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Commission des affaires économiques

Mardi 6 novembre 2012

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 20

Présidence de M. François Brottes Président

– En application de l’article 13 de la Constitution, audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Franck Chevet, dont la nomination en qualité de président de l’Autorité de sûreté nucléaire est envisagée par le Président de la République puis vote sur cette nomination.

La commission a auditionné, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Pierre-Franck Chevet, dont la nomination en qualité de président de l’Autorité de sûreté nucléaire est envisagée par le Président de la République.

M. le Président François Brottes. Nous auditionnons aujourd’hui M. Pierre-Franck Chevet, dont la nomination en qualité de président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est envisagée par le Président de la République. L’ASN a un rôle fondamental dans notre pays et sert même de modèle au plan international : nous avons d’ailleurs voté différents textes pour améliorer la transparence en matière de sécurité nucléaire, séparant les opérateurs d’une autorité indépendante, de même que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), dans ses fonctions d’expertise auprès du Gouvernement, de l’ASN. Son président, M. André-Claude Lacoste, qui part à la retraite, a fait en sorte qu’elle soit reconnue et écoutée. Compte tenu de la place que représente le nucléaire dans notre pays et des questions que nos concitoyens peuvent se poser dans ce domaine, il est donc urgent de le remplacer.

M. Pierre-Franck Chevet. Mon ambition est d’inscrire mon action dans la continuité de celle menée par M. Lacoste, qui a fait de l’ASN un référent au niveau mondial. Ma candidature repose sur deux raisons : mon parcours personnel, qui m’a conduit à œuvrer pendant vingt-six ans pour ou aux côtés de l’ASN, et les résultats remarquables de celle-ci.

Je travaille en effet depuis vingt-six ans pour l’État français, au service d’intérêts touchant à la protection des populations ou de l’environnement. J’ai notamment servi pendant neuf ans, au début de ma carrière, l’ASN de l’époque. J’ai pris mes premières fonctions en septembre 1986, quelques mois après la catastrophe de Tchernobyl, qui a certainement orienté mes choix pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise en France. Mon premier poste, qui a duré trois ans, était très technique, d’expertise, centré sur les problèmes de cuve de réacteurs – lesquels sont d’ailleurs d’actualité, comme le montre le cas de la Belgique. Il m’a été très utile dans mes fonctions suivantes, davantage liées à la décision.

J’ai ensuite occupé deux autres postes au sein de l’ASN. En 1992 et 1993, j’ai été l’adjoint de M. Lacoste, chargé du contrôle de l’ensemble du parc nucléaire français, notamment les réacteurs à eau sous pression et Superphénix.

Puis, j’ai passé une dizaine d’années sur le terrain, successivement en Alsace et en Nord-Pas-de-Calais, où j’ai dirigé la direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE), avec pour mission de contrôler un champ d’installations techniquement plus large, s’étendant, au-delà des centrales nucléaires – comme celles de Fessenheim ou de Gravelines –, aux installations industrielles classiques, Seveso notamment, confrontées à d’autres types de risques. J’ai eu à faire face à deux accidents majeurs : l’explosion de l’usine de Nitrochimie à Billy-Berclau en 2003, qui a provoqué six décès, et l’une des plus graves crises de légionellose survenues en France, durant l’hiver 2003-2004, dans la région de Lens, qui a duré près de deux mois et a fait une vingtaine de victimes.

Entre 2005 et 2007, j’ai rejoint le cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, où j’ai été chargé des questions liées à l’industrie, la recherche, l’environnement et l’énergie. J’ai eu notamment à superviser les travaux d’élaboration des deux lois de juin 2006 : celle relative à la gestion des déchets et matières nucléaires et celle touchant à la transparence et à la sûreté nucléaires, qui a fait de l’ASN une autorité administrative indépendante.

En 2007, j’ai pris mes fonctions actuelles de directeur général chargé de l’énergie, successivement responsable de la direction générale de l’énergie et des matières premières puis, en 2008, de la direction générale de l’énergie et du climat, que j’ai créée pour la remplacer – le fait d’accoupler ces deux sujets était à l’époque une novation sur le plan international.

Quant au bilan de l’ASN, il est non seulement bon en soi, mais aussi jugé comme tel à l’extérieur. L’Autorité repose sur quatre valeurs essentielles, qui sont le fruit d’un mûrissement progressif : compétence et rigueur, d’une part, et indépendance et transparence, d’autre part. Toutes sont nécessaires, mais elles ne sont suffisantes que si on les cultive dans la durée.

L’ASN a toujours cherché à améliorer le système de sûreté. La France a ainsi été la première à mettre en place, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, une échelle de gravité, qui a inspiré l’échelle internationale INES. Puis, l’ASN a mis en œuvre une échelle de gravité pour les accidents de radioprotection et s’est attachée à rendre publics les suites de ses inspections, les avis préalables qui lui sont donnés ainsi que toutes ses décisions, que l’on peut consulter sur son site Internet.

Elle est aussi la première des autorités nucléaires à s’être penchée, dès le début des années 1990, sur les normes de sûreté des réacteurs de troisième génération, qui sont devenus un standard de référence européenne, que l’on cherche aujourd’hui à rendre international. J’ai moi-même travaillé à cette question.

Dans le domaine de la gestion des matières et déchets nucléaires, autre enjeu essentiel, notre politique est marquée par une construction très robuste, grâce aux lois de 1991 et de 2006 – cette dernière a d’ailleurs prévu en 2015 l’examen des conditions du futur stockage en couche géologique profonde du projet Cigéo.

L’ASN a également accompli des progrès remarquables en matière de radioprotection, notamment sur les suivis en milieu médical ou hospitalier.

Ces progrès ne sont possibles que si on continue à s’intéresser aux systèmes étrangers : c’est la raison pour laquelle l’Autorité s’est très tôt engagée à développer les échanges de bonnes pratiques. Elle a ainsi largement contribué à la création du club des autorités de sûreté nucléaires d’Europe de l’Ouest, WENRA. Celui-ci a joué un rôle déterminant après la catastrophe de Fukushima pour définir, en quinze jours seulement, les standards des stress tests, qui servent aujourd’hui de référence.

Ces résultats ont contribué à faire en sorte que les lois de 2006 confortent la place de l’ASN et l’ensemble des dispositions en matière de sûreté et de gestion des déchets.

Ils sont le fruit d’une double conviction : que l’accident nucléaire est possible, y compris en France, et qu’il ne peut y avoir de sûreté à deux vitesses dans le monde. Ils résultent aussi d’une logique de progrès continu : la sûreté appelle une remise en cause permanente, à la fois sur les questions techniques et d’organisation, qu’il s’agisse des opérateurs ou des autorités de contrôle.

Les enjeux futurs de l’ASN sont nombreux.

Il s’agit d’abord de la question du vieillissement des installations et de l’analyse de leur durée de fonctionnement : notre parc nucléaire date des années 1970-1980. L’extension de la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de 30 ans exige un examen au cas par cas – ce que fait actuellement l’ASN, en précisant les conditions éventuellement nécessaires à cette fin. Au-delà de 40 ans, cette extension n’est pas acquise : l’ASN devra se prononcer sur ce point, sous réserve que tous les dossiers lui soient fournis par EDF ; un rendez-vous technique est d’ailleurs fixé en 2015 au terme d’une instruction technique déjà largement définie.

Deuxième enjeu : le renouvellement des compétences humaines des opérateurs. Nous arrivons à la fin d’une génération : les conditions de passage du flambeau avec la nouvelle, notamment en ce qui concerne la transmission des principes de sûreté et les formations, constituent une question centrale.

Troisième enjeu : la fermeture de la centrale de Fessenheim. Comme l’a rappelé M. Lacoste, les procédures afférentes à un arrêt de réacteur sont longues, de l’ordre de quatre à cinq ans : elles sont d’un même niveau de complexité que les opérations de démarrage d’un réacteur.

Nous aurons aussi en 2013 le débat sur le projet Cigéo. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a saisi la Commission nationale du débat public (CNDP), qui doit commencer à élaborer le dossier qui servira de support à ce débat. Il faudra examiner simultanément les enjeux relatifs à la progression des recherches en matière de séparation et de transmutation ainsi que sur les générateurs de quatrième génération.

Dans le domaine de la radioprotection, trois axes sont identifiés : améliorer la pratique médicale quotidienne pour éviter certains incidents ; limiter la hausse tendancielle des doses reçues à l’occasion des examens et thérapies ; mieux tenir compte des différences de radiosensibilité selon les personnes, en liaison avec les professions concernées.

Dernier enjeu important : la poursuite de l’action internationale, pour promouvoir nos bonnes pratiques et mieux comprendre ce qui se fait à l’étranger. Après la catastrophe de Fukushima, la France et l’ASN ont à faire entendre leur voix pour améliorer les standards et pratiques de sûreté.

Trois conditions sont nécessaires pour traiter correctement ces questions : avoir des compétences humaines suffisantes, qu’il s’agisse des exploitants ou de l’autorité de sûreté et de son appui technique, l’IRSN ; examiner précisément ce qui se fait de mieux à l’extérieur, non seulement à l’étranger, mais aussi dans d’autres activités à risque comme l’aéronautique ou les activités industrielles classiques ; et disposer d’un cadre institutionnel robuste, c’est-à-dire à la fois solide et stable.

M. Daniel Fasquelle. Je regrette, au nom du groupe UMP, les incidents de ce matin, qui nous ont fait prendre beaucoup de retard.

Monsieur Chevet, le rapport Gallois indique que l’évolution du parc nucléaire doit tenir compte de l’énorme capital investi et du fait qu’il est largement amorti, même si des travaux de maintenance importants sont prévus. Il attire l’attention sur l’impact du coût de l’énergie sur la compétitivité, précisant que le coût du kilowattheure procuré par le nucléaire est un véritable avantage comparatif et que la durée d’exploitation des centrales devrait relever de l’appréciation de l’ASN – et non du pouvoir politique. Cela rejoint d’ailleurs ce qu’avait dit en octobre dernier M. Lacoste, selon lequel la fermeture de Fessenheim n’est pas irréversible. Nous souhaitons aussi que les décisions de fermeture des centrales relèvent de l’ASN, qui est la seule autorité ayant tous les éléments en main pour se prononcer. Quelle est votre position à cet égard ?

Comment entendez-vous répondre à l’attente de transparence de nos concitoyens ?

Qu’en est-il de la construction du premier EPR, que l’ASN aura à superviser ?

Enfin, quel est votre point de vue sur le débat national qui s’engage sur le mix énergétique, évoqué par le rapport Gallois et sur lequel M. Lacoste a déclaré que l’ASN avait son mot à dire ?

Mme Frédérique Massat. Je rappelle, au nom du groupe SRC, que le Président de la République s’est engagé à fermer la centrale de Fessenheim au plus tard le 31 décembre 2016. Or M. Lacoste a déclaré qu’il faudrait à l’ASN trois années supplémentaires pour donner son accord – ce qui retarderait la publication du décret de démantèlement à au moins 2017 –, ajoutant même que la France n’était pas une dictature et que l’exploitant avait son mot à dire dans la procédure : pouvez-vous préciser votre position à cet égard ?

Un récent rapport de la Commission européenne sur le parc nucléaire français souligne un certain nombre de défaillances, notamment s’agissant des équipements destinés aux interventions d’urgence en cas d’accident grave, de séisme ou d’inondation, qui font défaut dans la majorité des réacteurs. L’ASN a chiffré le coût de la remise à niveau à 10 milliards d’euros : confirmez-vous cette évaluation ?

Quelle est par ailleurs votre position en matière de transparence de l’information vis-à-vis de nos concitoyens en cas d’incident ou d’accident ?

Qu’en est-il s’agissant de la sous-traitance d’activités par les exploitants, qui se départissent parfois ainsi de compétences humaines ?

M. Lacoste avait évoqué un pôle européen sur la sûreté nucléaire : quelles sont vos intentions à cet égard ?

Enfin, comment entendez-vous faire progresser la parité hommes-femmes au sein de l’ASN, sachant que le collège des commissaires qui la dirige est composée de quatre hommes et une femme, que les huit directions sont confiées à des hommes et que sur les onze divisions territoriales, une seule est sous la responsabilité d’une femme ?

M. le Président François Brottes. Le président de l’ASN n’est pas la seule instance de décision en la matière.

M. Denis Baupin. Monsieur Fasquelle, au sujet des incidents de ce matin, je vous renvoie à la décision prise à l’unanimité par la Conférence des présidents.

Le groupe écologiste que je représente accorde une grande importance à la question de la sûreté des installations nucléaires. Je me suis rendu à Fukushima et y ai vu les dégâts de la catastrophe sur la population : je partage à cet égard l’inquiétude de M. Lacoste sur la façon dont on tend à en minimiser les conséquences.

Monsieur Chevet, notre groupe n’émettra pas un vote favorable à votre nomination. Cette position, qui n’est pas dirigée contre vous, tend à exprimer une inquiétude ainsi qu’un signal d’alarme. Cela fait des années que nous nous inquiétons de la consanguinité au sein du monde nucléaire : votre curriculum vitae est à cet égard éloquent et confirme la place du corps des mines, qui est la fois contrôleur et contrôlé dans ce domaine.

Nous sommes en faveur de la tolérance zéro en matière de sûreté nucléaire : l’ASN doit faire passer cette priorité avant tout autre intérêt, y compris économique.

Seriez-vous prêt, dans les décisions que vous seriez amené à prendre, à faire abstraction de positions antérieures que vous auriez pu avoir, contraires à cet objectif de sûreté ? À arrêter vos décisions de façon totalement indépendante du pouvoir politique, de toute industrie et de tout corps auquel vous appartiendriez ? À adopter des sanctions contre un exploitant qui n’appliquerait pas les consignes de l’ASN ? À mettre à l’arrêt des réacteurs nucléaires, comme l’a fait la Belgique – en l’occurrence deux sur sept – parce que les conditions de sûreté ne sont pas assurées à cause de la défaillance des cuves ?

Le Président de la République a indiqué, lors de la Conférence environnementale, à quel point il tenait à ce que l’expertise soit pluraliste : êtes-vous prêt à ouvrir les groupes d’experts de l’ASN à une expertise diverse et à un regard critique à l’égard de l’industrie nucléaire, de façon que les avis de cette instance soient éclairés par un débat contradictoire ?

M. Yves Blein. Dans la région lyonnaise, nous accomplissons un important travail avec les entreprises classées Seveso, en particulier vis-à-vis des populations riveraines, pour développer la culture de la sécurité à l’égard du risque. Or j’ai le sentiment que cet aspect est moins pris en compte par les opérateurs du nucléaire : entendez-vous y apporter une attention particulière ?

M. Alain Marc. Monsieur Chevet, je voterai en faveur de votre nomination.

Que comptez-vous faire au niveau national, voire européen, pour mieux informer les populations ?

Comment fonctionnent les organismes similaires à l’ASN à l’étranger ? Quelles relations celle-ci a-t-elle avec eux ? Ont-elles lieu en toute transparence ?

Compte tenu des enjeux énergétiques et des peurs engendrées par le nucléaire, notamment après l’accident de Fukushima, notre commission pourrait-elle être chaque année destinataire d’un rapport de l’ASN ?

M. Hervé Pellois. La centrale de Brennilis dans le Finistère attend depuis 27 ans son démantèlement, après avoir fonctionné pendant 18 ans : aurons-nous un jour un véritable protocole pour réaliser cette opération ? Pourquoi met-on tant de temps à démanteler une centrale ?

M. Damien Abad. Merci, monsieur Chevet, d’avoir parlé de la culture du risque et d’avoir rappelé qu’il ne peut y avoir de sûreté à deux vitesses dans le monde.

Quelles sont les perspectives d’évolution de la centrale du Bugey située à Saint-Vulbas ? Le grand projet industriel envisagé sur place suscite-t-il des craintes ou incertitudes ?

Qu’en est-il du projet ITER, tendant à passer du stade de la fission à celui de la fusion ? Constitue-t-il une réponse à l’accident de Fukushima ? Offre-t-il davantage de garanties de sécurité ?

Enfin, au-delà des échanges et bonnes pratiques en Europe, se dirige-t-on vers un pôle européen de sûreté et de radioprotection, voire, à terme, vers une autorité de sûreté européenne ?

M. Jean-Luc Laurent. En tant que député du Val-de-Marne, membre du groupe SRC et président du Mouvement républicain et citoyen, je vois comme un présage le fait que votre nomination – en faveur de laquelle je voterai – intervienne au moment où sont rendues publiques les préconisations du rapport Gallois et les conclusions qu’en tire le Gouvernement pour la compétitivité de notre pays. À cet égard, la filière nucléaire française est un atout qui mérite d’être préservé, et même valorisé. Cette valorisation permettrait en effet de lutter contre le déclin industriel de la France en termes d’attractivité du prix de l’énergie, que ce soit pour les entreprises ou les ménages. Par ailleurs, la préservation de la filière doit se faire dans le cadre des missions confiées à l’ASN : il est nécessaire d’assurer la continuité de la politique menée, qui passe par la poursuite de la recherche maximale de sûreté. Quelles sont à cet égard les possibilités d’extension de la durée des réacteurs au-delà de 40 ou 50 ans ?

D’autre part, ne faut-il pas réduire l’influence de la sous-traitance pour se donner le maximum de garanties, à rebours de ce qui s’est passé au Japon ?

M. Michel Sordi. En tant que député du Haut-Rhin, je soutiens la filière nucléaire française ainsi que la centrale de Fessenheim et je voterai en faveur de votre nomination. Je rappelle que la Commission locale d'information et de surveillance (CLI) de cette centrale est ouverte à nos voisins allemands ou suisses de même qu’aux associations environnementales, et que l’exploitant – EDF – ou l’ASN peuvent s’y exprimer. Tout le monde reconnaît aujourd’hui la compétence de celle-ci, qui a en effet acquis une excellente réputation au niveau national et international.

S’agissant du rapport rendu après l’accident de Fukushima pour améliorer la sûreté, où en sont les travaux en cours dans ce domaine, notamment sur cette centrale ?

En cas de fermeture d’un réacteur d’un autre pays, l’ASN intervient-elle sur la substitution à mettre en place après l’arrêt du réacteur ou le transport de l’énergie prévu pour remédier à cette fermeture ?

Mme Michèle Bonneton. On entend souvent dire que les travailleurs intérimaires n’ont pas les mêmes compétences que les permanents : qu’en pensez-vous ? Qu’en est-il du suivi de la santé de ces personnels ?

Par ailleurs, les contrôles les plus récents concernant la sûreté des installations françaises ont souligné que des travaux plus importants étaient nécessaires, démontrant ainsi qu’existaient des insuffisances dans les précédentes procédures de contrôle : quel est votre avis sur ce point ? Comment y remédier ?

De même, comment entendez-vous renforcer et étendre l’information du public sur les procédés utilisés ou en cas d’incident ou d’accident ?

En cas d’accident grave comme à Fukushima, que pensez-vous de la méthode consistant à distribuer des dosimètres à la population, qui doit alors gérer elle-même la dose reçue et devient ainsi responsable des éventuelles maladies qu’elle pourrait contracter de ce fait ? Qu’en est-il, plus largement, de la stratégie consistant à rendre acceptable par la population la possibilité d’un accident nucléaire ?

Enfin, quels moyens envisagez-vous pour protéger au mieux les populations d’un risque important ?

M. Pierre-Franck Chevet. Sur la question du rôle respectif de l’ASN et du Gouvernement sur les décisions de fermeture de centrale, je fais miens les propos de M. Lacoste, selon lesquels l’ASN peut demander la fermeture d’un réacteur pour des raisons de sûreté et le Gouvernement pour toute autre raison. Cela étant, je n’ai pas encore lu le rapport Gallois.

S’agissant de la centrale de Fessenheim, M. Lacoste n’a pas dit qu’elle n’était pas irréversible : il s’est seulement exprimé sur les délais de procédure, qui seraient en effet de l’ordre de cinq ans.

L’achèvement du chantier de l’EPR est un enjeu majeur, auquel l’ASN accorde une attention particulière. Il s’agit d’un deuxième réacteur de ce genre, à côté du projet en cours en Finlande. Sa mise en service est prévue en 2016.

Madame Massat, le coût de 10 milliards d’euros de remise à niveau résulte d’une évaluation de la part des exploitants au regard de la façon dont ils ont traduit les préconisations de travaux formulées par l’ASN, sachant que celle-ci n’a pas à faire ce type de chiffrage : il ne s’agit donc que d’une première estimation.

Quant à la question de la sous-traitance, elle n’est pas nouvelle : un incident classé au niveau 3 de l’échelle de gravité est ainsi survenu au début des années 1990 dans la centrale de Gravelines, où, à la suite d’une erreur de maintenance, les soupapes du circuit primaire ont été bloquées pendant un an. Il a donné lieu à de nombreuses réflexions sur l’organisation de la maintenance et la sous-traitance. Le principe de base, fixé par tous les textes nationaux et internationaux, est la responsabilité première de l’exploitant en matière de sûreté sur tous les actes portant sur ses installations, y compris les actes de design. Si la sous-traitance n’est pas une mauvaise chose dans l’absolu, surtout quand il s’agit de faire appel à des compétences très particulières, les contrôles de l’exploitant doivent pouvoir s’exercer pleinement sur toute la chaîne des services. À cet égard, les propositions faites par certains opérateurs de limiter le nombre de leurs sous-traitants me paraissent aller dans le bon sens : elles correspondent à la position prise par l’ASN, qui a récemment adopté un certain nombre de textes pour améliorer la situation dans ce domaine.

S’agissant du pôle européen, il convient que les responsabilités soient clairement identifiées : de même qu’il ne peut y avoir deux exploitants, il ne peut y avoir trente-six gendarmes ! Si les autorités politiques désignaient un jour un autre gendarme, européen ou international, il faudrait éviter toute confusion avec des instances nationales.

Par ailleurs, je suis favorable à la parité, sachant qu’aucun des commissaires dirigeant l’ASN n’est nommé par le président de celle-ci. Par ailleurs, un des trois directeurs généraux adjoints est une femme. Cela étant, les compétences demandées sont celles d’ingénieurs scientifiques : or la part des femmes dans les écoles de formation correspondantes reste de l’ordre de 10 à 15 % – laquelle se reflète dans les organigrammes. Nous devrons donc être vigilants à cet égard.

Monsieur Baupin, je vous laisse la responsabilité de vos propos sur la consanguinité du corps des mines ! Je ne peux nier que j’en suis issu, mais j’ai fait un certain nombre de choix professionnels et ceux-là seuls m’engagent.

Je suis tout à fait disposé à exercer un pouvoir de sanction de façon indépendante – comme j’ai d’ailleurs déjà été amené à le faire.

Ma position a toujours été de devoir rendre compte – c’est-à-dire expliquer publiquement des décisions – ainsi que d’être en mesure de rendre des comptes en cas de problème.

Cela étant, je suis ouvert à une tierce expertise. Concernant la centrale de Fessenheim, j’ai d’ailleurs approuvé, il y a vingt ans, l’idée d’avoir recours à celle-ci sur la résistance de la cuve et de la faire payer par l’État. Au-delà de l’expertise propre à l’administration exercée de façon satisfaisante par l’IRSN, la tierce expertise peut par exemple être utile sur des problèmes spécifiques où l’on ne dispose pas de la compétence nécessaire.

Monsieur Blein, il est en effet important de développer les exercices de mise en situation en cas d’accident : ils permettent aux organismes concernés de mieux se préparer. J’ai à cet égard vécu à la centrale de Fessenheim les premiers exercices associant la population, mais ce type d’opérations n’est pas facile car il faut tenir compte des contraintes de chacun. L’accident de Fukushima doit nous conduire à aller plus loin dans ce domaine.

Monsieur Marc, il faut sans doute que nous gagnions encore en clarté dans nos explications, même si la matière est assez aride. Cela étant, la transparence ne suffit pas : susciter des débats est aussi une bonne manière de mieux faire comprendre les problèmes.

Quant aux relations avec les autres autorités de sûreté nucléaires, elles sont nombreuses : au-delà de WENRA, l’ASN a beaucoup de rapports bilatéraux, y compris avec les pays limitrophes.

Monsieur Pellois, il est vrai que le démantèlement de la centrale de Brennilis prend du temps : le dernier épisode ayant conduit l’ASN à différer cette opération est lié au fait que l’installation ICEDA située en Rhône-Alpes, vers laquelle devaient être envoyés les déchets issus des démantèlements, n’avait pas obtenu d’autorisation.

Quant à ITER, il s’inscrit dans un avenir lointain : je ne suis pas sûr, si je suis nommé, que dans le mandat de six ans non renouvelable qui me serait confié, j’aie l’occasion de me prononcer sur ce projet – lequel devrait prendre 60 ou 70 ans pour aboutir.

Monsieur Laurent, concernant la prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans, je rappelle que deux composants ne sont pas remplaçables : la cuve et le bâtiment entourant le réacteur. L’autre question essentielle – sur laquelle nous nous distinguons de l’approche américaine – est de savoir quels standards de sûreté on retient, sachant que, pour l’ASN, on doit se fonder sur le référentiel dit de troisième génération, qui est plus exigeant, par symétrie avec les installations industrielles classiques, où le principe des meilleures technologies disponibles s’applique, mais aussi dans la mesure où l’une des alternatives possibles est de construire un réacteur de troisième génération de type EPR.

Monsieur Sordi, l’ASN n’a pas de rôle à jouer en matière de substitution ou de mesures compensatoires, mais la direction générale de l’énergie et du climat conduit des travaux dans ce domaine.

Les actions postérieures à l’accident de Fukushima propres à la centrale de Fessenheim doivent être menées dans le délai prescrit par l’ASN. Deux échéances principales sont prévues à cet égard : le recours à une source froide de secours, d’ici fin 2012, et l’épaississement du radier, d’ici l’été prochain. Si elles n’étaient pas respectées, il faudrait arrêter la centrale.

Madame Bonneton, sur les aspects de santé, l’une des questions importantes est de savoir comment on assure le suivi dosimétrique d’agents ou d’intervenants travaillant aussi à l’étranger. Il existe pour ces personnes un danger lié au cumul des doses reçues dans des pays différents que nous devons parvenir à traiter. Il faut aller plus loin dans ce domaine.

Quant aux 10 milliards de travaux demandés après l’accident de Fukushima, ils recouvrent de nombreux aspects. Je citerai notamment – au-delà de ce que j’ai déjà indiqué sur la centrale de Fukushima – deux améliorations majeures : la nécessité d’avoir un noyau dur, c’est-à-dire de préserver de toute agression externe des moyens à part permettant d’assurer à eux seuls le fonctionnement du réacteur dans des conditions correctes en cas d’accident, et le recours à une force d’action rapide partagée – sous réserve de la compatibilité des moyens de secours.

M. le Président François Brottes. Quand nous avons accueilli M. Lacoste après l’accident de Fukushima et les opérations commandos de Greenpeace, nous avons constaté que les notions de sûreté et de sécurité ne renvoyaient pas forcément à la même gouvernance et que l’ASN n’avait pas son mot à dire sur les aspects touchant à la sécurité : quel avis portez-vous sur cette difficulté à prendre des mesures cohérentes et coordonnées ?

M. Pierre-Franck Chevet. La sécurité recouvre de multiples questions, pouvant aller des conditions d’emploi de la force publique à la prévention des actes de malveillance. La réponse à votre question n’est pas évidente, mais quand on regarde ce qui se passe dans d’autres pays, le partage des rôles traduit une intégration plus poussée entre la sûreté et la sécurité. Je ne peux en tirer des conclusions à ce stade, mais il faudra tenir compte de ces expériences.

M. le Président François Brottes. Je vous remercie.

*

* *

Après le départ de M. Pierre-Franck Chevet, il est procédé au vote sur la nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les deux scrutateurs d’âge étant MM. Damien Abad et Razzy Hammadi.

Les résultats du scrutin sont les suivants :


Nombre de votants


Bulletins blancs ou nuls


Suffrages exprimés


Pour


Contre


Abstention

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 6 novembre 2012 à 17 h 15

Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, Mme Pascale Got, M. Razzy Hammadi, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Jacqueline Maquet, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi

Excusés. - M. Christophe Borgel, M. Joël Giraud, Mme Anne Grommerch, M. Thierry Lazaro, M. Bernard Reynès

Assistait également à la réunion. - M. Denis Baupin