raison à propos de la BPI. Il y a un vrai problème pour le financement des petits projets et des petites entreprises. On nous a dit que la BPI prenait la suite de la BDPME, puis d’Oséo. Or, la vocation de la BDPME était de financer de petites entreprises. En outre, s’agissant d’Oséo, j’entendais déjà au Conseil les acteurs se plaindre que cet organisme ne diffusait pas dans les Outre-mer tous les produits qui existaient en métropole. Mais au moins Oséo proposait-il des produits.

On nous a dit qu’ils allaient diffuser tous les produits qui existent en métropole. Mais on rencontre toujours le même problème s’agissant des petites entreprises. J’ai l’impression qu’ils conçoivent leur rôle au service des grandes entreprises, des grands projets, et qu’ils oublient la case « petites entreprises ».

C’est si vrai que nous avions proposé que le prêt à la création d’entreprise, le PCE, qui était diffusé par la BPI, qui venait en complément de prêts bancaires et qui était bien diffusé en métropole, puisse être diffusé dans les Outre-mer par les instituts de microfinance, dans la mesure où il ne l’était pas par le réseau bancaire ultramarin. Or, nous avons appris que ce prêt avait été supprimé le 1er janvier. Nous avons donc dû d’abandonner notre proposition qui était de diffuser le PCE dans les Outre-mer.

Malgré tout, nous avons écrit qu’il fallait qu’un outil au service des petites entreprises vienne compléter ce que pouvait faire l’IMF. Sinon, et vous avez raison, entre le tout petit projet et le grand projet, il n’est pas possible de faire grandir son entreprise et de la pérenniser entre trois et cinq ans. C’est un vrai problème. Voilà pourquoi, par pragmatisme, nous proposons que le microcrédit puisse être alloué au-delà de cinq ans, ce qui n’est pas le cas normalement. Mais normalement, on devrait avoir trouvé un financement classique…

Vous m’avez enfin interrogée à propos de la tontine. À Mayotte, on pratique un système voisin, celui du shikoa : cela consiste, dans un collectif, à se prêter mutuellement pour réaliser un projet ; l’année suivante, c’est quelqu’un d’autre qui en bénéficie. Le système repose sur la confiance et solidifie les liens entre la collectivité. On s’en est inspiré pour cautionner collectivement du microcrédit.

Je pense qu’il faut prendre le shikoa comme un point d’appui pour développer d’autres pratiques de crédit. En tout cas, à Mayotte, cela fonctionne pour des projets très divers, économiques ou personnels – par exemple, pour financer une noce. Le problème se pose toutefois pour les projets d’activité économique pérenne, qui nécessitent un accompagnement. Or, dans le shikoa, il n’y a pas d’accompagnement. Donc, la formule de microcrédit que je préconise a un intérêt : c’est une formule de microcrédit accompagné.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Madame, je vous remercie pour la qualité des informations que vous nous avez apportées.

La séance est levée à 18 heures.