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Commission des affaires économiques

Mardi 12 mars 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 56

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du Redressement productif, chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l’Innovation et de l’Économie numérique, sur les suites de la proposition de loi relative à l’application du principe de précaution défini par la Charte de l’environnement aux risques résultant des ondes électromagnétiques, et sur les conclusions du rapport sur l’impact de la régulation des télécoms sur la filière télécom de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière.

– Information relative à la commission

La commission a auditionné Mme Fleur Pellerin, déléguée auprès du ministre du Redressement productif, chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l’Innovation et de l’Économie numérique, sur les suites de la proposition de loi relative à l’application du principe de précaution défini par la Charte de l’environnement aux risques résultant des ondes électromagnétiques, et sur les conclusions du rapport sur l’impact de la régulation des télécoms sur la filière télécom de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière.

M. le président François Brottes. Nous aborderons successivement trois thèmes au cours de cette audition. Tout d’abord, Corinne Erhel et Laure de La Raudière rappelleront les conclusions de leur rapport sur l’impact de la régulation sur la filière télécom – notamment sur les équipementiers. Au terme de cette présentation, nous interrogerons Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique sur les propositions formulées par nos rapporteures et sur la feuille de route numérique annoncée par le Gouvernement dans un contexte marqué par une actualité vivante, mais peu réjouissante – qu’il s’agisse de l’annonce de la fermeture de boutiques SFR, des difficultés de The Phone House ou des tensions entre des acteurs qui sont perpétuellement en procès les uns contre les autres.

Nous évoquerons ensuite deux décisions importantes : la première, très attendue, sera rendue par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et concerne la demande de refarming de Bouygues – c’est-à-dire l’utilisation en 4G de la bande 1 800 MHz actuellement réservée à la 2G. La seconde est l’avis que l’Autorité de la concurrence a rendu hier sur le contrat d’itinérance entre Orange et Free Mobile et plus largement les conditions de mutualisation et d’itinérance sur les réseaux mobiles.

Enfin, le 31 janvier dernier, l’Assemblée nationale a adopté une motion de renvoi en commission sur la proposition de loi déposée par Laurence Abeille relative à l’application du principe de précaution, défini par la Charte de l’environnement, aux risques résultant des ondes électromagnétiques. Afin de ne pas légiférer à la légère, nous évoquerons la méthodologie à retenir pour mesurer l’impact technique et juridique de l’inscription dans la loi du principe ALARA (« as low as reasonably achievable », « aussi bas que raisonnablement possible »). À cet égard, le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et les travaux du comité de pilotage issu du Comité opérationnel (COPIC) nous seront utiles.

Mme Corinne Erhel. Laure de la Raudière et moi-même avons établi, au cours des deux premiers mois de cette année, un rapport sur l’impact de la régulation sur la filière des télécoms. Ce secteur a en effet connu d’importants changements en 2012, avec notamment l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile. Notre objectif consistait à dresser un bilan de l’état de la filière, à déterminer si la régulation permet d’atteindre un point d’équilibre entre l’intérêt des consommateurs, l’investissement, l’emploi et la capacité d’innovation, à proposer des pistes d’amélioration et de modernisation de la régulation.

Parmi nos propositions d’ordre législatif, nous suggérons notamment de réécrire l’article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques qui énonce, conformément au droit communautaire, les vingt et un objectifs que l’autorité de régulation et le Gouvernement doivent atteindre simultanément. Répertoriés au fil des ans sans la moindre vision globale, ces objectifs ne sont pas hiérarchisés. Nous souhaitons donc les regrouper par nature – technique ou politique – ou par thématique, mais également identifier des objectifs prioritaires, instaurer une obligation de conciliation entre tous ces objectifs et renforcer la prise en compte de l’objectif d’emploi.

Nous préconisons en outre de clarifier la répartition des rôles entre le régulateur et le Gouvernement et de renforcer les compétences des services de l’État dans le secteur des télécommunications. Quels services ce renforcement devrait-il concerner, selon vous ?

Nous soulignons également la nécessité pour l’État de développer une culture de l’étude d’impact en amont de toute décision susceptible d’avoir des conséquences sur l’équilibre économique de la filière.

Quant à la demande de refarming de Bouygues Télécom pour la conversion de la bande 1 800 MHz en 4G, quels objectifs et quelle méthode ont été retenus par l’ARCEP pour parvenir à sa décision finale ?

Dans notre rapport sur la neutralité d’internet, nous avions souligné qu’il importait de créer un observatoire de la qualité de service. Je ne peux donc que me réjouir que vous en ayez annoncé la mise en place dans le cadre de la feuille de route « très haut débit ». Qu’en est-il de la création de l’observatoire des investissements et des déploiements dans les réseaux mobiles, sachant que, dans son avis rendu hier, l’Autorité de la concurrence demande à l’ARCEP « d’user du pouvoir que lui reconnaît la jurisprudence du Conseil d’État pour vérifier sans attendre que Free est sur une trajectoire d’investissement compatible avec les obligations de sa licence » ?

Enfin, la Commission européenne aurait transmis aux gouvernements des États membres une note relative aux subventions d’État dont bénéficieraient certains équipementiers asiatiques, et attendrait aujourd’hui une réponse de leur part avant d’engager une procédure pour éclaircir cette question. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ces échanges ?

M. le président François Brottes. L’avis de l’Autorité de la concurrence prévoit essentiellement que le contrat d’itinérance dont Free bénéficie auprès d’Orange doit être limité dans le temps. Cela étant, si les avis ne sont jamais suivis ni imposés, il est inutile de les commenter. Par conséquent, pourriez-vous, madame la ministre, nous rappeler la hiérarchie des normes applicable au droit des télécoms et la répartition des compétences entre les différents acteurs que sont le régulateur, le Gouvernement et l’Autorité de la concurrence ? Lequel d’entre eux dispose d’un pouvoir d’injonction, et en quelles matières ?

Mme Laure de La Raudière. Ayant constaté qu’il existe des tensions très fortes entre les différents acteurs de la filière, nous avons proposé la création d’un observatoire chargé de mesurer l’impact des changements récents sur l’emploi. Si certains opérateurs estiment avoir créé des emplois, d’autres considèrent au contraire en avoir détruit. Mais leur vision, comme celle de l’ARCEP d’ailleurs, reste cantonnée à la situation des seuls opérateurs. Or, en 2012, c’est sur le reste de la filière, et surtout sur les sous-traitants, que l’impact des changements s’est ressenti le plus fortement. Ce n’est qu’en 2013 qu’il devrait se répercuter sur les opérateurs.

Sans revenir sur l’ensemble de nos propositions, dont Corinne Erhel a largement fait mention, permettez-moi d’évoquer les centres d’appel : il serait peut-être nécessaire de modifier la loi Chatel afin de permettre la création d’un service payant, circonscrit à des prestations spécifiques relevant de l’assistance technique. Il ne s’agit pas de créer un « service premium », mais pourquoi s’interdire de commercialiser un service nouveau, complémentaire d’un service gratuit de qualité ?

Nous souhaiterions également que le Gouvernement élabore une étude d’impact sur l’emploi et les investissements avant de prendre sa décision concernant la demande de refarming formulée par Bouygues Télécoms.

M. le président François Brottes. Le président du Conseil national du numérique (CNN), qui vous a remis ce matin un rapport sur la neutralité de l’internet, nous a laissé entendre que le projet de loi que vous porterez sur ce sujet n’énoncera que des principes sans prévoir de sanctions. Voilà qui nous fait douter de l’intérêt d’un tel texte.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Tous les éléments publiés ces dernières semaines – qu’il s’agisse de l’excellent rapport de Corinne Erhel et Laure de La Raudière ou de l’avis de l’Autorité de la concurrence publié hier – confortent l’approche retenue par le Gouvernement dans le secteur des télécommunications.

Depuis neuf mois, le ministre du redressement productif et moi-même soutenons l’adoption d’une nouvelle stratégie industrielle axée sur la création de valeur et l’investissement dans le secteur des télécommunications et la filière numérique dans son ensemble. Notre objectif principal consiste à relancer les investissements et l’emploi dans l’ensemble de la filière numérique, tant chez les opérateurs que chez les équipementiers et les sous-traitants, notamment dans le secteur du bâtiment, dans celui de l’installation électrique, ainsi que dans les boutiques et les centres d’appel.

Les chantiers du très haut débit fixe et mobile constituent pour nous une opportunité de rétablir un cercle vertueux, créateur de croissance et d’emploi dans le secteur.

Sur les réseaux fixes, le plan annoncé par le Président de la République, doté de 20 milliards d’euros sur les dix prochaines années, constitue l’un des axes forts de la politique de croissance du Gouvernement, avec le projet du Grand Paris. Il s’agit d’un programme d’investissement clé tant pour la compétitivité française que pour l’aménagement de notre territoire. Le déplacement que nous venons d’effectuer en Australie et à Hong Kong nous a d’ailleurs montré l’intérêt que portent les investisseurs étrangers à de tels chantiers d’infrastructures, atout majeur pour attirer des investissements en France.

Sur les réseaux mobiles, le développement de la 4G et l’encadrement des accords d’itinérance vont nous permettre de développer une stratégie créatrice d’emplois et d’investissement. Là encore, le Gouvernement vise à replacer l’ensemble des opérateurs dans une logique d’investissement, et l’État au centre du secteur des télécoms.

Quant au très haut débit fixe, si l’on veut atteindre l’objectif fixé par le Président de la République, il est indispensable que l’État s’investisse davantage – aussi bien en termes financiers que de ressources humaines. C’est pourquoi, dans un premier temps, nous avons créé une mission sur le très haut débit dont le Président de la République a ensuite annoncé la pérennisation au sein de l’État.

S’agissant du haut débit mobile, si l’octroi de la quatrième licence de téléphonie mobile a posé problème, c’est parce que l’État n’a pas suffisamment accompagné les acteurs du secteur. Certes, il revient au régulateur d’en assurer la régulation économique. Mais il reste que l’État doit pleinement jouer son rôle en définissant sa politique industrielle. Je partage votre analyse, mesdames les députées : le Gouvernement doit renforcer ses compétences techniques et mieux les articuler avec celles de l’ARCEP, tout en respectant l’indépendance du régulateur et les principes posés par les directives européennes. Votre rapport pointe l’insuffisance des moyens qui me sont affectés : je ne manquerai pas de relayer votre remarque au plus haut niveau.

Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti et moi-même avons également réfléchi à un éventuel rapprochement entre l’ARCEP et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). L’argument des dividendes numériques, souvent mis en avant pour le justifier, ne me paraît cependant pas pertinent puisque ces dividendes relèvent non pas d’une question de régulation, mais d’un véritable enjeu de politique industrielle du spectre – et donc de décisions du Gouvernement et du Parlement. Si je ne suis pas favorable à une fusion des deux régulateurs, je le suis davantage à une meilleure articulation entre ces deux instances sur des sujets d’intérêts communs tels que les relations entre les chaînes et les diffuseurs, notamment les opérateurs, ou encore la régulation de la télédiffusion hertzienne.

Précisant que l’itinérance doit être une étape transitoire et limitée dans le temps, l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence constitue un signal fort envoyé au marché et une réelle avancée pour l’encadrement de l’arrivée de Free sur le marché des télécommunications. Nous n’excluons d’ailleurs pas de créer un nouvel outil pour réfléchir à l’extinction de cette itinérance. L’Autorité de la concurrence aborde également la question de la mutualisation des infrastructures : celle-ci permettra de conserver un marché à quatre acteurs qui pourront collaborer de façon plus vertueuse que ne le permet l’itinérance et s’engager sans retard, malgré les tensions pesant sur leurs capacités d’investissement (capital and exploration expenditures, CAPEX), à réaliser des investissements créateurs de valeur et d’emplois. Cette clarification de notre environnement réglementaire était très attendue par les opérateurs. Une fois que l’ARCEP aura précisé les contours de cette réglementation dans sa décision du jeudi 14 mars prochain, les acteurs entameront une discussion afin de conclure des accords de mutualisation. Le Gouvernement n’a pas à se prononcer sur les critères fondant la décision de l’ARCEP d’autoriser ou non le refarming, mais, une fois la décision rendue, il nous reviendra de fixer le niveau de la redevance applicable – sujet auquel plusieurs de nos services ont déjà consacré des études économiques en amont.

En ce qui concerne la filière des télécommunications, je souhaiterais apporter plusieurs précisions avant de répondre à vos questions plus en détail.

S’agissant tout d’abord des centres d’appel, le Gouvernement a annoncé en octobre 2012 sa volonté d’agir sur tous les leviers permettant de maintenir et de créer des emplois dans la relation client en France. L’avis rendu par le comité de filière invoque le principe de responsabilité sociale des entreprises. Dans ce secteur tout à fait particulier en effet, les opérateurs français ne subissent aucune concurrence étrangère et la France dispose d’avantages considérables et de solutions alternatives à la délocalisation, telles que la localisation des centres de relation client dans les départements d’outre-mer. À cet égard, je rejoins les préconisations des deux rapporteures.

Quant aux équipementiers, on constate qu’en matière de normalisation internationale, l’arrivée de la 4G n’a pas fait l’objet du même niveau de normalisation que les générations précédentes. Pourtant, l’essentiel de la recherche-développement mondiale en matière de technologies mobiles se trouve en Europe. Il convient donc que nous promouvions les équipementiers et les opérateurs de la filière européenne et que nous regagnions un rôle de prescripteur de normes.

Ainsi, Alcatel-Lucent ayant choisi de favoriser technologiquement ses clients américains pour le déploiement de la 4G, sans proposer les produits attendus par les opérateurs européens, se trouve désormais en perte de vitesse sur les marchés européen et français et peine à concrétiser des accords avec ses anciens clients dans le domaine de la téléphonie mobile.

Dans le cadre du prochain contrat de filière qui sera signé au sein du comité stratégique de filière numérique, je souhaite que nous renouions avec ce type de programmes vertueux regroupant des opérateurs et des équipementiers, comme ce fut d’ailleurs le cas entre Orange, alors la Direction générale des postes et télécommunications, et Alcatel, par exemple à Lannion. La contractualisation d’engagements de filière avec le comité stratégique de filière numérique contribuera ainsi au resserrement des liens entre les différents acteurs, notamment en matière de recherche et développement, et à la formalisation d’une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences tenant compte de notre nouvelle stratégie de déploiement du très haut débit et de ses conséquences en termes de création d’emplois dans les secteurs du génie civil et de l’installation électrique.

Il est essentiel que l’ensemble des pays européens s’inscrivent dans le même mouvement que la France, car notre marché domestique n’est pas suffisamment développé pour nous permettre de relancer des acteurs nationaux, tels qu’Alcatel-Lucent. Nous essayons notamment de faire en sorte qu’Alcatel tire le meilleur parti possible de sa position sur le marché de la téléphonie fixe et dans les réseaux de fibre optique FTTH. Je soutiens fortement l’ensemble des initiatives européennes visant à accélérer le déploiement des réseaux fixes, tel le projet de règlement sur l’accessibilité du génie civil.

Le Conseil national de la consommation se prononcera d’ici à la fin du mois sur la question de savoir s’il est nécessaire de modifier la loi Chatel pour créer un service premium tout en conservant un service client gratuit et de qualité.

Quant à l’élaboration d’études d’impact sur l’emploi et l’investissement, il nous est difficile d’obtenir des informations fiables de la part des opérateurs. Certains d’entre eux ont sans doute instrumentalisé, dans leur communication, les tensions pesant sur l’emploi et exercé un chantage pour bénéficier d’arbitrages favorables de la part du Gouvernement et du régulateur. Il nous faut par conséquent rester vigilants et entretenir un dialogue constructif avec eux afin d’éviter tout chantage de leur part.

En conclusion, Arnaud Montebourg et moi-même travaillons à l’élaboration d’un projet de loi afin de procéder aux évolutions législatives attendues et nécessaires dans les domaines du très haut débit, de la gestion des fréquences et de la sécurité des réseaux.

M. Lionel Tardy. Nos rapporteures ont rédigé un rapport court, mais bien ciblé : voilà une méthode de travail que nous devrions adopter plus souvent. Le rapport souligne à quel point le pouvoir politique est insuffisamment impliqué dans la régulation des télécommunications. Je repense ici en souriant aux critiques à l’emporte-pièce qu’Arnaud Montebourg a pu émettre il y a quelques mois à l’égard des autorités administratives indépendantes qui empiéteraient sur les compétences des politiques. Mais, avant de critiquer les autres acteurs, encore faudrait-il que le Gouvernement commence par prendre ses responsabilités et jouer son rôle. Car, s’il y a quelqu’un qui ne fait pas son travail, c’est bien le politique ! Comment faire face à un tel déficit du politique ? Ne pourrait-on enfin définir une ligne politique claire ?

Le rapport propose de pallier ces insuffisances en renforçant les moyens de l’État, ce qui ne me paraît pas la bonne solution. Nous disposons déjà d’experts, non seulement à la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), mais aussi à l’Agence nationale des fréquences (ANFR) et à l’ARCEP, en mesure de réfléchir aux solutions techniques à apporter. Il suffirait simplement que le Gouvernement contrôle que les travaux que les experts lui livrent ne sont ni tronqués ni biaisés. On peut toujours disposer de tous les experts de la terre, si le politique ne sait pas ce qu’il veut, on ne pourra guère avancer ! La question centrale n’est donc pas de savoir de quels moyens le Gouvernement va se doter, mais quels objectifs il compte se fixer et quel équilibre il souhaite viser – entre les consommateurs et les entreprises d’une part, et entre l’amont et l’aval d’autre part.

Le Gouvernement est incapable d’arbitrer entre son rôle dans la définition d’une politique de régulation des télécommunications et celui d’actionnaire de référence de France Télécom, opérateur historique et acteur dominant dans bien des compartiments du secteur. La paralysie du politique vient aussi de son choix non avoué de toucher du dividende chez France Télécom et donc de ne pas intervenir en tant que régulateur du secteur. L’État devrait prendre ses responsabilités, au lieu de reculer !

M. André Chassaigne. Dans leur remarquable rapport, nos collègues ont adopté une véritable approche scientifique, sans a priori, pour dresser un état des lieux et poser des questions de fond. Leur analyse de l’ouverture à la concurrence et de la privatisation du service des télécoms est très intéressante : elles en soulignent tout d’abord l’aspect positif – la fixation de l’un des prix les plus bas en Europe et l’accroissement du nombre de consommateurs –, mais également les problèmes que pose cette privatisation, qu’il s’agisse de la qualité de la prestation offerte, des doutes sur la prise en compte de l’intérêt du consommateur ou des conséquences négatives de cette décision sur l’innovation, les investissements et la santé. J’y ajouterai la question environnementale, avec la multiplication d’appareils fabriqués avec des métaux rares, remplacés tous les ans et s’accumulant dans les tiroirs.

L’une des nombreuses propositions du rapport concerne l’exigence d’une clarification des compétences respectives de l’État et de l’ARCEP. Le premier ne consacre en effet que vingt-cinq emplois équivalent temps plein (ETP) à la régulation des télécoms, contre 173 à l’ARCEP. Quelles seront les missions de l’observatoire de la qualité de service sur les réseaux fixes et mobiles qui sera créé au sein de l’ARCEP ? Il me paraît impératif qu’il évalue véritablement les effets négatifs de la privatisation de ce service public et de la concurrence exacerbée. Indépendamment de toute approche idéologique, il importe de garantir un maximum de transparence dans le secteur. Madame la ministre, quelles suites comptez-vous donner à ces propositions ?

Mme Jeanine Dubié. Nous souhaitons tous enrichir les critères de régulation de l’ARCEP afin que les objectifs d’emploi et d’investissement soient prioritaires et pris en compte le plus en amont possible, grâce au renforcement des études d’impact. Cette proposition du rapport suppose que nous adoptions des dispositions législatives : quel pourrait être le calendrier de nos travaux ?

La Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques soutient sans réserve ce rapport sérieux et rigoureux, qui me semble d’ailleurs devoir faire l’unanimité. Le groupe RRDP est quant à lui particulièrement sensible à celles des propositions du rapport qui visent à la création de deux observatoires, l’un pour les investissements, l’autre pour la qualité de service sur les réseaux fixes et mobiles au sein de l’ARCEP, chargé d’une mission d’évaluation et de contrôle au service du consommateur. En effet, dans nos permanences parlementaires, les administrés ne cessent de se plaindre de la mauvaise qualité de réception du service mobile et de débit pour le fixe, souvent bien éloignée des mesures affichées par les opérateurs. Les députés ont d’ailleurs l’occasion de le constater par eux-mêmes lorsqu’ils se rendent dans des territoires ruraux ou montagnards. Le protocole de mesure de la couverture en vigueur, souvent flatteur pour les opérateurs, mériterait d’être perfectionné afin de mieux correspondre aux attentes des consommateurs. Comment comptez-vous améliorer la transparence et garantir un service de qualité ?

Comment prendrez-vous en compte dans votre feuille de route le rééquilibrage des prérogatives de l’État et de l’ARCEP que préconisent les rapporteures ?

Enfin, l’avis rendu hier par l’Autorité de la concurrence sur le contrat d’itinérance entre Orange et Free est-il de nature à détendre les crispations qui existent entre les différents acteurs du secteur ?

Mme Frédérique Massat. Je souhaiterais évoquer le déploiement du très haut débit en zone de montagne : si l’on entend beaucoup parler de « Paris capitale du numérique », on ne constate guère d’évolutions dans nos territoires.

Par ailleurs, le projet de loi comprendra-t-il des dispositions en matière de fiscalité numérique, piste également évoquée par nos rapporteures ?

M. Alain Marc. La fracture numérique se creuse dans nos territoires où certains administrés isolés n’ont même pas accès à un service de bas débit, tandis que les offres satellitaires ne sont pas toujours satisfaisantes. Ainsi, le conseil général de l’Aveyron s’est beaucoup investi dans des nœuds de raccordement abonné-Zone d’ombre (NRA-ZO), mais reste loin de satisfaire la totalité de ses administrés. Comment imposer aux opérateurs l’obligation d’offrir à des tarifs convenables la réception du haut débit partout dans l’Hexagone ? Voilà qui favoriserait le télétravail et le maintien d’actifs sur tout le territoire – tant pour les PME que pour les agriculteurs, étant donné la dématérialisation d’un nombre croissant de documents.

Mme Audrey Linkenheld. Mon intervention portera sur la filière numérique et sur les acteurs du logiciel. La commission des affaires européennes m’a chargée d’un rapport d’information sur le programme de recherche Horizon 2020. Les acteurs français de la recherche que j’ai auditionnés, et en particulier ceux de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) de Lille, m’ont indiqué que, si le numérique constitue de toute évidence l’une des priorités de la recherche française et européenne, cette priorité concerne surtout le matériel, tandis que les logiciels restent négligés. Il serait donc bon de mieux les prendre en considération dans les appels à projet.

M. le président François Brottes. Il est bon que l’INRIA soit présent non seulement à Paris, mais sur l’ensemble du territoire, comme à Lille ou à Grenoble.

Mme Marie-Lou Marcel. Je m’associe aux propos de Frédérique Massat et Alain Marc concernant la fracture numérique du territoire.

Mme Laure de La Raudière. Le Gouvernement entend modifier l’intitulé et l’article 1er de la loi de 1986 « relative à la liberté de communication », pour en faire une « loi relative à la liberté d’expression et de communication ». Une telle évolution me paraît dénuée de la moindre portée normative, dès lors que la loi ne comprendra aucune définition de la neutralité d’internet, ne fixera aucun objectif de respect de cette notion et ne prévoira aucune sanction. Le dépôt, en 2014, d’un projet de loi sur le sujet me semble relever d’une logique d’affichage et de communication : le texte annoncé ne nous protégera pas d’éventuelles atteintes à la neutralité d’internet. Comment articuler votre souhait de garantir la liberté d’expression avec celui, affiché par Mme Najat Vallaud-Belkacem, d’encadrer les libertés numériques ?

Mme Laurence Abeille. Comment assortir ces nouvelles législations de clauses sociales et environnementales ? Comment tenir compte dans la loi du phénomène d’obsolescence programmée ?

Mme la ministre. La hiérarchie des normes applicables et la répartition des compétences entre l’État et les autorités administratives indépendantes demeurent effectivement ambiguës : régi par des directives européennes et par le code des postes et communications électroniques, c’est le droit sectoriel de la concurrence applicable aux communications électroniques qui fixe la répartition des compétences entre le ministre et l’ARCEP. Mais il est vrai qu’ils partagent certaines compétences dont la répartition reste mal définie. Parallèlement, le droit général de la concurrence s’applique également, sous le contrôle de l’Autorité de la concurrence.

L’avis que cette autorité a rendu hier invite notamment à vérifier que la trajectoire d’investissement de Free est compatible avec les engagements pris par l’opérateur dans le cadre de l’attribution de sa licence. L’ARCEP a déjà indiqué qu’elle s’estime compétente en la matière. Quant à l’itinérance, elle pose un problème de répartition des compétences entre les autorités administratives indépendantes (AAI) et le Gouvernement : si l’Autorité de la concurrence est bien sûr compétente en la matière, l’encadrement a priori de l’itinérance souffre d’un vide juridique que le législateur pourrait combler.

S’agissant plus généralement de la répartition des compétences entre le Gouvernement et les autorités de régulation, je suis tout à fait d’accord avec Lionel Tardy lorsqu’il affirme que l’on ne peut reprocher à une AAI de ne pas mener de politique industrielle. Ce n’est effectivement pas son rôle. Ainsi ne peut-on imputer à l’ARCEP le vide politique que l’on a connu. Mais le Gouvernement est aujourd’hui bien décidé à reprendre son rôle : la politique industrielle du spectre fait partie des enjeux d’avenir extrêmement importants que l’État entend reprendre en main et ne pas laisser aux soins des autorités de régulation. Les décisions politiques et économiques que nous pourrions être amenés à prendre en matière de deuxième dividende numérique seront bien évidemment précédées d’études d’impact qui en analyseront les conséquences sur l’ensemble de la filière et sur l’emploi.

Il est effectivement indispensable de bien hiérarchiser les objectifs assignés à l’État et à l’ARCEP et de réaffirmer la primauté de l’emploi et de l’investissement, même s’ils figurent déjà dans la loi.

Le Gouvernement a l’intention de se réinvestir dans le dossier du très haut débit : c’est à cette fin qu’il a créé une mission qui sera transformée en un établissement public, dont la gestion associera l’État et les élus locaux. L’État affectera un peu plus de 3 milliards d’euros de crédits à ce chantier. Cet engagement important constitue l’un des trois chantiers prioritaires du quinquennat.

Entité distincte de l’observatoire de la qualité de service, l’observatoire des investissements permettra au ministère de réaliser des diagnostics de qualité en la matière. Si l’on en croit les premiers résultats publiés, Free accuse un léger retard de déploiement de ses investissements par rapport à ses annonces. Les recommandations de l’Autorité de la concurrence sur les conditions de sortie progressive du contrat d’itinérance rendent cet observatoire extrêmement utile : Free doit poursuivre ses investissements à un rythme qui soit compatible avec les objectifs à atteindre. L’ANFR ou l’ARCEP, de leur côté, doivent déployer une expertise technique afin d’améliorer la précision des mesures publiées par le régulateur, qui, en l’état actuel, ne rendent pas nécessairement compte de la qualité du service délivré par les opérateurs, telle qu’elle est ressentie.

Plutôt bien accueilli, en tout cas par certains opérateurs du secteur, l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence sur le contrat d’itinérance incite fortement Free à investir dans les réseaux, rééquilibrant ainsi les rapports entre tous les opérateurs. L’accord d’itinérance a tout de même constitué une source de revenus importante pour l’opérateur historique qui doit à présent anticiper la sortie de ce contrat. Levant des incertitudes et apaisant les relations entre opérateurs, l’annonce de cette décision et la réponse de l’ARCEP à la demande de refarming de Bouygues sont des signes favorables à l’investissement et à l’emploi.

Pour faire bénéficier le projet de « Paris, capitale numérique » d’une attractivité internationale suffisante, il nous faut consentir un important travail de communication et créer un quartier étendard – projet foncier considérable – qui soit bien relié à l’international. De plus, un tel chantier ne peut s’envisager qu’en réseau : c’est pourquoi j’ai annoncé la création d’une quinzaine de quartiers numériques qui seront reliés les uns aux autres. Ces quartiers extrêmement dynamiques, qui existent déjà dans certaines villes, rassemblent des acteurs et des start-up actives en ce domaine. Nous souhaitons en labelliser un maximum, à condition qu’ils répondent à un cahier des charges actuellement en cours d’élaboration, pour pouvoir les faire bénéficier des avantages associés à la logique de cluster que nous voulons encourager en région parisienne et dans les territoires. Si Paris doit constituer un quartier étendard, l’État aidera également les collectivités territoriales à créer des quartiers numériques dans d’autres villes en apportant le retour d’expérience acquise en région parisienne et en offrant des services de guichet unique, de conseil en propriété intellectuelle et de fab labs ainsi que des liens avec la Banque publique d’investissement (BPI). Nous accepterons bien entendu la candidature des villes souhaitant s’intégrer à ce réseau.

Les mesures que nous sommes susceptibles de proposer en matière de fiscalité numérique figureront plutôt en loi de finances que dans un projet de loi sur les télécommunications. En ce domaine, nous avons adopté une démarche à trois niveaux : à l’échelle internationale de l’OCDE et du G20, la France doit jouer un rôle moteur au sein des groupes de travail qui étudient la question des prix de transfert et du déplacement des profits des entreprises multinationales. Au niveau européen, nous souhaitons relancer les travaux relatifs à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Enfin, à l’échelon national, nous sommes en train de déterminer les mesures que nous souhaiterions présenter dans le prochain projet de loi de finances.

C’est l’objet du plan national « très haut débit » que de répondre à la fracture numérique. Il en va aussi bien de l’égalité entre les citoyens que de l’attractivité de nos territoires. De nombreuses zones rurales et périurbaines rencontrent des problèmes. Or toute entreprise souhaitant s’installer à un endroit donné commencera par vérifier s’il est équipé de la fibre optique ou si l’on y a accès au très haut débit. Le plan « très haut débit » que j’ai soumis au Premier ministre accorde une attention particulière aux zones aujourd’hui mal couvertes en haut débit. Il a identifié les zones géographiques prioritaires dans lesquelles l’accès au haut débit n’est pas encore garanti. Nous nous sommes fixé un objectif intermédiaire de couverture de l’intégralité du territoire à un débit minimum d’ici à cinq ans, avant d’atteindre le très haut débit pour tous d’ici à dix ans. Grâce aux subventions du Fonds de péréquation, l’État contribuera à équiper en fibre optique les zones rurales ou reculées, dans lesquelles le coût de la prise est le plus élevé. L’État octroiera prioritairement ces subventions aux zones mal desservies, à la desserte des établissements publics tels que les hôpitaux et les écoles, ainsi qu’aux zones d’activité économique.

Le secteur des logiciels, très dynamique en France, n’est évidemment pas négligé. Le redéploiement des crédits du programme d’investissements d’avenir définit en effet un certain nombre de priorités se traduisant par des appels à projet dans les domaines du cloud, du big data, de la sécurité informatique et des objets connectés.

Un changement de titre de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication n’aurait qu’une portée symbolique. Il faut définir précisément ce qu’on entend par « neutralité du net », car on constate des divergences d’un pays à l’autre, par exemple entre les États-Unis et les Pays-Bas qui ont légiféré en la matière. Nous allons continuer d’approfondir la question dans les mois qui viennent, en liaison avec les ministères de la justice et de l’intérieur, ainsi qu’avec le CNN.

L’obsolescence programmée des matériels nous préoccupe également. L’arrivée d’offres commerciales sans subvention du terminal me paraît de nature à ralentir un rythme de renouvellement devenu excessif et profitant souvent aux produits importés. Nous réfléchissons donc, à la fois sur un plan industriel et environnemental, au développement d’un second marché et au recyclage des terminaux.

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M. le président François Brottes. Nous en venons au second débat de cette séance, portant sur les risques résultant des ondes électromagnétiques et l’inscription du principe ALARA dans le droit positif.

Mme Laurence Abeille. En dépit de l’intérêt des différents groupes parlementaires pour cette question, l’examen de la proposition de loi relative à l’application du principe de précaution défini par la Charte de l’environnement aux risques résultant des ondes électromagnétiques n’a pu aboutir à l’adoption d’un texte, ayant été finalement renvoyé en commission. Quel est donc l’avenir de cette proposition du groupe écologiste ? Selon quelle méthode la remettrons-nous sur le métier ?

Nous avions déjà abondamment discuté du principe ALARA. Un rapport doit examiner s’il est possible de le mettre en œuvre dans ce domaine. Où en sommes-nous ? Qui est chargé de son élaboration ? Selon quelle lettre de mission ? Disposerons-nous de nouveaux éléments d’information d’ici à la fin juin ? Nous attendons aussi une étude de l’ANSES qui, déjà en 2009, avait préconisé de réduire l’exposition des populations aux ondes électromagnétiques. Qu’apportera de plus cette nouvelle étude ? Je souhaite qu’on puisse, en juillet prochain, réinscrire la proposition de loi en séance publique.

J’ai demandé qu’on nous communique le protocole de l’étude conduite à l’hôpital Cochin sur l’électro-hypersensibilité et j’attends toujours la réponse de Mme la ministre chargée de la santé.

Le déploiement de la 4G, qui fait l’objet d’une étude d’impact économique, fera-t-il aussi l’objet d’une étude d’impact sanitaire et environnemental ?

Où en sommes-nous de la mutualisation des antennes, que prévoyait d’encourager notre proposition de loi ?

Nous avions également abordé la question du Wi-Fi dans les crèches et dans les écoles maternelles, avant que le thème, apparemment tabou, ne soit finalement retiré de la discussion de la proposition de loi. Le Gouvernement entend-il cependant privilégier les connexions filaires afin de protéger les jeunes enfants ?

Le développement de la fibre optique permettra-t-il de mettre fin aux liaisons de type WiMAX et Super Wi-Fi, souvent instables et recréant une fracture numérique au détriment de certaines zones géographiques ?

La transparence et la concertation me paraissent aujourd’hui insuffisantes dans le déploiement de la 4G. Quelles mesures comptez-vous prendre pour améliorer l’information des élus et des riverains ?

Quelles dispositions envisagez-vous pour permettre aux consommateurs de désactiver les dispositifs du type femtocell embarqués dans les box ?

Nous avons maintenant besoin, sur toutes ces questions, d’arrêter une méthode et un calendrier afin de parvenir à un texte dont nous discuterons en séance publique.

M. le président François Brottes. Vous venez de balayer la presque totalité des sujets qui figuraient dans votre proposition de loi alors qu’il me semble préférable de nous concentrer sur la question de la mise en œuvre législative du principe ALARA.

Mme Suzanne Tallard. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a voulu prendre en compte le principe de précaution tout en préservant une bonne qualité des services de télécommunications. Nous attendons maintenant les résultats des travaux du COPIC qui devrait nous fournir dans quelques semaines des enseignements pour l’ensemble du territoire.

La proposition de loi, qui n’a pas été enterrée, comme la presse l’a parfois écrit à tort, doit être réaliste et applicable, assurer l’information des élus et du public et traiter le cas des personnes électrohypersensibles afin de trouver les moyens d’atténuer leurs souffrances. J’ai moi aussi demandé à la ministre de la santé la communication du protocole de l’étude menée à l’hôpital Cochin.

M. Lionel Tardy. Le groupe UMP, qui ne souhaitait pas que soit adoptée une proposition de loi déséquilibrée et mal rédigée, se réjouit que nous ayons en commission le débat qui n’a pu avoir lieu en séance publique.

Les enjeux économiques liés aux ondes électromagnétiques sont d’autant plus importants que les communications électroniques de demain seront de plus en plus mobiles, avec la 4G puis la 5G.

Il ne faut pas pour autant négliger la question de l’acceptabilité sociale soulevée par les écologistes. Le sujet est central à leurs yeux, mais secondaire aux miens : notre divergence politique est profonde. Leur rejet des antennes relais et du Wi-Fi traduit une angoisse plus diffuse devant les évolutions technologiques et la complexification du monde : la protection contre les ondes électromagnétiques ne constitue qu’un point de fixation.

C’est pourquoi il me paraît inopportun de poser le problème autour de la mise en œuvre du principe ALARA. Prenons plutôt le temps d’une réflexion approfondie, le prochain créneau de discussion parlementaire dont disposent les écologistes n’étant que dans un an.

M. le président François Brottes. Mais vous ne proposez aucune méthode…

M. André Chassaigne. D’abord choqués par les propos de Mme la ministre qui avait parlé de « peur irrationnelle » à propos des dangers des ondes électromagnétiques, les députés du groupe GDR ont ensuite été rassurés par son approche plus nuancée, qui allait de pair avec la reconnaissance de la résolution 1815 du Conseil de l’Europe, du code 2B fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de la décision de la Cour suprême de cassation italienne et des avis rendus par de nombreux experts.

Nous avions également été choqués par le renvoi de la proposition de loi en commission. Mais si cela permet d’améliorer le texte et de le discuter dans un délai raisonnable, nous pouvons nous satisfaire de la méthode et faire évoluer notre perception du dossier.

Nous ne nions pas l’importance des enjeux économiques que M. Tardy aime rappeler, mais la question de l’acceptabilité sociale repose sur des problèmes de santé tout à fait réels, car certaines personnes se trouvent handicapées par les ondes électromagnétiques : notre responsabilité consiste à trouver des solutions à leurs difficultés. Ces solutions peuvent être politiques, mais aussi techniques.

Mme Jeanine Dubié. Je tiens d’abord à remercier le président François Brottes d’avoir tenu son engagement pour l’organisation du présent débat après le regrettable renvoi de la proposition de loi en commission et la confiscation de la discussion sur les amendements.

M. le président François Brottes. Je me permets de conseiller aux groupes parlementaires, quels qu’ils soient, lorsqu’ils présentent des propositions de loi dans le créneau de discussion qui leur est attribué, de ne pas surcharger l’ordre du jour s’ils veulent qu’on puisse débattre sérieusement dans le temps imparti.

Mme Jeanine Dubié. Pour garantir la sécurité sanitaire à nos concitoyens, il nous faut fixer une exigence de précaution à l’égard de technologies sur les effets desquelles nous manquons encore de recul. Sans nous opposer au progrès technique, nous constatons cependant des divergences d’analyses scientifiques et relevons des contradictions entre les différents rapports et études. Les conclusions que nous attendons encore de la part du COPIC et de l’ANSES ne suffiront pas à clore le débat. Ne faudrait-il donc pas se donner davantage de moyens pour la réalisation d’études rigoureuses et surtout indépendantes ?

Comment envisage-t-on de rendre plus transparente l’installation d’antennes relais ? Nous avons, dans certaines zones rurales, déploré une sous-information, des élus comme des citoyens, sur l’installation du WiMAX, ce qui a provoqué la création d’un certain nombre d’associations impliquées sur cette thématique. Nous risquons de le revivre avec le déploiement de la 4G.

M. Frédéric Barbier. Le groupe SRC se réjouit aussi du présent débat : le renvoi de la proposition de loi en commission n’était donc pas un enterrement. Nous nous accordons tous sur la nécessité de traiter sérieusement de la question des ondes électromagnétiques.

À la suite des travaux du COPIC et de l’ANSES, le Gouvernement s’est engagé à remettre, avant l’été, un rapport d’évaluation des conséquences économiques et juridiques d’une inscription du principe ALARA dans la loi. Cet engagement sera-t-il tenu ? Dispose-t-on de premières indications ?

Quel est l’avenir de la mutualisation des antennes relais, compte tenu notamment de l’avis rendu hier par l’Autorité de la concurrence ?

Mme Marie-Hélène Fabre. À la suite de la table ronde « Radiofréquences, santé, environnement » tenue en 2009, un comité opérationnel a été chargé de réaliser des expérimentations sur l’exposition du public aux ondes électromagnétiques afin d’évaluer l’impact des antennes relais sur la couverture du territoire, la qualité des services rendus aux usagers et le nombre d’équipements nécessaires. Les travaux du comité devaient s’achever au début de cette année. Pouvez-vous nous indiquer leur état d’avancement à ce jour ?

À l’issue de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012, notamment de la table ronde sur la prévention des risques sanitaires et environnementaux, le Gouvernement a demandé à l’ANSES de procéder, avant la fin de 2012, à la mise à jour de l’expertise sur les aspects sanitaires des radiofréquences. Quelles nouvelles règles pourraient être introduites en la matière, sachant que l’installation du très haut débit s’étendra jusqu’en 2014 ?

Mme Marie-Lou Marcel. Au moment du renvoi en commission de la proposition de loi, il nous a été indiqué qu’un nouveau texte nous serait soumis au second semestre après que le CNN aura mené une réflexion sur l’introduction du principe ALARA dans le droit des télécommunications. Or le CNN, qui a pour but le développement du numérique, compte en son sein des représentants des grands opérateurs. N’aurait-il donc pas été préférable de faire établir un rapport par l’Institut de veille sanitaire (InVS) qui est notamment chargé du suivi des maladies chroniques auxquelles se rattache l’électrohypersensibilité ?

Dans certaines régions, comme Midi-Pyrénées, des associations telles que Next-Up ou Les Robins des toits mènent des expériences pour mieux mesurer l’électrosensibilité de nos concitoyens, en installant des cages de Faraday au-dessus des lits. Sur ces bases, une étude ne devrait-elle pas être pilotée par le ministère de la santé ?

Mme Frédérique Massat. Le déploiement du très haut débit et la problématique de l’installation d’antennes relais se rencontrent nécessairement. Nos compatriotes comprennent mal que, dans des zones peu denses, plusieurs opérateurs interviennent concurremment pour installer chacun leur antenne.

Les zones non desservies, zones blanches naturelles, pourraient devenir à terme des zones refuges pour les personnes électrohypersensibles. Comment permettre à celles-ci de se protéger sans, pour autant, renoncer à équiper des portions du territoire en téléphonie mobile ?

M. Razzi Hammadi. Quelle est aujourd’hui la position du Gouvernement à l’égard du principe ALARA, sachant qu’une certaine convergence se dessine au sein de la représentation nationale ?

La mutualisation des antennes relais ne pourrait-elle rapidement favoriser le déploiement des nouveaux réseaux, notamment de la 4G ?

D’importantes inégalités frappent encore nos territoires, notamment en banlieue parisienne. Comment y remédier ?

Mme Laure de La Raudière. Pour l’éventuelle introduction du principe ALARA, il nous manque aujourd’hui une étude d’impact exhaustive, en matière d’investissements et d’emplois comme en matière sanitaire et sociale.

Nous avons également besoin d’une étude rationnelle sur la hiérarchie de l’exposition aux ondes électromagnétiques en fonction des appareils concernés : antennes, terminaux mobiles, box Wi-Fi, compteurs électriques… Un tableau des différentes incidences sur la personne humaine montrerait peut-être la nécessité de se préoccuper davantage de certains équipements que d’autres.

Le problème des personnes électrohypersensibles est important, mais doit être traité de façon spécifique. Ce n’est pas forcément en limitant la puissance de toutes les antennes qu’on le résoudra. Les personnes concernées sont en effet parfois plus sensibles à la proximité d’un compteur électrique.

M. le président François Brottes. Vous auriez pu mentionner également les réémetteurs de radio et de télévision.

M. Lionel Tardy. Le principe ALARA s’applique au domaine nucléaire et à ceux dont les risques sont établis. Existe-t-il des raisons scientifiques de l’étendre aux radiofréquences alors que les agences publiques d’expertise ne le recommandent pas ? Est-il appliqué aux radiofréquences dans d’autres pays ? Si oui, lesquels et comment ? Sinon, pourquoi la France devrait-elle se singulariser ?

Quels sont les résultats déjà obtenus par les travaux du COPIC sur les antennes relais et comment les fera-t-on connaître à l’ensemble des maires ?

Si l’on doit rechercher la sobriété pour l’exposition aux radiofréquences, quelles dispositions adopter à l’égard des ampoules basse consommation, qui exposent les personnes à plus de dix volts par mètre à 30 centimètres ? Ne faudrait-il pas faire le tour complet des équipements présentant les mêmes caractères au lieu de se contenter d’un texte restrictif ?

M. le président François Brottes. Le renvoi de la proposition de loi en commission nous incite à parler d’abord de notre méthode de travail. Il nous faut trouver un équilibre entre la position qui consiste à vouloir ignorer les risques de l’exposition aux ondes électromagnétiques et celle qui tend à voir des dangers partout. Un chemin médian donne donc la priorité au principe de sobriété. Pour avoir dirigé pendant plus de deux ans les travaux du COMOP, je reste attaché à l’une des conclusions du rapport de 2009 de l’ancienne Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), pour qui le danger présenté par les antennes relais n’était pas avéré, à la différence de ceux du terminal mobile, et qui préconisait donc de recourir chaque fois que possible à une technique plus sobre à qualité égale de service. C’est une orientation qu’il nous faut suivre.

Quant à l’application du principe ALARA, il convient d’en mesurer l’impact social, économique et technique, d’en apprécier la faisabilité, d’en évaluer l’application à d’autres types d’ondes électromagnétiques que celles du téléphone mobile. Cela exige de retenir une méthode de travail. Le Gouvernement semble aujourd’hui disposé à y réfléchir avec nous afin notamment de réduire la part d’irrationnel dans nos analyses.

Le problème des personnes électrohypersensibles, qui doit bien sûr être traité, n’entre pas forcément dans le périmètre qui nous occupe.

Mme la ministre. Nous nous étions engagés à ce que le renvoi en commission de la proposition de loi n’enterre pas le texte, mais permette au contraire de le perfectionner au terme d’une discussion en profondeur.

La limitation de l’exposition aux ondes électromagnétiques constitue bien un enjeu de sécurité sanitaire qu’il nous faut examiner de façon rationnelle et étayée. Nous entendons pour cela encourager une plus grande sobriété des émissions.

Le principe de sobriété doit être juridiquement défini, de façon efficace et stable, afin de déboucher sur un dispositif législatif opérationnel et pérenne offrant une protection à nos concitoyens plutôt que générant des contentieux. Le 31 janvier dernier, le Gouvernement s’est engagé à remettre à la représentation nationale un rapport évaluant les conséquences juridiques et économiques de sa mise en œuvre. Ce rapport n’est pas encore établi. Il devrait être remis dans les cinq mois. Sa rédaction devrait être confiée, non au CNN, mais à trois personnalités complémentaires, expertes et indépendantes. La première serait un conseiller d’État, pour les aspects juridiques ; la deuxième un membre de l’inspection générale des affaires sociales, de préférence médecin ; enfin un ancien élu connaissant bien les problématiques sanitaires. Le choix des personnes n’est pas encore arrêté, mais je vous en ferai connaître la liste dans les huit jours qui viennent afin de recueillir votre assentiment.

La mission pourra s’appuyer sur les services de l’ANFR et de l’ANSES.

M. le président François Brottes. Je propose que chaque groupe parlementaire désigne l’un de ses membres pour servir de correspondant à la mission d’experts et entretenir avec elle des échanges réguliers.

Mme la ministre. La mission procédera aussi à l’audition des organisations non gouvernementales dont il a été fait mention.

Elle établira une hiérarchie des expositions aux ondes électromagnétiques selon les différents équipements, ainsi que l’a notamment souhaité Mme Laure de La Raudière.

Sur cette base, elle étudiera d’abord le rayonnement des terminaux mobiles, qui constitue une priorité à court terme, compte tenu des risques cancérigènes mentionnés par diverses études. Elle mesurera ensuite l’exposition aux antennes, mais en prenant davantage de temps pour bien en appréhender tous les enjeux, techniques, économiques et sanitaires.

La charte parisienne sur les antennes relais, plutôt bien accueillie par l’ensemble des parties prenantes, pourrait servir de source d’inspiration à la mise en œuvre du principe de sobriété.

On pourrait aussi confier à la mission l’étude de la pertinence d’une mesure de seuil en sortie d’antenne conformément à l’attente de nos concitoyens à l’égard de la protection des locaux privés.

D’autres actions pourraient être menées, telles que la pérennisation du COPIC en instance de concertation placée auprès de l’ANFR. Chargé de mettre en œuvre les recommandations du COMOP, il a mené, depuis septembre 2011, différentes expérimentations qui auraient dû s’achever au milieu de cette année. Outil de transparence et de concertation, il a fait la preuve de son utilité. On pourrait désormais le consulter sur les instructions techniques en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques.

Je demanderai à la ministre de la santé de bien vouloir vous transmettre le protocole de l’étude sur l’hypersensibilité menée à l’hôpital Cochin que vous avez réclamé.

L’Autorité de la concurrence a ouvert la voie à la mutualisation des infrastructures, actives et passives, qui demeure cependant un sujet complexe dans les zones les plus denses où elle n’aboutirait pas nécessairement à une réduction du nombre d’antennes.

La mise en œuvre du principe de sobriété incite également à une réflexion sur les points atypiques, en liaison avec le sujet plus vaste des seuils d’émissions.

Du point de vue sanitaire, il ne faut pas confondre les problèmes posés par les terminaux et ceux posés par les antennes.

Le principe de précaution, dit ALARA, est appliqué de façon spécifique dans le domaine nucléaire compte tenu des risques avérés. Dans le cas des ondes électromagnétiques, le Conseil d’État a refusé sa mise en œuvre, considérant qu’il n’existait pas, à ce jour, d’éléments circonstanciés pour cela. Cela ne nous empêche évidemment pas d’appliquer, à l’instar de ce que souhaite le président François Brottes, un principe de sobriété, qui me semble de bonne gestion.

Le Gouvernement entend désormais privilégier la fibre optique dans le cadre du plan très haut débit, car elle réduit les pertes de signal. Mais tout le territoire national ne pourra en bénéficier dans les dix ans qui viennent. Des technologies alternatives continueront donc d’être exploitées, au moins dans une période transitoire afin de résorber la fracture numérique.

La transparence de l’installation d’antennes relais devrait s’améliorer grâce au travail de cartographie actuellement mené par l’ANFR et débouchant sur des données publiques disponibles sur le site Cartoradio.fr.

Les travaux du COPIC devraient s’achever en juin prochain.

Les zones blanches évoquées par Mme Massat n’ont pas vocation à le demeurer et ne sauraient, bien sûr, apporter une solution de refuge aux personnes victimes d’électrohypersensibilité. Ce problème nécessite un traitement particulier, en liaison avec le ministère de la santé.

Les quartiers numériques feront, partout en France, l’objet d’une démarche de mise en réseau et de labellisation.

L’ANFR dispose déjà de données sur la hiérarchie des expositions aux ondes électromagnétiques en fonction des types d’équipements et de matériels : terminaux, antennes, Wi-Fi, compteurs… Le rapport que nous diligentons permettra de donner un caractère objectif aux problématiques afférentes à la mise en œuvre du principe de sobriété.

M. le président François Brottes. Le Gouvernement s’inscrit ainsi dans une démarche constructive, favorisant la rationalisation de notre propre démarche dans un délai raisonnable, compte tenu de la complexité des sujets.

J’ai demandé au CNN, lors de son audition par notre commission, de s’intéresser à la question de la sobriété, même s’il n’entre pas directement dans le champ de ses compétences. La 4G apportant une solution alternative pour la desserte du territoire en internet, il faut aussi se préoccuper de la façon dont les contenus sont distribués.

Les travaux et les expérimentations du COMOP ayant montré qu’il était facile, pour les opérateurs, de neutraliser les points atypiques, le Gouvernement devrait les encourager dans cette voie. Cette question focalise l’attention et suscite des passions dont on pourrait se dispenser : sa solution n’exige pas forcément qu’on attende le vote d’une nouvelle loi.

Enfin je prends acte de la volonté du Gouvernement de pérenniser le COPIC. Je suggère qu’on lui donne un pilotage politique pour le rendre pleinement efficace.

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Information relative à la commission

M. le président François Brottes. À la suite de la présentation du rapport du 6 février dernier sur la filière télécom, nous avions évoqué les suites à donner à cette mission.

Dans cette perspective, je vous propose aujourd’hui la création d’une mission d’information sur le développement de l’économie numérique française, dont les rapporteurs seront Corinne Erhel et Laure de La Raudière.

J’invite les différents groupes politiques à nous faire savoir lesquels de leurs membres souhaiteraient être associés aux travaux de la mission.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 12 mars 2013 à 16 h 15

Présents. - M. Damien Abad, M. Frédéric Barbier, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Borgel, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Razzy Hammadi, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Audrey Linkenheld, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Frédéric Roig, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy

Excusés. - M. Franck Gilard, M. Daniel Goldberg, M. Antoine Herth, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Lepetit, Mme Jacqueline Maquet, M. Bernard Reynès, M. Fabrice Verdier

Assistaient également à la réunion. - Mme Laurence Abeille, M. Jean-David Ciot, Mme Sophie Errante, Mme Suzanne Tallard