Accueil > Travaux en commission > Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mardi 12 juillet 2016

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 72

Présidence de M. Christophe Bouillon,Vice-Président, de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission des affaires européennes, et de M. Jean Bizet, sénateur

– Table ronde, conjointe avec la commission des affaires européennes, sur le marché de l’électricité en Europe avec Mme Amaryllis Verhoeven, chef d'unité adjointe à la direction générale Énergie de la Commission européenne, accompagnée de M. Olivier Coppens, attaché économique à la représentation de la Commission en France ; M. François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE) ; Mme Hélène Gassin, membre du collège de la commission de régulation de l’énergie (CRE) ; M. Marc Bussieras, directeur stratégie du groupe EDF ; M. Jean-Pierre Roncato, Président de l’union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), accompagné de M. Stéphane Delpeyroux, membre de l’UNIDEN ; M. Jean-Arnold Vinois, conseiller pour l'énergie de l’Institut Jacques Delors ; M. Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables (SER) ; et M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association négaWatt

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé, conjointement avec la Commission des affaires européenne, une table ronde sur le marché de l’électricité en Europe avec Mme Amaryllis Verhoeven, chef d'unité adjointe à la direction générale Énergie de la Commission européenne, accompagnée de M. Olivier Coppens, attaché économique à la représentation de la Commission en France ; M. François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE) ; Mme Hélène Gassin, membre du collège de la commission de régulation de l’énergie (CRE) ; M. Marc Bussieras, directeur stratégie du groupe EDF ; M. Jean-Pierre Roncato, Président de l’union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), accompagné de M. Stéphane Delpeyroux, membre de l’UNIDEN ; M. Jean-Arnold Vinois, conseiller pour l'énergie de l’Institut Jacques Delors ; M. Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables (SER) ; et M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association négaWatt.

Mme la Présidente Danielle Auroi. Je suis heureuse de vous accueillir autour de cette table ronde, organisée conjointement par la commission des affaires européennes et la commission du développement durable, autour de la réforme du marché européen de l’électricité, et à laquelle participera également Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes du Sénat.

Il nous a semblé en effet nécessaire d’entendre des représentants de la Commission européenne, des spécialistes de l’énergie et de l’industrie ainsi que des membres d’ONG sur un sujet stratégique d’une très forte actualité et qui, en dépit de son apparence technique, recouvre des enjeux à la fois structurants pour la construction européenne et très concrets pour le quotidien des citoyens européens.

Si les premiers pas de la construction européenne se sont faits autour de l’énergie, avec la CECA, l’organisation des flux et des marchés énergétiques, les réseaux physiques et les interconnexions participent d’une forme de construction européenne souvent pas suffisamment pensée.

Aujourd’hui, les ressources et les besoins en énergie évoluent ; les enjeux climatiques et l’essor des ressources issues de productions intermittentes sont venus s’ajouter aux préoccupations économiques et aux questions d’indépendance énergétique. Au plan international, la COP21 est passée par là. Elle a montré que les enjeux énergétiques et notre modèle de société, notre économie et les impacts environnementaux sont intimement liés.

L’Europe a, quant à elle, fait de l’Union européenne de l’énergie une de ses priorités, et la présidence slovaque qui vient de débuter est très allante sur ce sujet. Dans le cadre de sa stratégie pour concrétiser cette union, la Commission européenne a présenté, il y a un an déjà, des propositions visant à offrir une nouvelle donne aux consommateurs d’énergie, à réorganiser le marché européen de l’électricité, à actualiser l’étiquetage énergétique et à revoir le système d’échange des quotas d’émissions de l’Union.

Dans ce contexte, le système électrique européen subit des évolutions profondes qui sont autant de défis. Avec l’augmentation de la part des énergies renouvelables, les infrastructures énergétiques devront être adaptées, ce qui nécessite de donner des signaux d’investissement pertinents. Les consommateurs seront également appelés à avoir un rôle plus actif sur le marché de l’électricité.

Après le paquet d’hiver de février 2016, axé sur le gaz, la Commission européenne devrait présenter, avant la fin de l’année, des propositions destinées à améliorer le fonctionnement du marché européen, notamment pour renforcer la sécurité énergétique de l’Europe. Vos éclairages devraient nous permettre de mieux cerner ces défis auxquels la nouvelle stratégie européenne prétend apporter des réponses, sachant que des difficultés demeurent dans la définition d’une telle stratégie et des moyens nécessaires à mettre en œuvre.

Afin de favoriser les échanges, cette table ronde sera organisée en deux temps distincts : au cours d’un premier tour de table, chacun d’entre vous pourra s’exprimer et présenter les orientations qu’il défend par rapport à la réforme du marché de l’électricité. Je vous invite à être rapides, concrets et directs, afin de nous permettre, dans un second temps, d’engager le débat.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes du Sénat. Je me réjouis d’être parmi vous à l’Assemblée nationale pour parler de l’énergie, problématique qui s’inscrit au cœur de la croissance européenne, à travers la question de la réindustrialisation, laquelle suppose une énergie accessible, sécurisée et bon marché. C’est tout l’enjeu de l’Union européenne de l’énergie.

La stratégie pour cette union de l’énergie a été présentée en février 2015. Elle apparaît quelque peu touffue et pointilliste : si tous les grands axes d’une politique énergétique sont abordés, chacun ne l’est que partiellement, tandis que restent ignorés trois défis majeurs : le stockage de l’électricité, la capacité des réseaux à supporter de très fortes variations de la production et le modèle économique des centrales conventionnelles.

En outre, on ne peut ignorer le handicap majeur dont souffre l’Union européenne, à savoir un prix de l’énergie beaucoup plus élevé – parfois jusqu’à trois plus – que les prix pratiqués aux États-Unis. Cela fait craindre une éventuelle délocalisation énergétique vers le continent américain, avec tous les risques de désindustrialisation que cela comporte, qui peuvent entraîner à terme une remise en cause du marché unique de l’énergie.

La Commission européenne s’est abstenue jusqu’ici de tracer le contour des dispositions normatives prévues pour le deuxième semestre 2016 et portant sur la dimension électrique de la stratégie pour l’Union de l’énergie. Il me semble néanmoins que trois grandes questions peuvent être anticipées. D’abord, celle d’un grand ensemble réunissant la concurrence sur les marchés nationaux de l’électricité, les interconnexions entre États membres et les mécanismes de capacité. Ensuite, celle de la place que sont vouées à prendre les énergies renouvelables au sein de l’Union, question que l’on doit aborder en gardant à l’esprit, d’une part, que le bouquet énergétique national reste souverainement déterminé par les autorités de chaque État membre – ce qui n’empêche pas l’Union européenne d’avoir pris en parallèle des engagements en matière d’énergies renouvelables –, et, d’autre part, qu’un recours fortement accru à ces formes d’énergies est loin d’être neutre en matière d’investissements dans nos infrastructures nouvelles. La stratégie pour l’Union de l’énergie nous amènera, enfin, immanquablement à évoquer l’énergie nucléaire, sachant que, non seulement la part du nucléaire dans le bouquet énergétique est une prérogative nationale, mais que, de surcroît, se pose de façon particulièrement prégnante la question de l’évaluation transfrontalière des incidences environnementales éventuelles.

M. Christophe Bouillon, vice-président de la commission du développement durable. En guise de préambule, je vous prie d’excuser le président Jean-Paul Chanteguet, qui est retenu par les dernières auditions sur l’application de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

La situation et l’évolution du marché de l’électricité en Europe sont des questions déterminantes, qui intéressent au premier chef la commission du développement durable, notamment au regard des liens entre les politiques européennes du climat et celles de l’énergie ou des enjeux en termes d’efficacité énergétique, de modération de la consommation ou encore de développement des énergies renouvelables.

Mme Amaryllis Verhoeven, chef d’unité adjointe à la direction générale Énergie de la Commission européenne. La Commission européenne est actuellement dans la phase de préparation du paquet législatif, qui devrait voir le jour en fin d’année. Nous avons lancé un processus de consultation publique en juillet dernier, qui a suscité de nombreuses réponses, ce dont nous nous réjouissons. Entre temps, nous avons également conduit des discussions, tant au niveau politique qu’avec les professionnels des secteurs concernés.

À la suite de ces concertations et des études que nous avons menées, nous finalisons notre analyse d’impact, étape obligatoire avant de pouvoir mettre sur la table une proposition législative. Il s’agit de recenser l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés et de décliner les différentes options que nous pourrons proposer en conséquence aux représentants politiques. L’analyse d’impact est, en effet, toujours une phase technique ; ce sont ensuite les acteurs politiques, et notamment le collège des commissaires, qui prennent les décisions.

Rappelons que la politique énergétique européenne existe depuis vingt ans, et que l’on perçoit déjà que la création d’un marché unique de l’électricité comporte pour l’Europe plusieurs avantages. En termes de compétitivité industrielle, d’abord, puisque grâce à la chute des prix de gros et à la convergence, nos prix ont atteint un niveau proche de celui des États-Unis. En termes de sécurité d’approvisionnement, ensuite, car plus les flux transfrontaliers sont importants, mieux chaque pays est en mesure de répondre à sa demande intérieure, surtout en situation de pénurie. Nous avons tout lieu de nous en satisfaire.

Cela étant, il reste encore beaucoup à faire, car le marché est en pleine mutation. Outre qu’il faut continuer à mettre en œuvre la législation européenne en vigueur, ce qui reste parfois une gageure pour les États membres, nous avons dans le futur quatre défis à relever.

Le premier concerne les consommateurs, clients professionnels ou privés, pour qui les avantages du marché unique restent trop limités. Il faut s’assurer qu’ils puissent à l’avenir en tirer un plus grand bénéfice, notamment en leur permettant de comparer les offres et de changer de producteur de manière efficace. Nous souhaitons également, dans cette perspective, faire du consommateur un véritable acteur du marché, à la fois en tant qu’acheteur et que vendeur, en lui permettant de répondre aux fluctuations de l’offre et des prix. Cela se pratique déjà au niveau des grosses industries, mais pas encore dans les petites entreprises, à qui nous souhaitons également offrir cette possibilité.

Notre deuxième défi concerne l’intégration des énergies renouvelables dans le marché. Cela implique une plus grande flexibilité des marchés de court terme mais également un traitement plus équitable de tous les fournisseurs d’électricité. Par ailleurs, cela nécessite également de faciliter l’entrée sur le marché des ressources énergétiques issues du stockage.

En troisième lieu, nous devons faire en sorte de créer un climat propice aux investissements, ce qui implique d’améliorer le fonctionnement du marché afin que les investisseurs puissent répondre à des signaux prix.

Enfin, notre quatrième défi est celui de la sécurité d’approvisionnement. Elle passe, selon nous, par des réponses régionales, appuyées sur des coopérations transfrontalières, tant au regard de l’évaluation des besoins et des capacités que de la gestion des situations de crise. De ce point de vue, il n’existe jusqu’à présent aucun mécanisme européen.

M. François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE). Je me réjouis que le Parlement ait décidé de se saisir de la question du marché de l’électricité européen avant que la Commission européenne propose ses directives.

Si l’on peut parfois reprocher au corpus idéologique européen d’être trop centré sur la concurrence et le marché, a fortiori dans un pays qui a pratiqué la planification et où subsistent encore quelques monopoles garantissant, de jour comme de nuit, la continuité des missions de service public, le marché de l’électricité européen peut avant tout se définir comme une coopération de plus en plus étroite entre les gestionnaires de réseaux de transport (GRT) européens. Il y a quarante et un opérateurs de réseau en Europe, Réseau de transport d’électricité (RTE) étant le plus important d’entre eux. Dix-neuf pays se trouvent rassemblés au sein d’une zone d’échange unique, permettant à 525 millions de citoyens d’avoir accès aux électrons, qui ne connaissent pas de frontière.

À titre de leçon de modestie à l’endroit des législateurs – cela vaut naturellement pour celui que je fus dans une vie antérieure –, je voudrais signaler par ailleurs que les plus gros progrès réalisés en matière de coopération européenne dans le domaine de l’énergie sont souvent issus d’opérations volontaristes qui ne s’appuient ni sur des règles ni sur des directives. Je pense entre autres à la société Coreso, qui assure les prévisions d’exploitation ou à la bourse EPEX, que l’on doit à l’initiative d’opérateurs européens.

RTE, pour sa part, est une fille de l’Europe de l’électricité, puisque nous devons notre création et notre indépendance aux directives – cette fois, le législateur y est pour quelque chose. En retour, RTE s’est engagée très activement dans la construction du marché intérieur, à travers la mise en place de cinquante liaisons transfrontalières d’électricité à partir de la France, une demi-douzaine d’interconnexions étant en projet, avec, entre autres, l’Italie, l’Angleterre ou l’Irlande. Nous jouons, par ailleurs, un rôle pilote dans la plupart des projets de mise en œuvre de mécanismes de marchés, qu’il s’agisse du mécanisme de capacité, du flow based – c’est-à-dire de la mise en place d’une vaste plateforme qui permet une meilleure fluidité dans l’allocation des ressources et la fluctuation des prix que l’approche par interconnexions –, ou encore du marché de l’effacement.

L’Europe de l’électricité connaît actuellement une transformation radicale, du fait notamment de la multiplication des modes de production et des différents types de consommation. Nous sommes dans une période de turbulences, qui se traduit par la baisse régulière des prix spot : en mai, le prix moyen de la base était de 24 euros le mégawattheure contre 42 euros pour l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) – jamais nous n’aurions pensé, à l’époque où nous avons voté le dispositif, que les prix de marché puissent être en dessous du prix de l’ARENH. Il y a eu, par ailleurs, deux épisodes de prix négatifs en France au cours de ce même mois, tandis qu’en Allemagne, les prix ont atteint la valeur de moins 140 euros le mégawattheure la semaine dernière.

Dans ces conditions, les investissements se tarissent et la sécurité d’approvisionnement n’est plus garantie sur le long terme : lorsque c’est moins cher que gratuit, c’est un problème pour les investisseurs. Pourtant, le consommateur ne constate nullement les effets de cette baisse des prix de gros sur sa facture car, par ailleurs, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) continuent d’augmenter.

La Commission européenne s’apprête donc à modifier les règles du jeu, sachant que demeure la question du rôle qu’elle peut jouer dans un domaine où les États sont souverains. J’ajoute que, désormais, dans une Europe dotée d’une plateforme de l’électricité, les flux n’obéissent plus à une logique d’import-export, et ce n’est plus pour suppléer à un manque de fourniture que l’on va se servir à l’étranger mais parce que les prix y sont, le cas échéant, plus attractifs.

Trois chantiers méritent notre attention. Celui, d’abord, des énergies renouvelables, qui doivent parvenir à maturité et s’organiser de manière responsable, quitte à s’écrêter pour éviter des pics de production. Elles doivent, par ailleurs, disposer des mêmes droits que les autres énergies et pouvoir participer à tous les mécanismes de marché.

Ensuite, il faut s’attacher à ce que les réseaux restent responsables de bout en bout, l’Europe ayant parfois tendance à vouloir prendre la main. Or ne laisser aux opérateurs que le soin de gérer les dernières minutes avant le blackout serait parfaitement contreproductif.

En ce qui concerne les réseaux toujours, et c’est la troisième direction dans laquelle il faut travailler, le système qui combine l’infrastructure et l’exploitation de cette infrastructure doit être maintenu, sans quoi nous aurions les plus grandes difficultés à optimiser son fonctionnement, sachant que celui-ci devient de plus en plus complexe à gérer.

Mme Hélène Gassin, membre du collège de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Un des enjeux auxquels nous sommes confrontés est la crise économique durable que nous traversons et qui s’accompagne à la fois de ce que je pourrais qualifier de baisse de la valeur de l’argent et d’une modification de l’appréhension du risque par les investisseurs.

Le contexte est également marqué par la transition énergétique. Le phénomène avait beau être partiellement prévisible, il n’a été que très imparfaitement intégré dans les anticipations, et l’Europe se trouve aujourd’hui avec une capacité de production qui a augmenté de près de 80 % depuis les années 2000 – ce qui n’est pas uniquement imputable aux énergies renouvelables, la production de gaz ayant elle aussi augmenté de près de 80 % –, tandis que la consommation n’a augmenté, elle, que de 7,5 %. Il y a donc un problème d’adéquation entre l’offre et la demande sur la plaque européenne.

Il faut également souligner la forte chute des prix des combustibles – gaz, pétrole ou charbon – ainsi que la problématique valorisation du carbone, le marché européen du carbone ne donnant pas de signal prix suffisamment significatif. Dans ces conditions, la rentabilité du charbon est supérieure à ce qui avait été anticipé, ce qui entraîne des difficultés pour les opérateurs de centrales à gaz, qui voient leur compétitivité compromise.

Se pose enfin la question du rythme des changements, qui s’accélère dans un secteur encore largement régulé il y a quinze ans à peine et dont l’échelle de temps réelle s’étend sur plusieurs décennies, qu’il s’agisse des infrastructures de réseau ou des outils de production, alors que la visibilité sur les marchés de gros n’excède pas quelques années. Il y a donc aussi un problème de concordance des temps.

En ce qui concerne les prix, on a dit que les prix de marché de gros étaient trop bas – en tout cas, dans le centre-ouest de l’Europe – pour favoriser l’investissement, tandis que les prix de détail avaient, eux, tendance à augmenter ou à moins baisser, pour les raisons qu’a expliquées François Brottes : contributions au financement des infrastructures ou des filières renouvelables, à quoi s’ajoutent des dispositifs de protection des industries électro-intensives qui, mécaniquement, reportent la charge sur les autres consommateurs.

Au final, certains opérateurs sont en grande difficulté et des centrales sont fermées ou mises sous cocon. D’où des inquiétudes qui se multiplient au sujet de la sécurité d’approvisionnement et qui poussent les différents États membres à multiplier les dispositifs nationaux peu, voire pas coordonnés, au risque de perdre une partie des bénéfices de l’intégration, sachant que les objectifs ont globalement été atteints en matière de réseaux et d’intégration des marchés.

Pour conclure sur les principaux enjeux qui doivent nous occuper, il y a d’abord l’adaptation du marché européen aux énergies renouvelables et aux instruments de flexibilité – effacement ou stockage –, et réciproquement. Se pose également la question de la sécurité d’approvisionnement, sachant que le contexte de surcapacité renvoie à une réalité complexe, car l’excédent d’énergie produite n’est pas nécessairement disponible au moment où on le souhaite.

Les États mettent en place des mécanismes de capacité qui soulèvent la question de l’édiction de règles communes d’évaluation de la sécurité d’approvisionnement, afin de rendre compatibles les différents mécanismes nationaux.

La gouvernance globale du système pose à elle seule de nombreuses questions : on parle de renforcer la coopération régionale, mais cela doit-il passer par une coopération renforcée des réseaux de transport d’électricité ou par des transferts de responsabilité, ce qui est très différent, sachant qu’aujourd’hui la logique est celle de coopérations volontaires ? Qu’en est-il du futur rôle de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) et du rôle des régulateurs nationaux ?

Enfin, faut-il persister dans une approche ascendante (bottom-up) du marché, consistant à consolider l’intégration à partir d’initiatives volontaires, ou doit-on désormais privilégier une approche descendante (top-down), plus normative, l’une et l’autre ayant leurs avantages et leurs inconvénients ?

M. Marc Bussieras, directeur de la stratégie du groupe EDF. Le marché européen de l’énergie fonctionne de façon efficace au quotidien, au sens où ce sont les centrales dont les coûts variables sont les moins élevés qui sont sollicitées pour couvrir la demande.

Cela étant, le fait que le mégawattheure soit actuellement à 30 euros en France et à 25 euros en Allemagne n’a aucun sens en termes économiques, et il faudrait au minimum doubler ce prix pour pouvoir couvrir les investissements, qu’il s’agisse du secteur des énergies renouvelables ou conventionnelles.

Le marché est donc extraordinairement et durablement déprimé, en proie à de forts dérèglements. Ainsi, l’Allemagne annonce-t-elle 24 à 25 milliards d’euros de subventions aux énergies renouvelables, payées par les consommateurs d’électricité. Or sa consommation intérieure annuelle intérieure est de l’ordre de 530 térawattheures d’électricité, soit, avec un coût de marché autour de 25 euros, une consommation globale d’une valeur de 14 milliards d’euros au prix de marché. En d’autres termes, mue par l’idée de libéraliser le marché, l’Europe en est arrivée aujourd’hui à instaurer une économie de la subvention, même si l’Allemagne est un exemple extrême.

À ce dérèglement s’ajoute le fait que nous n’avons pas su articuler correctement la politique de libéralisation du marché et la politique de lutte contre le changement climatique. Ainsi, avec un prix du CO2 à 5 euros la tonne, envoie-t-on aux agents économiques un signal de quasi-gratuité qui ne peut que les inciter à en produire. Et c’est ce qui se passe concrètement, les centrales à charbon fonctionnant aujourd’hui à plein. Deuxième exportateur d’électricité derrière la France à l’échelle européenne, l’Allemagne aujourd’hui n’exporte pas du renouvelable mais bien de l’électricité produite par les centrales à charbon, celles-ci ayant gagné la bataille de la concurrence avec les centrales à gaz des pays voisins.

Autrement dit, le dérèglement des prix n’affecte pas uniquement les investissements à long terme mais également le fonctionnement du système à court terme, en favorisant les émissions de CO2. Si nous voulons mettre un terme à ces dérèglements et décarboner la production, il faut donc régler la question du signal prix et donner au CO2 un prix pertinent. Cela fait partie des sujets qui sont sur la table et doit être abordé de façon prioritaire, si l’enjeu dominant est de redonner la main aux acteurs du marché pour qu’ils s’orientent vers les solutions économiques les plus pertinentes et les plus favorables au consommateur.

D’autres points importants méritent également d’être abordés, comme le marché de capacité. Il s’agit d’un enjeu majeur, dans la mesure où la fermeture d’importantes capacités de production est susceptible de remettre en cause notre sécurité d’approvisionnement.

M. Jean-Pierre Roncato, président de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN). Les prix de marché se sont en effet effondrés il y a dix-huit mois, ce que l’on pourrait considérer comme une bonne nouvelle pour les industriels de l’UNIDEN. Dans la réalité, cela est pourtant perçu comme un dysfonctionnement parce que les prix baissent mais avec une volatilité et une amplitude qui interdisent tout investissement à long terme.

Par ailleurs compte tenu des dysfonctionnements du marché, des mécanismes correcteurs ont été mis en place, mais en ordre dispersé, par les différents États, qu’il s’agisse de mécanismes de capacité, de contracts for differences (CFD) au Royaume-Uni ou de corridors de prix de CO2. Or ces mécanismes qui ne sont pas corrélés entre eux sont créateurs de distorsions au plan intracommunautaire comme extracommunautaire.

Pour des investisseurs qui ont besoin de visibilité à long terme pour réaliser des investissements de maintenance lourde ou pour développer de nouvelles capacités, ce climat n’est pas du tout propice, alors même que, dans le même temps, des solutions beaucoup plus stables et pérennes sont proposées à leurs concurrents dans le reste du monde, que ce soit les contrats à long terme mis en place dans des pays qui possèdent des ressources hydrauliques, comme en Russie, au Brésil ou au Canada où le tarif R fixe le prix à 23 euros le mégawattheure sur vingt-cinq ans. D’autres pays possédant des ressources fossiles les mettent également à disposition de leurs industriels à un prix défini sur le long terme.

En France, des mesures ont été prises en 2015 pour préserver la situation des industries électro-intensives et faire en sorte qu’elles regagnent de la compétitivité. Nous souhaitons que, dans cette phase de transition où les contours du marché européen sont redessinés, ces mesures soient pérennisées, de manière à ne pas accroître l’incertitude.

Permettez-moi, pour finir, d’esquisser trois pistes de réforme qui nous apparaissent nécessaires dans le cadre du marché futur.

En premier lieu, il existe aujourd’hui deux marchés de l’énergie déconnectés l’un de l’autre : un marché libéralisé et un marché des énergies renouvelables (EnR), largement subventionnées. Il est essentiel de mettre fin à cette dualité et de recréer un lien entre les deux marchés.

Deuxième piste, l’Europe a consenti des efforts considérables en matière d’investissements pour développer son parc européen, dans le domaine nucléaire, dans celui de la cogénération ou encore dans celui des EnR, qui ont bénéficié d’aides d’un montant colossal. Pour maintenir une visibilité à long terme, il me semble indispensable, lorsque les contrats en cours arriveront à échéance, d’assurer la continuité du système sur la base de ces investissements initiaux, pour que l’Europe puisse bénéficier d’outils partiellement amortis.

Cela peut être l’occasion, et c’est la troisième piste, de coordonner plus étroitement politique industrielle, réindustrialisation de l’Europe et politique énergétique, en permettant aux industriels de bénéficier de ces outils.

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables. Depuis les accords de Kyoto, l’Union européenne a diminué ses émissions de gaz à effet de serre, ce qui est moins lié à la crise économique qu’à la progression des énergies renouvelables. Il ne faudrait donc pas que les textes en préparation, qu’il s’agisse de la réforme du marché ou de la directive « Énergies renouvelables », aient pour effet de ralentir cette progression mais qu’au contraire ils stimulent la production d’EnR dans des conditions plus compatibles avec le marché.

On a certes évoqué la part croissante des énergies dites intermittentes dans le système électrique européen, mais ces énergies variables ne représentent encore qu’une petite partie de l’énergie totale, puisque en France elles ne comptent que pour 6 % environ de notre consommation. Il existe, par ailleurs, des moyens de gérer cette variabilité ; j’en citerai trois, directement liés au marché de l’électricité :

Le premier est le développement des interconnexions, entre régions ou entre pays, mais aussi l’exploitation maximale de ces interconnexions. De ce point de vue, la réussite d’EPEX Spot mérite d’être soulignée ;

Le deuxième consiste à miser sur la flexibilité des moyens de production complémentaires, au premier rang desquels l’hydroélectricité qui, outre le fait que sa flexibilité est maximale, a de surcroît la vertu d’être renouvelable et non émettrice de gaz à effet de serre. On peut également citer le cycle combiné gaz, qui est la moins carbonée des énergies fossiles ; extrêmement flexible, elle est cependant défavorisée aujourd’hui par le marché ;

Le troisième moyen – mais il y en a d’autres – consiste à piloter les consommations et le stockage au moyen de réseaux dits « intelligents », ce qui nécessite également d’avoir des tarifs intelligents. Nous avons véritablement besoin d’un signal CO2, comme le montre l’excellente étude de RTE et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), selon laquelle, à partir de 30 euros la tonne de CO2, non seulement le merit order entre le gaz et le charbon s’inverse mais la flexibilité et la rentabilité du stockage sont favorisées.

Cela étant, les attentes du secteur des énergies renouvelables en ce qui concerne la future directive « Énergies renouvelables » pour la période 2020-2030 sont doubles. En premier lieu, nous souhaitons évidemment que cette directive soit compatible avec la réforme du marché de l’électricité. Nous attendons d’elle qu’elle définisse un cadre réglementaire qui sécurise juridiquement les dispositifs de soutien nationaux au développement des énergies renouvelables. En effet, ce soutien restera nécessaire au moins jusqu’en 2030, non seulement parce qu’il n’y a pas d’internalisation suffisante des coûts externes, notamment du CO2, mais également parce que le marché de l’électricité tel qu’il est conçu aujourd’hui ne permet pas le développement d’investissements très capitalistiques avec peu de frais de fonctionnement – ce n’est pas seulement vrai pour les EnR mais également pour le nucléaire.

Nous souhaitons ensuite que les États membres restent maîtres de leur mix énergétique, ce qui signifie que l’intégration au marché ne peut pas se faire par des appels d’offre à neutralité technologique, ainsi que l’envisagent certains au sein de la Commission européenne. Si nous sommes favorables à l’intégration des énergies renouvelables au marché, c’est avec un certain nombre de règles communes qu’il appartient aux États membres de définir sans qu’elles leur soient imposées par la Commission.

M. Jean-Arnold Vinois, conseiller pour l’énergie à l’Institut Jacques Delors. L’Union européenne s’efforce d’optimiser les ressources et les infrastructures dont elle dispose dans le respect des compétences nationales, à savoir le choix du bouquet énergétique, celui de l’exploitation des ressources naturelles et celui de la taxation, trois décisions importantes qui relèvent des États.

Tout ce qui a été entrepris jusqu’à présent dans l’optique de créer un marché intérieur me semble aller dans cette direction, qui s’inscrit, depuis l’accord de Paris signé en décembre dernier, dans la perspective d’une économie bas carbone. Nous devons pour cela tenir compte de la diversité des sources d’énergie : le nucléaire, les énergies renouvelables, le gaz ou le charbon, sachant que ce dernier, malgré l’hypocrisie manifeste qui a empêché le sujet d’être abordé lors de la COP21, est incontestablement un problème. Nous devons désormais être clairs : nous ne voulons plus de charbon et nous devons établir en conséquence une feuille de route pour l’éliminer.

Une autre composante du marché à prendre en compte pour la gestion de la ressource est la demande. Si, jusqu’à présent, elle se limitait à des kilowattheures vendus et consommés bêtement les uns après les autres, cette époque-là est révolue, et nous devons aujourd’hui imaginer une demande « intelligente », qui soit pleinement partie prenante au marché, ce qui exige qu’elle reçoive pour cela les signaux nécessaires.

En ce qui concerne les infrastructures, nos capacités ont augmenté de 80 % depuis l’an 2000 et sont aujourd’hui non seulement largement excédentaires mais mal distribuées. Cela peut se résoudre grâce aux interconnexions qui existent déjà et à celles que nous pouvons encore créer afin d’optimiser notre parc de génération d’électricité en rendant l’ensemble du système et notamment les réseaux plus intelligents. Cela implique d’intégrer au marché l’ensemble des acteurs du secteur, tout en repensant et en approfondissant les relations entre distributeurs, entre distributeurs et transporteurs, entre transporteurs et générateurs.

Cette optimisation requiert une confiance mutuelle entre les États membres, confiance mutuelle qui est à la base de tout ce qui a été entrepris depuis plus de cinquante ans. Sans elle, chacun organisera seul sa sécurité d’approvisionnement, pour aboutir à une production chère et excédentaire, les Européens n’ayant plus d’autre choix que de se partager le gâchis, selon le principe garbage in, garbage out.

Il nous faut donc accroître la coopération entre les gestionnaires de réseaux de transport (GRT). François Brottes a évoqué Coreso ; cet instrument fabuleux, créé en 2006 sur une base purement volontariste pourrait être un formidable outil opérationnel si les États membres y consentaient plutôt que de se borner à élaborer sur dix ans des plans de développement des réseaux strictement nationaux. Il nous faut inscrire la sécurité d’approvisionnement dans un cadre européen fondé sur une même méthodologie d’adéquation des capacités de production, sur des normes de protection communes et sans doute sur un rôle plus important confié à l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), en tant que régulateur européen. Il faut enfin favoriser la coopération régionale ; à ce titre le forum pentalatéral qui réunit l’Allemagne, la France et le Benelux est incontestablement un excellent laboratoire. Jean Monnet disait que l’Europe devait se construire pas à pas sur des choses concrètes : grâce aux efforts accomplis ces dix dernières années, nous pouvons, me semble-t-il, nous atteler aujourd’hui à ces tâches très concrètes.

M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association négaWatt. Négawatt ne peut que se satisfaire de constater que la demande électrique se stabilise, voire décroît, ce qui ne signifie nullement une décroissance de la richesse ou du PIB.

Cela étant, l’avenir de l’énergie aujourd’hui, ce sont deux technologies émergentes mais destinées à être dominantes demain et à remplacer à terme les énergies conventionnelles comme le thermique ou le nucléaire : le photovoltaïque et l’éolien, même si les autres énergies renouvelables ont également leur part à prendre. Ces énergies, déjà compétitives dans de nombreux cas, seront globalement moins coûteuses à l’avenir. En outre, elles sont créatrices d’emplois, comportent moins de risques industriels et sont bonnes du point de vue du changement climatique.

Elles vont nécessiter davantage de flexibilité sur le réseau, au niveau de la production, de la consommation ou du stockage, grâce en particulier, dans ce dernier cas à la valorisation des excédents électriques, puisque la technologie du power to gaz, c’est-à-dire la jonction entre les systèmes électrique et gazier, pourrait permettre, demain, de faire rouler voitures et camions. Certes, nous n’en sommes encore en la matière qu’au stade de la recherche et développement, mais c’est un procédé qui, à l’horizon 2030 – sans doute un peu plus tard en France –, deviendra incontournable, et les décisions d’aujourd’hui doivent donc s’inscrire dans cette vision de moyen terme.

En ce qui concerne la gestion des actifs et les investissements réalisés, soyons clairs : on ne peut lutter contre le changement climatique, réduire les risques d’approvisionnement ou les risques industriels sans admettre qu’il y aura des coûts échoués. L’important est de les limiter, ce qui implique de raisonner régionalement.

Quant à la coopération, il doit s’agir d’une coopération matérielle sur les réseaux mais également d’une concertation globale afin d’aboutir à un retrait coordonné des surcapacités. La chute des prix de l’électricité est aujourd’hui un problème pour tout le monde et rend obligatoire – ne nous voilons pas la face – que certains s’effacent. Ce ne pourra être que les producteurs d’énergies fossiles et, de manière plus générale, les producteurs les moins flexibles, dont le nucléaire. Or aujourd’hui, et c’est bien un signe que le marché dysfonctionne, alors que l’on a besoin de flexibilité, ce sont les producteurs les plus flexibles qui disparaissent en premier, comme les centrales à cycle combiné gaz. Il est donc primordial d’associer à la réforme du marché de l’électricité une réforme du système communautaire d’échange de quotas d’émission de carbone, et de garantir sur la durée les revenus pour les énergies renouvelables.

En ce qui concerne les marchés de capacité, c’est, selon nous, un problème franco-français, lié au poids du chauffage électrique dans la demande actuelle. Or il nous semble qu’il y a d’autres manières de résoudre la question de la sécurité d’approvisionnement que de garder des unités de production sous cocon pendant 8 500 heures par an pour les faire fonctionner quelques dizaines d’heures seulement. Ce n’est raisonnable ni en termes de dépense publique ni en termes de coût collectif et, si ceux qui ont investi dans ces unités souhaitent continuer à gagner de l’argent, mieux vaut qu’ils se reconvertissent dans d’autres activités : tout le monde y gagnera.

M. Michel Lesage. Mesdames et messieurs, vos propos confirment que l’Europe doit faire face à un triple défi énergétique : assurer sa sécurité d’approvisionnement, faire face à la diminution et à la volatilité des prix, combattre le réchauffement climatique.

Cela étant, et bien que l’énergie ait été le premier domaine dans lequel l’Europe se soit construite, les États demeurent malheureusement autonomes dans la détermination de leur politique énergétique. Comment, dans ces conditions, atteindre les objectifs du paquet Énergie-Climat 2030 et comment concevoir une politique énergétique commune qui puisse surmonter des intérêts nationaux très divergents ?

En 2014, la Commission européenne avait lancé une procédure contre vingt-quatre pays de l’Union qui n’avaient pas transposé correctement la directive sur l’efficacité énergétique. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Le 11 juillet dernier, le rapport intermédiaire de la mission Mestrallet-Canfin-Grandjean préconisait de relever le prix des émissions de CO2. Quelles seraient les conditions et les modalités de l’intégration d’une composante carbone dans la fiscalité énergétique des pays de l’Union européenne ? Que pensez-vous de la mise en place d’un prix plancher pour la production d’électricité ou d’un corridor de prix pour le carbone européen ?

En ce qui concerne les liaisons transfrontalières, où en sommes-nous ? François Brottes a évoqué les cinquante liaisons transfrontalières mises en place par RTE à partir de la France et les deux projets d’envergure en cours avec l’Italie et l’Espagne. Quelles sont les autres perspectives dans ce domaine ? Pouvez-vous nous indiquer, par ailleurs, comment s’effectue le déploiement progressif du couplage des marchés ?

Enfin, où en est la coordination des opérateurs de réseau européens censée garantir l’équilibre entre l’offre et la demande ?

M. Guillaume Chevrollier. L’énergie est au cœur du projet européen, pourtant, le bilan dressé dans un rapport publié en 2014 par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective est très critique sur les politiques européennes en la matière.

Au plan climatique, le rapport dénonce la tendance à la hausse des émissions de gaz à effet de serre et le remplacement progressif des centrales thermiques à gaz par des centrales thermiques à charbon plus polluantes.

Au plan économique, il met en exergue le paradoxe qui voit la facture électrique des ménages européens augmenter de 28 %, alors que les prix de gros sont parfois négatifs, entraînant une perte de rentabilité des centrales thermiques à gaz et un endettement des gros producteurs d’électricité traditionnels. La cause de ce paradoxe serait le développement de l’électricité d’origine renouvelable, l’éolien et le photovoltaïque, qui sont par ailleurs des énergies intermittentes, pas encore matures. Si les objectifs climatiques sont importants, n’est-il pas également essentiel de tenir compte des réalités économiques, ce qui, pour la France, signifie préserver le nucléaire, secteur clef de notre économie ?

Comment, par ailleurs, envisager une approche plus coordonnée des États membres sur la question des régimes d’aides en faveur des énergies renouvelables ? N’est-il pas paradoxal que ces dernières bénéficient d’importantes subventions, dans un contexte où de nombreux pays, dont le nôtre, connaissent un dérapage budgétaire important ?

Enfin, le marché européen de l’électricité peut-il s’organiser à vingt-sept ou faut-il envisager un champ plus restreint d’États membres, comme c’est le cas dans d’autres domaines ?

M. Franck Reynier. Les deux axes essentiels qui doivent conduire nos travaux sont la sécurité de nos approvisionnements et le prix de l’électricité. Ces objectifs doivent être réaffirmés au niveau européen.

La réduction des émissions carbonées doit également être au cœur de nos politiques énergétiques, et l’usage intensif du charbon ainsi que le développement des centrales à charbon doivent être proscrits.

L’harmonisation des réseaux est nécessaire. Il faut faire tomber les frontières, notamment en matière d’effacement.

Nous devons également soutenir des ambitions fortes en matière de recherche et développement, en particulier dans le domaine du stockage, qui constituera un véritable pas technologique vers l’énergie de l’avenir, mais également en matière d’efficacité énergétique. Les pays européens doivent pour cela mettre en commun leurs moyens stratégiques, ce qui demande une vision politique commune.

M. Jean Bizet. M. Jean-Arnold Vinois a considéré, à juste titre, que les relations devaient être basées sur la confiance pour construire l’Union de l’énergie. Or la confiance se heurte malheureusement aux problématiques liées aux souverainetés nationales. Il ne s’agit pas de supprimer la souveraineté nationale, mais ne pourrions-nous être plus incitatifs, voire directifs, pour susciter la confiance entre États membres et rationaliser la production et la consommation d’électricité, madame Amaryllis Verhoeven ?

S’ils ne sont pas installés côte à côte, M. Jean-Pierre Roncato et M. Marc Jedliczka ont néanmoins eu des positions voisines. Selon M. Jean-Pierre Roncato, il conviendrait de rapprocher des structures conventionnelles amorties et les industriels électro-intensifs ; selon M. Marc Jedliczka, il conviendrait d’opérer un repli stratégique concernant un certain nombre de structures conventionnelles qui ne devraient plus fonctionner. Monsieur Jean-Pierre Roncato, comment imaginez-vous le rapprochement entre des industriels qui ont besoin d’énergie – les électro-intensifs – et les structures amorties qui pourraient leur fournir de l’électricité à des coûts intéressants ?

M. Gilles Savary. Je ne comprends pas bien ce qui se passe sur ce marché tel que vous l’avez décrit. Selon notre ancien collègue François Brottes, que je salue affectueusement, l’effondrement des prix de gros n’est pas répercuté sur la facture des consommateurs. Vous nous expliquez que cet effondrement pose des problèmes de financement des investissements. Quelle est la nature de la détérioration du modèle économique et qui profite de cette baisse des prix, si ce n’est pas le consommateur ?

Je m’adresse plus particulièrement à la Commission européenne – dont je salue ici certains anciens membres que j’ai bien connus à Bruxelles –, selon laquelle la prochaine stratégie prévoit que des efforts devront être consentis en faveur du consommateur. À la Commission européenne, au nom du Dieu consommateur, on n’a parfois pas prêté suffisamment attention à la capacité de production. Que se passe-t-il sur ce marché où les prix baissent sans être répercutés sur la facture du consommateur tout en compromettant l’investissement ? S’agit-il d’une baisse des marges ?

Pour terminer, je voudrais vous interroger sur les énergies renouvelables dont le développement ne peut être assuré que par une politique volontariste. Comment cette nécessaire politique volontariste pourrait-elle s’accommoder d’une telle volatilité des prix de marché ? Dans le domaine des transports, la promotion du chemin de fer a nécessité des politiques longues, des investissements puissants et des aides publiques au moins au moment du lancement de la filière. Avec un marché de l’électricité aussi capricieux et effondré, comment envisager un développement des énergies renouvelables compatible avec un modèle économique tenable ? On nous dit à la fois que l’avenir est aux énergies renouvelables et que celles-ci sont aléatoires – elles n’arrivent pas à fournir la base électrique.

M. Yannick Favennec. La transition énergétique, qui commande une stratégie de substitution des énergies renouvelables aux énergies fossiles, est inséparable d’une stratégie d’optimisation appuyée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication. La plus grande efficience énergétique qui en est attendue doit améliorer la compétitivité. Cette optimisation dépend de la mise en place de réseaux dits intelligents, fonctionnant par interactivité et permettant ainsi une gestion pluridirectionnelle sur la base d’interconnexions rendant possible le transfert des ressources énergétiques entre régions et pays européens.

Appliqués à l’énergie électrique qui, en l’occurrence, est la plus concernée, ces réseaux dits intelligents permettent la compensation géographique des manques et des surplus énergétiques pour réduire les coûts et accroître la compétitivité. Mais l’exigence d’interconnexions à l’échelle européenne exige la mise en place d’une union de l’énergie réclamée par la Commission Juncker, afin de parvenir à un seul et grand marché énergétique doté de sa propre politique et permettant notamment à l’Union de prendre des mesures relatives à l’accroissement de l’interconnexion des réseaux et de l’efficacité énergétique.

En mars 2015, la France, l’Espagne, le Portugal et la Commission européenne se sont engagés à mettre en œuvre un système d’interconnexions pour le gaz et l’électricité. Ces stratégies d’optimisation ont-elles réellement commencé à entraîner une réduction des surcoûts d’approvisionnement liés à l’insuffisance des interconnexions ? Pensez-vous que cette baisse pourra se concrétiser à l’avantage des utilisateurs, compte tenu des politiques nationales de taxation et de soutien en faveur du développement des énergies renouvelables ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Mes questions s’adressent essentiellement aux représentants de la Commission. L’évolution des marchés de l’électricité suscite de vraies inquiétudes dans chacun des États membres, comme cela a été dit et redit autour de la table. Les énergéticiens européens sont affaiblis ; les prix spot ne cessent de baisser, ce qui nuit aux capacités d’investissement, met en péril des dizaines de milliers d’emplois en Europe et fait courir un risque en ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement. Les électro-intensifs sont également touchés.

Dans la préparation du quatrième paquet énergie-climat, la Commission européenne fait plusieurs propositions pour surmonter cette crise. En étant un peu directe, je dirais que ces propositions donnent plus de place au marché et à l’interconnexion et réduisent la compétence des États membres, notamment en ce qui concerne leur choix du mix énergétique. D’autres pistes pourraient être explorées. Que pensez-vous de la nécessité d’introduire une nouvelle dimension capacitaire à la rémunération de l’énergie ? Quel est, selon vous, l’avenir du marché de l’effacement industriel ou diffus, qui peut aussi représenter une vraie capacité ?

Concernant la volonté de la Commission européenne d’accélérer la construction des projets d’interconnexion, le Conseil européen avait établi en 2014 un objectif de capacités d’échange au moins égal à 10 % pour chaque État membre. Aujourd’hui, estimant que ce taux est insuffisant, la Commission propose de le relever à 15 %. Est-ce vraiment nécessaire ? En a-t-on évalué le vrai bénéfice pour la collectivité ? Une plus grande coopération – déjà très étroite – entre les gestionnaires de réseau ne serait-elle pas suffisante ?

Pour finir, comme beaucoup ici, j’insisterais sur la nécessité d’instaurer un prix du carbone à un niveau suffisant, dans le cadre de mécanismes qui assurent une réelle visibilité aux investisseurs dans l’ensemble de l’Europe.

Mme Michèle Bonneton. Comment assurer une capacité suffisante ? S’il s’agit d’un problème plutôt français, comme l’a dit l’un des intervenants, peut-être l’interconnexion avec les autres pays peut-elle aider à le résoudre ? Comment disposer au niveau européen d’une capacité suffisante pour faire face aux besoins de base mais aussi à la demande de pointe qui pose un problème en France. Il faut aussi pouvoir faire face à l’intermittence due aux énergies renouvelables.

Selon l’un des intervenants, il serait nécessaire de reconnecter ces énergies, dont le développement est fondamental pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, au marché. Est-ce que cela signifie qu’il faut supprimer les aides au développement dont bénéficient ces énergies ? Comment combiner les deux : aides et présence de ces énergies sur le marché comme les autres sources d’énergie ?

Compte tenu des prix de gros de l’électricité, les investissements lourds ne seraient plus envisageables. Dans ce cas, que va devenir la recherche, en particulier celle qui porte sur le stockage nécessaire pour les énergies renouvelables – nouvelles batteries, stockage de l’hydrogène ?

M. Jean-Pierre Vigier. Ma question, basique et importante, rejoint celle de Gilles Savary et elle est liée à la transition énergétique – baisse de la part du nucléaire et développement des énergies renouvelables, notamment du photovoltaïque et de l’éolien. Quelles sont, à votre avis, les perspectives d’évolution réelle du prix de vente de l’énergie électrique au consommateur, hors subventions, en tenant compte des coûts d’entretien et des investissements réalisés ?

M. Philippe Plisson. Merci d’avoir organisé cette table ronde concernant un enjeu déterminant pour les citoyens et l’Europe. J’entends évoquer les objectifs dictés par la loi du marché et le coût de l’énergie mais, contrairement à mes collègues d’en face, dans ce contexte fixé par la COP 21, je privilégie la sécurité et la vertu environnementale de l’énergie produite.

Les préconisations formulées par la Commission européenne dans son rapport sur l’état de l’Union de l’énergie ont-elles été mises en œuvre en 2016 ? Si oui, quels résultats ont-elles donné ?

Quelle est la part des énergies renouvelables dans la production globale d’énergie au niveau européen ? Quel est l’impact financier de ces énergies en 2015 et 2016 ?

Dans le cadre des interconnexions, existe-t-il des dispositions pour éviter, à terme, que l’électricité issue d’énergies fossiles – et pourquoi pas un jour de gaz de schiste ? – soit distribuée en France, en contradiction avec nos engagements nationaux ?

M. Jacques Alain Bénisti. L’énergie est chère et, d’après ce que nous avons entendu, elle va le devenir de plus en plus. La place des énergies renouvelables reste, aux yeux de certains membres de la commission du développement durable notamment, la solution la plus crédible pour pallier cette hausse de coût. L’Union européenne doit trouver sa place afin de remédier à cette incapacité à freiner l’envolée tarifaire constatée au cours des dernières années.

Malheureusement, le consommateur lambda ne perçoit guère les avantages des énergies renouvelables, les investissements restant trop onéreux et surtout amortissables sur une trop longue durée. Il se demande pourquoi la baisse importante des cours du pétrole ne se répercute pas à due proportion sur le coût de l’énergie. Il ne comprend pas le manque de projets d’envergure en matière d’interconnexions transfrontalières ou régionales. Il ne comprend pas non plus l’éternel message des principaux opérateurs qui ne cessent de répéter que le prix du mégawatt doit passer de 25 à 50 euros pour qu’ils puissent investir dans la réduction des coûts, alors qu’aux États-Unis le mégawatt coûte l’équivalent de 8,40 euros.

Nous pensions être rassurés en venant aujourd’hui à cette table ronde. Malheureusement, vous n’apportez que très peu de réponses aux préoccupations légitimes des administrés que nous rencontrons quotidiennement. Quand pensez-vous parvenir à un véritable accord européen qui permettra d’instaurer une vraie politique cohérente et coordonnée du marché de l’énergie sur notre continent ?

M. Jean-Louis Bricout. Je remercie tous les invités pour la qualité de leur intervention. Les éléments de contexte qui bouleversent le marché européen ont largement été rappelés. Pour des raisons écologiques et climatiques, le Bundestag a adopté, fin juin, une loi relative au développement du marché de l’électricité, qui comprend la mise en veilleuse de 13 % des centrales au lignite. Comment analysez-vous ces évolutions dans un contexte d’interdépendance énergétique ? Plusieurs pistes ont été avancées. On a parlé de l’interconnexion, de l’effacement, du prix du CO2. En attendant, comment les prix de l’énergie et la fiscalité pourraient-ils affecter le pouvoir d’achat de nos concitoyens ?

Quelle est l’évolution des moyens consacrés à la recherche et au développement ? Quelles sont les avancées constatées en matière de stockage de l’électricité ?

M. Julien Dive. Le marché européen de l’électricité dépend de son infrastructure. Le petit maire rural que je suis voudrait vous parler des énergies renouvelables, et plus particulièrement du déploiement des éoliennes dans le monde rural en France.

Au cours des années 2010, les zones de développement de l’éolien terrestre (ZDET) ont été créées pour permettre aux élus de favoriser l’implantation d’éoliennes dans certains territoires afin d’appliquer le rachat d’énergie produite par EDF. Avec la suppression de ces zones par la loi de 2013, on a souhaité s’inscrire en cohérence avec les objectifs européens sur l’énergie et le climat. Cependant, sur le terrain, cette suppression a conduit à une relative anarchie en France, notamment en Picardie où les maires et les conseillers municipaux n’ont pas été consultés et ont assisté, impuissants, au déploiement sporadique d’éoliennes. Alors qu’il devrait y avoir consensus sur le développement des énergies renouvelables, on se retrouve parfois avec un casus belli, comme dans le Vermandois, près de Saint-Quentin, où les habitants se sont constitués en association pour refuser l’installation d’éoliennes. Le problème n’est pas vraiment l’éolien, un type d’énergie renouvelable vital pour la France ; le souci, c’est l’installation parfois non concertée des éoliennes, qui ne tient plus compte des demandes des territoires et des populations.

D’où mes deux questions. Comment le diagnostic préalable à l’installation d’éoliennes chez nos voisins européens est-il réalisé ? Est-il envisageable d’instaurer une uniformisation européenne pour la prise de décision du développement éolien sur nos territoires ruraux ?

M. Christophe Bouillon, vice-président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Dans le cadre des négociations en cours sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership – TTIP), qu’en est-il du volet énergétique ? En quoi ce volet énergétique pourrait-il avoir des conséquences sur l’émergence du marché européen dont nous venons de souligner les enjeux ? De quelles marges de manœuvre disposons-nous pour essayer d’orienter ces négociations vers une préservation des approvisionnements et la prise en compte de nos exigences en matière de production d’énergies renouvelables ?

Mme la Présidente Danielle Auroi. Je vais compléter la question de Christophe Bouillon : la question se pose de la même façon pour l’accord en cours de négociation avec le Canada, le Comprehensive economic and trade agreement (CETA). Dans ce qui nous arrive du Canada, il y a déjà du pétrole de schiste. EDF devrait pouvoir nous le confirmer.

Ma deuxième question s’adresse à François Brottes qui nous a dit, assez justement me semble-t-il, que nous traversions une période de turbulences. Pourrait-il développer un peu son point de vue à ce propos ?

Mme Amaryllis Verhoeven. Merci à tous pour ces questions tout à fait pertinentes. Si je ne peux répondre à toutes, par manque de temps ou parce que certaines d’entre elles sont assez techniques, je vous enverrai une réponse écrite. Avec mon collègue de la représentation permanente, qui est présent ici, nous avons bien noté les questions de chacun et nous prendrons vos coordonnées pour répondre à celles qui seront restées en suspens.

Une question concerne les procédures d’infraction aux transpositions. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, la mise en œuvre reste un souci. La Commission européenne, qui assure un suivi de tous les États membres sans exception, a engagé plusieurs procédures, à différents niveaux, afin de faire en sorte que la transposition correcte devienne une réalité partout en Europe. Ce n’est pas parce que nous sommes en train de préparer un nouveau paquet qu’on oublie le paquet existant, cela va de soi.

Quelles sont les perspectives des liaisons transfrontalières ? Le taux de 15 % de la capacité installée comme objectif d’interconnexion des États membres est-il bien nécessaire ? Oui, nous le croyons. Si ce taux vaut pour toute l’Europe, il faut cependant s’interroger sur les liaisons transfrontalières dont l’Europe ou les régions concernées ont le plus besoin. Nous menons une réflexion interne qui va aboutir à une communication. Où l’Europe doit-elle investir ? Dans quels réseaux de connexion y a-t-il le plus de besoins ? Quels critères doit-on utiliser ? Telles sont les questions que nous nous posons, car il faut évidemment que les investissements aient un sens. Dans le contexte de la norme 15 %, nous faisons toujours une analyse pour déterminer le projet à soutenir par nos moyens.

Une autre question est liée au couplage de marchés, qui a beaucoup aidé à réaliser les flux transfrontaliers et donc le marché intérieur de l’énergie. Quid de la coordination entre les opérateurs de réseaux ? C’est évidemment un chantier important pour nous. Certaines initiatives de coordination régionale en faveur de la sécurité, telles que Coreso, ont été évoquées par M. Brottes. Nous voulons soutenir ces initiatives qui vont dans le bon sens, et donner un cadre pour faciliter une meilleure coordination partout en Europe. La coopération ne doit pas s’arrêter aux opérateurs, il faut aussi que les États membres s’engagent, que les cadres juridiques nationaux se rapprochent, que les ministères et les administrations concernés coopèrent, notamment en situation de crise. Nous travaillons sur ce cadre élargi, afin que cette coopération, dont nous avons tous absolument besoin, devienne réalité.

Cela m’amène à une autre question : il est nécessaire de se faire mutuellement confiance en Europe, dans le domaine de l’énergie comme dans d’autres, mais dans le respect de la souveraineté nationale des États. C’est la tension de base qui existe dans le projet européen : comment gérer notre interdépendance sans perdre de vue que la souveraineté nationale existe et doit être respectée ? Personnellement, je n’y vois pas de contradiction. Dans une coopération, plusieurs parties se mettent autour de la table pour parvenir à des accords. Il s’agit, non pas de transférer ailleurs sa souveraineté nationale, mais de mieux l’exercer pour gérer l’interdépendance qui est une réalité dans le monde de l’énergie comme dans d’autres. Cette réponse est un peu philosophique, mais c’est le cœur de nos projets de coopération. Coopérer signifie que nous prenons la responsabilité ensemble et que nous décidons d’un commun accord. C’est très important dans le domaine de l’électricité, et c’est pourquoi nous voulons promouvoir la coordination pour tous les acteurs.

Faut-il toujours agir à vingt-sept ou dans un groupe plus restreint d’États ? J’espère que le paquet législatif sera approuvé au niveau européen par le plus grand nombre d’États membres. Cela étant, en parlant d’initiatives de coopération concrètes, nous voulons signifier que les régions – c’est-à-dire les pays dont l’interdépendance est la plus tangible – ont un rôle très important à jouer. Même si nous envisageons les solutions dans un cadre commun européen, certaines seront réalisées sur un plan régional.

Venons-en aux énergies renouvelables. Leur intégration dans le marché va-t-elle de pair avec une suppression définitive des subventions ? Cela m’apparaît un peu cru. On ne peut pas exclure le besoin de subventions, mais il faut exploiter à fond les possibilités données par le marché. Pour nous, l’intégration véritable des énergies renouvelables dans le marché, par l’utilisation des mécanismes de ce dernier, est prioritaire. Si un besoin de subventions subsiste, il faut l’organiser de la façon la plus efficace possible, en tenant compte de la réalité transfrontalière.

Mme Hélène Gassin. Commençons par un point factuel sur l’articulation entre les prix des marchés de gros et de détail. Je ne peux pas parler au nom de tous les pays européens parce que les structures de prix de détail sont différentes mais, en France, l’équation est relativement simple : le prix de l’électricité sur le marché de gros ne représente que le tiers de la facture d’un consommateur domestique moyen. Pour plagier Marcel Pagnol et son picon, je dirais que sa facture comporte un gros tiers d’énergie, un gros tiers de réseau – le TURPE et ses équivalents européens – et un dernier gros tiers représentant l’ensemble des taxes, dont la CSPE qui couvre les énergies renouvelables, la péréquation tarifaire, les tarifs sociaux. Au fil des réformes, ces éléments changent. Dans les taxes, il y a aussi la TVA qui s’applique y compris à la CSPE – une taxe qui est taxée à 20 %. Le prix de l’énergie au sens strict représente donc environ un tiers du total, d’où cette déconnexion entre les prix de gros et de détail. Il faut donc diviser par trois l’impact de la volatilité du prix de gros, quand elle existe, sur la facture.

François Brottes va sûrement revenir sur les interconnexions. Pour ma part, je vais me contenter de vous signaler la publication du rapport sur les interconnexions françaises en électricité et en gaz, publié par la Commission de régulation de l’énergie. Vous y trouverez toutes les informations : l’évolution au cours des dernières années, l’état des lieux du couplage de marché, ceux des capacités disponibles et des projets, etc.

En ce qui concerne les signaux d’investissement, je rappelle que les cotations des prix des marchés de gros ne sont pas conçues pour le pilotage de la politique énergétique ; ce sont des outils d’optimisation de court terme. Cela signifie que ces cotations reflètent des fondamentaux : le prix des énergies – fossiles notamment –, le prix du carbone, les impacts des politiques énergétiques. Les possibles incohérences dans le design du marché sont peut-être le reflet d’incohérences plus structurelles des politiques qui ont été mises en œuvre et sur lesquelles les régulateurs n’ont pas à avoir d’opinion. En l’occurrence, le prix de marché est le reflet de certaines choses ; il ne faudrait pas penser qu’il est le seul outil de pilotage, y compris dans les politiques d’investissement. Un investisseur s’intéresse au prix de marché mais aussi au reste, qui inclut les schémas de long terme – ou les schémas décennaux, ce qui n’est pas vraiment du long terme en matière d’électricité – publiés au niveau européen. La décision d’investir ou non intègre donc divers éléments.

Sur les marchés, il y a une articulation entre le court et le long terme. Pour la sécurité d’approvisionnement, il y a une articulation entre celle qui est assurée en temps réel par RTE et ses camarades et celle qui est assurée à long terme par l’adéquation des capacités de production à la demande. Il existe des outils européens différents pour traiter l’une ou l’autre question.

Autre potentiel sujet d’adéquation que nous n’avons pas du tout abordé : l’articulation entre des productions décentralisées et un pilotage de plus en plus centralisé. Nous pourrions rencontrer un problème d’optimisation, selon les objectifs poursuivis. La demande a toujours été diffuse et la production tend à le devenir de plus en plus. Comment gérer un système qui est différent, y compris dans ses lieux de production et de consommation, et donc potentiellement de décision ? La question sera au cœur des débats dans quelques années.

M. François Brottes. L’une des questions de M. Philippe Plisson portait sur la part que représentent les énergies renouvelables dans la production d’énergie à l’échelle européenne. Dans le réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (European network of transmission system operators for electricity – ENTSO-E), qui dépasse le cadre de l’Union européenne, les énergies renouvelables, y compris l’hydraulique, représentent 33 %. L’éolien représente 8 % à l’échelle européenne, ce qui n’est pas mal.

Gilles Savary l’aura bien compris : le consommateur ne se rend pas compte de la baisse des prix de gros parce qu’il paie de lourdes taxes. La fourniture d’énergie ne représente que 37 % de la facture, rappelons-le. On peut imaginer que si, grâce à une maturité nouvelle, on en vient à réduire les taxes en contrepartie d’une hausse des prix à la production, l’opération sera indolore pour le consommateur. Il faut tendre à cela pour responsabiliser davantage les acteurs du marché. Après une phase de lancement, les énergies arrivent à maturité industrielle. On voit bien que les appels d’offres concernant l’éolien offshore sont à 200 euros le mégawattheure en France mais plutôt à 70 euros dans d’autres pays. Les choses commencent à évoluer. Ne prenez pas peur, monsieur Bal, il ne s’agit pas de supprimer les subventions mais il faut responsabiliser tout le monde, y compris les acteurs du secteur des énergies renouvelables.

Dans cet univers international, je vais vous livrer une donnée significative : sans interconnexions, le risque de défaillance annuel en France serait de trente heures ; grâce aux cinquante interconnexions, il n’est que de deux heures. Nous avons gagné cela. Il faut garder en tête cet élément : les interconnexions nous permettent d’avoir une forme de sérénité quelles que soient les agitations.

Il faut veiller à ce que le métier que font les transporteurs de réseau soit bien perçu. Nous gérons le réseau, électron par électron, seconde après seconde. Cela nécessite des équilibres de fréquence et de tension : il faut des réflexes très rapides parce que ça se joue en quatre ou cinq secondes. Dans la tranche de trente minutes, nous avons les réserves rapides. Dans les deux heures qui précèdent l’action, nous avons un mécanisme d’ajustement. Le marché spot se déroule plutôt dans les vingt-quatre heures précédentes. Avec l’Europe, nous réfléchissons aussi au marché de capacités. J’espère que les nouvelles seront bonnes et que cette option sera retenue plutôt que la réserve, car cela permettrait de responsabiliser les opérateurs quatre ans à l’avance. Autant dire que les joueurs peuvent se positionner à divers endroits. Il faut certes de la coordination, mais si celle-ci est trop coercitive et normative à l’échelle européenne, elle empêchera les opérateurs nationaux d’avoir une gestion fine du temps réel.

J’en viens ainsi à la question de Mme la présidente sur les turbulences. La production est de plus en plus décentralisée, ce qui est heureux puisque ce foisonnement favorise la limitation de l’intermittence. Pour autant, on aura toujours besoin du réseau : il assure en cas de manque et il permet à l’opérateur d’un parc d’éoliennes offshore ou de panneaux photovoltaïques d’écouler ses électrons sur un marché plus large que son village. Cette évolution inéluctable est un élément de la turbulence qui amène les réseaux de transport à vivre un peu moins de transit sur le réseau, d’où le débat que nous avons avec notre régulateur pour être rémunéré à la puissance disponible plutôt qu’au transit.

Nous subissons des injonctions contradictoires. Les États signent des accords aux termes desquels ils s’engagent à réaliser un certain nombre d’interconnexions entre eux. La Commission européenne – et notamment Dominique Ristori, votre directeur – me convoque régulièrement pour me demander où j’en suis dans le domaine des interconnexions à faire avec les Espagnols. À la fin du mois de juillet, je vais signer une étude sur une interconnexion France-Irlande au moyen de 550 kilomètres de câbles sous-marins. C’est un projet qui pourrait apporter de la sécurité à l’île et nous permettre de bien acheminer de l’énergie éolienne offshore.

Quel est le rapport coût/bénéfice de ces interconnexions ? Celles-ci sont supposées représenter 10 % ou 15 % de la production d’un pays. C’est un peu contre-intuitif. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’il fallait plus d’interconnexions dans les pays en manque de production que dans les pays en surproduction. Or, la Commission européenne a fait un peu l’inverse et nous devons en débattre. Trop d’interconnexion tue l’interconnexion. La vie d’une interconnexion est pertinente, y compris sur le plan financier, quand il y a de la congestion sur le réseau. Si on libère complètement les flux, les prix s’écroulent aux interconnexions. Nous assisterons alors au même phénomène que sur le marché : si les prix s’écroulent, on ne trouvera plus les moyens de financer les interconnexions. Or elles coûtent cher ! Dites à M. Miguel Arias Cañete, le commissaire au climat et l’énergie, que l’interconnexion avec l’Espagne, qui passe par le golfe de Gascogne, va coûter entre 1,4 à 1,9 milliard d’euros. Ce ne sont pas des broutilles...

Nous subissons une autre injonction contradictoire. Il y a quelques jours, le régulateur a commis un rapport où il écrit qu’il ne voit pas pourquoi le consommateur français viendrait financer, via le TURPE, des interconnexions qui ne présentent pas un bon rapport coût/bénéfice. Je vous invite à lire ce rapport et à le transmettre à la Commission européenne.

Nous sommes au milieu de bonnes volontés et d’entités diverses qui nous demandent des choses différentes. C’est un élément de turbulence parmi d’autres, comme la tendance durable à la stagnation de la consommation et à « l’ubérisation » – si vous me permettez le terme – du marché de l’électricité. De plus en plus d’acteurs vont être des multijoueurs mondiaux pour diverses raisons, comme le pilotage par internet de la consommation et le stockage d’énergie sur batteries. Certains d’entre eux vont, petit à petit, se dégager partiellement de la contrainte des réseaux de distribution et de transport. Quand on joue à l’échelle mondiale, on trouve les moyens de revisiter toutes les pratiques utilisées sur le plan national. On n’en peut mais.

Les opérateurs de transport et de distribution doivent être en alerte concernant ces éléments qui créent la turbulence. Pour notre part, nous devons coupler complètement le réseau électrique et un réseau numérique, afin de connaître en permanence ce qui se passe, de pouvoir anticiper, d’utiliser ponctuellement des moyens de stockage, etc. Nous parlons désormais de lignes virtuelles. Plutôt que de construire une nouvelle infrastructure, il s’agit d’avoir un dispositif qui, pendant trois ou quatre heures, permettra de stocker un peu, le temps de faire une réparation sur une ligne consignée afin de maintenir la qualité du service.

Au passage, j’en profite pour demander à tous les élus présents, qui appellent de leurs vœux plus d’interconnexions, d’accompagner la réalisation de ces infrastructures. Pour les opérateurs, réaliser ces infrastructures est un métier très difficile, croyez-moi !

M. Marc Bussieras. Pour ma part, je voudrais revenir sur la compétitivité. Les ressources énergétiques américaines peu chères sont constamment réévaluées à la hausse et annoncées pour des décennies, alors que les réserves fossiles européennes s’épuisent. La trajectoire de compétitivité est donc divergente, ce qui pose aussi la question de la sécurité d’approvisionnement. Selon les projections à vingt ans, les États-Unis seront autonomes en pétrole et en gaz, alors que l’Europe sera quasiment totalement dépendante.

L’électricité joue un rôle particulier. Contrairement à Marc Jedliczka, qui nous pardonnera ce désaccord, nous avons la conviction que la transition énergétique passe par plus d’électricité, tout en étant fondée sur une plus grande efficacité énergétique. L’électricité ne représente pas plus de 22 % à 23 % de la consommation d’énergie finale. Plus d’électricité, cela signifie plus de véhicules électriques, de pompes à chaleur, etc. Ces usages basculent des énergies fossiles à l’électricité, à condition que cette dernière soit décarbonée. C’est l’un des points clefs des tensions énergétiques qui, dans nos visions à moyen et long terme, sont articulées sur les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et le nucléaire.

Cette question de maîtrise des coûts et de la compétitivité de l’électricité est absolument essentielle pour le consommateur. Au-delà des débats sur les politiques publiques qu’il faut déployer, il me semble que deux critères doivent dominer les évaluations des instruments et des intentions : la facture globale pour le consommateur et les émissions de CO2. Dans la facture globale, il faut tenir compte de tous les éléments et notamment de la maîtrise et de la flexibilité de la demande. Les mécanismes de marché et un prix du CO2 suffisant donnent plus de place au consommateur pour prendre la main sur sa facture et l’ajuster à la baisse. Le critère des émissions de CO2 renvoie à l’atout de l’électricité décarbonée. À cet égard, la situation de la France est assez remarquable : l’an dernier, nos émissions de CO2 étaient de 15 millions de tonnes pour ce secteur alors que les émissions de l’Allemagne s’élevaient à 300 millions de tonnes. La facture des consommateurs était aussi plus que raisonnable, comparée à la moyenne européenne.

M. Jean-Pierre Roncato. M. Jean Bizet a demandé quel couplage on peut imaginer entre le parc de production européen existant et le développement d’une politique industrielle.

Sur notre marché, qui est mature, certains parcs de production sont amortis et d’autres le seront bientôt. Le nucléaire et l’hydraulique sont amortis et certains parcs éoliens commencent à sortir des tarifs garantis. Vu les efforts consentis pour le développement de ces investissements, il est important de continuer à les utiliser une fois qu’ils ont été amortis. Des industriels, qui seraient prêts à s’engager à long terme à payer un prix raisonnable et compétitif, ne pourraient-ils pas être un outil permettant d’assurer une visibilité utile aux deux parties ? Ces contrats à long terme donneraient de la visibilité aux industriels tout en permettant de prolonger la durée de ces investissements.

Il y a des exemples. Lors de la signature en 2006 du contrat Excelsium, d’une durée de vingt-cinq ans, les industriels ont accepté d’investir 2 milliards d’euros. Il est possible aussi d’envisager des co-investissements, prévus dans la loi « NOME » (nouvelle organisation du marché de l’électricité) qui évoquait notamment le nucléaire, l’hydraulique et l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique.

M. Jean-Louis Bal. Suite à l’intervention de Jean-Pierre Roncato, je voudrais rappeler qu’il faut parfois investir pour prolonger la durée de vie d’équipements dits amortis, ce qui représente un coût. Cela dit, les premiers parcs éoliens qui sont sortis de l’obligation d’achat ainsi que de multiples installations de petit hydraulique vendent désormais sur le marché sans aucun soutien.

Il y a eu beaucoup de commentaires sur les énergies renouvelables qui seraient notamment responsables de l’effondrement du marché de l’électricité européen. Je voudrais m’inscrire en faux contre une telle assertion. Rappelons que le développement des énergies renouvelables a été annoncé, dès 1999, dans la première directive sur l’électricité renouvelable. En 2007, le paquet énergie-climat tendait à faire passer la part des énergies renouvelables à 20 % du mix énergétique européen. Le pourcentage est désormais fixé à 27 %, un objectif qui n’est peut-être pas très ambitieux mais qui représente quand même un effort considérable.

Nombre de compagnies d’électricité européennes n’ont pas pris ces projections au sérieux, d’où un défaut d’anticipation. La crise économique de 2008, qui était imprévisible, a provoqué une stagnation de la consommation. Néanmoins, cela n’a pas empêché certains grands acteurs européens du secteur de l’énergie d’investir dans des moyens de production d’énergie carbonée alors que nous avions des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de développement des énergies renouvelables. Accuser les énergies renouvelables me semble un peu exagéré.

Il est vrai que ces énergies renouvelables doivent aujourd’hui entrer dans le marché, du moins quand elles sont produites par les plus grandes installations ; il ne s’agit pas de demander aux particuliers de s’adapter au marché de gros de l’électricité. Pour les grandes installations, nous sommes favorables à une intégration au marché qui s’accompagne d’un complément de rémunération, comme cela a été prévu en France dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Nous pensons qu’il faudra maintenir ces compléments de rémunération, à des niveaux qui vont forcément évoluer, au moins jusqu’en 2030 ou, en tout cas, jusqu’à ce que l’on ait une vision de long terme des conditions de marché, notamment en matière de CO2. Sur ce point, je pense que nous sommes en phase avec beaucoup d’administrations et d’organisations professionnelles en Europe.

Il a été fait mention d’un déploiement anarchique des éoliennes, sans consultation des maires. Si les maires ne sont pas consultés, c’est que des administrations ne respectent pas la loi : la consultation est obligatoire à la fois pour la délivrance du permis de construire, l’autorisation d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et la création des schémas régionaux éolien (SRE). Si cette information est fondée, il faut faire un procès à l’administration.

Venons-en au stockage. Les équipements de production ne constituent plus la priorité des politiques de recherche et développement en matière d’énergies renouvelables, même s’il faut, bien sûr, continuer à améliorer le rendement des panneaux photovoltaïques, des turbines d’éolienne, etc. Les priorités actuelles sont le stockage de l’énergie, en allant jusqu’au power to gas, et les réseaux intelligents permettant de gérer les consommations. Où en est-on ? Le stockage le plus performant sur les plans technique et économique reste, dans le domaine de l’hydraulique, les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Cependant, des progrès spectaculaires ont été réalisés au cours des dernières années en matière de batteries. Il faudra rapidement s’interroger sur le niveau le plus pertinent de stockage. Faut-il du stockage chez tous les consommateurs ? Faut-il qu’il soit régionalisé ? C’est une vraie question.

M. Jean-Arnold Vinois. Au cours des interventions, il a été question de la confiance mutuelle qui est nécessaire si nous voulons approfondir l’intégration européenne et améliorer la sécurité d’approvisionnement. Il existe un obstacle majeur au déploiement de cette confiance mutuelle : nombre d’États membres n’ont pas de stratégie énergétique à moyen et long terme. La Belgique, par exemple, fait du stop and go sur le nucléaire et ne donne absolument aucune visibilité aux investissements. Beaucoup de pays européens sont dans ce cas. Si l’on veut essayer de faire converger les systèmes et optimiser les ressources, il est essentiel de résoudre ce problème dans le cadre d’une amélioration de la gouvernance au plan européen.

Les énergies renouvelables sont souvent critiquées. Pour m’être beaucoup occupé de la sécurité d’approvisionnement en gaz, je puis vous dire que les subventions accordées aux énergies renouvelables ont permis notamment de réduire considérablement la consommation et les importations de gaz. L’économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) m’a indiqué que, pour 80 milliards d’euros de subventions aux énergies renouvelables, nous avions une réduction d’autant de la facture gazière annuelle. En termes d’indépendance énergétique de l’Union, nous avons ainsi favorisé des ressources domestiques au détriment de ressources importées. C’est un élément extrêmement important à considérer dans la politique générale.

S’agissant de l’acceptation publique des énergies renouvelables, un règlement de l’Union européenne de 2013 essaie de promouvoir les bonnes pratiques en matière de consultation des populations pour des projets d’infrastructures énergétiques. Il y a de bonnes pratiques : au Danemark, la plupart des investissements en éolien se font à travers des communautés ; les gens constatent un bénéfice immédiat en électricité, et ils sont à la fois investisseurs et consommateurs.

Quant au système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE), dit « ETS », il n’est pas une grande réussite. La tonne de CO2 est à 5 euros alors qu’on attendait un prix de 30 euros en 2009. Le problème est collectif : tout le monde est coupable d’avoir largement distribué des allocations libres. La réforme en cours vise à faire baisser le nombre de ces permis de polluer gratuits. La Suède a décidé de racheter des permis de polluer pour un montant de 700 millions d’euros, afin de soutenir le prix du CO2. On peut discuter des mérites respectifs d’un mécanisme de marché comme celui du SCEQE ou d’une taxe carbone. Sur le plan européen, soyons clairs, il n’y aura jamais l’unanimité des États membres, nécessaire pour imposer une taxe carbone.

Tout le monde veut exclure le charbon mais ce sont les banquiers qui sont en train de s’imposer dans cette affaire. La Banque européenne d’investissement indique ainsi qu’elle ne financera plus les projets qui dégagent plus de 650 grammes de CO2 par kilowattheure produit. Dans ces conditions, aucune centrale à charbon ne pourra être financée. En France, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) suit. La Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) va-t-elle faire de même en Allemagne ? C’est la grande question. Quoi qu’il en soit, on est quand même sur une voie de verdissement et de complément au SCEQE. Cela ne soutiendra pas le prix du CO2 mais c’est une autre approche.

M. Marc Jedliczka. Le prix du carbone est à mettre en relation avec la baisse des prix de l’électricité sur le marché puisque c’est ce qui permet au charbon ou au gaz de schiste américains d’être compétitifs. Les phénomènes n’ont rien à voir avec les énergies renouvelables, comme l’a dit Jean-Louis Bal.

En ce qui concerne le mécanisme de capacité, j’ai voulu dire qu’il s’agit d’un problème franco-français dû à notre important problème de pointe de consommation électrique. Aux députés qui ont refusé de voter en faveur de l’obligation de rénovation des logements, j’indique que ce serait pourtant la solution la plus intelligente, à tout point de vue, pour résoudre le problème. Il ne suffit pas de gérer la pointe de consommation électrique de 100 gigawattheures du mois de février, bien connue de RTE, il s’agit de la réduire. Pour ce faire, la meilleure solution consiste à transformer les passoires énergétiques en logements bien isolés, bien chauffés, dotés de systèmes électriques efficaces et éventuellement de pompes à chaleur.

À Marc Bussieras, je répondrais que la part de l’électricité va bien augmenter dans la consommation totale de la France, mais elle ne va pas croître en valeur absolue. Comme le constate RTE, le confort augmente et, avec lui, le nombre d’objets électriques que nous utilisons. Pour autant, la consommation en kilowattheure, en mégawattheure ou en gigawattheure a tendance à stagner, voire à baisser. C’est une très bonne nouvelle, sauf pour les gens incités à vendre du kilowattheure par leur modèle économique. Ils vont devoir s’adapter au nouveau monde, d’une manière ou d’une autre.

Un élément n’a pas été cité : la connexion des marchés au niveau thématique, je veux parler de tous les ajustements rapidement évoqués par François Brottes. À moyen et long terme, des opérations comme le réglage de la fréquence ne seront plus opérées par quelques grandes installations – machines tournantes, gros alternateurs de centrales nucléaires ou thermiques –, mais elles seront régies par des milliers, voire des dizaines de milliers d’éoliennes ou de parcs photovoltaïques. La recherche appliquée s’intéresse à ces sujets, et les technologies sont déjà comprises et disponibles. Comme l’a dit François Brottes, la sécurité d’approvisionnement sera assurée grâce à la numérisation qui permettra au réseau de dialoguer avec ces milliers ou dizaines de milliers de machines.

François Brottes a aussi parlé de « l’ubérisation » que je perçois comme un risque et un danger, mais une autre évolution me paraît beaucoup plus intéressante : la relocalisation. Comme l’a dit Hélène Gassin, la consommation a toujours été diffuse et la production va le devenir de plus en plus. Le phénomène se produit dans des territoires où se trouvent des collectivités locales, des opérateurs économiques, des agriculteurs, des habitants. Ces gens-là, qui ne sont que consommateurs d’électricité, vont devenir aussi producteurs. Ces systèmes impliquent des ajustements sur le plan technique, mais ils sont solides en termes de durabilité – dans le temps et sous l’aspect environnemental.

« L’ubérisation », la blockchain et autres ne permettront pas au système électrique de fonctionner correctement ; ils vont le fragiliser. Que ce soit pour la production ou le stockage, mieux vaut compter sur une échelle locale. À notre avis, il ne faut pas installer des batteries chez M. Tout le monde, ni construire d’immenses systèmes de stockage au seul niveau du réseau de transport. Il faut réfléchir à des échelles locales, régionales, cantonales. Que ce soit en ville ou dans le monde rural, nous devons envisager des échelles collectives, à taille humaine et cohérentes avec les échelles de production que les technologies actuelles nous permettent d’imaginer.

Revenons sur les subventions aux énergies renouvelables, dont il est tant question. Qui mentionne les subventions accordées aux énergies fossiles et nucléaires ? Avez-vous une idée du nombre de dizaines ou de centaines de milliards d’euros dont ces industries ont bénéficié dans le passé ? Le dernier arrivant essuie cette critique à longueur de temps mais je pense qu’il faudrait faire la vérité des prix en remontant dans l’histoire.

Le pétrole est encore subventionné et, du reste, l’absence de taxation du CO2 est une forme de subvention déguisée qui devrait cesser. Le nucléaire aussi a des avantages : il n’est pas assuré à hauteur des risques qu’il engendre pour l’ensemble de la société ; sa R&D a été financée par les impôts et non par le kilowattheure électrique. Il serait d’autant plus malvenu de leur opposer cet argument des subventions, que les énergies renouvelables ont fait des progrès techniques et industriels absolument remarquables : elles étaient réservées à la conquête spatiale et sont devenues des produits compétitifs en quelques dizaines d’années à peine.

Dans les appels d’offres de Dubaï – certes, ce n’est pas chez nous et il y a beaucoup de soleil là-bas –, le prix du kilowattheure est de 3 centimes pour les grandes centrales au sol. Il n’y a pas si longtemps, moi qui suis dans le photovoltaïque depuis trente ans, je n’imaginais pas que cela arriverait avant 2050. Il faut relativiser cette question de subventions. Au moins jusqu’en 2030, il faut garantir aux producteurs un revenu correct pour qu’ils puissent investir. Ce ne sont pas les énergies renouvelables qui doivent s’adapter au marché, c’est le marché qu’il faut reconstruire pour que les énergies renouvelables puissent se développer correctement. Il faut respecter bien d’autres conditions que les règles du marché pour inscrire les politiques énergétiques, et les politiques électriques en particulier, dans une perspective de long terme.

Mme la Présidente Danielle Auroi. Nous n’avons pas épuisé le sujet et nous y reviendrons. Il était très utile de travailler sur cette question transversale. Si je puis me permettre une petite remarque : le jour où l’Europe parviendra à imiter le Chili qui distribue désormais gratuitement son électricité grâce à l’énergie solaire, elle aura fait plus que d’énormes progrès. Merci à tous pour la qualité de vos interventions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 12 juillet 2016 à 15 heures

Présents. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, M. Jacques Alain Bénisti, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Julien Dive, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jacques Kossowski, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, M. Gérard Menuel, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, M. Pascal Thévenot, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. François Asensi, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Stéphane Demilly, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, M. Alain Leboeuf, M. Patrick Lebreton, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Patrick Weiten

Assistaient également à la réunion. - Mme Danielle Auroi (présidente), Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Jean Bizet (sénateur), Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Luc Laurent, M. Philippe Le Ray, M. Franck Reynier