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Mardi 20 octobre 2015

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition de M. Dominique Bureau, délégué général du Conseil économique pour le développement durable, président du comité pour l’économie verte

– Informations relatives à la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Dominique Bureau, Délégué général du Conseil économique pour le développement durable, président du comité pour l’économie verte.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, la commission est réunie pour entendre M. Dominique Bureau, président du Comité pour l’économie verte. Le Comité pour l’économie verte a remplacé le Comité pour la fiscalité écologique (CFE) dont le président, Christian de Perthuis, a démissionné pour raisons personnelles.

Je rappelle que le Comité pour la fiscalité écologique a travaillé sur la fiscalité sur le diesel, sur la contribution climat-énergie et sur les pollutions de l’eau. C’est à la suite de ses propositions que la loi de finances de 2014 a inscrit la base carbone dans la fiscalité sur les énergies fossiles.

Je pense que M. Bureau va aborder devant nous plusieurs sujets d’études et travaux que mène le Comité, comme le financement public et privé au bénéfice de la transition énergétique, la COP21, etc., sans oublier ceux que vous évoquerez dans vos questions.

M. Dominique Bureau, délégué général du Conseil économique pour le développement durable, président du Comité pour l’économie verte. Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation qui me permet de vous rendre compte de ce que fait le Comité pour l’économie verte et de réfléchir à ce qu’il pourrait faire.

Le Comité pour l’économie verte a été « réinstallé » au début du mois de février dernier sur la même base et avec la même composition que le Comité pour la fiscalité écologique en termes de composition et de fonctionnement. Il a trois missions.

Premièrement, poursuivre les travaux sur la fiscalité écologique proprement dite. Il était apparu que la France était en retard dans l’utilisation d’instruments incitatifs pour modifier les comportements et réduire les atteintes à l’environnement. Ma lettre de mission, cosignée par trois ministres, Ségolène Royal, Michel Sapin et Christian Eckert, indique que le Comité doit poursuivre les travaux entrepris par le Comité pour la fiscalité écologique qui avaient conduit à créer une fiscalité écologique incitative dans la fiscalité existante par substitution puis à mettre en place non un nouvel instrument à taux élevé mais une démarche plus progressive qui s’appuie sur les outils existants. Je reviendrai sur les leçons que je tire depuis huit mois, car je crois que la démarche est de portée plus générale.

Deuxièmement, diversifier la panoplie des instruments dans une logique d’instruments incitatifs. Il s’agit de trouver de nouveaux instruments économiques comme les marchés de compensation, des systèmes de paiement pour services écologiques. Le Comité sur la fiscalité écologique avait bloqué surtout ce qui concerne les pollutions agricoles de l’eau. Il s’agit de savoir si la fiscalité écologique est le bon instrument par rapport à des marchés de permis ou à des certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP) qui vont être mis en place dans le cadre de l’ordonnance publiée le 7 octobre dernier.

Troisièmement, réfléchir au financement de la transition écologique et énergétique. Comme elle nécessite beaucoup d’investissements et que ce sont souvent des investissements risqués et de longs termes, il est nécessaire de développer une ingénierie afin de permettre un financement par le secteur privé. Sont exclues du champ du Comité les interventions publiques plus traditionnelles – réglementation, subventions, crédit d’impôt, etc. Notre action est centrée sur la mobilisation des acteurs privés, dans la mesure où c’est l’ensemble de la société qui doit évoluer.

Nous n’avons pas jugé utile de reprendre les avis qui avaient déjà pu être donnés, notamment sur la composante carbone, l’écart de taxation entre le gazole et l’essence ou encore la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) déchets. Les avis du CFE, que l’on peut consulter sur le site, sont assez robustes. Je n’aurais été amené à modifier que quelques virgules, et non les messages que l’on veut délivrer, ce qui n’aurait pas apporté une réelle plus-value.

En revanche, nous avons considéré que le travail du Comité pour la fiscalité écologique n’était pas abouti en ce qui concerne l’artificialisation des sols et la taxe d’aménagement. J’y reviendrai tout à l’heure.

Nous avons estimé également que le Comité n’avait pas pu examiner dans des conditions satisfaisantes tout ce qui concerne les produits phytosanitaires, les nitrates etc. et qu’il fallait aussi ouvrir de nouveaux sujets de recapitalisation écologique. Nous avons donc constitué deux groupes de travail. Le premier doit rendre très rapidement un avis sur les paiements pour services environnementaux et le second sur les pollutions.

Nous avons entrepris un travail de plus long terme sur les questions de financement. Au mois de juillet, nous avons rendu un avis sur la labellisation écologique. Il sera publié sur le site la semaine prochaine ; le but est plutôt de donner des lignes directrices sur des instruments.

Nous nous sommes penchés également sur le reporting des investisseurs institutionnels, traité à l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Lors de la prochaine séance, qui aura lieu le 29 octobre, nous discuterons d’un projet d’avis pour essayer de remettre en perspective le projet de décret qui doit être élaboré rapidement sous l’égide du ministre de l’économie.

La France a besoin d’une green tax commission, comme le souligne depuis des années l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les sujets d’incitation pour transformer les comportements sont assez compliqués et nécessitent l’élaboration d’un consensus sur les enjeux, les impacts, etc. Nous essayons de renforcer les études d’impact sur tous les sujets que l’on traite, comme on nous le demande de façon récurrente. Nous avons besoin également de détecter ce qui pourrait aboutir à des conflits. Si l’on veut que le travail législatif puisse se faire dans de bonnes conditions, il est impératif d’engager un dialogue entre les parties prenantes en amont, ce qui permet d’éviter de découvrir des problèmes lorsque le sujet arrive en discussion.

Sous la présidence de Christian de Perthuis, le Comité pour la fiscalité écologique s’était comporté sans doute en militant du prix du carbone. C’était utile à un moment où il fallait faire avancer ce dossier qui était enlisé. Pour ma part, je m’inscris davantage dans une perspective de travail au long cours dans la mesure où un certain nombre de dossiers ont progressé.

Nous essayons d’avoir une bonne assertion entre l’expertise et la décision. Notre comité étant une réunion de parties prenantes, nous avons impérativement besoin d’une expertise de qualité si nous ne voulons pas que nos réunions de travail soient de simples échanges d’opinions avec un compte rendu des désaccords à la fin… C’est la raison pour laquelle nos groupes de travail sont présidés par un expert qui a une forte reconnaissance académique sur les sujets traités : Harold Levrel, professeur à AgroParisTech et spécialiste mondial des sujets relatifs à la biodiversité, préside le groupe de travail sur la biodiversité ; Stefan Ambec, de la Toulouse School of Economics, spécialiste reconnu sur les sujets relatifs à la politique de l’eau, préside le groupe de travail sur l’eau et l’agriculture. Quant au groupe de travail sur l’artificialisation des sols, il est présidé par Philippe Billet, spécialiste reconnu en droit de l’urbanisme. Le groupe de travail sur les financements, en revanche, n’a toujours pas de président : après la conférence bancaire et financière, les relations entre les experts étaient tellement tendues que l’on n’a pas réussi à trouver une personnalité qui fasse consensus, sans doute parce que le sujet était plus nouveau. Pour le moment, c’est moi qui me retrouve à assumer ce rôle… J’espère bien que les choses vont s’apaiser et progresser.

Quelques mots rapides sur le contenu de nos avis. Nous sommes convaincus que l’artificialisation des sols est un sujet très important qui nécessite une panoplie d’instruments complète. Nous rencontrons souvent des problèmes sur les sujets que nous traitons. Lorsque les acteurs proches du monde écologique parlent d’artificialisation des sols, les gens pensent souvent que l’on ne veut plus construire. Il nous a fallu procéder à tout un travail de pédagogie pour faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’empêcher de construire mais de construire là où c’est nécessaire et en ayant mesuré les conséquences.

Notre avis est assez modeste puisqu’il se limite à demander que le thème de l’usage des sols soit présent dans les critères du code de l’urbanisme et à proposer de supprimer un certain nombre de dérogations à la taxe d’aménagement, que l’OCDE considère comme autant de subventions dommageables à l’environnement, en tout cas susceptibles d’inciter à l’artificialisation des sols plutôt qu’à la revitalisation des centres-villes par exemple.

S’agissant des produits phytosanitaires, nous avons énoncé un ensemble de lignes directrices qui seront utiles pour mettre au point le contenu des décrets qui seront pris en application de l’ordonnance. L’avis prend le temps d’expliquer quels sont les impacts de l’utilisation des produits phytosanitaires, en sortant des oppositions idéologiques. Il propose un certain nombre de lignes directrices en matière de pénalités ou de délivrance des certificats ; il souligne également la nécessité de poursuivre notre travail sur la redevance pollution. J’ajoute qu’il faut voir les CEPP comme une phase d’expérimentation : le dispositif est à l’évidence appelé à évoluer.

Pour ce qui est de la labellisation des fonds d’investissement verts, notre avis met l’accent sur la qualité de l’information. Si l’on veut que les investisseurs s’intéressent à la transition écologique et à l’investissement vert, il leur faut une information fiable sur le contenu des fonds verts. Mais il n’y aura pas de fonds vert sans label vert. S’ils admettent une certaine perte de rendement de leurs portefeuilles, ils doivent être convaincus qu’ils le font pour une bonne cause et que cette bonne cause est bien réelle.

Nous nous sommes demandé s’il fallait un label exigeant ou au contraire un label large ; en général, on a les deux types. En revanche, il y a des labels militants et d’autres plus généralistes : on le voit déjà dans l’alimentation et l’agriculture. Encore faut-il qu’ils soient crédibles et sérieux : un label n’a d’utilité que s’il permet de fabriquer un marché. S’il n’a aucun contenu, il ne servira à rien. Un label peut contenir beaucoup d’exigences, d’autres moins, mais dans un cas comme dans l’autre, il doit servir à structurer les marchés. Nous donnons des lignes directrices pour qu’ils puissent effectivement jouer ce rôle.

Pour la composante carbone, le parti pris a été de démarrer à un niveau bas par substitution en utilisant les instruments existants, puis de créer un instrument à vocation purement incitative et d’en augmenter progressivement le taux en relation avec la mesure des dommages. Dans le domaine de déchets également, l’avis du CFE a été un peu de même nature : nous souhaitons un étage incitatif pour faire évoluer le partage entre l’incitation et le recyclage.

C’est un peu la même chose s’agissant des produits phytosanitaires. Les redevances pollution servent essentiellement à financer les dépenses des agences de bassin ; peut-être faut-il envisager un étage plus incitatif pour modifier le comportement des agriculteurs sans que l’argent passe forcément par les agences de bassin.

En conclusion, nous avons beaucoup d’instruments en France, mais pas de composantes incitatives, sauf exceptions. Peut-être faut-il tirer les leçons de ce qui a été fait pour le carbone et l’appliquer là où il est nécessaire de développer des instruments incitatifs.

M. Jean-Yves Caullet. Quand on parle d’économie verte, se pose immédiatement la question de savoir s’il s’agit d’une notion absolue ou relative. Est-on « vert » ou « pas vert » ? Ou est-on plus « vert » en faisant comme ceci ou comme cela ?

Au cours de l’examen pour avis de la première partie du projet de loi de finances pour 2016, notre commission a étudié un certain nombre de propositions sur la fiscalité des carburants en fonction de leur origine, des matières premières, de leur cycle de vie. J’aimerais connaître votre analyse sur la meilleure manière de converger vers des solutions plus performantes au regard non d’un jugement binaire, – vert ou pas –, mais de l’origine des matières premières du produit en question, du caractère plus ou moins circulaire de la production dans laquelle on s’inscrit, de son aspect plus ou moins consommateur d’énergie, etc. De quels outils peut disposer le législateur pour orienter à la fois ces incitations fiscales ou budgétaires ? Quels moyens de lecture peut avoir une industrie pour adopter une démarche qui s’apparente à du work in progress plutôt qu’à du greenwashing ? Certaines grandes entreprises font des efforts remarquables de communication pour s’étiqueter « vert »…

M. Jean-Pierre Vigier. Vous avez participé à de nombreux rapports administratifs comme ceux de Marcel Boiteux sur les choix d’investissement dans les transports, dont l’objet est la prise en compte de l’environnement et de la sécurité. La façon dont on prend en compte les avantages et les nuisances dépend, vous l’avez dit, de l’état des connaissances, et celles-ci progressent en fonction de l’intérêt que la société accorde à l’environnement, à la santé et à la sécurité.

En cette année de COP21, la donnée environnementale prend une acuité encore plus particulière en France. Aujourd’hui, le transport de marchandises se fait beaucoup par route. D’où mon interrogation : la question d’un transport plus important par fret ferroviaire vous paraît-elle pertinente et surtout réalisable aujourd’hui au vu du triptyque coût-efficacité-respect de l’environnement ?

M. Bertrand Pancher. Monsieur Dominique Bureau, c’est avec beaucoup de plaisir que nous vous accueillons aujourd’hui. Je vous félicite pour votre engagement dans un poste qui n’est pas facile. Tout à l’heure, le président Jean-Paul Chanteguet a dit élégamment que Christian de Perthuis avait démissionné « pour raisons personnelles »… En réalité, il a bel et bien claqué la porte, écœuré par le manque d’ambition en matière de fiscalité écologique, peut-être du Gouvernement, mais surtout de Ségolène Royal.

Mme Martine Lignières-Cassou. Non !

M. Bertrand Pancher. C’est en tout cas ce qu’il a dit lui-même, et très clairement.

Vous êtes chargé d’une mission un peu compliquée qui consiste à remettre la fiscalité écologique dans la priorité de l’action gouvernementale. Nous soutenons le Comité pour l’économie verte sur cette stratégie.

Quels grands chantiers seront initiés pour renforcer la fiscalité écologique ? Nous considérons tous que c’est un élément stratégique pour modifier nos comportements. Cela dit, ce n’est pas la stratégie écologique qui fera tout ; encore faut-il que nos comportements changent naturellement, et c’est plus compliqué. La fiscalité permettra de réorienter le marché en commençant par la fiscalité carbone, qui est bien la pierre angulaire des stratégies environnementales.

Quelles peuvent être les priorités ? Plusieurs sujets sont en cours de discussion. On parle de la réforme de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Il est indiqué qu’elle pourrait être inscrite dans les réflexions à court terme et que deux options étaient en discussion : soit un élargissement de l’assiette de la contribution, soit l’utilisation d’une part de la contribution climat-énergie, le prix de la tonne de CO2 allant croissant à partir de 2017. Quelle est votre analyse sur ce sujet ?

Quelle est votre analyse sur les certificats d’économie d’énergie ? Parfois, on dit qu’il faut les abandonner, parfois qu’il faut les renforcer. J’avoue me poser des questions sur leur évolution. Demeurent-ils un moteur important de la fiscalité écologique ?

Vous avez raison, nous n’en sommes qu’au début de la finance verte. Il faut changer les comportements des consommateurs, des épargnants qui ont eux-mêmes les clés du succès de la finance verte, à condition de les éclairer à travers les labels, et notamment le label de la transition énergétique pour la finance imaginé lors de la conférence bancaire et financière de 2014. Vous avez souligné tout à l’heure qu’il s’agissait d’un bon axe. Y en a-t-il d’autres ?

On a complètement plombé le système des transports avec l’abandon de l’écotaxe, et aucun autre moyen n’a été trouvé pour développer les projets collectifs d’infrastructures. Lors d’une réunion précédente de notre commission, nous avons beaucoup soutenu l’augmentation du prix du gazole dont le produit serait injecté dans le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Le Gouvernement s’y est refusé, préférant augmenter le prix du gazole et diminuer dans le même temps d’un centime le prix de l’essence. Autant de priorités qui s’entrechoquent… Quelle est la bonne fiscalité pour soutenir la politique des transports ?

Quelle est la stratégie de demain en matière d’ETS ? Doit-on élargir le champ de l’ETS, en y incorporant notamment les transports ? J’observe que le bureau européen de l’environnement est assez réservé sur ce point. Comment réguler le transport sur le plan européen ?

M. François-Michel Lambert. L’économie circulaire ne peut plus se réduire à la seule question du traitement des déchets. Il faut repenser notre modèle au vu des ressources mobilisées, de l’intensification de leur usage pour en tirer une efficience maximale et les préserver pour les réinjecter. Toutefois, cette stratégie se heurte à des considérations fiscales inscrites dans notre histoire qui favorisent des modèles destructeurs et ne viennent pas aider à l’émergence de nouveaux modèles.

Des travaux sont en cours, comme celui de la Fondation 2019 sur la TVA circulaire. Corinne Lepage a rendu un rapport à Mme la ministre au début du mois de juin dans lequel elle aborde la question de cette fiscalité en proposant d’autres outils. Aujourd’hui même, à Bruxelles, le Club de Rome présente son analyse d’une mutation du modèle européen en s’appuyant sur cinq pays : la Suède, l’Espagne, le Royaume-Uni, la France et la Belgique. Il met en exergue l’importance de la fiscalité pour tirer le maximum de bénéfices d’une transition vers l’économie circulaire, capable de créer des emplois, de faire baisser les charges de la dette extérieure, d’augmenter le PIB et de réduire notablement les émissions de gaz à effet de serre. Bref, à chaque fois que l’on aborde ce sujet, on retombe sur la question de la fiscalité. Le titre IV de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte précise clairement que la France se dote d’une stratégie nationale de transition vers l’économie circulaire. Comment voyez-vous le rôle de la fiscalité par rapport à l’économie circulaire ?

La fiscalité écologique ne doit pas être abordée point par point – ici le diesel, là l’écotaxe – mais de façon globale. Quelle pourrait être notre stratégie de mutation pour arriver à cette fiscalité globale ?

Mme Marie Le Vern. Monsieur Dominique Bureau, j’ai été récemment interpellée par un chef d’entreprise de ma circonscription au sujet de la fiscalité des structures de traitement des déchets. Dans un avis de juillet 2014, le Comité pour la fiscalité écologique révélait que des mesures de relèvement du taux de TGAP combinées à des réfactions ciblées sur certaines technologies avaient largement incité nos structures de traitement des déchets à se moderniser et à devenir plus propres. Il notait ainsi que la quasi-totalité des installations de stockage sont désormais certifiées ISO 14001 et que la captation de biogaz a progressé significativement, réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Ce constat illustre le caractère incitatif que doit revêtir la fiscalité environnementale et la capacité des acteurs économiques à jouer le jeu du saut technologique.

Pensez-vous qu’il soit légitime de prévoir une nouvelle trajectoire de redressement du taux de TGAP pour les usines d’incinération des ordures ménagères afin de les inciter à effectuer un saut technologique vers la troisième génération et mieux respecter nos objectifs environnementaux ?

Un tel relèvement de la TGAP des usines d’incinération des ordures ménagères avec pour objectif, à plus ou moins court terme, de rattraper le taux des installations de stockage en mode bioréacteur n’aurait-il pas des vertus au regard du principe d’égalité entre les territoires, car les territoires ruraux sont plutôt tournés vers les installations de stockage de type bioréacteur taxées à 14 euros par tonne traitée, tandis que les territoires urbains privilégient l’incinération majoritairement taxée à 4,11 euros par tonne en 2015. Il en résulte un décalage dans la fiscalité, qui se répercute sur les entreprises selon qu’elles sont implantées en zone urbaine ou en zone rurale, alors que les performances environnementales de ces deux méthodes sont sensiblement les mêmes. Ces distinctions entraînent, à mon sens, une iniquité entre les territoires que subissent les collectivités et les entreprises implantées en milieu rural. Pensez-vous qu’il serait judicieux de corriger ce décalage ?

M. Charles-Ange Ginesy. Je souhaite vous interroger sur la nécessité d’une vision globale. On parle de transition énergétique, d’économie circulaire, du Grenelle de l’environnement, etc. J’ai cru comprendre que votre point de réflexion essentiel concernait la mise en place d’une fiscalité écologique.

S’il est nécessaire aujourd’hui d’avoir une fiscalité écologique, il faut être très prudent car la période est tendue. Il faut une vision globale pour pouvoir décider d’une action appropriée, qui permette de faire payer le pollueur tout en préservant un certain équilibre.

Dans la perspective de la COP21, il me semble important que nous soyons tous favorables à une taxation écologique mais il faut être prudent : le secteur artisanal est fragile. De grands progrès ont été accomplis par les chefs d’entreprise et les artisans dans la gestion des déchets, les conditions de production, le choix des matières premières, l’évolution des techniques. À ce jour, il existe plus de 200 décrets publiés ou en cours de publication relatifs à l’environnement. Là aussi, il faut être prudent, car un tel rythme peut mettre en difficulté bon nombre d’entreprises. Avez-vous des précisions à nous apporter sur cet aspect ?

J’ai senti, à travers votre intervention, qu’il était nécessaire d’informer, de communiquer. De quelle manière ?

M. Yannick Favennec. Monsieur Dominique Bureau, force est de constater que la fiscalité écologique n’est pas acceptée dans notre pays, ni par l’opinion publique, ni par la classe politique dans sa majorité, ni curieusement d’ailleurs par notre ministre de l’environnement… (Murmures)

Cette fiscalité pèse, c’est vrai, sur le budget des ménages. Ces taxes devraient s’élever à plus de 65 milliards d’euros en 2016, soit une hausse de 2 milliards en un an. Dans son rapport, notre collègue Valérie Rabault, estime que ces taxes représentent 8,7 milliards de plus qu’en 2012. Le prélèvement le plus important est de loin la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Mais la contribution au service public de l’électricité augmente également et elle devrait continuer à croître puisqu’une réforme est en cours d’arbitrage. Et la liste est encore longue : taxe d’enlèvement des ordures ménagères, taxe sur les installations nucléaires, taxe générale sur les activités polluantes, taxe sur les véhicules de société, redevance pour pollution de l’eau, taxe de solidarité sur les billets d’avion, etc. Pourtant, la fiscalité environnementale ne tient pas la place qui devrait être la sienne dans le système fiscal français car la façon dont elle a été progressivement mise en place traduit une logique de recherche de rendement fiscal bien plus que d’incitation à modifier les comportements de nos concitoyens. Qu’en pensez-vous ?

L’objectif étant de parvenir à la mise en place d’une fiscalité écologique cohérente et efficace, de réunir les conditions de son acceptation par les différents acteurs de la vie économique, comment, selon vous, faire accepter par les contribuables le principe et la mise en application de cette fiscalité écologique ?

M. Gilles Savary. Monsieur Dominique Bureau, je vous remercie pour votre exposé.

Je voudrais connaître votre appréciation en ce qui concerne la fiscalité sur les transports. Dans un livre blanc sur les transports, l’Union européenne fait le constat qu’après plus de vingt ans d’efforts de politiques de transfert modal, on en est pratiquement au même point qu’il y a vingt ou vingt-cinq ans : le transport par route reste ultra-dominant, et une très grande difficulté demeure à basculer les trafics de fret ou de passagers sur les transports ferroviaires ou des transports plus vertueux.

J’observe que l’on met en place le fonds carbone lié à la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) tout en prenant soin d’en exonérer la plupart des professionnels. En réalité, on a une fiscalité progressive mais elle comporte des atténuations pour les secteurs professionnels, ce qui peut se comprendre d’ailleurs puisque ces secteurs n’ont pas vraiment d’alternative immédiate.

Pensez-vous que la COP21 avance, sachant que des travaux sont engagés à l’échelle internationale sur ce sujet ? On a tenté de mettre en place l’ETS dans le secteur aérien en Europe, mais on se demande si l’on n’est pas en train de se tirer une balle dans le pied en créant, de façon unilatérale face à tous nos concurrents, une fiscalité qui pourrait handicaper notre secteur des transports… C’est un sujet cornélien qui suppose un minimum de négociations internationales. La directive Eurovignette est malheureusement d’application nationale et pas fédérale. On a vu ce que l’on en a fait avec l’écotaxe française… Voilà un sujet qui me laisse toujours perplexe. Je suis en effet partagé entre le maintien de la compétitivité de nos secteurs, et la nécessité d’être vertueux, tout en sachant que les émissions de CO2 sont infiniment plus importantes chez certains de nos pays concurrents.

Je ne sais pas si vous avez des réflexions particulières sur la fiscalité locale en vue d’inciter ou de peser sur le comportement des élus locaux. Tout à l’heure, vous avez parlé de la consommation immodérée d’espace. J’observe que cette fiscalité, qui a pourtant beaucoup changé ces dernières années, est quand même sortie indemne de toute réflexion sur son verdissement, fût-il progressif. C’est la même situation en ce qui concerne les dotations de l’État aux collectivités locales : il y a là des masses d’argent considérables qui en matière d’incitation peuvent être effectivement absolument décisives, mais il ne se passe rien. Et cela concerne beaucoup d’acteurs locaux.

Nous sommes en campagne pour les élections régionales. Certains présidents de conseils régionaux commencent à se demander s’ils ne pourraient pas exploiter des fonds carbone ou les certificats d’économie d’énergie pour que leur région dispose d’outils de politiques publiques. Le monde forestier, par exemple, souhaite vivement la mise en place de fonds carbone pour financer la forêt.

M. Guillaume Chevrollier. Rappelons que le Comité pour la fiscalité écologique a changé de nom à la suite de la démission de votre prédécesseur, qui a déclaré avoir été découragé par le manque d’ambition du Gouvernement en la matière… Il est vrai que depuis 2012, entre autres épisodes, nous avons connu le fiasco de l’écotaxe dans le contexte du ras-le-bol fiscal et la problématique de la fiscalité punitive. Et puisqu’il s’appelle désormais « Comité pour l’économie verte », je voudrais justement évoquer l’économie verte et l’agriculture.

Notre pays connaît une crise agricole grave, notamment dans le domaine de l’élevage. Afin de diversifier le revenu de nos agriculteurs – particulièrement les éleveurs – il serait intéressant de développer la méthanisation. Mais si nous avons beaucoup d’ambition en la matière, les réalisations sont rares en raison de nombreux blocages portant notamment sur l’acceptabilité des projets. Quel est votre avis sur la question, quels moyens envisagez-vous pour les lever ? Quelles sont vos réflexions sur la fiscalité incitative appliquée à la méthanisation ?

M. Stéphane Demilly. Monsieur Dominique Bureau, je rappelais ici même lors d’une précédente audition qu’au-delà de l’impulsion politique des chefs d’État et de gouvernement, seule une implication forte des citoyens, des chefs d’entreprise et des responsables associatifs et locaux permettra de vraiment réussir la transition énergétique.

À ce sujet, je souhaite parler du « signal prix » : le particulier ou l’industriel sera d’autant plus intéressé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre que ce sera économiquement intéressant pour lui. Vous parliez déjà de ce signal prix en 2009 lors d’une audition devant la commission des finances du Sénat.

Malheureusement, six ans après, chacun peut constater que nous n’avons pas beaucoup avancé. Dès que l’expression « fiscalité écologique » est mentionnée, celui qui l’a émise se voit confronter à une levée de boucliers avant même d’avoir eu le temps de la détailler. D’ailleurs, c’est peut-être l’une des raisons qui a entraîné le changement d’appellation du comité que vous présidez.

C’est pourtant l’une des solutions pour modifier massivement et durablement les comportements et les habitudes. Or il n’existe pas aujourd’hui une fiscalité écologique, mais plusieurs : taxe verte sur les appareils ménagers, taxe carbone, un centime de plus sur tel carburant et un de moins sur tel autre, un crédit d’impôt ici, une déduction fiscale là… Tout cela n’aboutit qu’à créer des niches sans constituer de stratégie globale, et donc sans modifier profondément et durablement notre économie et les habitudes de nos concitoyens.

Croyez-vous encore à un système fiscal global repensé entièrement sous le prisme du rapport entre développement économique et développement durable – autrement dit le signal prix ?

M. Gérard Menuel. Parmi les nombreux travaux réalisés au sein du Conseil économique pour le développement durable, vous avez produit une très intéressante synthèse sur la régulation des OGM et la compétitivité. C’est un des rares rapports, dans le domaine des OGM, à bien poser les problèmes environnementaux, agronomiques, sociaux et économiques, et surtout à le faire sans préjugés.

Vous appeliez à la mise en place d’un processus vertueux, prévoyant des conditions précises à remplir, une recherche organisée et permanente concernant les impacts, une gouvernance pour documenter les gains et les risques et une régulation des marchés agricoles assurant l’internationalisation des dommages à l’environnement.

Sur le seul point qui concerne la recherche organisée, considérez-vous que vos propositions ont été entendues ? Ne croyez-vous pas que dans de nombreux domaines, y compris celui de l’environnement, nous manquons d’expertise et de recherche préalable avant d’orienter des choix par la fiscalité ?

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur Dominique Bureau, votre exposé était très intéressant, mais il m’a paru légèrement technocratique. (Sourires) Je dis légèrement, mais à entendre les soupirs de mes collègues, c’était probablement plus ! (Murmures)

Votre lettre de mission vous donnait pour mission et cadre de travail l’appropriation citoyenne, parce que l’heure est non seulement à l’établissement d’un certain nombre de procédures, de labellisations ou de normalisations, mais aussi à faire en sorte que les citoyens comprennent les enjeux et s’impliquent.

Je ne vous ai pas entendu parler de l’articulation de vos propositions avec les différentes politiques régionales qui portent vraiment, elles, sur le concret de chacun des citoyens dans les territoires. Ni de ce que vous comptiez faire avec – ou à côté, ou sans – les pôles de compétitivité dédiés aux questions de développement durable. Je suis d’ailleurs allée sur votre site internet, les dernières évaluations des actions des pôles de compétitivité dédiés sont des appels à projet R & D qui datent de… 2011. J’espère, même s’il n’y a pas beaucoup d’évaluations des pôles, qu’il y a eu des appels à projet R & D en la matière depuis 2011, mais ils ne sont pas sur votre site.

Pas un mot non plus des agriculteurs ou de l’agriculture en général. Je pense pourtant qu’ils sont les premiers concernés par le sujet. Ce sont des citoyens comme les autres, qui sont vraiment à même de devenir des forces de proposition sur l’ensemble des sujets que vous avez à traiter.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous avons bien sûr beaucoup parlé de la nécessité de fixer un prix au carbone, et nous en parlons d’autant plus que nous approchons de la COP21.

En 2014, dans le cadre de la loi de finances, la France a mis en place une contribution climat-énergie, c’est-à-dire une base carbone dans la fiscalité sur les énergies fossiles. Vous connaissez l’évolution du prix de la tonne de carbone. La France n’est pas la seule au monde à avoir donné un prix au carbone : il y a des marchés, par exemple en Europe, en Chine – où se constituera peut-être en 2017 un vaste marché sur l’ensemble du territoire chinois – ainsi qu’aux États-Unis. Et d’autres taxes existent dans d’autres pays. À ce jour, autour de 15 % des émissions de gaz à effet de serre sont concernées soit par un marché de quotas de carbone, soit par une taxe. C’est une précision qui me semblait intéressante.

Nous avons beaucoup parlé de signal prix et de lisibilité. Depuis le vote de la première partie du projet de loi de finances, je suis complètement dans le brouillard en ce qui concerne la fiscalité sur l’essence… On augmente le prix de la tonne de carbone, passant de 14 à 22 euros, ce qui va se traduire par une augmentation de l’ordre de 2 centimes du prix de l’essence. Puis on décide en contrepartie de baisser d’un centime la fiscalité sur l’essence… J’avoue que j’ai du mal à m’y retrouver. Je croyais que l’essence émettait aussi du CO2 et d’autres polluants ; l’essence ne serait pas une énergie fossile ?… J’ai dû me tromper ! (Sourires)

Enfin, nous avons vous et moi rencontré – séparément – un chef d’entreprise qui a émis des idées tout à fait intéressantes : il propose de créer un titre CO2, une monnaie CO2. Les ménages qui réaliseraient des travaux d’isolation de leur logement, par exemple, bénéficieraient de crédits en monnaie CO2, avec lesquels ils pourraient payer leur impôt sur le revenu, mais aussi se les faire racheter, dans le cadre d’une compensation volontaire, par une entreprise ayant besoin de crédits carbone. Nous en avons déjà parlé avec Dominique Bureau, mais je voulais qu’il s’exprime publiquement cet après-midi sur cette proposition très intéressante émise par une entreprise bretonne.

M. Dominique Bureau, président du comité pour l’économie verte. Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à toutes les questions qui m’ont été posées… Certaines portent sur les travaux du comité, d’autres sollicitent parfois mon avis personnel ; je vous propose d’y répondre assez directement. On a dit que j’étais un technocrate ; je suis chargé d’essayer de faire en sorte que les dispositifs soient étudiés, sans doute vais-je un peu me cacher derrière cela ! Si nous voulons que les dispositifs d’éco-fiscalité soient acceptés par rapport aux critères de pouvoir d’achat, il faut à la fois donner des explications et des solutions techniques, et je me trouve plutôt du côté de ces dernières. Certaines questions sont encore ouvertes, et je ne donne pas un avis officiel du comité. Toutes celles que vous posez sont des sujets de travail pour le comité, et à part dans certains cas, la réponse ne se trouve pas dans les travaux du comité. Je veux juste préciser que si mes propos vont un peu plus loin que ce qui se trouve dans les travaux du comité, je le fais dans l’esprit de confiance qui est la règle du jeu d’une telle audition.

Beaucoup sont revenus sur le fait qu’il fallait une vision plus globale ; j’en suis d’accord, c’est pour nous un sujet de perturbations. L’OCDE est en train de faire un rapport sur les performances environnementales de la France, ses experts ont réalisé des auditions cet été, alors que la loi de transition énergétique venait de paraître. Qu’il s’agisse de ce qui est prévu par cette loi ou de ce qui a été réalisé sur un temps plus long, notamment sur les déchets ou l’essor du recyclage, ils ont été très surpris. On peut toujours trouver que la bouteille est à moitié vide ou à moitié pleine ; mais là, il s’agit bel et bien d’un regard extérieur – Porte de la Muette… – et ces gens se sont déclarés impressionnés par ce qui a été fait en si peu d’années. Ce qui est perturbant, c’est que cela s’est effectivement fait de manière parfois un peu chaotique.

Vous avez évoqué le travail du comité sur la composante carbone. J’ai essayé de faire en sorte que les économistes ne disent pas qu’il était nul de fixer un prix du carbone nul, et qu’ils reconnaissent que créer l’instrument était utile. Dans beaucoup de pays, y compris en Suède, la fiscalité environnementale a été introduite de manière très progressive, en commençant par des substitutions d’assiettes existantes. Ces expériences nous ont permis de constater que les effets ne sont que progressifs et qu’il faut commencer par créer les assiettes. Le bon impôt étant le vieil impôt, il faut rendre incitatifs les vieux impôts afin qu’ils soient mieux compris. Nous avons été surpris, car ce n’est pas ce que nous aurions suggéré au niveau théorique, mais nous avons ainsi appris que les questions de pouvoir d’achat et de compétitivité sont cruciales et doivent être regardées systématiquement.

Un élément est très important pour le comité pour l’économie verte, qui travaille surtout sur les euros et le financement ; il peut exister des situations dans lesquelles la création d’une incitation en vient à détruire un système de financement existant. Par exemple, les réseaux électriques étaient financés par ceux qui consommaient de l’électricité, donc des kilowattheures ; or, dans le prix du kilowattheure pour les ménages, une bonne moitié finance le réseau. Il n’y a pas de raison que ce soit le cas, mais c’est bien pratique : le kilowattheure est plus facile à taxer. De même, l’assainissement est financé par l’eau potable, parce qu’il est beaucoup plus facile de faire payer les gens pour l’eau potable que pour l’assainissement. Ou encore, pour les déchets, il était plus commode de se caler sur les coûts fixes de fonctionnement des usines d’incinération qui ont été financées à une époque.

Donc, à chaque fois que des politiques d’incitation sont mises en place parce qu’il est souhaitable de modifier les comportements sur le long terme, on peut être amené transitoirement à modifier des modèles de financement préexistants, dans des conditions qui ne sont pas forcément établies. Pour nous, technocratiquement, la question est de savoir comment gérer ces basculements. Il est important de savoir que l’instrument fiscal existant servait en fait à financer des coûts fixes d’équipements qui n’avaient pas vraiment de rapport, mais si l’on ne traite pas correctement le sujet, ce modèle de financement va s’écraser. Cette articulation avec la fiscalité existante est essentielle si nous voulons continuer à introduire la fiscalité écologique.

Madame Sophie Rohfritsch, il est vrai que notre cœur de cible, au sein du Comité pour l’économie verte, n’est pas à proprement parler le public, mais plutôt les parties prenantes plus constituées.

Mme Martine Lignières-Cassou. Qui compose votre comité ?

M. Dominique Bureau. C’est la même chose que le CNTE : une gouvernance à cinq plus un avec l’État, les syndicats, les ONG, les entreprises – y compris les entreprises agricoles – et les élus, y compris les parlementaires. Le comité s’est maintenant remis en route, il sera intéressant de voir comment il fonctionne…

Mme Sophie Rohfritsch. Il démarre comme un diesel…

Mme Martine Lignières-Cassou. Chut ! Pas de gros mots ! (Rires)

M. Dominique Bureau. C’est un aspect important. Ainsi, sur l’agriculture, le rôle du comité est notamment de construire une compréhension commune, entre la FNSEA et les ONG, sur des sujets conflictuels tels que celui des produits phytosanitaires, ce qui n’est pas évident.

Cela n’implique pas le grand public, et vous avez raison de dire qu’il faut faire des progrès sur ce point, mais le cœur de notre action porte sur les moments où des blocages vont apparaître sur les questions de pouvoir d’achat et de compétitivité. J’assume donc ce positionnement, mais vous avez raison : si l’acceptabilité du prix du carbone a progressé, c’est sans doute pour une part grâce à un travail pédagogique collectif, mais surtout à cause d’une véritable catastrophe : le retour du charbon dans la production d’électricité continentale. C’est en voyant fermer des centrales à gaz flambant neuves pour les remplacer par des centrales à charbon que les gens ont compris combien il était gênant de ne pas fixer un prix au carbone : sans cela, on a tout intérêt à émettre avec une technologie qui produit 0,8 tonne de CO2 par mégawattheure, mais moins chère qu’avec une centrale au gaz qui en produit 0,4 tonne. C’est là qu’on a pris conscience de l’importance du signal prix. Au bout du compte, les gens regardent ce qu’ils dépensent, et si les coûts sociaux ne sont pas intégrés au signal prix, ils n’en tiennent pas compte.

J’ai tout de même une vision plus optimiste que la vôtre. Une des questions récurrentes est l’utilisation qui doit être faite de l’argent. Certains m’ont interrogé sur des décisions concrètes : c’est un sujet particulièrement compliqué, car la question de l’utilisation de l’argent et de l’acceptabilité a une dimension d’opportunité politique, et les politiques sont donc les plus à même d’apprécier ce qui est acceptable. J’assume donc à nouveau non seulement d’être technocrate, mais en plus fonctionnaire !

Il faut faire comprendre au public que la fiscalité ne consiste pas, comme l’expliquait Colbert, « à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris »… La restructuration des taxes entre gazole et super est appelée depuis très longtemps, et il faut afficher que l’objectif n’est pas de s’en prendre au pouvoir d’achat. Je comprends donc les difficultés, il n’y a pas d’arbitrage optimal. Nous, économistes, préférerions que l’argent aille à la réforme fiscale générale, parce que nous avons des problèmes majeurs de niveau des prélèvements obligatoires en France. Pour faire vite : il vaut mieux taxer les pollutions que le travail, c’est en tout cas la doctrine des économistes purs et durs.

Cela étant, l’expérience prouve qu’il faut parfois traiter les sujets de compétitivité au cas par cas. Je cite toujours l’exemple des oxydes d’azote en Suède : ce pays a introduit de manière unilatérale, sur des industries soumises à de fortes contraintes de compétitivité, une taxe sur les oxydes d’azote à un niveau cent fois supérieur à la nôtre. C’est donc une taxe très incitative, calée sur les dommages. Mais pour que ce soit acceptable en termes de compétitivité, le gouvernement suédois a redistribué l’argent au prorata de l’activité des entreprises concernées. Ainsi, la compétitivité de l’industrie suédoise n’a pas été affectée, mais les bons élèves en Suède étaient favorisés, et les mauvais élèves pénalisés. On peut donc introduire des taxes de manière unilatérale.

Nous voyons d’autres expériences intéressantes. Sur l’ETS – Emissions Trading System – nous avons beaucoup de mal à progresser en Europe, et il n’est pas sûr que la market stability reserve ait réglé le problème ; en tout cas les gens n’en ont pas encore conscience. Mais d’autres innovations se font en Chine, ou dans le marché Québec-Californie. La ministre de l’écologie a annoncé qu’elle était partisane d’un prix plancher, ce qui serait sans doute le bon instrument pour un meilleur fonctionnement de l’ETS, qui permettra des anticipations plus lisibles. Ce sont des sujets foisonnants, qui évoluent. Nous avons pris du retard, mais des choses se sont passées et nous avons progressé par des voies diverses.

J’ai déjà répondu en partie sur l’appropriation citoyenne : ce n’était pas notre cœur de cible, mais c’est effectivement un enjeu.

Sur l’agriculture, le groupe qui travaille sur l’eau et la biodiversité siège avec les agriculteurs, et leur rôle est absolument central. Le problème est d’anticiper un modèle futur de l’agriculture en France. L’agriculture française vit une double crise compétitive et environnementale, le problème est d’arriver à sortir par le haut de ces deux crises, et pas d’opposer l’une à l’autre. Nous ne pourrons pas développer des paiements pour services environnementaux si les comportements ne sont pas satisfaisants sur les sujets de pollution. Il faut s’en sortir de manière cohérente.

Sur les sujets régulatoires évoqués par M. Gérard Menuel, nous sommes plutôt concernés par les instruments de fiscalité incitatifs. Les instruments portant sur la qualité de la norme sont plus du ressort de l’autre conseil que j’anime, qui travaille sur la simplification du droit de l’environnement, une meilleure participation du public, une meilleure élaboration, mais aussi une meilleure qualité de la norme par rapport à la compétitivité, et notamment à la sécurité juridique.

Cela me permet de rebondir sur la question de M. Stéphane Demilly à propos du besoin de visibilité : c’est clairement une question de signal prix. Le sujet n’est pas de déterminer le bon niveau initial de la taxe. Il faut créer de la lisibilité et de la sécurité dans la durée, afin que les gens aient vraiment conscience que le prix du carbone est fixé pour longtemps. C’est donc lui qui est structurant.

Les questions de Mme Marie Le Vern sur les déchets font écho à l’avis émis par le comité. Nous aurions souhaité qu’une nouvelle trajectoire soit tracée pour donner cette visibilité. C’est un bon exemple, nous avons fait au départ comme dans le cas des oxydes d’azote en Suède : lors de la phase initiale, les augmentations de TGAP ont intégralement été utilisées pour lancer le recyclage. Le Comité pour l’économie verte préconisait que ce dispositif évolue et que l’on ne continue pas à aider des gens qui en restent à une norme du passé. C’est l’illustration d’une démarche progressive : dans un premier temps, on ne taxe pas beaucoup et l’argent est entièrement réaffecté ; puis la taxe devient essentiellement incitative, et l’on se rapproche d’un fonctionnement de marché. Il faut continuer dans cette direction. Ceci étant, le titre IV de la loi sur la transition énergétique donne une base pour franchir une nouvelle étape. Le comité essaie d’intégrer les dispositions du texte pour voir ce qui peut être fait utilement maintenant, sans chercher à tout refaire.

Sur la question des déchets, le débat entre TEOM – taxe d’enlèvement des ordures ménagères – et REOM – redevance – est aussi un bon exemple de pragmatisme. Il y avait deux manières de financer les services locaux d’enlèvement des déchets : soit une taxe, qui relève d’une logique fiscale, soit une redevance, qui relève d’une logique d’établissement public d’opérateur. Pendant longtemps, on a systématiquement cherché à basculer de la TEOM vers la REOM, autrement dit de la logique de taxe vers la redevance. Mais cette façon de faire un peu dogmatique percutait de plein fouet le problème que j’ai évoqué du financement des coûts fixes, que nous avons du mal à traiter. Par ailleurs, les autorités locales n’avaient pas forcément envie d’opérer ce basculement. Finalement, le bon moyen d’incorporer l’incitation concernant les déchets ménagers a été de le faire soit dans la REOM, soit dans la TEOM mais en créant une part incitative dans la TEOM.

Cet exemple illustre l’idée que c’est en créant avec les instruments existants, de manière pragmatique, que l’on peut introduire la fiscalité écologique. Bien entendu, il ne faut pas faire n’importe quoi, de manière fragmentée, ou créer des ressources de poches truffées d’exemptions. Il faut que cela serve vraiment l’objectif. À cet égard, ce qui compte à propos de la composante carbone est que son assiette soit bien le carbone. Le bon instrument est créé, pas avec le bon taux, certes, mais il est créé et pourra ensuite progresser.

Il y a en permanence des sujets à réévaluer parce qu’ils changent. Le fonds chaleur ou le biogaz ont été évoqués, il y a des choses à regarder avec ces sujets. Notamment, la biomasse, qui est renouvelable, ne devrait pas être taxée sur le carbone au même niveau que ce qui ne l’est pas. Mais pour l’instant, on assure l’équilibre en mélangeant de la taxe et du crédit d’impôt. Il n’y a aucune chance pour que les deux évoluent de manière parallèle et se compensent ; autrement dit, si l’on n’y prend garde, nous aurons des problèmes pour réintroduire les bonnes incitations par rapport à la biomasse. Il faut encore perfectionner notre système.

J’ai par avance répondu à M. Charles-Ange Ginesy qui s’inquiète de la fragilité du tissu agricole. Nous sommes mobilisés pour trouver des solutions permettant de sortir par le haut de la double crise agricole, c’est ce que nous essayons de faire.

On a souligné la nécessité d’une vision globale. Nous sommes passés par une phase très pragmatique et très progressive, dominée par les questions d’utilisation de l’argent, d’acceptabilité, de compétitivité, de pouvoir d’achat et de financement. Ce qui complique la situation, c’est que nous devons travailler au cas par cas : le sujet des déchets et celui du CO2 ne sont pas identiques, et dans un certain cas on peut décider d’affecter totalement le produit des recettes – comme cela a été fait dans le cas des déchets – et de le faire très peu dans d’autres cas car il n’y a pas de légitimité à redistribuer de l’argent à des pollueurs, d’autant qu’ils peuvent s’adapter. En revanche, nous devrions arrêter une doctrine plus formalisée en la matière plutôt que de s’en remettre aux aléas d’une décision prise au moment du PLF : une ligne directrice et un cadrage seraient à l’évidence utiles. J’ai toujours plaidé pour que la LOLF prévoie un cadre pour l’utilisation des recettes de la fiscalité écologique, mais c’est un avis personnel.

Je n’ai pas encore parlé des transports. Je suis gêné pour en parler, car j’ai travaillé pendant quatre ans pour le régulateur ferroviaire. Je sais que certains pays font du report modal et le fret s’y développe ; nous devrions donc normalement y arriver nous aussi. Nous pourrions imaginer des instruments avec des certificats, mais il y a aussi un problème de compétitivité et d’envie… J’avais été surpris, lorsque je travaillais comme régulateur ferroviaire, par la capacité d’innovation des opérateurs ferroviaires de proximité qui ont essayé d’innover. Il y a là un problème de régulation qui est lié à ce que l’OCDE indique sur l’alignement des politiques : pour que les choses marchent, il faut que le secteur ferroviaire ait envie de faire du fret ferroviaire…

Le fret ferroviaire historique était calé sur la structure industrielle du charbon et de l’acier ; c’est ce qui explique son déclin. Mais aujourd’hui, nous avons à nouveau une structure économique qui a dans cette affaire une incidence déterminante, sinon excessive : la mondialisation. La quantité considérable de marchandises entraînée par l’évolution des structures industrielles du fait de la mondialisation fait que les marchandises arrivent ou partent des grands ports. Les nouveaux flux massifiés sortant des ports, c’est à partir de ces derniers que se développe le transport du fret. Nous pouvons contribuer à innover sur les instruments, certains pays comme la Suisse l’on fait, mais il existe aussi sans doute des problèmes de compétitivité du secteur.

Sur la fiscalité locale, ce que nous avons essayé de faire sur la taxe d’aménagement est un premier petit pas. Le moment est propice, les inondations ont permis de prendre conscience que la maîtrise de l’usage des sols est centrale pour la COP21, quels que soient les enjeux. Nous allons essayer de convaincre que ce n’est pas pour empêcher la construction, mais que nous devons concilier les usages.

Je pense avoir répondu à beaucoup des questions de M. Bertrand Pancher. Les certificats d’économie d’énergie devront faire l’objet d’évaluations ex post. Il s’agit de dispositifs expérimentaux ; la question se pose de savoir s’il faut en faire des instruments pérennes, ou s’ils doivent évoluer vers des instruments plus standards de fiscalité verte. Lorsque l’on a travaillé sur les fonds verts, j’ai été frappé d’observer dans beaucoup de pays comment les labels se transformaient souvent en réglementations, au risque de voir partir les projets dans tous les sens. Si l’on veut une politique un peu moderne, il faut être capable d’évaluer, d’expérimenter, et de transformer nos dispositifs. Je place donc clairement la catégorie des certificats d’économie d’énergie et tous ces dispositifs de certificats en général dans la case des instruments de transition appelés à évoluer.

S’agissant de la diversification des instruments, nous allons étudier le titre CO2 avec d’autres propositions d’innovations. Certaines suggèrent de faire des performance bonds, des obligations d’État dont les titulaires acceptent d’être moins rémunérés si l’État tient ses engagements en matière de réduction des émissions de CO2.

Le rapport Grandjean-Canfin contient des propositions sur le financement d’infrastructures, notamment sur la question des premières dettes. L’expression n’est pas très bien trouvée : il faudrait plutôt parler de dettes transitoires, car nous aimerions que ce soient les dernières… Mais il est vrai que les infrastructures à très longue maturité peuvent avoir un problème de fonds propres ou de capitalisation lorsque les montées en régime du trafic sont longues. Nous regardons systématiquement tous les instruments d’innovation pour chercher l’usage que nous pouvons en faire. Nous regarderons le titre CO2 dans ce cadre, tout en surveillant que les financements de la transition bâtiment se mettent en place.

Sur le transport de marchandises, j’ai répondu à MM. Jean-Pierre Vigier et Gilles Savary en même temps, puisque j’ai en fait pris des arguments de M. Vigier pour répondre à M. Savary…

En réponse à M. Jean-Yves Caullet, notre travail est de sortir des visions absolues sur le vert : le greenwashing contre ceux qui soutiennent que la finance ne sera jamais verte car son objet est de financer l’économie et que l’on n’y changera jamais rien. Quand on qualifie quelque chose de « vert », c’est toujours par rapport à un certain contexte. Il est plus facile de définir le vert lorsque l’on veut éviter un dommage : le vert, c’est ce qui ne fait pas de dommages. Il est plus difficile de qualifier positivement un investissement vert. Cela étant, le travail sur la finance verte permet de montrer que l’on ne peut pas définir un investissement vert de manière absolue, mais on peut le définir par rapport à ce que l’on veut faire : assurer le financement des énergies renouvelables, par exemple, ou autres choses. Ensuite, il est possible d’en débattre : selon que l’on est plus ou moins militant, on considérera que le gaz est une fausse manœuvre ou pas, mais ce sont des discussions d’opportunité. Mais le problème n’est pas de ne pas pouvoir définir le vert en soi.

En revanche, pour que ce soit utile, une fois que l’on a qualifié quelque chose de vert, il faut que ce soit pour financer ou inciter, il faut des conditions vérifiables. Le pragmatisme est donc sans doute plus important que les visions absolues.

J’ai essayé de répondre à toutes les questions, mais si ce n’est pas le cas, je suis prêt à revenir devant vous. Nous sommes en train de refaire nos programmes de travail et de voir comment nous allons continuer ; c’est un moment très sensible pour nous.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie pour l’ensemble de vos réponses.

*

Informations relatives à la commission

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La proposition de loi de MM. Bruno Le Roux, Gilles Savary et plusieurs de leurs collègues relative à la prévention et à la lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs a été renvoyée à notre commission. Étant donné que ce texte pourrait être inscrit à l’ordre du jour de la semaine du 23 au 26 novembre, je vous propose d’en désigner le rapporteur. J’ai reçu la candidature de M. Gilles Savary. (Approbation)

Le Gouvernement ayant déclenché hier la procédure accélérée, nous examinerons ce texte le mercredi 18 novembre au matin.

La Commission a nommé M. Gilles Savary rapporteur sur la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs (n° 3109).

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 20 octobre 2015 à 17 h 15

Présents. - M. Guy Bailliart, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Charles-Ange Ginesy, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilles Savary, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Jacques Cottel, M. Olivier Falorni, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Jacques Kossowski, Mme Viviane Le Dissez, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville