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Mercredi 7 décembre 2016

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 19

Présidence de
M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition de M. Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’ai le plaisir d’accueillir pour la première fois, au nom de notre commission, M. Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle depuis le 20 juillet 2015. Il a succédé à M. Gilles Bœuf, que nous avions reçu à trois reprises : lors de deux auditions devant la commission – le 9 octobre 2012 en qualité de président du Muséum, puis le 25 novembre 2015 en qualité de préfigurateur de l’Agence française pour la biodiversité – et dans le cadre de l’examen du projet de loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Je vous invite, monsieur le président, à nous présenter votre institution, dont le rôle est fondamental. Je souhaite au préalable vous poser deux questions. D’une part, qu’attendez-vous de la 13e conférence des parties à la convention sur la diversité biologique (COP13), qui se tient à Cancún jusqu’au 17 décembre et porte sur l’intégration et la diffusion des questions relatives à la biodiversité dans les politiques sectorielles ? D’autre part, comment les dispositions de la loi pour la reconquête de la biodiversité, relatives à l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées et au partage des avantages (APA), qui visent à mettre en œuvre le protocole de Nagoya, vont-elles s’appliquer à vos collections, lesquelles regroupent 70 millions de pièces ?

M. Bruno David, président du Muséum national d’histoire naturelle. Le Muséum est effectivement directement concerné par les questions de biodiversité discutées en ce moment à la conférence de Cancún.

Avant d’être président du Muséum, je suis un scientifique qui a une formation de paléontologue, et j’ai beaucoup travaillé sur les crises anciennes qui ont affecté la biosphère au cours des 500 millions d’années passées. Contrairement à ce qu’on raconte quelquefois en montrant une image de dinosaures qui voient une météorite traverser le ciel, celles-ci n’ont jamais été des hécatombes : elles ont plutôt été des périodes d’absence, des moments où il n’y avait plus de vie ou beaucoup moins de vie sur la Terre. Ces périodes correspondent à une diminution de ce qu’on appelle le succès reproducteur des espèces, c’est-à-dire à une baisse progressive du nombre d’individus présents d’une génération à l’autre. À l’échelle des temps géologiques, l’évolution peut être très rapide : les espèces s’effacent de la planète. Les bancs géologiques datant des époques où ces crises se sont produites sont vides, dépourvus de fossiles.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? En trente ans, 420 millions d’oiseaux ont disparu de nos campagnes et de nos villes. Ce qui a disparu, ce sont non pas des espèces – il y a toujours des moineaux, des rouges-gorges, des pinsons et des mésanges –, mais des individus. Nous vivons le même genre de scénario que lors des grandes crises qui ont affecté la biodiversité dans le passé, et cela m’inquiète. Selon un rapport récent du World Wild Fund, 50 % des individus de l’ordre des vertébrés ont disparu au cours des quarante-deux dernières années. Si la conférence de Cancún doit prendre en compte et transmettre un message scientifique essentiel, c’est, de mon point de vue, celui-là : nous assistons à une érosion de la diversité très insidieuse, à savoir la disparition non pas d’espèces mais d’individus, qui affaiblit les populations. Je souhaiterais que l’on diffuse ce message le plus largement possible aux citoyens, ce que j’essaie de faire pour ma part au travers de conférences et d’un ouvrage que j’ai écrit. Il est triste, certes, que l’ours blanc disparaisse, mais cela ne constitue pas un bouleversement. En revanche, le fait que 25 % des oiseaux aient disparu au cours des trente dernières années est, selon moi, très inquiétant.

S’agissant de l’APA, le Muséum a effectivement 70 millions de spécimens dans ses collections. Nous avions demandé à ce que la « profondeur historique » de la période pendant laquelle devaient s’appliquer les règles en matière d’APA soit la plus réduite possible, car cela pose des problèmes insurmontables pour la gestion de ces collections. Il s’agit, je le rappelle, d’un patrimoine national, dont le Muséum est le garant et le gestionnaire, mais en aucun cas le propriétaire. Sinon, vous pensez bien que je vendrais nos pépites d’or de 2 kilogrammes pour procurer des ressources à l’établissement ! (Sourires.)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous allez vous faire arrêter à la sortie de cette salle ! (Sourires.)

M. Bruno David. En tant que dépositaires des collections, nous devons évidemment en prendre soin, mais nous n’avons pas le droit de les céder. Cela peut d’ailleurs poser des problèmes éthiques : nous conservons des crânes de résistants algériens du XIXe siècle que l’Algérie réclame, mais, dans la mesure où ils ne nous appartiennent pas, je ne peux pas les restituer sans suivre un processus assez compliqué.

D’un point de vue éthique, nous comprenons tout à fait que des règles soient mises en place en matière d’APA, afin de protéger la propriété intellectuelle et le patrimoine de chaque pays, mais elles compliquent sensiblement la vie du Muséum. Même si la « profondeur historique » finalement indiquée dans la loi n’est pas trop importante, l’application de ces règles représente pour le Muséum, d’après notre estimation, une charge de travail supplémentaire de trois à six équivalent temps plein. Car il faut garantir la traçabilité des matériels et être prêt à les restituer en fonction des situations. Et c’est loin d’être simple, non seulement pour les crânes humains que j’ai mentionnés, mais aussi pour un simple oiseau empaillé ou un batracien conservé dans un bocal : une commission spécifique doit d’abord démontrer la perte d’intérêt de l’objet que l’on souhaite restituer. Or, aucune limite temporelle ne s’applique lorsque l’on apprécie cette perte d’intérêt, et il est très difficile de démontrer qu’il n’existera pas, dans cinquante ans, des techniques scientifiques nouvelles qui rendront intéressant tel ou tel objet. Ajoutons que les décisions de cette commission ne sont susceptibles d’aucun recours.

Le Muséum a cinq grandes missions : la conservation et la gestion des collections, la recherche, la diffusion des connaissances auprès du public, l’enseignement supérieur et, enfin, l’expertise, notamment en appui à des politiques publiques.

Les trois premières missions me paraissent les plus importantes. Je vais essayer de vous le faire comprendre en vous donnant un exemple que j’ai utilisé lors d’une conférence de presse. À cette occasion, j’avais fait placer sur la table, devant les 70 ou 80 journalistes présents, un petit caillou noirâtre. Je leur ai fait noter que, si l’on avait vu un tel caillou sur un chemin, on ne l’aurait même pas remarqué : on serait passé à côté ou on aurait donné un coup de pied dedans. Je l’avais tout de même fait mettre sous une cloche en verre. J’ai expliqué que ce n’était pas une simple mise en scène : cet objet appartenait à nos collections. Puis j’ai indiqué que, d’après les analyses d’une équipe de cosmochimistes travaillant au Muséum, ce caillou noir nous informait sur l’origine du système solaire, il y a 14 milliards d’années ; il s’agissait d’un fragment de la météorite d’Orgueil, tombée en France en 1864. En résumé, cet objet qui figure dans nos collections n’est pas très beau, mais il est éclairé par la recherche, qui nous raconte une histoire à son propos. Et si, dans un deuxième temps, je ne vais pas à la rencontre du public pour lui expliquer cela, il manque une dimension fondamentale. Ainsi, conservation des collections, recherche et diffusion auprès du public sont les trois missions essentielles du Muséum. Elles doivent être intimement liées et fonctionner ensemble.

Je fais une parenthèse concernant la recherche : nous sommes le premier muséum au monde pour la recherche en histoire naturelle. Nous hébergeons 450 à 500 chercheurs, une partie d’entre eux étant affectés dans nos unités par des organismes de recherche tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Le Muséum de Paris rassemble à lui seul davantage de chercheurs que ses homologues de Londres, Berlin, Vienne et Copenhague réunis, et nous sommes numéro un mondial pour les publications dans nos domaines. C’est un modèle unique au monde, qui fait notre originalité.

Le Muséum se répartit sur douze sites : celui du Jardin des Plantes ; le musée de l’Homme ; deux zoos en plus de la Ménagerie du Jardin des Plantes, à savoir le parc zoologique de Paris, plus connu par les Parisiens sous le nom de « zoo de Vincennes », et la réserve animalière de la Haute-Touche, dans l’Indre, qui s’étend sur 500 hectares ; deux stations marines en Bretagne ; le jardin botanique exotique de Menton et le jardin botanique alpin « La Jaÿsinia », à Samoëns ; un abri préhistorique en Dordogne ; l’Harmas de Jean-Henri Fabre, entomologiste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, dans le Vaucluse ; le magnifique arboretum de Chèvreloup, à proximité immédiate du château de Versailles, qui occupe 205 hectares et préserve 2 500 espèces d’arbres, dont certaines espèces exotiques très rares telles que le chêne du Texas – il en reste 200 exemplaires vivants au monde – ou le cèdre du Ténéré – qui a pratiquement disparu de la planète.

Nous gérons donc, entre autres, des galeries, des zoos et des collections vivantes dans nos jardins. Ces activités relèvent de divers métiers. Sur nos douze sites, nous employons un peu plus de 2 000 personnes, dont 1 600 sont directement rattachées au Muséum, les autres relevant d’organismes divers. Environ 8 millions de visiteurs traversent nos sites chaque année, 3 à 4 millions d’entre eux étant des visiteurs payants.

Je signale deux autres particularités du Muséum.

Première particularité : nous impliquons les citoyens dans un certain nombre de démarches, notamment des collectes de données scientifiques – ce qu’on appelle « science participative » ou « citizen science » en anglais. Les premières opérations de cette nature ont été les programmes de suivi temporaire des oiseaux communs (STOC) et de suivi photographique des insectes pollinisateurs (SPIPOLL), qui nous ont permis d’accumuler de nombreuses informations et ont donné lieu à des publications scientifiques de très haut niveau. Grâce à ces programmes, nous avons notamment démontré que les espèces de papillons migraient beaucoup plus rapidement vers le nord en raison du changement climatique que les espèces d’oiseaux. Les oiseaux volant globalement plus vite que les papillons, on aurait pu penser que ce serait l’inverse (Sourires), mais le renouvellement de génération est plus rapide chez les papillons, et la mobilité y est plus importante d’une génération à l’autre. Peut-être sont-ils aussi plus sensibles au changement climatique.

Autre « signature » particulière du Muséum : nous conduisons de grandes expéditions naturalistes dans divers endroits de la planète. Nous en avons une en ce moment en Nouvelle-Calédonie. Il s’agit de faire un inventaire exhaustif de la biodiversité à un instant « t » dans un endroit donné, du sommet des montagnes ou des collines jusqu’à environ 1 000 mètres de profondeur dans la mer.

Rappelons, pour finir, que le Muséum a récemment changé de statut. À cette occasion, si je puis me permettre ce mot dans cette enceinte, nous sommes un peu passés de la IVe à la Ve République.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Cela m’inquiète… (Rires.)

M. Bruno David. Auparavant, le Muséum était piloté par un binôme, formé par le président et le directeur général. Mon prédécesseur, Gilles Bœuf, était dans la situation du président de la IVe République : il incarnait le Muséum du point de vue scientifique, portait sa parole scientifique, mais n’avait pas de pouvoir ; c’est le directeur général qui dirigeait et gérait l’établissement. Ces deux postes ont été fusionnés en un seul, celui que j’occupe actuellement. D’où le parallèle audacieux que j’ai fait avec les Républiques. Mais, rassurez-vous, je ne me prends pas pour le général de Gaulle,… du moins pas encore. (Sourires.)

Mme Martine Lignières-Cassou. Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd’hui, monsieur le président, de même que nous l’avions été d’auditionner à deux reprises votre prédécesseur, M. Gilles Bœuf. Vous avez présenté les différentes missions du Muséum. Vous êtes à la tête d’une très belle maison, originale, qui n’a pas d’équivalent en Europe dans le domaine de la recherche. C’est un lieu où se construisent les connaissances sur l’évolution du vivant, notamment sur les liens entre la nature et l’espèce humaine. À cet égard, je trouve la démarche du Muséum très intéressante, car il intervient, si je puis dire, aux deux bouts de la construction de la connaissance. D’un côté, il rassemble 450 à 500 chercheurs et travaille en partenariat étroit avec d’autres organismes, notamment le CNRS et la Sorbonne. De l’autre, il développe, depuis une dizaine d’années, la science participative, et il a été la première institution à le faire autant.

Vous avez précisé vos attentes à l’égard de la COP13 qui se tient en ce moment à Cancún. Lors d’un cours que vous avez donné au Collège de France et qui a été diffusé sur France Culture – j’invite mes collègues à écouter vos cours en podcast, ainsi que ceux de M. Gilles Bœuf et d’un de vos collègues paléontologue –, vous avez déclaré que nous étions à l’aube d’une « rupture environnementale ». Pouvez-vous revenir sur cette notion ? Vous venez de nous expliquer que nous assistions davantage à une disparition des individus qu’à une disparition des espèces. Est-ce là ce que vous entendiez par « rupture environnementale » ?

Votre prédécesseur était l’un des préfigurateurs de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), qui sera mise en place à partir du 1er janvier prochain. Quel regard portez-vous sur la constitution de l’agence ?

Vous avez indiqué que 2 000 personnes environ travaillaient sur les différents sites du Muséum. Vous avez mentionné le personnel supplémentaire qui vous serait nécessaire pour remplir les obligations résultant du protocole du Nagoya. Vous avez fait référence au récent changement de statut du Muséum. Que pouvez-vous nous dire, plus globalement, sur les moyens financiers qui vous sont attribués ? Le Muséum est-il amené à contribuer à la réduction du déficit public ? Comment ses finances se portent-elles ?

M. Jean-Marie Sermier. Quels seront précisément les liens entre le Muséum et l’AFB, qui a été créée par la loi sur la biodiversité que nous avons adoptée en juillet et qui sera mise en place à compter du 1er janvier prochain ? L’AFB aura besoin de s’appuyer sur un certain nombre d’études en ce qui concerne l’évolution des espèces. Le Muséum sera-t-il prestataire de l’agence ? Vous avez cité un chiffre extrait d’une étude du World Wild Fund, mais on peut considérer que celle-ci n’a pas la même valeur que les travaux réalisés par les différents services nationaux.

Ainsi que nous l’avons évoqué lors de l’examen du projet de loi sur la biodiversité, un certain nombre de populations autochtones disposant de ressources génétiques et de connaissances associées risquent d’être spoliées par la biopiraterie. Le Muséum a-t-il une action en matière de lutte contre la biopiraterie ?

M. Stéphane Demilly. Lors de votre nomination à la tête du Muséum national d’histoire naturelle, à l’été 2015, vous avez déclaré : « Je suis fier d’accéder à la présidence d’une institution aussi prestigieuse que le Muséum, dont le rôle est de fasciner, émerveiller pour instruire ». Je tiens tout d’abord à saluer ces propos, qui correspondent parfaitement à la vision de l’éducation et de la transmission des connaissances que je défends. Selon moi, cette approche devrait guider un peu plus souvent le mode de fonctionnement de nos musées, voire le système éducatif dans son ensemble – les tristes résultats de notre pays au classement PISA, connus depuis hier, montre que des améliorations doivent lui être apportées.

Montaigne disait : « L’élève n’est pas qu’un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume. » Telle est la philosophie que nos grands musées nationaux doivent suivre pour éveiller la curiosité des jeunes et des moins jeunes, afin de les amener, ensuite, vers des connaissances plus pointues ou qui sollicitent davantage le « cerveau gauche ».

Je sais que, avant de prendre vos fonctions au Muséum, vous vous êtes beaucoup impliqué dans différentes actions de diffusion auprès du grand public : les rencontres Science et Citoyens, la Fête de la science ou encore la Nuit des musées. En 2014, vous avez également dirigé l’opération « Les chercheurs font rêver les enfants ». Cette approche me semble très intéressante. Comment allez-vous apporter votre sensibilité au Muséum ? Quels sont vos projets à venir pour continuer à éveiller la curiosité d’un nombre croissant de nos concitoyens, en particulier des plus jeunes ?

Ma deuxième question concerne le travail de recherche mené par le Muséum, notamment sur la biodiversité. Chaque année, votre institution publie la liste des espèces décrites et recensées sur l’ensemble du territoire national. D’après les chiffres que j’ai relevés, en 2016, pas moins de 182 498 espèces de faune et de flore, terrestres et marines, avaient ainsi été inventoriées, ce qui représente près de 10 % des espèces présentes sur la planète. Il est très important de noter que 16 773 d’entre elles ne sont présentes que sur le territoire français, ce qui montre la responsabilité particulière de notre pays en matière de sauvegarde des espèces, sachant que nous venons d’adopter, cet été, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité. À l’instar de mon collègue Jean-Marie Sermier, je souhaite savoir comment vos travaux sont pris en compte par les différents services de l’État et comment vous envisagez de travailler avec l’AFB, qui est actuellement dans sa phase de préfiguration et doit être officiellement installée au début de l’année 2017.

Ma dernière question concerne les liens entre le Muséum et les territoires de notre pays. Vous avez évoqué les douze sites du Muséum, qui sont situés à Paris, en Île-de-France ou en région. Or aucun d’entre eux ne se trouve dans la région des Hauts-de-France, alors que celle-ci dispose d’un potentiel fantastique : des musées de qualité et diversifiés, mais aussi des sites naturels exceptionnels, en particulier le parc du Marquenterre dans le département de la Somme, où je suis élu. Existe-t-il néanmoins des liens entre le Muséum et certaines structures des Hauts-de-France ? À défaut, est-il prévu d’en créer, à la suite de la fusion des régions, afin de mettre nos richesses en réseau ?

M. Guy Bailliart. Vous avez évoqué la remontée vers le nord des papillons et des oiseaux, et son lien avec le renouvellement des générations, qui est une illustration parfaite des missions du Muséum national d’histoire naturelle : la nature a une histoire, un passé, et donc un avenir. Or ce mouvement ressemble aujourd’hui à un processus d’usure sans retour. Qu’en pensez-vous ?

Que pouvez-vous nous dire de l’adaptation des espèces au changement climatique et à la pollution ? Selon une étude sur la faune autour de Tchernobyl, les espèces se seraient adaptées à la mutation de l’environnement autour de la centrale, comme vos papillons et vos oiseaux, c’est-à-dire d’autant plus vite que les générations se succédaient rapidement. Est-ce à dire que la nature pourra continuer à s’adapter, ou l’usure de notre planète et de notre diversité est-elle irréversible ?

M. Jacques Kossowski. Le Muséum possède, paraît-il, l’un des Computer Tomography Scan les plus perfectionnés au monde. Cet outil permet aux scientifiques d’étudier avec une infinie précision les spécimens animaux et minéraux que contiennent ses très riches collections. Il est ainsi possible de découper virtuellement un volume vivant ou inerte grâce à la tomographie et de le reconstituer dans un modèle numérique. J’aimerais que vous nous précisiez quelles peuvent être les applications pratiques de cette technologie pour la recherche scientifique.

Le Muséum projette-t-il par ailleurs d’acquérir à terme de nouvelles machines encore plus performantes ?

Enfin, le Muséum compte-t-il proposer au public des mises en scène holographiques, dont les effets dimensionnels sont saisissants ?

M. Yannick Favennec. Quelles lignes directrices avez-vous mises en place depuis que vous êtes à la tête du Muséum national d’histoire naturelle et quelles sont vos ambitions pour cet établissement dans les années à venir ?

Comment réagissez-vous à la disparition d’espèces animales et végétales et où se situent les plus forts enjeux en matière de biodiversité en France métropolitaine ?

Comment envisagez-vous votre collaboration avec la future Agence française de la biodiversité ?

De quels moyens disposez-vous pour mener à bien vos missions ?

M. Jean-Louis Bricout. Chaque année, le Muséum national d’histoire naturelle publie la liste des espèces décrites et recensées sur l’ensemble du territoire national, y compris l’outre-mer. Le référentiel compte, en 2016, plus de 182 000 espèces de faune et de flore, terrestres et marines, soit 10 % de la biodiversité mondiale. Comment cette liste évolue-t-elle d’année en année, et que révèle cette évolution ?

Par ailleurs, le Muséum a un rôle éducatif et pédagogique essentiel à jouer, si l’on veut comprendre d’où l’on vient et où l’on va. À cet égard, l’ouverture cette année d’un cours gratuit et virtuel est une très bonne idée, qui a d’ailleurs attiré quelque neuf mille inscrits. Qu’en espérez-vous, notamment en termes d’élargissement du public susceptible de s’intéresser aux champs de recherche du Muséum ?

M. Jean-Pierre Vigier. Deux positions s’opposent aujourd’hui sur la politique de réintroduction du saumon sur l’axe Loire-Allier. Certains prônent simplement la conservation de l’espèce, en régulant et en bridant l’alevinage ; or cette politique a montré depuis vingt ans qu’elle n’était pas satisfaisante, puisque seuls 450 saumons sont de retour chaque année pour un objectif de 3 000. D’autres, dont je fais partie, préconisent une valorisation de l’espèce, grâce à un alevinage cohérent, raisonné et surtout compatible avec la souche du saumon sauvage. Cette valorisation permettrait non seulement d’atteindre l’objectif de 3 000 saumons mais elle contribuerait également à améliorer la qualité de l’eau, des espèces et de l’habitat. C’est la raison pour laquelle nous aimerions savoir si le Muséum pourrait soutenir cette option de tout le poids de son expertise.

M. Christophe Bouillon. Pour la première fois de l’histoire de la vie sur Terre, l’humanité est en situation de détruire son propre cadre de vie, en emportant avec elle la biodiversité, faune et flore.

Dans l’interview que vous avez donnée le 17 novembre dernier à L’Humanité, vous soulignez que l’enjeu du moment est de passer de l’indignation à la réaction. Le rôle des pouvoirs publics est, pour cela, déterminant, et le décret pris par madame Barbara Pompili, secrétaire d’État chargée de la biodiversité, le 30 novembre dernier, va dans ce sens : pour la première fois, nous disposerons d’un inventaire national du patrimoine naturel. Cet outil puissant et fiable regroupera pour chaque territoire l’ensemble des données sur la biodiversité et nous permettra de mieux y mesurer l’impact de la vie humaine. Accessible en open data, il sera de surcroît un outil pédagogique grâce auquel chacun pourra connaître la liste complète des espèces vivant autour de lui et apprendre comment les protéger.

Cela étant, que suggérez-vous au législateur pour continuer sur le chemin tracé par la loi pour la reconquête de la biodiversité, afin de protéger notre cadre de vie ?

M. Guillaume Chevrollier. Le Muséum national d’histoire naturelle est placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’environnement. Une réflexion est-elle en cours pour repenser son statut et son mode de gouvernance ?

Votre établissement est par ailleurs responsable de la conservation d’un patrimoine exceptionnel. Quelles actions menez-vous pour le faire connaître au grand public, et notamment aux jeunes publics ? Quel est le niveau de fréquentation de ces jeunes publics, qu’il est primordial de sensibiliser aux enjeux liés à la protection de la biodiversité ?

M. Philippe Plisson. Il est avéré que le réchauffement climatique a une grande influence sur les migrations animales, et je lisais récemment dans un rapport de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage que les lieux de nidation et de migration étaient en train d’évoluer considérablement. L’observation de bécasses équipées de balises GPS a notamment permis d’anticiper qu’à terme les bécasses qui viennent de Russie s’arrêteront dans le nord et ne migreront plus dans le sud-ouest. Pouvez-vous confirmer cette triste nouvelle ? (Sourires.)

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Vous êtes plongeur scientifique, monsieur le président, et avez effectué des expéditions dans les Terres australes et antarctiques françaises. Vous avez également plongé à deux mille mètres de profondeur avec le Nautile. Pourriez-vous nous parler de ces expériences ?

M. Bruno David. Avant d’être président du Muséum, j’étais chercheur au CNRS, où j’ai effectué l’essentiel de ma carrière. Étant biologiste marin et travaillant sur l’évolution biologique à partir de modèles fossiles ou de modèles actuels, donc à la charnière entre les sciences de la Terre et les sciences de la vie, je me suis intéressé aux oursins. Il y a actuellement dans le monde mille espèces d’oursins qui diffèrent autant entre elles qu’une musaraigne diffère d’un zèbre chez les mammifères. Cela m’a conduit à travailler dans les Terres australes et à plonger, à plusieurs reprises, aux Kerguelen, en Terre Adélie et sur la péninsule Antarctique. Je suis notamment assez fier d’avoir plongé au-delà des deux cercles polaires, au nord et au sud, en plongée autonome. J’ai également eu la chance de pouvoir plonger avec le Nautile, à 2 500 mètres de profondeur sur la marge du Pérou, lors d’une expédition extraordinaire.

Beaucoup de vos questions ont porté sur la mission d’expertise du Muséum et ses rapports avec la future agence de la biodiversité. Nous sommes en effet chargés d’une mission d’expertise, en appui aux politiques publiques. Cette expertise s’effectue, soit au travers de contacts bilatéraux avec des laboratoires du Muséum, soit au travers de notre service du patrimoine naturel.

Dans la réorganisation du Muséum, qui a été votée par le conseil d’administration et qui est en train de se mettre en place, un grand pôle sera dévolu à l’expertise, de manière à la rendre plus visible. Il comportera plusieurs entités, comme le Conservatoire botanique national du Bassin parisien, que nous hébergeons.

C’est ce pôle qui va tisser des relations avec l’Agence française de la biodiversité (AFB), dans la perspective d’un exercice conjoint de la mission d’expertise. Pour l’heure, et jusqu’au 31 décembre, le ministère de l’environnement passe des commandes au Muséum et lui octroie une subvention pour charges de service public. Nous sommes ainsi, sur demande du ministère, en train de diligenter une double expertise – écologique et sociologique – sur la présence du loup en France.

L’AFB s’inscrivant dans le paysage à partir de 2017, il a fallu construire une interface, ce que nous avons fait en mettant en place une unité mixte de service. Il s’agit d’une entité labélisée par le CNRS. Elle aura trois tutelles, le Muséum, le CNRS et l’AFB, et ceux-ci y mettront leurs forces en commun. Cela signifie qu’un certain nombre d’agents, qui étaient jusqu’à présent payés par le Muséum sur la subvention pour charges de service public, vont être transférés à l’AFB, qui les mettra en retour à la disposition du Muséum, dans le cadre de cette unité mixte. C’est le moyen le plus opérationnel que nous avons trouvé pour faciliter les relations avec l’AFB.

Si le CNRS est impliqué à ce stade, c’est parce que l’enjeu final dépasse la simple expertise et qu’il s’agit, au-delà de celle-ci, de générer des connaissances. En effet, si l’on sollicite le Muséum, ce n’est pas simplement pour lui faire réaliser une expertise, que pourrait aussi bien fournir un bureau d’études, mais parce qu’il doit y avoir un lien fort entre l’expertise et la recherche. L’expertise doit s’enraciner dans la recherche et générer des connaissances, dans un système très complexe, qui lie la biodiversité, l’environnement et la société.

Or, nous savons encore mal appréhender ces systèmes complexes, et c’est grâce à la recherche que nous pourrons comprendre leur fonctionnement – il y a là un pan entier de la science qui est en train de s’ouvrir. D’où la nécessité d’associer le CNRS à cette démarche, dans la mesure où il est le lieu où sont représentés tous les champs disciplinaires et où la recherche excelle dans plusieurs domaines au cœur des problématiques impliquant la société, la biodiversité et l’environnement.

Vous devez prendre conscience que l’on ne résoudra pas les problèmes actuels d’environnement, de biodiversité, voire de climat, sans avoir largement recours aux sciences humaines et sociales. Le temps est révolu où les scientifiques seuls pouvaient répondre à des questions devenues aujourd’hui aussi complexes. C’est en tout cas mon opinion.

Plusieurs députés. Et on la partage !

M. Bruno David. Pour en revenir à notre unité mixte de service, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Mais nous possédons des atouts. Le Muséum peut notamment compter sur une excellente compréhension des systèmes biologiques, qui s’inscrit en outre dans une perspective historique, car nos collections, qui remontent à plusieurs siècles, sont comme un enregistrement de l’histoire. Nous pouvons bien sûr, en pratique, rencontrer des difficultés d’organisation, que je vous épargne ici, l’essentiel étant notre ligne directrice, à savoir l’association entre expertise et recherche à travers l’exercice conjoint d’un certain nombre de missions.

Vous m’avez également interrogé sur les inventaires. Le Muséum est en effet chargé d’inventorier la biodiversité sur le territoire national, à travers l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN), structure qui ne concerne pas seulement la biodiversité mais également la géodiversité, car nous disposons en la matière sur nos territoires de pépites qu’il convient de prendre en compte.

Des associations environnementales travaillent avec nous, ou pour nous, à cet inventaire, pour lequel nous avons également recours à la science participative. Nous en sommes aujourd’hui à 40 millions de données, sur 182 000 espèces environ. Dans le cadre de l’open data, ces données sont en libre accès et destinées à aider l’ensemble des collectivités, de la plus petite commune jusqu’à l’État, par exemple à évaluer les incidences sur l’environnement de tel ou tel projet d’aménagement.

Mme Martine Lignières-Cassou. Comment se fait l’exploitation de ces données ? Est-elle sous-traitée à des start-up ? Le Muséum en est-il le propriétaire ?

M. Bruno David. Je ne suis pas juriste, mais scientifique. Ce que je peux vous dire, c’est que les données sont libres d’accès, et c’est une des missions de l’établissement de les mettre à la portée du public le plus large. Dans cette optique nous avons développé une application gratuite – INPN Espèces – qui permet aux utilisateurs de découvrir la faune et la flore de l’endroit où ils se trouvent. Ce recensement des espèces permet également un suivi temporel qui, sur dix ans ou plus, devient pertinent, et grâce auquel on peut savoir, par exemple, à quelle vitesse les oiseaux et les papillons migrent vers le nord.

S’agissant de l’organisation de l’établissement, fort du constat que les douze sites étaient autant de muséums, j’ai souhaité réaffirmer, dès mon arrivée, l’existence d’un seul muséum, devant fonctionner comme une entité unique. C’est facile à dire, mais ce n’est pas forcément simple à faire entrer dans les esprits.

Le visiteur doit savoir qu’il est au Muséum national d’histoire naturelle quel que soit le site qu’il visite. Ainsi le Jardin des Plantes, qui est bien sûr gratuit, ne doit-il pas seulement être un jardin public mais le jardin du Muséum. Ce jardin a une histoire scientifique et son histoire renvoie à la grande histoire de France. Nous réfléchissons à l’installation de panneaux pour raconter ces différentes histoires : Bernardin de Saint-Pierre, dont la statue se dresse dans le jardin, était un scientifique du XVIIIe siècle qui a servi de modèle au personnage de Pangloss dans Candide dans lequel il dit : « les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes ». Bernardin de Saint-Pierre avait écrit que les melons avaient des côtes pour pouvoir être dégustés en famille – cette explication fait sourire aujourd’hui mais, à l’époque, elle avait sa cohérence. Le Jardin des Plantes est plein d’anecdotes de ce genre qu’il faut savoir raconter au public. C’est compliqué et long à mettre en place dans cette grande maison qui fait preuve d’une certaine inertie. Mes projets ne se concrétisent pas aussi vite que mon impatience le voudrait. J’essaie de m’y habituer et de modérer mes ambitions.

Afin de donner corps à ce projet d’un seul muséum, j’ai lancé une restructuration de l’établissement. De manière très schématique, le nombre de grandes structures de pilotage est passé de seize à sept, ce qui n’a pas manqué de susciter quelques tensions. Sur le plan scientifique, le nombre de départements a été réduit de dix à trois afin de les rendre plus visibles et de renforcer les liens entre les champs disciplinaires. Le premier département traite des questions relatives à l’homme et à l’environnement ; il regroupe, sur le site du musée de l’Homme, l’ensemble des équipes qui s’intéressent à la préhistoire, l’ethnobiologie, l’ethnobotanique, l’ethnozoologie, l’anthropologie biologique et l’archéozoologie. Cette dernière étudie notamment la domestication et ses conséquences. Des articles publiés récemment sur la domestication du chien par exemple montrent que les chiens que nous connaissons sont issus de la domestication asiatique et non européenne. Ce département compte également toutes les équipes qui travaillent sur la gestion de la biodiversité. Il assure l’interface entre les sciences de la nature classiques et les sciences humaines et sociales. Je pense que le Muséum était le seul à pouvoir le faire. Certes, nombre d’universités sont pluridisciplinaires – je suis moi-même issu de l’université de Bourgogne –, mais elles ne possèdent pas la taille et la culture qui font du Muséum le lieu idéal. Le CNRS embrasse toutes les disciplines mais il n’est pas capable de créer ce genre d’interfaces.

Un deuxième département s’intéresse à l’adaptation du vivant, à toutes les échelles, depuis les chromosomes ou les gènes jusqu’aux écosystèmes. Nous travaillons ainsi sur l’altération des chromosomes au cours du vieillissement, à partir d’un adorable petit lémurien de Madagascar, le microcèbe ; normalement, chez les mammifères, plus on est gros, plus on vit vieux – un éléphant vit plus vieux qu’une souris. Nous cherchons à comprendre pourquoi ce petit mammifère, qui devrait vivre trois ans, vit quinze ans. Quant aux écosystèmes, nous essayons d’analyser leur résilience et leur capacité d’adaptation.

Le troisième département travaille sur les questions d’origine et d’évolution, depuis l’origine du système solaire jusqu’à l’origine de la vie sur Terre et son histoire.

Pour essayer de fédérer les douze sites, tous ceux accueillant du public – musées, jardins et zoos – sont rassemblés dans une direction générale qui a notamment pour mission de mettre au point une politique des publics réaliste.

Quant à la capacité d’adaptation de la nature, tout dépend de l’échelle temporelle. La vie existe sur Terre depuis 3,8 milliards d’années. Cela ne vous dit rien, forcément. Je prends comme point de comparaison la tour Eiffel : si le Champ-de-Mars est l’origine de la vie, nos deux mille ans d’histoire depuis Jésus-Christ tiennent dans l’épaisseur d’une rognure d’ongle au sommet de l’antenne. Cela devrait nous rendre modestes et humbles : on ne peut pas se contenter de jardiner la planète et de transformer l’océan en aquarium en espérant que cela suffira. Si nous modifions trop l’édifice qui s’est construit sur cette très longue période – nous sommes le fruit de cette évolution –, nous risquons de connaître des problèmes.

Les formes de vie ont toujours réussi à surmonter les crises très importantes qu’elles ont subies par le passé, sinon nous ne serions pas dans cette salle pour en parler. La nature possède une bonne capacité de résilience, mais elle s’exerce sur des temps longs. L’expérience des crises du passé est intéressante là aussi. On pensait que la biosphère s’était remise en dix millions d’années de la plus grande crise qui l’a frappée il y a 250 millions d’années ; les études récentes ont montré qu’il ne lui a fallu qu’un million d’années – ce n’est rien au regard de la durée de vos mandats. Il y a de l’espoir ! (Sourires)

Les systèmes sont résilients. Je prends un autre exemple pour illustrer mon propos. Lors d’une marée noire, au-delà du nettoyage des plages pour faire revenir les touristes, en dix ans, l’écosystème a récupéré, notamment grâce à tout ce qui est microscopique – le pétrole, c’est de la matière organique, donc des bactéries vont le manger. Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut encourager le déversement du pétrole dans la mer. Je souhaite souligner que la résilience des systèmes peut, dans certaines circonstances, être très importante. Pour les pollutions par des métaux lourds, la résilience est faible car ce ne sont pas des matières organiques.

Toutefois, nous sommes en train d’altérer assez considérablement la capacité d’adaptation de la nature par des changements d’usage : le goudronnage, la transformation de l’agriculture, la déforestation, la pollution, le transfert d’espèces – une fois transférées, certaines espèces peuvent devenir invasives et affecter l’équilibre des écosystèmes, voire créer un nouvel équilibre qui ne nous rende pas les mêmes services – ; la surexploitation des ressources, en mer par exemple – on a fait disparaître la morue des grands bancs de Terre-Neuve, et trente plus tard elle n’est toujours pas revenue, en dépit d’un moratoire.

À terme – je vous parle du point de vue du paléontologue –, nous risquons de basculer dans un système radicalement différent, dans lequel l’espèce humaine n’aurait pas nécessairement sa place. J’arrête de vous effrayer, ce n’est pas pour tout de suite, peut-être dans trois, cinq ou dix mille ans, je ne sais pas ; ce n’est pas instantané.

Si l’on compare avec les crises du passé, on peut dire que nous sommes sur la trajectoire d’une des crises majeures. En découpant les 500 derniers millions d’années – le moment où la vie sur Terre a été la plus importante – en cinq cents tranches d’un million d’années, le taux d’extinction entre deux tranches est de 20 %. Pour les cinq grandes crises qui ont jalonné ces 500 derniers millions d’années, ce taux s’établit à 80 %. Aujourd’hui, ce taux atteint, pour les mammifères, 8 000 %. Mais, je vous trompe un peu en comparant une vitesse moyenne sur un million d’années à une vitesse instantanée sur cent cinquante ou deux cents ans. Rien ne dit que ce rythme sera conservé. Toutefois, même si je me trompe d’un facteur dix ou cent, je retombe sur les chiffres qui correspondent aux grandes crises du passé. Cela doit nous faire réfléchir. Nous sommes en train de foncer sur un obstacle, nous sommes au tout début du parcours – il n’y a pas le feu –, mais nous y allons très vite. Nous avons été dotés d’un cerveau qui nous permet de nous voir agir et de réfléchir. Cela nous donne une responsabilité morale face à ce qui est en train de se passer. L’homme fait partie du jeu. Si les progrès technologiques que notre cerveau conçoit mènent à la disparition de la moitié de la biosphère, y compris de notre espèce, cela fait aussi partie du jeu. Mes propos sont très cyniques et politiquement incorrects.

Je ne donne jamais de leçons au public auquel je m’adresse lors des conférences sur le comportement qu’il conviendrait d’adopter. Cela relève selon moi de la responsabilité personnelle de chacun. C’est aussi ce genre de message que le Muséum essaie de transmettre.

Concernant le public, je souhaite – cela doit se réaliser pendant l’année 2017 – qu’il trouve au Muséum des réponses aux questions qui sont posées tous les jours dans les médias, au travers de modules relativement simples. Ces modules, sous la forme d’une vitrine et de quelques éléments interactifs, sont co-construits avec les muséums de province – je tenais à ce qu’ils soient impliqués. Je suis assisté dans cette tâche par un chargé de mission qui est directeur d’un muséum de province. Je ne voulais pas d’une opération parisienne – je connais ce travers de l’institution, je rappelle parfois à mes collègues qu’on trouve aussi des cerveaux de l’autre côté du périphérique. Plusieurs questions seront posées : la sixième extinction, mythe ou réalité ? Les OGM sont-ils dangereux ? Que signifie le retour des grands prédateurs en France ? Les pollinisateurs, où en est-on ? Que sont les services écosystémiques ? Qu’est-ce que l’ingénierie écologique ?

Le Muséum n’est pas un lieu de polémique. L’objectif est de présenter l’état de la réflexion scientifique sur un sujet donné. Quelques modules seront installés à Paris dans la grande galerie de l’évolution, d’autres en province, et ils permuteront. Il s’agit d’enrichir une bibliothèque sur les grandes questions et de la faire voyager à travers la France. Ce projet doit être collectif et national.

Quant à notre politique en direction des enfants, je rappelle que les sites du Muséum sont gratuits jusqu’à vingt-six ans, ce qui ne va pas sans nous poser des problèmes budgétaires. Par ailleurs, nous avons terriblement souffert de la chute de fréquentation consécutive aux attaques terroristes : les sorties scolaires ont été suspendues et n’ont pas vraiment repris, ce qui ne sera pas non plus sans conséquences budgétaires.

J’ai mis en place une commission, présidée par Philippe Taquet, ancien directeur du Muséum et ancien président de l’académie des sciences, qui réunit une douzaine de personnes qui n’appartiennent pas toutes au Muséum – philosophe, économiste, représentant des organisations non gouvernementales, scientifique – en leur demandant de réfléchir à la question suivante : à quoi sert l’histoire naturelle en Europe au XXIsiècle ? Dans le passé, l’histoire naturelle a souvent joué un rôle structurant pour les sociétés – la Naturphilosophie en Allemagne au début du XIXsiècle, le siècle des Lumières en France, Darwin en Angleterre – en les aidant à se penser elles-mêmes par rapport à l’environnement.

Alors que nous sommes au bord d’une rupture environnementale majeure, je pense que le temps est venu de se poser cette question. Je m’adresse à vous, élus, pour m’aider ensuite à relayer ces messages. Il ne s’agit pas là non plus de donner des leçons mais simplement d’essayer de comprendre comment l’histoire naturelle peut aider à penser les grandes échelles de temps et d’espace, qui souvent échappent aux individus que nous sommes, pris par le quotidien. Cette commission est chargée de rédiger un texte, une sorte de manifeste, d’une dizaine de pages, qui pourrait être ensuite diffusé dans sa version intégrale ou dans une version résumée avant les prochaines échéances électorales. Ce texte servira aussi à construire le projet du Muséum.

Enfin, au sujet des ressources de l’établissement, je pourrais me contenter de vous dire qu’elles sont insuffisantes… Mais je dois vous avertir du problème budgétaire auquel le Muséum doit faire face – vous en avez sans doute entendu parler dans les médias : le modèle économique du parc zoologique de Paris repose sur un partenariat public-privé qui requiert le remboursement de 12 à 14 millions d’euros par an. Or, ce modèle est fondé sur des hypothèses de fréquentation irréalistes. J’ai commandé une étude comparative avec soixante zoos européens. Il est surréaliste d’avoir envisagé une telle fréquentation compte tenu de la surface, du nombre d’espèces et du nombre d’animaux que nous accueillons, mais surtout de l’importance des surfaces couvertes. En effet, cela peut vous paraître bizarre, mais les surfaces couvertes permettent de rendre le zoo indépendant de la météo : les visiteurs viennent même s’il pleut. Pour illustrer mon propos, lors du dernier week-end de l’Ascension, nous avons enregistré un pic de fréquentation avec 16 000 visiteurs en une journée ; lorsqu’il pleut, nous accueillons 500 personnes. Il a beaucoup plu durant les mois de mai et juin ; l’année 2016 s’annonce donc très mauvaise. Nous sommes confrontés à un problème structurel – la redevance au titre du partenariat public-privé – et à un problème conjoncturel lié à la météo, auxquels s’ajoute la baisse de fréquentation consécutive aux attentats. Le Muséum a absorbé les difficultés financières en effectuant un prélèvement sur son fonds de roulement l’année dernière et cette année, ce qu’il ne pourra pas faire l’année prochaine.

Mon objectif est évidemment d’accroître les ressources de l’établissement dans tous les domaines, notamment en augmentant la fréquentation. Nous menons une restructuration des grandes expositions temporaires : le calendrier est stabilisé ; nous essayons pour la saison d’été d’attirer des expositions qui soient économiquement rentables. En 2017, nous accueillerons une exposition sur les grandes expéditions de National Geographic ; en 2018 – j’ai signé le contrat la semaine dernière –, je fais venir en France pour la première fois un tyrannosaure rex original.

Nous avons créé – ce n’était pas évident car ce n’était pas la culture – un pôle dédié au développement commercial qui s’occupe notamment du mécénat, de la location d’espaces, de la marque « Muséum » ainsi que des sous-marques « Jardin des Plantes » et « parc zoologique ». Tout cela sera en place à partir du 1er janvier. Les nouveaux directeurs généraux ont été recrutés et prendront leurs fonctions à cette même date.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Dans la circonscription où je suis élu, se trouve la réserve de la Haute-Touche.

M. Bruno David. C’est un endroit merveilleux. Cette réserve rassemble, sur 500 hectares, de nombreuses espèces, notamment des espèces en voie d’extinction et des cervidés asiatiques. Vous pouvez vous promener à pied, en vélo ou en voiture électrique. La réserve a pour objectif la préservation de la biodiversité. Je le dis souvent : les parcs zoologiques du Muséum ne sont pas des parcs d’attractions. La compétition avec les zoos privés – je ne les citerai pas – est relativement injuste et déloyale pour nous. Je refuse que les otaries jouent avec des ballons ou que les manchots soient poussés vers le public à coups de jet d’eau. Les zoos sont aussi des lieux scientifiques qui ont notamment pour mission de préserver des espèces rares. Parmi ces espèces – je ne résiste pas à cette boutade pour conclure –, se trouve un cervidé appelé le cerf du père David qui a été découvert par ce père – qui, à ma connaissance, n’est pas un de mes ancêtres – qui voyageait en Chine et en Asie. Cette espèce, qui s’était éteinte, a pu être réintroduite dans la nature grâce à nos réserves.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le président, je vous remercie pour la qualité de cet échange.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 7 décembre 2016 à 10 heures

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Guy Bailliart, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, Mme Marine Brenier, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Gérard Menuel, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Pascal Thévenot, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Julien Aubert, M. Sylvain Berrios, Mme Chantal Berthelot, Mme Sabine Buis, M. Yann Capet, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, M. Alain Leboeuf, M. Patrick Lebreton, Mme Viviane Le Dissez, M. Franck Marlin, M. Napole Polutélé, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, M. Patrick Weiten