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Mercredi 20 janvier 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 28

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Examen du rapport d’information sur les continuités écologiques (Mme Françoise Dubois et M. Jean-Pierre Vigier, rapporteurs)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le rapport d’information de Mme Françoise Dubois et M. Jean-Pierre Vigier sur les continuités écologiques aquatiques.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. À la suite de la table ronde que nous avions organisée, à la demande de Jean-Pierre Vigier, le 25 novembre 2014 sur les poissons migrateurs, ce qui nous avait permis de mieux comprendre les réalités, les enjeux et les obstacles à leur migration, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a décidé de créer, le 21 janvier 2015, une mission d’information que nous avons élargie aux continuités écologiques aquatiques. Nous avons confié la rédaction d’un rapport à Mme Françoise Dubois pour le groupe socialiste, républicain et citoyen, et à M. Jean-Pierre Vigier pour le groupe Les Républicains. À la suite de leurs travaux au cours desquels ils ont auditionné une cinquantaine de personnes et effectué plusieurs déplacements en province, nos deux co-rapporteurs ont souhaité présenter leur analyse.

M. Jean-Pierre Vigier, co-rapporteur. Mesdames, messieurs, chers collègues, nous avons aujourd’hui le plaisir de vous présenter le rapport d’information relatif aux continuités écologiques aquatiques sur lequel nous avons travaillé, avec ma collègue Françoise Dubois, depuis le mois d’avril dernier.

Cette mission d’information constitue l’aboutissement d’un processus initié en novembre 2014 avec l’organisation, par notre commission, d’une table ronde consacrée aux poissons migrateurs. C’est à la suite de cette table ronde que le bureau de notre commission avait décidé de créer une mission d’information consacrée à la restauration des continuités écologiques aquatiques.

La conservation des poissons migrateurs est le garant d’un très bon état écologique des milieux aquatiques et, par conséquent, d’une bonne continuité écologique de nos cours d’eau.

Lors de cette mission, nous avons fait le choix d’aborder parallèlement la continuité écologique et la restauration des populations des poissons migrateurs. Nous allons aujourd’hui vous en présenter les principales orientations. Pour ma part, je vous présenterai les trois premières et ma collègue les trois dernières.

La première orientation vise à aménager en priorité les cours d’eau où sont présents des poissons migrateurs. Les poissons migrateurs sont les premières victimes de l’aménagement excessif de certains cours d’eau, comme le montre l’exemple du saumon de l’Allier, menacé d’extinction. Malgré les efforts déployés depuis les années quatre-vingt-dix, les populations n’ont pas pu être restaurées de manière durable. Nous proposons de rendre prioritaires les opérations d’aménagement ou d’effacement des obstacles à la continuité écologique sur les cours d’eau dans lesquels sont présents des migrateurs menacés de disparition.

Comme vous le savez, la révision du classement des cours d’eau a conduit à créer deux listes. Sur les cours d’eau classés en liste 1 est interdite la construction de nouveaux ouvrages dès lors qu’ils constituent des obstacles à la circulation piscicole et sédimentaire. Sur les cours d’eau classés en liste 2, des obligations plus fortes sont imposées aux propriétaires : les ouvrages doivent faire l’objet d’un aménagement dans un délai de cinq ans. Concrètement, cela signifie que des opérations de démantèlement, partiel ou total, peuvent être envisagées lorsqu’un ouvrage n’a pas d’usage économique avéré.

Au cours de nos travaux, nous avons constaté que les délais impartis pour réaliser les opérations d’aménagement ou d’effacement d’obstacles à la continuité écologique ne seront jamais tenus. Nous sommes donc face à une urgence, qui est non d’atteindre un objectif fixé par les autorités administratives françaises et européennes, mais d’éviter la disparition de certains grands migrateurs. C’est pourquoi nous proposons de créer un niveau de priorité supplémentaire dans le classement des cours d’eau : nous souhaitons que soit créée une liste de cours d’eau classés « grands migrateurs » sur lesquels le déploiement des opérations de restauration des continuités écologiques aquatiques serait prioritaire. Ce classement « grands migrateurs » devra être réservé à un nombre limité de cours d’eau qui présenteront a minima les trois caractéristiques suivantes.

Premièrement, les cours d’eau devront posséder une population de grands migrateurs menacés d’extinction : il s’agit de protéger celle qui est encore présente et en grave danger de disparition. Deuxièmement, le classement « grands migrateurs » supposera que les opérations d’aménagement envisagées soient indispensables à la survie des espèces que l’on souhaite protéger ; par exemple, ne créons plus de passes à poissons inopérantes. Troisièmement, ce classement ne pourra intervenir si les évolutions projetées indiquent que le cours d’eau deviendra impropre à la survie des espèces.

Nous proposons par ailleurs que les aménagements sur ces cours d’eau classés « grands migrateurs » soient entièrement pris en charge par des fonds publics : il faut nous donner les moyens de financer ces aménagements prioritaires.

Nous souhaitons également que la fiscalité sur ces travaux soit allégée – par exemple par une baisse de la TVA sur les travaux ou une exonération partielle ou totale des impôts fonciers.

Deuxièmement, force est de constater une carence dans la coordination de la gouvernance au niveau local.

Nous nous sommes aperçus, au cours de nos déplacements et auditions, que l’une des principales difficultés pour assurer la continuité écologique était l’absence de concertation entre les parties prenantes. Afin de favoriser la concertation, nous proposons de généraliser les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) à l’ensemble des cours d’eau. Ils permettent de garantir une coordination entre les nombreux plans et stratégies qui existent au niveau local comme national. Actuellement, les SAGE définissent les règlements et élaborent des documents de planification, mais ils n’assurent pas la maîtrise d’ouvrage des projets qui est réalisée par les collectivités, les syndicats mixtes, les propriétaires riverains ou des associations. Il nous paraît donc nécessaire d’avoir une structure locale porteuse de projets et maître d’ouvrage à l’échelle du sous-bassin versant. Cette structure serait en lien avec les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB).

Un maître d’ouvrage serait ainsi clairement identifié afin de coordonner concrètement l’action locale. Ce rôle pourrait être confié aux établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (EPAGE), créés par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 et qui constituent une nouvelle structure de gestion de l’eau à l’échelle des sous-bassins. Ces établissements ont une vocation directement opérationnelle de maître d’ouvrage d’études et de travaux. Nous ne proposons pas la création d’une nouvelle structure : l’EPAGE pourrait être porté par un groupement de collectivités déjà constitué en syndicat mixte par exemple. De plus, sur un bassin-versant, l’EPTB aurait vocation à coordonner et à faciliter la mise en œuvre des politiques de l’eau à l’échelle du bassin, son périmètre pouvant regrouper plusieurs EPAGE dont il assurerait la coordination.

Troisièmement, nous présentons quatre propositions destinées à renforcer la protection dont bénéficient les poissons migrateurs en France.

Nous souhaitons que les niveaux de qualité de l’eau au sein des cours d’eau classés « grands migrateurs » soient renforcés, notamment au niveau des frayères.

Nous proposons de renforcer les efforts de recherche dans deux secteurs : la compréhension des effets de l’anthropisation sur les poissons migrateurs, notamment en ce qui concerne le réchauffement des eaux ; l’amélioration de l’efficacité des aménagements de restauration de la continuité écologique, notamment des passes à poissons et des exutoires de dévalaison afin d’éviter que les ouvrages soient mal situés, inopérants et ne correspondent pas à la réalité.

Il est nécessaire de revoir la politique de gestion des prédateurs, en particulier les cormorans et surtout les silures. Ces poissons tendent à utiliser les passes à poissons comme des distributeurs de nourriture (Sourires) et contribuent donc chaque année à faire baisser le nombre de migrateurs. Nous proposons, d’une part, que des opérations de régulations ponctuelles soient autorisées et, d’autre part, que la réintroduction du silure dans les cours d’eau classés « grands migrateurs » soit tout simplement interdite.

Enfin, nous recommandons la mise en place d’une politique de gestion de la pêche - amateur et professionnelle – compatible avec la protection et la valorisation des populations de migrateurs.

Françoise Dubois va maintenant vous présenter les trois autres grandes orientations que nous avons identifiées.

Mme Françoise Dubois, co-rapporteure. Monsieur le président, mes chers collègues, à mon tour je me réjouis de pouvoir vous présenter ce rapport qui m’a appris beaucoup de choses.

La création de cette mission répondait à un véritable besoin – nous avons pu nous en rendre compte lors de nos déplacements et de l’audition de différents scientifiques. Le sujet des continuités écologiques aquatiques peine à pénétrer d’autres cercles que celui des spécialistes qu’il concerne directement. C’est pourquoi l’une des grandes orientations de nos propositions s’attache à améliorer la manière dont nous communiquons à ce sujet.

Il subsiste encore de nombreuses contrevérités qui empêchent les politiques de restauration des continuités écologiques aquatiques de s’imposer. Il est donc indispensable d’apprendre à mieux communiquer tout en coupant court aux idées très répandues selon lesquelles défendre les continuités écologiques aquatiques imposerait le démantèlement de tous les seuils, barrages et autres aménagements présents sur nos cours d’eau.

Une idée forte du rapport, à laquelle nous tenons beaucoup avec Jean-Pierre Vigier, c’est qu’il est possible de trouver un équilibre entre les différents usages de l’eau dont notre économie a besoin et la restauration des continuités écologiques aquatiques.

La priorité est de sensibiliser les élus locaux afin qu’ils puissent, en toute connaissance de cause, jouer le rôle de décideurs publics qui est le leur. Sur le terrain, ils entendent très souvent une chose et son contraire. Nous proposons donc que les agences de l’eau dispensent des formations qui leur seraient spécialement destinées, et au cours desquelles leur seraient présentés les enjeux en matière de qualité de l’eau et de protection de la biodiversité, les solutions possibles en cas de risque avéré ainsi que des exemples d’opérations menées dans leur circonscription ou à proximité afin qu’ils puissent, par la suite, bénéficier de l’expérience des personnes déjà confrontées à la question.

Il est également crucial que les citoyens comprennent l’intérêt qu’il peut y avoir à installer une passe à poissons ou une rivière de contournement, d’autant plus que les travaux sont généralement onéreux – j’y reviendrai plus loin.

Aussi recommandons-nous de diffuser une fiche pédagogique rappelant les retombées positives attendues chaque fois qu’une opération d’aménagement ou d’effacement est envisagée. Par la suite, des panneaux pourraient être installés aux abords de l’installation, qui présenteraient, par exemple, les résultats obtenus en matière de retour de certaines espèces autrefois menacées de disparition. Cela permettrait aux promeneurs, aux pêcheurs et à toutes les autres personnes amenées à fréquenter les abords d’un cours d’eau de comprendre le fonctionnement d’une installation et son intérêt pour la vie de la rivière – je sais, du fait de mon expérience d’enseignante, à quel point la pédagogie est indispensable, particulièrement dans ce domaine où les lacunes sont grandes. Enfin, je tiens tout particulièrement à développer une information en direction de nos jeunes, qui connaissent mal les enjeux liés à la politique de l’eau, à la préservation de sa qualité et à la protection de sa biodiversité. J’ai toujours considéré que les enfants étaient les meilleurs ambassadeurs auprès de leurs parents, ou des adultes en général, pour relayer les informations.

Lorsque nous nous sommes rendus dans la Sarthe, nous avons rencontré des associations qui mènent un travail formidable auprès des publics scolaires. Je suis convaincue qu’expliquer aux enfants, c’est garantir la pérennité d’une politique publique. Dans le rapport, nous nous prononçons donc en faveur d’un accroissement du soutien financier aux associations impliquées dans la sensibilisation des publics scolaires aux enjeux de la continuité écologique aquatique.

Ces trois propositions sont faciles à mettre en œuvre. Elles sont peu onéreuses et permettraient à la politique de restauration des continuités écologiques aquatiques de trouver à la fois une meilleure légitimité et une nouvelle dynamique.

J’en viens maintenant à la cinquième grande orientation que nous avons identifiée.

Au cours de nos travaux, nous avons constaté que les propriétaires d’ouvrages – petits barrages hydroélectriques ou moulins – méconnaissent les obligations qui leur incombent en matière d’entretien. Lorsque les services de l’Office national de l’eau et du milieu aquatique (ONEMA) les leur rappellent, ils avouent souvent leur ignorance. Nous nous sommes également aperçus que les notaires ne prévenaient pas, au moment de la vente d’un moulin, les futurs propriétaires des obligations qui allaient leur incomber en termes de restauration et de réparations. Aussi proposons-nous que les notaires informent obligatoirement les acheteurs potentiels des obligations d’entretien ou d’aménagement attachées à la propriété qu’ils convoitent.

Nous considérons également que ces obligations sont parfois trop lourdes pour pouvoir être gérées par des particuliers. Comme cela existe dans certains départements, nous encourageons les directions départementales des territoires (DDT) à mettre en place un service, au besoin payant, qui se chargerait d’entretenir les ouvrages en lieu et place des propriétaires. Ce sont des propositions de bon sens qui ne sont pas d’un coût excessif.

J’en viens enfin à la dernière grande orientation.

Nous avons constaté que la France avait pris un certain retard dans les travaux de restauration des continuités écologiques aquatiques. Ce retard explique, au moins en partie, que l’objectif de disposer de 66 % des masses d’eau en bon état à l’horizon 2015 n’ait pu être tenu. Notre retard ne pourra être comblé qu’à condition que nous nous donnions les moyens de réaliser des travaux d’aménagement sur nos cours d’eau, car la restauration des continuités aquatiques constitue un élément déterminant pour retrouver un bon état des eaux.

Pour que ces travaux soient réalisés, il faudrait qu’ils puissent être planifiés, autrement dit que l’on dispose d’une estimation fiable de leur coût. Or, nous avons été surpris de découvrir qu’il y avait très peu d’informations à ce sujet. La nature des travaux à réaliser et les contraintes propres à chaque lieu font que les coûts sont très variables. Toutefois, nous pensons que cette information doit être disponible afin que les propriétaires d’ouvrages, les élus locaux et les collectivités puissent se faire une idée de l’effort à consentir.

Nous plaidons donc pour la constitution d’une base de données gérée par les agences de l’eau recensant, pour chaque bassin hydrographique, les opérations réalisées, les dépenses qu’elles ont occasionnées et la manière dont les travaux ont été financés. Outre son caractère informatif, cette base permettrait de favoriser le partage d’expériences.

Nous nous félicitons que les participations financières apportées par les agences de l’eau aux opérations de rétablissement des continuités écologiques permettent, dans certains cas, un financement intégral des travaux. Cependant, au vu des efforts qui devront être réalisés pour atteindre le bon état écologique des eaux, nous ne savons pas si de tels niveaux de financement pourront être maintenus. Nous souhaiterions donc qu’une estimation globale du coût des travaux à réaliser au sein de chaque bassin hydrographique soit effectuée. Cet état des lieux permettrait aux agences de l’eau de mieux planifier leurs investissements sur le moyen terme et d’accorder les financements nécessaires aux cours d’eau jugés prioritaires.

Enfin, nous sommes inquiets de l’évolution du régime européen des aides à l’industrie qui pourrait interdire aux agences de l’eau de financer à plus de 55 % les travaux d’aménagement réalisés sur des centrales hydroélectriques. Une telle évolution de la réglementation porterait un coup d’arrêt à la politique de restauration des continuités écologiques aquatiques. La direction de l’eau et de la biodiversité, avec laquelle nous avons eu des contacts réguliers, nous a indiqué que la question n’avait pas encore été tranchée. Bien évidemment, nous resterons attentifs aux suites de cette affaire.

Mme Geneviève Gaillard. Je tiens à remercier les deux rapporteurs pour ce rapport très intéressant et qui permet de clarifier bon nombre de choses.

On s’aperçoit dans nos circonscriptions, dans nos départements et nos régions que l’acceptation sociétale pose problème dans la mesure où les personnes qui possèdent ou non un ouvrage sont souvent ignorantes : bien des gens s’imaginent avoir raison parce qu’ils vivent là depuis longtemps et qu’ils ont toujours connu ces ouvrages. On sait pourtant les conséquences négatives qui en résultent sur la biodiversité, qu’il y ait des migrateurs ou non. Dans les Deux-Sèvres, par exemple, nous avons un cours d’eau qui possède un nombre incroyable d’ouvrages : les poissons-chats y prolifèrent et interdisent toute régénération de la biodiversité. Vous proposez, à juste titre, de procéder par étapes et de prévoir une programmation dans le temps. Dans certains cas, il faut effacer les ouvrages ; dans d’autres il faut probablement les améliorer et les maintenir en bon état, ce qui n’est pas toujours le cas.

Vous m’avez auditionnée en tant que présidente du Comité national trame verte et bleue, et je vous en remercie. Comme son nom l’indique, cet outil est chargé des continuités écologiques, mais également des continuités écologiques aquatiques. Les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) intègrent la trame verte et bleue dans la planification.

Comment comptez-vous impliquer les régions qui ont un rôle fondamental d’information, de mise en place de ces trames bleues ? Demain, je l’espère, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, en discussion au Sénat, créera le Comité national de la biodiversité qui remplacera le Comité national trame verte et bleue, et l’Agence française de la biodiversité. Quel rôle cette agence pourrait-elle jouer pour résoudre ces problèmes ? Tout à l’heure, vous avez indiqué que les agences de l’eau pourraient intervenir. Ne faut-il pas inventer quelque chose ?

Enfin, il va falloir avancer dans le domaine de la fiscalité. Les ouvrages n’ayant pas été entretenus, il faudra dépenser des sommes énormes pour les rénover. Il serait bon que la fiscalité puisse aider les propriétaires de ces ouvrages et leur apporte des solutions.

M. Christophe Priou. Je tiens à remercier nos deux collègues pour le travail qu’ils ont réalisé. Les missions d’information sont particulièrement utiles en ce qu’elles permettent de nourrir la réflexion du législateur.

Il faut parvenir à une juste adéquation entre tous les acteurs locaux – élus, associations, professionnels – et lutter contre l’empilement des lois : lutte contre l’étalement urbain dans la réforme des plans locaux d’urbanisme, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, et la continuité juridique. Le Conseil d’État a annulé un certain nombre de dispositions, notamment les demandes d’autorisation pour les projets de nouvel ouvrage sur un cours d’eau. Désormais, on voit se former des recours un peu partout et il arrive que les plaignants obtiennent gain de cause.

Ce matin, avait lieu une réunion sur la stratégie du Conservatoire du littoral jusqu’en 2050. D’ici là, 60 % de la population française habitera le littoral ; si l’on intègre les fleuves et les rivières, on atteint 80-90 %. Ne faudrait-il pas s’inspirer de ce qui existe au Conservatoire du littoral et l’appliquer aux rives des fleuves et les rivières ? Je pense, par exemple, à la taxe d’aménagement. Mme Geneviève Gaillard a évoqué les outils fiscaux avec le recours à la défiscalisation pour les gens qui possèdent des ouvrages vieux de plusieurs siècles. Enfin, la dation pourrait aider les transferts de propriété.

Nous avons souvent été saisis dans nos permanences des seuils des moulins comme élément du patrimoine ou des étangs qui parfois datent de plusieurs siècles. Que proposez-vous en la matière ?

Vous avez parlé de la lutte contre les espèces invasives – poissons-chats et silures. Mais le plus gros danger se situe au niveau végétal, avec la jussie et le myriophylle du Brésil par exemple. Or on trouve peu d’acteurs capables de mettre la main dans la pâte et de lutter contre ces espèces invasives. Il faudrait trouver des solutions et sans doute des financements.

La pêche professionnelle est devenue, hélas ! anecdotique, contrairement à la pêche de loisir qui connaît un bel essor. La pisciculture française, qui représente un fort potentiel européen, a malheureusement tendance à émigrer vers l’Europe de l’est en raison des incohérences administratives françaises : par exemple, les services de l’État n’ont pas la même interprétation des différentes lois sur l’eau d’un département à l’autre.

Autant de questions que l’on nous pose dans nos circonscriptions. Je sais que vous aurez à cœur de les traiter. Votre rapport aborde un certain nombre de sujets qui sont le fruit d’un dur labeur qui vous a conduit dans nombre de départements français.

M. Stéphane Demilly. Je tiens à remercier nos deux collègues pour leur rapport d’information et souligner l’effort qu’ils ont réalisé pour apporter des éléments chiffrés sur le coût et la restauration des continuités écologiques aquatiques. La question financière est en effet souvent capitale dans la prise de décision. Nous disposons enfin d’ordres de grandeur ainsi que des exemples intéressants de projets d’aménagement réalisés ou à réaliser.

J’aimerais avoir quelques éléments complémentaires sur l’implication des collectivités locales. Vous soulignez, en effet, le manque de sensibilisation des acteurs locaux ainsi qu’un manque de coordination. Vous proposez par ailleurs de généraliser la constitution des EPAGE qui travailleraient en lien plus étroit avec les établissements publics territoriaux de bassin.

Ma première question est double. Comment insérez-vous ces propositions dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ? La généralisation des EPAGE ne va-t-elle pas en sens inverse de la simplification visée par ces dernières réformes territoriales ?

L’aménagement du territoire est une compétence renforcée des régions, avec notamment l’élaboration d’un schéma régional d’aménagement et de développement durable et d’égalité des territoires qui fixera les objectifs de moyen et long terme sur le territoire de la région, notamment en termes d’intermodalité et de développement des transports, y compris fluviaux, de lutte contre les changements climatiques, mais aussi de protection et de restauration de la biodiversité. Les régions se voient également confier la gestion des ports. Autant de compétences qui intéressent directement la question des continuités écologiques aquatiques et qui doivent faire des régions des interlocuteurs privilégiés sur ce sujet. De leur côté, les communautés de communes se verront reconnaître d’ici à 2018 la responsabilité de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI). Les questions de gouvernance mais aussi de financement se posent donc très clairement.

J’aimerais également connaître votre avis sur la création de l’Agence française pour la biodiversité prévue par le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adopté en première lecture le 24 mars 2015 et dont nous avons auditionné les préfigurateurs ici même il y a quelques semaines. En regroupant l’Agence des aires marines protégées, l’atelier technique des espaces naturels, la Fédération nationale des parcs nationaux et l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’Agence française pour la biodiversité devrait se voir dotée d’une véritable force de frappe de plus de 1 200 agents et d’un budget de 226 millions d’euros, soit 60 millions d’euros supplémentaires au titre des investissements d’avenir. L’ONEMA avec lequel vous avez travaillé pour la préparation de ce rapport serait donc en quelque sorte absorbé dans cette agence. Comment percevez-vous cette évolution ?

À la page 53 du rapport, vous suggérez une évaluation, bassin par bassin, des effectifs de l’ONEMA et des directions départementales des territoires afin de s’assurer qu’ils sont suffisants et effectuer, le cas échéant, un recrutement complémentaire. Je crains que cette suggestion ne soit à contre-courant de la volonté de mettre en place cette fameuse Agence française pour la biodiversité.

Vous soulignez l’existence de retombées économiques suite à la restauration des continuités écologiques aquatiques, en précisant que « les avantages écologiques tirés de la restauration des continuités écologiques s’accompagnent parfois d’autres bénéfices dont les collectivités et les riverains peuvent tirer profit ». Il s’agit certainement du tourisme, des loisirs, de l’agriculture. Qu’il y ait un intérêt économique à adopter une démarche environnementale vertueuse, c’est une idée que nous développons les uns et les autres en tant qu’élus locaux. Ce point mériterait d’être mis en avant, ce qui permettrait, de toute évidence, de relativiser le caractère particulièrement onéreux des aménagements de restauration des continuités écologiques.

Enfin, j’ai cru comprendre, en regardant la carte qui figure à la page 12 de votre rapport, que la truite se portait bien dans le plus beau département de France : la Somme… (Sourires). C’est là une bonne nouvelle que vous m’apportez et je tenais à vous en remercier.

M. Jacques Krabal. À mon tour, je tiens à remercier nos deux rapporteurs pour ce rapport qui ne coulait pas de source (Sourires). Dans nos territoires, on parle des schémas de cohérence territoriale (SCOT), de trame verte et bleue, de corridor écologique, mais rarement des continuités écologiques aquatiques derrière lesquelles se cachent de lourds enjeux en matière de biodiversité et de qualité de l’eau.

Vous avez rappelé la réglementation actuelle et la liste du classement des cours d’eau. Aussi, je n’y reviendrai pas.

Vous l’avez dit, la France est très en retard en matière de continuité écologique. L’arrêté signé en décembre 2012 prévoyait que l’intégralité des ouvrages présents dans les cours d’eau figurant sur la liste 2 devrait répondre aux exigences de la continuité écologique avant décembre 2017 ; nous en sommes bien loin. Comment votre recommandation n° 1, qui vise à créer un niveau supplémentaire de priorité, permettrait-elle de résorber, ne serait-ce qu’en partie, ce retard ?

Comment comptez-vous établir la liste des grands migrateurs ?

Enfin, quel calendrier préconisez-vous ?

Si des projets voient le jour, il manque encore une réelle volonté des services de police de l’eau pour faire appliquer cette réglementation. Ce manque d’implication des services de l’État se retrouve aussi avec la problématique des ouvrages Grenelle qui devaient prioriser le rétablissement de la continuité écologique sur un certain nombre d’ouvrages prioritaires dans chaque département. Dans l’Aisne, cela devait concerner dix-sept ouvrages ; trois seulement ont été aménagés.

Votre orientation n° 2 vise à coordonner la gouvernance locale. Je vous souhaite bon courage… Il est effectivement temps de clarifier les choses. Une seule chose me gêne : vous avez cité de nombreuses organisations, mais on aurait tort d’oublier dans nos territoires les associations de pêcheurs. Dans notre département, la Fédération de l’Aisne pour la pêche et la protection des milieux aquatiques fait partie des maîtres d’ouvrage les plus impliqués dans le rétablissement des continuités écologiques. Elle lance des travaux assez conséquents – en particulier dans une ancienne pisciculture, un petit moulin situé dans ma circonscription.

Vos recommandations nos 4 et 5 insistent sur l’aspect pédagogique, sur la manière de garantir un meilleur accompagnement des propriétaires d’ouvrages dans cette démarche. Quelles solutions préconisez-vous ?

Il faut accélérer la restauration de la continuité écologique. Si nous voulons proclamer, comme l’écrivait Jean de La Fontaine dans la fable Le poisson et le pêcheur, que « Petit poisson deviendra grand »,

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pas là où il y a des silures ! (Sourires)

M. Jacques Krabal. Il nous faut agir sans tarder. J’espère que votre rapport y contribuera.

M. Patrice Carvalho. Au sein de la production hydroélectrique, la France compte un peu plus de 2 000 petites centrales représentant environ 10 % de la production nationale de cette énergie renouvelable, ce qui n’est pas négligeable. Or cette activité subit aujourd’hui l’impact de l’application du principe de continuité écologique tel qu’il est défini dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques promulguée en 2006, dans le prolongement de la directive-cadre européenne sur l’eau.

Ainsi la France a-t-elle classé une grande partie de ses cours d’eau sur la liste 2 prévue par l’article L. 214-17 du code de l’environnement au titre des continuités écologiques, lequel prévoit que les ouvrages situés sur les cours d’eau doivent être gérés, entretenus et équipés afin d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Selon ce classement, 10 000 à 20 000 seuils et barrages sont actuellement concernés par ce mode de gestion, qui implique soit une obligation d’équipement par des dispositifs de franchissement, très onéreux pour les propriétaires ou les exploitants, soit leur destruction. Compte tenu de ce coût substantiel, le scénario le plus probable est celui de la destruction, laquelle ne correspond cependant pas à un choix délibéré du propriétaire de l’ouvrage. Cette destruction représentera d’ailleurs elle-même un coût non négligeable qui sera supporté en majeure partie par la collectivité publique.

Le principe de continuité écologique répond à des impératifs environnementaux essentiels, mais son application trop rigide, telle que fixée par la loi sur l’eau et sur des bases hydromorphologiques contestables – Mme la ministre vient d’ailleurs d’adresser un courrier à l’ONEMA lui demandant de mettre la « pédale douce » pendant six mois –, risque d’avoir plusieurs conséquences préoccupantes pour notre territoire : perte d’une partie de notre potentiel hydroélectrique, perte de la fonction de réserve des masses d’eau, destruction d’un patrimoine hydraulique au détriment de l’intérêt paysager, économique, touristique et fiscal des territoires ruraux.

J’ai saisi, à plusieurs reprises, Mme Ségolène Royal sur ce sujet et j’en ai parlé à plusieurs reprises à la commission. Du reste, je n’ai pas été le seul, d’autres parlementaires, des élus locaux, des propriétaires privés concernés ont entrepris la même démarche. Cela n’a pas été sans effet, puisque Mme la ministre a adressé une lettre aux préfets leur demandant de ne pas concentrer leurs efforts là où il y avait des blocages et elle a demandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de faire un état des lieux et une analyse des sites conflictuels. Pour ma part, j’ai proposé la constitution d’une commission de travail ouverte à l’ensemble des parties prenantes pour définir les conditions d’une mise en œuvre plus équilibrée de la continuité écologique. Je souhaiterais connaître votre avis.

De même, j’aimerais avoir votre sentiment sur un problème dont on parle peu. En France, sitôt que quatre gouttes tombent sur nos plaines, nos champs et dans nos forêts, l’eau ne pénètre pas à cause d’un damage régulier des sols et file directement à la mer. Une des particularités des différents barrages qui existent sur les petites rivières est de permettre à l’eau, en faisant remonter le niveau de quelques dizaines de centimètres, de retourner, par capillarité, dans les nappes phréatiques où elle ne peut plus pénétrer par d’autres endroits. Pour faible qu’elle soit, cette compensation existe. Si l’on baisse les niveaux, l’eau pénétrera moins dans la terre et alimentera moins la nappe phréatique. Envoyer de l’eau dans les nappes phréatiques participe aussi à la continuité écologique et est une source de vie.

Avez-vous pu vérifier sur place que la continuité écologique s’arrêtait dans des endroits bizarres ? J’aurais souhaité vous emmener dans des lieux bien précis ; vous auriez eu alors une autre vision des choses. En remontant certaines rivières, par exemple, on trouve une multitude de petits barrages privés puis, tout à coup, un barrage EDF. Et comme par hasard, c’est évidemment là que la continuité écologique s’arrête net ! Voilà une méthode quelque peu machiavélique de gérer la continuité écologique, car la rivière remonte plus loin et les poissons aimeraient bien pouvoir aller plus haut pour pondre et se reproduire.

Enfin, les agents de l’ONEMA se comportent plus souvent comme des gendarmes prêts à la répression et à la sanction – je l’ai vérifié personnellement, à tel point qu’il m’est arrivé de tenir devant la ministre des mots un peu durs à leur endroit. Or ce n’est pas ce qu’on lui demande. Si l’on veut un vrai débat entre ceux qui s’occupent des petits moulins et l’ONEMA, peut-être devrait-il changer d’attitude.

M. Jacques Kossowski. Je tiens à féliciter nos deux rapporteurs pour leur rapport.

Au mois de décembre dernier, le Conseil d’État a annulé certaines dispositions de la circulaire du 18 janvier 2013 relative au classement des cours d’eau. Rappelons que ce classement a pour vocation de préserver ou de restaurer la continuité écologique des cours d’eau, conformément à la directive-cadre sur l’eau et sa transposition en droit français par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006.

À la suite de la décision du Conseil d’État, il ressort que les services de l’État ne pourront pas refuser l’instruction de tout nouvel ouvrage sur les cours d’eau classés en liste 1 au prétexte que celui-ci constituerait obligatoirement un obstacle à la continuité écologique. Chaque demande devra être étudiée au cas par cas afin de voir si elle est respectueuse de la continuité écologique.

Par ailleurs, le Conseil d’État a considéré que « la reconstruction d’un ouvrage fondé en titre dont le droit d’usage s’est perdu du fait de sa ruine ou de son changement d’affectation ne peut légalement être regardée comme faisant par nature obstacle à la continuité écologique et comme justifiant le refus de l’autorisation sollicité ». Là aussi, l’administration devra étudier le fond de la demande.

Ne croyez-vous pas que cette lecture juridique du Conseil d’État n’affaiblisse quelque peu le concept de continuité écologique ? Ne va-t-on pas assister à une inflation de contentieux juridiques autour de ce concept ? J’aimerais connaître votre point de vue sur les conséquences de cette décision du Conseil d’État.

M. Christophe Bouillon. Je tiens à féliciter nos deux rapporteurs pour ce travail tout à la fois inspiré et bien documenté.

Vous avez cité quatre facteurs de discontinuité écologique : l’hydroélectricité, le transport, les loisirs aquatiques et l’agriculture. S’agissant des deux premiers, comment concilier à la fois la continuité écologique et l’essor attendu de la production de petite électricité ? On voit se développer le tourisme fluvial. Comment comptez-vous faire vivre ensemble différents objectifs ?

L’ONEMA a recensé 76 000 ouvrages présentant des défauts d’entretien. Vous proposez que soit évalué le coût nécessaire d’aménagement. Mais qui paiera ?

S’agissant de la directive européenne, où en est la France en ce qui concerne le bon état écologique de ses cours d’eau ? Avez-vous obtenu des réponses ?

Enfin, les sociétés de pêche sont déjà pleinement investies dans les plans d’aménagement. Par ailleurs, elles jouent un rôle de sensibilisation, notamment auprès des plus jeunes comme vous l’appelez de vos vœux. Comment comptez-vous les mobiliser ?

M. Yannick Favennec. À mon tour, je félicite nos deux rapporteurs. Si la restauration des continuités écologiques aquatiques est nécessaire au bon état écologique des eaux, le classement des cours d’eau a des conséquences sur leur entretien. Le classement sur la liste 2 oblige notamment les propriétaires d’ouvrages à mettre en place des aménagements.

J’ai été interpellé par le syndicat des propriétaires forestiers sur les cartographies des cours d’eau en cours d’élaboration par les DDT. Ils déplorent que les premiers tracés établis laissent apparaître des dysfonctionnements importants, tant dans l’approche de la notion de continuité écologique que dans l’exécution des travaux de l’administration sur le terrain. Les forestiers constatent, en effet, que de simples fossés sont désormais classés en cours d’eau. Ils m’ont indiqué que les erreurs décelées dans ces cartographies provenaient d’une définition de la notion de cours d’eau qui excède largement les exigences européennes. En multipliant les cours d’eau classés, la DDT semble elle-même être dépassée par les travaux d’analyse qu’elle ne peut réaliser correctement par manque d’effectifs. Les forestiers réclament un moratoire qui permettrait d’arrêter provisoirement ces cartographies, afin d’établir avec justesse les règles de classement dans un esprit de concertation. Comment pensez-vous que ce problème puisse se résoudre ? Comment mettre en place des actions adaptées aux réalités du terrain et acceptées par les propriétaires d’ouvrages ?

M. Jean-Marie Sermier. Naturellement, je me joins aux félicitations de l’ensemble de mes collègues sur le rapport de Mme Dubois et M. Vigier qui ont réalisé un travail intéressant et bien détaillé.

Il est important de maintenir les populations des poissons migrateurs, comme nous l’avons précisé lors de l’examen, en première lecture, du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Cette réflexion parfaitement légitime est issue du Grenelle de l’environnement.

Il est nécessaire d’accompagner ce mouvement avec les propriétaires de barrages, notamment les petites centrales hydroélectriques. Les grosses centrales sur les barrages qui gagnent de l’argent ont déjà été réalisées. Dans les rivières de plaine, il va falloir, soit détruire, soit rénover les ouvrages qui représentent en fait l’histoire de nos régions. Leur rénovation peut permettre de produire de l’électricité, mais en trop petite quantité du fait de la hauteur de la chute d’eau, relativement modeste. Du coup, leur niveau de rentabilité sera extrêmement faible.

Plutôt que de s’acharner sur les propriétaires de ces ouvrages, il me semble extrêmement important, comme vous le préconisez, de mener des actions de formation et surtout de dialoguer avec les propriétaires, voire de les aider pour que les moulins, qui sont l’histoire de nos régions, puissent à la fois être conservés dans le patrimoine, produire de l’électricité, développer la continuité écologique et maintenir les espèces de poissons.

M. Jean-Louis Bricout. Je tiens moi aussi à féliciter nos deux collègues pour la qualité de leur intervention.

Vous avez parlé du classement « grands migrateurs ». Comment cela va-t-il se passer concrètement ? Sur la base de quelle étude, de quels critères ? Qui pilotera la démarche, qui la validera ? Quel sera le rôle des acteurs locaux dans ce domaine ?

M. Guillaume Chevrollier. Je remercie nos deux rapporteurs pour le travail qu’ils ont réalisé.

Votre rapport met en avant la nécessité de sensibiliser les élus et les citoyens sur la restauration des continuités écologiques aquatiques et de privilégier les cours d’eau « grands migrateurs ». Vous soulignez aussi l’importance du dialogue à engager avec les riverains et les propriétaires d’ouvrages. Or je viens d’être saisi par des associations de mon département, la Mayenne, qui se plaignent justement de ce manque de dialogue et des contraintes que l’on cherche à leur imposer. Il semble que l’Agence de l’eau Loire-Bretagne ait des exigences qui dépassent notablement celles préconisées par les différents textes comme la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 et la loi Grenelle I créant la trame bleue. Les riverains et les propriétaires contestent cette volonté d’araser les seuils de nos rivières, ce qui aurait des conséquences touristiques, économiques, patrimoniales, agricoles et piscicoles irréversibles. Il semblerait par ailleurs que les opérations de cartographie soient effectuées sans concertation aucune. De plus, le coût des travaux et l’entretien demandé sont loin d’être négligeables, comme vous le soulignez dans le rapport. Ils demandent donc un moratoire sur les destructions de barrages.

Vous avez ouvert une piste en évoquant la possibilité pour les DDT de proposer un service d’entretien des ouvrages en lieu et place des propriétaires, service dont il faudra trouver le financement compte tenu de l’état des comptes publics.

M. Michel Lesage. À mon tour, je salue le travail effectué par nos deux collègues. Ils mettent l’accent sur les vrais enjeux de la politique de l’eau : cela vaut pour la restauration de la continuité écologique des cours d’eau, mais aussi dans tous les autres domaines.

Ma première question porte sur cette approche. Les enjeux de l’eau, qualitatifs et quantitatifs, sont plus larges que celui de la seule continuité écologique. Comment peut-on appréhender cette approche globale de l’eau avec les outils que vous proposez, notamment en termes de gouvernance ? La gouvernance est en effet la clé de la réussite des politiques de l’eau en France.

Vous faites des propositions au niveau des outils fonctionnels – EPTB, SAGE, etc. – alors que nous venons d’adopter plusieurs lois et que la politique française de l’eau repose historiquement sur des échelons institutionnels : collectivités territoriales, bloc communal, départements et régions. La loi NOTRe affecte la compétence eau et assainissement à l’horizon 2018-2020 aux établissements publics à caractère industriel (EPCI). Comment articuler l’échelon institutionnel et l’échelon fonctionnel, d’autant qu’il n’existe pas d’EPAGE ni d’EPTB sur l’ensemble du territoire national ? Personnellement, je ne suis pas partisan de les généraliser, car il faut adapter les politiques de l’eau à la réalité des territoires. Que pensez-vous de la planification ? Vous proposez de généraliser les SAGE. Pour ma part, je l’avais proposé dans un rapport que j’avais réalisé sur l’évaluation de la politique de l’eau. Pourquoi ne pas le faire à partir de l’échelon institutionnel, les EPCI, qui se regrouperaient sous forme de syndicats mixtes, qu’ils se nomment EPAGE ou EPTB ?

S’agissant du financement, je ne vois pas dans vos propositions de mesures concrètes. Mais je sais que la question est difficile. La diminution de la TVA sur les travaux est une piste. Mais elle est sans doute difficile à concrétiser.

M. Gérard Menuel. Je salue à mon tour le travail de fond réalisé par nos deux rapporteurs. Il s’agit d’un rapport très concret qui débouche sur des orientations précises et parfaitement réalistes. C’est vrai notamment en ce qui concerne les prédateurs comme les cormorans et les silures. J’habite dans un territoire qui possède plus de 10 000 hectares de lacs artificiels et j’ai vu, sur la carte qui figure à la page 12 de votre rapport, que ces prédateurs y sont nombreux. Une politique de régulation des espèces est indispensable.

Je souhaite faire une remarque sur le transit sédimentaire et les opérations de curage et de prélèvements. Les habitudes locales séculaires opposent régulièrement les agents de l’ONEMA et la population locale, en particulier les pêcheurs qui sont souvent les premiers à entretenir les berges et le lit des rivières. Là aussi, la politique doit être menée en parfaite harmonie avec la population locale et surtout être bien expliquée.

M. Jean-Yves Caullet. À mon tour, je tiens à féliciter nos deux rapporteurs pour la qualité de leur travail et surtout le pragmatisme avec lequel ils l’ont mené.

Je tiens tout d’abord à rappeler les difficultés que l’on peut rencontrer pour faire comprendre et adhérer à un projet. C’est en effet plus facile lorsqu’il est possible de s’appuyer sur un poisson emblématique qui est un vecteur d’adhésion considérable, mais ce n’est pas toujours le cas. Cela se complique encore lorsque l’on méconnaît la hiérarchie des problèmes : allez expliquer qu’il faut démonter des obstacles dans les bassins amont pour permettre au poisson de remonter alors que les gros obstacles en aval sont encore bien en place ! On aura beau jeu de vous répondre que de toute façon, il n’arrivera jamais jusque-là… Il faudrait préciser davantage, expliquer que certaines espèces ont des migrations plus locales, qu’elles ont besoin de plusieurs biotopes au cours de leur vie, et pas en rester aux poissons qui ont besoin de remonter depuis l’eau salée jusqu’aux sources de nos fleuves ; sinon les gens risquent de vous dire que l’on n’en verra jamais, et que ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit.

Par ailleurs, on a du mal faire comprendre à la population qu’un ouvrage qui date du XVIsiècle par exemple peut dégrader la situation. Quelles espèces privilégier ? Il peut s’agir des espèces de mollusques, moins emblématiques que la truite mais tout aussi importantes.

La reconstitution de la continuité historique a-t-elle enfin des effets non désirés ? J’ai entendu parler des silures, des poissons-chats. Or les obstacles empêchent certaines espèces de remonter les cours d’eau et c’est heureux, parce qu’elles transmettent des parasites, comme les vers provoquant la bucéphalose. Les schémas d’aménagement prévoient-ils de telles situations ?

M. Michel Heinrich. Vous évoquez dans votre rapport les outils et les moyens dont on dispose pour assurer la continuité écologique. Vous regrettez l’insuffisance de mobilisation des acteurs. J’observe que vous ne mentionnez jamais les SCOT. Certes, il s’agit d’un document de planification et non de gestion, mais c’est aussi le document intégrateur des SAGE et des SRCE. Ne pourrait-il pas être le document idéal de sensibilisation des élus ? S’il ne l’est pas, pourquoi ?

M. Gilles Savary. J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce rapport et je tiens à remercier ses auteurs.

Une fois n’est pas coutume : je partirai d’une illustration locale pour poser une question plus générale.

Le magazine Des racines et des ailes, qui sera diffusé le 27 janvier prochain sur France 3, dédie une partie de son reportage au Ciron, une rivière de ma circonscription qui est aussi l’usine climatique de production du vin de Sauternes. C’est une zone de biodiversité exceptionnelle. Le plan de continuité écologique, engagé depuis une dizaine d’années, fonctionne très bien puisqu’on y a réintroduit la truite, le vison d’Europe, les loutres et des frayères à lamproie. De même, cette zone est absolument remarquable au plan végétal et même unique en Europe puisqu’elle comprend une haie résiduelle de plaine. Or c’est précisément à cet endroit que l’on va installer le triangle ferroviaire de la future ligne LGV avec des infrastructures très invasives alors qu’il y a de la place ailleurs, notamment sur toute la lande sèche que l’on traverse pour se rendre à Bayonne. Pourtant, c’est là que l’appareil techno-administratif d’État considère qu’il doit être construit, et nulle part ailleurs.

Afin d’éviter des crispations comme celle de Sivens, est-il envisagé que l’on puisse exiger des études alternatives ou au moins documenter des solutions alternatives lorsque l’on s’attaque à des projets très difficilement justifiables pour le grand public ? De nombreuses années de travail sont nécessaires pour reconstituer une continuité écologique sur un site exceptionnel. Ne faudrait-il pas inciter les pouvoirs publics à se montrer moins vindicatifs et plus précautionneux sur de tels sujets ?

M. Martial Saddier. Je tiens à féliciter nos deux rapporteurs pour leur rapport.

Je participe modestement à l’animation d’un SAGE dans un bassin-versant où il n’y a pas de poissons migrateurs. Ne craignez-vous pas qu’en mettant aussi fortement l’accent, comme le fait votre rapport, sur les cours d’eau qui ont des poissons migrateurs, on ne relègue au second plan les bassins où ceux-ci sont absents, et alors que l’argent se fait rare ?

Votre rapport n’aborde pas la question de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations. Comment peut s’articuler la GEMAPI avec votre rapport ?

Les priorités définies dans votre rapport sont-elles compatibles avec la baisse du financement des agences de l’eau ?

J’évoquerai un dernier point qui me tient à cœur et que partagent avec moi les acteurs de l’Association nationale des élus de montagne (ANEM) dont M. Jean-Pierre Vigier est membre. Pour s’occuper d’un cours d’eau de la naissance à la confluence, il faut obligatoirement de la solidarité : si les bassins de vie ont tendance à se concentrer vers la confluence, il est nécessaire de protéger le cours d’eau de la naissance à la confluence en rappelant que le cœur va là où coule la rivière.

M. Guy Bailliart. Personne n’a encore parlé du paysage. Ce que l’on appelle restauration, qui a une connotation plutôt valorisante, est ressenti par beaucoup de gens comme une destruction de leur paysage. Il faut prendre en compte cet élément. Nombre de ces obstacles sont historiques et en sont venus à constituer en eux-mêmes un paysage, qui pour tout le monde est le paysage de la rivière.

Ensuite, il y a rivière et rivière… Il y en a qui se contentent de couler et d’autres qui ont ou ont eu des usages industriels ou agricoles, ou qui peuvent avoir des usages touristiques qui ne sont pas nécessairement compatibles avec la destruction des barrages. Le rapport indique que la moitié des ouvrages n’ont pas d’usage avéré. Mais il y a une différence entre un ouvrage qui est construit dans un but précis et un autre dont l’usage est apparu après coup – avec la pratique du kayak, par exemple.

Pour ma part, je n’aime pas beaucoup le terme « restaurer » : on a l’impression qu’il s’agit de retrouver un âge d’or tandis que la population considère que la rivière est tout à fait à son goût. Je préférerais que l’on parle d’aménagement plutôt que de restauration qui me paraît avoir un côté par trop messianique.

Il faudrait que tout le monde soit d’accord pour que les travaux soient réalisés de l’aval vers l’amont. Tant qu’il restera un grand barrage en aval, les poissons migrateurs ne pourront pas passer et toute autre opération d’aménagement n’aura pas grand intérêt – pire, elle sera subie comme une inutile contrainte par les gens qui vivent en amont.

Enfin, je précise que le Conservatoire du littoral peut déjà intervenir en milieu non maritime. Cela dit, ce serait peut-être une bonne idée que de le solliciter.

M. Laurent Furst. Je remercie nos deux rapporteurs pour l’immense travail qu’ils ont réalisé.

La civilisation européenne s’est développée grâce aux villes qui se sont construites le long des fleuves tandis que se multipliaient les usages de l’eau : l’énergie, le tourisme, l’agriculture, le patrimoine historique qui apparaît désormais comme un élément déterminant de la biodiversité, la protection des zones habitées qui est devenue essentielle, etc. Or on se retrouve avec un empilement de réglementations alors qu’on ne dispose d’aucun outil de décision locale. Pourtant, on ne peut pas gérer tous les cours d’eau de la même manière. Quel élément démocratique d’arbitrage local entre les différents usages de l’eau peut-on imaginer ?

Vous faites un certain nombre de propositions qui entraîneraient une augmentation de la dépense publique. Or nous arrivons au bout d’une logique dans ce domaine : la dette publique est passée de 28 000 à 31 000 euros par habitant et la France va emprunter 217 milliards d’euros cette année. Ne pourrait-on pas établir une distinction entre les mesures génératrices de dépenses nouvelles et celles qui ne le seraient pas ?

Enfin, j’entends parler régulièrement des résidus médicamenteux dans l’eau qui auraient des conséquences majeures sur la biodiversité des poissons. Quelle importance accordez-vous à cette question ? Ne devrait-elle pas être l’un des éléments majeurs de la politique de la qualité de l’eau en France ?

M. Jacques Alain Bénisti. Je félicite moi aussi nos deux rapporteurs qui ont tenté de redonner un peu de cohérence dans la gestion et la rationalisation des ouvrages installés sur nos cours d’eau.

Vous n’avez pas parlé de la réunion qui s’est tenue, lundi dernier, avec les différents responsables des principales associations de protection de la nature. Ils ont dénoncé les insuffisances du texte de loi qui sera soumis à l’examen du Sénat le 26 janvier prochain. L’une des principales lacunes concerne la future Agence française pour la biodiversité qui ne devrait pas regrouper tous les offices existants, notamment l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Le projet de loi ne prévoit pas non plus, ni le statut des agents des différentes institutions qui ont fusionné, ni le budget de fonctionnement de cette nouvelle agence. Pourtant, il lui faudra des moyens conséquents pour mener à bien l’ensemble de ses missions. Les associations ont estimé qu’elle aurait besoin de 250 millions d’euros de crédits d’intervention par an, ce qui est considérable.

Enfin, mais cette appréciation personnelle sera sans doute partagée par d’autres députés, je regrette que votre rapport fasse si peu mention des poissons-chats : ce sont les seuls poissons qui, comme moi, portent des moustaches. (Sourires.)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Le silure aussi est un poisson-chat, et il a des moustaches !

M. Sylvain Berrios. Je m’associe au concert de louanges que j’ai entendu sur ce rapport très documenté et intéressant.

La question de la gouvernance de l’eau me paraît essentielle pour garantir notre capacité à atteindre des objectifs.

J’ai l’honneur de présider une commission locale de l’eau (CLE) et nous venons d’adopter un SAGE. La structure qui le porte est le syndicat mixte Marne Vive. Pour pouvoir parvenir à ce résultat, nous avons eu comme interlocuteurs dix-sept représentants de l’État… La simplification de la gouvernance de l’eau ne pourrait-elle pas commencer au sein de l’administration et de l’État ?

Vous avez mis l’accent sur l’utilité des SAGE. C’est effectivement un outil très utile en ce qu’il permet précisément de rassembler ces dix-sept interlocuteurs de l’État, mais aussi les associations et l’ensemble des élus de départements différents. Vous proposez de les généraliser ; c’est une très bonne proposition, à condition que les SAGE puissent avoir au moins une portée contraignante. Tout à l’heure, on a parlé de leur intégration dans les SCOT. On peut également se poser la question de leur intégration dans les plans locaux d’urbanisme (PLU). M. Christophe Priou vient de rappeler qu’à l’horizon 2050, près de 80 % de la population vivra près d’un cours d’eau ou sur le littoral ; l’impact de l’aménagement sur la gestion des cours d’eau n’est-il pas sans effets.

Enfin, n’oublions pas qu’il faut gérer la baisse des financements liée à la baisse significative des crédits alloués aux agences de l’eau. L’Agence de l’eau nous a indiqué qu’elle ne pourrait pas défendre certains projets du SAGE que nous venons d’adopter et qui est pourtant partagé par l’ensemble des acteurs de l’État, les collectivités locales et les associations, parce que l’État n’assurait plus certains financements.

M. Jean-Pierre Vigier, co-rapporteur. Il va bien falloir faire comprendre une fois pour toutes que nous avons beaucoup de cours d’eau en France, et que l’on ne pourra pas restaurer la continuité écologique aquatique partout. Premièrement, ce n’est techniquement pas possible ; deuxièmement, nous n’en avons pas les moyens financiers. C’est cela qui explique que nous ayons pris du retard et que nous ne respectons toujours pas les règles européennes. Voilà pourquoi nous proposons ce classement « grands migrateurs » : nous devons nous fixer des priorités au niveau national, savoir quels sont les cours d’eau sur lesquels on peut restaurer la continuité écologique aquatique et fermer une fois pour toutes l’entonnoir. Si l’on part dans tous les sens, on n’aboutira à rien.

Nous souhaitons donc créer une liste de cours d’eau classés « grands migrateurs », mais le terme peut évoluer. L’objectif est de cibler certains cours d’eau où l’on peut techniquement restaurer une continuité écologique aquatique. Un état des lieux des cours d’eau sera réalisé, puis un chiffrage.

Beaucoup d’orateurs ont parlé de la gouvernance. Si chacun reconnaît que le niveau national fonctionne bien, il n’en est pas de même du niveau local. En effet, il n’existe aucune structure permettant une concertation entre tous les acteurs. Certes, certains professionnels jouent le jeu et réalisent des travaux, mais derrière, il n’y a aucune cohérence.

Par ailleurs, soyons clairs : il ne s’agit pas d’effacer systématiquement tous les ouvrages, mais de trouver un juste équilibre au lieu de voir s’affronter l’État, les propriétaires, les riverains et les pêcheurs. La continuité écologique n’est pas une fin en soi : il faut aussi prendre en compte la qualité de l’eau, la restauration de l’habitat et le retour des espèces. Pour les moulins par exemple, le juste équilibre passe par le maintien de certains seuils. Il faut créer une entité locale qui permettrait d’asseoir les gens autour de la table, ne serait-ce que pour trouver des solutions techniques et rechercher des financements.

Certains ont parlé des SCOT. Mais ce document est à la fois trop grand et pas assez grand : pas assez grand, parce qu’il n’a pas une vision sur un bassin ; trop grand, parce qu’il ne pourra pas permettre de mener des actions locales sur le territoire.

Contrairement à ce qui a été dit, l’EPAGE n’est pas une nouvelle structure. Il peut s’appuyer sur des collectivités locales, notamment les syndicats mixtes existants qui sont composés d’élus. Je pense que cette structure est adaptée pour avoir la maîtrise d’ouvrage des études et des travaux. L’ensemble des partenaires peuvent être associés dans cette structure – pêcheurs, sports d’eau vive, représentants de l’État, élus, propriétaires de barrages ou d’obstacles. Ils pourraient réfléchir ensemble sur ce qui peut être réalisé localement.

Je peux citer l’exemple du barrage de Poutès, situé dans le Haut-Allier. Sans aucune structure, nous avons réussi à mettre tout le monde autour de la table. EDF va investir 11 millions d’euros, non pour effacer le barrage mais pour en abaisser le niveau. Certes, sa rentabilité va baisser de 20 %, mais la concertation a permis de construire un projet, de trouver un juste équilibre – le barrage passe d’une hauteur de quinze mètres à trois mètres et la passe à poissons, qui ne fonctionne pas parce qu’elle est mal placée, sera repositionnée. Pour ce faire, il a fallu travailler avec les pêcheurs et toutes les personnes concernées. Je suis sûr que chacun ici pourrait citer l’exemple d’une passe à poissons qui ne fonctionne pas, parce qu’il n’y a eu aucune concertation. Le barrage de Poutès n’a donc pas été supprimé : son niveau sera simplement baissé. EDF s’y retrouve financièrement, ainsi que les pêcheurs puisque la passe à poissons est enfin bien placée, ce qui permettra de faire remonter les poissons migrateurs.

Ce qui manque aujourd’hui en France, c’est une entité locale opérationnelle qui permet de réaliser concrètement les opérations.

J’en viens au financement. Même s’il reste entre 5 et 20 % à la charge des propriétaires, pour certains ce sera encore trop. Si l’on veut pouvoir réaliser des opérations, il faut parvenir à un financement à 100 % ; et c’est pour cela qu’il faut avoir le courage de dire que la restauration de la continuité écologique aquatique ne pourra pas se faire partout. Si l’on avait procédé de cette façon il y a vingt ans, on n’en serait pas là aujourd’hui ; car sur les cours d’eau que l’on aurait ciblés, que l’on aurait priorisés, la continuité écologique aurait été restaurée. Or la restauration de la continuité écologique permet l’amélioration du milieu, de l’habitat, de la qualité de l’eau. L’enjeu est aussi économique, touristique, culturel et environnemental.

Il y a une vingtaine d’années, sur l’axe Loire-Allier, il n’y avait plus beaucoup de saumons. Face au risque de disparition, on a créé une salmoniculture en amont, et on constate un début de retour. Disons que nous sommes au milieu du gué : l’objectif est de parvenir au doublement de la population, mais on n’y arrive pas, faute d’une gouvernance locale qui nous permettrait de traiter les opérations locales concrètes. Il faut savoir qu’à une certaine époque, avant qu’il ne disparaisse du Haut-Allier, chaque pêcheur dépensait 7 000 francs par saumon pris : les restaurants et les hôtels étaient complets sur mon territoire… On voit bien le débouché économique offert par la restauration de la continuité écologique.

Aujourd’hui, les outils réglementaires existent. Ce sont les SAGE, les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et l’EPTB. Il faut maintenant avoir le courage politique de choisir les cours d’eau sur lesquels la restauration écologique aquatique est possible. Si on ne le fait pas, on risque de tourner en rond encore longtemps et de parler encore dans quinze ou vingt ans de la restauration de la continuité écologique aquatique de nos cours d’eau. Ciblons les cours d’eau, mettons-y les moyens financiers et techniques. La vision globale, on l’a ; il ne manque que la structure locale qui permettra une concertation de tous les acteurs locaux, y compris des agriculteurs. Créons-la, et c’est ainsi que l’on améliorera la qualité de l’eau, que l’on pourra restaurer l’habitat et réintroduire certains poissons migrateurs.

Mme Françoise Dubois, co-rapporteure. Les auditions et les déplacements que nous avons effectués ont permis de mettre en avant un problème récurrent : le manque de concertation entre tous les acteurs d’un territoire. Des querelles intestines parfois très anciennes perdurent entre les pêcheurs, les propriétaires de moulins, les agriculteurs, parfois les chasseurs. Tous ces gens ne parviennent pas à s’asseoir autour d’une table pour trouver des solutions qui aillent dans le sens de l’intérêt général.

Le manque de coordination sur un territoire est évident. Nous avons du mal à comprendre pourquoi elle n’existe pas. C’est certainement un travail de longue haleine, mais il faudra bien y parvenir un jour.

L’Agence française pour la biodiversité, qui devrait voir le jour prochainement, regroupera plusieurs institutions et chapeautera toutes les décisions qui pourront être prises. C’est une bonne chose car nous nous sommes aussi rendu compte à quel point le millefeuille était impressionnant : le nombre de gens qui interviennent, au risque parfois de se contredire les uns les autres est tel qu’au bout du compte, plus personne ne fait plus rien parce que personne n’a compris ce qu’il fallait faire… Il est assez déconcertant de se retrouver face à des gens qui vous répondent qu’ils préfèrent attendre, et qu’ils ne bougeront que lorsque tous les autres se seront mis d’accord !

Entre autres recommandations, nous recommandons de renforcer les opérations de contrôle des activités de pêche sur les cours d’eau : dans ce domaine, c’est le flou artistique… Ce qui ne favorise pas les continuités écologiques.

Contrairement à notre collègue Guy Bailliart, j’aime assez le terme de « restauration ». Mais si nous avons employé ce mot, c’est parce que les continuités écologiques existaient jadis. Si les poissons migrateurs ont disparu, c’est bien qu’à une certaine époque ils ont été dérangés par quelque chose, par les barrages hydroélectriques et les produits chimiques utilisés par les agriculteurs. Pour ma part, le terme de « restauration » ne me gêne pas du tout, même si la restauration suppose des aménagements qui ne se limitent pas forcément à l’arasement de certains ouvrages. Les pêcheurs de mon territoire souhaitent que tout soit rasé, mais ce n’est pas possible.

M. Guy Bailliart. Les pêcheurs de carpes ne seront pas d’accord…

Mme Françoise Dubois, co-rapporteure. Les propriétaires de moulins aussi ont leur mot à dire, comme tous les autres acteurs.

Tout à l’heure, j’ai insisté sur la pédagogie et sur l’information de la population, des publics scolaires. C’est un travail de longue haleine parce qu’au départ personne ne sait de quoi l’on parle, mais il finit toujours par porter ses fruits. Il faudra soutenir la communication dans les mois qui viennent.

M. Jean-Pierre Vigier, co-rapporteur. J’ajoute que la région a bien évidemment toute sa place dans le cadre des SAGE. Elle l’a trouvée au niveau global sur un bassin, mais elle doit être également impliquée dans les structures locales que sont les EPAGE pour assurer une cohérence avec le schéma régional. Enfin, la région doit apporter une aide financière importante pour réaliser les opérations.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Madame Françoise Dubois, monsieur Jean-Pierre Vigier, je tiens à vous remercier pour la qualité de votre travail. C’est un sujet délicat, nous le voyons les uns et les autres dans nos circonscriptions. Les tensions sont relativement fortes entre les propriétaires de seuils, l’administration, la DDT et l’ONEMA. Il s’ensuit beaucoup de crispations et d’incompréhension. Votre diagnostic est relativement exhaustif et tout à fait pertinent.

Je retiendrai de votre rapport un mot : concertation. Il faut mettre en place localement la concertation qui, pour l’heure, fait défaut. De son côté, l’administration se doit d’adopter un comportement qui ne soit pas intégriste : on a parfois le sentiment d’une surtransposition des textes, ce qui est très mal vécu localement, en particulier par les propriétaires et les élus.

Certes, la compétence de la biodiversité a été transférée aux régions, tandis que l’organisation territoriale et nationale se fait par bassin hydrographique. Comme les périmètres ne se chevauchent pas, cela crée une difficulté supplémentaire. Néanmoins, la cohérence doit nous conduire à demander aux régions, en particulier dans le cadre du schéma de cohérence écologique, à porter un regard particulier sur la nécessité de restaurer la continuité écologique. Tous ensemble, nous avons la possibilité d’avancer. Les propositions de votre rapport doivent nous permettre de retrouver du bon sens et de la pertinence, et je vous en remercie. Je pense que les parlementaires qui ont assisté ce matin à la présentation de votre rapport et qui vont ont posé des questions partagent mon sentiment.

——fpfp——

La Commission autorise, à l’unanimité, la publication du rapport d’information.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 20 janvier 2016 à 9 h 45

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, M. Jacques Alain Bénisti, M. Sylvain Berrios, Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Pierre Blazy, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Alain Chrétien, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, M. Gérard Menuel, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, Mme Florence Delaunay, Mme Sophie Errante, M. Christian Jacob, Mme Marie Le Vern, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, M. Thomas Thévenoud

Assistait également à la réunion. - M. Dino Cinieri