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Commission des affaires économiques

Mardi 29 janvier 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 45

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur

La commission a auditionné Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur.

M. le président François Brottes. Madame la ministre du commerce extérieur, nous aurions voulu vous auditionner plus tôt, mais nous avons déjà pu vous entendre à l’occasion du débat budgétaire.

La semaine où vous deviez venir, la Commission des affaires économiques avait auditionné l’Agence pour la diffusion de l’information technologique, Ubifrance et l’Agence française pour les investissements internationaux, ainsi que plusieurs entreprises venues témoigner de l’intérêt de bénéficier, pour l’export, du soutien de structures liées à l’État.

Pour pallier l’absence de croissance, notre pays attend beaucoup de l’exportation. Comment expliquer qu’un grand nombre de parts de marchés nous échappent alors même que les entreprises françaises sont aussi compétentes que performantes ?

Par ailleurs, les jeunes Français ne sont pas suffisamment incités à aller à l’international en raison de freins plus culturels et psychologiques que financiers d’ailleurs. Nous devons donc inciter les jeunes à se tourner vers les autres pays du monde dans le cadre du cursus scolaire. C’est d’autant plus important que le marché intérieur ne suffira pas à assurer la croissance et l’emploi.

Vous dirigez donc, madame la ministre, un ministère pivot, dont les Français attendent beaucoup. C’est pourquoi votre démarche nous intéresse au plus haut point.

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Ma démarche vise à favoriser l’internationalisation de nos entreprises : comment faire plus et mieux ?

Les trois paramètres qui assurent la cohérence de la politique économique du Gouvernement sont les suivants : le désendettement compétitif, conduit par M. Pierre Moscovici ; le pacte de compétitivité, présenté par le Premier ministre au mois de novembre, et l’accord sur la réforme du marché du travail, conclu par les organisations syndicales et patronales et qui sera bientôt inscrit dans la loi. Cette politique économique a évidemment besoin de temps pour porter des fruits, d’autant que les prévisions de croissance de la zone euro ne sont pas bonnes. Or la zone euro représente 50 % de l’export français et l’Union européenne dans son ensemble 60 %. Il est donc nécessaire de trouver à court terme des relais de croissance. Le FMI prévoit, pour 2013, une croissance mondiale de quelque 3,5 % ; la Chine pourrait renouer avec une croissance de 8 % et l’Afrique avec une croissance de 5 % – il faut toutefois savoir que la croissance africaine, inégalement répartie, est essentiellement le fait de cinq pays.

Le Premier ministre m’a assigné pour objectif le retour à l’équilibre de la balance commerciale, hors énergie, d’ici à la fin du quinquennat. Il faut donc gagner 26 milliards, grâce à l’accroissement de nos exportations, et non en raison de la diminution de nos importations comme c’est le cas en période de récession.

Il convient, premièrement, de disposer d’une bonne organisation territoriale : c’est la première priorité de mon action. J’ai déjà effectué onze déplacements régionaux – j’étais hier encore en PACA. Auparavant, j’ai réuni en septembre 2012 les présidents de région – la région ayant la compétence du développement économique et de l’innovation. Nous avons pris ensemble l’engagement de faire des régions les pilotes de l’export. Je devrais signer les premiers plans régionaux d’internationalisation des entreprises en mars 2013, notamment avec les Pays-de-la-Loire et la Bretagne. L’Acte III de la décentralisation devrait, par ailleurs, renforcer la compétence économique des régions. Celles-ci ont toute leur place dans l’organisation territoriale qui se déploiera autour de la Banque publique d’investissement (BPI), laquelle tiendra son premier conseil d’administration le 21 février en Bourgogne. Dès que la Commission européenne aura donné son imprimatur et que nous aurons réglé les relations entre la Caisse des dépôts et l’État sur la question de la valorisation, les régions pourront se positionner autour de cet acteur majeur qu’est la BPI avec leurs partenaires, les chambres de commerce et d’industrie, qui sont désormais régionalisées.

Je me suis en effet beaucoup battue cet été pour doter la BPI d’un volet international. Je compte sur elle pour distribuer les financements et la garantie COFACE. Elle disposera de développeurs à l’international, issus d’Ubifrance – une trentaine dès l’année 2013. Elle distribuera également les services d’Ubifrance qui accompagnent les PME à l’étranger.

Je n’ai toutefois pas attendu la mise en place de la BPI pour réformer les procédures en matière de financements. J’ai déjà commencé à le faire dans le cadre de la loi de finances rectificative de la fin de l’année 2012. Il suffit néanmoins d’aller sur le site d’OSEO pour s’apercevoir qu’il est encore bien difficile pour nos entreprises de s’y retrouver, et elles s’en plaignent. Notre offre commerciale à l’international est, d’une façon générale, encore trop compliquée à comprendre. Il convient à la fois de diminuer et de rationaliser les offres de crédit. Trop de produits se font concurrence : il serait préférable d’en avoir moins, mais qui correspondent à la demande des entreprises. De plus, il convient de bien sélectionner les entreprises : toutes ne sont pas aptes à faire de l’export.

Déterminer l’évolution de la demande internationale pour les dix prochaines années est ma deuxième priorité. Il faut savoir que la demande mondiale est portée à 80 % par quarante-sept pays en croissance. Leurs classes moyennes, qui connaissent un fort développement, souhaitent profiter d’une offre commerciale dans quatre secteurs prioritaires : « mieux se nourrir », « mieux vivre en ville », « mieux communiquer » (nouvelles technologies de la communication et de l’information) et « mieux se soigner » (économie du bien-être). Telles seront les exigences des consommateurs dans le monde en 2020. Les entreprises françaises, qui ne se sont pas bien insérées à la fin des années 1990 dans la première phase de la mondialisation, sont aujourd’hui bien placées pour profiter de l’évolution du marché. Elles disposent en effet de produits performants et de qualité dans des secteurs où le prix n’est pas le critère exclusif du choix. À l’export, le couple qualité-prix est essentiel.

Accompagner les entreprises au-devant de la demande mondiale, sans toutefois négliger le marché européen, qui représente une haute valeur ajoutée, est ma troisième priorité. Il convient à cette fin d’organiser les filières en familles horizontales. En effet, alors que le travail de M. Montebourg, ministre du redressement productif, vise à fédérer les filières sur le plan vertical, mon action, qui s’inscrit davantage dans le court terme, tend à regrouper l’offre commerciale de manière transversale. J’ai ainsi lancé, avec Guillaume Garot, le comité export Asie du Nord de l’agroalimentaire, qui regroupe toute la famille agroalimentaire, de la génétique aux produits transformés – « du champ à l’assiette », concept très opérationnel en Chine qui absorbera, d’ici à 2022, le tiers de la croissance du commerce agroalimentaire mondial, à savoir 30 milliards sur 100 milliards. Nous devons donc absolument être présents.

Ce comité est présidé par un chef d’entreprise – c’est une première –, à savoir le vice-président de Lactalis. Cette démarche horizontale permet de regrouper les petites entreprises comme les grands groupes, les jeunes pousses comme les entreprises en croissance ou les ETI, lesquelles nous font cruellement défaut. Au Salon Pollutec de Lyon, fin novembre, j’ai proposé aux entreprises qui peuvent se regrouper dans la famille « Ville durable » – transports collectifs, éco-industries, déchets, eau, efficacité énergétique – de travailler ensemble. Cela correspond à une demande internationale, tant turque que chinoise – c’est un des enjeux du douzième plan chinois.

Je tiens à rappeler que le FASEP (Fonds d’étude et d’aide au secteur privé) est un fonds destiné à la conception des projets : si la conception d’un projet est française, la technologie et le savoir-faire français ont effet le plus de chances de prendre le relais. Le Gouvernement s’est engagé, lors de la conférence environnementale du mois de septembre, à ce qu’il y ait au moins un démonstrateur de la ville durable en France ; 2,5 milliards d’euros du grand emprunt commencent à y être affectés. J’ai d’ailleurs découvert que la ville de Lyon accueillera un démonstrateur japonais : c’est dommage, car l’offre française est bien meilleure que celle de ses concurrents, mais les Japonais ont un temps d’avance dans l’opérationnel.

De même, en matière de sécurité numérique, la compétence française est extraordinaire. Elle est bien supérieure à la compétence allemande, notamment dans le domaine de l’intelligence embarquée. Je m’appuie beaucoup sur les pôles de compétitivité, car c’est une offre groupée territoriale qui peut se projeter à l’étranger. Chacun de mes déplacements est consacré à une famille économique.

Le commerce extérieur français en 2011 – j’aurai les chiffres de 2012 le 7 février prochain – représente 430 milliards d’euros, dont 30 milliards pour les grands contrats. S’agissant du nucléaire (lequel fait partie des grands contrats, notamment avec l’aéronautique), je me suis déjà rendue non seulement en Chine, sur le chantier de l’EPR de Taishan, qui sera achevé en 2014, et en Turquie, mais aussi en Arabie Saoudite et en Pologne. Je me rendrai prochainement en Inde avec le Président de la République. Mais les grands contrats et le commerce courant, cela va ensemble.

Ubifrance a été chargée d’accompagner  mille PME et ETI dans le cadre du pacte national de compétitivité pour une période de trois ans. Il faut en effet savoir que sur dix entreprises qui exportent en année N, il n’en reste plus que trois en année N +3.

Les pays émergents exigent désormais des partenariats industriels. Nos entreprises doivent donc s’internationaliser autant qu’elles exportent en trouvant des partenaires locaux et parfois en s’implantant pour être au plus près du marché. Elles doivent développer des partenariats stratégiques de long terme, ce qui n’est pas contradictoire avec leur activité en France : l’installation d’une entreprise française à l’étranger rejaillit sur son activité nationale, ce qui se traduit en termes d’emploi. Certes, il convient d’accompagner les relocalisations, mais ce sont les entreprises elles-mêmes qui font leurs arbitrages économiques.

Reste la question des transferts de compétence (savoir-faire et technologies). Il faut les maîtriser et les encadrer, notamment dans le domaine nucléaire, qui est hautement stratégique.

Ma quatrième priorité est l’attractivité. Les entreprises étrangères implantées en France représentent deux millions de salariés et 42 % de nos exportations. En tant que centre de production industrielle, la France est le pays européen le plus attractif, mais elle est concurrencée par l’Allemagne et le Royaume-Uni. Nous devons donc garder notre première place. C’est pourquoi Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici et moi-même avons présenté au conseil des ministres du 9 janvier un plan visant à mieux accueillir les investisseurs, les étudiants et les chercheurs étrangers avec la mise en place d’un « passeport Talent ». En effet, si l’on accueille bien ces personnes en France, nous serons à notre tour mieux accueillis dans le pays où nous cherchons à faire un volume d’affaires.

Il faut également augmenter le nombre des volontaires internationaux en entreprises (VIE). Ubifrance s’occupe de leur sélection et les contrats sont portés par les régions comme par les grandes entreprises. Eurocopter a ainsi signé quarante-cinq contrats en 2012 et portera ce chiffre à soixante-cinq en 2013. Parfois, les grandes entreprises portent de tels contrats pour les plus petites de leurs filières. Chaque année, 47 000 demandes parviennent à Ubifrance qui en sélectionne 7 400. Le pacte de compétitivité prévoit de porter ce chiffre à 9 000 dans trois ans.

Il convient évidemment d’aplanir les obstacles au départ de ces jeunes, en termes de sécurité sociale et de complémentaire santé – j’ai alerté Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur le sujet –, sans oublier de lever les barrières douanières, notamment chinoises et brésiliennes – il appartient à nos ambassades de s’en occuper.

Ma cinquième et dernière priorité concerne la politique commerciale de l’Union européenne, notamment en termes de réciprocité, un concept qui n’est pas universellement partagé. L’ouverture des marchés européens à des pays tiers doit être réciproque. Nos alliés sont différents selon les secteurs. Pour la première fois, la France a obtenu que le mandat de négociation de la Commission européenne avec le Japon sur la baisse des droits de douane comprenne une clause de réciprocité. Quant aux barrières non tarifaires, les progrès existent également. Ainsi le Japon a-t-il décidé hier d’ouvrir de nouveau son marché à notre viande bovine, laquelle était interdite sur son sol depuis la crise de la vache folle. J’en attends autant s’agissant du secteur ferroviaire car le marché public japonais est très verrouillé, à la différence du secteur européen. Le dernier contrat signé avec le Japon par un groupe européen, en l’occurrence Siemens, date de 1999. Deux entreprises européennes sont actuellement sélectionnées. Je mène le combat pour la réciprocité en parcourant les capitales européennes. J’irai bientôt à Copenhague et retournerai prochainement à Berlin ; les Allemands sont les plus réticents au concept de réciprocité par peur des représailles.

Par ailleurs, des négociations importantes s’ouvriront bientôt avec les États-Unis, notamment en matière d’exception culturelle, d’indications géographiques ou de propriété intellectuelle, tous domaines où nos positions leur sont incompréhensibles. Je rappellerai que l’Europe est le premier marché mondial, suivi des États-Unis. S’il aboutit, cet accord, négocié par la Commission européenne, structurera le commerce mondial – d’où mon travail auprès de ladite Commission !

Ma conviction est que la France peut et doit trouver sa place dans la mondialisation. Elle le peut, car elle en a les potentialités, et elle le doit, car c’est nécessaire au retour de la croissance. En 2012, le commerce extérieur a contribué à la croissance à hauteur de 0,6 point.

Le Gouvernement est mobilisé dans son ensemble pour relever l’économie française. Ma partition est de porter nos entreprises à l’international et de les aider à y gagner toute leur place. Je m’y emploie.

M. le président François Brottes. Madame la ministre, sans dénoncer les pôles de compétitivité, je tiens toutefois à regretter que les technostructures que nous avons inventées se mettent parfois à définir des stratégies exclusives alors que la réactivité doit être l’élément dominant dans la relation à l’international. Il n’est pas normal qu’une entreprise s’entende expliquer que son marché ne correspond pas à la stratégie définie par le pôle ! Les pôles de compétitivité doivent savoir conjuguer stratégie et compétitivité.

M. Fabrice Verdier. Même s’il faut se tourner vers l’avenir, comment ne pas regretter dix années de décrochage continu du commerce extérieur français ? Les parts de marché des exportations françaises dans le commerce international ont reculé de 33 % depuis 2000 en passant de 5 % à 3 %. Ce recul s’est traduit par une diminution nette du nombre de TPE et de PME exportatrices. Il aura fallu attendre l’élection du Président de la République actuel pour que soit conduite enfin une vraie politique du commerce extérieur, avec un ministère spécifique. MM. Jean-Christophe Fromantin et Patrice Prat sont chargés, dans le cadre du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, d’un rapport d’évaluation sur le soutien public aux exportations.

Madame la ministre, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je tiens à saluer votre politique, qui marque le retour d’une stratégie après des années d’inertie, voir de défaitisme. Le Premier ministre a fixé un cap ambitieux, mais accessible : le retour à l’équilibre commercial hors énergie avant la fin du quinquennat. Alors que beaucoup ont agité l’étendard de la compétitivité sans agir sur le fond des choses, nous soutenons le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, qui fait de l’exportation une priorité, ce qui permettra de donner des marges de manœuvre aux entreprises.

Vous avez rappelé les quatre grands axes (« mieux se nourrir », « mieux se soigner », « mieux vivre en ville » et « mieux communiquer ») sur lesquels la France portera son action en vue d’accéder aux pays prometteurs qui concentrent 80 % des importations dans le monde. Votre projet pour l’exportation française est donc global.

Nous partageons votre volonté de refondre les dispositifs d’aide existant en inversant les méthodes habituelles proposées par Ubifrance : vous lui avez en effet demandé, dans le cadre de la BPI, de proposer à  mille entreprises un dispositif personnalisé à l’export. Vous avez également insisté sur votre volonté de rationaliser le dispositif de soutien financier à l’export. En effet, de trop nombreuses entreprises se plaignent encore du maquis réglementaire qu’elles doivent traverser avant d’accéder aux aides, ce qui entraîne une perte de temps considérable.

Vous souhaitez également porter un regard plus approfondi sur les entreprises prometteuses, en mettant en place un véritable partenariat État-région.

Nous nous félicitons par ailleurs de votre volonté de soutenir davantage encore les exportations agroalimentaires, un des fleurons de notre économie. Un leader ne doit pas s’endormir ; il doit continuer à se battre et anticiper les nouvelles concurrences, d’autant que l’agriculture française devra bientôt affronter le renouvellement de la politique agricole commune.

Vous souhaitez également rendre plus rationnel le mandat donné à l’Union européenne pour négocier la politique commerciale en faisant notamment émerger la notion de réciprocité à laquelle la Commission des affaires économiques est très attachée.

Je tiens à rappeler que la France possède un tissu d’entreprises très diversifiées, le nombre des très petites entreprises françaises étant supérieur à celui de l’Allemagne. Toutefois, si la majorité du tissu exportateur français est composé de PME indépendantes, leur part dans le chiffre d’affaires de l’export est minime : les  mille premières entreprises exportatrices concentrent près de 70 % du chiffre d’affaires. En 2009, les entreprises de groupes français ne représentaient que 6 % de l’appareil exportateur français, mais réalisaient 41 % de son chiffre d’affaires. A contrario, les entreprises étrangères installées en France qui représentaient 13 % de l’appareil productif assuraient 43 % du chiffre d’affaires à l’export. De plus, le taux de disparition des entreprises exportatrices se concentre sur les PME indépendantes primo-exportatrices. Il faut d’autant plus accompagner leur développement et assurer leur pérennité qu’en raison de leur potentiel d’innovation elles seront, à l’export, les fleurons de demain.

Un autre axe est le partenariat avec les régions, lesquelles, pour la plupart, ont prévu des dispositifs d’aide à l’exportation. Je citerai Sud de France Développement, l’opérateur à l’export de la région Languedoc-Roussillon, dont je suis le président en tant que conseiller régional. Le contexte économique impose, aux yeux des élus comme des entreprises, de rationaliser les dépenses. Les réponses nationales paraissent souvent en décalage par rapport au potentiel et aux attentes des acteurs économiques régionaux. La démultiplication des offres, des outils et des dispositifs d’appui à l’international ne permet pas toujours de s’adapter aux spécificités des acteurs économiques de ces territoires. La mise en concurrence des offres nationales avec des stratégies et des dispositifs régionaux apparaît souvent comme contre-productive. La relation avec les opérateurs nationaux principaux (Ubifrance et la Sopexa) est vécue comme une relation client-fournisseur. Est-il envisageable de faire des régions volontaires des chefs de file à l’export, en lien avec les opérateurs nationaux et l’ensemble des acteurs concernés (les entreprises et les chambres consulaires) ?

Comment, enfin, mieux développer le potentiel des entreprises à l’export et mieux coordonner les différentes actions afin de les adapter à la spécificité des entreprises et de leur territoire ?

Mme Anne Grommerch. Madame la ministre, comment ne pas comparer l’excédent du commerce extérieur allemand, reparti à la hausse, au déficit français, qui reste très important ?

Je trouve regrettable que notre collègue socialiste ait accusé le précédent gouvernement d’avoir volontairement plombé le commerce extérieur français. Arrêtons de nous livrer à des caricatures et de faire de la politique politicienne ! Réfléchissons plutôt à des solutions concrètes, conformes à l’intérêt général.

L’accompagnement à l’export des PME-PMI, lesquelles se sentent insuffisamment soutenues par les grands groupes, est un facteur essentiel de leur succès. La "chasse en meute", que savent pratiquer les Allemands, n’appartient malheureusement pas à notre culture économique. Quelles mesures prévoyez-vous d’adopter pour inciter les grands groupes exportateurs français à prendre sous leur aile leurs sous-traitants français, afin de les aider à pénétrer à leur tour le marché international ?

Je tiens à évoquer un sujet que vous connaissez bien puisque j’ai essayé à plusieurs reprises de m’en entretenir avec vous. Il s’agit d’un projet sino-européen destiné à s’installer dans le nord-Mosellan, Terra Lorraine ITEC, qui est soutenu par des investisseurs européens. Un bâtiment de 240 000 mètres carrés doit être construit au cours de la première phase avant d’être loué à  deux mille entreprises chinoises pour faire du B to B. Ce centre, qui permettra de créer au bas mot  trois mille emplois de droit français, verra la création de centres miroirs en Chine à destination des entreprises françaises et européennes, qui pourront ainsi se développer à l’exportation. Or, vous n’avez pas répondu aux chambres de commerce départementales et régionales, ni à la Fédération du bâtiment régionale et départementale, qui vous ont contactée à ce sujet. Pourquoi, alors que tous les professionnels espèrent un soutien de l’État, celui-ci ne vient-il pas ? Le 21 janvier, lors de votre visite en Chine, mal informée sur le projet, vous avez même déclaré que la France n’avait pas besoin d’une plateforme logistique chinoise, alors qu’il ne s’agit pas de cela ! Il serait temps que le Gouvernement accompagne un projet situé à proximité d’Arcelor-Mittal Florange. Quelle serait, sinon, la cohérence gouvernementale entre les propos et les actes ?

M. André Chassaigne. Madame la ministre, vous avez fort justement insisté sur l’exigence d’un dynamisme commercial et industriel. Ne conviendrait-il pas d’approfondir la politique de crédits accordés aux entreprises en vue de fortifier les investissements productifs ? Certes, la BPI pourra intervenir, mais il faut conforter les politiques d’exportation, d’innovation et de formation. Le levier financier est très important.

Nous avons beaucoup entendu parler de démondialisation lors des primaires socialistes. Si l’approche protectionniste est insuffisante – élever des murs aux frontières ne permettra pas de résoudre les problèmes liés aux échanges commerciaux, chacun le sait –, en revanche, il convient de favoriser le concept de réciprocité non seulement entre l’Europe et des pays tiers, mais également au sein de l’Union européenne elle-même. Où en sommes-nous dans l’aplanissement des obstacles ? Pensez-vous par ailleurs qu’il soit possible de prendre davantage en compte les critères sociaux et environnementaux ?

Chacun sait aussi que l’euro fort est un obstacle à la compétitivité : faudrait-il imiter les États-Unis et le Japon en faisant travailler la planche à billets ?

Qu’en est-il également en matière de convergence et de guichets uniques entre les différents acteurs à l’export, dont l’éparpillement est préjudiciable ? Les gouvernements précédents ont mené des tentatives en la matière. Où en sommes-nous ?

Par ailleurs, la synergie avec les grands groupes est insuffisante, y compris au sein des pôles de compétitivité qui ne remplissent pas toujours leur fonction en direction des petites et moyennes entreprises. Ces pôles semblent faits pour drainer les forces vives vers les grands groupes et non pas pour irriguer l’économie d’un territoire. Cette question doit être prise à bras-le-corps.

Enfin, la COFACE, dont les capitaux sont aujourd’hui essentiellement privés, ne remplit plus son rôle. De plus en plus de PME sont obligées de s’autofinancer à l’exportation alors que la COFACE est censée couvrir les risques que ces entreprises prennent pour exporter.

Mme Michèle Bonneton. Madame la ministre, il nous paraît essentiel d’intégrer dans les échanges internationaux les externalités, en particulier celles qui sont liées aux émissions de gaz à effet de serre et à l’environnement, ainsi que la nature du développement induit par ces échanges pour les populations concernées. Il est donc nécessaire de prévoir des politiques différenciées selon les secteurs et, dans le cadre de la conversion écologique de l’économie, de rapprocher les lieux de production et de consommation et de créer des activités de réparation et de recyclage.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas que les innovations liées à la lutte contre le changement climatique par l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables et la mise au point de nouveaux procédés industriels moins consommateurs en matières premières pourraient permettre à l’Europe d’être pionnière et donc d’exporter ? Des actions sont-elles menées en ce sens ?

Pour soutenir nos entreprises dans leurs échanges commerciaux au sein de l’Union européenne, n’est-il pas urgent d’aller vers une harmonisation fiscale, sociale et environnementale ?

Par ailleurs, des normes et des taxes sont-elles envisagées aux frontières de l’Union européenne, entre autres une taxe carbone ? Quelle réciprocité est prévue ?

Le niveau de l’euro par rapport au dollar et au yuan est sans aucun doute pénalisant pour nos exportations. La modification de la parité est-elle envisageable ?

Quelles actions mener pour inciter l’Europe à développer une stratégie en matière économique, visant à soutenir tant nos entreprises que le commerce international ?

L’accord de libre-échange avec le Canada sera-t-il effectif en février 2013 ? D’autres accords sont en cours de négociation avec la Colombie, le Pérou et l’Amérique centrale. Au Parlement européen, les députés écologistes se sont déclarés, en décembre 2012, opposés à l’adoption de ces accords, qui sont déséquilibrés et qui comportent de nombreuses failles en matière de protection de l’environnement et de respect des populations. Si ces accords paraissent très bénéfiques aux entreprises européennes dans la mesure où ils leur ouvrent l’accès aux télécommunications, à l’eau, à l’énergie ou encore aux marchés publics, en revanche ils sont loin de participer à l’amélioration de la condition des populations locales. Au plan environnemental, ils ouvrent la voie à la course aux matières premières et au développement des extractions minières, avec des conséquences lourdes pour les populations en termes de pollution et de spoliation des terres. Ces accords réduisent également la marge de manœuvre politique dont disposeront les pays de l’Amérique centrale pour élaborer leur propre politique économique de développement. De plus, la société civile n’a pas été associée à la négociation. Ces accords privilégient donc la protection des droits des investisseurs étrangers au détriment des droits humains et sociaux des populations et du développement local.

Quand l’Assemblée nationale sera-t-elle saisie de la ratification de ces accords ? Quelle sera la position du Gouvernement français ? Quelles garanties pouvons-nous demander pour éviter tout phénomène de biopiraterie, laquelle déposséderait les peuples autochtones de leurs savoirs et de leurs cultures traditionnelles ?

Pouvez-vous nous enfin préciser la stratégie française en matière de promotion du nucléaire à l’exportation ? Où en est la vente d’un réacteur EPR à la Chine ? Quel transfert de technologie est prévu ? Celui-ci étant à haut risque, comment le limiter ?

M. président François Brottes. Je tiens également à faire observer que, toutes les semaines, nous perdons la bataille des normes au sein de l’Union européenne.

Mme la ministre. Jacques Chirac a eu raison de créer les pôles de compétitivité car ils ont permis de mettre en relations des secteurs qui jusqu’alors s’ignoraient. Il est vrai que les pôles de compétitivité – il en existe soixante et onze – sont loin d’être tous aussi efficaces à passer de la phase de la recherche à celle de l’innovation, puis à celle du développement économique et commercial. Ils permettent toutefois de fédérer des entreprises et des centres de toutes tailles en vue de conforter leur capacité de projection sur le territoire et à l’étranger. Je m’appuie sur l’existant pour promouvoir le commerce international.

S’agissant des normes, il est vrai que notre capacité d’influence est trop faible en Europe comme au plan mondial. C’est pourquoi j’ai confié une mission sur le développement de l’influence française en matière de normes à Mme Claude Revel. Nous n’occupons pas une place suffisante dans l’élaboration de celles-ci. Mme Revel me rendra son rapport demain. Il sera publié sur le site du ministère du commerce extérieur et je ferai une conférence de presse pour en rendre publique la synthèse que je vous adresserai.

M. le président François Brottes. La Commission des affaires économiques pourra-t-elle auditionner Mme Claude Revel ?

Mme la ministre. Évidemment. C’est un vrai sujet. Il convient de revoir toute notre stratégie d’influence. Nous avons, il est vrai, remporté de vrais succès, comme sur les normes internationales ISO. Les grands groupes, qui ont de l’expérience, devraient jouer un rôle plus important en la matière. Le tout est d’être là au bon moment ! Il en est de même des domaines bancaires et financiers, dans lesquels la France se laisse imposer des normes par les Anglo-saxons qui les définissent mais ne se les appliquent pas !

Monsieur Verdier, madame Grommerch, je ne mets pas en doute la bonne volonté de mes prédécesseurs, qui ont fait de bonnes choses, et de moins bonnes, mais ils ont péché par manque de vision stratégique globale – le déficit historique de 2011, qui s’est élevé en réalité non pas à 73 milliards mais à quelque 90 milliards, a servi d’électrochoc. C’est pourquoi je suis ministre de plein exercice. Il est vrai que, le marché s’étant développé en raison de l’arrivée des pays émergents, en volume, la part du commerce extérieur dans le déficit demeure la même. Il n’en reste pas moins que nous reculons.

Dans les années 1960, l’État a eu la volonté politique d’aider financièrement la transformation de PME en champions mondiaux : ce fut une réussite puisque les groupes du CAC 40 sont tous devenus des groupes internationaux, ce qui les a, du reste, éloignés du territoire national. Nous devrions tous avoir aujourd’hui pour ambition de permettre à des entreprises de taille intermédiaire de plus en plus nombreuses de percer le plafond de verre, afin qu’elles deviennent de grands groupes internationaux. C’est la volonté du Gouvernement : dans dix ou vingt ans, de grands groupes nouveaux devront prendre la relève de ceux que nous avons su créer dans les années 1960 et 1970. Tous les grands groupes internationalisés doivent rendre ce qu’ils ont reçu de la puissance publique en aidant à leur tour des entreprises plus modestes de leur filière à grandir pour accéder à l’international.

Jamais je n’oppose les grands aux petits parce que j’ai besoin à la fois des navires amiraux et de la flotte. Mes prédécesseurs ont signé trop de chartes inefficaces : c’est pourquoi je veux faire un bilan des bonnes pratiques en vue de les consolider. Je cite un exemple. J’ai accompagné il y a quelques semaines le Premier ministre à Singapour où nous avons visité le chantier d’un des plus grands complexes sportifs au monde. C’est parce que Bouygues, qui en est le maître d’œuvre, a emmené avec lui Delta Dore, une ETI, que cette entreprise a pu remporter le marché dans sa spécialité (le chaud et le froid) et pourra ensuite se développer sur d’autres marchés internationaux.

Voici d’autres exemples. J’ai rencontré récemment en Bretagne une ETI qui s’apprête à construire la plus grosse unité de production de yaourts du monde aux États-Unis, après y avoir été introduite par Danone. En Chine, la semaine dernière, sur le site de l’EPR de Taishan, j’ai réuni les grands du nucléaire (Areva, Alstom, EDF) avec les représentants d’un groupement de quatre-vingt-cinq PME, dotées d’un savoir-faire exceptionnel en robinetterie ou mécanique et mobilisées sur ce chantier immense. Portées sur ce chantier par Areva et EDF, elles peuvent désormais développer leur activité dans d’autres secteurs que le nucléaire. Hier, j’ai rencontré Eurocopter qui porte au Mexique deux entreprises qui y feront à leur tour des affaires. Voilà quelques exemples de bonnes pratiques  ; il y en a aussi dans la filière pétrolière. Il faut éviter les querelles qui nuisent à la fédération des entreprises françaises et inciter les grands groupes à adopter de bonnes pratiques. Je rencontre actuellement la grande distribution alimentaire présente dans le monde entier (Auchan, Casino ou Carrefour) pour connaître leur action en la matière. J’ai également rencontré le président du Cercle de l’industrie, qui fédère toutes les industries françaises. Je diffuserai le bilan des bonnes pratiques.

J’ai dit très tôt, monsieur Verdier, que les régions devaient être les pilotes de l’export. Elles ont des fonds, et souvent des agences régionales de développement et d’innovation ; elles connaissent le tissu productif. Je leur ai demandé d’élaborer des schémas régionaux de développement économique et d’innovation, qui peuvent être complétés par un volet export, ce qui est souvent le cas. Elles ont pris l’engagement de s’intégrer dans une stratégie nationale le 12 septembre, à l’Élysée. À elles de s’organiser comme elles le souhaitent : l’essentiel est que cela fonctionne. Les pratiques varient d’ailleurs selon les régions. La Bretagne a choisi de fusionner en une seule association, Bretagne commerce international, l’association Bretagne international, pilotée par la région, et le service international des chambres de commerce et d’industrie (CCI) bretonnes. Dans le Nord-Pas-de-Calais, les services d’Ubifrance, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRRECTE) et de la CCI ont été regroupés dans les mêmes locaux. La région Pays de la Loire a confié le pilotage dans ce domaine aux chambres de commerce. En Provence Alpes Côte d’Azur, où je me suis rendue hier, c’est encore une autre solution qui a pour l’instant été choisie. La régionalisation des CCI n’a en effet pas été aussi aisée partout. Quoi qu’il en soit, ce sont les régions qui fédèrent l’effort. La complémentarité des acteurs doit prendre le pas sur la concurrence, éprouvante sur le territoire, mais surtout catastrophique à l’étranger…

Vous avez évoqué le projet Terra Lorraine, madame Grommerch. Si nous n’avons pas pu nous rencontrer, je tiens à préciser que je n’ai jamais été sollicitée par les élus. Je ne vois d’ailleurs pas en quoi l’État pourrait soutenir ce projet qui est une démarche portée par le département. J’ai eu l’occasion d’échanger avec M. Passerieux, le président de Terra Lorraine, à l’ambassade de France en Chine. Je lui ai tenu le même langage que celui que je vous tiens aujourd’hui : ce qui m’intéresse, c’est de savoir qui sont les investisseurs, ce que j’ignore, et quel est leur projet, ce que j’ignore également. Pierre Moscovici s’est rendu en Chine quinze jours avant moi. J’y suis allée la semaine dernière pour défendre l’attractivité de notre pays. Un très grand groupe chinois, Synutra, a décidé d’investir cent millions d’euros et de créer cent soixante emplois dans une usine de production de lait en poudre en Bretagne. Je suis preneuse de ce projet : je sais que le groupe s’implante là parce que notre pays jouit d’une réputation en termes de références sanitaires, et parce qu’un problème sur le lait en poudre a défrayé la chronique en Chine, jusqu’à faire des émeutes dans les campagnes. Je sais que ce groupe a un projet industriel, et je sais ce qu’il apporte. J’en parle d’autant plus à mon aise que je ne suis pas décisionnaire dans cette affaire. Mon rôle est d’encourager nos partenaires chinois à venir en France. J’ai ainsi rencontré lors de mon voyage le plus grand groupe agroalimentaire chinois, Cofco, dont l’activité va du champ à l’assiette. Les entreprises de l’agroalimentaire qui m’accompagnaient – grandes et petites, allant du secteur de la génétique à celui de la charcuterie – ont pu présenter leurs offres. Je sais que cela débouchera sur des investissements croisés. Ce sont ces partenariats industriels et commerciaux qui m’intéressent, étant entendu qu’il existe des domaines stratégiques, dont je parlerai tout à l’heure à propos du nucléaire.

Vous avez évoqué le problème de la réciprocité, monsieur Chassaigne. Vous savez que, depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen doit donner son avis sur les politiques commerciales de l’Union, ce qui représente une grande avancée. Deux outils sont aujourd’hui à notre disposition. Le premier est le règlement sur la réciprocité dans l’accès aux marchés publics des pays tiers. La Commission a proposé un projet de règlement. Des rapporteurs ont été désignés et le Parlement européen a donné son avis, mais nous nous heurtons aujourd’hui à un blocage des États, en particulier de l’Allemagne. Avec le ministre des affaires européennes, je m’efforce cependant de convaincre nos partenaires de donner suite à deux déclarations du Conseil européen invitant les États à examiner au plus vite ce projet de règlement. Hélas, nous n’avançons guère : seule une petite dizaine d’États y sont aujourd’hui favorables. L’Allemagne continue de faire barrage, par peur de représailles. L’Union européenne est pourtant la principale force de marché. Il faut se servir de cette force commerciale pour aller de l’avant. Il ne s’agit pas de faire valoir des intérêts défensifs : le règlement pose le principe de l’ouverture, mais il prévoit aussi des mécanismes de sauvegarde.

Le deuxième outil est une directive, qui doit revenir devant le Parlement européen en avril. Le Conseil compétitivité, où siège Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, a le pouvoir de faire revenir par la fenêtre de cette directive ce qui n’a pu entrer par la porte du projet de règlement. Si nous ne parvenons pas à avancer sur ces deux outils démocratiques, le sujet devra être abordé lors du prochain Conseil européen, qui débattra des perspectives financières, surtout, mais aussi de la politique commerciale, fin février. Il devra de toute façon faire l’objet d’un débat lors de la campagne pour les élections européennes de 2014.

Vous avez évoqué l’éparpillement des acteurs du commerce extérieur. Je souhaite les fédérer, à la fois sur notre territoire et à l’étranger. Peut-être faut-il encourager la stimulation, mais certainement pas la concurrence. J’observe en effet que nos partenaires savent très bien se fédérer. Bien sûr, les Français ne seront jamais des Allemands. J’estime d’ailleurs que le modèle allemand, tant vanté de ce côté-ci du Rhin, doit être pris « en pièces détachées ». La principale vertu de l’Allemagne tient selon moi à sa capacité à établir un dialogue social qui permet à tous d’aller de l’avant.

Vous avez longuement parlé de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), madame Bonneton. C’est une préoccupation qui me tient à cœur. En matière de réciprocité et d’accords de libre-échange, la France a fixé des critères lors du conseil des ministres du 12 septembre dernier. Parmi ceux-ci figure la haute qualité environnementale (HQE). Il importe d’être très exigeant en ce domaine dans les accords de libre-échange. Le haut niveau de qualité environnementale de l’Europe est parfois vécu comme une entrave, mais c’est en réalité un moteur. La Banque mondiale est d’ailleurs en train d’introduire ce type de critères dans les marchés publics qu’elle passe. C’est donc un mouvement général qu’il nous faut suivre, y compris dans les accords de libre-échange que nous signons et les mandats de négociation que nous donnons à la Commission européenne. Selon les lettres de cadrage pour la transition écologique que le Premier ministre a adressées à tous les ministres, le volet RSE doit être développé dans toutes les politiques, donc dans la politique commerciale pour ce qui me concerne. Nous devrons lui faire des propositions en ce sens.

J’ai parlé de l’efficacité énergétique, notamment au travers du concept de « ville durable » et de la famille « mieux vivre en ville ». Ces atouts nous permettraient de contrer habilement, dans certains pays, des offres moins-disantes, qui plus est présentées par des entreprises qui ne sont pas soumises à la réglementation européenne sur les aides d’État. Autant éviter que notre aide au développement serve à financer des marchés au profit d’autres entreprises que les nôtres !

Vous avez également évoqué la taxe aux frontières. Celle-ci ne peut s’envisager qu’aux frontières de l’Union européenne. Comme en matière de réciprocité, il est donc nécessaire de trouver des alliés. C’est une démarche qui me paraît préférable à l’art déclamatoire que nous autres Français privilégions trop souvent…

La Commission nous a par ailleurs informés le 29 novembre, lors du dernier conseil des ministres du commerce extérieur, que la signature de l’accord de libre-échange avec le Canada était repoussée. Des réunions importantes ont lieu cette semaine. Deux points litigieux subsistent : l’exception culturelle et les contingents agricoles pour le bœuf et le porc. Or cet accord aura valeur de précédent dans la négociation qui va s’ouvrir avec les États-Unis. À ce sujet, je vous informe que je lance la consultation des entreprises et du monde économique sur internet – comme je l’avais fait pour l’accord avec le Japon – cette semaine. Vous l’aurez compris : il est important que la Commission européenne négocie au mieux cet accord avec le Canada.

Vous avez évoqué les cas de la Colombie et du Pérou. La France a demandé que des garanties sérieuses soient apportées en matière de droits de l’homme. Une clause permet donc de suspendre l’accord en cas de violation grave de ces derniers. La Commission européenne a suivi le mandat que nous lui avions donné ; le Parlement européen a demandé et obtenu une feuille de route, et il a donné son accord. Je me suis rendue en Colombie en décembre. Grâce au renforcement de nos relations commerciales et aux évolutions positives de la feuille de route, nous avons là un nouveau marché potentiel. La Colombie fait d’ailleurs partie des quarante-sept pays prioritaires que nous avons identifiés. Elle s’ouvre, souhaite intégrer les standards européens et entrer dans l’OCDE, et se dote aujourd’hui d’un système fiscal avec l’appui technique de la France. Il ne faut certes pas se dissimuler ses difficultés, mais la volonté de les surmonter est là. Mieux vaut donc encourager ces pays que leur refuser un accord de libre-échange.

J’en viens à l’EPR en Chine et aux transferts de technologie. Nous n’avons pas construit de réacteur en France depuis une quinzaine d’années. Perdre le savoir-faire, c’est aussi perdre des compétences, puisque la génération qui part ne les transmet pas. Or la Chine – qui a aussi, soit dit en passant, de grandes ambitions dans le domaine des énergies renouvelables – souhaite se doter d’un réacteur EPR de grande puissance, qui correspond particulièrement bien à ses besoins. Le fait que les Chinois, formés par les Français, aient gardé la compétence fait que ce chantier pourra être mené à bien en temps utile. Ce sera donc la première vitrine de l’EPR, avant le chantier français – et ce dans les enveloppes financières prévues. Cela témoigne, indépendamment du débat sur l’énergie nucléaire et du nouveau mix énergétique défini par le Président de la République, de l’excellence française en la matière.

S’agissant des transferts de technologie, le conseil de politique nucléaire réuni par le Président de la République a décidé d’en dresser un bilan sur les dix dernières années. Celui-ci a été confié à l’Inspection générale des finances (IGF) par le Premier ministre. Il existe bien sûr des transferts de technologie. Mais dans un secteur aussi stratégique que le nucléaire, ils doivent être encadrés par la puissance publique. C’est le cas : l’État a par exemple été informé de l’accord conclu en octobre entre Areva, EDF et CGNPC. Il s’agit maintenant de savoir quel partenariat industriel nous allons développer avec la Chine. C’est la question que j’ai posée aux autorités chinoises. Pour l’instant, je n’ai pas la réponse. J’espère qu’elle sera apportée au Président de la République lors de son voyage en Chine au printemps. Nous fêtons cette année le trentième anniversaire de la coopération nucléaire entre la France et la Chine. Ce qui nous importe, c’est de savoir ce qui se passera après l’EPR, et ce qu’il adviendra de cet accord entre entreprises.

J’en viens à la monnaie, sur laquelle m’interrogeait encore hier une PME innovante dans le domaine de la sécurité numérique. Je commence toujours, en pareil cas, par m’enquérir des concurrents de l’entreprise. S’il s’agit des Allemands, la monnaie n’est pas en cause : ils ont la même que nous ! Et nous réalisons 60 % de nos exportations à l’intérieur de l’Union européenne, dont 50 % vers la zone euro.

Certes, le taux de change entre l’euro et le dollar, qui s’établit aujourd’hui à 1,35, ne nous est pas favorable, mais il a baissé par rapport à 2008 – il était alors à 1,50. Cela ne suffit bien sûr pas à régler le problème. La meilleure réponse que les entreprises peuvent apporter à cette situation est la montée en gamme, l’amélioration de la qualité et le service après-vente. Ce sont les trois points sur lesquels nous avons des marges de progrès, pour des raisons bien connues : les entreprises n’ont pas de marges pour investir. Les 20 milliards du CICE constitueront à cet égard une bouffée d’oxygène, puisqu’elles pourront inscrire le crédit d’impôt dans leurs comptes dès 2013. À elles ensuite de jouer le jeu, car le ressort de la croissance est bien l’investissement. C’est tout le sens du Pacte de compétitivité.

Dans le cas d’une entreprise comme Airbus, la parité entre l’euro et le dollar est un réel problème. L’entreprise a donc implanté une chaîne de production aux États-Unis. C’est une réponse que peut se permettre une grande entreprise. Mais si les équipementiers de rang 1 suivront, sera-ce le cas des équipementiers de rang 2 ? C’est une question qui mérite d’être posée, et que l’État ne doit pas hésiter à aborder dans les entreprises où il est actionnaire.

M. Alain Marc. Je poserai d’abord la question de la lisibilité des dispositifs technocratiques auxquels peut s’adresser une entreprise qui cherche à exporter. Faut-il aller vers un guichet unique, comme le propose André Chassaigne ? Quel rôle jouent par ailleurs les conseillers économiques des ambassades dans les dispositifs que vous mettez en place ?

Enfin, êtes-vous prête à venir chaque année nous présenter une évaluation chiffrée des dispositifs que nous allons mettre en œuvre en faveur de l’exportation ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Je souhaite attirer votre attention sur les travailleurs indépendants. Je pense en particulier aux viticulteurs engagés dans des démarches de commercialisation dans des secteurs dits de niche, qui se trouvent confrontés, parfois au sein même de l’Union européenne, à des difficultés administratives. Comment fluidifier ce marché ?

Mme la ministre. La BPI sera un guichet unique, monsieur Marc. Certaines régions s’organisent même – et je les y encourage – pour présenter une offre complète en front office. La BPI sera un lieu d’accueil qui sera doté de développeurs à l’international. Il faut mettre fin à la concurrence entre les produits de financement export de la COFACE et d’OSEO, et rationaliser le dispositif : il suffit d’avoir un produit pour les PME qui exportent pour la première fois et un produit pour les fonds de roulement. Je rappelle à cet égard que 500 millions d’euros ont été débloqués pour soutenir la trésorerie des PME et des TPE via OSEO. Il faut que les entreprises aient des fonds propres : ce sera le travail du Fonds stratégique d’investissement (FSI), qui sera intégré à la BPI, et de CDC Entreprises. Bref, il y aura bien un guichet unique, qui va être régionalisé, au travers de la BPI.

Les services régaliens des ambassades dépendent de la direction générale du Trésor, et non de l’ambassadeur. La dévolution qui a été mise en œuvre en 2008 est la suivante : à Ubifrance la responsabilité des PME et des PMI, et l’accompagnement des entreprises, aux services régaliens celle des grands contrats et des démarches d’aide à l’implantation, qui englobent la lutte contre les obstacles administratifs. Les visas constituent à cet égard un vrai souci : nos consulats n’en délivrent pas assez pour que les hommes d’affaires étrangers se rendent en France, et, de l’autre côté, nous n’en obtenons pas assez pour renforcer la présence française à l’étranger. C’est aussi le travail des services régaliens et de l’ambassadeur de lutter contre ces barrières non tarifaires. Un pays qui réduit ses droits de douane peut se protéger d’une autre manière en relevant le taux de sa TVA de 50 % sur certains produits importés. C’est ce qu’a fait la Corée pour la maroquinerie.

Vous aurez des évaluations chiffrées des dispositifs que nous allons mettre en œuvre en faveur de l’exportation, puisque les chiffres du commerce extérieur sont publiés tous les mois. Ils constituent un bon indicateur de nos performances économiques. C’est bien volontiers que je reviendrai l’an prochain vous les présenter.

Le secteur des vins et spiritueux marche très bien dans certains pays, madame Fabre. C’est même l’arbre qui cache la forêt, puisque nous perdons des parts de marché dans le secteur agroalimentaire, faute de structuration de nos filières. Vous avez bien sûr parlé de votre région. Nous détenons parfois une telle part de marché que la filière viticole peut devenir un otage. C’est particulièrement vrai dans certains grands pays d’Asie. Lorsqu’on est mécontent, il faut le dire – de manière appropriée, c’est-à-dire à travers un dialogue franc et direct avec les autorités, et non par des déclamations qui ne servent à rien. La balance commerciale est trop déséquilibrée avec ces pays. Ils doivent comprendre qu’en tant que puissances en devenir, ils ont une responsabilité vis-à-vis du reste du monde. Lorsque je retournerai dans ce grand pays, j’organiserai, comme j’aime à le faire, un forum économique où les entreprises pourront se parler directement. C’est très efficace.

Quant aux pays européens, ils ne sont pas toujours les derniers à faire du protectionnisme sans le dire…

M. Philippe Armand Martin. La filière viticole contribue de manière positive à la balance commerciale. Les petites entreprises ont néanmoins de grandes difficultés à exporter en Europe et dans les pays lointains. En ce qui concerne l’Europe, vous avez évoqué la nécessité de chercher des alliés. Je pense qu’il faut s’appuyer sur les autres pays producteurs face aux pays du Nord, qui imposent des droits d’accès pour nous empêcher d’exporter. Nous devrions pouvoir trouver une solution sur ce dossier.

Dans les pays lointains, ce sont principalement à des problèmes administratifs que se heurtent nos petites entreprises. Il faut donc s’appuyer sur des partenaires locaux. C’est ce que j’ai fait avec votre prédécesseur, en ouvrant à Pékin un centre culturel du vin. Comptez-vous prendre d’autres initiatives de ce genre ? Il est important d’aller assez vite, car les Chinois commencent à produire du vin et sont demandeurs de vins européens.

Mme Frédérique Massat. Vous avez évoqué le nucléaire et les transferts de savoir-faire – dont nous pouvons nous féliciter – en matière non seulement de construction d’EPR, mais aussi de techniques de démantèlement. Je souhaite pour ma part vous interroger sur la promotion à l’export de notre savoir-faire en matière de production d’énergies renouvelables. Nous bénéficions d’une reconnaissance dans ce secteur. Comment votre ministère agit-il pour promouvoir ce savoir-faire ?

J’aimerais également évoquer le secteur de la cybersécurité, qui affiche une croissance de 10 % par an, tant à l’intérieur de notre pays, avec un chiffre d’affaires de cinq milliards d’euros par an, qu’à l’export. Là aussi, le « made in France » est reconnu. Cherchez-vous à le promouvoir ?

Enfin, vous nous avez dit que les entreprises devaient s’implanter en « co-localisation ». Pouvez-vous expliciter ce terme ?

Mme la ministre. S’agissant de la politique tarifaire viticole, je dois tout de même rappeler que la loi de finances de 2013 a relevé le niveau des taxes sur la bière. Pourquoi nos partenaires ne le feraient-ils pas pour le vin ? C’est ce que l’on appelle des intérêts défensifs. Bien entendu, il ne faut pas se priver de développer également des intérêts offensifs – c’est tout l’art de la politique commerciale.

Il existe des organisations professionnelles qui regroupent les viticulteurs. Je veille moi-même à les aider. J’ai ainsi emmené en Chine un petit producteur de Bourgogne. Partant du principe que les grandes savent faire seules, j’emmène des petites entreprises dans chacun de mes déplacements. Je dois cependant vous dire que les Chinois n’aiment pas le champagne, monsieur Martin, car ils n’aiment pas les bulles.

J’en viens aux énergies renouvelables, madame Massat. J’ai participé il y a une quinzaine de jours au Forum des énergies renouvelables avec Mme Batho. Lorsque je me rends au Maroc ou en Algérie, pays qui ont choisi de mettre en œuvre de grands plans solaires, j’emmène la filière solaire. Dans certaines filières des énergies renouvelables, nous sommes très performants à l’export. Lorsque je parle de « ville durable », je pense bien sûr aussi à ces acteurs.

Vous avez également évoqué la cybersécurité. J’ai visité hier à Rousset, près de Marseille, une entreprise très performante, Smart Packaging Solutions (SPS), qui fabrique des cartes à puce. La sécurité numérique et la cyber-sécurité sont des domaines dans lesquels nous excellons. Or, ce sont des secteurs de haute technologie, qui sont stratégiques pour les entreprises. Je veille donc à les favoriser.

La « co-localisation » est un concept qui trouve surtout à s’appliquer avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. Contrairement aux Marocains, les Algériens préfèrent parler de partenariats industriels. Nous avons signé des protocoles d’accord avec ces deux pays, qui souhaitent avoir des productions locales pour leur marché intérieur, mais aussi des formations pour leurs jeunes. Lorsque Renault s’implante à Tanger – et ce sera peut-être bientôt le cas en Algérie –, les emplois qui sont créés dans le pays sont aussi profitables à l’industrie française : loin de lui nuire, ils viennent en complémentarité des emplois restés en France. C’est ce que l’on appelle la « co-localisation ». Le concept vaut également pour les plans agricoles que ces pays souhaitent mettre en œuvre. Comme d’autres, ils demanderont des transferts de compétences, voire de technologies. Mais ils nous permettent aussi d’accéder à d’autres marchés, au Moyen Orient ou en Afrique subsaharienne. C’est ce que certains appelleraient une stratégie « gagnant-gagnant ». Dans la « co-localisation », chacun trouve sa place dans une chaîne de valeur ajoutée où les uns et les autres ne se situent pas sur les mêmes segments.

M. Éric Straumann. La fermeture annoncée de la centrale nucléaire de Fessenheim a-t-elle une incidence sur nos performances à l’exportation ? Ne craignez-vous pas que nos interlocuteurs considèrent que nous cherchons à exporter une technologie que nous abandonnons chez nous ? Par ailleurs, cette fermeture nous contraindra à importer l’équivalent de 500 millions d’euros de gaz chaque année, ce qui aura fatalement des incidences sur notre balance commerciale. Nos partenaires allemands nous encouragent à construire une centrale au gaz, mais il faudra naturellement importer celui-ci.

M. Hervé Pellois. Le secteur agroalimentaire affiche le deuxième excédent commercial de notre pays, avec 12 milliards d’euros. Néanmoins, nous sommes passés de la première à la troisième place en Europe, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. J’ai rencontré cette semaine en Bretagne les représentants des filières animales. Face au dumping social et fiscal pratiqué par l’Allemagne, notamment dans les entreprises de la filière viande, qui emploient 40 % à 80 % de salariés venus des pays de l’Est pour des salaires de misère, notre production baisse inexorablement, alors qu’elle est en plein essor en Allemagne. Comment la France peut-elle agir pour mettre fin à ce différentiel de compétitivité en Europe et consolider nos exportations ?

Mme la ministre. Je n’avais pas répondu à M. Martin sur les initiatives du type du centre culturel du vin de Pékin. Il faut bien sûr les généraliser partout où cela est possible.

La fermeture de la centrale de Fessenheim est un engagement du Président de la République sur lequel nous ne reviendrons pas, monsieur Straumann. Tous les pays revoient d’ailleurs leur mix énergétique. L’Arabie saoudite elle-même réfléchit à l’après-pétrole. Je reconnais que lorsque je me déplace à l’étranger pour promouvoir notre offre nucléaire, il me faut expliquer la démarche de notre pays avant d’entrer plus avant dans la discussion. Mais mes interlocuteurs le comprennent, car ils ont eux-mêmes des interrogations. De même, nous devons expliquer pourquoi certains chantiers prennent du retard, quand les EPR chinois seront terminés dans les délais. Mais je le répète, aucun pays n’est épargné par ce questionnement. Les industriels allemands eux-mêmes s’interrogent sur le choix de l’abandon du nucléaire et ses conséquences sur la compétitivité de leur pays. Le débat sur la transition énergétique permettra aux différents acteurs de s’exprimer sans tabou, à charge pour les pouvoirs publics d’en tirer une synthèse opérationnelle, puisqu’il doit déboucher sur un projet de loi.

J’en viens à votre question, monsieur Pellois. Les Allemands ont amélioré leur compétitivité en amont dans le secteur de l’élevage, grâce à la présence de grandes exploitations et à une rationalisation de la production. Les gains de productivité réalisés en amont ont été reportés sur l’aval. En outre, ils ont su exploiter l’ouverture de l’Europe à l’Est. Le principal sujet ne me semble pas être celui des salaires, même si M. Langlois, président du Groupement interprofessionnel des viandes rouges en France (INTERBEV), m’alerte régulièrement sur ce point. Le problème est que les travailleurs venus des pays de l’Est sont détachés dans le cadre de prestations de services. L’instauration d’un SMIC européen ne réglerait donc rien. La Commission est saisie de cette affaire. Il faudrait qu’elle y regarde de plus près, car il y a là un détournement de la réglementation européenne. Jamais la France ne tolérerait que des salariés puissent ainsi être rémunérés quatre euros de l’heure ! Ce n’est donc pas sur ce terrain que nous devons nous battre – du reste, nous n’y arriverions pas. Mieux vaut fédérer nos énergies autour de produits de qualité, identifier les bons secteurs et les bons segments de la valeur ajoutée. Je m’y emploie avec les filières concernées.

M. Antoine Herth. Ma question porte également sur le secteur agroalimentaire. Vous avez insisté à plusieurs reprises sur l’importance des exportations dans le domaine du savoir-faire génétique madame la ministre. Je vous en remercie. À l’occasion du projet de loi contesté sur les OGM, j’ai constaté que la recherche génétique dans son ensemble faisait malheureusement l’objet d’un amalgame avec cette petite partie de la recherche génétique, alors que le sujet est en réalité bien plus vaste. Pourriez-vous préciser à quels domaines vous pensez ?

Par ailleurs, le précédent gouvernement avait pris des initiatives dans le cadre du G20 pour avancer sur la régulation des marchés agricoles. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ?

Mme Annick Le Loch. Mes questions concernent la filière volaille. La Commission européenne a décidé de diminuer de 50 % le montant des restitutions sur les exploitations de volailles, dont vous connaissez la situation. Je pense notamment à Doux, qui risque d’être fragilisé davantage par cette décision, dont on mesure sans doute insuffisamment les conséquences en termes d’emplois. Une importante réflexion est actuellement conduite par le Gouvernement et la région Bretagne pour restructurer la filière bretonne, dont la partie « grand export ». Qu’en pensez-vous ?

À l’occasion d’une réunion sur la Conférence régionale sur l’avenir de la filière, j’ai découvert que les conditions de mise sur le marché étaient très défavorables aux produits français. Le code des bons usages imposé à nos produits, mais non aux produits importés, exige par exemple que l’approvisionnement des linéaires se fasse verticalement pour les produits français, alors qu’il se fait horizontalement pour les produits étrangers. Ce n’est pas anodin, car le marché français dépend à 44 % des importations. Comment accepter ces disparités et l’absence d’harmonisation à l’échelle européenne ?

Mme la ministre. Les exportations dans le domaine du savoir-faire génétique concernent aussi bien les filières animales que les filières végétales. Dans le domaine animal, la force de la France réside dans la variété, notamment pour ce qui concerne la race bovine. Au moment de mon déplacement en Colombie, j’ai eu l’occasion de rencontrer une équipe d’Ubifrance qui travaille avec ce secteur à très haute valeur ajoutée. En ce qui concerne maintenant la génétique végétale, je puis vous dire que Limagrain est très présent sur ce marché en Chine, et noue un partenariat avec des entreprises chinoises pour développer la génétique végétale. J’y crois beaucoup : nous avons une excellence à défendre sur ces segments peu connus, car petits, mais très porteurs. Je vous remercie de relayer le message.

Un G20 s’était en effet tenu sur les matières premières agricoles. Je note toutefois que la Russie, qui est peu favorable à l’idée d’une régulation des marchés agricoles, tout comme le Brésil, vient de prendre sa présidence. Mais l’Union européenne exige désormais l’accès aux matières premières agricoles dans les accords commerciaux qu’elle conclut. Nous avons donc une position européenne, mais au sein du G20, les grands acteurs restent réticents.

J’en viens à la filière de la volaille, madame Le Loch. La France a contesté les arguments économiques avancés par la Commission à l’appui de sa décision de diminuer le montant des restitutions par la voix du ministre de l’agriculture et du ministre délégué chargé de l’agroalimentaire. La délégation interministérielle aux industries agroalimentaires et à l’agro-industrie s’est vu confier une mission sur l’avenir de la filière agricole. Elle rendra ses conclusions en mars. Quoi qu’il en soit, les besoins des pays émergents sont considérables en ce qui concerne la volaille.

M. Dino Cinieri. Les grands groupes bénéficient d’aides publiques substantielles. Mais qu’en est-il du portage des PME par les grands groupes, qui est un moyen de soutenir les PME dans leur développement à l’export ? Ce type d’approche est-il réservé aux grands groupes, ou d’autres entreprises vous ont-elles fait part d’actions en ce sens ?

En décembre dernier, le ministre des affaires étrangères a nommé des ambassadeurs pour épauler les PME à l’export. Je me réjouis que le Quai d’Orsay se positionne sur l’accompagnement des PME à l’export. Quelle peut cependant être la lisibilité du dispositif par rapport à l’action d’Ubifrance ?

M. Frédéric Barbier. J’aimerais avoir votre avis sur les orientations prises par les différentes instances de l’Union européenne vis-à-vis du commerce extérieur. La stratégie globale est-elle suffisamment coordonnée, et ne conduit-elle pas à une concurrence interne plutôt qu’à une meilleure compétitivité vis-à-vis de l’extérieur ? Cette politique ne devrait-elle pas être à même d’instaurer une petite dose de protectionnisme lorsque cela se révèle nécessaire, comme le font par exemple les États-Unis ? Il est évidemment difficile de répondre à cette question, dans la mesure où les pays qui pratiquent le protectionnisme le nient généralement…

Le déficit de notre balance commerciale a atteint 70 milliards d’euros en 2011. Nos structures à l’étranger sont-elles taillées pour relever le défi de l’internationalisation de nos entreprises ?

M. Yves Blein. Je suis élu du sud de l’agglomération lyonnaise, et plus précisément du bassin industriel du sud lyonnais, où sont implantées depuis longtemps les industries de la chimie, avec de grands groupes européens et mondiaux. Ceux-ci nous alertent sur les fragilités qui sont les leurs en termes de compétitivité depuis le démarrage de l’exploitation des sables bitumineux et des gaz de schiste en Amérique du Nord, où l’industrie chimique connaît au contraire un regain d’activité. Quelle est votre position sur cette question ?

Mme la ministre. Vous avez raison, monsieur Barbier : il n’existe pas vraiment de stratégie coordonnée à l’échelle de l’Union européenne. Il y a bien une politique commerciale européenne, mais chacun a tendance à jouer son propre jeu. Un premier pas a été fait avec le sommet de juin 2012 sur l’initiative de croissance. Nous devons développer des politiques économiques pour toutes les grandes infrastructures de transport, pour l’économie numérique, pour le secteur énergétique, où les enjeux dépassent les frontières et où nous sommes confrontés aux mêmes problématiques. Le seul domaine où l’on puisse véritablement parler de coordination est celui de la politique commerciale vis-à-vis des pays tiers – j’en ai parlé à propos des accords de libre-échange et des accords bilatéraux.

Lorsque nous négocions, nous défendons à la fois des intérêts offensifs, en cherchant ce qui va nous rapporter, et des intérêts défensifs. Nous allons conclure un accord avec le Japon. J’ai demandé une clause de sauvegarde pour l’automobile, car le secteur est en difficulté en France. Nous sommes là dans l’intérêt défensif. La Commission ne souhaitait pas reconnaître la spécificité du secteur automobile et ajouter cette clause, mais avec l’appui d’autres États, dont l’Allemagne, nous avons eu gain de cause. Dans le secteur agroalimentaire, nous devons au contraire privilégier les intérêts offensifs : un accord de libre-échange nous permettra de mieux vendre au Japon, surtout si nous négocions une baisse des barrières non tarifaires. Nous devons donc « pousser » nos intérêts offensifs. À la fin de la négociation, il faudra bien sûr arbitrer, en fonction de ce qui a été obtenu sur les intérêts défensifs comme sur les intérêts offensifs, pour décider de signer ou de ne pas signer. C’est ce que nous sommes en train de faire pour l’accord de libre-échange avec le Canada.

Je ne reviens pas sur l’internationalisation des entreprises. Pour exporter nos produits, il est désormais indispensable de s’internationaliser, c’est-à-dire de s’implanter à l’étranger ou d’y trouver des partenaires locaux. Il s’agit non plus seulement de commercer, mais de développer un partenariat, et très souvent un partenariat industriel, qui implique des transferts qui doivent rester maîtrisés, voire encadrés pour les secteurs stratégiques.

La découverte et l’exploitation des gaz et huiles de schiste aurait en effet généré des gains de productivité de l’ordre de 25 % pour l’industrie nord-américaine, monsieur Blein. Il convient cependant de prendre en considération les dégâts qui peuvent en découler. La question sera évidemment posée dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Vous connaissez la position française, qui n’a rien de partisan puisque nous sommes tous d’accord pour interdire la fracturation hydraulique. Peut-être une technique d’exploration subsidiaire sera-t-elle trouvée un jour, mais nous n’en sommes pas là. Il faut donc faire la part des dégâts à l’environnement et du bienfait économique. Nous sommes là pleinement dans le débat sur la transition énergétique.

J’ai déjà répondu sur le portage des PME, monsieur Cinieri. Dans la mesure où le ministre des affaires étrangères est le chef de la diplomatie économique, il est légitime qu’il mobilise les ambassadeurs sur les enjeux économiques, qui sont la première priorité du Gouvernement, et nomme des chargés de mission dans tel ou tel pays – Mme Aubry pour la Chine, M. Raffarin pour l’Algérie, ou encore M. Schweitzer pour le Japon. Le rôle de ces grands acteurs politiques ou économiques peut compléter utilement l’action de l’État, que j’incarne lors des commissions mixtes et des dialogues stratégiques. En effet, la diplomatie économique est aussi une stratégie d’influence. J’ai pu constater en Algérie que M. Raffarin avait accompli un excellent travail. Mme Aubry, qui m’a accompagnée en Chine, me rendra prochainement compte de sa mission. Nous devons néanmoins veiller à ce que les énergies individuelles ne brouillent pas le message collectif.

M. Christian Franqueville. Ma question a trait à la valorisation de la forêt française. Avec plus de 25 millions d’hectares boisés, la France constitue le troisième pays le plus boisé de l’Union européenne. La filière forêts représente près de 450 000 emplois et 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Malgré son formidable potentiel, elle fait aujourd’hui face à des difficultés, notamment dans l’ameublement, qui se traduisent par une balance commerciale déficitaire de plus de 6 milliards d’euros. C’est désormais le deuxième poste de déficit après le secteur de l’énergie. Cela s’explique en partie par les différences d’organisation et de structure du marché. Les filières de transformation locales comme les scieries, maillons stratégiques de la chaîne, en fort déclin, sont peu compétitives à l’échelle européenne, en raison d’une insuffisance d’investissement et de modernisation dans les dernières années. Le bois français, composé en majorité de feuillus, est exporté en bois ronds vers les États-Unis, les pays nordiques ou l’Allemagne, et nous revient sous forme de produits élaborés en bois de charpente, panneaux ou meubles. L’impact sur l’environnement et les transports est d’autant plus important que le bois en grumes est composé de 70 % d’eau, contre 20 % lorsqu’il est séché. Cet impact ne pourrait-il être pris en compte, pour faire en sorte que nos bois ronds restent en France, et subissent une première transformation, avant d’être exportés ?

M. Philippe Kemel. Le diagnostic est sûr, et la stratégie déterminée. Vous avez indiqué que sur dix entreprises ayant un projet à l’export, trois seulement le poursuivraient sur les trois ou quatre années suivantes. Ces difficultés tiennent-elles seulement aux fonds propres, ou ont-elles d’autres explications ?

Par ailleurs, comment faire en sorte que l’organisation logistique française joue pleinement son rôle de soutien à nos exportations ?

Mme Marie-Lou Marcel. Les produits et les services liés à notre image de marque, à notre culture et aux savoir-faire de nos territoires sont un autre point fort de notre commerce extérieur. Comment comptez-vous assurer la promotion à l’international des produits bénéficiant d’une AOC ou d’une AOP ? Comment développer l’image de marque de la France et de ses produits à l’étranger ?

Mme la ministre. Il manque en effet un chaînon à notre filière bois, monsieur Franqueville : nous n’avons plus de scieries. Il revient au ministre du redressement productif de traiter ce problème, sachant qu’il existe un fonds bois à la Caisse des dépôts et consignations. M. Montebourg s’est attelé à la structuration de nos filières. Il s’est déjà penché sur le nucléaire, le ferroviaire et l’automobile. Il prendra prochainement des initiatives sur la filière bois.

Je puis en tout cas vous assurer que je connais des entreprises d’ameublement françaises – PME et entreprises de taille intermédiaire – très performantes à l’export. Je pense en particulier à une entreprise vendéenne que je retrouve dans de nombreux pays. Par ailleurs, il faut savoir que pour exporter, il faut la plupart du temps importer : les produits « franco-français » sont aujourd’hui très rares, même si nous ne le savons pas toujours.

Je défends bien sûr les AOC et les AOP, madame Marcel. La variété et la qualité de nos produits sont une force. J’ai rencontré au Salon international de l’agroalimentaire (SIAL) de jeunes entreprises très performantes, qui vendent leurs produits dans le monde entier. Il faut les encourager, au même titre que les plus grands. C’est aussi le travail de la filière agroalimentaire que de faire cohabiter les grands et les petits. Nous aurions, je crois, intérêt à fédérer nos forces autour d’une marque France. La diversité des territoires est une bonne chose, mais il faut penser que pour un Asiatique ou un Colombien, nous sommes des Européens avant d’être des Français. Nous lançons donc après-demain, avec Sylvia Pinel et Arnaud Montebourg, la mission « Marque France ». Les Italiens, les Espagnols ou les Turcs se fédèrent sous une seule bannière. Cela leur permet d’être immédiatement repérables. Nous devons être capables de le faire, car nous vendons non seulement un produit, mais aussi une image, celle de nos valeurs universelles. Assumons ce rôle, et sachons en faire une force commerciale !

Parmi les causes des difficultés de nos entreprises à l’exportation, monsieur Kemel, j’incriminerai une mauvaise analyse de départ. Il faut inciter les entreprises primo-exportatrices à faire d’abord leurs preuves sur un marché de proximité. Pour aller à l’export, il faut être solide, en fonds propres comme en trésorerie – les règles relatives aux délais de paiement ne sont pas nécessairement les mêmes partout. C’est d’ailleurs là que la puissance publique peut servir de relais, et c’est pourquoi un accompagnement dans la durée est nécessaire. Trois ans me semblent un minimum pour bien s’implanter. Il faut aussi savoir accepter d’ouvrir son capital, ce qui n’est pas toujours facile pour une PME. Enfin, il ne faut pas se tromper de partenaire. Nous devons aider les entreprises à trouver le bon partenaire ou le bon distributeur. Une entreprise bretonne très performante dans son domaine m’a expliqué avoir dû changer de partenaire au bout de trois ans. Il faut alors être particulièrement solide pour recommencer la démarche. Ce sont ces erreurs que l’accompagnement des entreprises doit permettre d’éviter.

M. le président François Brottes. Je vous remercie d’avoir pris le temps de répondre aussi précisément à chacun d’entre nous, madame la ministre.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 29 janvier 2013 à 16 h 15

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Éric Straumann, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Joël Giraud, M. Jean-Claude Mathis, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, M. Jean-Paul Tuaiva