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Mercredi 23 mars 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 50

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– En application de l’article 13 de la Constitution, audition de M. Jean-Christophe Niel, candidat à la direction générale de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN).

– Vote sur la nomination

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Jean-Christophe Niel, candidat à la direction générale de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je souhaite la bienvenue dans notre commission à MM. Julien Dive et Pascal Thévenot, qui ont été élus dimanche dernier.

Il nous appartient, en application de l’article 13 de la Constitution, d’auditionner M. Jean-Christophe Niel, candidat au poste de directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour succéder à M. Jacques Repussard, que nous avons rencontré à de nombreuses reprises. Nous avons déjà reçu M. Niel, notamment le 1er mars dernier, lors de l’audition de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qu’il accompagnait en qualité de directeur général de cette autorité.

La loi organique du 23 juillet 2010 a dressé la liste des cinquante et un emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce dans les conditions fixées au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Parmi ceux-ci, seize doivent faire l’objet d’un avis préalable de notre commission. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

La présente audition sera donc suivie d’un vote à bulletin secret, pour lequel aucune délégation de vote n’est possible et qui sera effectué par appel nominal. La commission du développement durable du Sénat ayant auditionné M. Jean-Christophe Niel la semaine dernière, le dépouillement aura lieu immédiatement après le vote.

M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l’Autorité de sûreté nucléaire, candidat au poste de directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Je souhaite tout d’abord rendre hommage aux victimes des attentats effroyables qui ont eu lieu hier à Bruxelles.

J’ai 54 ans, et cela fait une vingtaine d’années que je suis impliqué principalement dans l’évaluation et la gestion des risques radiologiques et nucléaires. C’est pour cette raison que je me suis porté candidat au poste de directeur général de l’IRSN. C’est un honneur pour moi d’être auditionné aujourd’hui par votre commission. Je vous présenterai mon parcours professionnel, en montrant en quoi il répond aux exigences de la fonction, puis exposerai mes projets et mes ambitions pour l’IRSN.

Je suis ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. Docteur en physique, j’ai fait de la recherche fondamentale en physique quantique des champs pendant près de dix ans au début de ma carrière. Puis j’ai passé quatre ans à l’ASN en tant que sous-directeur chargé du contrôle des installations nucléaires autres que les réacteurs destinés à la production d’électricité, à savoir les réacteurs de recherche, les usines de retraitement et les sites de gestion des déchets. Ensuite, j’ai rejoint, pour une durée de dix ans, l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), devenu plus tard l’IRSN. J’y ai exercé diverses fonctions, notamment celle de directeur de l’expertise et celle de directeur de la stratégie. Après un passage à la tête de la mission de la stratégie au ministère de l’équipement, j’ai été nommé directeur général de l’ASN il y a neuf ans. C’est le poste que j’occupe aujourd’hui.

Mon itinéraire présente quelques caractéristiques marquantes.

Il est placé sous le signe du dialogue avec les parties prenantes au sein de la société et des territoires, notamment avec les élus, les commissions locales d’information (CLI) et les organisations non gouvernementales. Il y a une dizaine d’années, lorsque j’étais à l’IRSN, j’ai préparé le premier accord entre l’institut et l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI).

J’ai toujours occupé des postes à forte composante technique et scientifique.

J’ai une expérience – à mon corps défendant, je dois dire – de situation de crise : l’accident de Fukushima, il y a cinq ans. J’étais aux États-Unis quand l’accident a débuté. À peine sorti de l’avion qui me ramenait en France, je me suis rendu au centre de crise de l’ASN et j’y suis resté pendant environ un mois. Ce sont des souvenirs forts. J’ai aussi suivi l’affaire des surirradiés d’Épinal, dont l’ASN a traité les suites.

Les questions nucléaires ont, depuis toujours, une forte composante internationale. Je suis impliqué dans ces affaires internationales, notamment en qualité de président du comité sur les activités nucléaires réglementaires de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

J’ai participé à la création et à la mise en place d’un certain nombre de nouvelles structures. J’étais à l’IPSN lorsqu’il a été transformé en IRSN en 2002. J’ai rejoint l’ASN en 2007 quelques mois après sa création en tant qu’autorité administrative indépendante. J’ai managé un certain nombre d’équipes importantes. Travaillant dans la sphère publique depuis le début de ma carrière professionnelle, j’ai une connaissance des mécanismes budgétaires et administratifs, ainsi que des responsables compétents en la matière.

À l’ASN et à l’IRSN, j’ai été amené à couvrir des domaines variés : la sûreté nucléaire, la radioprotection, la sécurité, la protection de l’environnement. J’ai pratiqué des activités multiples : recherche, expertise, gestion de programmes, stratégie. J’ai aussi exercé dans des structures ayant des statuts divers : laboratoire de recherche, administration centrale, autorité administrative indépendante, établissement public. À l’IRSN, où j’ai passé un certain temps, j’ai acquis la connaissance du fonctionnement d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) à vocation scientifique et technique.

J’en viens à ma vision et à mes ambitions pour l’institut.

L’IRSN est, je le rappelle, l’expert public des risques nucléaires et radiologiques. Il contribue à la mise en œuvre des politiques publiques en matière de sûreté nucléaire et de protection des personnes et de l’environnement contre les rayonnements ionisants. C’est un EPIC, dont les tutelles sont les cinq ministères chargés, à un titre ou à un autre, de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui a été votée cet été, conforte le statut de cet établissement.

L’IRSN exerce quatre missions : il réalise des recherches sur les risques radiologiques et nucléaires, qui représentent 40 % de son budget ; il apporte son expertise en appui aux autorités publiques, notamment à l’ASN, y compris en situation de crise ; il remplit des missions d’intérêt public telles que la surveillance radiologique de l’environnement ou la gestion des données dosimétriques des travailleurs ; il fournit un certain nombre de prestations pour des clients divers.

L’IRSN compte environ 1 750 collaborateurs, qui sont, pour les trois quarts d’entre eux, des experts et des chercheurs.

L’IRSN rend régulièrement compte au Parlement. Il s’agit d’une occasion privilégiée de dialogue. Bien évidemment, je poursuivrai activement les échanges avec vous.

L’IRSN interagit aussi avec les différents interlocuteurs compétents sur les questions nucléaires : les exploitants, les autorités publiques et la société civile, notamment les CLI. L’IRSN est très impliqué au niveau européen, à la fois au travers des programmes de recherche européens et au sein de l’association ETSON – European Technical Safety Organisation Network –, qui regroupe des établissements proches de ce qu’est l’IRSN en France.

Le rôle de l’IRSN prend une dimension particulière dans le contexte actuel. Ainsi que l’a rappelé récemment le président de l’ASN, les enjeux de sûreté nucléaire seront importants dans les années à venir, avec la question de la prolongation de l’exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans, les réexamens de sûreté des installations du cycle du combustible, les démantèlements et la construction de nouvelles installations, qu’il s’agisse du réacteur EPR – European Pressurized Reactor – à Flamanville, du centre industriel de stockage géologique (CIGEO) à Bure, du réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) ou du réacteur Jules-Horowitz à Cadarache. Rappelons que la loi relative à la transition énergétique a renforcé la sûreté nucléaire et l’information des citoyens.

En outre, l’évolution des pratiques médicales induit des enjeux croissants de protection contre les rayonnements ionisants, tant pour les professionnels que pour les patients et, plus généralement, le public. Cela tient soit à l’augmentation significative des doses délivrées lors des examens diagnostiques, soit au recours à des technologies plus sophistiquées en radiothérapie.

L’IRSN publie chaque année un baromètre sur la perception des risques et de la sécurité par les Français. Celui de 2015 montre que la protection de l’environnement est une préoccupation croissante de nos concitoyens. D’autre part, les questions de sécurité et de lutte contre les actes de malveillance prennent une importance grandissante – les événements d’hier le rappellent.

Dans ce contexte, compte tenu des activités que j’ai déjà exercées, je souhaiterais, si j’étais nommé directeur général de l’IRSN, dégager cinq axes ou orientations majeures pour l’institut.

Premièrement, j’entends développer, avec les acteurs concernés, la stratégie scientifique de l’IRSN, en visant trois objectifs : contribuer à l’amélioration des connaissances dans les domaines de la sûreté nucléaire, de la radioprotection, de la protection de l’environnement et de la sécurité ; alimenter l’expertise dans ces domaines avec les meilleures connaissances du moment ; favoriser et renforcer la culture scientifique de haut niveau de l’institut. Cette stratégie de recherche doit s’intégrer, d’une part, dans les stratégies nationales et, d’autre part, dans les agendas européens. Elle doit favoriser les partenariats avec les homologues de l’IRSN, les organismes de recherche et les industriels, dans le respect de l’indépendance de l’institut.

Deuxièmement, je m’engage à renforcer la cohérence stratégique entre l’IRSN et les autorités publiques, notamment l’ASN, tout en assurant l’indépendance de l’expertise de l’IRSN. Il faudra élaborer une programmation stratégique de l’activité d’expertise, celle-ci devant être techniquement incontestable, opérationnelle et proportionnée aux enjeux.

Troisièmement, je souhaite contribuer à renforcer encore la transparence et la participation en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection et, plus généralement, de gestion du risque. Il s’agit notamment d’organiser de manière systématique la publication des avis de l’IRSN prévue par la loi relative à la transition énergétique et la publicité des données scientifiques des programmes de recherche de l’institut afin d’améliorer l’information du public et des professionnels. Je compte aussi renforcer le travail déjà important réalisé par l’IRSN avec les CLI, d’une part, et avec les publics scolaires, d’autre part.

Quatrièmement, il s’agira de valoriser le potentiel humain de l’IRSN et de renforcer l’adhésion déjà forte de son personnel à ses valeurs et à ses missions, notamment en favorisant des itinéraires professionnels variés, non seulement à l’intérieur de l’IRSN, mais aussi à la faveur d’allers-retours entre l’IRSN et ses partenaires. La force de l’IRSN, ce sont les femmes et les hommes qui y travaillent, dont la compétence est reconnue aux niveaux national et international.

Enfin, cinquièmement, dans le contexte des finances publiques que vous connaissez, il m’appartiendra, en relation avec les tutelles, d’assurer un fonctionnement de l’institut efficace et une gestion écologiquement responsable.

Tous ces éléments devront bien sûr faire l’objet d’échanges avec un certain nombre d’acteurs, au premier rang desquels les tutelles, les autorités compétentes auxquelles l’IRSN apporte un appui technique et le personnel de l’IRSN, en relation avec la présidente du conseil d’administration de l’IRSN, Mme Dominique Le Guludec, avec qui j’ai déjà eu l’occasion de travailler.

Pour conclure, si vous me faites l’honneur de valider ma candidature, je mettrai tout en œuvre pour que l’IRSN poursuive ses missions de manière à répondre aux enjeux de sûreté nucléaire et de radioprotection, ainsi qu’aux attentes de nos concitoyens en la matière.

M. Christophe Bouillon. Monsieur Jean-Christophe Niel, vous êtes la bonne personne et vous serez, bientôt, à la bonne place. Ainsi que votre parcours le démontre, tout vous destinait à occuper cette place. Vous êtes polytechnicien, et les polytechniciens peuvent tout diriger, même l’IRSN ! (Sourires) Vous connaissez déjà la maison, ainsi que l’ASN. Au long de votre parcours, notamment au travers des travaux de recherche que vous avez menés, vous avez pu appréhender l’ensemble des enjeux relatifs à la sûreté nucléaire et à la radioactivité. Or, chacun le sait, traiter ces questions délicates nécessite une exigence, celle qu’incarne l’IRSN, mais aussi de la transparence. Ainsi que vous l’avez souligné à plusieurs reprises, l’IRSN a un rôle d’information, d’explication, voire de pédagogie.

Vous avez décrit votre ambition et fixé des priorités. J’aimerais, pour aller plus loin, connaître votre état d’esprit. La première des missions de l’IRSN, vous l’avez rappelé, est de fournir une expertise technique en appui aux autorités publiques, notamment à l’ASN. Or, au fil des années, ainsi que notre commission a pu le constater en auditionnant à plusieurs reprises ses responsables, l’IRSN est passé d’un rôle de « bras armé » technique à celui de « tête désarmante » : non content de remplir sa mission d’expert technique essentielle pour l’ensemble des acteurs du nucléaire, il n’a pas hésité à intervenir dans le débat public et à contribuer à la réflexion. Il l’a fait notamment après l’accident de Fukushima en évaluant le coût d’un accident nucléaire majeur pour la France à environ 400 milliards d’euros, chiffre qui a beaucoup fait débat, et en remettant en cause le principe de précaution maximale. Il l’a encore fait récemment, en soulevant la question des seuils de libération. Quel est votre état d’esprit en ce qui concerne la participation de l’IRSN au débat public ?

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, que nous avons adoptée l’année dernière, a procédé à une véritable mise à jour de votre rôle et de vos missions. Quel est votre avis sur ce point ? Outre l’importante mission d’appui technique aux autorités de l’État, vous avez évoqué la question de la maîtrise des connaissances, de la formation et de la veille.

Vous avez brièvement abordé la question des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants, qui a fait l’objet d’un débat assez nourri lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique, tant au sein de notre commission que dans l’hémicycle. On sait aujourd’hui l’importance que revêt la connaissance des doses auxquelles sont exposées les très nombreuses personnes qui travaillent sur les sites nucléaires. Le rôle de l’IRSN a été renforcé en la matière. Comment l’appréhendez-vous ?

Ainsi que vous l’avez relevé, l’IRSN devra assumer davantage de missions avec le même nombre de personnes. Comment comptez-vous procéder pour mettre le potentiel humain de l’IRSN, que vous avez décrit, à la hauteur de ces ambitions ?

M. Jean-Marie Sermier. Le nucléaire français est au cœur des débats depuis plusieurs années. Il ne se passe pas un trimestre sans que nous n’adoptions une loi qui a un impact, de près ou de loin, sur la réflexion concernant la filière nucléaire. Nous savons qu’il s’agit d’une filière d’excellence, exemplaire, qui crée des emplois et nous permet de disposer d’une électricité à un prix relativement bas, élément concurrentiel majeur pour nos entreprises par rapport aux autres pays de l’Union européenne. C’est donc un élément important de la vie de notre pays, même s’il ne faut pas méconnaître les difficultés en matière d’acceptabilité sociétale de cette filière. Celle-ci varie d’ailleurs d’une manière surprenante en fonction du lieu où l’on se trouve : lorsque l’on vit à proximité d’une centrale, on n’est pas nécessairement opposé au nucléaire. (Murmures) Les derniers sondages relatifs à la centrale de Fessenheim montrent très bien que les plus inquiets ne sont pas ceux qui sont les plus proches de la centrale.

Cette filière doit disposer, en son sein et pour l’expertiser, de spécialistes dont le parcours est exemplaire, qui connaissent parfaitement les dossiers, mais qui sont aussi capables de communiquer. Vous faites partie, Monsieur le directeur général, de ce petit groupe de personnes. Votre présidence permettra, je le pense, d’apporter de la tranquillité et du savoir-faire à un organisme et à une filière qui ont besoin de beaucoup de sang-froid à tout moment.

La ministre de l’environnement a annoncé une probable prolongation de dix ans de la durée de vie des réacteurs. Un certain nombre de personnes s’inquiètent, notamment à propos des réacteurs de Fessenheim. Lundi soir, j’ai eu la chance d’intervenir devant le conseil municipal de Lahr, ville allemande de 45 000 habitants jumelée avec Dole, dont je suis le maire. Les conseillers municipaux, quelle que soit leur tendance politique, m’ont surtout posé des questions sur le problème que pourraient représenter ces dix années supplémentaires à Fessenheim. Au-delà de nos frontières, on est donc en attente d’une réponse française. Pour ma part, j’ai rappelé à nos amis allemands que la fermeture de centrales chez eux avait eu un impact très important sur les rejets de dioxyde de carbone et que nous devions réfléchir ensemble à ces questions. Êtes-vous favorable à ce que votre agence ait un rayonnement international et s’appuie sur les autres structures européennes ?

La filière doit être envisagée dans son ensemble, de la production à la gestion des déchets. La France est en train de réaliser, à Bure, un centre de stockage des déchets radioactifs à grande profondeur, projet très important qui pourrait d’ailleurs être un exemple pour la planète. Qu’en pensez-vous ? Comment envisagez-vous d’accompagner ce projet ?

M. Bertrand Pancher. La filière nucléaire française est sans doute à l’aube d’une crise grave, voire très grave. Les ingénieurs d’EDF redoutent un bond technologique permettant le stockage de l’électricité. Si ce bond ce produit, il en sera clairement fini de la filière nucléaire en France et dans le monde, du fait de l’arrivée des énergies renouvelables. (Murmures) Nous n’en sommes pas là pour le moment.

Quoi qu’il en soit, les discussions entre experts à propos des comptes d’EDF soulèvent un certain nombre d’interrogations et mettent les questions relatives à la sécurité et aux conditions de mise en œuvre des stratégies de sécurité au cœur des débats. Compte tenu de l’importance des investissements de sécurité post-Fukushima, votre prédécesseur estimait qu’il serait nécessaire, pour les équilibrer, de prolonger la durée de vie des réacteurs non pas de dix, mais de vingt ans. Avez-vous un avis précis sur ce point ? Ces investissements sont-ils possibles compte tenu des équilibres financiers d’EDF ?

En février dernier, lors de la présentation du rapport de l’IRSN sur les déchets radioactifs de très faible activité (TFA) devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), votre prédécesseur a expliqué que le centre de stockage actuel était saturé. Faut-il envisager un nouveau centre de stockage ? Commencez-vous à réfléchir à cette question ? Avez-vous des préconisations en la matière ?

Pour ce qui est des déchets de moyenne activité à vie longue, l’IRSN a fait un certain nombre de propositions concernant le projet CIGEO. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) essaie d’adapter son outil pour en réduire le coût, même si la très longue durée des investissements relativise le coût annuel. Comment voyez-vous les rapports entre l’IRSN et l’ANDRA ?

Vous avez abordé la question centrale de la culture scientifique. Malgré les difficultés frappantes que l’on peut constater auprès de nos concitoyens, on a un peu le sentiment que l’on a cessé nos efforts en matière de diffusion de la culture scientifique. Pour ce qui est de l’enseignement, l’université peut jouer un rôle important en direction des lycées et des collèges. L’IRSN peut-il jouer un rôle utile en matière de vulgarisation de la culture scientifique dans les prochaines années ? Avez-vous des idées précises à ce sujet ?

M. Denis Baupin. Au vu de votre parcours, Monsieur le directeur général, personne ne s’interrogera sur le point de savoir si vous disposez des compétences nécessaires pour exercer les fonctions auxquelles vous aspirez.

Ainsi que Jean-Marie Sermier l’a relevé, la prolongation de la durée de vie des réacteurs inquiète en France et à l’étranger. M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, a déclaré que le contexte en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection était préoccupant. Partagez-vous cette appréciation ? J’imagine que tel est le cas dans vos fonctions actuelles, mais qu’en est-il au titre de vos futures fonctions ? Comment l’IRSN peut-il contribuer à améliorer cette situation ?

Comment comptez-vous poursuive et développer la politique d’ouverture de l’IRSN sur la société ? Elle est, selon moi, extrêmement importante, car elle permet l’échange et la prise en compte de l’expertise citoyenne, qui a été progressivement reconnue dans notre pays. Les CLI, que vous avez mentionnées, sont un dispositif propre à la France, presque unique au monde, qui joue un rôle essentiel en matière de sûreté. À quelques semaines du trentième anniversaire de l’accident de Tchernobyl, je rappelle à quel point cet événement a été clivant dans l’histoire du nucléaire français, notamment en ce qui concerne la transparence et la confiance que nos concitoyens peuvent avoir dans la parole des experts.

L’IRSN et l’ASN ont exprimé, à quelques jours d’intervalle, des positions significativement divergentes en ce qui concerne un éventuel seuil de libération pour les déchets à très faible activité. Votre prédécesseur estime qu’il faudrait dépasser cette question. L’ASN, au contraire, avance que le recyclage de ces déchets coûterait plus cher que le maintien de la doctrine actuelle. Ce sont deux logiques opposées. Venant de l’ASN et passant à l’IRSN, qu’en pensez-vous ? Comment peut-on avancer sur cette question ? Il ne s’agit pas d’avoir une position dogmatique.

À plusieurs reprises, y compris récemment dans une interview donnée au quotidien Les Échos, votre prédécesseur a estimé que la course à l’augmentation de la taille des réacteurs était une impasse pour la filière nucléaire et a plaidé plutôt pour des réacteurs de petite taille. L’IRSN a démontré que, dans les réacteurs dont la puissance est supérieure à 600 mégawatts – je rappelle que tous les réacteurs français sont d’une puissance supérieure à 900 mégawatts –, si le cœur du réacteur entrait en fusion, on n’était pas sûr de pouvoir le maintenir à l’intérieur de la cuve. Hier, devant la commission des affaires économiques, le ministre de l’économie a évoqué un nouveau modèle d’EPR de 1 800 mégawatts, soit une puissance encore supérieure à celle de l’EPR en construction à Flamanville et en projet ailleurs. Cette nouvelle augmentation de la puissance des réacteurs nous expose à des risques nécessairement plus importants. Quelle est votre analyse sur ce point ?

M. Jacques Krabal. Je tiens à remercier votre prédécesseur, M. Jacques Repussard, qui a passé treize années à la tête de l’IRSN. Tout le monde reconnaîtra, je le pense, qu’il a su faire progresser la recherche et l’expertise sur les risques et la radioprotection. En tant que rapporteur des crédits du programme 181 « Prévention des risques », j’ai eu le plaisir de l’auditionner à de nombreuses reprises, tout comme vous, Monsieur le directeur général, lorsque vous accompagniez le président de l’ASN, M. Chevet. Je tiens d’ores et déjà à saluer la disponibilité qui a toujours été la vôtre, ainsi que votre volonté de répondre à nos questions. Vous connaissez bien l’IRSN, et je pense, moi aussi, que vous êtes la bonne personne à la bonne place.

La loi relative à la transition énergétique a actualisé les missions de l’IRSN et redéfini sa gouvernance. Je salue ces décisions. Vous comptez, avez-vous dit, mettre en œuvre une action qui assure la cohérence entre les différents acteurs de la sûreté nucléaire tout en veillant à l’indépendance de l’IRSN, à laquelle M. Jacques Repussard était, je le sais, particulièrement attentif. Comment allez-vous concilier ces deux exigences ?

Certains souhaiteraient un rapprochement très fort entre l’ASN et l’IRSN, voire la formation d’un opérateur unique. Compte tenu de votre passé tant à l’IRSN qu’à l’ASN, on pourrait penser que vous allez agir dans cette direction. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Vous avez insisté avec raison sur la nécessaire transparence de l’information. La culture de la transparence, de la communication et du dialogue était déjà fortement développée au sein de l’IRSN – les élus ici présents doivent le reconnaître. Néanmoins, il faut aller plus loin, tant la demande de nos concitoyens est forte en la matière, des inquiétudes s’exprimant ici ou là. Comment comptez-vous développer encore la transparence, au-delà des obligations de communication qui s’imposent à vous ?

Des interrogations existent sur la parfaite maîtrise des risques. Dans le milieu médical, le personnel et les patients sont exposés à des doses de radioactivité sans cesse plus élevées. Comment comptez-vous aborder cette question, qui est un sujet de préoccupation majeur ?

J’apprécie votre volonté d’affirmer une stratégie de développement scientifique, d’améliorer l’expertise et d’ouvrir l’IRSN sur l’international. Cependant, ainsi que vous l’avez évoqué brièvement, les contraintes budgétaires sont fortes. M. Jacques Repussard estimait que l’IRSN avait besoin de 200 emplois supplémentaires, soit une rallonge budgétaire de 50 millions d’euros. De plus, la taxe affectée au budget de l’IRSN a été plafonnée. Comment comptez-vous mettre en œuvre vos priorités tout en tenant compte des contraintes budgétaires ?

Vous n’avez pas évoqué la mauvaise santé économique des opérateurs de l’énergie nucléaire en France, rappelée par Bertrand Pancher, ni l’absence de stratégie à long terme pour cette filière. Comment envisagez-vous cet aspect des choses ? Quel est votre état d’esprit ?

Dans sa fable Les Frelons et les Mouches à miel, Jean de La Fontaine a écrit : « À l’œuvre, on connaît l’artisan. » En matière de sûreté nucléaire, le travail ne manque pas : EPR, prolongation de la durée de vie des centrales, traitement des déchets, radioprotection médicale… Je vous souhaite une bonne prise de fonctions.

M. Jacques Kossowski. Le décret du 10 mars 2016 a confirmé et actualisé les grandes missions de l’IRSN. L’institut doit notamment « contribuer à la transparence et à l'information du public en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection ». Il me semble en effet important que vos travaux ne soient pas accessibles uniquement à un nombre restreint de responsables et de professionnels. Cela répond à une attente de nos concitoyens, ainsi que le prouvent les résultats du baromètre 2015 de l’IRSN sur la perception des risques et de la sécurité : 62 % des personnes interrogées jugent prioritaire que les organismes d’expertise s’engagent à répondre à toutes les questions posées par les associations et par les citoyens ; 48 % estiment qu’il est important d’organiser des réunions publiques pour débattre des travaux de ces organismes ; 50 % se déclarent prêtes à participer au moins une fois par an à des réunions d’information sur la gestion des risques.

Dans le cadre de votre éventuel mandat à la tête de l’IRSN, quelles initiatives entendez-vous prendre pour développer cette nécessaire interaction entre l’institut et le public ?

M. Florent Boudié. Vous avez indiqué, Monsieur le directeur général, que les programmes de recherche de l’IRSN figureraient parmi vos priorités. Ces programmes sont pluridisciplinaires et s’étendent à plusieurs domaines : risques sismiques, rayonnements à faible dose, thérapie cellulaire, radiothérapie – à cet égard, je rappelle que l’IRSN est intervenu après un accident de surdosage survenu au centre hospitalier d’Épinal. Sans cette politique de recherche de très haut niveau, l’IRSN ne pourrait pas fournir l’expertise qui est attendue de lui par les pouvoirs publics et qui est au cœur de sa mission en matière de sûreté et de protection. Cette politique de recherche permet aussi à l’IRSN d’être en pointe dans plusieurs domaines à l’échelle européenne, notamment pour les études de sûreté et sur la question des expositions chroniques.

Dans son rapport de juin 2014, la Cour des comptes a pointé du doigt plusieurs faiblesses dans la politique de recherche de l’IRSN. Certaines des recommandations de la Cour ont d’ailleurs été prises en compte au cours du débat sur le projet de loi relatif à la transition énergétique. Je souhaiterais avoir votre éclairage en particulier sur deux points.

La première question porte sur la gouvernance. L’IRSN dispose de plusieurs instances internes chargées de définir et d’évaluer les programmes de recherche. Or la Cour a estimé que cette organisation nuisait à la capacité de l’IRSN à présenter une stratégie de recherche assise sur des priorités claires et précises. Quel regard portez-vous sur cet examen critique de la Cour au moment de prendre – je n’en doute pas – la direction de l’IRSN ?

La seconde question est celle des moyens affectés aux programmes de recherche de l’IRSN. Nous savons que ces moyens sont contraints et ont été fragilisés par un certain nombre de choix, notamment par le dérapage financier du programme Cabri. La dérive des coûts de rénovation de ce réacteur nucléaire de recherche – 350 millions d’euros contre 100 millions prévus initialement – a consommé une part importante des crédits affectés à l’IRSN. Où en est le programme Cabri ? Son coût est-il désormais maîtrisé ? Ne fragilise-t-il pas le potentiel de recherche de l’IRSN ?

M. Charles Ange Ginésy. Dans le contexte financier assez difficile que nous connaissons, je me pose la question d’une possible fusion de l’IRSN et de l’ASN. Si celle-ci n’est pas possible dans l’immédiat, y a-t-il, selon vous, des étapes envisageables dans cette direction ? Quelles passerelles peut-on établir afin de réaliser des économies d’échelle ?

S’agissant de la gouvernance, l’IRSN est placé sous la tutelle conjointe des ministères chargés de l’environnement, de la recherche, de l’énergie, de la santé et de la défense. Cette tutelle multiple a été critiquée par la Cour des comptes dans son rapport. De quelles marges de manœuvre disposez-vous en la matière ? D’autre part, le fait que l’IRSN soit financé à hauteur de 60 % par l’État menace-t-il, à votre avis, son indépendance ?

M. Yannick Favennec. Tirant les enseignements de l’accident de Fukushima, on a confié à l’IRSN une mission de pédagogie sur les questions de sûreté. À la fin du mois de janvier dernier, une campagne de distribution préventive de comprimés d’iode a été lancée par l’ASN pour les 600 000 personnes qui vivent à moins de dix kilomètres d’une centrale nucléaire. Cependant, le rapport de nos concitoyens à la sûreté paraît ambivalent : d’après l’ASN, seule la moitié des personnes concernées a répondu présent lors de cette campagne, l’autre moitié étant soit fataliste, soit optimiste. Qu’en pensez-vous ? Quelles sont vos préconisations pour améliorer la pédagogie envers les populations exposées au risque nucléaire ?

M. Philippe Plisson. J’ai été rapporteur du titre portant sur la sûreté nucléaire dans le projet de loi relatif à la transition énergétique, et j’ai fait voter l’amendement qui prévoit la possibilité de prolonger l’exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans, celle-ci étant toutefois encadrée par une nouvelle enquête d’utilité publique à l’issue d’un réexamen approfondi desdits réacteurs sous l’égide de l’ASN. Les prises de position publiques laissent penser que l’on pourrait s’affranchir de ces dispositions. Quelle est votre interprétation ?

J’ai pu constater que les rapports entre l’IRSN et l’ASN n’étaient pas toujours simples. Je ne vais pas jusqu’à préconiser leur fusion, mais il est plus que nécessaire que leurs actions soient complémentaires. Comment envisagez-vous cette indispensable collaboration ?

M. Guillaume Chevrollier. L’information fait partie des missions de l’IRSN. Or, incontestablement, le nucléaire fait aujourd’hui peur à bon nombre de nos concitoyens, cette peur étant fortement relayée par des associations militantes très engagées et par certains médias. Il suffit de voir les titres de journaux dès que se produit le moindre incident. Encore récemment, on a énormément parlé des traces de plutonium trouvées dans la Loire, alors qu’elles n’ont eu aucun impact sanitaire. Le nucléaire étant un fleuron de notre pays, il est plus que nécessaire de faire de la pédagogie et de rassurer nos concitoyens. Telle est, selon moi, votre mission essentielle dans cette période où tout le monde relativise l’information et où celle-ci est de plus en plus horizontale. Votre parole fait vraiment autorité.

Alors que la loi relative à la transition énergétique prône une diminution manifeste du nucléaire dans les prochaines années, il semble urgent de mieux traiter la question du démantèlement des installations et celle de la gestion des déchets. Actuellement, notre pays applique une doctrine très exigeante : tout déchet, même ordinaire, produit dans un périmètre défini par l’ASN est réputé radioactif. Ainsi que le rappelait votre prédécesseur, cette doctrine présente deux inconvénients majeurs : un coût élevé et le fait d’induire que tout déchet radioactif est dangereux. Comptez-vous faire évoluer cette réglementation ? D’autre part, il serait important de disposer d’un chiffrage précis du coût de fermeture de chaque installation.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Belle question !

M. Michel Heinrich. À la suite de plusieurs accidents de radiothérapie survenus dans les années 2000 qui avaient concerné au total des centaines de patients, il avait été demandé à l’IRSN de procéder à l’expertise approfondie des causes et des conséquences des plus graves de ces accidents au regard des complications cliniques pour les patients. L’IRSN a dégagé des axes d’amélioration : meilleure connaissance des doses délivrées, encadrement des pratiques, meilleure formation des professionnels, développement d’une culture de la sûreté. Pour le plus grave de ces accidents, le ministère de la santé a demandé à l’IRSN de mettre en œuvre son savoir-faire en radiopathologie afin de proposer une thérapie innovante destinée aux patients surirradiés, lesquels vivent un véritable calvaire. Cela fait presque dix ans qu’il ne s’est plus produit d’accident de cette nature. Si vous prenez la tête de l’IRSN, envisagez-vous de poursuivre les recherches visant à améliorer ces thérapies de réparation ?

Mme Marie Le Vern. La loi relative à la transition énergétique a renforcé les missions de l’IRSN et apporté des précisions sur sa gouvernance. Les élus sont notamment mieux associés, avec la présence de deux parlementaires au conseil d’administration de l’IRSN. Cela correspond à un souci de contrôle démocratique des autorités, agences et établissements publics de l’État qui existe déjà dans de nombreux domaines sensibles, tels que la santé.

Le décret du 10 mars 2016 prévoit également l’élargissement des missions de l’IRSN en situation d’urgence radiologique. Il permet désormais aux autorités de l’État, et non plus seulement aux autorités de sûreté, de solliciter l’expertise de l’institut. Dans l’hypothèse d’une telle situation d’urgence, les collectivités territoriales et les élus sont eux aussi en première ligne : c’est vers eux que se tournent les riverains et les citoyens en demande d’informations. Ne vous semblerait-il pas légitime que les élus locaux puissent eux aussi solliciter l’IRSN et bénéficier directement de son expertise ? À défaut, de quelle manière l’IRSN pourrait-il contribuer à mieux les associer ?

D’une manière plus générale, considérez-vous que toutes les conséquences de l’accident de Fukushima ont été tirées en ce qui concerne la gestion de crise au niveau très local ?

M. Gérard Menuel. Vous avez certainement présenté dans le passé, Monsieur le directeur général, des examens plus difficiles que celui d’aujourd’hui ! (Sourires) Nous voyons unanimement en vous un grand professionnel du secteur.

M. Jean-Christophe Niel. Ne croyez-pas cela !

M. Gérard Menuel. Je suis député de la circonscription où se trouve la centrale nucléaire la plus proche de Paris, celle de Nogent-sur-Seine. Je constate en effet que les peurs s’expriment différemment selon que l’on réside dans une zone proche ou éloignée d’une centrale. C’est, selon moi, à mettre au crédit du bon fonctionnement des CLI. L’information donnée à la population au travers des CLI concerne le quotidien. Ne pourrait-on pas aborder également, dans les CLI, les événements qui peuvent concerner demain les centrales existantes ? En particulier, il conviendrait de mieux informer la population sur la possible prolongation de la durée de vie des centrales, notamment sur les raisons et les conditions de cette prolongation.

Les sites nucléaires apportent une contribution sur le plan économique et social. Ainsi, le « grand carénage » de la centrale de Nogent-sur-Seine, prévu prochainement, est attendu par de nombreux opérateurs économiques.

M. Yves Albarello. Le 4 mars 2015, lors de l’audition de votre prédécesseur, M. Jacques Repussard, par notre commission, mon collègue Charles Ange Ginésy et moi-même lui avions demandé quelles étaient les relations entre l’IRSN et l’ASN, mais nous n’avions pas obtenu de réponse. Sachant que vous avez été le chef du département d’évaluation de sûreté de l’IRSN, chargé notamment des expertises réalisées pour l’ASN, je vous pose la même question aujourd’hui, en espérant avoir, cette fois-ci, une réponse.

Lors de la même audition, M. Jacques Repussard avait déclaré : « La centrale de Fessenheim n’est pas plus dangereuse que les autres sites nucléaires français, et des mesures de correction et des investissements raisonnables y ont été réalisés après l’accident de Fukushima. » Diriez-vous la même chose aujourd’hui ?

L’IRSN joue un rôle relativement important en matière d’information du grand public. Quelles actions envisagez-vous dans le cadre de cette mission ? Sous quelle forme ?

M. Jean-Pierre Vigier. Je souhaite dire à Julien Dive et Pascal Thévenot qui viennent d’arriver dans notre commission que nous avons un excellent président. (Sourires) Ils pourront le constater dans la durée.

En France, 75 % de l’énergie électrique provient aujourd’hui du nucléaire. Soyons clairs : sans le nucléaire, nous n’aurions pas de production d’énergie électrique dans notre pays. Le Gouvernement veut réduire la part du nucléaire à 50 % d’ici à 2025. Je ne suis pas sûr que cela soit réalisable. On parle beaucoup de la centrale de Fessenheim, de sa sûreté et de son éventuelle fermeture. Quel est votre diagnostic de l’état actuel de notre parc de centrales nucléaires ?

M. Laurent Furst. Le nucléaire a pénétré le champ politique : les opposants marquent leur opposition de manière parfois peu objective, en intentant des procès d’intention au parc électronucléaire, selon eux vieillissant et dangereux ; a contrario, les tenants du système de production électrique défendent ce parc contre vents et marées en n’ayant peut-être pas toujours un regard objectif. Sachant que la sécurité nucléaire est une question de dimension continentale, ne faudrait-il pas la traiter au niveau international ou, en tout cas, européen ? Ne faudrait-il pas un contrôle européen du parc électronucléaire ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pouvez-vous nous en dire plus, Monsieur le directeur général, sur le concept de réversibilité, qui concerne le projet CIGEO à Bure ?

Pouvez-vous être plus précis sur la réforme de la gouvernance de l’IRSN introduite par le décret du 10 mars dernier ?

M. Jean-Christophe Niel. Je vous remercie pour vos nombreuses questions.

Monsieur Christophe Bouillon, l’ASN et l’IRSN œuvrent ensemble pour le contrôle de la sûreté nucléaire, mais avec des responsabilités et des missions différentes : l’ASN est l’autorité régalienne qui instruit les procédures et prend les décisions ; l’IRSN est l’expert public des risques radiologiques et nucléaires qui appuie les autorités publiques, notamment l’ASN, en s’aidant de ses recherches. Je crois depuis toujours à ce système dual, car la décision appartient à l’ASN et l’expertise appartient à l’IRSN, mais sans que celui-ci porte le poids de la décision. Cela fait la force de ce système, qui, selon moi, a fait ses preuves. Il a d’ailleurs été conforté par la loi relative à la transition énergétique, qui l’a explicitement inscrit au niveau législatif.

De ce point de vue, il n’y a pas, selon moi, d’incompatibilité : un directeur général de l’ASN peut devenir directeur général de l’IRSN. En revanche, il faut veiller à respecter les responsabilités et les missions de chacun, ce que je m’engage à faire. Je serai amené à vous en rendre compte, et le ferai bien volontiers. À titre personnel, je connais bien les deux institutions pour avoir passé ces dernières années à l’ASN, mais aussi beaucoup de temps à l’IRSN auparavant. À l’occasion de ce retour à l’IRSN, je suis très motivé par l’aspect recherche, compte tenu notamment de mon passé de chercheur.

La participation de l’IRSN au débat public est un état de fait, ne serait-ce que parce que les médias et les élus connaissent l’institut. L’IRSN a toute sa place dans le débat public, mais cette place doit être fonction de ses missions. Je m’appliquerai à ce qu’il en soit ainsi. La loi relative à la transition énergétique renforce la contribution de l’IRSN au débat en rendant systématique la publication de ses avis, qui est déjà faite de manière assez large aujourd’hui, en relation avec les autorités concernées. Ainsi que je l’ai mentionné, c’est un point important, et il va falloir organiser cette publication.

Le décret du 10 mars 2016 relatif à l’IRSN répond à un certain nombre de recommandations et de commentaires de la Cour des comptes. Il clarifie notamment les relations entre le directeur général et le président du conseil d’administration. Ce dernier a un rôle stratégique, notamment au travers de la relation de haut niveau qu’il entretient avec les tutelles. Je m’inscrirai bien évidemment dans le cadre du décret. Ainsi que je vous l’ai indiqué, j’ai déjà eu des échanges avec la présidente du conseil d’administration, Mme Dominique Le Guludec, préalablement à cette audition.

La recherche est un élément fondamental de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Sans la recherche, l’IRSN ne marcherait que sur une seule jambe. Le décret introduit formellement le comité d’orientation des recherches (COR), structure « de type Grenelle », qui permet d’intégrer les attentes de la société concernant les programmes de recherche. C’est une démarche essentielle et, selon moi, positive.

Concernant la pédagogie, ainsi que Jacques Repussard l’a déclaré lors de son audition par votre commission l’année dernière, l’IRSN n’envisage pas d’intervenir à la télévision : ce n’est pas le bon vecteur. En revanche, il a clairement un rôle à jouer en la matière et dispose de multiples outils à cette fin : entre autres, une exposition itinérante commune avec l’ASN – elle était à Dunkerque entre septembre et décembre 2015 ; les CLI, qui permettent une interaction avec les territoires ; un certain nombre d’opérations avec les scolaires.

Je citerai deux de ces opérations. En Franche-Comté, des scolaires ont été associés à la gestion du risque radon : il s’agissait de leur faire appréhender la nature de ce risque, ainsi que les actions à mener pour s’en prémunir. Une autre opération, internationale, a associé plusieurs lycées de France, du Japon – dont certains étaient implantés dans la région contaminée autour de Fukushima –, de Pologne et de Biélorussie. Les élèves étaient munis de dosimètres et enregistraient les doses qu’ils recevaient en fonction de leur activité. On a constaté que les doses reçues par ces lycéens étaient non pas identiques, mais comparables. Cela s’explique par le fait que, dans les régions où il y a de la radioactivité, les populations développent une capacité à gérer cette situation, ce qui est l’un des objectifs du « post-accidentel » : en cas d’accident nucléaire – nous faisons tout, bien évidemment, pour les éviter –, les gens doivent apprendre à vivre avec la contamination. Cette expérience a donné lieu à une publication scientifique.

Ma conviction, c’est que les actions pédagogiques doivent être locales et très pragmatiques. L’ASN et l’IRSN ont tenté de développer des relations avec l’éducation nationale au niveau central, mais cela n’a jamais vraiment abouti.

L’IRSN a pour mission de rassembler et de gérer l’ensemble des données dosimétriques des quelque 360 000 travailleurs exposés aux rayonnements ionisants en France. Il doit alerter les autorités en cas de situation anormale. À l’échelle européenne, les autorités compétentes en matière de radioprotection – cette question ne concerne donc pas que l’IRSN – ont lancé la création d’un « passeport dosimétrique », qui permettra aux travailleurs concernés de bénéficier d’un suivi dosimétrique transfrontalier lorsqu’ils passent d’un pays à un autre. Cependant, la mise en place de ce passeport se heurte à des difficultés et n’a pas pu aboutir à ce jour.

L’ASN a clairement indiqué qu’elle considérait que ses moyens étaient insuffisants pour faire face aux enjeux à venir. La question des moyens et de leur hiérarchisation est prioritaire pour moi. Je ferai le point en la matière à mon arrivée à l’IRSN. Ainsi que je l’ai évoqué, le travail à faire dans les années qui viennent est considérable : prolongation de l’exploitation des centrales, construction de nouvelles installations, etc. Il faudra nécessairement procéder à une hiérarchisation. Une de mes principales préoccupations sera de préserver la recherche. On peut éventuellement diminuer la recherche une année donnée, voire deux années consécutives, mais, si on le fait dans la durée, on se coupe une jambe.

Monsieur Jean-Marie Sermier, en 2011, à l’issue de la troisième visite décennale de la centrale de Fessenheim, l’ASN a pris position en indiquant qu’elle n’avait pas d’objection à ce que l’on poursuive son exploitation jusqu’à la quatrième visite décennale à condition qu’un certain nombre de travaux soient exécutés. L’exploitant EDF a réalisé des travaux importants sur la centrale, qui se sont d’ailleurs combinés avec des travaux post-Fukushima, tels que l’épaississement du radier – la dalle sur laquelle repose le réacteur – et l’ajout d’une source froide supplémentaire – un réacteur a besoin d’être refroidi en permanence. Pour le reste, il y a des débats sur la politique énergétique qui ne sont pas du ressort de l’ASN et de l’IRSN.

S’agissant de la prolongation des centrales de manière plus générale, la plupart des réacteurs nucléaires français ont été mis en service entre 1978 et 1990. Ils vont donc atteindre quarante ans dans les années qui viennent. Il s’agit d’une étape importante, car ils ont été conçus pour fonctionner pendant cette durée. Celle-ci a été retenue pour un certain nombre d’hypothèses de dimensionnement – calcul de l’épaisseur de la cuve, du vieillissement des câbles électriques, etc. Il est donc assez naturel que l’on se pose, à l’approche de ces quarante ans, des questions très pointues sur la capacité des réacteurs à fonctionner au-delà de cette durée.

D’autre part, conformément à la directive européenne relative à la sûreté nucléaire et à l’approche générale en matière d’environnement au niveau européen, qui exige de recourir à « la meilleure technologie disponible », il est demandé à EDF et aux autres exploitants, à l’occasion des visites décennales, de renforcer le niveau de sûreté de leurs installations en se rapprochant le plus possible de celui des installations les plus récentes, à savoir les réacteurs de type EPR. Il y a cinq ou six grands sujets à traiter. Par exemple, le récupérateur de corium – core catcher – qui équipe les réacteurs de type EPR n’existe pas dans les réacteurs actuels. Si le cœur entre en fusion – ce qui s’est produit à Fukushima – et traverse la cuve, ce dispositif vise à récupérer le corium, matière très chaude, toxique et radioactive, pour l’empêcher de contaminer l’environnement.

Ces questions sont techniquement très complexes. Elles nécessitent une discussion approfondie, dans laquelle l’IRSN est largement partie prenante, puisqu’il est chargé de faire l’expertise technique des propositions de l’exploitant EDF. Cette discussion technique étant en cours, l’ASN ne dispose pas, à ce jour, des éléments pour prendre position sur la prolongation de l’exploitation des réacteurs, ainsi que l’a rappelé à plusieurs reprises son président. L’ASN prendra position en 2018 dans un « avis générique », dans la mesure où tous les réacteurs en question se ressemblent. Mais il reste beaucoup de travail à réaliser d’ici là : pour les sujets les plus importants, l’ASN s’appuiera sur l’avis des groupes permanents d’experts – qui devraient tenir une douzaine de réunions –, ainsi que sur les expertises de l’IRSN – qui rendra une vingtaine d’avis. Ensuite, les réacteurs entreront l’un après l’autre dans un processus de visite décennale, le premier concerné étant Tricastin-1.

Pour le projet CIGEO à Bure, comme pour toutes les autres installations nucléaires de base – même s’il s’agit d’une installation très particulière, puisqu’elle est souterraine et sera exploitée pendant au moins une centaine d’années, ce qui n’est le cas d’aucune installation de surface –, le rôle de l’IRSN est de faire l’expertise technique des propositions de l’exploitant responsable, à savoir l’ANDRA. Pour ce faire, l’IRSN s’appuie sur des recherches réalisées en propre ou sur contrat. De plus, il est impliqué dans des programmes européens qui lui permettront d’approfondir sa connaissance des mécanismes qui se dérouleront dans le site de CIGEO. L’IRSN exploite notamment un tunnel souterrain à Tournemire, dans lequel il peut faire des expériences in situ dans une argile semblable à celle de Bure afin de caractériser un certain nombre de phénomènes et de renforcer ainsi son expertise. Il y a quelques années, lorsque j’étais à l’IRSN, nous avons par exemple mené des recherches mettant en œuvre de la « sismique 3D » pour détecter des failles géologiques. Il s’est agi d’une avancée technique importante.

Monsieur Bertrand Pancher, s’agissant de la question de savoir s’il faut prolonger les centrales de vingt ans plutôt que de dix ans, on peut comprendre qu’un industriel veuille avoir un débat sur le montant de l’investissement au regard de la durée d’exploitation. Ce débat est pertinent. D’ailleurs, l’ASN ne sera pas face à la même situation si un exploitant lui dit qu’il arrête une installation dans un an ou bien s’il entend la faire fonctionner pendant vingt ans encore. Toutefois, la loi fixe un rendez-vous tous les dix ans : l’ASN prendra de toute façon position tous les dix ans, et elle ne pourra pas se prononcer pour une durée supérieure à dix ans. Reste qu’elle peut toujours indiquer à l’exploitant si les choses vont ou non dans le bon sens.

Au début des années 1990, un certain nombre d’événements – portiques qui sonnaient régulièrement dans des décharges, déchets radioactifs retrouvés dans des « déposantes » – ont montré que la gestion des déchets TFA n’était pas satisfaisante. Cela a conduit l’ASN à imposer un changement du mode de gestion de ces déchets : on a délimité des zones géographiques, et on a considéré que tout déchet provenant de ces zones devait être traité comme un déchet radioactif. Il s’agit bien d’un problème non pas de science, mais de gestion. L’ASN estime que ce système a fait ses preuves, aucun nouvel événement ne s’étant produit depuis lors. Cependant, d’autres estiment qu’il est très contraignant. Le débat est légitime, d’autant que la question du démantèlement des installations se posera tôt ou tard : comment traitera-t-on les gros volumes de béton ou de ferraille très peu contaminés issus de ces installations ?

Il y avait deux motivations principales à l’absence de seuil de libération – seuil au-dessous duquel le déchet est considéré comme non radioactif. Premièrement, on s’interrogeait sur la capacité des opérateurs à contrôler de manière efficace et performante que les déchets, le cas échéant en quantité importante, respectent un seuil dont le niveau sera nécessairement très bas. L’exemple de l’Allemagne, où de tels seuils de libération existent, montre que cette vérification induit des coûts non négligeables : on parle de 1 000 euros le mètre cube, contre 500 euros le mètre cube pour le stockage en France. Donc, l’équation économique n’est peut-être pas si simple que cela. Deuxièmement, il est compliqué d’empêcher la dilution des déchets, à laquelle les exploitants peuvent être tentés de recourir pour respecter un seuil de libération.

L’ASN est tout à fait favorable à la proposition de l’IRSN d’ouvrir un débat public sur ce sujet. La décision ne doit pas être prise par les seuls experts, dont les discussions peuvent d’ailleurs paraître un peu obscures aux non spécialistes.

Quel que soit le mode de gestion retenu, même si l’on introduit des seuils de libération, le site qui reçoit actuellement les déchets TFA, appelé « centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage » (CIRES), a une capacité d’un million de mètres cubes et ne pourra pas accueillir tous ces déchets. La question de créer un nouveau site se posera donc nécessairement à un moment donné.

Le président de l’ASN est intervenu devant vous récemment sur la question du coût de CIGEO. Il est nécessaire d’attribuer un coût à CIGEO car les producteurs de déchets doivent provisionner ce montant afin que nous ayons la garantie que le stockage sera effectivement réalisé. C’est un exercice compliqué et atypique : ce coût est évalué sur 150 ans et couvre non seulement les investissements, mais aussi l’exploitation – il faut, par exemple, intégrer le salaire du gardien qui surveillera le site en 2100. La derrière évaluation, environ 15 milliards d’euros, datait de 2005. Ainsi que la loi le lui demandait, l’ANDRA a réévalué ce coût l’année dernière, à environ 32 milliards d’euros. Conformément à la loi également, l’ASN a donné un avis sur ce coût. Premièrement, elle a jugé positif qu’un nouveau coût soit affiché, car tel n’avait pas été le cas depuis longtemps. Deuxièmement, elle a estimé nécessaire que l’on entre désormais dans un processus de révision régulière des coûts, notamment à chaque étape importante de la vie du stockage. Troisièmement, elle a fait quelques commentaires sur la robustesse du calcul en s’interrogeant sur le caractère optimiste d’un certain nombre d’hypothèses : pour certains coûts, notamment celui du creusement des galeries, l’ANDRA semble avoir retenu des estimations situées dans la partie basse de la fourchette.

Je crois avoir répondu à votre question sur la diffusion de la culture scientifique, Monsieur Pancher.

Monsieur Denis Baupin, je partage bien évidemment l’appréciation du président de l’ASN selon laquelle le contexte en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection est préoccupant : il s’agit d’une position de l’ASN. S’il n’y a pas aujourd’hui de signaux particuliers montrant une dégradation du niveau de sûreté – je réponds ainsi à votre question sur l’état du parc, Monsieur Vigier –, l’ASN considère que le contexte est préoccupant à court ou moyen terme car des travaux très importants doivent être réalisés – prolongation au-delà de quarante ans, réexamen des installations du cycle du combustible, construction d’installations nouvelles –, alors que les exploitants ne sont pas en bonne santé économique et financière. L’IRSN apporte sa contribution en fournissant son expertise technique sur des sujets complexes. Cette expertise doit être rigoureuse.

En matière d’ouverture sur la société, au-delà des actions pédagogiques que j’ai évoquées, nous avons engagé des échanges avec les CLI et l’ANCCLI sur un certain nombre de sujets tels que la quatrième visite décennale – « VD4 ». Nous avons aussi lancé des actions pluralistes sur les couvercles de cuve de l’EPR. Je m’inscris bien évidemment dans cette démarche : sur les sujets complexes à fort enjeu, il faut multiplier les actions dans lesquelles les experts de la société civile peuvent être impliqués. L’ASN a d’ailleurs ouvert ses groupes permanents d’experts aux experts de la société civile.

Je pense avoir répondu à votre question sur les déchets TFA, Monsieur Baupin.

J’en viens à votre remarque sur la course à l’augmentation de la taille des réacteurs. Il existe deux grands types d’accidents sur les réacteurs nucléaires : une augmentation brusque et incontrôlée de la puissance du réacteur, qui conduit à son explosion – ce qui s’est passé à Tchernobyl ; une perte du refroidissement, qui fait que le combustible s’échauffe, fond et se retrouve au fond de la cuve – ce qui s’est produit à Three Mile Island et à Fukushima. Dans le second cas, deux scénarios sont possibles : soit on parvient à faire en sorte que le combustible reste dans la cuve, soit il la traverse, auquel cas il faut un récupérateur de corium pour l’empêcher d’aller plus loin, ainsi que cela a été imaginé sur les réacteurs EPR.

Or les calculs montrent que, lorsque la puissance du réacteur est assez faible – inférieure à 600 mégawatts, avez-vous dit ; pour ma part, j’ignore quelle est la valeur exacte ; elle pourrait faire l’objet d’études –, le cœur fondu va rester dans la cuve. Ce serait donc un facteur de sûreté. Ensuite, d’autres considérations entrent en jeu, qui ne sont pas celles de l’ASN et de l’IRSN. En tout cas, nous avons considéré que le sujet était suffisamment important pour engager une action : l’IRSN organisera, au début du mois de juin prochain, un séminaire international sur la rétention du corium en cuve – in-vessel retention (IVR).

Monsieur Jacques Krabal, l’IRSN a formulé des préconisations pour prendre en compte l’augmentation des doses reçues en milieu médical et contribuer à la sécurité des patients. Ces recommandations ont été reprises dans un certain nombre de textes, notamment des décisions de l’ASN. Sur le terrain, la tendance générale est bonne : on constate une amélioration de la sécurité et de la qualité des soins en radiothérapie. Néanmoins, la situation est très hétérogène selon les centres de soins. D’autre part, il reste encore des progrès à faire. En particulier, une évaluation régulière des démarches mises en œuvre en matière de gestion du risque est nécessaire : si l’analyse systématique des dysfonctionnements est désormais faite, ce qui n’était pas le cas auparavant, le suivi des recommandations demeure insuffisant.

Je crois avoir déjà répondu en ce qui concerne les contraintes budgétaires.

Monsieur Jacques Kossowski, je souhaite continuer à renforcer l’action de l’IRSN en matière de transparence et d’information du public, notamment au travers des CLI. Une des premières choses que je ferai en arrivant à l’IRSN sera de rencontrer le président de l’ANCCLI, M. Jean-Claude Delalonde.

Monsieur Florent Boudié, la Cour des comptes avait en effet pointé du doigt deux problèmes, l’un concernant la gouvernance, l’autre touchant la stratégie. Pour ce qui est de la gouvernance, j’ai déjà décrit les évolutions internes introduites par le décret du 10 mars 2016. S’agissant de la stratégie, l’IRSN a rendu publique au début de cette année la première rubrique d’un plan stratégique relatif à la recherche. Je m’inscrirai bien évidemment dans ce cadre.

Le réacteur Cabri sera aussi l’une de mes priorités. Je peux difficilement vous en dire plus à ce stade. Il est prévu d’y réaliser un important programme de dix essais – à un rythme de deux par an à partir de 2018 – qui visent à tester le comportement du combustible en cas d’injection de puissance, ce qui correspond dans une certaine mesure au scénario qui s’est produit à Tchernobyl. Au-delà, la question du devenir de cette installation lourde de recherche et des programmes qui pourraient y être conduits se posera en effet.

Monsieur Charles Ange Ginésy, la fusion entre l’ASN et l’IRSN n’est pas à l’ordre du jour. Ainsi que je l’ai indiqué, la loi relative à la transition énergétique a conforté le système actuel en précisant clairement qu’il y avait deux institutions : une autorité régalienne qui prend les décisions et un organisme d’expertise qui ne porte pas le poids de la décision.

L’IRSN a en effet cinq tutelles : le ministère chargé de la recherche ; le ministère chargé de l’environnement, qui est responsable de la sûreté nucléaire ; le ministère chargé de la santé, qui est compétent en matière de radioprotection ; le ministère chargé de l’énergie, qui exerce notamment une mission de contrôle des matières nucléaires au titre de la non-prolifération ; le ministère de la défense, car un certain nombre d’installations de défense sont concernées par la sûreté nucléaire. Ces tutelles sont toutes légitimes au regard des responsabilités exercées. Je ne pense pas que leur nombre pose de difficulté particulière de fonctionnement.

Le budget de l’IRSN est en effet majoritairement public. Plusieurs mécanismes garantissent l’indépendance de l’expertise et des prises de position de l’IRSN. Premièrement, il y a une robustesse dans l’élaboration de l’expertise : les avis de l’IRSN ne sont pas rédigés par le directeur général tout seul dans son bureau ; ils sont le résultat d’une expertise collective, avec des experts qui disent ce qu’ils ont à dire. Deuxièmement, la transparence, notamment la publication systématique des avis de l’IRSN, est un outil supplémentaire de cette indépendance.

Monsieur Yannick Favennec, j’ai donné des éléments de réponse concernant notre action en matière de pédagogie. La distribution des comprimés d’iode aux personnes qui vivent autour des centrales est un effet de l’accident de Tchernobyl : elle a été décidée par le ministre de la santé en 1996, pour les dix ans de la catastrophe. La dernière distribution a eu lieu en 2009. Les comprimés se périmant au bout de sept ans, une nouvelle distribution a été faite au début de cette année. Cette fois-ci, l’ASN a souhaité aller au-delà d’une simple campagne de distribution de comprimés, en essayant, avec l’ensemble des acteurs concernés, de sensibiliser les populations au risque et à la gestion de leur propre risque.

La distribution se fait avec l’ordre national des pharmaciens et les préfectures. Les personnes concernées reçoivent un bon et vont chercher leurs comprimés d’iode à la pharmacie du coin. On a constaté que seuls 50 % d’entre elles s’étaient déplacées. Le commentaire que vous avez fait est tout à fait exact, Monsieur Favennec : une enquête a démontré que ceux qui ne sont pas allés chercher les comprimés se répartissent en deux groupes, ceux qui considèrent qu’un accident serait tellement apocalyptique que ces comprimés ne serviraient à rien, et ceux qui estiment qu’ils n’ont pas de raison de s’inquiéter, car ils habitent depuis très longtemps à cet endroit. Ces deux attitudes ne sont ni l’une ni l’autre une bonne manière de gérer son propre risque. D’où les recommandations données par l’ASN à l’occasion de cette campagne.

S’agissant des rapports entre l’ASN et l’IRSN, Monsieur Philippe Plisson, l’IRSN a été créé en 2002, et il y a probablement une phase au cours de laquelle il a fallu l’installer dans le paysage, ce qui a pu conduire à un certain nombre de frottements. En tout état de cause, les choses me semblent aujourd’hui clarifiées du point de vue institutionnel : l’ASN et l’IRSN ont chacun leur place, et tous les éléments sont réunis pour qu’il y ait une collaboration de qualité entre les deux institutions. Cela n’interdira pas les éventuelles différences d’appréciation sur tel ou tel sujet. S’il y a deux organismes, ce n’est pas pour qu’ils aient forcément tout le temps la même position.

Concernant l’enquête d’utilité publique, un travail est actuellement mené au niveau gouvernemental sur les conditions pratiques de sa mise en œuvre après que chaque centrale aura atteint trente-cinq ans.

Monsieur Guilhaume Chevrollier, l’IRSN a fait un travail de recherches sur les traces de pollution au plutonium trouvées dans la Loire : l’analyse de la composition des archives sédimentaires a révélé un surplus de plutonium d’origine industrielle autour des années 1969 et 1980 – on est capable de l’identifier par opposition au plutonium issu des retombées des essais nucléaires réalisés depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusque dans les années 1960. Ces traces de pollution au plutonium dans les sédiments à des niveaux faibles renvoient probablement à deux accidents, l’un sur le réacteur de Saint-Laurent-A-1 en 1969, l’autre sur celui de Saint-Laurent-A-2 en 1980. Il s’agit de deux réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG). Dans cette filière, de l’eau circule dans des conduits pour évacuer la chaleur ; si le conduit est bouché, la chaleur ne s’évacue pas, et cela peut conduire à des problèmes, notamment à des dégradations du combustible. C’est ce qui s’est passé. En 1969, l’introduction d’un dispositif dans le canal, où il n’aurait pas dû être, a arrêté l’écoulement de l’eau et a entraîné la dégradation de cinq combustibles. Par suite, 50 kilogrammes d’uranium sont tombés au fond du réacteur. Le réacteur venant de démarrer, l’uranium était peu irradié. En 1980, une tôle s’est détachée par corrosion et a bouché six canaux. En conséquence, une vingtaine de kilogrammes de combustible se sont déposés au fond du réacteur.

La ministre de l’environnement a confié une mission aux inspections générales compétentes sur la manière dont ces accidents ont été gérés à l’époque. Elles vont remettre leur rapport prochainement. Si ces événements se produisaient aujourd’hui, ils seraient de niveau 4 sur l’échelle internationale de classement des événements nucléaires – International Nuclear Event Scale (INES). En d’autres termes, ce sont les événements les plus sérieux survenus en France depuis l’origine de la filière nucléaire. On en aurait largement parlé, et vous auriez bien sûr souhaité être informés.

Il revient à l’exploitant nucléaire de chiffrer le coût de la fermeture de chaque installation. Cela relève de sa responsabilité.

Je pense vous avoir répondu en ce qui concerne le démantèlement des installations et la gestion des déchets TFA, Monsieur Chevrollier.

Monsieur Michel Heinrich, l’IRSN a en effet formulé des recommandations à la suite de l’accident survenu au centre hospitalier d’Épinal. L’IRSN est en pointe pour les recherches visant à améliorer les thérapies cellulaires et va bien évidemment les poursuivre. Ce n’est d’ailleurs pas qu’un sujet de recherche : l’hôpital Percy accueille régulièrement des patients gravement irradiés et applique les techniques développées à l’IRSN. Celles-ci permettent de soigner et de soulager des gens, y compris à l’étranger.

Madame Marie Le Vern, les élus ont en effet des responsabilités en situation de crise. Dans la phase d’urgence, il est important que les rôles soient bien définis pour que les choses se passent au mieux. En amont, il est possible de faire beaucoup de choses. L’IRSN est tout à fait disposé à avoir des échanges avec les élus sur ces questions. D’ailleurs, il avait développé un logiciel appelé OPAL – outil de sensibilisation aux problématiques post-accidentelles à destination des acteurs locaux – qui permettait de représenter les conséquences d’un accident grave survenant dans une centrale. Il est important de visualiser ainsi les choses. Je suis moi-même entré dans le réacteur n° 4 de Fukushima, et je peux vous dire que c’est un moment très particulier, bien que j’exerce ce métier depuis longtemps.

Vous avez raison : on n’a pas encore tiré toutes les conséquences de l’accident de Fukushima au niveau local. En 2005, une action sur la gestion post-accidentelle a été engagée sous le pilotage de l’ASN – la phase post-accidentelle est celle qui succède à la phase d’urgence : l’installation accidentée n’émet plus de radioactivité, mais les territoires alentour sont contaminés. En 2012, une doctrine très opérationnelle et concrète a été élaborée. Actuellement, cet exercice est décliné au niveau local, avec l’aide des préfectures, des CLI et des acteurs locaux.

Monsieur Gérard Menuel, les questions liées à la prolongation de l’exploitation des centrales ont clairement vocation à être abordées dans les CLI. Tel est déjà le cas dans un certain nombre d’entre elles, à la suite de propositions faites par l’ASN et l’IRSN.

Monsieur Yves Albarello, je pense avoir répondu à vos questions sur les relations entre l’ASN et l’IRSN, sur la dimension pédagogique de notre mission et sur la centrale de Fessenheim.

Monsieur Laurent Furst, le nucléaire a en effet pénétré le débat public. S’agissant de l’instauration d’un contrôle européen, la position de l’ASN est la suivante – je suis, là encore, d’accord avec mon président actuel : un tel contrôle ne poserait pas, en soi, de problème ; c’est un choix qui appartient aux élus nationaux et européens. En revanche, nous appelons l’attention sur le fait que le système ne peut pas être double : s’il y a à la fois un contrôle national et un contrôle européen, c’est-à-dire s’il y a deux gendarmes, on ne saura plus qui est responsable de quoi, et le système ne fonctionnera pas.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie, Monsieur le directeur général, pour la qualité et le caractère pédagogique de vos réponses. Je ne doute pas un instant des résultats du scrutin. (Rires)

*

Mme Marie Le Vern et M. Julien Dive étant scrutateurs, les résultats du scrutin qui a suivi l’audition sont les suivants :


Nombre de votants


Bulletins blancs ou nuls


Abstention


Suffrages exprimés


Pour


Contre

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 23 mars 2016 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Guy Bailliart, M. Alain Ballay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Sylvain Berrios, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Dominique Bussereau, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Stéphane Demilly, M. Julien Dive, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Barbara Romagnan, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Pascal Thévenot, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Patrice Carvalho, Mme Florence Delaunay, M. Christian Jacob, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Napole Polutélé, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Denis Baupin, M. François Vannson