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Commission des affaires économiques

Mercredi 3 avril 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 67

Présidence de M. François Brottes Président

– Point d’étape, ouvert à la presse, sur le rapport d’information sur l’hydroélectricité (Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann, rapporteurs)

– Audition de M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema

– Audition de M. Frédéric Chalmin, directeur général opérations de Kem One

La commission a entendu le point d’étape sur le rapport d’information sur l’hydroélectricité de Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann.

M. le président François Brottes. Je passe tout de suite la parole à Madame Battistel et M. Straumann pour un point d’étape sur l’avancement de la mission d’information sur l’hydroélectricité dont ils sont les rapporteurs.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Les travaux de notre mission ont été lancés suite à l’audition de Mme la ministre Delphine Batho par la Commission des affaires économiques le 24 octobre dernier. Suite à l’une de mes questions, elle avait indiqué qu’elle recherchait des alternatives à la mise en concurrence des concessions hydrauliques. M. le président, vous avez alors souhaité confier à M. Straumann et moi-même une mission qui examinerait les différentes possibilités. Au cours de nos travaux, nous avons auditionné plus d’une centaine de personnes, et nous souhaitions vous présenter aujourd’hui l’état d’avancement de notre réflexion sur le sujet.

L’hydroélectricité est considérée, depuis sa création au 19ème siècle, comme un bien national. La loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, énonce que « nul ne peut disposer de l’énergie […] des cours d’eau sans une concession ou une autorisation de l’État ». Une grande partie des dispositions de cette loi sont encore en vigueur aujourd’hui.

L’hydroélectricité conserve encore aujourd’hui un rang à part dans notre mix énergétique. Cela tient à 4 raisons essentielles que mon collègue M. Straumann va vous exposer.

M. Éric Straumann, rapporteur. En premier lieu, l’hydroélectricité constitue, avec le nucléaire, l’un des deux piliers du mix électrique français : avec 70 TWh produits en moyenne chaque année, soit 12 % de la production d’électricité, et 25 GW de puissance installée, soit 20 % de la puissance installée sur le territoire national, c’est l’un des maillons essentiels de la sécurité d’approvisionnement des usagers français.

Elle représente également plus de 80 % de la production d’électricité d’origine renouvelable et 20 % de la production totale d’énergie d’origine renouvelable, ce qui la rend déterminante dans l’atteinte des objectifs fixés par la programmation pluriannuelle des investissements – 23% d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie d’ici 2020.

Rassemblant 66 % du parc de production de pointe et d’extrême pointe, il s’agit du moyen de production le plus flexible et le plus modulable. La centrale de Grand’Maison, en Isère, que nous avons visitée, offre par exemple une puissance de 1800 MW – l’équivalent de deux réacteurs nucléaires – mobilisables en trois minutes seulement. De telles propriétés sont précieuses dans le contexte énergétique européen. La part des sources d’énergie intermittentes dans le mix électrique européen s’accroît rapidement, nécessitant le développement parallèle de moyens de production flexibles, susceptibles de démarrer ou de s’arrêter rapidement en cas de variations importantes de la production. Les barrages constituent les moyens privilégiés de cet ajustement instantané de l’offre et de la demande. Gérés en temps réel pour valoriser au mieux la ressource hydraulique, ils turbinent en heure de pointe, lorsque les prix sont élevés, et reconstituent leurs réserves en heure creuse, lorsque l’électricité est bon marché. Quant aux STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), elles constituent un instrument dédié spécifiquement à l’optimisation du système électrique. Alors que plusieurs pays européens ont lancé d’ambitieux programmes de développement des STEP, on compte un seul projet français, Redenat sur la Dordogne. L’ensemble de ces éléments font de l’hydroélectricité un moyen de production tout à fait déterminant à la réussite de la transition énergétique.

Enfin, l’hydroélectricité est le moyen de production d’électricité le plus compétitif, de l’ordre de 25 à 30 euros par mégawattheure (€/MWh) contre 42 €/MWh pour l’électricité nucléaire vendue dans le cadre de l’ARENH et 50 €/MWh pour l’électricité valorisée sur le marché. La compétitivité de l’hydroélectricité est le point de départ de l’aventure de la « houille blanche » : de nombreux groupes industriels (Péchiney, Alcan, etc.) se sont développés dans les vallées alpines pour se brancher en direct sur les barrages. Plus d’un siècle plus tard, ces ouvrages offrent toujours au consommateur industriel ou particulier une électricité à un prix stable et bon marché. Tandis que les centrales nucléaires nécessitent des investissements de mise à niveau et que, dans le même temps, le soutien au photovoltaïque et à l’éolien impose de mobiliser des ressources financières nouvelles, l’énergie hydraulique constitue au contraire un facteur de stabilité du prix de l’électricité.

De l’hydroélectricité dépendent en réalité beaucoup d’autres décisions de politique énergétique, ce qui justifie qu’elle soit replacée au centre du débat sur la transition énergétique. L’objectif de notre mission est de poser les bases d’un régime juridique adapté : sa spécificité et son importance dans le mix énergétique national plaident en faveur de la mise en place d’un cadre particulièrement protecteur.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. À ce titre, 2 enjeux différents doivent être distingués. S’agissant de la petite hydroélectricité, des contraintes environnementales empêchent son développement ; nous avons donc cherché à étudier comment concilier la possibilité de relancer les projets de petites centrales et un niveau de protection de la qualité écologique des cours d’eau très élevé. Je rappelle que la très grande majorité de ces petites centrales sont soumises au régime de l’autorisation, applicable aux installations d’une puissance inférieure à 4,5 MW.

Mais la question traitée par le rapport au sujet de laquelle l’attente est la plus forte est bien évidemment celle du devenir des concessions hydrauliques, c’est-à-dire des ouvrages dont la puissance est supérieure à 4,5 MW. Il s’agit d’une question majeure, car ils représentent 93% de la production hydroélectrique française. Nous avons pu constater au cours de nos travaux à quel point ce sujet déchaînait les passions des acteurs du secteur de l’énergie : pas moins de 12 entreprises, venant de 7 pays différents, ont confirmé leur intention d’exploiter les centrales françaises.

Nous évoquerons, dans un premier temps, la question du devenir de la petite hydroélectricité. Nous déplorons que cette dernière soit la grande oubliée des questions énergétiques – au même titre que l’hydroélectricité en général.

Les installations hydroélectriques bénéficiant d’un contrat d’obligation d’achat produisent annuellement 5,4 TWh d’électricité. Leur coût pour la CSPE est faible : selon les chiffres donnés par la CRE, il s’élève à 71 €/MWh produit en 2013. Par comparaison, ce chiffre est de 89 €/MWh pour l’éolien et 459 €/MWh pour le photovoltaïque. Alors que ces chiffres plaident pour un développement de cette source d’énergie verte, on constate que le rythme de développement de la petite hydroélectricité est bien en deçà des objectifs fixés.

Les acteurs de l’hydroélectricité, réunissant petits producteurs et associations de défense de l’environnement, ont signé, en juin 2010, une convention d’engagements « pour le développement d’une hydroélectricité durable en cohérence avec la restauration des milieux aquatiques ». Elle fixe un objectif de développement de la production hydroélectrique de 3 TWh d’ici à 2020. Repris par la programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité, il constitue l’une des composantes de la stratégie française de développement des énergies renouvelables. Cela signifie que pour atteindre la cible de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie d’ici à 2020, la France doit parvenir à cet objectif de développement de 3 TWh. Pourtant, la trajectoire de production d’électricité par des installations hydrauliques stagne depuis 2008.

En réalité, la mise en valeur du potentiel existant est freinée par deux facteurs. Le premier est la nécessité pour les petits producteurs de basculer des tarifs d’achat vers le marché, ce qui est une opération difficile.

Je rappelle que, si, par principe, un contrat d’obligation d’achat ne peut être renouvelé, la loi prévoit deux exceptions. D’une part, la loi NOME a introduit une disposition particulière pour les installations bénéficiant d’un contrat d’achat « 97 », arrivant à échéance à partir de 2012 : ces contrats pourront être renouvelés une fois à leur échéance aux mêmes conditions et pour une durée de quinze ans, sous réserve de la réalisation d’un programme d’investissement. Ce programme d’investissement a été défini par un arrêté récent, datant du 10 août 2012.

D’autre part, réaliser des investissements importants visant à accroître les performances environnementales et énergétiques de l’installation ouvre droit à un nouveau contrat d’obligation d’achat, dit de « rénovation ». Ce contrat « rénovation » présente un défaut : il introduit un effet de seuil important, qui incite les producteurs à limiter le gain de puissance de leur ouvrage pour ne pas dépasser la barrière des 400 kW. C’est pourquoi il serait nécessaire de supprimer cet effet de seuil.

Quant aux autres installations, pour lesquelles aucun investissement n’est nécessaire, elles ne pourront bénéficier d’un nouveau contrat (contrat « rénovation ») ou d’une prolongation de leur ancien contrat (contrat « loi NOME »). Perdant le bénéfice de l’obligation d’achat, elles seront donc contraintes de valoriser leur électricité sur le marché. Il s’agit d’une véritable rupture : les exploitants qui, jusqu’à présent, n’avaient à se soucier que du fonctionnement technique de leur installation, doivent désormais prendre en charge l’aspect économique, ce qui nécessite la maîtrise de compétences spécifiques.

Des acteurs (agrégateurs, coopératives) développent des offres de service spécifiques à destination des petits hydrauliciens pour les aider à assurer cette nouvelle activité. De telles structures sont nécessaires, à condition que le rapport de force ne soit pas défavorable aux producteurs, notamment quand ce sont des particuliers.

En résumé, l’équation économique de la petite hydroélectricité a des solutions, mais deux inconnues : la suppression de l’effet de seuil du contrat « rénovation » et le contrôle par l’État du bon fonctionnement des agrégateurs de production.

Deuxième frein au développement de la petite hydroélectricité, les contraintes environnementales n’intègrent pas suffisamment la spécificité de ce moyen de production.

La directive cadre sur l’eau de 2000 introduit le principe de continuité écologique des cours d’eau, transposé dans le droit français par la loi sur l’eau du 30 décembre 2006 puis par la loi Grenelle II. Les cours d’eau qui doivent être soumis à une protection particulière en raison de leur intérêt écologique font l’objet d’un classement, prévu par le code de l’environnement : soit le classement en liste 1, pour les cours d’eau sur lesquels les exigences doivent être les plus élevés ; dans ce cas, aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique ; soit le classement en liste 2 ; ce régime est moins strict que le classement en liste 1, mais prévoit quand même que tout ouvrage placé sur un cours d’eau classé en liste 2 doit être géré et entretenu selon des règles définies par l’autorité administrative compétente.

Ces dispositions divisent par trois le potentiel hydroélectrique des sites vierges pouvant faire l’objet de nouvelles installations.

En effet, l’Union Française de l’Électricité (UFE) a identifié, en septembre 2011, un potentiel hydroélectrique « brut » – c’est-à-dire avant examen de la faisabilité technique, économique et environnementale des projets – de 10,6 TWh, se répartissant en création d’ouvrages neufs (9,5 TWh) et équipement d’ouvrages existants (1,1 TWh). En croisant les données de potentiel avec les projets de classement en liste 1, où tout projet faisant obstacle à la continuité écologique sera interdit et où de ce fait aucune demande ne sera instruite, ce potentiel est réduit de 75%. Dans cette hypothèse, l’objectif d’accroissement de la production hydroélectrique française de 3 TWh à l’horizon 2020 est très compromis.

Il apparaît donc nécessaire de procéder à un rééquilibrage des classements des cours d’eau, en préservant d’un classement en liste 1 les zones propices à l’hydroélectricité qui ne présentent pas un intérêt écologique majeur et à la condition que les ouvrages construits soient dotés de dispositifs destinés à favoriser la continuité écologique des cours d’eau. De tels équipements existent. En procédant au cas par cas et en joignant systématiquement une étude d’impact à tout nouveau projet, il nous semble que ce rééquilibrage ne nuirait pas à la richesse des fleuves et rivières français. À ce titre, soulignons que les sites à potentiel hydroélectrique ne concernent que 4% du linéaire des cours d’eau classés.

Si certains arrêtés de classement sont déjà parus, ceux relatifs aux bassins Rhône-Méditerranée et Adour-Garonne, les deux zones à plus fort potentiel hydroélectrique, sont en cours de discussion, et il est donc tout à fait essentiel de peser, dès maintenant, sur leur élaboration.

Les grands ouvrages hydroélectriques sont également à un moment clé de leur existence. Je vais laisser le soin à mon collègue de vous rappeler, dans un premier temps, le contexte juridique.

M. Éric Straumann, rapporteur. Les grands barrages hydroélectriques français sont la propriété de l’État, qui en concède l’exploitation par le biais de contrats.

Attachés à ces contrats, des cahiers des charges des concessions définissent les obligations du concessionnaire vis-à-vis de l’autorité concédante. Le bénéfice de la concession a été attribué, dans la très grande majorité des cas, pour une durée de 75 ans, mais à des dates différentes, selon l’année de construction des ouvrages. Par conséquent, les dates d’échéance de chaque concession s’échelonnent dans le temps selon un calendrier très étalé : 16 contrats arrivent à échéance avant 2015, tandis que d’autres courent jusque dans la décennie 2060. Héritages de l’histoire industrielle française, les concessions hydroélectriques sont exploitées à 80% par l’opérateur national EDF, qui voyait, jusqu’à une date récente, ses contrats de concession renouvelés de gré à gré. Les 20% restants sont détenus par la CNR.

Cette procédure n’est plus utilisable en l’état actuel de la législation, en raison de deux évolutions juridiques majeures.

La loi sur l’eau du 30 décembre 2006 a supprimé le « droit de préférence » qui était prévu par la loi du 16 octobre 1919 susmentionnée ; cette suppression a été exigée par la Commission européenne, au motif que le droit de préférence engendrait une distorsion de concurrence incompatible avec la libéralisation du marché intérieur de l’électricité.

La loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin », prévoit une exception à l’obligation de mise en concurrence lors de l’attribution d’une délégation de service public si ce service public est confié à un établissement public. En transformant EDF en société anonyme, la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières a fait rentrer les concessions hydroélectriques dans le droit commun des délégations de service public.

Le droit actuel prévoit donc que le régime de la concurrence entre opérateurs s’impose désormais dans le renouvellement des concessions hydroélectriques.

La procédure de remise en concurrence a été lancée depuis 2006 et le cadre en a été posé par des textes réglementaires datant de 2008.

À l’échéance de chaque contrat de concession, un appel d’offres sera lancé, auquel pourront candidater l’ensemble des opérateurs du secteur de l’énergie. Dans un premier temps, l’administration vérifiera que les exigences minimales sont atteintes, notamment celles relatives à la sécurité. Si l’une de ces exigences au moins n’est pas respectée, l’offre sera systématiquement rejetée. Dans un deuxième temps, les offres seront notées au regard de trois critères.

Un critère énergétique : seront favorisés les projets présentant des investissements de modernisation des installations existantes ou des équipements nouveaux qui augmentent la performance et le productible des ouvrages.

Un critère environnemental : les ouvrages devront concilier la protection des écosystèmes et les usages de l’eau autre qu’énergétiques (protection des milieux aquatiques, soutien d’étiage, irrigation,…).

Un critère économique, la maximisation du taux de la redevance proportionnelle au chiffre d’affaires de la concession proposée par le candidat. Il est pour l’instant envisagé la mise en place d’un plafond à cette redevance, qui a pour vocation de limiter l’impact du critère économique sur les deux autres critères, et permet d’envoyer un signal fort aux candidats sur les attentes de l’État en matière énergétique ou environnementale.

Le programme de renouvellement des concessions par mise en concurrence a été annoncé par le ministre en charge de l’énergie le 22 avril 2010.

M. le président François Brottes. Le ministre d’alors, non le ministre actuel.

M. Éric Straumann, rapporteur. C’est exact. Ce programme de renouvellement porte sur 10 vallées, pour une puissance totale de 5 300 MW, soit 20 % du parc. Les concessions incluses dans ce programme sont celles dont la date d’échéance est la plus proche ; toutefois, afin d’attribuer conjointement les ouvrages situés sur une même chaîne, il a été procédé à des regroupements d’aménagements hydrauliques en mettant un terme à certaines concessions de façon anticipée. Pour ces dernières, les candidats devront indemniser le concessionnaire sortant en lui versant une soulte d’un niveau équivalent à la perte économique consécutive à la réduction de la durée de la concession.

Il est important de noter que ce regroupement n’a pas été effectué pour toutes les chaînes : dans certains cas, la date d’échéance des contrats étant très éloignée, le montant de la soulte aurait été particulièrement élevé, ce qui aurait constitué un trop grand obstacle financier pour les concurrents au concessionnaire sortant.

Sur le territoire des concessions concernées, un processus de concertation locale a été engagée : la démarche GEDRE (gestion équilibrée et durable de la ressource en eau) d’écoute et de consultation locale. Menée par les préfets coordonnateurs et les DREAL, elle a pour objectif de définir les enjeux prioritaires pour les acteurs locaux. Parallèlement, les concessionnaires sortants ont remis leurs dossiers de fin de concession, et des réunions de concertation ont eu lieu avec les candidats potentiels en 2012.

Si la procédure a passé quelques étapes, il reste tout de même un travail considérable à fournir. Pour chaque concession, il s’agira d’examiner le dossier de fin de concession remis par le concessionnaire, de rédiger le cahier des charges, de lancer les appels d’offre, d’examiner les offres reçues, puis, une fois chaque concession attribuée, d’organiser le transfert de l’exploitation de l’ouvrage au candidat vainqueur. Contrairement au parc électronucléaire, le parc hydroélectrique n’est pas standardisé, ce qui impose un travail au cas par cas coûteux en temps et en ressources humaines.

Il apparaît néanmoins cinq difficultés majeures nécessitant la révision du cadre actuel du renouvellement des concessions, que ma collègue va désormais vous présenter.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Première difficulté, et elle est de taille, aucun autre pays européen n’ouvre son parc hydroélectrique.

Issus de pays voisins de la France, les candidats à la reprise des concessions hydroélectriques invoquent largement le droit européen pour justifier de la nécessité d’une mise en concurrence du parc hydraulique national.

Mais la France est la seule à se lancer dans une telle procédure. Les autres pays européens appliquent des régimes différents qui leur permettent de contourner la nécessité d’une mise en concurrence. Trois cas différents peuvent être distingués. Premier cas, les ouvrages hydrauliques sont sous le régime de l’autorisation : sous la propriété d’un opérateur national – très souvent public –, ils ne sont pas soumis, par définition, aux règles applicables aux concessions. C’est le cas de la Suède.

Deuxième cas, l’exploitation de la force hydraulique est soumise à un régime mixte combinant autorisation et concession ; dans de tels pays (Allemagne, Espagne), les règles du jeu sont particulièrement complexes pour les nouveaux entrants.

Dernier cas, certaines règles réduisent les possibilités offertes aux candidats à la reprise des concessions non nationaux ; par exemple, en Norvège, tout candidat à l’attribution d’une concession doit être au minimum à 70 % public, ce qui oblige un exploitant étranger, s’il souhaite pénétrer ce marché à intégrer un consortium (de type SEM) avec une entreprise publique ou une collectivité locale norvégienne.

Le cas de non-réciprocité le plus flagrant est celui de la Suisse, pays dans lequel les directives sectorielles sur l’énergie ne sont même pas applicables : doit-on ouvrir nos concessions à des entreprises dont le but est de pénétrer le marché unique, sans que ces mêmes entreprises ne se conforment aux règles communautaires sur leur territoire national ?

Deuxième difficulté, en remettant en concurrence les concessions, on perd définitivement le contrôle sur la production d’électricité la plus compétitive du mix énergétique.

Le parc hydroélectrique français se caractérise par deux qualités déterminantes : sa flexibilité et sa compétitivité. Nous ne détaillerons pas davantage le rôle de clé de voûte du système électrique joué par les barrages, pour nous concentrer sur l’impact de la mise en concurrence sur le prix de l’électricité payé par le consommateur français.

Le parallèle avec le cas du nucléaire est particulièrement éclairant. Sous la pression européenne, la France a été contrainte de mettre en place le mécanisme de l’ARENH pour permettre aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF sur le marché français. Toutefois, comme le parc nucléaire historique est une propriété des Français, l’article L. 336-2 du code de l’énergie pose une condition fondamentale : les fournisseurs ont un droit à l’ARENH qui correspond aux besoins de leurs clients français.

Avec le processus de remise en concurrence, aucune condition similaire ne pourrait être imposée pour l’hydraulique : l’exploitant disposerait à sa guise de l’électricité produite et pourrait donc alimenter des clients hors du territoire national. Les consommateurs d’électricité français, qui ont financé la construction des barrages, ne bénéficieraient plus de l’électricité compétitive qui en est issue.

Cette question revêt une importance majeure pour la survie d’une industrie électro-intensive sur notre territoire. L’hydroélectricité est historiquement liée au développement de certaines activités, comme la production d’aluminium. Mais ce particularisme fort qu’est le lien entre électro-intensifs et hydroélectricité dans les régions montagneuses est désormais menacé. Les électro-intensifs qui ont des usines en France, comme FerroPem, dont nous avons visité le site, Alteo,  Rio Tinto Alcan, Métaux Spéciaux , Ugitech, etc. sont particulièrement touchés par la concurrence des sites industriels situés hors d’Europe qui, eux, continuent à bénéficier de conditions tarifaires particulièrement intéressantes. Le tarif L québécois, ou bien les prix négociés islandais atteignent respectivement 32 €/MWh et 20 à 25 €/MWh, coût du transport compris. Pour les groupes possédant leurs propres ouvrages, au Brésil, dans certains Etats américains, en Norvège, en Ecosse, au Québec, en Colombie Britannique, en Russie, la situation est encore plus favorable.

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, la question se pose donc de recréer un instrument de politique énergétique qui permette de renforcer la compétitivité du site France pour les électro-intensifs. En tout état de cause, la remise en concurrence des concessions hydrauliques irait à l’encontre d’un tel objectif.

Troisième difficulté, le découpage inadéquat des vallées remises en concurrence désoptimise le système et rend l’exploitation des barrages particulièrement complexe.

Les différents contrats de concession arrivent à échéance selon un calendrier échelonné dans le temps. Dans la grande majorité des cas, des ouvrages situés dans une même vallée sont remis en concurrence dans un intervalle de temps très important

Cette situation rend le renouvellement des contrats « au fil de l’eau » particulièrement inadapté. En effet, les ouvrages situés sur une même vallée sont dans une situation de dépendance hydraulique forte. En segmentant la mise en concurrence, plusieurs exploitants différents pourraient se retrouver à exploiter des ouvrages qui se suivent. Le résultat des exploitants se situant à l’aval dépendrait des décisions de ceux qui se trouvent à l’amont, ce qui donnerait lieu à de nombreuses contestations possibles.

Permettez-moi de vous décrire une situation que je connais bien et qui en fournit une illustration. Dans ma circonscription, trois barrages se succèdent sur une même vallée. Le barrage de tête est la propriété d’un producteur individuel. Les deux autres sont exploités par EDF sous le régime des concessions, mais seul l’un des deux fait partie du programme de remise en concurrence que vous a décrit M. Straumann. Cela signifie que dans le cas où un nouvel opérateur arrivait, trois exploitants différents opéreraient sur une même chaîne !

De l’avis des personnes chargées de faire fonctionner les sites, cette question est bien trop complexe pour être réglée par un simple contrat. L’optimisation de la production se faisant désormais à la minute près, il est impossible de définir des règles communes a priori.

Quatrième difficulté, les acteurs locaux ne disposeront d’aucune garantie sur les usages de l’eau.

Conçus à l’origine comme des ouvrages industriels, dont le seul objet poursuivi était énergétique, les barrages font désormais partie intégrante du paysage des vallées des territoires de montagne. Lorsqu’il fait varier le niveau d’eau des rivières et des lacs de retenue, l’exploitant a une prise très forte sur l’irrigation, la pêche et le tourisme. Il joue également un rôle très important en matière de prévention des crues. Enfin, si aucun dispositif n’est mis en place pour favoriser la continuité écologique des cours d’eau, les barrages ont un impact significatif sur la qualité écologique des cours d’eau et des lacs, ou encore la présence de bois flottant.

L’ensemble de ces enjeux doit être pris en compte par l’exploitant, ce qui nécessite de tisser un rapport étroit avec les habitants et les élus.

Le cahier des charges n’est pas l’outil le plus adapté pour cela. Plutôt que de favoriser la coopération, il impose une vision juridique de la gestion des enjeux locaux. Soit il est exhaustif et, dans ce cas, toute nouvelle contrainte imposée par l’autorité concédante entraîne obligation d’indemnisation du concessionnaire. Soit il est volontairement imprécis, pour permettre une évolution des missions remplies par le concessionnaire et laisser la place à des actions de collaboration volontaire. Mais alors la contrainte s’imposant à ce dernier est moins forte et le risque existe qu’une entreprise privée, a fortiori lorsqu’elle ne dispose pas d’importants effectifs sur place, ne souhaite pas aller au-delà des efforts minimums exigibles.

Enfin, les destructions d’emploi nous apparaissent inévitables.

Dans le processus actuel de remise en concurrence, il est prévu un droit d’option pour les salariés immédiatement attachés à un ouvrage remis en concurrence : ils peuvent faire le choix de rester attachés à cet ouvrage – dans ce cas le nouveau concessionnaire a obligation de les reprendre – ou bien de rester au sein du concessionnaire sortant.

Néanmoins, l’exercice possible du droit d’option ne résout pas la difficulté posée par les personnels qui ne sont pas immédiatement attachés à l’ouvrage. À titre d’indication, la jurisprudence de la Cour de cassation considère qu’à partir de 80 % de son occupation une personne est dite affectée à une activité, ce qui exclurait une grande partie des travailleurs actuels de l’hydroélectricité.

Les conséquences seront défavorables. Pour les salariés d’une part : certains d’entre eux devront accepter une mobilité géographique. Pour l’entreprise EDF, d’autre part, qui devra réaffecter à une nouvelle activité les salariés préférant demeurer dans l’entreprise plutôt que de partir chez le nouvel exploitant. En fonction du nombre de concessions remportées par ses concurrents, EDF pourrait devoir gérer des sureffectifs. À long terme, il est probable que la division hydraulique de l’entreprise soit gréée à la mesure du parc qu’EDF garde sous son contrôle.

Les concurrents étrangers à la remise en concurrence des concessions considèrent qu’il n’y aura pas de pertes nettes d’emploi car ils se doteront eux-mêmes des ressources nécessaires à l’exploitation des ouvrages qu’ils auront remportés. Mais la logique de l’optimisation économique les poussera à conserver leur activité de support dans leur pays d’origine. Dans le cas – tout à fait plausible – où plusieurs concurrents, originaires de pays frontaliers, comme la Suisse et l’Italie, remporteraient chacun une concession, aucun d’entre eux n’atteindrait la taille suffisante pour justifier l’implantation d’une division hydraulique importante. Ils feraient appel ponctuellement à leurs équipes pour intervenir sur les barrages français.

A l’inverse, le maintien d’un parc intégré garantit le maintien d’une compétence hydroélectrique forte sur le territoire national et favorise la création de nouveaux emplois. EDF est l’un des leaders mondiaux du secteur. Exploiter plus de 20 000 MW de capacités lui donne la crédibilité et l’expérience nécessaire pour candidater aux projets internationaux les plus ambitieux.

L’ensemble de ces raisons plaident en faveur d’un aménagement significatif du processus de remise en concurrence. Nous avons l’obligation de trouver une procédure qui résolve les problèmes que nous avons identifiés, dans un cadre juridique extrêmement contraint.

Plusieurs pistes sont ouvertes, mais nous ne sommes pas parvenus au terme de nos analyses. Il demeure notamment des inconnues sur les conséquences pratiques de chacune des options.

C’est pourquoi nous sollicitons, Monsieur le président, un délai supplémentaire avant la remise définitive de notre rapport.

M. le président François Brottes. Je vous remercie pour ce rapport d’étape qui fait suite à un travail d’envergure. Vous avez souligné que vous aviez procédé à l’audition de près d’une centaine de personnes et la prochaine fois que nous vous entendrons, vous pourrez donc nous exposer vos préconisations, dont nous débattrons. Nous prenons acte, en tout état de cause, des informations précieuses que vous nous apportez aujourd’hui. L’eau étant un bien public national et l’hydroélectricité se trouvant en quelque sorte au cœur du réacteur de la transition énergétique, ce sujet doit faire l’objet de toute notre attention. C’est pourquoi notre commission doit aller au bout de sa réflexion, en y intégrant les dimensions économique, juridique, sociale et environnementale. Nous devrions donc aboutir dans les semaines qui viennent !

Mme Laure de La Raudière. Je souhaiterais formuler une remarque sur les chiffres dont vous faites état. Sur les aspects économiques de l’hydroélectricité, en particulier de la petite hydraulique, vous procédez à une comparaison entre les coûts de production de l’éolien, du photovoltaïque et de l’hydroélectricité. Il serait souhaitable que vous affiniez cette comparaison, en tenant compte du caractère non intermittent de l’hydroélectricité.

M. le président François Brottes. Il s’agit en effet de comparer le disponible avec le disponible…

Mme Laure de La Raudière. Exactement ! C’est d’autant plus important que cette comparaison est rarement effectuée.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Nous tiendrons compte de votre remarque dans le rapport final !

M. le président François Brottes. L’intermittence serait du reste difficilement envisageable sans l’hydraulique.

*

* *

La commission a auditionné M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema.

M. le président François Brottes. Les deux auditions successives auxquelles nous allons désormais procéder se tiendront à huis clos, à la demande des intéressés. Je remercie néanmoins les dirigeants des entreprises Arkema et Kem One d’avoir accepté l’invitation dans un délai extrêmement court, compte tenu de l’actualité, et souhaite tout d’abord la bienvenue à M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général d’Arkema.

Nous sommes confrontés aujourd’hui à une situation grave qui pose la question de l’avenir de l’industrie chimique en France, et en particulier de plusieurs sites industriels dont votre groupe était l’exploitant jusqu’à un passé récent. Arkema s’est donc récemment séparé d’une partie de sa branche chimie, qui correspond à l’entreprise Kem One. Un dispositif aurait été mis en place à l’occasion de cette reprise en vue d’épurer le passif et même de doter le repreneur d’un fonds de trésorerie. Les salariés et certains observateurs considèrent aujourd’hui que Kem One n’aurait pas consacré les énergies et moyens annoncés lors de la reprise des sites. Une procédure contentieuse est en cours, ce qui justifie de ma part l’emploi du conditionnel, ainsi du reste que le huis clos souhaité par les intervenants.

Nous souhaiterions donc que vous nous présentiez le point de vue du groupe Arkema. Un orateur de chaque groupe politique pourra ensuite vous interroger.

M. Thierry Le Hénaff. Assisté par MM. Bernard Boyer et Nicolas de Warren, je vous présenterai d’abord l’histoire du groupe Arkema, avant de vous exposer les conditions de la cession de l’entreprise Kem One au groupe Klesch. Arkema est un groupe mondial de taille moyenne avec un peu plus de six milliards d’euros de chiffres d’affaires dans le monde et près de 14 000 salariés. Nous nous efforçons de préserver un fort ancrage sur le territoire français malgré un certain déficit de compétitivité, dans la mesure de nos moyens financiers et dans un contexte économique difficile pour la chimie. La France ne compte que pour 10 % de notre chiffre d’affaires mais représente 45 % de notre production, 8 000 salariés et 75 % de nos dépenses de recherche. Nous portons actuellement plusieurs chantiers de modernisation sur les sites de Lacq, Carling, Jarrie et Pierre-Bénite, avec des investissements allant de 30 à plus de 100 millions d’euros, ce qui est extrêmement important à l’échelle de notre groupe. Arkema a été créée à la fin de l’année 2004 au sein du groupe Total, avec un portefeuille de lignes de produits que nombre d’observateurs à l’époque considéraient comme hétéroclite. L’entreprise a été introduite en bourse en 2006 et, partant d’une rentabilité très faible, a connu depuis une belle réussite. Arkema est aujourd’hui le seul grand groupe chimiste français qui subsiste. À titre de comparaison, l’Allemagne en compte six, de taille équivalente voire plus importante que le nôtre.

Concernant « Kem One », je vous remercie d’avoir accepté notre demande d’audition à huis clos, d’autant que nous avons appris par voie de presse – ce qui est pour le moins surprenant – que nous étions assignés par le groupe Klesch en vue d’une demande d’arbitrage. Pourquoi avons-nous cédé le pôle vinylique ? Depuis l’introduction en bourse et compte tenu de notre portefeuille d’activités hétérogène, nous avons poursuivi une stratégie de recentrage sur notre cœur de métier, à savoir la chimie de spécialités. C’est d’ailleurs ce qui nous a permis de surmonter la crise importante de 2009. La chimie de spécialités correspond à des petites niches d’activités à vocation mondiale et à haute valeur ajoutée, avec beaucoup de recherche et d’innovation, et peu cycliques. Il s’agit par exemple, dans l’automobile, de matières plastiques « sous capot moteur », de matériaux haute performance et très légers permettant de remplacer le métal, de résines acryliques pour les peintures, de la chimie du soufre pour la nutrition animale, de polymères fluorés qui entrent dans la composition des batteries lithium ion ou dans le photovoltaïque. Nous avions deux défis à relever et qui mobilisent toutes nos ressources : l’ouverture internationale du groupe et la modernisation des sites français.

Nous avons donc cédé notre activité PVC, regroupée dans l’entreprise Kem One. Nous avons affaire là à de la chimie de commodités, dont les activités sont cycliques par nature, très sensibles à l’évolution du cours des matières premières et au coût de l’énergie. À titre d’illustration, le marché mondial du PVC est dix fois plus important que la plus grande des niches de la chimie de spécialités sur lesquelles Arkema s’est recentrée. Lorsque nous l’avons cédée, l’activité PVC ne représentait plus que 15 % de notre groupe mais nous avions préalablement dépensé près de 400 millions d’euros pour la renforcer. Je tiens à souligner que beaucoup de grands chimistes européens ont fait ce même choix de se séparer de leur activité PVC.

Le groupe Klesch a pris l’initiative de contacter Arkema à la fin de l’année 2010. Ce groupe est d’un chiffre d’affaires à peu près comparable au nôtre mais est spécialisé dans le marché de certaines grandes commodités cycliques, avec des compétences dans l’électrolyse, procédé de production du chlore et du PVC, mais aussi dans l’achat d’éthylène, de dérivés pétroliers et d’électricité. Le groupe Klesch avait de surcroît une expérience dans la reprise de sites industriels, qui lui avaient été cédés par Corus, Alcan ou Shell. Il est actuellement en pourparlers en Sardaigne avec le groupe Alcoa. Le groupe Klesch n’est donc pas un inconnu ! Lorsque nous avons entamé les premières négociations, il venait de surmonter le choc de la crise de 2009, ne s’en était pas trop mal sorti et avait recommencé à investir. Dans le cadre de la cession, le groupe Klesch avait pris des engagements très clairs vis-à-vis de Kem One, d’Arkema et des pouvoirs publics pour développer l’activité des sites repris. Il était parfaitement conscient que le redressement de Kem One prendrait du temps et nécessitait des investissements pour optimiser l’activité, en intégrant ses contraintes et sa nature cyclique.

Il convient de revenir sur les allégations du Groupe Klesch au sujet de la cession. Arkema est une société cotée et nous avons procédé de manière très classique. Lorsque nous avons procédé à la transaction, nous nous sommes appuyés sur une grande banque d’affaires, BNP – Paribas, sur un cabinet d’avocats spécialisés, Willkie, Farr et Gallagher, et sur un cabinet d’audit, Ernst and Young, tous trois parmi ce qui se fait de mieux au niveau international. Des discussions préliminaires ont été menées et un long processus de dix huit mois a été enclenché, celui-ci ayant pris fin le 2 juillet 2012 avec la cession. Entre l’annonce du projet et la finalisation, c’est-à-dire la cession, huit mois se sont écoulés pendant lesquels le projet a été rendu public. Ainsi, toutes les personnes intéressées qui souhaitaient réagir ont pu le faire. En termes d’information interne, le groupe Klesch a eu le temps de mener les « due diligences » et de poser toutes les questions utiles. En termes d’informations externes, une information-consultation du comité central d'entreprise a été effectuée sur une période de plus de cinq mois avec des experts mandatés. La société a par ailleurs été très bien dotée : aucune dette transmise, près de 100 millions d'euros de garanties diverses, un apport de 100 millions d'euros de trésorerie, un besoin en fonds de roulement de 180 millions d'euros. Autant donc de conditions très favorables. Nous avons également mis en place une fiducie à la demande des organisations syndicales, avec des moyens conséquents. C'est pourquoi nous considérons que nous avons tenu nos engagements par rapport à Kem One et à l’égard des organisations syndicales. On ne peut pas en dire autant, me semble-t-il, du groupe Klesch ; toutes ses allégations en sens contraire sont totalement dénuées de fondement et nous comptons bien le mettre en face de ses responsabilités.

Connaissant la situation dans laquelle nous l'avons cédé, nous avons été très étonnés de voir que Kem One était placé en redressement judiciaire au bout de huit mois seulement. Nous n’avons pas de connaissance particulière de ce qui s’est passé chez Kem One car c’est en quelque sorte une « boîte noire » pour nous, mais nous nous posons plusieurs questions. La trésorerie dont l'entreprise avait été dotée a-t-elle été utilisée conformément à l’objet social de Kem One ? Les organisations syndicales semblent dire le contraire, et la procédure de redressement judiciaire sera l'occasion de le vérifier. Il y a eu une nette dégradation de l’économie française depuis l’automne, notamment dans les secteurs de l’automobile et de la construction : quel en a été l’impact sur Kem One ? Comment le groupe a-t-il été géré depuis la cession ? Kem One s’est-il adapté à la conjoncture dégradée ? Gary Klesch a-t-il pris les bonnes décisions ? Les efforts nécessaires ont-ils été effectués ? Nous avons vendu un groupe intégré, avec une activité amont et une activité aval mais le groupe Klesch semble avoir cassé les synergies qui existaient dans l’entreprise : est-ce volontaire ? A-t-il fragilisé l’amont ? Si c’est le cas, c’est totalement inacceptable.

Dans ce contexte, au moment où Kem One a eu un problème de fourniture de matières premières de la part du vapocraqueur de Lavéra qui a subi un incendie, nous avons accepté de repousser 60 millions d'euros de créances échues que Kem One nous doit.

Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons.

M. le président François Brottes. Je vous remercie. Je souhaiterais vous faire réagir à un arrêt du 14 novembre 2007 dans lequel la Cour de cassation a considéré que lorsqu'un groupe cédait une filiale, les salariés de cette dernière, licenciés deux ans plus tard par le cessionnaire placé en liquidation judiciaire, étaient recevables à engager contre ledit groupe une action en réparation du préjudice résultant, à la suite de la cession, de la perte de leur emploi et de la diminution de leur droit à participation dans la société cédée ainsi que de la perte d'une chance de bénéficier des dispositions du plan social mis en place par ce groupe. Cette jurisprudence peut-elle s’appliquer chez vous ? Qu’en pensez-vous ?

M. Thierry Le Hénaff. C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre car ce sont des sujets juridiques complexes auxquels je ne peux réagir sur le moment.

M. le président François Brottes. Je passe la parole aux représentants des groupes.

M. Yves Blein. Merci Monsieur le président-directeur général. Tout d’abord, je souhaite que vous sachiez que nous sommes fiers d’avoir en France un grand chimiste mondial, sachant que vous étendez vos activités jusqu’en Malaisie, en Chine et en Amérique du nord. Ce sont des investissements stratégiques. Depuis que votre activité a été séparée de celle du groupe Total, celle-ci s’est considérablement développée : dans votre schéma stratégique, vous prévoyez un chiffre d’affaires de 8 milliards d'euros en 2016, contre 6,3 milliards d'euros aujourd’hui, le dividende servi à vos actionnaires a cru de 30 % entre 2011 et 2012. Bref, votre entreprise va bien. Une première question que je souhaiterais vous poser portera sur l’historique de la cession de Kem One : Kem One avait une activité en amont en difficulté et des activités aval en bonne santé : comment se fait-il qu’il n’y ait eu qu’un seul repreneur qui se soit présenté, d’autant que son passé industriel ne parle pas vraiment pour lui ? Si le groupe Klesch avait une bonne connaissance de ces activités, on aurait peut-être eu quelque chose de différent. Il avait tous les moyens d’avoir les éléments pertinents pour prendre ses décisions. Les mauvaises langues disent que le repreneur avait des décisions difficiles à prendre : est-ce vrai ? On sait que le marché du PVC en Europe est en surproduction de 30 % environ et il faudra certainement réduire la voilure. Mais si vous avez si bien doté Kem One, pourquoi donc, en tout état de cause, n’y a-t-il pas eu d’autres candidats sollicités pour la reprise de cette activité ? Ce travail a-t-il été fait de manière approfondie ? Lorsque Klesch a acquis Kem One, le « business plan » était bon : est-il toujours crédible ? Les conditions d’achat d’éthylène à Total et d’électricité à Exeltium dont vous êtes vous-même actionnaire sont bonnes et les conditions de rentabilité sont donc réunies. Que pensez-vous enfin de votre traduction devant un tribunal arbitral avec une demande d’indemnité de 310 millions d'euros ?

M. le président François Brottes. Je rappelle qu’Exeltium achète son électricité à des tarifs plus élevés que ceux de l’ARENH : c’est une préoccupation pour notre commission et nous y travaillons.

Mme Laure de La Raudière. Merci Monsieur le président-directeur général ; j’ai trouvé votre intervention fort intéressante mais j’avoue ne pas avoir saisi toutes les subtilités de votre discours car il me manque certaines clés de lecture. Vous avez cédé Kem One dans de très bonnes conditions, où tout a été fait honnêtement, en ouvrant vos livres, avec un apport de trésorerie… On devrait avoir plusieurs repreneurs dans de telles conditions et pourtant c’est vous qui êtes attaqué par le repreneur : pourquoi ?

Par ailleurs, de manière plus basique, je me demande si le PVC est ou non une matière stratégique pour un pays par rapport aux autres filières industrielles en France ?

Quels sont les actionnaires de Klesch ? Quelles sont ses pratiques en matière industrielle ? Comment l’analyse de votre conseil bancaire a-t-il pu prendre en compte la volonté de Klesch ?

Plus fondamentalement, comment donner de l’espoir aux 1 300 salariés de votre ancienne filiale qui sont menacés ? Certes, la France connaît des difficultés économiques et en matière de réglementation mais cette filière du PVC a-t-elle véritablement un avenir ? Dans vos relations clients-fournisseurs, y a-t-il place pour l’intervention de la Médiation inter-entreprises que nous avons justement reçue ce matin à la Commission ?

M. Joël Giraud. Je tiens tout d’abord à dire que je fais totalement miennes les remarques de notre collègue Yves Blein. Je souhaiterais intervenir sur quelques points complémentaires. On connaît la « success story » de l’ex-pôle chimie de Total qui s’est recentré sur des activités à forte valeur ajoutée. Seule la filiale vinylique n’était pas très florissante et faisait un peu d’ombre au tableau… C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la vente contestée de Kem One. Je rappelle quand même que Gary Klesch n’en était pas alors à son premier désastre économique : il avait derrière lui un passé, voire un passif spectaculaire ! Ainsi, il rachète Myrys en 2007 en promettant notamment le maintien des emplois mais, un mois plus tard, un tiers des salariés sont licenciés et un mois après, ce sont encore 150 emplois qui disparaissent. Il rachète la Zalco à Alcan la même année dans des conditions étranges avant qu’elle ne soit liquidée en 2011, Delphi en 2009 avec 185 licenciements à la clé ainsi qu’une baisse volontaire semble-t-il de la production de 40 %, le rachat de Heide en 2010… Il possède par ailleurs des actifs financiers détenus par des filiales basées aux Bermudes, à Jersey et à Malte ; il est donc vraiment « black listé » par plusieurs agences françaises et internationales. C’est tout de même à son propos que des journaux anglais, exempts de tout gauchisme, ont inventé le terme de « capitalisme vautour » ! Aussi, je ne comprends pas quelle confiance on pouvait véritablement accorder à cette entreprise sulfureuse ? Et encore, en faisant mes recherches, je ne suis pas allé au-delà de ce qui existe dans le domaine public !

Sur les 1 300 salariés susceptibles d’être licenciés, les perspectives de reprise sont faibles : quelle va être l’attitude d’une entreprise comme la vôtre à l’égard de ces salariés ? C’est un vrai coup dur pour eux.

M. Bernard Boyer, directeur de la stratégie d’Arkema. Pour répondre à vos questions sur les perspectives qui s'offrent à Kem One, le PVC est une activité de commodité, cyclique, dont les résultats fluctuent, à la fois d’une année sur l’autre et au cours d’une même année. Dès lors, quand on établit un business plan pour ce type d’activités, on est obligé de retenir une hypothèse de volumes et de marges, qu’on essaie d’extrapoler par rapport à des données historiques. Nous l’avons fait de manière prudente et en toute transparence avec le groupe Klesch. Cette transaction s’est étalée sur dix-huit mois, dont sept entre l’annonce et le closing de l’opération, les projections financières ayant été préparées en 2011 de manière très soigneuse et prudente, en fonction de notre connaissance du marché de l’époque, à la fois sur les volumes et les niveaux de marge.

Rappelons également qu’il y a deux activités : une activité amont, au caractère cyclique et sur laquelle nous avons retenu des hypothèses prudentes, et une activité aval, aux résultats plus réguliers et dont on ne parle pas aujourd’hui. C’est la combinaison des deux, et non pas un ensemble uniquement cyclique, qui formait l’objet de cette transaction.

M. Thierry Le Hénaff. Arkema opère aujourd’hui douze lignes de produits en France et dans le monde. Dans ce contexte, la décision de sortir du PVC est un recentrage stratégique. Quand nous avons créé Arkema, nombre de lignes étaient déficitaires et nous avons beaucoup travaillé, pendant des années, pour les redresser. Il n’y a pas de fatalité. Cependant, malgré nos progrès, nous restons une entreprise de taille moyenne et nous ne pouvons mener de front toutes les lignes de produits dont nous avons héritées. Il était donc nécessaire de se recentrer sur nos savoir-faire stratégiques, les niches de la chimie de spécialités. La raison pour laquelle nous avons vendu, ce n’est pas parce que le PVC serait par nature moins rentable, mais parce que la stratégie était de se recentrer sur les secteurs où nous sommes forts. Nous portons aujourd’hui à bout de bras, en y faisant des investissements, des sites en France ayant des rentabilités négatives. De ce point de vue-là, nous assumons totalement notre devoir.

Shell est une beaucoup plus grosse société qu’Arkema ; ils ont pourtant vendu au groupe Klesch la raffinerie de Heide. Cette dernière a fait l'objet de restructurations, certes, mais aujourd’hui, elle marche bien : ils ont réussi à faire ce que Shell n’a pas fait Le groupe Klesch réalise cinq milliards d’euros dans des activités industrielles de commodités cycliques ; il a une connaissance de ces métiers qui est supérieure à celle d’Arkema, dont les compétences concernent surtout des métiers de spécialités.

Les achats d’éthylène et d’électricité évoluent aussi en fonction de l’économie. Entre les besoins actuels et les besoins au moment où nous avons vendu, les choses évoluent en permanence. C’est à l’équipe de management de Kem One de vous commenter ces conditions-là et de définir les conditions de succès. Il n’y a pas de fatalité, mais des conditions de marché qui évoluent. En France, depuis cinq à six mois, sur beaucoup de lignes de produits, y compris certaines qui n’ont rien à voir avec le PVC, la conjoncture s’est très nettement dégradée. Dans une telle conjoncture, c’est à l’actionnaire d’assumer ses responsabilités.

Il n’y a qu’un acheteur, c’est un fait, mais à la fin seulement ! Nous avions depuis 2006 investi 400 millions d’euros pour renforcer le pôle vinylique. A la fin des fins, c’est le groupe Klesch, en fonction de son profil et de ce qu’il avait fait dans des industries qui étaient proches du PVC, qui nous a paru le bon candidat. Mais seulement à la fin d’un processus, et il était également important d’avoir le même acheteur pour l’aval et l’amont afin de garder cet ensemble intégré.

Je ne connais pas la jurisprudence que vous citez : c’est un sujet juridique sur lequel nous pourrons apporter des réponses sans aucun problème.

Nous partageons totalement, madame la députée, la surprise que vous avez exprimée. La période d’observation, durant le redressement judiciaire, nous permettra très rapidement de mieux comprendre ce qui s’est passé, notamment comment la trésorerie a été utilisée.

M. François Brottes. Qu’en est-il de la réputation du groupe acquéreur ?

M. Bernard Boyer. Nous avons bien réfléchi et avons vraiment recherché ce qui nous semblait la meilleure solution. Le mariage avec un autre groupe s’accompagnant de fermetures d’unités n’était pas la solution privilégiée. Après un certain nombre de contacts, nous avons retenu la candidature du groupe Klesch. Nous ne sommes cependant pas allés le chercher, c’est lui qui s’est manifesté.

Le site de Zalco qui a fermé, à Vlissingen, avait été repris avant la crise de 2009 par le groupe Klesch. Les résultats de Zalco se sont effondrés à ce moment-là. Sa capacité a donc été adaptée, comme celle de la plupart des fabricants d’aluminium. Et, après le rebond, il a réinvesti des montants importants pour remettre en service des capacités qui avaient été arrêtées. Ce n’est que fin 2011 que nous avons eu la surprise de voir ce site fermer. La raison invoquée par Klesch est une taxation inattendue, imposée par le pays ou la région, sur le coût de transport de l’électricité dans le but de financer la fermeture ultérieure d’une centrale nucléaire, si j’en crois les informations qui ont été communiquées à l’époque. N'oublions pas qu'il possède toujours deux usines d’aluminium et une raffinerie. Il reste un véritable groupe industriel : lorsque nous avons négocié avec lui, c’était un groupe qui avait plusieurs milliards d'euros de chiffres d’affaires, plusieurs milliers d’employés et une expertise dans la reprise d’activités cycliques.

M. François Brottes. L’intégrateur était en fait un désintégrateur…

M. Thierry Le Hénaff. Le cloisonnement entre l’aval et l’amont fut en effet une grande surprise. Le projet n’avait pas été conçu comme cela. C’est un des points qui devra être examiné lors du redressement car, pour nous, l’intégration est l’une des conditions du succès.

La première priorité est le retour à l’équilibre, dans des conditions très différentes de ce qu’elles étaient il y a neuf mois. Le PVC est le bout d’une filière, le maillon d’une chaîne avec beaucoup de dépendance entre les maillons. Pourquoi le PVC existe-t-il en France ? Parce que c’est l’aval du chlore, qui existe lui-même en France parce que l’électricité y était très bon marché il y a soixante ans, avec l’hydraulique, puis le nucléaire. Le PVC peut être fabriqué ailleurs, mais, s’il l’a été en France, c’est grâce aux conditions compétitives historiques sur ces métiers-là. En dehors des aspects de gestion et du cas de force majeure du site de Lavéra, il me semble y avoir eu une dégradation très forte de la conjoncture depuis l’automne, à partir d’octobre-novembre. Sur ce sujet, c’est bien entendu au groupe Klesch, avec les équipes de management, de travailler avec les fournisseurs pour s’adapter.

Je me permets de profiter du temps de parole que vous me donnez pour vous faire part d’un message, à vous mesdames et messieurs les députés qui avez un rôle important dans tous les débats sur la compétitivité, sujet qui touche l’ensemble de nos lignes de produits : le développement de la filière chimique en France dépend essentiellement des conditions de sa compétitivité. Le fait que nous ayons 75 % de notre recherche et développement en France est directement lié au crédit impôt recherche : il y a donc, illustré par cet exemple, un lien direct entre compétitivité et présence sur le territoire.

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La commission a auditionné M. Frédéric Chalmin, directeur général opérations de Kem One.

M. Frédéric Chalmin. Je ne m’exprimerai pas ici en tant que représentant des actionnaires mais en tant que gestionnaire. Employé d’Arkema avant la cession, nous n’avons avec mes collègues du comité de direction d’autre ambition que la recherche avec l’ensemble des parties prenantes de solutions qui permettent à notre entreprise de sortir de la crise qu’elle traverse. Ce sont les activités amont de Kem One qui ont été placées en redressement judiciaire après avoir été cédées par le groupe Arkema au groupe Klesch le 2 juillet dernier. Ces activités regroupent les activités de production de chlore, de soude, chlorométhanes, de CVM et PVC. Elles comprennent sept sites de production, dont l'un situé en Espagne. Le groupe Kem One comprenait deux autres activités : la fabrication de tubes et profilés d’une part et de compounds vinylique d’autre part. L’activité de compoundage consiste à ajouter au PVC des éléments d’addition pour permettre son utilisation dans l’industrie de l’automobile ou médicale par exemple.

Les activités amont, qui relèvent de la chimie lourde, sont tributaires du dynamisme des marchés de l’automobile et du bâtiment. Les difficultés conjoncturelles que traversent ces secteurs ont conduit à l’apparition de surcapacité importante dans l’industrie du PVC en Europe ; les marges sont sous pression.

Dès avant la cession, nous savions que le deuxième semestre de l’année 2012 serait difficile. Les arrêts réglementaires prévus de l’un de nos sites principaux sites (Fos) et du vapocraqueur qui fournit l’essentiel de notre matière première devaient lourdement peser sur notre chiffre d’affaire.

À des conditions de marché difficile et aux arrêts prévus est venu s’ajouter l’incident du vapocraqueur de la plateforme de Lavera le 22 décembre dernier dont l’activité a été arrêtée jusqu’au mois de mars ; marges faibles, niveau d’activité longuement ralenti et frais fixes élevés du fait de la lourdeur des outils industriels en jeu ont conduit à des pertes financières importantes. Ce qui est arrivé montre l’impérieuse nécessité dans ce secteur d’être adossé à des actionnaires robustes car les pertes financières peuvent y être rapidement lourdes.

Le groupe Klesch, qui a racheté Kem One le deux juillet dernier, devait moderniser l’outil industriel de l'entreprise pour améliorer sa compétitivité. Mais les financements promis n’ont jamais été apportés : des niveaux de pertes importants et la non mise en place du plan de financement prévu ont conduit à une cessation des paiements rapide.

M. François Brottes, président. On comprend bien que la situation à laquelle vous êtes confronté est difficile et que, ne pouvant vous exprimer au nom de l’actionnaire, votre parole est bridée.

M. Yves Blein. J’entends bien que le fait que vous représentiez le gestionnaire et non l’actionnaire limite votre liberté de parole, cependant, pouvez-vous préciser la date à laquelle a été opérée la scission des activités amont et aval au sein du groupe Arkema ? D’après votre analyse de la situation, quelles sont les capacités du groupe à se redéployer ? Quelles sont les causes principales se trouvant à l’origine de ses difficultés : le financement, des charges trop lourdes, les prix pratiqués par les fournisseurs d’éthylène ?

En ce qui concerne la question de l’énergie, le groupe Kem One est sous contrat pour acquisition, y a-t-il des obstacles infranchissables ? Les représentants d’Arkema ont indiqué que d’autres groupes avaient manifesté un intérêt pour Kem One, pouvez-vous nous dire lesquels ? Quelles sont les demandes de l’administrateur judiciaire ?

Mme Laure de la Raudière. Notre pensée va, en premier lieu, aux salariés de l'entreprise qui sont menacés. Kem One revend une activité, le PVC, pour une autre, la transformation ; comment sont calculés les prix de transfert ? Vendez-vous du PVC à l’extérieur de votre groupe et, le cas échéant, comment se situe votre prix de production par rapport à vos concurrents européens. Si vos prix sont plus élevés, à quoi cela est-il dû ? Il apparaît que le groupe Klesch n’a pas tenu ses engagements d’investissement, pourquoi ? En effet, un actionnaire solide est indispensable et le groupe Arkema a, à l’époque, considéré que Klesch était fiable. Dans ces conditions, la situation de Kem One est difficile à comprendre aujourd’hui.

M. François Brottes, président. La commission des affaires économiques a sollicité l’actionnaire, qui n'a pas souhaité nous envoyer de représentant.

M. Joël Giraud. Le groupe Arkema a cédé cette branche en appurant 470 millions d’euros de dette et en laissant 100 millions d’euros de trésorerie en caisse ; une fiducie de 16 millions d’euros a été provisionnée en cas d’imprévu. On s’interroge sur le destin de ces sommes. Il semble que l’actionnaire Klesch ne se comporte pas comme un bon samaritain. Ce type de groupe est adossé à un certain nombre de paradis fiscaux. L’argent alloué n’a-t-il pas été dilapidé volontairement ? En bref, le groupe Klesch ne serait-il pas un fossoyeur plutôt qu’un sauveur ?

M. Damien Abad. Comme mes collègues l’ont précédemment souligné, j’ai bien conscience que l’exercice auquel vous vous livrez n’est pas commode et que la situation actuelle est difficile. Je voudrais simplement connaître la feuille de route et la stratégie de management qui est aujourd’hui la vôtre, en particulier sur le site de Saint-Fons dans la région Rhône-Alpes.

M. Frédéric Chalmin. S’agissant de la séparation des activités amont et aval, il faut distinguer les aspects juridique et industriel. Sur le plan juridique, avant la cession les activités amont appartenaient à Arkema France alors que les activités aval étaient des filiales à 100 % d’Arkema. Il s’agissait donc d’entités juridiquement distinctes. Cette situation est restée inchangée à la création du groupe Kem One. À l’inverse sur un plan industriel il existe une véritable logique d’intégration que la mise en cessation des paiements des seules activités amont la semaine dernière vient rompre.

En ce qui concerne les moyens de redressement de l’activité, il n’existe pas de réponse unique et simple. Une première action pourrait consister à revoir le partage de la valeur dans la chaîne industrielle complexe à laquelle elle appartient qui partant du naphta et de l’extraction du sel va jusqu’à la production de produits semi ouvrés. Au sein de cette chaîne, la répartition de la valeur représente une question centrale puisque la plupart des outils qui la composent ont été conçus pour être intégrés, au sein de plateformes : on ne peut pas évaluer l’économie de l’une des composantes sans considérer simultanément celles des autres. À cet égard, il convient de souligner que la scission d’entreprise (« spin off ») de Total qui a conduit à la création du groupe Arkema a représenté une rupture. Total avait hérité lors du rachat d’Elf d’un ensemble industriel intégré. À la création d’Arkema, Total a décidé en effet de conserver les vapocraqueurs (pétrochimie) et cédé certaines des activités aval importantes comme les activités vinylique. Des opérations de même nature sont réalisées en Allemagne et en Europe du Nord mais elles ont souvent été traitées de manière différente sur un plan commercial : si en Europe du nord les contrats de ventes des produits intermédiaires se font suivant des principes de partage de marge, dans notre cas la formule retenue consiste en un niveau de ristourne fixe par rapport à un prix de marché. Cette formule a bien fonctionné jusqu’à la crise de 2008, les contrats garantissant une répartition satisfaisante et stable du taux de marge entre les différents acteurs. Mais, elle rencontre aujourd’hui ses limites, puisque la part de la marge affectée à notre activité est passée de 60 % à 30 % de la marge réalisée par l’ensemble de la chaîne. Des négociations ont été engagées avec Total sur l’éthylène afin d’adapter le contrat d’approvisionnement aux conditions économiques actuelles, mais ces négociations s’avèrent difficiles.

Un deuxième enjeu est relatif à l’énergie. Dans ce domaine, deux sources doivent être distinguées. Tout d’abord, la vapeur où, là encore, les paramètres du contrat d’approvisionnement que nous avons avec Total sur la plateforme de Lavera ne fonctionnent plus de manière satisfaisante, au point de trahir son esprit même. Depuis la création d’Arkema, la vapeur nous est fournie par Total qui possède la moitié du vapocraqueur dans des conditions qui ne sont plus économiques du fait de l’évolution relative des prix du gaz et du fuel au point que cela représente pour nous une perte d’environ 10 millions d’euros par an. Par ailleurs l’adaptation des outils de production de vapeur à cette nouvelle donne énergétique permettrait d’améliorer nos résultats de 10 autres millions. Toujours sur la vapeur nous avons dû renoncer à Balan à un investissement de plus de 10 millions d’euros devant l’incertitude réglementaire des tarifs de rachat d’électricité des cogénérations : cela pénalisera nos résultats d’environ 2 millions d’euros par an. En ce qui concerne ensuite l’électricité, deux contrats sont actuellement en vigueur, l’un avec EDF, l’autre avec Exeltium qui n’est plus compétitif du fait en particulier de la récente dépréciation de la note financière d’Arcelor Mittal. Le coût d’accès à l’électricité est de près de 55 euros par MWh, soit 15 euros de plus que ce à quoi ont accès les entreprises concurrentes allemandes. Des solutions existent pour remédier à cette situation consistant à remettre en cause le partage des contrats, effectué lors de la création de Kem One par les groupes Klesch et Arkema. Cela permettrait d’améliorer nos résultats de 15 autres millions par an. Au total, l’enjeu de ce questionnement de la place de Kem One dans la chaîne de la valeur est une amélioration du résultat de plus 60 millions d’euros par an. Inversement ne pas se poser cette question c’est voir l’entreprise risquer de disparaître et avec l’ensemble de la chaîne de la valeur c’est-à-dire l’ensemble de la valeur.

J’en viens maintenant à la question de savoir quels pourraient être les investisseurs intéressés par l’entreprise. Deux familles potentielles peuvent être identifiées. Kem One est le troisième producteur de polychlorure de vinyle (PVC) en Europe mais sa taille reste insuffisante, ce qui ouvre la possibilité d’une fusion. Deux autres acteurs seraient susceptibles d’être intéressés : le groupe INEOS et le groupe Solvay. Compte tenu de l’importance d’INEOS, une fusion conduirait à placer le groupe dans une position dominante, ce qui rend cette option peu probable en raison notamment de la réglementation européenne. Une fusion avec le groupe Solvay, acteur de premier plan, pourrait en revanche être une solution de nature à favoriser une consolidation du marché. Mais, la première réaction de ces groupes est plutôt l’attente. Ils ont tout intérêt à ce qu'un acteur comme nous disparaisse, afin de réduire le problème des surcapacités sur le marché. Il faut donc garantir la survie de Kem One pour accéder à la possibilité de ces discussions. Une deuxième « famille » de repreneurs potentiels pourrait être des industriels chinois par exemple qui ont de l’argent à investir et qui se positionnent dans les secteurs de la chimie et de la pétrochimie comme les sociétés Petrochina ou Blue Star. Je crois moins à une option moyen-orientale dans la mesure où ces acteurs cherchent plus dans le domaine à s’intégrer chez eux en aval.

Vous avez également évoqué les demandes formulées par l’administrateur judiciaire. Un premier sujet urgent est de dégager, d’ici le 9 avril prochain, les moyens de financement nécessaires à la poursuite de l’activité pendant la période d’observation. Or, comme cela a été indiqué, Kem One est confronté à des pertes structurelles et ne disposait que de 2 millions d’euros de trésorerie au moment de la mise en redressement judiciaire. Trouver un tour de table est donc le préalable à toute autre réflexion et la principale préoccupation de notre administrateur judiciaire, maître Sapin.

M. le président François Brottes. Je vous remercie pour ces précisions. Comme vous le savez, notre collègue Yves Blein, est notre représentant pour tenter de trouver des solutions, en lien avec le préfet de région. La description que vous venez de faire met en lumière des distorsions préoccupantes des règles du jeu, avec notamment un écart de 20 % avec les prix de l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Cette situation souligne le rôle central que joue le coût de l’énergie et des matières premières dans la compétitivité de notre industrie lourde et on ne peut qu’être perplexe face à de tels handicaps, de véritables « boulets », auxquels les entreprises industrielles sont confrontées. J’aurais une dernière question sur la manière dont l’actionnaire a communiqué aux salariés la mise en redressement judiciaire.

M. Frédéric Chalmin. Je me rappelle avoir été choqué il y a quelques semaines par un reportage télévisé rapportant l’histoire de salariés informés de la mise en cessation de paiement de leur entreprise par un simple coup de fil. Dans le cas de Kem One, nous avons été informés par courriel…

M. le président François Brottes. De tels comportements sont insupportables pour les salariés, mais également pour la représentation nationale. Nous entendons bien poursuivre notre mobilisation en cherchant notamment à auditionner l’actionnaire directement. Soyez assurés que là où nous pourrons agir, nous le ferons. Je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 3 avril 2013 à 16 h 15

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. François Brottes, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Joël Giraud, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, Mme Béatrice Santais, M. Éric Straumann, M. Jean-Marie Tetart, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Jean-Claude Bouchet, M. Dino Cinieri, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Bernard Reynès

Assistait également à la réunion. - Mme Jeanine Dubié