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Mercredi 27 janvier 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet, Président, puis de M. Christophe Bouillon, Vice-Président

– Table ronde sur la compensation écologique avec M. Arnaud Béchet, chargé de recherche, Centre de recherche pour la conservation des zones humides, Nature et citoyenneté en Crau, Camargue et Alpilles (NACICCA Crau), M. Christophe Bonneuil, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), M. Bernard Chevassus au Louis, président de Humanité et Biodiversité, M. Harold Levrel, économiste, co-auteur de Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement et M. Laurent Piermont, président-directeur général de CDC Biodiversité.

– Informations relatives à la commission 23

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur la compensation écologique avec M. Arnaud Béchet, chargé de recherche, Centre de recherche pour la conservation des zones humides, Nature et citoyenneté en Crau, Camargue et Alpilles (NACICCA Crau), M. Christophe Bonneuil, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), M. Bernard Chevassus au Louis, président de Humanité et Biodiversité, M. Harold Levrel, économiste, co-auteur de Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement et M. Laurent Piermont, président-directeur général de CDC Biodiversité.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En vue de l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, il m’a semblé utile d’organiser des auditions sur des sujets qui vont revenir en discussion. Après les réunions consacrées aux effets des néonicotinoïdes sur les pollinisateurs, et l’examen, la semaine dernière, du rapport de Françoise Dubois et Jean-Pierre Vigier sur les continuités écologiques aquatiques, nous nous retrouvons aujourd’hui pour une table ronde sur la compensation écologique.

Nous avons déjà abordé ce sujet lors de l’audition de M. Laurent Piermont, président-directeur général de CDC Biodiversité, dans le cadre de l’examen du projet de loi. La définition du triptyque « éviter-réduire-compenser », introduite à l’article 2, devra tenir compte des fonctions écologiques de la biodiversité affectée. Toutefois, entre la définition et son application concrète, il semble que des différences notables d’appréciation existent. Relevons également que l’Assemblée nationale a inséré dans le projet de loi, à l’initiative de notre rapporteure, Geneviève Gaillard, et de Joël Giraud, un article 33 A relatif aux obligations de compensation écologique d’un maître d’ouvrage.

Parmi les invités que nous avons le plaisir d’accueillir ce matin, nous avons déjà eu l’occasion d’auditionner M. Bernard Chevassus au Louis lorsqu’il était préfigurateur de l’Agence française de la biodiversité avec M. Jean-Marc Michel, ainsi que, le 5 novembre 2013, M. Laurent Piermont.

M. Laurent Piermont, président-directeur général de CDC Biodiversité. Je précise que je suis docteur en écologie, que je travaille depuis près de quarante ans dans le secteur de l’action pour la nature, dont vingt-cinq au sein de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour la gestion d’espaces naturels et forestiers.

Nous avons créé CDC Biodiversité en 2008, avec le soutien de France nature environnement et d’autres grandes associations écologistes, du ministère de l’écologie et de personnalités scientifiques pour apporter un élément de réponse à une question d’intérêt général extrêmement simple : chaque année, 20 000 à 30 000 hectares sont artificialisés. La loi de 1976 relative à la protection de la nature prescrit aux maîtres d’ouvrage d’éviter, de réduire et, si possible, de compenser leurs impacts. Or, lors de la journée anniversaire des trente ans de la loi, le diagnostic était unanime : presque aucune mesure compensatoire au sens de restauration n’a été mise en œuvre alors que plus d’un million d’hectares ont été artificialisés. Que faire si l’on veut concilier le nécessaire équipement du pays et la protection de la nature ?

La mise en œuvre de la loi repose sur le respect scrupuleux de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC) et sur le contrôle de ce respect par l’administration. Des améliorations au dispositif d’autorisation et de contrôle sont sans doute nécessaires, mais c’est sur le maître d’ouvrage que repose principalement le respect de la loi. Pour lui, la mise en œuvre des mesures est difficile, car elle implique la maîtrise de considérations écologiques et foncières, et surtout de la gestion à très long terme des espaces, sans compter les entreprises qui disparaissent en cours de route. S’il sait qu’il sera obligé de compenser ses impacts et de payer pour cela, il sera incité à réduire lesdits impacts. Et c’est lui qui dispose de tous les moyens d’études et de la connaissance du terrain. S’il sait, à l’inverse, qu’il n’a pas d’obligation de compenser, il trouvera sans doute, contraint par des considérations budgétaires, de bonnes raisons pour ne pas mettre en œuvre de mesures compensatoires.

La première vertu de la mise en œuvre effective de la compensation écologique, c’est de créer une pression économique sur le maître d’ouvrage l’incitant à réduire ses impacts sur le milieu naturel. Un exemple survenu au mois de janvier l’illustre fort à propos : devant le coût de compensation que nous avions chiffré pour deux éoliennes d’un grand parc qui posaient des problèmes écologiques, le maître d’ouvrage a renoncé à les construire pour réduire son budget. La seconde vertu, c’est de faire payer le travail de restauration par celui qui a détruit.

Sur cette analyse, nous avons créé CDC Biodiversité, premier opérateur français de compensation, pour que l’administration puisse demander à un maître d’ouvrage qui ne parviendrait pas à mettre en œuvre ses obligations de compensation de s’adresser à un opérateur de confiance qui, lui, le pourrait. Je précise immédiatement que les opérateurs de compensation ne sont pas la panacée, mais seulement un élément du dispositif au centre duquel il y a la loi et l’autorité administrative.

Nous avons réalisé une série d’opérations de compensation, notamment celle de l’autoroute Pau-Bordeaux, montrant ainsi que les mesures compensatoires décidées par l’administration pouvaient bel et bien être mises en œuvre intégralement et dans les délais prescrits. Je le précise, car ce qui peut sembler une évidence n’a pas été considéré comme tel pendant quarante ans.

Notre mode opératoire prend en compte trois considérations. Premièrement, nous cherchons systématiquement à inscrire nos actions dans les projets de territoire des collectivités, dans un souci de cohérence d’aménagement. Deuxièmement, nous agissons en partenariat avec ces collectivités, en faisant travailler les acteurs locaux que sont les conservatoires d’espaces naturels, les agriculteurs, les entreprises locales de génie écologique. Accessoirement, cela permet de créer localement des emplois et de remplacer des emplois de l’ancienne économie par des emplois verts. Troisièmement, nous privilégions l’approche contractuelle vis-à-vis des agriculteurs et des forestiers qui craignent, selon moi légitimement, de subir la double peine. Nous les finançons avec l’argent des mesures compensatoires pour qu’ils introduisent dans leurs exploitations des cahiers des charges écologiques. L’objet est de contribuer à la transition écologique de l’agriculture.

Parallèlement, nous avons lancé, en première européenne, avec le ministère de l’écologie, une expérience de compensation à l’avance que nous avons appelée « réserve d’actifs naturels ». Ce nom a été choisi pour souligner que la nature ne devait plus être considérée comme un simple espace inerte et sans valeur que l’on pouvait détruire sans conséquences.

En est à l’origine un projet de grande ampleur confié à CDC Biodiversité par les gestionnaires de la réserve naturelle des Coussouls de Crau, dans les Bouches-du-Rhône – le laboratoire d’écologie d’Avignon, l’administration et les collectivités. Il s’agissait de restaurer, sur un terrain de 357 hectares, des conditions écologiques favorables à une faune exceptionnelle, notamment d’oiseaux. Après études, nous avons considéré qu’il faudrait près de trente ans pour remettre cet espace sur une trajectoire écologique favorable. Nous avons décidé de dégager un budget d’investissement plus un budget de gestion de trente ans, ce qui, à ma connaissance, est unique en matière écologique. Après huit ans, nous sommes plutôt satisfaits des résultats, mesurés par les gestionnaires de la réserve et des autorités scientifiques indépendantes : la plupart des oiseaux cibles – outarde, œdicnème, ganga cata – sont revenus ; la végétation progresse plus lentement, mais elle revient.

L’autre volet de l’expérimentation est institutionnel. Il consiste en un engagement de CDC Biodiversité à réaliser l’opération, à investir durant trente ans et à maintenir la vocation écologique de l’espace sans aucune limitation de durée. La transparence est la plus totale, les données sont sur la table. Un comité de pilotage régional, regroupant des associations, des scientifiques, et autres administrations, s’est réuni à dix-neuf reprises depuis 2008, et un comité de pilotage national se réunit plus régulièrement.

En 2010, à l’issue des travaux de restauration, l’État a validé l’opération et autorisé CDC Biodiversité à en proposer le financement à des maîtres d’ouvrage soumis à des obligations de compensation équivalentes aux travaux de restauration réalisés. Ne peuvent être concernés que des maîtres d’ouvrage situés dans un rayon fixé par l’administration à vingt-cinq kilomètres, et pour la restauration d’espaces spécifiquement de plaine méditerranéenne favorable à l’avifaune steppique. Je précise que le maître d’ouvrage est libre de recourir à d’autres mesures compensatoires que le financement de l’action de CDC Biodiversité, et l’administration est libre de refuser sa proposition. C’est elle qui doit valider la correspondance entre les impacts résiduels du nouveau projet après respect de la séquence « éviter-réduire », avec l’opération menée par CDC Biodiversité.

Bien sûr, ce ne sont ni le terrain, ni les oiseaux, ni l’écosystème qui sont vendus au maître d’ouvrage, mais l’action de restauration et le maintien de l’état écologique sur une longue durée. Juridiquement et fiscalement, cela s’analyse comme une prestation de services, mesurée à l’hectare et appelée « unité de compensation ». Depuis 2008, CDC Biodiversité a vendu 164 unités de compensation, dont 10 compensaient en partie la rupture d’un pipeline proche de notre opération, et 44 à un maître d’ouvrage qui, depuis 1997, avait une obligation de compensation exactement équivalente à ce que nous avons réalisé mais qui déclarait ne pas y parvenir.

Cela a-t-il créé un appel d’air ? Visiblement, non. D’une part, une partie des projets d’ouvrage qui avaient été répertoriés par l’administration lors de la mise en œuvre de l’opération pour justifier le lancement de la réserve d’actifs naturels ne se sont pas concrétisés ou ont trouvé d’autres solutions. D’autre part, on observe qu’il y a plutôt moins d’opérations d’aménagement dans la Crau depuis 2008. J’hésite à attribuer cet effet à notre action, mais deux choses sont certaines : l’opération n’a pas créé d’appel d’air et, depuis son lancement, 164 hectares ont fait l’objet d’une mesure de restauration alors que les 3 500 hectares de Crau qui avaient été artificialisés entre 1976 et 2008 n’y avaient pas donné lieu.

On a beaucoup parlé de financiarisation de la nature. Dans une réserve d’actifs naturels, personne ne devient propriétaire des oiseaux ou de l’écosystème. Ce qui est vendu, c’est une prestation de services qui est la restauration d’un espace naturel. Une réserve d’actifs naturels est une sorte de SAMU, de clinique de la nature. Je ne crois pas que payer les honoraires d’un médecin ou d’une clinique corresponde à une financiarisation de la santé. Il en est de même pour une réserve d’actifs naturels. De la même façon, je ne crois pas que l’existence des SAMU incite nos concitoyens à adopter des conduites plus imprudentes.

La réserve d’actifs naturels présente trois grands avantages. Le premier est la cohérence écologique et l’effet d’échelle par rapport à la dispersion des opérations de compensation à la demande – quand elles sont réalisées. Le deuxième est la certitude que la mesure compensatoire est mise en œuvre et de quelle manière. Il y a là une économie de moyens considérable pour l’État : plutôt que d’avoir à contrôler des dizaines d’opérations dispersées dont les maîtres d’ouvrage sont plus ou moins compétents et ont parfois disparu, il en a qu’il peut contrôler et suivre. Cela est valable aussi pour les associations. Le troisième avantage, très important, est qu’un espace est restauré pour les oiseaux avant que le leur ne soit dégradé, ce qui leur assure de ne pas être sans domicile pendant quelques années.

Pour autant, de même que les opérateurs de compensation, je ne pense pas que les réserves d’actifs naturels soient la panacée. Elles ne sont aussi qu’un élément du dispositif d’ensemble évitement-réduction-compensation qui repose sur l’action centrale de l’État.

M. Bernard Chevassus au Louis, président de l’association Humanité et Biodiversité. Je le dis d’emblée, notre association est favorable au principe de la compensation écologique. Nous considérons que son introduction progressive dans la pratique est un progrès pour la protection de la biodiversité. Nous nous réjouissons que le Parlement se penche sur cette question et réfléchisse aux améliorations à apporter. J’en vois quatre.

La première concerne la notion d’évitement, dont nous considérons qu’elle comporte une part d’ambiguïté. Elle peut être comprise comme le fait d’éviter de réaliser un équipement – ce que nous appelons le renoncement – ou comme le fait de chercher à éviter au maximum les impacts de sa réalisation. Lorsque l’on consulte le public sur des mesures compensatoires, aussitôt ressurgit la question de la légitimité de la réalisation de l’équipement. L’évitement est perçu comme la possibilité de débattre du bien-fondé même de l’équipement, ce qui nous conduit à penser que les procédures actuelles sont insuffisamment démocratiques.

L’analyse socio-économique des investissements publics s’accompagne d’un calcul très complexe de la valeur actualisée nette (VAN), qui mélange coûts réels, bruit, temps gagné, nombre d’accidents de la route épargnés pour les transformer en monnaie. Si la valeur actualisée nette est positive, les économistes estiment qu’il faut réaliser l’aménagement. Selon nous, il faudrait, au contraire, poser sur la table tous les termes du débat, y compris les éléments qui ne seraient pas compensables car irremplaçables. Il serait donc intéressant que vous réfléchissiez à la manière de mieux instrumenter cette première étape, parce que cela n’amuse personne, et en particulier pas les maîtres d’ouvrage, d’avoir à gérer des débats sur le bien-fondé de ce qu’on leur a demandé de construire.

Deuxième point d’amélioration, il nous semble important de bien rappeler que, dans la chaîne « éviter-réduire-compenser », la responsabilité des maîtres d’ouvrage reste entière. S’ils peuvent tout à fait légitimement sous-traiter la recherche d’une compensation ou sa mise en œuvre, il ne s’agit en aucun cas d’un transfert de responsabilité. Autrement dit, il ne faudrait pas que des réserves d’actifs naturels se résument à un calcul d’unités de compensation et que la phase d’examen qui détermine s’il y a bien équivalence écologique entre les mesures proposées et les destructions envisagées soit confisquée.

Le troisième point à améliorer est la qualité de la compensation. Nous sommes favorables à ce qu’elle soit intensive, c’est-à-dire qu’elle vise des espaces qui auraient été artificialisés ou profondément dégradés et permette de rendre au milieu naturel des espaces qui en étaient sortis. Aujourd’hui, une pratique trop extensive de la compensation fait débat, qui consiste à appliquer à des espaces qui ont encore une fonctionnalité écologique un coefficient multiplicateur pouvant aller jusqu’à dix, censé assurer une compensation supérieure des surfaces atteintes. Cette pratique était possible en phase expérimentale mais, plus la compensation va se développer, plus elle devra être intensive plutôt qu’extensive. Il faudra, en outre, clarifier les confusions auxquelles donnent lieu les notions de compensation forestière, de compensation agricole et de compensation écologique. Les unes ont des finalités économiques et de maintien d’un outil de production, et c’est à ce titre qu’elles peuvent être défendues. Il faudrait éviter qu’elles soient toutes présentées comme des compensations écologiques.

La dimension sociale de la compensation constitue un quatrième sujet d’amélioration. Outre la notion d’équivalence écologique, il convient de prendre en compte la population qui va pâtir des aménagements. Prenons 10 000 personnes qui bénéficiaient d’un petit bois à proximité de leurs habitations. Si la compensation intervient à quarante kilomètres de là, sur un espace qui était déjà de bonne qualité, situé en zone rurale et qui profitait à des personnes moins nombreuses, nous considérons que la dimension sociale de la compensation n’a pas été prise en compte. En plus de la notion de proximité qui permet de juger de l’équivalence écologique, il faut donc se préoccuper de la notion de proximité au sens social du terme. La compensation écologique ne doit pas creuser les inégalités sociales.

M. Harold Levrel, économiste. Je vais faire état d’éléments issus d’un ouvrage collectif récent sur les mesures compensatoires, et qui seront repris dans une note publiée par la Fondation pour l’écologie politique qui sera mise en ligne prochainement.

Le travail que nous effectuons depuis sept ou huit ans sur la base de comparaisons internationales nous permet de dresser un bilan des mesures compensatoires plus que mitigé dans le contexte français. Selon nous, la France manque de règles, non pas en termes de ligne directrice ou de doctrine, mais en termes de contrôles et de sanctions. Ces règles devraient concerner les procédures et les organisations collectives qui peuvent discuter de la question de la compensation à des échelles territoriales précises, de l’équivalence écologique réelle, de justice environnementale, de la pérennisation, du suivi écologique, de la définition de ce qui est compensable et ce qui ne l’est pas, comme certains écosystèmes qui sont le fruit d’une évolution de plusieurs centaines années. Il est regrettable que des petits changements de pratiques à la marge soient considérés comme des actions de restauration quand on attend d’une compensation écologique une réelle désartificialisation. Le périmètre même de la compensation est dépourvu de règles. Aujourd’hui, il peut simplement s’agir de la préservation d’écosystèmes.

L’existence d’autant d’incertitudes engendre des coûts importants pour la société, les acteurs de la protection et la biodiversité elle-même. Les investisseurs dans des projets ayant des impacts écologiques sont également exposés, car ils n’ont actuellement aucune possibilité d’anticiper réellement les risques, importants, de recours au titre des mesures compensatoires. Les incertitudes affectent également ceux qui souhaitent investir dans la restauration écologique, qu’il s’agisse des opérateurs ou des réserves d’actifs naturels. Comment investir, en effet, quand on n’a pas de visibilité sur les mesures compensatoires qu’exigera l’administration, donc sur les débouchés potentiels des actifs créés à travers la restauration écologique ? Dans un tel contexte d’incertitude, l’arbitraire prend toute sa place et des conflits naissent régulièrement.

Nous avons travaillé pendant plusieurs années sur les banques de compensation américaines. Je m’appuierai sur ce travail pour montrer que les réserves d’actifs naturels telles qu’on les envisage aujourd’hui en France nécessitent d’être un peu plus précisées.

Je suis de ceux qui considèrent que les réserves d’actifs naturels ont des vertus. Elles peuvent faciliter la planification écologique à l’échelle du territoire et créer une certaine efficacité quand elles sont bien menées, notamment pour des habitats qui ne sont pas très spécifiques. Je suis plus circonspect en ce qui concerne les espèces.

La France a annoncé la mise en place des réserves d’actifs naturels sans prévoir de cadre, en espérant que les acteurs privés et publics proposent des solutions toutes faites. Or on ne peut pas attendre d’un nouveau système qu’il soit efficacement régulé et coordonné sans l’accompagner des innovations institutionnelles et organisationnelles adaptées.

Les États-Unis ont, dans le domaine des banques de compensation, une histoire qui permet de prendre du recul. Une première génération a été mise en place dans les années 1990, qui a fonctionné sans cadre très solide. L’efficacité écologique observée en a été tout aussi faible que les bénéfices économiques. Au début des années 2000, à la suite d’un rapport de la Cour des comptes, les règles applicables ont été fortement modifiées. Les réserves d’actifs naturels sont ainsi contraintes par une aire de service, c’est-à-dire que les crédits de compensation qui leur sont alloués au titre des gains écologiques qu’elles auront démontrés ne peuvent être vendus que sur des petites zones stabilisées et définies à partir de critères écologiques, tel le bassin-versant pour les zones humides. La réserve d’actifs naturels pose aussi sur la parcelle une servitude environnementale à perpétuité qui implique un renoncement définitif, de la part du propriétaire, de tout usage ayant des impacts négatifs sur l’environnement. Cette obligation s’appliquera aux propriétaires suivants. Cela remet donc dans le domaine public des droits privés. C’est un point très important pour créer de la confiance dans ce système.

Les crédits ou les débits sont obtenus par les aménageurs qui ont généré des impacts sur la base d’outils standardisés à l’échelle administrative fédérale. Ainsi, l’équivalence entre crédits générés et impacts générés est connue. Généralement, elle repose sur des bases multicritères qui donnent des informations sur les fonctions écologiques, les espèces présentes ou la dynamique hydrologique quand il s’agit de zones humides.

Des obligations financières ont été introduites, notamment la création d’un fonds de garantie dont les intérêts sont destinés à la gestion à long terme du site, la libération de fonds assurantiels en cas de non-atteinte des objectifs écologiques, et un processus de rétrocession à des organisations non gouvernementales (ONG) environnementales une fois que la banque de compensation a vendu tous ses crédits. L’ONG bénéficiera aussi du fonds de gestion de long terme, les intérêts pouvant lui permettre de travailler sur le site. Une organisation ad hoc et indépendante valide la création de la banque et les différentes étapes de sa vie.

Actuellement, aucun des outils techniques et organisationnels que je viens de mentionner n’est clairement présent dans le projet de loi ni même simplement évoqué. C’est pourtant grâce à ces règles que les mesures compensatoires font l’objet d’investissements conséquents aux États-Unis aujourd’hui. Dans le New Jersey, qui présente une densité de population, une pollution industrielle et une pression foncière bien supérieures à celles de la France, les mesures compensatoires concernent l’acquisition de terrains, en majorité des friches industrielles, frappés de servitudes environnementales. On observe donc réellement une désartificialisation associée aux mesures compensatoires, dont le coût est élevé -  300 000 dollars par hectare en moyenne pour les zones humides dans le New Jersey. Coût important pour ceux qui génèrent des impacts, la compensation constitue également un revenu important pour les acteurs de la restauration qui contribuent à la création d’un nouveau secteur économique employant aujourd’hui 125 000 personnes aux États-Unis. Il y a là des éléments qui peuvent être valorisés pour l’application des mesures compensatoires en France.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je signale que M. Christophe Bonneuil est co-auteur avec Mme Sandrine Feydel, du livre Prédation – Nature, le nouvel eldorado de la finance.

M. Christophe Bonneuil, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). J’ai été amené à m’intéresser aux instruments dits marchands de la compensation écologique par deux voies dans mes recherches. J’ai d’abord travaillé sur l’histoire mondiale des politiques environnementales depuis 1945. Dans les années 1960-1970, ces politiques s’appuyaient sur des instruments publics – taxes, parcs, réserves, listes rouges d’espèces protégées, normes techniques de pollution à ne pas dépasser. Dans les années 1970-1990, sont apparus de nouveaux types d’instruments, dits de marché – droits à polluer, carbone, banques de conservation d’habitat et d’espèces. Ce que l’on nomme aujourd’hui en France les réserves d’actifs naturels ont pour nom aux États-Unis conservation banking, mitigation banking, species banking, ou biodiversity banking, et cela existe déjà depuis vingt-cinq ans.

Le basculement entre ces différents types d’outils est intervenu aux États-Unis au cours de la période que les historiens appellent « du retour de bâton environnemental », les années Reagan-Bush, de dérégulation environnementale. On ne peut pas dire que les outils antérieurs publics aient été plus efficaces. La biodiversité n’a cessé de se dégrader depuis 1945, le mouvement s’accélérant ces vingt dernières années à l’échelle mondiale, y compris aux États-Unis, malgré la présence de ces instruments.

Je ne me prononcerai pas sur l’efficacité relative des deux systèmes. J’ai toutefois pu observer que les outils basés sur des instruments de marché ne sont pas neutres. Ils sont apparus à un moment et dans un contexte précis aux États-Unis. Ils véhiculent l’idée que la terre, la nature ne sont pas des biens communs, que pour être bien conservée la biodiversité doit être un bien privé, appartenir à quelqu’un qui va la gérer en bon entrepreneur, en bon investisseur et qui gagnera de l’argent si elle est bien conservée.

La deuxième voie par laquelle je me suis intéressé à ces questions est celle de la sociologie des sciences et des techniques, à travers des études détaillées du travail de standardisation, d’abstraction, de réduction auquel se livrent les écologues, les économistes, les bureaux d’études pour transformer la biodiversité, qui est fondamentalement locale, attachée à des sols, à des relations écologiques extrêmement complexes et à des usages humains, en unités réduites et bien identifiées que l’on peut vendre et acheter, et qui seraient substituables d’un lieu à un autre. Il est frappant de voir, dans cette arrière-cuisine de la compensation écologique, combien on bricole, comment on se débrouille pour que cela ne coûte pas trop cher aux aménageurs. Plusieurs travaux traitent du sujet : aux États-Unis, Morgan Robertson, un ancien fonctionnaire de l’Environmental Protection Agency (EPA), qui est maintenant géographe universitaire, a beaucoup travaillé sur l’analyse de ces pratiques ; en France, Coralie Calvet a soutenu sa thèse d’économie sur l’expérience de la CDC en Camargue ; dans mon laboratoire, un doctorat analyse le projet de compensation écologique de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui pose toute une série de questions méthodologiques. (Murmures divers)

Si je devais donner mon sentiment, je dirais que c’est une fausse bonne idée. Auparavant, on dégradait mais on ne faisait rien ; maintenant, on crée un cadre pour compenser. A priori, le principe semble rationnel, généreux et de bons sens. Mais au-delà des principes, il faut regarder les réalités politiques, institutionnelles, économiques dans lesquelles ces nouveaux instruments sont mis en place et se pencher sur les conditions pour établir, en France, un nouveau secteur privé qui serait chargé de conserver la nature.

Le mécanisme est loin d’avoir fait ses preuves d’un point de vue écologique. Un numéro spécial de la revue Conservation Biology, paru il y a quelques mois, dresse un bilan extrêmement critique sur l’efficacité écologique réelle. Plusieurs écologues et naturalistes comparent la compensation écologique à l’idée que l’on puisse autoriser la destruction de Chenonceau en échange de la peinture des huisseries du château de Chambord, autrement dit compenser des choses qui ne sont pas comparables. (Sourires)

Se pose aussi la question de la garantie temporelle de ces mécanismes de compensation. Dans celui de CDC Biodiversité, la garantie est de trente ans seulement ; au-delà, elle peut vendre le terrain, qui, en l’absence de garanties statutaires ou d’arrêté de protection, peut être aménagé, bétonné. Le projet de loi en cours d’examen ne prévoit pas davantage de garantie temporelle. À Notre-Dame-des-Landes, certaines parties de la compensation se font par des contrats de neuf ans seulement, qui concernent des zones appelées à être artificialisées en cas de prolongement de la piste de l’aéroport. Bref, beaucoup des modalités pratiques de la compensation sont insatisfaisantes.

Ces nouveaux instruments ont, par ailleurs, des effets sociaux et politiques qui ne sont pas neutres. Ils véhiculent l’idée que tout est compensable, que la nature qui nous gêne à tel endroit peut être remplacée à côté. Qui plus est, ils peuvent alimenter la spéculation foncière. La CDC Biodiversité a vendu les premiers actifs naturels des Coussouls au prix de 43 000 euros l’unité alors qu’ailleurs l’hectare vaut 5 000 euros. Ne vaudrait-il pas mieux qu’un conservatoire régional de l’environnement achète des terrains à un prix huit à neuf fois moins élevé ? On peut également se demander, pour autant qu’on accepte le principe de la compensation assorti de garde-fous, s’il doit être laissé à des acteurs privés ou plutôt géré par des acteurs à but non lucratif, tels que des associations ou des conservatoires. Le risque est d’aboutir à un système qui mettra en concurrence les opérateurs de gestion de la nature auprès desquels les aménageurs pourront choisir d’acheter les crédits, et qui conditionnera le financement de la conservation de la nature à l’existence de projets d’aménagement. Ainsi, avec la crise financière ces dernières années, il y a eu, aux États-Unis, moins de constructions, donc moins de financements pour les réserves d’actifs naturels américaines. Le secteur de la protection de la nature a connu une crise économique parce qu’il était dépendant de financements privés.

J’ai le sentiment qu’il est peut-être trop tôt pour légiférer dans le sens de la création d’acteurs privés de la compensation. L’expérience de CDC Biodiversité est encore en cours, et l’on ne dispose pas d’une évaluation complète. Il n’y a pas de garantie sur la pérennité à long terme de ces systèmes de compensation, aucune servitude environnementale n’est inscrite dans la loi et il n’y a pas de principe de non-régression environnementale : rien ne garantit l’efficacité de cette compensation écologique. L’équivalence écologique ne doit pas rester un simple slogan.

M. Arnaud Béchet, chargé de recherche au Centre de recherche pour la conservation des zones humides, membre de l’association NACICCA Crau. Je vais vous présenter une analyse critique de la première expérimentation de réserve d’actifs naturels menée en France par CDC Biodiversité dans la plaine de la Crau, sur le site de Cossure. Nombre des critiques que je vais énoncer valent pour la compensation en général, telle qu’elle est intégrée, depuis 1976, dans le triptyque « éviter-réduire-compenser », lorsqu’il y a demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

En 2008, CDC Biodiversité a acheté 357 hectares d’un verger à proximité des Coussouls de Crau, un habitat unique en France avec des espèces que l’on ne retrouve que dans cette région. Elle a engagé un programme de restauration de ce verger en arrachant les arbres et le système d’irrigation. À partir de 2011, elle a vendu les premières unités d’actifs naturels à 43 000 euros l’unité, ce prix incluant l’achat du terrain, la restauration et la gestion sur trente ans des unités.

Certaines transactions compensaient la destruction de steppes abritant notamment des outardes canepetières. Un rapport de 2005 de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (DREAL PACA) recommandait un multiplicateur de cinq pour un dans le cas d’espèces à fort enjeu patrimonial, comme c’est le cas de l’outarde canepetière : un hectare d’habitat de l’outarde canepetière détruit doit donc être compensé par cinq hectares pour tenir compte de l’incertitude liée à la restauration et la capacité de restaurer l’habitat favorable à ces espèces, et éviter une perte nette de biodiversité. Près de 500 hectares ont été détruits, mais seulement 155 unités ont été achetées en compensation. Sachant que s’artificialise aujourd’hui en France l’équivalent d’un département tous les sept ans, le bilan est assez inquiétant.

Dans le cadre de cette transaction, les multiplicateurs qui ont été appliqués sont faibles et sans cohérence entre les différents projets. Ils n’ont pas tenu compte de l’incertitude des opérations de restauration, celle-ci n’étant pas terminée puisque la restauration écologique demande du temps, ni des effets cumulés des différents aménagements les uns à côté des autres, qui se font sentir sur une plus large échelle que la seule emprise des projets.

On a observé que ces transactions résultaient en général d’un marchandage entre les aménageurs et les bureaux d’études, reflétant des rapports de force inégaux entre opérateurs de sociétés nationales ou internationales et les fonctionnaires régionaux.

L’expérimentation a été menée sans cadre directeur sur la notion d’équivalence écologique. Dans ce projet, on est très loin de l’exemplarité.

L’objectif de « pas de perte nette » n’a pas non plus été démontré. La CDC fait la promotion du gain écologique par rapport au verger qui existait auparavant, mais n’a pas pu, après huit ans d’expérimentation, démontrer d’équivalence au regard de la diversité spécifique, de la taille des populations, de la fonctionnalité écologique et des services écosystémiques avec ce qui a été irrémédiablement perdu du fait de la construction d’entrepôts logistiques à Saint-Martin-de-Crau. Ont notamment été détruits plusieurs centaines d’espèces et plusieurs milliers d’individus de ces espèces ; 30 % de ces espèces ne sont pas présentes sur Cossure, et certaines ne le seront sans doute jamais en raison de leur contrainte écologique.

Les actifs vendus par CDC Biodiversité sont aussi temporaires et sans protection. En fait, le foncier des actifs reste la propriété de CDC Biodiversité. La réserve d’actifs naturels est une terminologie trompeuse puisque ce ne sont pas des réserves. Les actifs vendus ne bénéficient d’aucune mesure réglementaire de protection. Pour le moment, les déclarations de bonnes intentions de CDC Biodiversité n’offrent aucune garantie sur le long terme.

On peut parler ici de dérives du système qui a été mis en place autour de la compensation. La plupart du temps, l’étape « éviter » est court-circuitée par la raison impérative d’intérêt public majeur, qui se résume à des promesses d’emplois ou des menaces de délocalisation. Les dossiers rejetés dans un premier temps par le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) y reviennent avec des mesures compensatoires plus élevées : on achète, en quelque sorte, le droit à détruire. En offrant des compensations clé en main, l’institutionnalisation des réserves d’actifs naturels faciliterait ce mouvement. L’ouverture de ce type de mécanisme à de nouveaux opérateurs risque de générer une mise en concurrence avec des compensations ou des modes de restauration au moindre coût.

Le cadre est insuffisamment contraignant pour que la compensation soit véritablement additionnelle ou dissuasive pour un projet trop dommageable. Au vu de ce qui s’est passé autour de l’opération de Cossure, les multiplicateurs de compensation devraient être beaucoup plus cohérents et évalués à la hausse. Les zones restaurées devraient être sécurisées à long terme par la mise en place de protections plus strictes, notamment le transfert du foncier ou des servitudes environnementales.

En résumé, il faut reconnaître à l’expérimentation de Cossure une qualité : celle d’être une opération de restauration écologique à grande échelle, ce qui est vraiment la seule pratique susceptible d’aboutir à la reconquête de la biodiversité et à des gains de biodiversité dans des opérations de compensation écologique. Cependant, l’expérimentation n’offre pas d’avantage comparatif par rapport à d’autres modes de compensation, notamment des points de vue de l’équivalence écologique, de la lisibilité et de la transparence des transactions qui seront effectuées entre les maîtres d’ouvrage et les opérateurs de compensation. Ce mécanisme a montré qu’il n’offrait aucune protection sur le long terme. Il constitue même une occasion manquée de conserver dans le domaine public la gestion de la biodiversité ainsi que sa reconquête.

Mme Geneviève Gaillard. On a bien compris que le problème est compliqué. La compensation, on en parle depuis 1976 à travers des mesures réglementaires. Puis l’Europe s’est invitée dans le débat. Malgré tout, on se rend compte que la biodiversité n’a cessé de disparaître. Aujourd’hui, il importe de donner toute son efficacité au triptyque « éviter-réduire-compenser », sachant que les notions d’évitement et de réduction ont peut-être été un peu oubliées dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, tel qu’il a été voté. J’aimerais d’ailleurs avoir des précisions sur les ambiguïtés dont a parlé M. Chevassus au Louis s’agissant de la notion d’évitement.

Les actifs de compensation prévus dans le projet de loi posent problème à certains, mais les maîtres d’ouvrage peuvent adresser leur demande de compensation à des structures publiques ou privées. Il ne s’agit là que d’outils, certes importants, pour mettre en place de façon vraiment efficace la compensation.

Peut-on réellement tout compenser ? Ne doit-on pas se donner des obligations de résultats plutôt que des obligations de moyens ? Comment apprécie-t-on les résultats ? Dans quelle temporalité, puisqu’on ne sait pas, dans quinze ou vingt ans, quel sera l’état de la biodiversité ? Comment compenser les services rendus par la nature ? Je n’ai pas entendu parler ce matin de la fonctionnalité de la nature, alors que c’est un élément important. Comment faire pour ne pas donner de droit à détruire ? C’est un débat extrêmement important que soulèvent les ONG. Comment éviter la financiarisation des opérations de compensation ? Toutes ces questions, nous devons les appréhender pour aborder dans de bonnes conditions la deuxième lecture du projet de loi sur la biodiversité. Je ne suis pas certaine que l’on parviendra à tout régler, mais il serait déjà extraordinaire de pouvoir avancer.

Un mot sur l’évitement et la réduction. Les méthodes de contrôle, les études d’impact obligatoires dans la construction des projets ne sont pas suffisamment encadrées. Pour avoir été aux responsabilités dans une commune de taille moyenne, je sais que si l’on n’y prend pas garde, tout est possible. Comment faire en sorte que les études d’impact prennent vraiment en compte la problématique de la biodiversité pour éviter puis pour réduire ? Comment apprécier la réduction avant que n’intervienne, en final, la compensation ?

M. Martial Saddier. Il faut toujours juger les événements au regard des éléments dont disposaient les décideurs au moment où ils ont pris une décision sur un dossier. Toute autre analyse appartient aux historiens, or nous sommes des législateurs.

Le groupe Les Républicains souhaite rappeler que, depuis dix ans, les deux majorités successives se sont plus qu’affairées à renforcer le droit en matière d’objectifs de reconquête de la biodiversité. Deux textes fondateurs, dits « Grenelle I et II de l’environnement », ont été renforcés par l’inscription du respect de l’environnement dans la Charte constitutionnelle de l’environnement. Autrement dit, les enjeux environnementaux sont placés au même niveau que les enjeux sociaux et économiques dans le texte fondateur de notre République. La présente majorité n’est pas en reste : la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche a mis en place les commissions départementales qui veillent efficacement à la limitation de la consommation des espaces agricoles et des zones humides ; la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové oblige la couverture des schémas de cohérence territoriale (SCoT) et la révision de l’ensemble des plans locaux d’urbanisme (PLU), à défaut le retour au règlement national d’urbanisme (RNU) dès 2017, c’est-à-dire de dessaisir les maires ou présidents d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en matière d’urbanisme. Je citerai aussi des directives européennes ou des injonctions de la Cour européenne de justice, en n’oubliant pas de saluer cette différence notable avec d’autres pays qu’est l’ouverture au recours contentieux par n’importe quel citoyen, et cela sans préjudice possible. Objectivement, très peu de pays peuvent se prévaloir d’une telle quantité de textes ; ce système judiciaire n’existe dans aucune autre grande démocratie de la planète.

Aujourd’hui, dans toute révision de PLU, le ticket d’entrée prévoit d’enlever 50 % des zones urbanisables et à urbaniser. Notre groupe pense qu’il est nécessaire de stabiliser le dispositif législatif. Nous nous sommes arrivés à un point où il n’est pas utile d’en rajouter. Il faut ne pas avoir été maître d’ouvrage d’un dossier pour penser que l’on peut faire n’importe quoi dans ce pays. Tout n’est certes pas parfait, mais la complexité est telle aujourd’hui que l’on devrait déjà s’attacher à appliquer les textes en vigueur. Lorsqu’un dossier a passé tous les filtres, c’est qu’il n’est pas si mauvais que cela. (Murmures)

Enfin, j’insiste sur la solidarité financière qui doit jouer entre les territoires au bénéfice de ceux qui protègent l’eau potable et la biodiversité qu’abritent nos parcs naturels régionaux. Très peu peuplés, ils rencontrent jour après jour de plus en plus de difficultés financières pour protéger cette richesse qui sert au milieu urbain.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse.

M. Bertrand Pancher. L’accélération de l’érosion de la biodiversité annonce un grand drame dont on mesure les répercussions à tout moment. On ne peut pas, en France comme ailleurs, se satisfaire de la situation et considérer que la disparition de la biodiversité est inéluctable. De deux choses l’une : soit on remet en cause notre système de production, ce qui suppose d’avoir un nouveau projet de société, soit on reste dans l’économie de marché en réglementant et en internalisant les coûts indirects. Dès lors, se pose la question du coût indirect de la nature.

Déjà, en matière de réchauffement climatique et de qualité de l’air, alors qu’il n’y a que le seul indicateur du carbone à prendre en compte et à taxer, l’affaire n’est pas simple
– mais on commence à le faire partout dans le monde. Pour ce qui est de la nature, la complexité est extrême : quel prix donnons-nous à la nature et comment compenser sa dégradation, à supposer que cela soit possible ?

Avant de compenser, mieux vaut limiter les dégradations et les espaces consommés pour toutes les activités humaines. Dans notre pays comme ailleurs, on doit s’interroger sur la limitation des zones constructibles et le choix d’implantation de nouvelles usines. Répondre à ces questions c’est répondre à celle du coût de la nature. J’ai été frappé par l’exemple du New Jersey : quand le tarif de compensation d’une zone humide est de 300 000 euros l’hectare, on trouve toujours une solution ailleurs. En France, il n’existe pas de contrepartie forte. À 43 000 euros l’hectare dans la plaine de la Crau, il est plus facile de continuer à se développer dans n’importe quelle condition.

Les retours d’expériences sont essentiels, car la réflexion sur la compensation en est à ses balbutiements. Outre les banques de biodiversité aux États-Unis dont on a parlé, quels sont les modèles les plus élaborés dans le monde ? J’imagine qu’on a dû beaucoup y réfléchir dans certains pays, sans doute anglo-saxons. Existe-t-il des modèles sur lesquels s’appuyer ?

Le prix des réserves d’actifs naturels est-il assez élevé ? J’ai le sentiment que ce que l’on demande aux aménageurs est sans commune mesure avec les actifs naturels détruits.

Enfin, je m’interroge sur l’échelon territorial de la discussion. Force est de constater qu’on n’arrive jamais à se mettre d’accord sur ces questions. Or on aurait intérêt à trouver des solutions au plan local.

Mme Laurence Abeille. Les différentes interventions ont été éclairantes sur ce sujet de la compensation, qui est intervenu de façon quelque peu impromptue dans la discussion du projet de loi sur la biodiversité. Nous n’avons pas eu le temps d’en débattre en séance alors qu’il s’agit d’un sujet essentiel.

La compensation est l’ultime recours, mais on oublie trop souvent les phases d’évitement et de réduction. La compensation complète n’est pas possible, et ce principe même est fortement critiqué. Finalement, il est impossible de recréer les milieux naturels qui ont mis des siècles à se constituer. Il nous semble donc très dangereux de mettre en place une procédure de compensation sans la faire précéder d’une obligation d’évitement et de réduction. De fait, le projet de loi ne prévoit pas de procédure visant à tout faire pour éviter et réduire les atteintes portées à la biodiversité, ce qui est possible dans de nombreux cas. Par exemple, construire une autoroute sur pilotis, comme j’en ai vu dans certains pays, n’est-ce pas une action d’évitement, d’une partie en tout cas, de la destruction du milieu ?

Il devrait y avoir une obligation de réduire les atteintes à la biodiversité. J’ai ainsi défendu des amendements tendant à la préservation, dans les zones construites, de la végétation et de la perméabilité des sols. On pourrait tout de même réfléchir au moyen de ne pas avoir un monde où se côtoieraient, d’un côté, des espaces urbanisés d’où la biodiversité serait totalement absente, et d’un autre côté, des réserves totalement naturelles.

Quel genre d’obligation recouvrent les opérations de compensation dont on parle : l’obligation de moyens ou de résultats ? Déterminer si la compensation va réussir au bout de plusieurs années suppose des connaissances très solides, des calculs complexes sur la valeur de la biodiversité qui est détruite et celle qui pourrait être remplacée. Si l’opérateur n’a qu’une obligation de moyens, le risque est très grand que la compensation soit finalement un échec. L’obligation de résultats devrait être la règle et l’opérateur devrait être engagé sur une longue période, même si cela entraîne une incertitude sur le coût de la compensation et donc sur l’investissement initial. Cette incertitude économique ne doit pas primer sur la biodiversité, qui est essentielle.

Or la biodiversité est détruite immédiatement lors d’un aménagement, et elle n’est restaurée que progressivement par une opération de compensation. Il y a donc une perte nette de biodiversité pendant de nombreuses années, parfois des décennies. À terme, la compensation doit être au minimum intégrale.

Qui doit opérer la compensation ? C’est tout le débat entre compensation par la demande et compensation par l’offre. Le projet de loi prévoit d’instaurer les opérateurs de la compensation, dont CDC Biodiversité fait partie. Pourtant, l’aménageur ne devrait pas pouvoir se dédouaner de ses responsabilités en payant un opérateur de compensation. Payer pour avoir le droit de détruire la biodiversité est un processus dangereux qui ne peut que déboucher, à terme, sur de véritables banques d’actifs naturels. La financiarisation de la biodiversité n’est pas le bon chemin. Le risque est très grand que les opérateurs de compensation s’accaparent des terres et que l’existence d’un marché de la compensation incite in fine à la destruction de la biodiversité.

La compensation doit-elle se développer sur site ou hors site ? Que faire lorsque la compensation sur site n’est pas possible ?

Un écosystème détruit doit-il forcément être remplacé par un écosystème similaire ? Par exemple, l’artificialisation d’une zone humide peut-elle être compensée par la sauvegarde d’une espèce animale emblématique ? Cette deuxième option suppose des calculs scientifiques complexes d’équivalence écologique. Quant à la compensation dite « trait pour trait », elle est préférable mais compliquée à mettre en place.

Les dérives des systèmes de compensation ont été pointées, notamment aux États-Unis. Au final, il y a une perte nette de biodiversité puisqu’aucun espace de biodiversité n’a été créé. Surtout, rien n’empêche que l’espace protégé durant tant d’années ne soit pas détruit une fois que l’opérateur sera relevé de ses obligations.

M. Patrice Carvalho. Le maître d’ouvrage ne doit pas être le seul à assurer la gestion des compensations, car il est à la fois juge et partie. Et une fois qu’il a construit, il n’achète plus rien. C’est donc à l’État d’assumer cette responsabilité, mais il ne le fait pas toujours non plus.

Dans le Compiégnois, suite à des inondations, des digues très hautes ont été construites puis transformées en mur sans aucune autorisation et sans que l’État ne s’en inquiète. Puis, on a créé des pistes cyclables de plusieurs mètres de haut, pour que les gens puissent se promener sur le bord de l’Oise. Aujourd’hui, le préfet est en train de laisser industrialiser complètement, entre Compiègne et Creil, des terres qui constituent une zone d’expansion de l’Oise sur cinquante kilomètres au prétexte qu’il est plus facile d’urbaniser dans le lit des rivières que sur les plateaux. Comment peut-on compenser une rivière ? C’est impossible ! Bien sûr, des critères seront définis, par exemple ne pas construire en dessous de cinquante centimètres de la crue de 1993. Il n’empêche que des obstacles seront créés à l’écoulement normal des rivières, au maintien et au développement de la biodiversité. Si vous allez sur Compiègne, vous verrez que l’on continue à remblayer tout doucement, sans autorisation, des gravats, de la terre, et autres dans des champs utiles à la biodiversité.

Il faudrait également se soucier de compenser le dommage causé par les terres agricoles ou les exploitations forestières : les sols ne laissant plus pénétrer l’eau de pluie, la biodiversité disparaît tout doucement. À l’échelle du territoire de la France, ce phénomène est impossible à compenser. Il faudrait envisager une autre politique de compensation qui viserait à rendre ou à conserver à la terre sa perméabilité.

Le lit de l’Oise comprend beaucoup de gravières. Durant les décennies où notre rivière était complètement polluée, ces espaces, parfois très grands, ont servi de refuge aux animaux. Aujourd’hui, ils sont pratiquement devenus des sites ornithologiques dont nous avons organisé la protection et le suivi avec les associations compétentes. L’État ne nous aide pas au motif que les gravières sont une agression contre la terre. Mais elles sont le résultat d’une histoire ! Comment peut-on encore en prendre prétexte pour ne pas aider les collectivités qui veulent permettre à la biodiversité de se développer ?

Pour avoir été chargé, pendant huit ans, des routes du département de l’Oise, je connais bien les problèmes qui s’y rattachent. Certaines routes ont nécessité dix ans d’études, parce qu’on trouvait sur leur tracé, ici une chauve-souris exceptionnelle, là une orchidée remarquable ou encore le râle des genêts – que, pour ma part, je n’ai jamais vu (Sourires). J’entends qu’il faut assurer fluidité et maillage. Mais l’erreur originelle, c’est de vouloir construire ailleurs que sur les plateaux où se trouvent les routes, là où il n’en existe pas. J’ajoute que les terres qui sont dans les lits majeurs des rivières sont aussi riches, parfois beaucoup plus, que celles des plateaux parce que les alluvions s’y déposent.

M. Serge Bardy. Ma question porte sur deux sujets connexes qui constituent une autre façon de compenser l’impact écologique.

Les dispositifs concernant la responsabilité élargie du producteur (REP) sont parfois opérationnels, mais aussi parfois purement financiers. L’émetteur sur le marché paie une éco-contribution à un organisme chargé de financer le recyclage. Cette éco-contribution permet donc de compenser les coûts subis par la collectivité en ce qui concerne la gestion de fin de vie des papiers. Quel lien établissez-vous entre ces deux concepts ? Quel dispositif vous paraît le plus efficace en termes d’amélioration de l’impact environnemental des produits ?

Hier, nous avons reçu les fédérations du bâtiment pour la mise en œuvre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, s’agissant du recyclage de 80 % des déchets produits par les déconstructions. Nous avons appris que la France est très en retard pour la restauration des bâtiments et leur reconversion. Par exemple, dans d’autres pays, des silos sont transformés en bureaux, des tours de bureaux où la hauteur de plafond n’est plus aux normes sont devenues des hôtels. En France, sans contraintes écologiques, les maîtres d’œuvre, les architectes proposent de détruire, de déconstruire et reconstruire, sur le même lieu dans le meilleur des cas, ou de construire ailleurs, donc d’artificialiser de nouvelles terres. Il y a donc un lien entre les deux lois et la biodiversité doit être prise en compte même en aval de l’artificialisation des terres – c’est culturel avant tout. Selon moi, ce doit être un enseignement de base.

M. Jacques Kossowski. Le projet de loi sur la biodiversité définit juridiquement la notion d’opérateur de compensation écologique. Actuellement, dans notre pays, CDC Biodiversité est le seul opérateur habilité à jouer ce rôle. Mais l’adoption prochaine de ce texte pourrait créer les conditions de la naissance d’un véritable marché mêlant opérateurs publics et privés. Il va donc falloir envisager une régulation de ce nouveau secteur. Ce rôle devrait-il être confié à une autorité administrative habilitée à choisir et à contrôler les opérateurs ou bien vaudrait-il mieux s’en remettre à un code de bonne conduite établi par les acteurs eux-mêmes, en quelque sorte une forme d’autorégulation ? Comment imaginez-vous l’organisation de ce marché ?

M. Yannick Favennec. Depuis la loi de 1976, tout maître d’ouvrage doit « éviter-réduire-compenser » les impacts de ses projets sur les milieux naturels. Or le projet de loi sur la biodiversité insiste surtout sur la compensation, en généralisant ce qui n’était alors qu’une expérimentation des réserves d’actifs naturels gérées par des acteurs privés qui fourniront des mesures compensatoires clé en main aux aménageurs. Cette compensation par l’offre pose deux problèmes : elle donne un droit à détruire la nature, elle laisse entendre que l’on peut remplacer ce que l’on a détruit à un endroit par un bout de nature supposé équivalent ailleurs. Or nombre d’études scientifiques ont prouvé que la fonctionnalité des écosystèmes restaurés n’atteint jamais celle de ceux détruits, tant il est difficile de recréer des milieux constitués au fil des siècles.

Comment ne pas craindre la financiarisation de la biodiversité, dénoncée à juste titre par l’ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho, lorsque le vocabulaire même – banques de compensation, transferts d’actifs naturels – est calqué sur celui de l’économie ? Comment mesurer les équivalences en matière de compensation ? Comment donner un prix à la biodiversité ? Avez-vous des retours d’expériences conduites ailleurs dans le monde ?

M. Christophe Bouillon. La compensation écologique est une pratique vertueuse, puisqu’il s’agit de compenser les impacts sur la biodiversité. Elle n’est pas nouvelle puisque c’est la loi 1976 qui l’a prévue, et ne constitue pas non plus une alternative. Il convient d’éviter les impacts sur la biodiversité, de les réduire et de compenser les impacts résiduels. Ce débat montre malgré tout que le contenu est imprécis, voire flou, qu’il y a des ambiguïtés, des complexités.

Pourriez-vous préciser la notion d’équivalence écologique ? S’agit-il d’une équivalence ressource/ressource ou service/service ? Qu’en est-il de l’état zéro ? Certains d’entre vous ont proposé la création d’un marché de la compensation. Pour ma part, je demeure assez dubitatif au vu de ce qu’a donné le marché carbone. Si c’est le cas, que pensez-vous de la création d’une autorité indépendante de régulation de l’environnement pour mettre en œuvre ce marché ?

Le coût de la compensation représente souvent un pourcentage d’un projet. Pour autant tout n’est pas compensable. Que peut-on entendre par « bonne compensation » ?

En France, un département est artificialisé tous les sept ans. Les agriculteurs ont le sentiment d’être soumis à une double peine : d’un côté, des terres disparaissent pour la réalisation de projets, de l’autre, elles sont prises pour la compensation. Ne pourrait-on pas imaginer, de la même façon que l’on efface les barrages existants sur les cours d’eau, d’effacer les routes ?

Présidence de M. Christophe Bouillon, vice-président de la Commission

M. François-Michel Lambert. Je souhaite évoquer le dossier du parc photovoltaïque de Calissanne, à Lançon-de-Provence, dont l’appel d’offres a reçu trois propositions de parcelle. Une seule présente un enjeu majeur de biodiversité : c’est un espace où nichent l’aigle de Bonelli et l’outarde canepetière, deux espèces très fragiles. Le préfet est contre cette parcelle et soutient les deux autres. C’est pourtant celle qui est finalement retenue car les technologies qui y sont proposées sont meilleures que les autres. On va jusqu’à demander une dérogation à l’interdiction de destruction d’espaces accueillant des espèces protégées. Contre toute attente, la ministre valide le projet sur la seule idée de la compensation. On voit bien là que le triptyque « éviter-réduire-compenser » conduit à des aberrations. On aurait très bien pu réduire en choisissant les parcelles voisines, mais on a préféré recourir directement à la compensation. Comment mettre en œuvre un réel pare-feu entre chaque étape, et éviter le passage direct à la compensation ? Au demeurant, cet exemple nous interpelle sur la question de la gouvernance et de l’indépendance dans les choix.

M. Jacques Alain Bénisti. Monsieur Piermont, CDC Biodiversité peut-elle être saisie pour compenser les mesures et les décisions, non d’un opérateur privé, mais de l’État, qui vont engendrer des nuisances importantes sur la santé des habitants d’un territoire ? Par exemple, lorsque la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), donc l’État, décide arbitrairement et unilatéralement de dévier les trajectoires d’approche des avions d’un aéroport francilien, et donc un nouveau survol de populations jusque-là non affectées par les nuisances aéroportuaires, qui plus est sans aucune enquête publique ni consultation, CDC Biodiversité financera-t-elle les procédures engagées par les associations de défense d’habitants affectés par ces décisions pour obtenir de l’État ou de la DGAC des compensations sur la destruction de leur environnement ?

M. Christophe Bonneuil nous a indiqué que lorsque l’on dégrade on doit compenser. Mais quand c’est l’État qui est l’initiateur ou les autorités environnementales, et que les autorités judiciaires représentent justement cet État, quelle est la position de CDC Biodiversité, elle-même émanation de l’État en ce qui concerne le financement des procédures de compensation de ces populations qui vont subir la dégradation de leur quotidien et de leur environnement, et surtout de leur santé ?

Mme Marie Le Vern. Les associations de défense de l’environnement sont satisfaites de la décision du tribunal administratif de Grenoble dans l’affaire du Center parcs de Roybon, qui fait prévaloir la qualité des mesures de compensation sur leur quantité. Cette décision tend, du même coup, à rendre la compensation beaucoup plus difficile techniquement à mettre en œuvre et donc aussi beaucoup plus coûteuse pour les entreprises polluantes. D’une certaine manière, l’effet contre-incitatif recherché serait parfaitement rempli, mais cela ne donne pas de garantie sur l’application à long terme des mesures de compensation.

Aussi, je m’interroge sur les moyens d’assurer la pérennité dans le temps des mesures de compensation. L’efficacité de la compensation écologique doit s’évaluer au regard du temps environnemental, qui est un temps long. Quand on détruit un écosystème et qu’on en restaure un autre, la compensation n’est pas équitable si elle s’arrête là ; elle doit avoir une chance de durer. Cela implique une volonté politique, une évaluation régulière par la justice ou l’administration ainsi que des mécanismes contraignants. Quels pourraient être ces mécanismes ? Plus largement, comment assurer la pérennité de la compensation dans le temps ?

M. Stéphane Demilly. Monsieur Laurent Piermont, dans une note de mai de 2014, vous citiez Jacques Weber qui disait : « La meilleure des compensations écologiques est celle qui n’a pas lieu d’être ». Effectivement, c’est presque une lapalissade de le dire : il est préférable de préserver notre environnement que d’en compenser les destructions.

Le triptyque « éviter-réduire-compenser » est présenté comme le schéma idéal pour limiter l’impact de l’activité humaine sur notre environnement, sans pour autant stopper le développement économique. Les enjeux de la compensation écologique sont cependant gigantesques et les objectifs à atteindre semblent souvent hors de portée. En effet, en France, on considère que l’équivalent de la surface d’un département est urbanisé tous les sept ans. La surexploitation des espèces dans le monde fait qu’à ce jour 69 % des espèces aquatiques consommables ont été détruites ou sont surexploitées, et des travaux récents qui ont suivi 2 000 espèces de mammifères, d’oiseaux et de poissons sur quarante ans ont montré que l’on a perdu plus de 50 % des individus de ces populations.

Tous ces chiffres interrogent vraiment sur les objectifs de la compensation écologique. Que veut-on compenser, que peut-on compenser et surtout que doit-on compenser, la notion d’équivalence écologique étant difficilement appréhendable ? Je pense, par exemple, aux zones humides dont, une fois détruite, il est utopique de penser reconstituer la biodiversité à l’identique. Il faut du temps pour rebâtir l’écosystème détruit, donc des moyens. Dès lors, deux options sont envisageables : soit anticiper les compensations écologiques d’un projet d’envergure en les mettant en place avant même que le projet ne soit commencé ; soit prévoir les coûts de ces compensations suffisamment en amont, de façon à s’assurer de leur réalisation. Quelle est celle de ces deux approches que vous privilégiez ?

M. Jean-Marie Sermier. CDC Biodiversité est l’acteur public de la compensation. Mais aujourd’hui, d’autres opérateurs français existent. Monsieur Laurent Piermont, comment accompagnez-vous la naissance et l’émergence de ces nouveaux opérateurs privés ?

Outre la compensation par l’offre, qui nécessite des moyens financiers très importants, il existe d’autres modalités de mise en œuvre de la mesure compensatoire, notamment grâce à la contractualisation avec les agriculteurs, les propriétaires, les exploitants. Il est ainsi possible de mettre en œuvre une compensation efficace, qui offrirait à la fois au monde agricole un revenu complémentaire et favoriserait une dynamique agroécologique. De telles mesures permettraient également d’éviter l’accaparement pur et simple du foncier. Existe-t-il une nouvelle technicité, de nouvelles connaissances en matière de biodiversité qui permettraient à ces acteurs du territoire d’être opérateurs de compensation ?

Plusieurs collègues ont indiqué qu’un département français était artificialisé tous les sept ans. Or, tout à l’heure, l’un d’entre vous a indiqué que 20 000 à 30 000 hectares étaient artificialités chaque année, soit 250 kilomètres carrés, c’est-à-dire un département tous les vingt à vingt-cinq ans. Est-ce sept ou vingt-cinq ans ?

M. Guillaume Chevrollier. La compensation écologique est un principe vertueux posé par la loi de 1976 relative à la protection de la nature. Son intérêt majeur est de tendre à limiter l’amenuisement des ressources naturelles. Mais ce sujet donne lieu à des débats nourris entre ceux qui considèrent qu’il ouvre un droit à détruire et ceux qui y voient une contrainte trop importante. Comme souvent lorsque des intérêts importants sont en jeu, il est difficile de faire la part des choses. Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité devrait renforcer à la fois les objectifs et les obligations qui y sont liées.

Je profite de cette table ronde pour répercuter, une fois encore, l’exaspération de nos concitoyens par rapport à l’hystérie normative, en particulier dans le domaine agricole où les réglementations sont de plus en plus nombreuses et strictes, et les mesures de plus en plus coercitives. Il y a globalement un manque de concertation. Comme on le voit souvent au sein de notre commission, on se heurte souvent au problème de l’articulation entre l’efficacité environnementale et scientifique, et l’efficacité économique. On le constate encore à propos du préjudice écologique, actuellement en discussion au Parlement.

M. Jean-Pierre Vigier. Le triptyque « éviter-réduire-compenser » est essentiel pour concilier développement économique et préservation de la biodiversité. Cependant, la compensation est jugée souvent contraignante et difficile à appliquer. Ne faudrait-il pas prioriser les actions de compensation pour les rendre plus efficientes, et surtout pour être en adéquation avec les capacités financières des maîtres d’ouvrage ? Une gouvernance locale associant l’ensemble des personnes concernées par le projet ne permettrait-elle pas de trouver un juste équilibre écologique sur la compensation ?

M. Arnaud Béchet. Vous demandez ce qu’est une bonne compensation. Aujourd’hui la priorité étant à désartificialiser le territoire, une bonne compensation consisterait à remettre de la nature dans des zones qui ne sont plus naturelles, par exemple par l’effacement de zones ayant été imperméabilisées.

Effectivement, la question de la gouvernance et de l’instruction des dossiers doit être posée. Actuellement, on observe des défauts et des faiblesses s’agissant de la capacité des services de l’État à cadrer et calibrer les mesures compensatoires à demander ou offrir, qui sont toujours inférieures à ce qui a été détruit. S’agissant du dossier de Cossure, les ONG environnementales sont souvent les alliés objectifs de CDC Biodiversité lorsque l’on constate que des compensations ont été sous-calibrées et que CDC Biodiversité n’obtient pas les compensations qu’elle pourrait attendre pour un projet qui se construit. Les ONG environnementales trouvent que les dommages sont bien mal compensés. Le projet de loi devrait fixer un cadre normatif beaucoup plus fort pour que la compensation puisse viser l’objectif « aucune perte nette ».

M. Christophe Bonneuil. Je ne peux qu’approuver l’idée selon laquelle le temps de l’environnement est long. Nos sols agricoles sont en train de se dégrader lentement alors qu’ils ont été constitués par des millénaires de couvert forestier et des siècles de bonnes fumures. La restauration d’un environnement, d’un écosystème, d’un habitat demande beaucoup de temps. En acceptant le principe que la compensation peut être faite par des acteurs privés, le garde-fou minimal me semble devoir être la garantie temporelle, ce qui signifie sans doute que si le foncier est privé, il doit faire l’objet d’un dispositif de protection. Il me semble qu’à la tour du Valat, où le foncier est privé, des arrêtés de protection garantissent une gestion environnementale de longue durée. Quant à la définition de la durée, en la matière, le siècle me paraît être l’unité minimale. Le principe de non-régression qui avait été proposé par voie d’amendements a été retiré au Sénat alors qu’il est sans doute fondamental.

Comment faire respecter la hiérarchie ERC ? L’indépendance de l’expertise et le renforcement de l’autorité environnementale publique sont des éléments fondamentaux. En la matière, les députés et les sénateurs ont engagé une série de réflexions.

M. Bernard Chevassus au Louis. Alors que l’on estime que l’artificialisation concerne entre 20 000 et 70 000 hectares, les dernières statistiques du ministère de l’agriculture montrent que, chaque année, environ 200 000 hectares de prairies sont transformés en terres de culture, ce qui est préoccupant en termes de biodiversité. Je ne pense pas que l’on puisse demander à la compensation d’être un frein efficace à ce phénomène. Chacun sait qu’un terrain qui devient constructible génère des plus-values. Mais n’essayez pas, en faisant monter les prix, de faire porter à la compensation un pouvoir dissuasif qu’elle n’aura jamais.

Vous demandez si les opérations de compensation doivent être assorties d’une obligation de moyens ou de résultats. Personnellement, je ne crois pas à l’obligation de résultats. Les médecins ont une obligation de moyens, c’est-à-dire qu’ils doivent mobiliser tout leur art pour essayer de vous guérir. À mon avis, il faudrait combiner les deux, c’est-à-dire faire porter l’obligation de moyens sur les maîtres d’ouvrage, et ajouter un deuxième système soit d’assurance, soit de fonds de garantie pour parvenir à l’obligation de résultats, au cas où les choses n’auraient pas fonctionné comme on pouvait le penser.

Tous les outils existent déjà pour assurer la pérennité de la compensation dans le temps. Le Conservatoire du littoral utilise des baux environnementaux qui lui permettent de faire gérer ses terrains suivant un cahier des charges adéquat, tout en en conservant la propriété. On peut aussi prendre des arrêtés de protection de biotopes et autres. Reste à savoir si la pérennisation doit être obligatoire, c’est-à-dire si elle doit ou non s’appliquer à tous les terrains utilisés pour la compensation.

Enfin, qui doit mener les opérations ? Des opérateurs publics ou des opérateurs privés ? En la matière, il faut éviter tout dogmatisme. Quand vous vous rendez dans un laboratoire d’analyse médicale, vous y allez en confiance sans vous intéresser à son statut. Vous savez qu’il est sous assurance qualité, qu’il y a des procédures de contrôle et que tout sera fait au mieux. Lorsqu’un bureau d’études, qu’il soit public ou privé, procède à un inventaire de biodiversité, ce qui importe c’est qu’il soit soumis à des procédures de qualification, au même titre que lorsque l’on autorise quelqu’un à intervenir sur un monument historique. De même, il faut légiférer pour fixer les droits et obligations d’un opérateur de compensation, qu’il s’agisse d’une coopérative, d’un groupe associatif, du Conservatoire du littoral ou d’un opérateur privé. Les associations qui proposeraient soit de réaliser des études, soit de faire de la compensation, doivent être soumises aux mêmes obligations de qualité qu’un opérateur privé. Prenons le temps d’organiser un système, quitte à renvoyer les points un peu difficiles à des décrets d’application plutôt que de chercher à légiférer rapidement.

M. Harold Levrel. Avant de parler de compensation, il faut connaître l’ampleur de la destruction, savoir s’il s’agit d’un habitat naturel de bonne qualité ou bien déjà dégradé. En amont, il faudrait pouvoir envisager une forme de gouvernance à l’échelon local qui intégrerait la discussion sur la séquence ERC et se pencherait sur le bien-fondé des déclarations d’utilité publique de certains projets, car on voit bien qu’elles sont parfois discutables du point de vue économique, social et écologique. Elle réfléchirait au type d’habitat affecté et en quoi il peut être compensable ou pas. Actuellement, on observe des défaillances sur toute la chaîne de gouvernance, sans parler du déficit de démocratie locale lorsque l’on veut discuter de ces questions dans une atmosphère sereine.

S’agissant de la qualité des actions de restauration dans le domaine de la compensation, il me semble que l’écologie de la restauration est insuffisamment mobilisée. Pourtant, d’énormes progrès ont été accomplis dans cette science au cours des dernières années. La littérature fait état de grandes études montrant la capacité de récupérer environ 75 % de l’état naturel d’un écosystème, ce pourcentage traduisant une diversité de situations. Certaines informations permettent d’évaluer le niveau de succès. Par exemple, pour les zones humides, on sait que des surfaces plus grandes accroissent les niveaux de qualité parce qu’il y a davantage de connectivité et de dynamiques. Ces éléments doivent être pris en compte lorsque l’on diagnostique ce qui est compensable et ce qui ne l’est pas.

Quant à la dimension temporelle, c’est évidemment un élément central. On sait qu’une terre agricole est l’un des écosystèmes les plus difficiles à restaurer puisqu’il faudra cinquante ou soixante ans rien que pour faire disparaître tous les polluants.

J’aborderai le bilan que l’on peut dresser de l’expérience américaine à travers les zones humides, que je connais le mieux. Aux États-Unis, environ 134 000 hectares de zones humides ont disparu chaque année entre 1975 et 1985, contre 16 000 hectares par an entre 2004 et 2009. S’il n’y a toujours pas de no net loss, on constate toutefois une amélioration dans les pertes. Je cite là un rapport du Fish and Wildlife Service. Il s’agit d’éléments surfaciques qui masquent des diversités de situations, et il faut, bien évidemment, aller plus loin en termes qualitatifs. Néanmoins, on peut voir qu’un renforcement de la séquence ERC, et notamment de la partie compensation, peut créer des effets.

Lorsque l’on parle de marchandisation et de financiarisation, il faut faire attention à ce que l’on évoque. En l’espèce, il s’agit de marchés très particuliers. Vous demandez si un marché peut être autorégulé. Non. En général, dans le domaine de l’environnement cela conduit à des catastrophes. En revanche, si on a des applications très sévères au niveau de la forme de régulation sur ce marché, on aboutira à des effets positifs liés à la dimension incitative. Des limites biophysiques et des cadres d’exigence écologique doivent être imposés réglementairement mais on peut utiliser le marché d’une certaine manière pour atteindre des objectifs écologiques exigeants si l’on s’en donne les moyens.

La financiarisation est source de malentendus. Pour qu’il y ait une transférabilité et une cessibilité entre plusieurs personnes, il doit y avoir des marchés secondaires. C’est cela le capitalisme financier. En l’occurrence, ici, on ne parle pas de marché secondaire ni de marché à terme, mais de marché où les crédits de compensation ne pourraient être vendus qu’au générateur de l’impact, comme c’est le cas aux États-Unis.

M. Laurent Piermont. D’autres pays que le nôtre estiment qu’il faut compenser en fonction de la priorité écologique – je détruis quelque chose mais je compense sur une priorité ailleurs. Je crois profondément que la doctrine française « éviter-réduire-compenser », en recherchant l’équivalence écologique et la compensation locale, est fondamentalement une bonne solution qui correspond bien à l’esprit de notre territoire très varié et de nos populations. Comme l’a dit un intervenant, la biodiversité n’est pas qu’une notion scientifique, c’est aussi une notion territorialisée et socialisée. Elle n’est pas la même selon l’endroit où l’on habite.

L’équivalence écologique pose de nombreuses difficultés parce que l’on ne peut pas reconstituer à l’identique un espace naturel que l’on a détruit. Si l’on veut absolument le conserver à l’identique, il ne faut pas le détruire. C’est pourquoi j’affirme que tout n’est pas compensable. Il appartient à l’État de ne pas autoriser un aménagement qui n’est pas compensable.

Dans la séquence ERC, on se situe dans un cadre où l’État a analysé les choses et a considéré que la compensation était possible, c’est-à-dire que l’on pouvait reconstituer une trajectoire écologique, une fonctionnalité, un élément de surface, d’espèces ou d’espaces, moyennant quoi on limite au mieux les dégâts. En général, mais pas toujours, l’État donne un coefficient de surface parce que la copie est bien souvent moins bonne que l’original. En théorie, le dispositif est globalement bon. Le problème c’est que la destruction continue. Depuis 1976, plus d’un million d’hectares ont été détruits sans aucune action de restauration. Des maîtres d’ouvrage, grands et petits, publics et privés, présentent des dossiers remarquables, avec des mesures compensatoires extrêmement séduisantes qui entraînent l’adhésion des pouvoirs publics sur l’autorisation d’aménager. Or, la réalité, c’est qu’ils ne remplissent pas leurs obligations. Dès lors, les opérateurs de compensation et les réserves d’actifs naturels ne sont évidemment qu’un petit élément du dispositif.

Madame Le Vern, j’ai dit que le maître d’ouvrage avait un rôle important parce que c’est lui qui a les moyens d’études. Pour construire une autoroute longue de 100 kilomètres, de 400 000 à 500 000 journées d’études sont nécessaires. L’État ne peut pas mobiliser autant de journées d’études, et le maître d’ouvrage trouvera toujours le moyen de dire qu’il n’arrive pas à compenser.

Pour l’anecdote, un maître d’ouvrage qui devait traverser une vallée alluviale a été soumis à une mesure compensatoire. Le directeur de chantier nous a expliqué qu’il ne pouvait pas allonger son viaduc pour des raisons de portance du sol. Nous lui avons calculé le prix de la mesure compensatoire du remblai et, tout à coup, il a pu allonger le viaduc. Je ne dis pas que ce maître d’ouvrage ne s’intéressait pas la nature, mais il avait un budget contraint. Je pense profondément que pouvoir transférer à un opérateur de confiance les mesures compensatoires tout en conservant la responsabilité au maître d’ouvrage améliore considérablement la sécurité des opérations. Je vous assure que lorsqu’elle prend un engagement, comme elle le fait depuis 1816, la CDC a à cœur de le tenir, quel qu’en soit le coût.

La réserve d’actifs naturels va aussi, selon moi, dans le bon sens. Tout à l’heure, j’ai cité l’exemple d’un maître d’ouvrage qui a préféré renoncer à deux éoliennes de son parc qui auraient donné lieu à des mesures compensatoires trop chères.

Les terres qui sont artificialisées chaque année représentent environ 20 000 à 30 000 hectares. L’équivalent du département, c’est ce qui est supprimé à l’agriculture tous les dix ans, mais cela ne signifie pas nécessairement que les terres sont artificialisées.

C’est l’État qui doit fixer l’équivalence et déterminer ce que CDC Biodiversité doit faire.

Les maîtres d’ouvrage publics sont bien évidemment soumis aux mêmes obligations que les maîtres d’ouvrage privés.

Faut-il exiger une mesure compensatoire fondée sur la valeur en augmentant le coût pour que ce soit dissuasif ? On va vers une forme de financiarisation, de travail sur l’écologie fondée sur la valeur de la nature. C’est le coût de la réparation qui doit fonder le prix. Pour notre part, nous facturons tout simplement le prix de la réparation.

Vous demandez si les opérations de compensation doivent faire l’objet d’obligations de moyens ou de résultats. Nous prenons des obligations de résultats mais pas de résultats écologiques. Je ne peux pas m’engager à ce qu’une certaine population de vison d’Europe soit sur telle parcelle en 2043. Par contre, je peux m’engager à préserver des conditions favorables aux visons d’Europe jusqu’en 2070.

J’affirme que CDC a pris l’engagement de maintenir la vocation écologique de l’espace naturel Crau au-delà de trente ans. La limite de trente ans est la limite de notre engagement à investir. Ensuite, on maintient la vocation écologique. Donc, non, il n’y aura pas de HLM sur cet espace. Autorisez-moi à penser qu’un engagement de la Caisse des dépôts et d’une de ses filiales n’est pas sans importance quand on voit le nombre de réserves naturelles, de parcs naturels ou d’espaces classés qui finalement sont déclassés. Mais cela reste un détail. S’il fallait renforcer par des garanties financières ou des engagements plus forts que ceux que nous avons pris, pourquoi pas ?

Comme M. Harold Levrel, je considère que la compensation est une prestation de services vendue au maître d’ouvrage. Il n’y a pas de marché secondaire, il n’y a aucun droit transféré. Il n’y a donc pas l’ombre de l’apparence d’une financiarisation.

Pour ce qui est du droit à détruire, c’est une considération inexacte en droit, économiquement et en fait : en droit, parce que c’est l’administration qui donne le droit à détruire au vu d’un dossier ; économiquement, parce que la compensation est d’abord une pression économique exercée sur le maître d’ouvrage pour éviter et réduire davantage, même si ce n’est pas suffisant ; en fait, parce que quarante ans d’expérience professionnelle m’ont appris que les maîtres d’ouvrage veulent faire des ouvrages à un endroit précis dans un budget le plus contraint possible. Ils ne viennent pas dans une zone parce qu’il y a une compensation, mais parce qu’ils veulent y réaliser un ouvrage. Le fait que nous leur proposions une compensation a d’abord pour eux un coût. C’est un budget auquel ils vont essayer d’échapper.

M. Christophe Bouillon, président. Merci, messieurs, pour vos contributions dont nous pourrons nous inspirer largement.

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Informations relatives à la commission

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous propose la nomination d’un rapporteur sur la proposition de résolution européenne de Mme Danielle Auroi sur la révision des procédures de mesure des émissions de polluants atmosphériques automobiles. Compte tenu de l’obligation pour la commission de se prononcer avant le 13 février prochain, nous examinerons la proposition de résolution mercredi 10 février, après l’audition de M. Louis Schweitzer. J’ai reçu la candidature de monsieur Michel Lesage.

La Commission a nommé M. Michel Lesage rapporteur de la proposition de résolution européenne de Mme Danielle Auroi sur la révision des procédures de mesure des émissions de polluants atmosphériques automobiles (n° 3396).

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 27 janvier 2016 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Sylvain Berrios, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Jacques Kossowski, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Christophe Priou, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Pierre Blazy, M. Vincent Burroni, Mme Florence Delaunay, M. David Douillet, M. Christian Jacob, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, M. Thomas Thévenoud

Assistait également à la réunion. - Mme Delphine Batho