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Commission des affaires économiques

Mercredi 30 janvier 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 47

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Leclerc, directeur des opérations France de Renault

La commission a auditionné M. Gérard Leclerc, directeur des opérations France de Renault.

M. le président François Brottes. Monsieur Leclercq, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Le président Carlos Ghosn m’a fait savoir que vous étiez l’homme de la situation et de la négociation, et qu’il ne souhaitait pas, durant cette période, interférer publiquement dans les débats. Vous avez donc un mandat plein et entier pour nous donner le point de vue de la direction de Renault sur une question qui nous préoccupe beaucoup. Nous suivons avec la plus grande attention l’évolution du dossier PSA. Nous connaissons les difficultés auxquelles est confrontée la filière automobile. Le marché s’écroule, non seulement en France mais encore en Europe, et des milliers de personnes risquent d’être touchées. Renault a engagé une démarche qu’elle veut préventive face à une situation susceptible de s’aggraver demain. Compte tenu de ce que représente Renault – l’État est encore présent dans son capital –, il nous est apparu indispensable de vous entendre, tout comme nous entendrons les organisations syndicales.

M. Gérard Leclercq, directeur des opérations France de Renault. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre invitation qui témoigne de l’intérêt que vous portez à l’industrie automobile en général, et au groupe Renault en particulier. Nous y sommes très sensibles.

Je suis venu vous parler d’un sujet d’actualité, celui de la négociation que le groupe Renault mène en ce moment même et pour laquelle j’ai été mandaté à la fois par le président Carlos Ghosn et par Carlos Tavarès. Je vous confirme qu’une fois passée cette échéance capitale, ils seront à votre disposition pour échanger avec vous sur la stratégie globale du groupe.

Je sais avec quelle attention chacun et chacune d’entre vous suivent cette négociation avec nos organisations syndicales : comme législateurs, comme membres de la Commission des affaires économiques qui s’intéresse tout particulièrement aux questions industrielles, voire comme élus d’une circonscription accueillant l’un de nos sites. Je suis donc particulièrement heureux de l’occasion qui m’est donnée d’échanger directement avec vous.

Avant de répondre à vos questions, j’ai souhaité revenir sur le contexte et les raisons de cette négociation.

En premier lieu, cette négociation s’inscrit dans la poursuite de la stratégie industrielle que j’ai moi-même annoncée le 11 février 2011, alors que j’étais en charge de l’ensemble du système industriel de Renault Monde. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai été mandaté par notre président.

Le plan d’activité que j’avais alors dévoilé concernait chacun de nos sites industriels français qui se voyaient attribuer, sur la période 2011-2013, 40 % des investissements du groupe, soit près de 2 milliards d’euros : 420 millions d’euros dans notre site de Douai, 230 dans celui de Sandouville et 300 dans notre site de mécanique de Cléon. Ainsi, dès 2011, le futur du groupe en France avait déjà été engagé, en attribuant à chacun de nos sites des projets spécifiques. Notre stratégie s’appuie sur un second pilier, très solide : celui du développement international dont l’objectif a toujours été, au-delà du profit qu’apportent certains marchés encore en pleine croissance, d’assurer le maintien de notre empreinte française.

Depuis 2011, le contexte « marché » s’est fortement dégradé, notamment en Europe, et je crois que personne n’est insensible à la situation du secteur automobile, illustrée par les deux graphiques que je vous ai fait distribuer. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Depuis 2007, la plupart des territoires du monde ont vu leur marché automobile se redresser, une fois la crise passée, pour atteindre ou dépasser – de 10 %, 30 %, voire plus de 100 % – son niveau précédent. Une seule région, l’Europe, connaît une récession continue de son marché automobile – 21 % entre 2007 et 2011. Le début de l’année 2013 ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices, puisque la décroissance s’est poursuivie au mois de janvier à un rythme équivalent à celui de l’année dernière.

La situation de l’Europe est donc préoccupante, avec un marché de 14 millions de véhicules en 2012, très en dessous des capacités de production européennes – supérieures à 20 millions de véhicules.

Cette décroissance tenace, continue, qui apparaît sur le deuxième graphique, indique que la crise à laquelle nous sommes confrontés n’est pas uniquement conjoncturelle ; c’est une crise structurelle, qui appelle des solutions adaptées. Si les problèmes de la compétitivité en Europe ne se règlent pas, nous pourrions être plus proches de la stagnation que de la croissance. Voilà pourquoi nous souhaitons nous inscrire dans un processus de restauration de notre compétitivité.

Renault est touché de plein fouet par ce contexte difficile. En 2012, ses cinq sites industriels d’assemblage ont produit 530 000 véhicules, contre 640 000 l’année précédente. À titre de comparaison, l’usine Nissan de Sunderland, au Nord de l’Angleterre, produit 480 000 véhicules à elle seule !

Que faire dans un tel contexte ? Fermer des sites, comme certains l’ont fait ou l’envisagent ? Attendre que la situation ne soit plus gérable ? Nous avons choisi de privilégier la voie du dialogue social, et donc de la négociation. Nous l’avons fait à un moment où nous ne sommes pas dos au mur car nous avons besoin d’une marge de manœuvre. En novembre dernier a donc été ouvert ce cycle de négociations avec les partenaires sociaux. C’est moi qui les pilote, depuis que le 15 octobre, le président Carlos Ghosn, m’a demandé de quitter mes fonctions de directeur industriel du groupe et de m’y consacrer à temps plein en tant que membre du comité exécutif.

Notre objectif est, pour le périmètre « branche automobile » (Renault SAS et filiales industrielles), d’identifier les leviers et le cadre de mise en œuvre permettant d’assurer dans l’avenir – et dans un avenir suffisamment lointain – une base solide et durable pour l’ensemble des activités de Renault en France. L’essentiel est de retrouver un niveau d’attractivité sur cette base France pour continuer à affecter de nouveaux véhicules Renault – c’est-à-dire le « plan gamme » de Renault – et attirer les volumes de nos partenaires. Pour cela, nous avons besoin d’un accord donnant-donnant, qui précise les engagements de chacune des parties, engagements qui nous permettront de construire le futur. Et je peux affirmer que nous tiendrons ceux que j’aurai pris au nom de Renault, dans le cadre de cet accord.

Nous ferons tout pour aboutir positivement afin que, à l’horizon 2016, et bien sûr dans le cadre d’une restauration progressive du marché européen, nous puissions assurer une croissance de la production en France plus soutenue que celle du marché européen. Cela suppose que nous allions plus vite que ce que le marché européen nous permettrait naturellement.

Rentrons maintenant un peu plus dans le détail. Nous avons tenu hier la huitième réunion de négociation : nous y avons repris l’ensemble des propositions préalablement faites, et les organisations syndicales ont formulé leurs propres propositions et leurs commentaires.

Lors de cette réunion, nous avons rappelé nos engagements dans le cadre d’un accord équilibré, à savoir :

- ne fermer aucune usine ;

- assurer un ajustement des effectifs sans recourir à quelque plan social ou à quelque plan de départ volontaire que ce soit ;

- nous appuyer sur l’effet positif d’un accord et sur le renouvellement de notre « plan gamme » pour accroître les volumes de production français de notre gamme d’environ 100 000 véhicules par an sur la période, en ayant une croissance plus rapide que celle du marché européen ;

- ajouter à cette croissance un équivalent de 80 000 véhicules annuels provenant de nos partenaires ;

- maintenir l’ensemble de nos activités corporate cœur de métier (ingénierie et tertiaire) en France.

- et, bien sûr, ne pas sacrifier à la protection des salariés : par exemple, en assurant à tous une complémentaire santé.

Notre volonté, et nous l’avons réaffirmé, est d’obtenir un niveau de performance et d’activité compatible avec le maintien de l’ensemble de nos usines.

Pour cela, j’ai fait plusieurs propositions, que je souhaite vous rappeler.

Créer deux pôles régionaux industriels (Nord-Est et Ouest), cadre de la mutualisation de fonctions supports – RH, communication, maintenance, logistique… – afin de compenser le handicap de la dispersion physique, et de préserver et d’élever le niveau des compétences dont nous avons besoin.

Assurer les meilleurs équilibrages entre les sites, ce qui passe par des prêts inter site. Une telle solution permet de préserver l’outil industriel tel qu’il est, même si cela nous contraint à faire, sur la durée, des équilibrages d’effectifs en fonction de la charge des usines. Nous faisons d’ores et déjà appel au volontariat – 1 200 personnes environ ne sont pas en permanence sur leur propre site d’affectation. L’expérience nous prouve que nous devons aller au-delà. Voilà pourquoi nous avons proposé des détachements temporaires obligatoires, avec un certain nombre de critères à négocier et limités dans le temps (un an maximum). Bien sûr, et je voudrais insister sur ce point, le volontariat restera la voie privilégiée.

Assurer de la formation dans le temps de travail – gage de l’engagement de Renault dans le développement des compétences – sans faire appel au compte épargne formation, dont la gestion est extrêmement compliquée et conduit à des surcapitalisations dans les comptes temps. Évidemment, le droit individuel à la formation est totalement préservé.

Limiter les compteurs temps annuels, qui ne font qu’accumuler les congés. C’est le gage de notre vigilance sur la qualité de vie au travail et l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. En conséquence, chaque salarié devra être en mesure de prendre ses congés dans l’année d’acquisition, et chaque manager aura la responsabilité de s’organiser dans ce but.

Aligner le temps de travail effectif de tous les sites de Renault en France sur la référence légale de 35 heures hebdomadaires en moyenne. Il ne s’agit pas d’aller au-delà de ce que nous indique la loi, mais de remettre à plat l’ensemble des accords qui, en cumulant un certain nombre de dispositions particulières, font qu’en moyenne, dans nos sites industriels, on travaille 6,5 % de temps en dessous des 35 heures. Cela étant, nous continuerons à générer dix jours de RTT par an.

Abaisser le point mort de l’entreprise à 12 % en dessous du niveau des ventes de 2011, et nous donner la possibilité d’assurer les recrutements dont nous avons besoin pour préparer l’avenir sur les compétences critiques. Ainsi, au-delà des départs naturels qui ne seront pas renouvelés – environ 5 700 estimés à l’horizon 2016, dans le cadre de nos accords –, nous avons décidé de prolonger et d’élargir les mesures de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) sur les quatre prochaines années, ce qui nous assurerait, potentiellement, 2 560 départs additionnels. Cela nous donnerait l’opportunité de recruter plus de 760 personnes sur les compétences critiques, tout en préservant l’objectif visé. Donc, en cas de signature d’un accord, je me suis engagé à ne recourir ni à un plan social ni à un plan de départs volontaires.

La maîtrise de la masse salariale est un élément fondamental, mais il n’est pas le seul pour assurer le niveau du point mort de l’entreprise. Nous avons donc proposé de maintenir cette année les salaires à leur niveau actuel et de les augmenter progressivement, de 0,5 % en 2014, et de 0,75 % en 2015. Nous avons proposé aussi de faire évoluer l’accord d’intéressement, dont nous souhaitons renforcer la dimension solidaire et rétributrice : en augmentant le montant de la part uniforme versée à l’ensemble des collaborateurs et en revalorisant le montant distribué dès que la marge opérationnelle dépasse 3 %.

Ainsi que je le disais en introduction, lors de la réunion du 29 janvier, chacune des organisations syndicales s’est exprimée sur ces points. Elles l’ont fait dans un état d’esprit constructif, et nous leur avons proposé de nous revoir la semaine prochaine, soit le 5 février, pour trouver les points de convergence sur chacun des items propres à nous permettre de signer un accord.

Je reste intimement persuadé que le dialogue social est la meilleure voie possible pour que nous-mêmes et les représentants du personnel trouvions ensemble les moyens d’assurer l’avenir de Renault en France, et de donner aux salariés une vision positive du futur. L’accord que j’appelle de mes vœux aurait pour Renault une dimension historique. Ce serait une première, dans la mesure où cette négociation couvre un spectre extrêmement large. Un tel accord nous placerait dans l’anticipation, seule voie pour construire l’avenir dans un contexte difficile, en faisant tout pour éviter de recourir à des mesures douloureuses, comme des fermetures de sites ou un plan social. Voilà notre ambition.

M. le président François Brottes. D’après la presse, les négociateurs auraient commencé à discuter « pistolet sur la tempe ». Est-ce la réalité ? C’est en tout cas le message qu’elle a relayé. Voilà pourquoi nous faisons des auditions : elles nous permettent de savoir ce qui s’est effectivement passé.

Mme Frédérique Massat. Je me réjouis que la Commission ait su faire preuve de réactivité en modifiant son ordre du jour pour procéder à cette audition. Je me réjouis également de savoir que nous procéderons prochainement à l’audition des représentants syndicaux. C’est de cette façon que nous pourrons avoir une vision équilibrée de l’ensemble de la question.

Si nous nous intéressons en effet à tous les secteurs industriels, nous nous préoccupons plus particulièrement aujourd’hui de l’industrie automobile, qui est dans la tourmente. Et je précise que je parle non pas en tant qu’élue d’un territoire abritant un site de production automobile – je représente une circonscription de l’Ariège –, mais au nom du groupe socialiste. S’il ne s’agit pas pour nous de juger ici la stratégie de l’entreprise, il n’en reste pas moins que les parlementaires sont en droit de s’interroger sur ce point, qui devra faire l’objet d’un débat au sein de cette Commission – pertinence des choix, opportunité de la diversification, etc.

Je remarque en tout cas que depuis 2007, la production du groupe Renault dans l’Hexagone a chuté de plus de la moitié et qu’aujourd’hui, elle n’est plus que de 17,5 %, à la suite des transferts opérés vers la Slovénie, la Turquie et l’Espagne. Des tractations sont d’ailleurs en cours entre la direction de Renault et les syndicats espagnols ; ceux-ci se sentent d’autant plus étranglés dans la négociation que la situation économique de l’Espagne est bien plus dégradée que celle de la France.

Mais revenons à la négociation engagée sur notre territoire. Nous avons bien entendu vos engagements et vos propositions : non suppression de postes, non renouvellement des emplois, non fermeture de sites, ce qui est très important. J’observe malgré tout que l’on va demander aux salariés de travailler davantage, pour un salaire dont le montant sera gelé, ce qui revient en définitive à une baisse de salaire.

Vous vous fixez comme objectif une marge de 3 %. Mais que se passera-t-il s’il n’est pas atteint en dépit des sacrifices consentis par les salariés ? En effet, si la crise est européenne, les constructeurs européens s’en tirent un peu mieux que les constructeurs français. Or nous considérons que les salariés ne doivent pas toujours servir de variable d’ajustement, alors même que des sommes importantes ont été versées aux dirigeants des entreprises automobiles et qu’aujourd’hui, l’action de Renault affiche une forte progression au CAC 40. Voilà pourquoi nous serons très vigilants.

M. André Chassaigne. Je voudrais revenir sur la stratégie mise en œuvre par le groupe Renault depuis quelques années. Alors que les délocalisations de production ont été multipliées par cinq en cinq ans, les deux tiers des voitures Renault immatriculées en France sont aujourd’hui fabriquées à l’étranger. Qu’est-il advenu, par ailleurs, des 5 milliards accordés en quatre ans par l’État, sous forme d’avances ou d’aides ? Force est de constater que le résultat n’est pas au rendez-vous.

Cela m’amène à poser une question extrêmement importante, mais que vous avez occultée dans votre présentation. Vous vous préoccupez surtout du coût du travail. Comme si les salariés étaient responsables de la situation, vous leur faites porter, au final, le poids des mesures que vous entendez mettre en œuvre. Et s’ils n’acceptent pas vos propositions – gel des salaires, flexibilité, mobilité – des sites fermeront, dites-vous. C’est du chantage.

En revanche, vous n’évoquez pas le coût du capital. Peut-on connaître le montant des dividendes versés aux actionnaires, par exemple depuis la baisse d’activité de 2007, et celui qui leur sera versé au titre de 2012 ? Ces éléments doivent être mis sur la table.

Par ailleurs, et très concrètement, je voudrais connaître le sort des salariés qui seraient conduits à refuser le détachement temporaire obligatoire. Allez-vous « anticiper » l’accord minoritaire qui a été signé par le MEDEF et trois syndicats et qui prévoit, dans le cadre d’accords d’entreprise, d’imposer aux salariés des mesures de flexibilité ?

Enfin, ce que vous mettez en œuvre l’a déjà été ailleurs, notamment chez Continental. Or le chantage dont les salariés de cette entreprise ont fait l’objet et qui les a amenés à consentir des baisses de rémunération et des allongements de la durée du travail n’a pas empêché, quelques mois ou quelques années après, les plans massifs de licenciement. En l’occurrence, le chantage s’est doublé d’une tromperie ! Quelles garanties pouvez-vous donc donner aux salariés et aux organisations syndicales ?

Mme Michèle Bonneton. Nous connaissons tous l’importance de l’industrie automobile pour l’emploi dans notre pays – de fait, 10 % des emplois en dépendent. Néanmoins, des mutations sont indispensables, du fait de l’évolution de la demande et de la nécessaire transition énergétique, voire écologique.

L’un des points forts de Renault est le développement à l’international, avec un fort ancrage en France. Mais cet ancrage a faibli, à la suite de nombreuses délocalisations.

L’un des maux de l’économie française est le sous-investissement de l’outil de production. Une étude de la Fédération syndicale des PME révèle que l’âge moyen de la machine-outil est d’environ 19 ans dans notre pays, contre 9 en Allemagne et 10 en Italie. Qu’en est-il chez Renault ? Quelles ont été, ces dernières années, les grandes lignes de votre politique d’investissement en France et dans les autres pays ?

Par ailleurs, si l’on en croit les médias, il semble que vous souhaitiez faire des économies de l’ordre de 400 millions d’euros. Cela ne paraît pas très important, au vu des sommes en jeu. Que représentent ces 400 millions par rapport au chiffre d’affaires de Renault, et par rapport à la rémunération du capital ?

Je m’interroge aussi sur votre stratégie d’innovation. La marque était réputée dans ce domaine, mais il semble que ces dernières années, les innovations aient un peu fléchi. Pensez-vous réorienter la production, par exemple vers des véhicules moins consommateurs d’énergie, plus légers, ou différents ? Je pense notamment aux véhicules hybrides ou électriques, ou aux véhicules de transport en commun, qui pourraient être très demandés dans l’avenir. Envisagez-vous d’autres reconversions, probablement plus compliquées, mais que certaines entreprises ont déjà su mener à bien, comme dans les énergies renouvelables, par exemple l’éolien ?

Quelle est votre stratégie vis-à-vis de vos partenaires, essentiellement Nissan et Daimler ? Ce serait le moyen de produire davantage de véhicules en France.

Enfin, dans ce plan de concertation avec les salariés, les salaires seraient gelés en 2013, n’augmenteraient que de 0,5 % en 2014 et de 0,75 % en 2015. Mais que se passera-t-il si le nombre de véhicules n’augmente pas comme prévu ? J’ai en effet cru comprendre que c’était une condition sine qua non pour qu’il n’y ait pas de licenciements.

Mme Marie-Lou Marcel. Vous avez évoqué, monsieur le directeur, les 8 260 suppressions d’emplois – départs naturels et départs additionnels –, ainsi que les mesures destinées à améliorer la compétitivité de l’entreprise : gel des salaires, allongement de la durée du travail, extension de la mobilité. En contrepartie, la direction promet de préserver l’ensemble des sites français, grâce à une augmentation des volumes de production, notamment pour le compte de partenaires tels que Nissan. Comme l’a dit M. Chassaigne, ces mesures touchent les salariés, alors que la situation financière de l’entreprise permet à Renault, dans le même temps, de conclure un partenariat avec AvtoVAZ et d’investir en Chine et en Algérie, après l’avoir fait en Inde et au Maroc. En outre, ses bénéfices lui permettent de verser des dividendes aux actionnaires.

Quelles seront les conséquences pour les sous-traitants de Renault ? Selon les calculs d’un syndicat, plus de 13 000 emplois seraient menacés, notamment en Haute-Normandie et dans mon département de l’Aveyron, où est implanté SAM Technologies, premier fondeur national. Les salariés s’interrogent.

M. Gérard Leclercq. S’agissant des sous-traitants, notre souci est justement de maintenir notre outil industriel en France, afin d’y consolider la filière automobile. Nous n’y parviendrons qu’en renouant avec la croissance. Celle-ci bénéficiera en premier lieu aux fournisseurs de l’industrie automobile française.

Quant à la situation financière de Renault, si nous n’avions pas conclu de partenariats à l’étranger, nous ne proposerions pas aujourd’hui un plan de long terme sans recourir à un plan social comme nous le faisons, mais serions contraints de prendre des mesures douloureuses. Nos investissements et notre croissance à l’international nous permettent de tenir et de disposer encore de certaines marges de manœuvre. C’est un point fondamental.

En ce qui concerne l’allongement de la durée du travail, notre objectif est de parvenir à un temps de travail de 35 heures effectives. En application des accords signés par le passé – dont je ne remets pas en cause la pertinence –, le temps de travail hebdomadaire sur les sites français de Renault est aujourd’hui jusqu’à 15 % inférieur à la référence légale de 35 heures, autour de 32 heures en moyenne. Pouvons-nous vraiment nous le permettre ? On évoque souvent les performances de l’usine Toyota à Valenciennes. Or les salariés y travaillent 35 heures par semaine. Notre proposition consiste non pas à nous écarter de la norme, mais à nous mettre en conformité avec la loi. Les partenaires sociaux l’ont bien compris.

Mme Pascale Got. Nissan et Renault ont conclu une alliance en 1999. Elle vient d’être relancée par un nouvel accord portant sur la construction de véhicules dans les usines Renault pour Nissan. Quel sera l’impact de cet accord sur la production des sites français ? La multiplication de tels partenariats – les Japonais souhaitent faire construire leurs véhicules au plus près de leur nouvelle clientèle européenne – peut-elle avoir une influence sur l’accord que vous négociez en ce moment ?

M. Gérard Leclercq. C’est bien là notre objectif : nous souhaitons améliorer notre performance globale et rendre nos sites français plus attractifs, notamment pour nos partenaires. Nous avons conclu un accord avec Nissan et allons construire pour son compte un véhicule en Corée du Sud. Cette production contribuera au volume de 80 000 véhicules supplémentaires par an que j’ai évoqué précédemment.

Quant au coût du travail, c’est un élément important, en France comme ailleurs. Je le répète : nul ne peut se permettre d’être en deçà des références légales. Alors que, dans certaines de nos usines, le temps de travail hebdomadaire est plutôt de 32 heures, notre proposition consiste à revenir aux 35 heures. Elle n’a d’ailleurs pas été contestée. C’est en effet un changement notable, mais il s’agit non pas d’aligner le temps de travail dans toutes nos usines à la date de la signature de l’accord, mais de poser le principe d’un retour aux 35 heures, puis d’en définir ensemble les modalités.

L’accord que nous négocions n’anticipe pas l’accord national interprofessionnel. Ce dernier traite des mutations, alors que nous discutons, chez Renault, de détachements temporaires. Il ne s’agit nullement d’une modification substantielle du contrat de travail, mais d’une mobilité limitée dans l’espace et dans le temps. Nous prévoirons, d’une part, des moyens d’accompagnement et négocions, d’autre part, les critères qui seront pris en compte pour ces détachements temporaires.

L’État est, fort heureusement, venu à notre secours, à un moment où les banques ne le faisaient pas. Il a accordé à Renault non pas cinq, mais trois milliards d’euros. En outre, il s’est agi non pas de subventions, mais de prêts, dont le taux d’intérêt était d’ailleurs élevé. Nous les avons, depuis, intégralement remboursés.

Notre stratégie, je le rappelle, consiste à maintenir notre empreinte industrielle en Europe. Il n’est pas justifié de parler de délocalisations en Espagne ou en Slovénie : Renault est implanté dans ces deux pays depuis plus de quarante ans. Il s’agit de productions non pas délocalisées au détriment des sites français, mais affectées dans le cadre normal des renouvellements de produits. Ainsi, notre usine slovène a fabriqué, au cours de son histoire, différents véhicules de la marque Renault et produit, aujourd’hui, un modèle de Twingo. De même, nous avons affecté des productions à nos deux sites d’assemblage espagnols, en application d’accords passés avec eux. Leur niveau d’activité a d’ailleurs été comparable – ce n’est plus le cas aujourd’hui pour l’un d’eux – avec celui des sites français. Le dernier accord que nous avons conclu pour affecter une production supplémentaire en Espagne concerne notre site de Palencia. Très équilibré, il constitue un exemple d’accord donnant-donnant.

Pour ce qui est des investissements, nous disposons aujourd’hui d’un outil industriel tout à fait moderne et avons renouvelé les gammes de nos usines de mécanique. Dans le cadre de notre partenariat, nos collègues de Nissan ont visité récemment notre usine de moteurs à Cléon et ont été séduits par la qualité de nos installations. Sur les années 2011 à 2013, nous allons investir 2 milliards d’euros en France, dont 420 millions d’euros à Douai pour renouveler la gamme et l’outil industriel, actuellement l’un des plus performants au monde.

En matière d’innovation, le groupe Renault a récemment été classée par le Boston Consulting Group (BCG), sur la base d’une enquête qui a porté sur 13 000 sociétés, au trente-quatrième rang des entreprises innovantes dans le monde, et au premier rang des entreprises françaises, devant d’autres groupes très connus. Le BCG a relevé en particulier notre capacité d’innovation et d’investissement sur le long terme. Je rappelle, à cet égard, que 70 % de nos dépenses d’ingénierie sont réalisées en France.

Quant au véhicule électrique, il est difficile de savoir si nous le produisons trop tôt ou trop tard. Quoi qu’il en soit, Renault est le premier constructeur à disposer d’une gamme complète de véhicules électriques. La Kangoo électrique est aujourd’hui non plus un projet, mais une réalité. Le ministre du redressement productif a pu s’en rendre compte en visitant notre usine de Maubeuge – la ville de Maubeuge est d’ailleurs en pointe en matière de promotion du véhicule électrique. Nous lançons aujourd’hui le modèle Zoé, dont le ministre a reçu le premier exemplaire produit à la fin de l’année dernière. Nous ne sommes nullement passifs : nous menons un projet en partenariat avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sur les batteries du futur.

J’ai entendu – ce n’est pas la première fois – le terme de « chantage ». Nous devons êtres réalistes : j’ai rappelé, au début de mon propos, la situation du marché européen. Nous avons engagé une négociation et nous faisons des propositions. Les engagements devront être réciproques. La direction tiendra ceux auxquels elle aura souscrit dans le cadre de l’accord. Je n’ai pas de « plan B » : aucune fermeture de site n’est programmée. On m’a confié la mission – je l’ai acceptée – de travailler aux solutions qui nous permettent d’assurer la pérennité à long terme de toutes nos implantations françaises – industrielles, tertiaires et d’ingénierie. Tel est mon engagement : parvenir à un accord porteur de croissance pour Renault. Je ne me place pas dans la perspective d’un échec et ne suis pas en train d’imaginer une alternative à l’accord. Il n’y a pas de chantage : nous mettons sur la table les engagements que nous sommes en mesure de prendre. De même, les représentants du personnel sont prêts – ils l’ont écrit dans des tracts – à prendre leurs responsabilités.

Vous avez posé une question très pertinente : quid si le marché ne renoue pas avec la croissance ? L’avenir proche sera difficile, nous le voyons déjà. Mais il y a une certitude : le marché repartira à la hausse, tôt ou tard. Nous devons nous y préparer dès maintenant, pour être prêts à temps. Le pire serait de détruire aujourd’hui un outil industriel qui nous ferait défaut demain. Je ne veux pas prendre cette responsabilité.

M. André Chassaigne. Les modalités du détachement temporaire obligatoire seront – je suppose – prévues dans l’accord d’entreprise. Une fois cet accord signé, que se passera-t-il si un salarié refuse un détachement temporaire obligatoire ?

Le coût du travail est souvent invoqué pour justifier l’aménagement des emplois. Qu’en est-il du coût du capital ? Le groupe Renault, qui connaît une baisse d’activité depuis 2007, a-t-il continué à verser des dividendes à ses actionnaires ? À quel niveau ? Qu’avez-vous prévu à cet égard pour l’année 2012 ?

M. Gérard Leclercq. Votre première question est très pertinente. C’est un sujet sensible, qui n’a pas échappé aux partenaires sociaux. Chez Renault, 1 200 salariés sont actuellement en mobilité volontaire. Nous devons aller au-delà. Si toutes les solutions sont épuisées et que nous en venons à désigner un salarié pour un détachement temporaire, il se peut que nous soyons confrontés à un refus. Nous gérerons ces situations délicates au cas par cas, dans le respect du code du travail…

M. André Chassaigne.  …et des règles prévues par l’accord national interprofessionnel.

M. Gérard Leclercq. Non. L’accord national interprofessionnel traite de mobilité définitive, alors que nous discutons de détachements temporaires, sans changement de lieu de résidence. Nous organiserons le transport jusqu’au lieu de travail. Ce temps de transport supplémentaire représente, bien sûr, une charge. Nous avons prévu d’accorder, en compensation, des jours de congé supplémentaires.

L’accord que nous négocions est distinct de l’accord national interprofessionnel et ne l’anticipe pas. Le cadre de l’accord national interprofessionnel – y compris l’objectif de maintien dans l’emploi – est différent. C’est d’ailleurs pour cette raison que les représentants du personnel ont accepté de négocier. La question des détachements temporaires a déjà fait l’objet d’un long débat, notamment sur les contraintes particulières des salariés – charge de famille importante, handicap qui ne permettrait pas de supporter des trajets supplémentaires – que nous devons prendre en compte.

S’agissant de la rémunération du capital, nous n’avons, depuis de nombreuses années, distribué aucun dividende provenant du capital de Renault. Il convient de le souligner. Les seuls dividendes distribués correspondent à des sommes versées par Nissan à Renault et redistribuées aux actionnaires. En 2009, au plus fort de la crise, aucun dividende n’a été distribué.

M. Dominique Potier. Quel sera l’impact du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) sur votre entreprise ? À quoi allez-vous employer ces moyens ? Comment allez-vous les répartir entre capital et travail ? Allez-vous les consacrer à préparer l’avenir de Renault en France ?

Quelle part de vos ressources consacrez-vous, en France, à la recherche et développement, au prototypage et à la fabrication des nouvelles générations de véhicules, notamment des véhicules propres évoqués par Mme Bonneton ?

Mme Michèle Bonneton. Quelle part de son chiffre d’affaires le groupe Renault réalise-t-il en France ? Vous souhaitez, selon la presse, effectuer 400 millions d’euros d’économies dans notre pays et je souhaiterais disposer d’un élément de comparaison.

Dans quelle mesure avez-vous bénéficié du crédit d’impôt recherche ?

Le niveau relativement élevé de l’euro par rapport au dollar et au yuan pénalise-t-il vos exportations ? Ou bien exportez-vous essentiellement au sein de la zone euro ?

Mme Frédérique Massat. Quelles sont les rémunérations du président-directeur général Carlos Ghosn et des dirigeants de l’entreprise ? Vous demandez des efforts financiers aux salariés. Quels efforts demanderez-vous aux dirigeants pour surmonter vos difficultés actuelles ?

M. Gérard Leclercq. La rémunération de M. Carlos Ghosn est fixée par le conseil d’administration. Je ne peux pas en dire davantage.

Quant à celle des dirigeants, elle sera gelée en 2013 et augmentera de 0,5 % en 2014 comme celle de tous les salariés de l’entreprise en France, quelles que soient leurs fonctions. En outre, plus les cadres occupent un poste élevé, plus la part variable de leur rémunération est importante. Quand la marge opérationnelle de l’entreprise n’est pas au niveau espéré, la rémunération des dirigeants est adaptée à travers cette part variable.

Selon notre évaluation, le CICE devrait procurer environ 50 millions d’euros à Renault. L’ensemble du groupe en bénéficiera et il n’est pas aisé de rapporter ce chiffre à la production française. Néanmoins, si l’on considère que Renault fabrique environ 500 000 voitures par an en France, le CICE représente grosso modo 100 euros par véhicule produit. C’est considérable, lorsque l’on sait que tous les salariés de l’entreprise se mobilisent quotidiennement pour économiser de l’ordre de 0,5 à 1 euro par véhicule.

Le CICE sera consacré à la croissance de l’entreprise. Il s’ajoutera aux 400 millions d’euros d’économies que nous souhaitons réaliser. Ces ressources nouvelles libéreront nos capacités d’investissement et nous permettront de développer notre activité en France. Elles nous aideront à prendre des décisions : affectation de la production d’un véhicule à un site ou réalisation de nouveaux projets. Le coût de tels projets pouvant aller de 50 à 200 millions d’euros, voire 500 millions ou davantage pour les plus importants, les sommes évoquées représentent à elles seules un projet complet. Nous investirons là où nous serons en mesure d’enclencher un cercle vertueux.

Les moyens que nous consacrons au développement des véhicules et des gammes futures sont majoritairement – intégralement s’agissant des véhicules électriques – affectés à nos sites français.

Nous nous sommes engagés à maintenir l’intégralité de notre cœur de métier – ce qui fait l’identité de Renault – en France. Nos usines au Brésil ou en Corée bénéficieront de notre activité dérivée. Pour l’instant, nous continuons à adapter les effectifs de l’ensemble du groupe depuis la France. Il conviendrait de procéder autrement : les adaptations locales de l’effectif devraient être réalisées localement.

Je ne suis pas en mesure de vous communiquer le chiffre d’affaires réalisé par Renault en France. Nous calculons ce chiffre à l’échelle du groupe. Renault est aujourd’hui l’une des entreprises automobiles qui présente le ratio investissements sur chiffre d’affaires le moins favorable. Nous devons augmenter nos investissements. Nous voulons retrouver, à cette fin, des marges de manœuvre. Les économies réalisées en France nous permettront d’investir davantage en France pour la croissance, d’y préserver notre outil industriel et de préparer l’avenir.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le directeur, d’avoir répondu rapidement à notre invitation et de nous avoir apporté ces éclaircissements. Après avoir auditionné les représentants du personnel, nous adresserons une invitation à M. Carlos Ghosn.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 30 janvier 2013 à 16 h 15

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. André Chassaigne, Mme Corinne Erhel, M. Christian Franqueville, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Razzy Hammadi, M. Henri Jibrayel, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Dominique Potier, M. Éric Straumann

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Claude Mathis, M. Frédéric Roig, Mme Catherine Troallic, M. Jean-Paul Tuaiva

Assistait également à la réunion. - M. Denis Baupin