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Mercredi 22 juin 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 66

Co-Présidence de M. Jean-Marie Sermier, Vice-Président, et de M. Gilles Carrez, Président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, puis de M. Dominique Lefebvre, Vice-président

– Audition, commune avec la commission des finances, des rapporteurs de la mission d’évaluation et de contrôle sur les programmes d’investissements d’avenir finançant la transition écologique (Mmes Eva Sas et Sophie Rohfritsch, rapporteures)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné, conjointement avec la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, le rapport d’information de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique (Mmes Eva Sas et Sophie Rohfritsch, rapporteures).

M. le président Gilles Carrez. Nous examinons ce matin un rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique. Je rappelle que la MEC s’est saisie cette année de deux autres sujets : la formation continue et la gestion des carrières dans la haute fonction publique, sur le rapport de Jean Launay et Michel Zumkeller, que nous avons examiné lors de notre réunion du 8 juin ; la transparence et la gestion de la dette publique, sur le rapport de Jean-Claude Buisine, Jean-Pierre Gorges et Nicolas Sansu, que notre commission devrait examiner le 6 juillet prochain.

M. Jean-Marie Sermier, vice-président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je tiens à exprimer notre satisfaction à l’égard de cette réunion conjointe qui permet d’entendre les deux rapporteures de la Mission d’évaluation et de contrôle sur les programmes d’investissements d’avenir finançant la transition écologique.

Notre commission a auditionné, à plusieurs reprises, le commissaire général à l’investissement et suit, depuis le début, les programmes d’investissement d’avenir finançant la transition énergétique et écologique, notamment l’évolution des engagements financiers par opérateur et par action. C’est pourquoi nous avions nommé Mme Sophie Rohfritsch co-rapporteure et sommes particulièrement intéressés par le rapport qui va être présenté.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Contrairement à leur dénomination, les financements du PIA ne sont pas des « investissements » au sens budgétaire puisqu’il ne s’agit pas majoritairement d’immobilisations de l’État. Ce sont des dépenses d’intervention (subventions ou avances remboursables), des prêts, parfois des prises de participation.

Le PIA doit permettre d’effectuer ces dépenses à l’appui de priorités bien identifiées sur la durée, de façon lisible et significative. Le PIA décline ainsi les orientations fixées par la commission Juppé-Rocard de 2009, qui a retenu la protection de l’environnement comme une priorité afin d’agir sur les deux ressorts de la croissance économique, je cite : « l’économie de la connaissance et l’économie verte ».

Il me paraît utile de rappeler ses préconisations : « l’emprunt national doit être porteur de sens, d’espoir pour les générations futures, en facilitant la mutation du modèle actuel de l’économie vers un développement moins dépendant de la dépense publique, moins dépendant des énergies fossiles, davantage tourné vers la connaissance, adapté aux évolutions démographiques, articulé avec des positions industrielles d’excellence ». Il doit donc financer des « projets innovants et "transformants", c’est-à-dire des projets de nature à incarner ou à faciliter l’émergence des secteurs de l’économie de demain, compatibles avec les ambitions écologiques que l’on souhaite développer ».

La transition écologique nécessite en effet des solutions décarbonées auxquelles font aujourd’hui obstacle des verrous technologiques dans le domaine industriel ou des enjeux d’organisation, par exemple dans nos villes. L’innovation est donc essentielle mais elle est dans ce domaine plus coûteuse et plus risquée qu’ailleurs : les financeurs privés sont donc réticents à en assumer seuls les risques, malgré les mécanismes tarifaires ou fiscaux qui promeuvent la transition écologique. Ce défaut de marché nécessite un apport financier direct de l’État pour faire naître une offre compétitive et jouer un rôle de levier de la croissance verte.

Nous avons donc cherché à identifier cette orientation dans les dotations du PIA votées en 2010 et 2013.

Au total, devaient être destinés à la transition écologique 16,7 % des crédits du PIA 1, soit 5,85 milliards d’euros, dont 5,1 de dotations consommables, éclatés sur sept programmes relevant de quatre missions budgétaires distinctes pour des actions confiées à cinq opérateurs différents et 17,25 % des crédits du PIA 2, soit 2,07 milliards d’euros, exclusivement sous forme de dotations consommables, pour des actions toutes rattachées, cette fois, à la mission Écologie, et qui prolongent des actions créées par le PIA 1. Au total, 16,85 % des PIA devraient être consacrés à la transition écologique, pour près de 8 milliards d’euros.

Ces dotations financent des actions innovantes qui interviennent sur différents leviers.

Tout d’abord celui de la valorisation de la recherche, avec le financement par l’Agence nationale de la recherche (ANR) d’une dizaine d’instituts pour la transition énergétique, les ITE. Il s’agit de consortiums de droit privé réunissant industriels et établissements publics de recherche, partageant une même feuille de route, dans différents secteurs-clés de la transition écologique : la recherche conduite par les institutions publiques doit ainsi répondre aux enjeux industriels. L’ITE pilote la recherche de ses membres académiques puis en valorise les résultats auprès des membres industriels et du marché. La réussite de ces instituts doit se traduire par la mise au point de brevets trouvant des débouchés dans l’industrie afin de générer des revenus qui seront de nouvelles ressources pour l’institut.

Ensuite, avec 3,9 milliards de dotations initiales, la moitié des financements du PIA revient à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) pour financer des démonstrateurs, à un stade plus aval de l’innovation. Il s’agit de démontrer « grandeur nature » que des techniques nouvelles sont viables aux plans industriel et commercial. Ce ne sont pas toujours des innovations de rupture, mais aussi des améliorations dans la mise en œuvre de technologies plus matures ayant des effets significatifs sur le développement durable. L’objectif est toujours de cofinancer des projets qui démontreront aux marchés visés que les nouvelles solutions sont viables et pourront à terme être financées sans subvention publique.

Ce volet est complété par des financements relevant de Bpifrance avec une action dite « PIAVE », qui met en œuvre les orientations de la politique industrielle et dont un volet concerne la transition écologique. S’y ajoutent les « prêts verts », à savoir des prêts bonifiés aux entreprises pour acquérir des équipements améliorant la compétitivité dans un sens favorable à l’environnement.

Une enveloppe de 1 milliard d’euros du PIA 1 a été attribuée aux projets urbains relevant de la démarche Éco Cités. Ces projets portés principalement par des collectivités territoriales sont innovants dans la mesure où leur démarche, dite « intégrée », traite simultanément différentes dimensions de la transition écologique dans l’urbanisme. Mais je souhaite le dire d’emblée, sur les 288 projets financés au titre de la démarche Éco Cités, il me semble que tous n’ont pas satisfait cette exigence, ce qui a pu dévoyer l’intention initiale. Ce volet a été complété, dans le PIA 2, par une action de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) pour vingt quartiers d’intérêt national de la politique de la ville.

Enfin, le PIA contribue depuis son lancement au financement du programme « Habiter mieux » géré par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Ce programme apporte une aide financière et un accompagnement technique à des propriétaires aux revenus modestes pour la rénovation thermique de leurs logements. Le PIA cofinance donc également dans ce cas un investissement privé qui répond à un objectif de transition écologique. Il s’agit également de lutter contre la précarité énergétique, ce qui confère à ce volet une dimension sociale essentielle qui permet d’améliorer, sur la durée, le pouvoir d’achat des bénéficiaires.

Nous avons cherché à vérifier si ces différentes actions ont eu « l’effet additionnel par rapport aux financements budgétaires habituels » comme préconisé par la commission Juppé-Rocard. Nous avons dû constater que certaines dépenses ne se sont pas ajoutées à des crédits budgétaires existants mais s’y sont substituées : le PIA a pris le relais d’une partie de fonds préexistants de l’ADEME et sa montée en chargé a entraîné une diminution de dépenses effectuées auparavant par l’agence sur ses propres ressources. Surtout, 200 millions d’euros de l’action « Ville de demain » ont servi à compléter le financement d’un appel à projet ministériel en finançant douze projets de transports en commun en site propre, des tramways et des bus, sans caractère innovant.

Inversement, un volet de l’action « Projets territoriaux intégrés pour la transition énergétique » de la Caisse des dépôts et consignations, créé par le PIA 2, qui réservait 35 millions d’euros à des collectivités territoriales de taille moyenne, a finalement été vidé de tout objet car le ministère a financé directement ce projet, hors PIA, en utilisant l’« enveloppe spéciale transition énergétique » (ESTE) créée par l’article 20 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Ce fonds a été doté de 250 millions d’euros par la loi de finances rectificative pour 2015, montant qui devrait être porté à 750 millions d’ici 2017. Ce fonds a également été mobilisé en 2015 pour financer l’ANAH, parallèlement aux financements du PIA.

Nous constatons donc qu’il manque une vision d’ensemble des financements de la transition écologique provenant à la fois du PIA et du budget général. Or elle est essentielle pour préserver la doctrine d’emploi de financements du PIA, qui doivent être réservés à des actions qui ont un effet « transformant » et innovant.

Nous proposons donc que le Gouvernement justifie dans les documents annexés aux projets de lois de finances, au regard de l’état d’avancement du PIA, l’évolution des crédits budgétaires finançant la transition écologique. En particulier, l’articulation du futur PIA 3 et du fonds de financement de la transition énergétique doit être clarifiée. Nous proposons aussi que soit défini au sein du Commissariat général à l’investissement (CGI) un suivi transversal de ces financements.

Ceci est d’autant plus nécessaire que la disponibilité des financements du PIA peut détourner les porteurs de projet de faire appel autant que possible à des financements européens qui visent le même objet, comme les financements européens du programme Horizon 2020. Nous proposons donc de mieux formaliser l’identification des cofinancements européens.

Il convient également de rester vigilant sur les frais que prélèvent les opérateurs du PIA, pour mettre en œuvre ces dépenses de l’État, particulièrement dans les cas de délégations entre opérateurs et d’interventions en fonds de fonds qui accroissent la part des frais.

Nous émettons ces réserves car nous sommes persuadées que le pilotage actuel, interministériel, du PIA, qui permet de sortir des « approches en silo », constitue un réel atout dans le domaine de la transition écologique.

La qualité des choix d’investissements tient à la méthode : les aides sont attribuées au terme d’appels à projets qui visent à faire émerger mais aussi à orienter les initiatives des différents acteurs de la transition écologique ; de même les aides consistent en un cofinancement qui complète un investissement privé avec un objectif d’effet de levier de la dépense publique et parfois de retours financiers avec un intéressement de l’État.

Nous avons constaté que le suivi de l’avancement des projets par les opérateurs est effectif. Il se traduit par la définition d’étapes de poursuite ou d’arrêt de projet dites « go no go ». L’ANR a par exemple su prendre précocement une telle décision concernant l’ITE IDEEL, qui était paralysé par les divergences entre ses membres.

De même, les ajustements opérés au fur et à mesure par les opérateurs ont amélioré de façon significative la mise en œuvre des programmes. L’ADEME a par exemple simplifié ses procédures d’appels à projets et diversifié ses domaines d’intervention.

Si nous avons auditionné des directeurs d’administration et des responsables des opérateurs qui se sont pleinement saisis des enjeux du PIA, nous devons cependant regretter que ni la ministre de l’écologie ni le ministre de l’économie – compétent au titre de la politique industrielle – n’aient pu répondre à l’invitation de la MEC.

C’est d’autant plus regrettable que nous pensons que le suivi des effets du PIA peut être amélioré non seulement au regard des différents objectifs de la transition écologique, mais aussi en matière d’activité et d’emploi. Les évaluations ne sont que partielles, et les indicateurs trop nombreux et non harmonisés, ne permettent pas au CGI de fournir une évaluation d’ensemble.

Il est également possible d’améliorer les effets du PIA. En premier lieu, l’accès des PME aux financements peut être accru. Leur part est aujourd’hui insuffisante : 24 % des financements de l’ADEME, pour des PME associées à des projets portés par des grandes entreprises à titre principal. C’est regrettable car l’effet d’incitation à l’innovation est beaucoup plus fort pour les PME. Nous proposons donc que le CGI fixe aux opérateurs des objectifs précis d’accès des PME aux financements du PIA, et que l’état d’avancement des actions soit évalué non seulement en fonction des montants engagés mais également du nombre de projets financés.

L’ADEME a d’ailleurs fait des efforts, en réservant aux PME des éco-industries les appels à projets spécifiques dits « Initiative IPME ». Dans ce cadre, les pôles de compétitivité peuvent d’ores et déjà accompagner les PME vers les fonds du PIA. Mais tous ne remplissent pas aujourd’hui suffisamment cette mission. Nous proposons donc que l’activité des pôles de compétitivité soit évaluée au regard de leur valeur ajoutée en termes de soutien aux PME et ETI dans les appels à projet du PIA.

Nous pensons également que les financements du PIA peuvent être mieux adaptés en fonction des situations des entreprises. Les modalités de remboursement des avances, en cas de succès du projet, pourraient être définies avec plus de souplesse, alors qu’elles ont été standardisées dans le but, louable, de gagner du temps entre la sélection du projet et la signature du contrat.

En matière d’intervention en fonds propres, nous pensons qu’il faut améliorer le dialogue entre Bpifrance et l’ADEME, qui interviennent toutes deux de façon distincte, mais également conjointement dans le fonds écotechnologies, dotée de 150 millions d’euros délégués par l’ADEME à Bpifrance. La gouvernance de ce fonds a été jugée difficile par la Cour des comptes comme par France Stratégie. Il semble que s’opposent une approche plus « prudentielle » de Bpifrance et celle de l’ADEME qui, à partir d’une stratégie de filières, accepte de prendre un peu plus de risques pour garantir un continuum de financements et accompagner le développement des PME.

Si les financements du PIA en fonds propres doivent être des investissements « avisés » assumant un risque comparable à celui des investisseurs privés, il reste qu’une bonne connaissance des perspectives des filières innovantes doit permettre d’adapter la prise de risque publique aux exigences de la transition écologique. Ceci appelle une convergence des approches de Bpifrance et de l’ADEME.

Mme Eva Sas, rapporteure. Je souhaiterais d’abord remercier la corapporteure, Sophie Rohfritsch, pour ces premiers constats, et je voudrais commencer moi-même par souligner tout d’abord que le bilan de la mise en œuvre du PIA est globalement satisfaisant. Son utilité et l’efficacité des différents opérateurs ne font pas de doute. Parmi les exemples de réussite issus du PIA, nous pouvons citer l’introduction en bourse de la société Fermentlag, qui est une société de biotechnologie industrielle spécialisée dans la production d’huiles et de protéines à partir de micro-algues. Cette société a bénéficié de l’investissement du fonds écotechnologie, géré par Bpifrance.

Toutefois, la mission doit aussi relever un écart important avec les objectifs initiaux du législateur et particulièrement avec les annonces faites par le Gouvernement lors du PIA 2. Il s’agit en premier lieu des redéploiements de crédits effectués au détriment des actions finançant la transition écologique.

La gestion extrabudgétaire des crédits du PIA permet au Premier ministre d’opérer rapidement des redéploiements de crédits entre actions selon des modalités qui échappent dans les faits très largement au contrôle du Parlement.

Ainsi, les actions du PIA finançant la transition écologique comptent pour un quart dans l’ensemble des redéploiements de crédits opérés depuis 2010 et surtout, il s’agit principalement de redéploiements à la baisse et de transferts de crédits vers des thématiques autres que la transition écologique.

Un montant de 1,6 milliard d’euros a été redéployé depuis le lancement des PIA en 2010, dans le domaine de la transition écologique : 228 millions ont certes servi à augmenter l’aide à la rénovation thermique des logements privés, et sont donc restés dans le domaine de la transition écologique, mais 1,37 milliard d’euros ont été transférés vers des domaines sans lien avec la transition écologique, notamment au profit de la défense. Les diminutions les plus fortes touchent l’ADEME et le programme « Ville de demain ».

Au total, les montants consacrés à la transition écologique sont passés de 7,92 à 6,55 milliards d’euros, soit une baisse de 17,3 %. À ce jour, la part de la transition écologique dans l’ensemble des crédits des PIA 1 et 2 est donc passée de 16,9 à 13,9 %, ce qui représente une baisse de 3 points.

Les actions du PIA dédiées à la transition écologique ont donc subi plus que d’autres des arbitrages budgétaires défavorables. Elles sont par exemple surreprésentées, en 2012, parmi les différents financements mobilisés pour abonder l’action du PIA 1 « Recapitalisation d’OSEO » dans le but de financer la création de la « Banque de l’industrie », Bpifrance. Les actions destinées au financement de la transition écologique ont contribué à cette opération à hauteur de 40 %. Il s’agit de crédits « détournés » de leur finalité initiale.

De même, la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 a abondé le programme « Excellence technologique des industries de défense » du PIA 2 de 170 millions d’euros de crédits de subventions provenant d’actions de l’ADEME. En outre, l’action « Ville de demain » a été mise à contribution, au profit de la défense à nouveau, en 2014, pour 82 millions d’euros de crédits de subventions.

Les crédits du PIA finançant la transition écologique étaient constitués à 91 % de dotations consommables : leur disponibilité immédiate a accru le risque de les mettre à contribution. Néanmoins, ces redéploiements ont parfois été facilités aussi par une relative sous-consommation initiale des crédits, en particulier entre 2012 et 2014.

La mission a examiné les motifs de ces retards : une partie a tenu à des lourdeurs auxquelles les opérateurs ont remédié depuis, mais une part s’explique par le temps nécessaire pour faire émerger des projets sur des sujets innovants dans un secteur émergent. D’autres secteurs industriels, plus matures, avaient logiquement plus de projets à proposer au financement dès le lancement du PIA.

Sur ce secteur plus nouveau, l’ADEME a dû établir, avec les professionnels, des feuilles de route stratégiques sectorielles afin de cibler les appels à projets vers les domaines présentant à la fois de véritables atouts pour la France et des perspectives de développement commercial, notamment à l’export. Il s’agissait ainsi d’éviter de chercher à financer des innovations dans des domaines où la production ne se ferait pas sur le territoire national, ou dans des segments où il n’existerait pas d’opportunités de marché en raison d’une demande trop faible, ou d’une concurrence déjà installée.

En revanche, le rythme de dépenses est systématiquement plus rapide lorsque le PIA se substitue à des crédits budgétaires pour financer des projets préexistants. Redéploiement de crédits et débudgétisation vont donc souvent de pair.

En tout état de cause, certains redéploiements ont été décidés avant même le lancement des programmes, par exemple pour les interventions de l’ANRU ou pour des enveloppes du programme « Véhicules du futur » issus du PIA 2. Ils ne sont donc pas dus à la montée en charge trop lente des programmes, mais à des priorités données à des actions nécessitant rapidement des fonds, souvent en remplacement de crédits budgétaires.

En conséquence, afin de limiter les redéploiements excessifs et facilitant la débudgétisation, nous proposons d’accroître le niveau d’information du Parlement sur les décisions du Premier ministre, lors de leur communication aux commissions, en faisant en sorte que soient indiqués les motifs des redéploiements de crédits et, surtout, leurs incidences sur la part des financements du PIA consacrés à la transition écologique et sur les appels à projets en cours.

Outre l’impact des redéploiements, la MEC doit également constater un écart entre les objectifs affichés et les résultats en ce qui concerne le principe d’éco-conditionnalité des aides défini en 2013.

Ce principe soumet à des objectifs de transition écologique des projets qui n’entrent pas directement dans ce domaine. Tout ou partie des neuf critères d’éco-conditionnalité retenus par le CGI constituent des éléments de « sélection secondaire », donc des critères de choix de second niveau ou de modulation du montant de l’aide. L’éco-conditionnalité paraît donc utile, mais la démarche n’est pas encore aboutie ni harmonisée. L’approche excessivement compartimentée entre opérateurs n’a pas permis de l’appliquer sur un périmètre suffisamment large.

La Caisse des dépôts et consignations, par exemple, n’a pas pu l’appliquer pour l’essentiel des actions du PIA 2 – ce qui a écarté plus d’un milliard d’euros de financements, y compris dans le domaine du numérique pourtant fort consommateur d’énergie ou de métaux rares.

Or, le Premier ministre avait, en 2013, présenté ce critère comme devant permettre le financement direct ou indirect de la transition écologique par 50 % des crédits du PIA 2. Cet objectif était manifestement hors d’atteinte.

Nous proposons donc que les opérateurs poursuivent leurs efforts pour mettre en œuvre l’éco-conditionnalité de manière adaptée à chaque secteur, mais nous considérons que ce financement indirect de la transition écologique, ne doit pas servir à en minorer le financement direct. Ainsi, il ne saurait être retenu comme critère d’appréciation de la part des dotations du PIA 3 destinées à transition écologique.

En ce qui concerne la perspective du PIA 3, la sous-consommation constatée dans les premiers temps n’est plus d’actualité. L’expertise dans le repérage et le traitement des dossiers, ainsi que la maturation d’un secteur jusque-là émergent, ont permis d’atteindre un rythme de croisière.

Si l’engagement des enveloppes s’accélère depuis deux ans, il reste que les décisions de redéploiement prises jusqu’à présent ont diminué les financements potentiels, sur la durée, pour chacune des actions du PIA finançant la transition écologique : nous considérons donc que le PIA 3 peut être mis à profit pour en compenser les effets, qui s’élèvent, je le rappelle, à 1,3 milliard d’euros.

Le PIA 3 doit également être mobilisé pour financer les nouvelles opportunités que présentent, d’une part, les dynamiques suscitées par le PIA et, d’autre part, le nouveau contexte en matière de transition écologique.

Ainsi, et sous réserve, comme l’a souligné Sophie Rohfritsch, d’une meilleure lisibilité et d’une meilleure complémentarité avec les autres financements, qu’ils soient nationaux ou européens, on peut évaluer les financements nécessaires à la poursuite des actions consacrées à la transition écologique à 2 milliards d’euros dans le PIA 3. Cette suggestion est raisonnable, voire minimale, pour que la transition écologique puisse continuer à figurer parmi les priorités de la stratégie industrielle et commerciale de la France.

En tant que législateur, nous posons des exigences de transition de nos systèmes productifs en fixant des buts de développement durable. C’est aussi ce que fait nous faisons en ratifiant les conclusions de la COP 21. Or ces engagements appellent des investissements importants pour viabiliser les innovations techniques, mais aussi pour en déployer les effets en complément du financement de l’innovation. Il nous faut donc faire preuve de cohérence au plan budgétaire, mais aussi et surtout de plus de volontarisme et de constance dans les choix stratégiques.

Il apparaît par exemple de plus en plus nécessaire de financer le déploiement des nouvelles infrastructures de la transition écologique, mais les conditions d’utilisation du PIA en ce sens ne sont ni définies, ni clarifiées. Dans le PIA 1, 60 millions d’euros de subventions de l’ADEME destinées aux « Véhicules du futur » ont financé, de façon assez dérogatoire, des infrastructures de recharge sur la voirie pour les véhicules électriques. La question sera à nouveau posée, pour les bornes interopérables pour les véhicules électriques hybrides-hydrogène. Nous devons donc clarifier les conditions de financement public du déploiement des infrastructures qui amorcent les nouveaux marchés de la transition écologique, soit par une action identifiée du PIA, soit plutôt par des crédits budgétaires ou par le fonds de financement de la transition énergétique, en complément du PIA.

De même, le PIA a permis, de façon limitée, d’intervenir très en aval du financement de l’innovation, jusqu’au stade de la première exploitation commerciale, par exemple, en matière d’éoliennes offshore. Mais cette orientation n’est pas assumée, ni cadrée. Le PIA 3 doit donc permettre de fixer la doctrine de financement des premières exploitations commerciales, particulièrement au moyen de fonds propres par l’ADEME et le fonds SPI de Bpifrance.

Il faut également faire preuve de cohérence sur la durée : le programme de rénovation thermique « Habiter mieux » de l’ANAH financé par le PIA, est une réussite. Il est donc absolument indispensable d’assurer la pérennité du financement de cette action. Les ressources propres de l’ANAH pourraient ainsi être accrues à hauteur de l’objectif de rénovation thermique de 70 000 ou 100 000 logements par an. Nous considérons par ailleurs qu’il est possible d’identifier dans le PIA 3 un programme dédié à l’innovation en matière de rénovation énergétique, qui pourrait contribuer aux nouvelles formes d’intervention du programme « Habiter mieux », par exemple les interventions groupées dans les quartiers pavillonnaires.

De même, concernant les instituts pour la transition énergétique (ITE), des éléments concordants conduisent à penser qu’il est trop ambitieux d’exiger leur autofinancement en neuf années à partir des seuls revenus des droits de propriété intellectuelle tirés des recherches qu’ils pilotent. Des financements supplémentaires devront permettre de reporter cette échéance et de diversifier leurs ressources en élargissant leurs activités, par exemple par des prestations de services de démonstration.

Dans le domaine de l’urbanisme durable, où les financements actuels sont presque entièrement consommés, une nouvelle enveloppe paraît justifiée. Elle pourrait comporter des aides importantes pour un petit nombre de projets plus structurants assortis d’obligations d’exemplarité au niveau international. Il faudrait y ajouter l’appui à des projets conduits en réseau afin de soutenir l’innovation dans les villes moyennes, en tenant compte du rôle des régions et de la décentralisation d’une part plus importante des crédits du PIA 3.

À ce titre, il convient de veiller à la plus-value que peut représenter le programme « Ville durable » de l’ANRU, dont l’enveloppe reste à engager suite à la clôture de l’appel à projet en 2015, et qui pourrait, en fonction de ses résultats, faire l’objet d’un nouveau financement dans le cadre du PIA 3.

Pour conclure, des mesures d’ordre plus général peuvent accroître la mobilisation de financements privés dans la transition écologique et donc améliorer l’effet de levier des financements publics. La programmation pluriannuelle de l’énergie prévue par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte facilitera par exemple le déploiement commercial des filières, grâce à une trajectoire définissant appels d’offres, tarifs d’achat et compléments de rémunération. Il faut donc la mettre en œuvre dans sa globalité et sans tarder.

De même, il conviendrait d’instituer une obligation pour des acteurs financiers tels les mutuelles et les assurances de placer une partie minime de leurs investissements dans des projets innovants de la transition écologique. Il s’agit d’une proposition ancienne et souvent formulée, mais le besoin n’en est aujourd’hui que plus vif.

M. le président Gilles Carrez. Je remercie les rapporteures de cette présentation extrêmement précise et complète. Je me bornerai à observer, en tant que président de la commission des finances et pour rassurer notamment Eva Sas, que nous sommes décidés à être très vigilants sur la relation entre redéploiements et débudgétisation.

En effet, dans la mesure où sont appliqués en début d’année des gels de crédits très importants, à hauteur de 8 %, pour faire face aux éventuels dépassements ou décisions nouvelles de dépenses, il est procédé ensuite à des annulations importantes sur des crédits dits « pilotables », qui se trouvent être des crédits d’investissement. Cela explique la tentation de substituer en partie aux crédits ainsi annulés, par redéploiement, des crédits du PIA. Cette méthode entraîne une dérive progressive du PIA vers le financement d’actions classiques, figurant dans le budget de l’État.

Dans le domaine écologique, comme Eva Sas l’a souligné, cette situation est d’autant plus sensible qu’une partie des actions au sein du PIA s’inscrivent dans le cadre de l’éco-conditionnalité. Nous ne sommes pas dupes de ce « coup de peinture verte » et devons rester très vigilants sur ce sujet. En effet, il y aura probablement un décret d’avance vers le mois d’octobre ou novembre prochain, et devrons être très vigilants aussi lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative de fin d’année, qui prévoira probablement des redéploiements de crédits en provenance du PIA pour des montants encore plus importants que les années précédentes.

Mme Martine Lignières-Cassou. Je vous remercie pour votre rapport, qui permet de donner plus de visibilité aux PIA 1 et 2 et aux sommes engagées. Ceux-ci s’élèvent 47 milliards d’euros, tandis que le PIA 3 est attendu pour un montant 10 milliards d’euros. Au sein des PIA, les crédits pour la transition écologique étaient annoncés comme prioritaires ; or ils ne représenteraient que 17 % des crédits. Un rapport sénatorial évoque cependant des sommes plus importantes. Qu’en est-il exactement ?

De multiples acteurs concourent à la mise en œuvre de la transition écologique, tels que la BPI, la Caisse des dépôts, l’ANRU, l’ANAH, ou encore l’ADEME. Cette multiplicité d’opérateurs, et la répartition des compétences opérée entre ces derniers, vous paraissent-elles pertinentes ? Par exemple, la Caisse des dépôts finance les territoires à énergies positives hors PIA, alors que l’ANAH dispose, dans le cadre des PIA, de crédits destinés au programme de rénovation de l’innovation thermique des logements. Cela rejoint la question de la gouvernance et du portage transversal des crédits des PIA.

L’ADEME est le principal opérateur de la transition écologique, pour un total de crédits qui s’élèverait à environ 3 milliards d’euros. Son budget a néanmoins été amputé de près de 800 millions d’euros, qui ont été redéployés. Quel a été l’impact de ces redéploiements ? Ont-ils handicapé le lancement de ses programmes ? Par ailleurs, les procédures de cet organisme étaient réputées être les plus longues, et les plus lourdes. Les délais d’instruction ont-ils été raccourcis ? Cela se traduit-il au niveau du rythme de décaissement des crédits ?

Sur la question de l’efficacité du dispositif, êtes-vous entrées en contact avec le comité d’experts chargé de l’évaluation à mi-parcours du PIA pour en mesurer l’efficacité, tant vis-à-vis des organismes de recherche, que vis-à-vis des entreprises ?

Enfin, le mécanisme de décentralisation peut-il permettre le développement de projets innovants et favoriser les PME ?

M. Jacques Kossowski. Je félicite les deux rapporteures pour cet excellent travail. Il avait été prévu de financer par le PIA, à hauteur de 1 milliard d’euros, neuf « instituts d’excellences sur les énergies décarbonées » (IEED), qui ont été labellisées à la fin de l’année 2011 et au début de l’année 2012. Ces organismes, renommés depuis « instituts de la transition énergétique » (ITE), avaient pour but de redonner de la compétitivité économique et de permettre à la France d’acquérir des savoirs de pointe favorisant le développement d’une économie sans carbone. Toutefois, sur les treize dossiers présentés, trois ont perdu leur labellisation, tandis qu’un autre devrait être arrêté prochainement. Les neuf autres sont en cours d’évaluation. Il semble donc que ces programmes n’aient pas atteint leurs objectifs. Selon un rapport d’étape du comité d’experts sur l’évaluation des PIA publié en mars dernier, il apparaît que ces institutions se sont lancées sur des marchés inexistants ou trop peu développés. De plus, ils sont souvent de trop petite taille pour être performants. Dans un souci de simplification, le comité recommande de transformer les ITE survivants en « instituts de recherche technologique » (IRT), plus performants. Ces transformations successives donnent le sentiment de mauvais choix stratégiques en termes structurels. J’aurais souhaité avoir votre analyse sur cette question.

Quant à l’ADEME, elle permet de financer de nombreuses opérations. On peut facilement contrôler la gestion de ces opérateurs au niveau des collectivités locales, mais peut-on le faire également pour les entreprises ?

Enfin, vous dites que les partenaires privés ne tirent pas véritablement partie des incitations fiscales permettant la rénovation thermique de leurs logements. Ces derniers ont-ils accès à une bonne publicité, et savent-ils à qui s’adresser ?

M. Bertrand Pancher. À tout seigneur, tout honneur : les PIA correspondent au grand emprunt de Nicolas Sarkozy en 2008, aux 35 milliards d’euros du gouvernement Fillon, et aux 12 milliards du gouvernement Ayrault. Nous soutenons cette politique de grand emprunt et d’investissements d’avenir, mais nous déplorons des redéploiements toujours plus vastes, une consommation de crédits de moins en moins importante, ainsi que des problèmes de gouvernance.

C’est ainsi que le 18 mai dernier, le secrétaire d’État au budget, M. Christian Eckert, a présenté un projet de décret d’avance qui prévoyait d’annuler 150 millions d’euros de l’action « Démonstrateurs de la transition énergétique et écologique » du PIA, au profit du fonds d’aide à la rénovation thermique géré par l’ANAH, qui doit financer l’engagement pris par le Gouvernement de porter à 70 000 le nombre de logements rénovés en 2016.

Le rapport remis par le comité d’experts chargé de l’examen à mi-parcours du PIA, en mars dernier, souligne quant à lui la difficulté à consommer les crédits alloués à la transition écologique, alors qu’il s’agit pourtant d’un objectif prioritaire. Un travail de réflexion plus spécifique doit donc être conduit pour les actions en lien avec la transition énergétique. Une enveloppe totale de 1,7 milliard d’euros avait été prévue dans le cadre des PIA 1 et 2 pour l’action « Démonstrateurs » de l’ADEME, portant sur les énergies renouvelables et décarbonées. Toutefois, au troisième trimestre 2015, seuls 650 millions d’euros avaient été engagés, en raison du nombre insuffisant de projets soumis. Comment améliorer cette situation ?

Ce rapport met également en exergue des difficultés en termes de gouvernance : quel est votre ressenti à ce sujet ?

M. Philippe Plisson. Dans son rapport, le comité d’experts indépendants a constaté que certaines actions ne finançaient pas les dépenses exceptionnelles d’investissement, mais uniquement des dépenses supprimées au sein du budget de l’État. Ce constat a été corroboré par la Cour des comptes. Qu’en est-il plus spécifiquement des PIA finançant la transition écologique ?

Par ailleurs, les efforts effectués pour accélérer et simplifier les procédures de sélection des projets dans le domaine de la transition écologique ont-ils été suffisants ? Ne faudrait-il pas adapter les procédures à la taille et aux caractéristiques des projets à financer ?

Enfin, combien de projets ont été financés, et ont abouti de manière significative, dans le cadre des PIA finançant la transition écologique ?

M. Patrick Hetzel. Je voudrais féliciter et remercier les rapporteures pour leur présentation. Lors du travail que nous avions mené avec Alain Claeys sur les PIA consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche, nous avions abouti au même constat à propos de l’importance des redéploiements de crédits. Madame Sas, vous soulignez que ces redéploiements s’élèvent à 25 % des crédits. Votre proposition n° 2 recommande notamment d’être très vigilant à cet égard, pour éviter que les financements extrabudgétaires ne donnent lieu à des redéploiements de crédits par annulation sur les programmes récurrents. Pourriez-vous nous dire quelles sont les autres mesures envisageables pour que le Parlement puisse agir avant même la prise de ces décisions ?

M. Charles de Courson. Je me pose toujours la question de l’utilité et de l’efficacité de la dépense publique. En tant que rapporteures, vous nous avez expliqué que celle-ci est justifiée notamment par la rénovation thermique des logements, qui est un succès. Il a d’ailleurs fallu augmenter la dotation de 45 %, de 500 millions à 728 millions ; il s’agit d’ailleurs là de la seule dotation qui ait été augmentée, toutes les autres ayant été réduites. Les instituts pour la transition énergétique constituent une autre justification de la dépense, mais parmi ces instituts, on compte trois échecs, et pour les neuf autres, la situation est mitigée. Concernant les autres grands volets de la dépense, comment évaluez-vous la situation ? Peut-on en apprécier l’efficacité ?

M. Jean-Louis Bricout. La mise en place du fonds Écotechnologies doté de 150 millions d’euros va dans le sens d’une meilleure prise en charge des besoins écologiques futurs. Cette logique doit être pleinement encouragée et soutenue. Des difficultés de gouvernance ont toutefois accompagné sa mise en place en raison d’une différence de culture entre l’ADEME et la BPI. Qu’en retenez-vous et que pouvez-vous nous dire sur ce point ? Pour ma part, il me semble que tous les enseignements doivent être tirés afin que puisse être défini un pilotage efficace, alliant expertise technique et expertise financière, des différentes actions contenues dans le PIA en lien avec la transition énergétique.

M. Guillaume Chevrollier. Les énergies renouvelables occupent une place prépondérante dans les principaux programmes d’investissement d’avenir – environ 80 % des crédits consacrés à l’énergie. Il reste qu’aujourd’hui, les énergies renouvelables ont des difficultés à être rentables. Il y a des problèmes techniques liés à l’intermittence de ces énergies : on ne sait pas encore stocker l’électricité en grande quantité, mais il y a surtout des problèmes de coût : ces énergies sont chères et non compétitives. Elles sont donc grandement dépendantes de la dépense publique, ce qui va à l’encontre des orientations de l’emprunt national. Comment envisagez-vous ce point ?

Ma seconde observation concerne l’amélioration de l’accès au financement des PME. Vous avez souligné que 24 % du financement de l’ADEME va en direction des PME, ce qui est insuffisant. Comment développer ce financement, notamment en direction des filières économie verte, agricole et agroalimentaire où existent de vrais enjeux de développement économique et de développement durable ?

M. Yannick Favennec. Des prêts sont mis en place jusqu’à fin 2016 pour soutenir les investissements de transition énergétique. Il s’agit de financer des projets exemplaires en termes d’innovation et de performance énergétique, portés, bien sûr, par des PME. Les projets des entreprises doivent s’inscrire dans la stratégie énergétique et écologique des collectivités lauréates de l’appel à projets intitulé « territoires et énergies positives pour la croissance verte ». J’aimerais savoir si ce dispositif sera prolongé au-delà de l’année 2016. Il a été très apprécié par les PME concernées, comme j’ai pu le constater dans ma circonscription en Mayenne.

M. Éric Alauzet. Ma première question concerne la part consacrée à la transition énergétique, qui est passée de 13,9 % à 16,9 % des PIA. Peut-on distinguer entre le PIA 1 et le PIA 2, sachant que les programmes sont encore en cours ? Je me souviens des annonces du Premier ministre selon lesquelles 50 % du PIA 2 seraient consacrés à la transition énergétique. Le PIA 3 va venir s’ajouter. Tout cela se mélange. PIA après PIA, on peut estimer qu’il faut être plus exigeant sur la part consacrée à la transition énergétique. Pourriez-vous préciser quelles sont les parts respectives du PIA 1 et du PIA 2 consacrées à la transition énergétique ?

Ma seconde question concerne les 1,37 milliard d’euros de redéploiements. Quelle est la part de ce montant liée à une sous-consommation de crédits. Je me souviens, par exemple, que le projet Lucos, de plus de 100 millions d’euros, n’a pas pu se réaliser.

M. Julien Aubert. Je retiens de votre analyse – mais j’aimerais vérifier que je comprends bien votre message – qu’il y un problème de visibilité sur une politique centrale de ce quinquennat, portée par une loi présentée comme très importante. Les montants présentés ici, qui sont certes relativement importants, ne sont pas forcément à la hauteur des chiffrages qui ont pu circuler sur les besoins en matière de transition écologique. Je constate une forme de saupoudrage, avec des priorités parfois entremêlées.

Il est clair qu’il y a une contradiction entre d’un côté, une publicité importante sur la transition écologique, présentée comme un grand virage, et de l’autre, la réalité – ce que vous appelez des redéploiements de crédits – que j’appelle pour ma part, plus simplement, des réductions des crédits destinés à cette grande priorité. Cela doit évidemment interpeller la majorité, mais aussi, plus généralement, tous les parlementaires. En effet, le Parlement vote des orientations et s’aperçoit ensuite que dans la mise en œuvre, par des mécanismes de bonneteau, la balle n’est pas exactement sous la tasse qui était attendue. Voilà ce que je retiens de votre rapport et que je voudrais vérifier, même si je le dis de manière un peu crue.

M. Yves Jégo. Le rapport est un problème, non pas par sa qualité – et je tiens d’ailleurs à saluer la qualité du travail de nos rapporteures – mais parce qu’il souligne l’immense complexité des circuits que l’on met en place. Qu’il faille un travail parlementaire aussi long et approfondi pour essayer de comprendre le système est un vrai problème en soi, d’autant plus que les circuits mis en place –vous l’avez souligné avec diplomatie – ne sont pas toujours lisibles par nous-mêmes. La complexité de ces dispositifs, l’absence d’harmonie entre les uns et les autres, l’incapacité de croiser les actions entre les différents opérateurs posent des problèmes sur le terrain. Ces problèmes semblent expliquer en partie la faiblesse d’un certain nombre de résultats que vous avez présentés.

Je voudrais insister sur deux points. D’abord, peut-on avoir une clarification sur les rémunérations des opérateurs prélevées sur ces programmes ? Il s’agit d’opérateurs publics qui fonctionnent grâce à de l’argent public. On peut imaginer qu’il faille regarder de près la façon dont ils prélèvent leur rémunération sur les programmes pour leurs propres besoins.

Ensuite, Monsieur le Président, j’ai entendu la déception de nos rapporteures de ne pas avoir pu rencontrer les ministres en charge de ces sujets. La commission des finances pourrait peut-être leur demander de venir nous expliquer leur vision des choses. C’est bien le moins, compte tenu des montants constatés !

M. Jean-Marie Sermier, vice-président de la commission du développement durable. Effectivement, comme le disait tout à l’heure Sophie Rohfritsch, il y a un manque de vision d’ensemble pour préserver la doctrine. Il importe maintenant à nos deux commissions de suivre avec attention cette évolution.

J’ai également une question précise. Dans la filière véhicules du futur, vers laquelle 950 millions d’euros ont été fléchés, connaissez-vous le montant fléché vers les véhicules à hydrogène ?

Mme Eva Sas, rapporteure. Mme Lignières-Cassou, vous avez remarqué que les sénateurs ont identifié une enveloppe plus importante pour la transition écologique. C’est sans doute parce que le nucléaire est parfois inclus dans le développement durable. Ce choix est évidemment contestable. En tout cas, il ne s’agit pas d’une énergie renouvelable. Par ailleurs, le périmètre des crédits alloués à la transition écologique est assez mal identifié et nous avons dû mener sur ce point un travail important. On affiche la transition écologique comme un objectif prioritaire, mais on ne dispose pas des outils nécessaires pour suivre l’évolution de sa réalisation. Voilà pourquoi notre première préconisation vise à permettre une meilleure identification du domaine de la transition énergétique et la mise en place d’un suivi.

Vous nous avez interrogées sur la multiplicité des opérateurs. Le nombre d’opérateurs gérant le PIA fait effectivement débat aujourd’hui. Il serait sans doute plus opportun, pour la lisibilité et l’efficacité de la gouvernance, d’avoir un nombre plus réduit d’opérateurs. Je voudrais toutefois souligner que cela ne doit pas conduire à la réduction ou à la suppression de certains programmes. Je pense à des programmes de l’ANRU ou de l’ANAH qui sont très efficaces. Une réduction du nombre d’opérateurs – par exemple, si l’ADEME devenait l’opérateur central – ne doit pas leur porter atteinte.

Vous m’avez interrogée au sujet de l’impact des redéploiements. Ils ont deux types de conséquences. D’une part, certains appels à projets n’ont pas du tout été lancés ; d’autre part, les enveloppes PIA 1 et PIA 2 arriveront à leur terme en 2019 pour les principaux programmes, au lieu de 2024, en raison de la diminution de leurs montants. D’où la nécessité d’avoir un PIA 3 qui pourra financer ces mêmes actions.

S’agissant de l’intérêt de la pluriannualité et du caractère interministériel des programmes, nous avons un avis très favorable. La pluriannualité est indispensable
– contrairement à ce que Charles de Courson prône parfois –, mais elle ne doit pas permettre d’échapper au contrôle du Parlement, ce qui est aujourd’hui le cas, malheureusement.

Monsieur Kossowski, vous avez évoqué la question des ITE en indiquant que trois d’entre eux ont perdu leur label. Je pense que ce constat est plutôt positif, en ce qu’il traduit la capacité qu’a l’État à arrêter des programmes qui ne fonctionnent pas. La sélection des ITE est réelle. Vous avez suggéré de transformer les ITE et IRT. Les entreprises sont moins impliquées dans les IRT que dans les ITE, parce que ces instituts n’ont pas le statut de société par actions simplifiée (SAS). Nous avons auditionné des entreprises comme Safran et Air Liquide, qui sont tout à fait favorables aux ITE. Il est vrai que nous avons observé des difficultés dans leur mise en place. La difficulté à travailler collectivement, qui est peut être spécifiquement française, a pu empêcher un déploiement rapide des ITE, notamment à cause de la question du partage des droits de propriété intellectuelle issus de leurs travaux. Il faut travailler spécifiquement sur ce point pour faciliter leur mise en œuvre.

Monsieur Pancher, vous constatez la difficulté à consommer les crédits alloués. Cela a été vrai, mais cela l’est de moins en moins. Il y a une grande efficacité de l’ADEME, d’une part à traiter les projets et, d’autre part à identifier les projets qui peuvent être pertinents. Elle a adapté ses appels à projet aux PME. Pour le coup, cela a un effet de moindre consommation des crédits, car les PME consomment évidemment moins de crédits que les grandes entreprises. Globalement, un rythme de croisière a été atteint, même s’il existe deux bémols, dans le domaine de l’économie circulaire et dans le domaine de la biodiversité, où il y a encore des difficultés à identifier des projets et à développer ces secteurs.

Monsieur Plisson, vous posez une question sur le nombre de projets aboutis. Il est possible de vous donner des chiffres, mais je ne suis pas certaine que cela serait très pertinent. J’ai cité l’exemple de l’introduction en bourse de Fermentalg. Les projets sont très différents entre eux. On ne peut pas comparer un ITE et la réussite d’une PME financée par BPIfrance. En tout état de cause, les grandes entreprises et les PME que nous avons auditionnées ont toutes souligné la pertinence des PIA et l’importance qu’il y a à poursuivre ces programmes, dans un objectif de développement commercial. Il existe des opportunités de marché. La France est déjà en retard dans certains domaines de la transition écologique. Dans beaucoup de secteurs, comme les énergies renouvelables, il n’y a plus d’opportunités de marché, car d’autres pays les ont déjà saisies. À l’inverse, dans certains domaines, les réussites constatées encouragent à la poursuite de ces programmes.

Monsieur Chevrollier, je vais vous répondre sur la question du coût des énergies renouvelables. Je suis en désaccord avec ce que vous avez dit. Je voudrais rappeler qu’aujourd’hui, le coût du kilowattheure issu de l’éolien terrestre est inférieur au coût du kilowattheure de l’EPR. Il n’est plus vrai que les énergies renouvelables sont coûteuses. Il faut donc les développer et c’est un des objectifs des PIA.

Monsieur Alauzet, pour le PIA 1 et le PIA 2, un tableau figurant dans le rapport montre que, dans le cadre du PIA 2, 2,07 milliards d’euros étaient prévus pour la transition écologique. Cette enveloppe a déjà été réduite de 238 millions d’euros qui ont été redéployés, soit 11,5 % des crédits initiaux. On observe malheureusement les mêmes phénomènes que pour le PIA 1. La même part initiale de crédits, à peu près, y était consacrée à la transition énergétique et, dans les deux cas, les redéploiements risquent de se poursuivre. Il n’y a donc pas de différences fondamentales entre PIA 1 et PIA 2 et la transition écologique est toujours mise à contribution pour financer d’autres actions considérées comme plus urgentes, comme le financement des opérations de défense.

Je réponds maintenant à M. Aubert en lui indiquant qu’il a tout à fait raison de pointer la contradiction entre les annonces faisant de la transition écologique une priorité et la réalité. On aurait pu imaginer qu’une montée en charge lente aurait justifié des redéploiements de crédits internes à la transition écologique. Or ce n’est pas le cas. Donc il ne faut pas se leurrer : les redéploiements financent bien des besoins de crédits budgétaires sur des opérations qui n’ont pas été budgétées en loi de finances initiale.

Enfin, M. Jégo soulignait la complexité des programmes en matière de transition écologique. Je crois que la complexité est inhérente à ce type d’actions et qu’elle est nécessaire. Les PIA sont destinés à financer des opérations et des actions à caractère transformant. La chaîne va du financement de la recherche par l’ANR en amont, notamment à travers des ITE, au financement des start-up par la BPI en aval. Les circuits de financement sont donc divers et les opérateurs multiples. Il est vrai que le système est complexe. Je pense qu’il répond tout de même aux besoins qui vont de la recherche en amont jusqu’à l’exploitation commerciale. Cette complexité est difficile à gérer, mais elle est nécessaire pour financer l’innovation en matière de transition énergétique.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. En réponse à une question de Martine Lignières-Cassou, je souhaitais confirmer qu’il existe en effet une pluralité d’opérateurs dans ces domaines. La commission Juppé-Rocard avait toutefois préconisé, dans le domaine spécifique de l’énergie, la création d’une nouvelle agence à la structure très légère et souple, qui permettrait d’identifier les bonnes idées et les nouveaux marchés.

Concernant les redéploiements, ils ne posent pas de difficultés à ce stade pour l’ADEME mais, à terme, elle ne pourra plus lancer de nouveaux appels à projets : des financements devront donc être restitués dans le PIA 3.

Je répondrai par ailleurs à Patrick Hetzel que, si l’instruction des projets est globalement satisfaisante, il faut certainement améliorer leur évaluation, qui est encore balbutiante à ce jour ; cette amélioration permettrait de sélectionner les programmes qui méritent d’être développés.

Monsieur Chevrollier, pour les PME il faut effectivement veiller à un continuum dans le service public de l’innovation. La coordination en amont doit être renforcée par une agrégation plus efficace des données disponibles.

Monsieur Sermier, il n’y a pas de financement direct de véhicules hydrogènes mais trois projets sont financés dans le domaine de l’énergie hydrogène pour un total de 24 millions d’euros. Notre pays doit être identifié à l’international dans plusieurs domaines-clés que sont notamment l’énergie marine, la chimie, les réseaux intelligents et le photovoltaïque. Dans ces domaines, un financement de long terme est fondamental.

M. Alain Fauré. Existe-t-il un rapprochement entre les crédits affectés à une politique donnée par le biais du crédit d’impôt recherche (CIR) et par le biais des PIA ?

Mme Eva Sas, rapporteure. Il n’existe pas de coordination dans ces deux domaines et il s’agit d’ailleurs de l’une de nos préconisations.

M. Dominique Lefebvre, président. En conclusion, je note que les critiques récurrentes de la Cour des comptes sur la gestion de ces crédits nous appellent à une grande vigilance dans le cadre de la procédure budgétaire. Certaines sous-consommations posent question et le Parlement doit savoir quelles en sont les raisons.

En application de l’article 145 du Règlement, la commission autorise la publication du rapport d’information de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 22 juin 2016 à 9 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Sylvain Berrios, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Sophie Rohfritsch, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Pascal Thévenot, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Weiten

Excusés. - Mme Marine Brenier, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Julien Dive, M. David Douillet, M. Christian Jacob, M. Philippe Martin, M. Napole Polutélé