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Commission des affaires économiques

Mardi 16 avril 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 70

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, sur la politique de filières industrielles de MM. Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services au ministère du redressement productif (DGCIS) et Jean-François Dehecq, vice-président du Conseil national de l'industrie.

La commission a procédé à l’audition sur la politique de filières industrielles de M. Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services au ministère du redressement productif (DGCIS) et M. Jean-François Dehecq, vice-président du Conseil national de l'industrie.

M. le président François Brottes. M. le ministre du redressement productif m’a prévenu la semaine dernière qu’il ne pourrait assister à notre réunion, étant obligé de remplacer le Président de la République pour clore les entretiens de l’Association des moyennes entreprises patrimoniales. J’ai décidé toutefois de remplacer l’audition prévue par une autre, laquelle nous permettra d’entendre trois personnalités qui définissent au plus haut niveau les stratégies industrielles.

M. Pascal Faure occupe depuis quelques mois le poste de directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services, où son prédécesseur est resté des années.

M. Jean-François Dehecq est le vice-président du Conseil national de l’industrie, qui a succédé à la Conférence nationale de l’industrie. Nombreux sont ceux, parmi nous, qui, pour avoir déjà eu affaire à lui, connaissent son expérience et son expertise.

M. Mathias Lelièvre, conseiller technique au cabinet du ministre du redressement productif, complétera leurs propos.

Quelles sont les actions en cours sur le terrain de la réindustrialisation ? Que sont devenues les perspectives dégagées par les états généraux de l’industrie organisés par le gouvernement précédent ?

M. Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services au ministère du redressement productif (DGCIS). En 2010, j’étais le rapporteur général des états généraux de l’industrie, présidés par M. Dehecq, à l’occasion desquels est née l’idée de travailler à partir des filières. Un consensus s’était en effet établi : l’approche par filière paraissait la bonne façon de procéder pour permettre aux entreprises, petites et grandes, de communiquer ensemble.

À cette époque, nous nous étions livrés à un travail de benchmarking par rapport aux Allemands. Ceux-ci, bien que proches de nous, ont un tissu industriel très différent du nôtre : leurs entreprises sont réunies dans un écosystème dont les stratégies communes sont plus développées qu’en France. À l’issue de cette étude, nous avons proposé de créer douze comités stratégiques de filière (CSF), réunissant les entreprises associées à des fédérations, ainsi que des organisations représentant les personnels. Ces douze filières sont : l’automobile, le ferroviaire, le nucléaire, la chimie et les matériaux, le naval, les éco-industries – qui se composent de plusieurs sous-domaines, comme les énergies renouvelables, les déchets, l’eau et l’efficacité énergétique –, l’aéronautique, l’agroalimentaire, les industries de santé, la mode et le luxe, les biens de consommation et le numérique. Si leur taille et leur poids diffèrent, elles possèdent toutes une cohérence. En outre, elles représentent 84 % de la valeur ajoutée industrielle et 75 % des emplois, même si certains secteurs transversaux, comme la mécanique, sont nécessairement mal comptabilisés.

Une fois réunis sous l’égide de leur président, les CSF élaborent des contrats de filière visant à fixer des objectifs communs aux entreprises d’une même filière. Ceux-ci sont clairs, à court terme, c’est-à-dire à trois ou cinq ans, et noués autour de projets particuliers – le véhicule du future pour l’automobile. Ces contrats peuvent comporter un volet emploi ou un volet international tourné vers l’exportation, ainsi que différentes déclinaisons en termes de recherche ou de recyclage. Le CNI, présidé par le Premier ministre et animé par M. Dehecq, est la structure faîtière qui donne cohérence à cet ensemble.

Le 5 février dernier, lorsque la Conférence nationale de l’industrie est devenue le Conseil national de l’industrie, sa composition a été étendue pour y intégrer plus d’acteurs qu’en 2010 : des représentants de la BPI, apparue récemment, de l’ARF et de l’AMF, qui aident à établir un lien plus fort avec les collectivités, des chambres de commerce, des chambres de métiers et de l’artisanat, et enfin de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Ainsi étendue, la Conférence a gagné en représentativité. Cinq contrats de filière existent actuellement, sur les douze filières structurées. Et nous espérons qu’un contrat sera signé par filière d’ici à l’été.

Pour aller plus loin que les états généraux de 2010, le ministre entend préparer l’avenir de deux façons.

À l’horizon de 2020, il veut faire émerger les filières de demain. Il s’agit de définir un petit nombre d’axes qui, avec l’appui de moyens publics et privés, structureront les filières actuelles ou d’autres à créer. Ce travail, qui n’est encore qu’amorcé, vise à identifier des plans industriels qui permettront de faire travailler des acteurs sur des défis nouveaux. Citons, parmi les défis à cinq ou dix ans, les réseaux électriques intelligents, le traitement des déchets, le recyclage ou le très haut débit, ainsi que tout ce qui tourne autour du véhicule électrique.

À l’horizon de 2030, il s’agit de rechercher des programmes permettant de faire émerger de nouvelles filières d’avenir, fondées sur des ruptures non seulement technologiques, mais industrielles. Ces programmes contenant une part d’innovation permettront de créer de nouvelles entreprises ou d’en développer sur de nouveaux secteurs. Tel sera le but de la commission « Innovation 2030 », qui sera présidée par Anne Lauvergeon.

Ainsi, depuis les états généraux de 2010, la politique de filière s’est structurée. À travers le Conseil national de l’industrie et les douze comités stratégiques de filière, elle propose une animation qui sera opérationnelle dans trois à cinq ans. Cette politique sera complétée par des plans industriels opérationnels en 2020, qui réuniront des industriels présents en France, mais qui n’ont pas encore l’habitude de collaborer pour développer de grands programmes. En vue de 2030, nous élaborons un volet prospectif fondé sur des ruptures plus industrielles que technologiques.

M. Jean-François Dehecq, vice-président du Conseil national de l’industrie. M. Lelièvre fera le point mieux que moi sur chaque comité stratégique de filière, et donc sur les contrats de programme.

Les états généraux de 2010 sont nés de la volonté des partenaires sociaux et des pouvoirs publics de faire le point sur la situation industrielle de la France. Ceux qui, comme moi, ont commencé à travailler en 1962, ont connu sous de Gaulle et Pompidou une période faste pour la politique industrielle, qui a été suivie d’un passage à vide. Nous avons beaucoup espéré pendant la période où le ministère de la recherche et l’industrie a été confié à M. Chevènement, apparemment convaincu de la nécessité de mener une politique industrielle. Nous avons été déçus. Ceux qui voulaient bâtir de grandes industries pour notre pays, comme je l’ai fait quand j’ai créé Sanofi, ont toujours eu du mal à se faire entendre, comme si les mots « politique industrielle » étaient tabous.

En 2008, nous avons essayé de dresser un état des lieux. Les états généraux visaient non à prendre des décisions pour l’avenir, mais à réunir tous les partenaires : les syndicats, qui bénéficieraient d’un droit de parole égal à celui de leurs interlocuteurs ; les représentants patronaux, moins à travers les grandes institutions jacobines que les syndicats professionnels en prise avec les problèmes concrets rencontrés dans les usines ; le ministère, autrement dit l’administration, ainsi qu’un député, un sénateur et un député européen, dont je dois dire qu’ils n’ont été ni très efficaces ni très assidus. Deux ans plus tard, auditionnés à l’Assemblée nationale ou au Sénat, nous avons en effet dû rappeler en quoi consistaient les états généraux. Autant dire que la situation n’avait pas progressé, même si notre démarche avait rencontré un succès d’estime. La décision de poursuivre a été prise à l’avis général. Si aucun consensus ne se dégageait, tous convenaient de l’importance de parler de filières plutôt que de secteurs.

Le Conseil national de l’industrie tente de sauver le trilogue propre aux CSF car, de l’avis même des participants, il existe peu d’endroits où la liberté de discussion est aussi grande – on présente souvent à tort l’Allemagne comme un modèle à cet égard.

Les états généraux ont mobilisé 5 000 personnes en France, tant à Paris qu’en province. La Franche-Comté, comme le Limousin, a créé sept comités, parallèlement aux comités nationaux ; d’autres régions sont allées jusqu’à dix. Ces comités se sont réunis une à deux fois par mois pendant un an, rassemblant des gens qui acceptaient de parler de l’industrie à titre bénévole, ce qui n’est pas rien.

Le CNI doit sauver cet état d’esprit qui vise à trouver des convergences, à défaut d’un consensus. Sous l’impulsion du ministre du redressement productif, il existe une vraie volonté de faire fonctionner les CSF. En octobre 2011, par conséquent sous la précédente majorité, nous avions intitulé notre rapport annuel : « Ensemble, réindustrialiser la France pour la croissance et l’emploi ». Comment mieux dire que la droite comme la gauche n’ont pas d’autre choix que de s’occuper sérieusement de l’industrie si elles tiennent à l’unité sociale du pays ? Que l’industrie disparaisse, en effet, et les services disparaîtront aussi, et tous les emplois avec eux.

Une autre priorité sera de rendre l’implantation des CSF plus territoriale. Même dans l’automobile ou l’aviation, filières pourtant structurées depuis longtemps, les problèmes industriels se posent dans chaque région de manière spécifique. Il faut donc que le terrain s’exprime.

Trois grands problèmes se posent encore.

Quoi qu’en disent les financiers, le financement de l’industrie est loin d’être satisfaisant. Certains parmi vous ont voté, en 2010, la loi imposant le paiement des sous-traitants à soixante jours. Avec la crise, ce délai s’est allongé à trois mois et demi. On évalue à 40 milliards les sommes déplacées entre les sous-traitants et les donneurs d’ordre. Assainir la situation améliorerait la trésorerie des PME et des PMI. Par ailleurs, même si les aides doivent être centrées sur ce qui peut créer de l’emploi, il faut aussi s’intéresser aux filières qui ne sont pas novatrices, dans lesquelles travaillent beaucoup de Français, si l’on veut sauver un maximum d’emplois.

Un autre problème tient à la mauvaise adéquation entre l’emploi et la formation. Alors qu’il faudrait délivrer des CAP de tourneur ou de soudeur, en un mot former aux métiers de l’industrie, on crée, en guise d’élite, des têtes d’œuf qui ne feront jamais tourner les usines et qui ignorent tout du travail manuel. Sur ce dossier, voilà trois ans que nous piétinons.

Le dernier problème est celui de l’exportation. Si les industriels d’aujourd’hui disposaient des aides qui m’ont permis de bâtir Sanofi il y a trente-cinq ans et d’être présent dans 140 pays, nous serions plus efficaces. Arrêtons de nous faire plaisir en répétant que les grandes entreprises vont emmener les PME-PMI à l’étranger ! Nous avons tenté l’expérience au début des années 80. Très vite, quand ils se retrouvent au siège social d’une grande entreprise à Tokyo, Shanghai ou Singapour, les dirigeants des PME sont perdus. Il faut donc les aider à se mutualiser pour aller sur place traiter les problèmes.

M. le président François Brottes.  Sur ces sujets nous avons un vrai problème culturel. Nous avons même eu un ministre de l’industrie qui souhaitait la disparition, à terme, de son ministère ! Des responsables du MEDEF – pas tous, heureusement – répètent que l’industrie n’a pas d’avenir en Europe, contrairement aux services, et certains chefs d’entreprise ont fait l’apologie du fabless. Enfin, la libéralisation de la formation professionnelle, en permettant à chacun de s’organiser dans son coin, tout en se faisant concurrence, a eu un effet désastreux : les subsides de la formation ont été mal distribués sans apporter de repères à personne. La loi sur la formation professionnelle devrait nous aider à recadrer les choses, car c’est quand on est jeune que l’on acquiert le goût pour l’industrie et pour l’entreprise.

M. Mathias Lelièvre, conseiller technique au cabinet du ministre du redressement productif. M. Faure a cité les douze comités stratégiques de filière. Un treizième portant sur les industries extractives et de première transformation sera créé prochainement.

Au sein de ces comités, l’État et ses opérateurs, les fédérations professionnelles, les grands industriels et les organisations syndicales se retrouvent autour d’une table, afin de faire converger les points de vue. Ils cherchent les enjeux de compétitivité à court, moyen et long terme, et les points d’accord possibles. Lorsque ceux-ci sont définis, ils choisissent ceux qui vont les réaliser et se revoient six mois plus tard pour vérifier que le but est atteint.

Ces actions peuvent être menées par l’État, qui joue sur le règlement ou le financement, ou par les industriels, qui élaborent une feuille de route technologique. Actuellement, cinq contrats de filière ont été validés, notre projet étant d’arriver à un contrat par filière au mois de juin. Ces contrats traitent généralement d’innovation et fixent un cap technologique, les acteurs se donnant dix ans pour lever un verrou technologique. À cette fin, des forces se fédèrent, les entreprises travaillant en lien avec les pôles de compétitivité. Dans l’automobile, où l’on veut lever avant dix ans le verrou du véhicule à deux litres au cent, Renault travaille sur le véhicule électrique et Peugeot se positionne sur l’hybride, avec le moteur thermique et les systèmes mécaniques pour économiser la consommation. Les acteurs convergent sur la nécessité de travailler sur l’hydrogène. La conduite assistée et la robotisation de la voiture représentent un autre chantier. Les comités de filière établissent ainsi une feuille de route technologique.

Nous réfléchissons aussi sur la solidarité de filière. Nous nous demandons comment faire pour que les donneurs d’ordre dévoilent à l’avance leur carnet de commandes. Les grandes entreprises aéronautiques ont ainsi donné aux autres acteurs de la filière une visibilité d’au moins six mois pour que les sous-traitants puissent ajuster leur mode de production.

Des fonds propres aux filières sont mis en place, grâce auxquels les grands acteurs cotisent pour aider les plus petits à résoudre des problèmes de financement ou de développement.

Nous mettons en place une logique d’export, comme cela a été dit.

La transition énergétique est également au cœur de nos débats, car elle pèse sur la compétitivité de nombre d’industries. Notre but est d’agir filière par filière. La chimie prend en main tous les acteurs, notamment les PME, pour manager cette question, puisque la non-optimisation des systèmes crée des pertes d’énergie. Des outils collectifs sont mis en place au service de la filière.

Formation et emploi sont toujours présents dans les discussions, qui débouchent sur des mesures concrètes. Puisque la filière chimie cherche des apprentis pour des usines dans des sites classés Seveso, nous mutualisons les besoins en créant des maisons d’apprentis. La démarche doit aboutir dans l’année.

Enfin, l’État doit simplifier et normaliser pour définir une avance technologique qui profitera aux acteurs. Les contrats de filières portent sur la mise en place de cinq à dix actions, qui dépendent de l’État, des collectivités, des fédérations professionnelles et des organisations syndicales. Le CNI espère aboutir dans les prochains mois, ce qui permettra de renouveler la démarche pour chaque filière.

M. le président François Brottes. Nous avions notamment retenu de l’audition de Claude Revel la nécessité d’installer durablement, au niveau interministériel, un activiste spécialisé dans les normes : Mme Revel devrait naturellement passer à autre chose après avoir remis son rapport à Mme Bricq alors qu’un tel sujet exige un investissement quotidien et une veille, mieux, une offensive permanente. D’autres pays réussissent beaucoup mieux que nous dans ce domaine. Je l’ai écrit au Premier ministre. C’est essentiel pour procéder aux choix d’avenir : une belle réussite technologique peut faire long feu et coûter cher si elle n’est pas adaptée au marché mondial, comme le montre l’exemple du Minitel.

M. Jean Grellier. Je m’exprimerai au nom du groupe SRC. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cette audition qui va nous permettre de faire d’une pierre deux coups puisque vous souhaitiez que nous entendions les représentants des différentes structures.

Rapporteur pour avis du budget de l’industrie, j’avais auditionné le bureau de la Conférence nationale de l’industrie et souhaité que lui soit donné davantage de moyens. La naissance du Conseil national de l’industrie répond à cette préoccupation. Je salue donc l’action du ministère, qui a permis de donner corps aux propositions issues des états généraux de l’industrie et à la volonté, exprimée par tous les partenaires désormais membres du CNI, de dialoguer et de contribuer ensemble au redressement productif de notre pays.

Celui-ci passe par les comités stratégiques de filière, qui préparent l’avenir des filières actuelles et doivent même permettre d’identifier les futures activités industrielles les plus dynamiques à l’horizon 2020 puis 2030, ce qui devrait contribuer à l’adéquation entre formation et emploi. Dans les filières actuelles également, la formation doit correspondre aux besoins des entreprises. Lors de l’audition du bureau de la CNI, le président de la Fédération des industries mécaniques craignait que les 50 000 à 60 000 emplois à pourvoir d’ici à cinq ans ne puissent l’être faute de qualifications adaptées. L’enseignement technique devrait retrouver dès le collège la place qui lui revient, afin de valoriser les compétences de nos élèves.

Quel est le lien entre les comités stratégiques de filière et les pôles de compétitivité ? Comment ces derniers s’intègrent-ils à la dynamique des filières ?

Il ressortait de la dernière assemblée plénière du CNI que la déclinaison régionale qui avait été demandée serait assurée par les comités stratégiques de filière. De quelle manière ?

Représentant de l’Assemblée nationale au CNI, je me demande enfin comment mettre en valeur le travail parlementaire sur ces sujets, par exemple les 25 propositions que vient de formuler la mission d’information sur les coûts de production ou les travaux d’autres commissions d’enquête en cours sur des filières importantes. Pour inscrire nos réflexions dans la durée et leur donner une orientation stratégique plus précise ne serait-il pas opportun de créer une mission commune à l’Assemblée et au Sénat qui réunirait les parlementaires ayant déjà étudié ces questions et serait chargée de suivre les travaux du CNI ? Participer à une assemblée plénière tous les six mois n’est pas suffisant.

Mme Anne Grommerch. Je m’exprime au nom du groupe UMP. Tout le monde s’accorde à reconnaître l’effet d’entraînement que l’industrie exerce sur l’économie en stimulant la croissance, l’innovation et l’emploi. Le chômage bat des records. Il est urgent d’agir dès à présent, et non à l’horizon 2020 ou 2030. Quelles mesures sont prises aujourd’hui ?

La compétitivité dépend du coût du travail. Pouvez-vous dresser un bilan d’étape du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ? Sur le terrain, les témoignages ne sont guère encourageants.

L’innovation suppose des financements que les entreprises peinent aujourd’hui à obtenir, qu’elles soient innovantes ou installées mais confrontées à des problèmes de liquidité. Je suis membre du comité national d’orientation de la Banque publique d’investissement, dont l’existence est encore virtuelle, notamment dans les régions. Quelles mesures d’urgence sont prévues pour aider nos entreprises à passer ce cap difficile ?

La question des normes est en effet essentielle, notamment pour la compétitivité. Comment accompagner nos entreprises et défendre nos produits par les normes ? Si l’Allemagne n’est pas un modèle en tous points, comme l’a rappelé M. Dehecq, elle est très en avance sur nous dans ce domaine, notamment par sa présence au sein des comités européens.

La France, qui compte moins de 100 000 entreprises exportatrices, n’est plus que le sixième pays exportateur au monde. Le Gouvernement a refusé d’intégrer à la BPI Ubifrance et la COFACE, s’opposant ainsi à la demande légitime de parlementaires de tous bords. Comment, selon vous, pourrions-nous mieux accompagner nos entreprises à l’export ?

Enfin, monsieur Faure, je ne peux pas ne pas vous interroger sur ArcelorMittal. Il a été décidé la semaine dernière d’arrêter les hauts fourneaux de Florange, contrairement aux préconisations du rapport que vous avez publié l’été dernier et qui soulignait la viabilité du site intégré, comme à celles du rapport de Secafi qui invalide le projet d’ArcelorMittal en montrant que l’arrêt de la filière liquide aboutirait à un déficit de capacité du groupe. Il y va, là encore, de notre compétitivité et de la sauvegarde de la sidérurgie française. Qu’en pensez-vous ?

M. le président François Brottes. Je rappelle que nous avons organisé le 9 avril une table ronde sur le crédit d’impôt compétitivité emploi, à laquelle a notamment participé M. Bruno Bézard, directeur général des finances publiques, et dont le compte rendu est toujours en ligne sur notre site. J’ai le sentiment que le dispositif est largement approuvé au plus haut niveau, qu’il est très concret mais que la situation est beaucoup plus floue dès qu’il s’agit de l’appliquer sur le terrain. Nous devons donc mieux faire connaître cette mesure très attendue – mieux assurer notre « service après vote », si j’ose dire.

M. André Chassaigne. Au nom du groupe GDR, j’insisterai sur la grande humilité dont nous devons faire preuve sur ces questions de développement industriel, récurrentes depuis des années, voire des décennies, et que chacun aborde à travers son propre prisme idéologique. Efforçons-nous de progresser de manière concrète. Je me réjouis des propos que viennent de tenir nos trois invités, car ils me paraissent dessiner une forme de vision industrielle et témoignent en tout cas de l’exigence d’une véritable stratégie dans ce secteur dont nous connaissons tous les difficultés.

Les comités stratégiques de filière et les contrats de filière qu’ils élaborent répondent à une demande non seulement des chefs d’entreprise, mais aussi des organisations syndicales. La nouvelle politique industrielle que tous appellent de leurs vœux suppose de modifier les structures productives actuelles sans en revenir à la politique des grands projets. L’enjeu est le suivant : comment passer des activités et emplois d’aujourd’hui, souvent menacés, à ceux de demain, plus qualifiés, pérennes, reposant sur des fondements technologiques nouveaux ? Je songe en particulier à la transition écologique, aux questions énergétiques, aux nouveaux modes de production – qui peuvent aller de pair avec de nouveaux modes de vie –, au développement de l’économie circulaire compte tenu de l’épuisement des ressources. La stratégie de filière peut contribuer à résoudre ce problème.

Dans vos exposés, vous avez évacué trop rapidement à mes yeux le problème de l’emprise de la finance et de la spéculation sur notre économie. Selon ce fonctionnement à l’anglo-saxonne, l’entreprise n’est plus qu’un objet sur lequel on spécule, quitte à l’amputer pour accroître ses propres gains à court terme. Monsieur Dehecq, lorsque vous étiez responsable de Sanofi – dont l’usine de Vertolaye se situe dans ma circonscription –, on a salué en vous un véritable capitaine d’industrie. Mais les pratiques de Sanofi sont désormais à l’image de ce que l’on connaît aujourd’hui dans l’ensemble du secteur : les intérêts financiers l’emportent au point que l’on en vient à sacrifier des emplois dans une entreprise rentable dont le taux de profit atteint 25 %, dans l’espoir d’accroître encore sa rentabilité. Comment, enserrés dans ce carcan financier, pourrions-nous assurer le développement industriel que nous voulons, pérenne, solide, historique ?

Comment s’articuleront filières et pôles de compétitivité ? Comment ces derniers pourraient-ils profiter non plus seulement aux grands groupes, mais également aux PME, aux entreprises innovantes, à l’instar de véritables pôles de développement ?

Vous avez très bien fait d’évoquer les sous-traitants ; mais, au-delà des seuls délais de paiement, c’est leur lien de subordination aux donneurs d’ordre qui pose un problème. Comment le modifier concrètement ?

En ce qui concerne la formation, il n’est pas rare que des ingénieurs qui pourraient tout à fait mettre les mains dans le cambouis préfèrent se diriger vers les postes commerciaux. Malgré leur compétence, leur intelligence, leur savoir-faire, l’on fait d’eux des commerçants et non des inventeurs, des producteurs qui travailleraient sur l’aspect technique et sur le développement industriel.

Mme Brigitte Allain. Je m’exprimerai au nom du groupe écologiste. Le coût de l’énergie, très élevé pour certaines entreprises industrielles, ne fera que croître. La transition énergétique vous paraît-elle offrir des perspectives d’amélioration aux entreprises ? À quelle stratégie les industriels recourent-ils pour l’organiser ?

Selon vous, le crédit d’impôt compétitivité emploi permettra-t-il aux filières industrielles de créer des emplois ?

Le contrat de génération, qui permet d’embaucher un jeune en CDI tout en maintenant dans l’entreprise un travailleur en fin de carrière, est-il à vos yeux un bon moyen de former les jeunes et de leur faire débuter leur vie active dans le secteur industriel ?

M. Antoine Herth. Une politique industrielle est nécessaire, mais la politique de production doit l’emporter sur la politique de consommation dans laquelle la France s’est engluée au cours des dernières décennies, sous les différents gouvernements, pour des raisons compréhensibles dont la nécessité d’engranger de la TVA. La décision, prise par la précédente majorité, de faire porter par la TVA une partie des charges sociales me semblait constituer une première étape sur cette voie. L’actuel gouvernement s’est empressé de la balayer – pour, peut-être, y revenir ensuite. Nous devrions envisager très sereinement cette éventualité prometteuse.

Je serai moins pessimiste que M. Dehecq : nous devons non pas sauver notre industrie, mais la reconstruire. Il faut donner de l’espoir aux secteurs de production.

Quel est le lien entre comités stratégiques de filière et pôles de compétitivité ?

Les comités stratégiques de filière incluent-ils des entreprises à capitaux étrangers ou dont les centres de décision sont hors de France ? De nombreuses entreprises implantées de longue date en Alsace, sur le sol français, dépendent de centres de décision situés en Allemagne ; or les choix qu’elles opèrent peuvent être lourds de conséquences pour l’emploi et le dynamisme du tissu économique local.

M. Hervé Pellois. Le ministre du redressement productif a décrété la mobilisation nationale en faveur du made in France et résolument soutenu la politique de filière. Il vient de dénoncer, avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne, la politique européenne en la matière, notamment celle de notre commissaire à la concurrence, plus enclin à durcir les règles et à pénaliser nos industriels qu’à pratiquer le protectionnisme contre les produits fabriqués sur les autres continents au mépris des normes sociales et environnementales en vigueur. Monsieur Dehecq, approuvez-vous ces déclarations ? Pouvons-nous espérer renouer avec des règles de concurrence plus loyales ?

M. Jean-Claude Mathis. Nous nous accordons tous à considérer que la politique industrielle française doit d’abord favoriser les activités productives d’avenir au moyen d’investissements publics ciblés, susceptibles de créer des emplois pérennes sur le territoire national. Mais cette politique ne peut ni ne doit chercher à sauver tous les emplois à tout prix. En effet, la théorie économique nous l’enseigne, l’intervention publique doit pallier une inefficience du marché générant un sous-investissement par le secteur privé, qui n’intègre pas le bénéfice social dégagé par une activité ou se révèle incapable de prendre en charge le coût lié à son développement. Comment concilier ces éléments pour atteindre les objectifs fixés ?

Mme Corinne Erhel. La définition du périmètre exact de la filière numérique pose un problème que notre Commission a déjà étudié à plusieurs reprises. J’aimerais connaître votre sentiment sur la place qu’y occupent les équipementiers en télécommunications – grands groupes et PME –, soumis à une vive concurrence internationale, notamment de la part des pays asiatiques. Ce sujet a été évoqué ici même et a récemment suscité plusieurs articles dans la presse. Qu’en pensez-vous, eu égard non seulement à la concurrence mais aussi à la souveraineté numérique, à la sécurité des réseaux et à la concurrence équitable en France et en Europe, dont le respect est essentiel si nous voulons conserver des équipementiers à l’échelle du pays et du continent ?

M. Jean-Claude Bouchet. Qu’il s’agisse de sauver l’industrie ou de la rebâtir, nous appelons tous de nos vœux une politique industrielle forte.

Les contrats de filière s’appliquent-ils à toutes les entreprises de la filière ? Est-il obligatoire d’y adhérer ? Arrive-t-il que des entreprises en sortent ? Quel intérêt présentent-ils pour les entreprises ? Quel avantage concurrentiel celles-ci peuvent-elles en tirer ? Ces contrats resteront-ils limités à la France ou pourraient-ils s’étendre au reste de l’Europe ?

Mme Annick Le Loch. On sait que l’apprentissage est en difficulté et que les jeunes peinent à trouver des contrats. J’aimerais donc en savoir un peu plus sur les maisons de l’apprenti évoquées par M. Lelièvre.

M. le président François Brottes. L’industrie peut-elle s’inspirer des formes d’organisation qu’a inventées l’agriculture – interprofessions financées par les contributions volontaires obligatoires, lycées agricoles – et qui, bien que parfois remises en cause à l’échelle européenne, possèdent un indéniable pouvoir d’action et de mobilisation ?

M. Jean-François Dehecq. Je commencerai par aborder les questions de formation. J’ai commencé à m’y intéresser en 1962 ; j’ai ensuite présidé le CNAM et l’école des arts et métiers. En décidant, en 1968, de créer un collège unique où l’on punit tous les gamins qui ne sont bons ni en maths ni en français en les collant dans des sections techniques, on a tué l’enseignement technique en France : on n’a plus que des brèles à la sortie ! C’est dramatique.

Je suis un pur fruit de la promotion sociale par l’école. J’ai obtenu mon CAP de tourneur au début des années 1950 grâce aux écoles nationales professionnelles créées par les gars de la Résistance pour ouvrir les études à tous ceux qui ne pouvaient pas en faire. On nous a collés dans des classes nouvelles où on nous a obligés à faire du latin pendant trois ans pour nous donner la culture que notre milieu ne nous apportait pas, du dessin d’art deux heures par semaine pour nous permettre de ne pas éternellement rester les « sous-culs » de l’industrie, interdits de promotion, de la musique dont je suis resté fanatique au point d’en écouter plusieurs heures par nuit. Bref, on est allé chercher des élites ailleurs. Nous étions quelques centaines à entrer dans ces écoles situées au milieu des usines – à Montataire, entre les fumées de zinc de la vieille montagne et les bruits de Brissonneau et Lotz, pas à Saint-Germain-en-Laye ! –, dont quatre ou cinq qui intégreraient les arts et métiers sans même savoir qu’il existait d’autres écoles d’ingénieurs ! Dans l’intervalle, on avait passé des CAP, des brevets industriels ; bref, on avait appris à travailler ! Nous avions quarante-quatre heures de cours par semaine – soit deux heures de plus que mes parents, ce que je trouvais très injuste. En somme, l’enseignement technique était quelque chose de sérieux.

Je ne dis pas qu’il faut revenir au passé, mais nous devons nous confronter à ce problème. Dans le secteur du luxe, il n’y a plus un soudeur sur or en France ! Nous faisons souder nos bijoux en Allemagne et, depuis bien longtemps, découper les pierres aux Pays-Bas. Et quand il s’agit de souder une cuve de réacteur nucléaire ? Cela se fait par ordinateur, me dit-on ; mais l’ordinateur ne fait qu’appliquer le modèle construit par des gars qui auraient compris comment bien répartir les tensions s’ils avaient soudé eux-mêmes ! En Allemagne, la majorité des ingénieurs qui travaillent dans les fameuses PME sont issus de la formation par alternance.

Faut-il « sauver l’industrie » ? Lorsque j’ai débuté chez Sanofi, il y a quarante-cinq ans, on nous disait que l’industrie française était foutue, que la pharmacie française avait été vendue aux Allemands – Roussel-Uclaf passant chez Hoechst – et que l’on arrivait trop tard dans un monde trop vieux. Mais si l’on a envie de bâtir une industrie dans son pays, on le fait et on est le premier payeur d’impôts en France pendant des décennies !

Non, notre industrie sidérurgique n’est pas condamnée. Un pays qui n’a plus de sidérurgie n’est plus un pays. Les Allemands en ont gardé une, tout comme les Anglais d’ailleurs qui ont pourtant malmené toute leur industrie. Et les Brésiliens et les Indiens veulent commencer par là. N’étant pas spécialiste du sujet, je ne sais pas dire comment se porte la sidérurgie en ce moment, mais je sais qu’il y a beaucoup à faire en matière de traitement des métaux. D’où l’intérêt du nouveau comité stratégique de filière en train d’être constitué autour des industries extractives et de la première transformation.

Tout au long de mes presque cinquante années de vie professionnelle, j’ai toujours considéré que plutôt que de mettre les gens à la porte, mieux valait les employer à faire autre chose. C’est comme cela que dans une entreprise censée faire d’abord de la pharmacie, on a fait aussi quantité d’autres métiers – je pense aux fleurs, aux pizzas … Et cela n’a pas empêché le groupe de devenir la première capitalisation boursière de la place de Paris. La financiarisation pousse, hélas – c’est dramatique – à se concentrer sur le seul fameux core business, alors que lorsqu’on a une dizaine de métiers, il est possible de rééquilibrer dans un secteur quand cela ne va pas dans un autre.

Ce que nous avons fait à Sanofi est la preuve que tout est possible, à condition d’en avoir la volonté – volonté politique et volonté personnelle des patrons. Mais pour cela il faut avoir de vrais patrons, et pas des gestionnaires.

M. Pascal Faure. Quel est le lien entre les comités stratégiques de filière et les pôles de compétitivité ? Les premiers, constitués au niveau national, traitent de grands sujets de moyen terme, susceptibles de fédérer une filière en matière énergétique, de formation ou de cap technologique par exemple. Les seconds, beaucoup plus nombreux puisqu’ils sont au nombre de 71, sont territorialisés et traitent davantage de projets concrets, plutôt d’amont, soutenus par l’État et les collectivités territoriales. En réalité, les comités stratégiques de filière et les pôles de compétitivité constituent, chacun, un bout de la chaîne. Il faut essayer de faire converger les deux démarches. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer. En effet, dans la troisième phase qui vient d’être lancée, les pôles de compétitivité seront davantage des « usines à produit » : au travers de projets plus proches de l’aval et donc plus concrets, on peut espérer coller davantage aux caps technologiques qui auront été fixés dans une filière donnée par le comité stratégique. Les comités stratégiques de filière n’existent que depuis deux ou trois ans, contre près de dix ans pour les pôles de compétitivité. L’idée est bien de faire progressivement converger ces deux dispositifs complémentaires.

Une autre de vos questions est de savoir que faire à court terme quand l’horizon des contrats de filière est, lui, plutôt 2020-2030. La BPI, nouvellement créée pour dynamiser et faciliter aussi bien les financements que les investissements, met au point de nouveaux produits. Il y en aura notamment un – cela répond à la question de Mme Grommerch – pour combler ce qu’on appelle « la vallée de la mort » que représente l’intervalle entre la conception d’un produit et la mise sur le marché de projets innovants. Il prendra place entre les aides à l’innovation en amont des projets industriels et les aides d’aval qu’apporte aujourd’hui le FSI et que fournira demain la branche investissements de la BPI pour aider une entreprise à franchir un seuil dans son développement ou à passer un trou d’air dans son marché. OSEO et BPI Financement y travaillent.

Le crédit d’impôt compétitivité emploi, pour sa part, ne fait que démarrer. Je ne dispose pas encore de données chiffrées, mais la récente réunion sur le sujet avec les préfets de région, présidée par le Président de la République, a montré que le dispositif était très suivi au niveau de chacune des régions. Un effort d’information n’en demeure pas moins nécessaire, car cet outil n’est pas encore bien connu des entreprises les plus susceptibles d’en bénéficier. Suite à ce constat, des campagnes publicitaires ont d’ailleurs été lancées. Pour faciliter l’appropriation du dispositif par ses bénéficiaires potentiels et permettre aux entreprises d’en ressentir les effets concrets dès 2013, la BPI va mettre en place une avance.

Deux questions sectorielles nous ont été posées, concernant l’une l’acier, l’autre la filière numérique.

S’agissant d’Arcelor-Mittal, vous savez qu’il a été décidé à l’automne dernier que M. Mittal investirait 180 millions d’euros sur le site de Florange pour y développer l’usine à froid qui fabrique des aciers à forte valeur ajoutée avec un marché automobile de proximité très porteur – le groupe détient toujours 46% de parts de marché pour les pièces automobiles. Tout l’enjeu est de veiller à ce que ce plan d’investissements soit bien réalisé. Dans le même temps, à Liège, dont le site semblait mieux préservé à l’automne dernier, M. Mittal a décidé de fermer non seulement les hauts fourneaux, mais aussi six chaînes de galvanisation à froid. Alors que le secteur de l’acier reste déprimé, s’il faut rester vigilant, l’évolution à Florange est plutôt favorable pour le site. Les 629 salariés auparavant employés aux hauts fourneaux – lesquels vont être mis sous cocon – seront pour moitié redéployés vers les activités préservées du site, pour une partie bénéficieront d’un départ anticipé ou seront redéployés autre part.

Pour ce qui est de la filière numérique, il est vrai que son comité stratégique partage avec celui des éco-industries la particularité de couvrir un spectre très large. Comment fédérer les acteurs dans un champ aussi large ? La question n’est pas encore pleinement résolue et on se demande toujours sur quoi focaliser ce comité. Il est envisagé de mettre l’accent sur les opérateurs équipementiers. Nous avons en effet en France de grands opérateurs et un équipementier qui souffre actuellement, sachant que par ailleurs d’autres structures ont été mises en place comme le Conseil national du numérique qui traite, lui, davantage des questions liées à l’internet. Notre secteur équipementier, autrefois très structuré et très fort, a beaucoup souffert de l’arrivée d’internet, ainsi que du fractionnement des marchés européens de télécommunications. Bien qu’ayant perdu en poids et en taille, il a toutefois su se reconfigurer. Nos équipementiers sont toujours performants, comme en attestent leurs acquisitions et la vitalité de leur recherche dans le monde de l’internet.

L’arrivée de la quatrième génération de téléphonie mobile va redonner un élan au secteur et permettre d’y créer de nouveau de la valeur, puisque de nouvelles offres à plus forte valeur ajoutée pourront être proposées. Toute la question est de savoir comment se partagera cette valeur entre les opérateurs, les industriels et les consommateurs. C’est là une question de régulation…

M. le président François Brottes.  Pas seulement !

M. Pascal Faure. On peut en discuter. C’est en tout cas l’innovation qui permet d’avancer dans le domaine des télécommunications.

M. Mathias Lelièvre. Les comités stratégiques de filière sont les structures faîtières, dont les pôles de compétitivité doivent alimenter les travaux. Ce sont des outils de pilotage ayant pour vocation de promouvoir des logiques de solidarité entre acteurs. C’est important au sein des entreprises, notamment avec les organisations syndicales, mais aussi à l’extérieur, entre entreprises.

Il existe aujourd’hui 51 comités stratégiques de filière régionaux, dont le travail doit être coordonné avec celui des comités stratégiques nationaux, de façon que leurs actions se complètent sans doublons. Les comités régionaux doivent être en prise à la fois avec la filière et le territoire concernés.

Les comités stratégiques de filière associent l’ensemble des entreprises d’une filière présentes sur le territoire national, quelle que soit la localisation de leurs centres de décision ou la nationalité de leurs capitaux. Ainsi jusqu’à il y a peu, le comité stratégique de la filière Chimie était-il vice-présidé par M. Homolle, président de BASF France. L’important est que tous les acteurs préoccupés par leur compétitivité sur le territoire national puissent se retrouver là. Les contrats de filière ne viennent pas d’en haut ; ils ne sont pas décidés par l’État. C’est du dialogue entre les acteurs eux-mêmes que naissent un diagnostic partagé puis les solutions pour avancer

M. le président François Brottes. Il peut arriver qu’une activité mineure par son chiffre d’affaires et par les emplois qu’elle représente soit délocalisée sans que cela semble en apparence porter préjudice à la filière concernée puis qu’on s’aperçoive qu’elle était déterminante dans la chaîne. Je pense ainsi à une activité de tests dans le domaine des nanotechnologies, aujourd’hui menacée de quitter le pays. Qui veille à la préservation des savoir-faire et des métiers, de façon qu’aucun maillon essentiel, fût-il minuscule, de la chaîne ne manque demain ?

M. Mathias Lelièvre. Une réflexion a été lancée dans plusieurs filières pour identifier les compétences-clés à préserver et les entités qui leur sont attachées. Une cartographie détaillée a été dressée pour la filière nucléaire. C’est ainsi que sont mises en évidence les tensions sur certains métiers et, au-delà, sur des structures et des compétences.

Un mot sur la maison de l’apprenti. Rappelons comment le projet est né. La filière Chimie-Matériaux ne parvenait pas à recruter les apprentis dont elle avait besoin, en raison notamment des difficultés d’accès aux sites et au logement pour les apprentis. L’idée a donc été d’expérimenter une forme de mutualisation dans ces deux domaines au bénéfice des apprentis sur un territoire où existait à la fois une plate-forme chimique ayant d’importants besoins de main-d’œuvre et un centre de formation.

Les contrats de filières se concentrent sur les aspects nationaux. Ce qui se passe au niveau européen n’en est pas moins intéressant, notamment pour ce qui est des équilibres entre pays – susceptibles de bouger beaucoup, comme on l’a vu pour l’acier. Le Conseil national de l’industrie devra se préoccuper de la dimension européenne et d’anticiper comment la Commission réagirait à une approche par filière.

M. le président François Brottes. D’où le parallèle que je faisais tout à l’heure avec l’agriculture.

M. Jean-François Dehecq. Il serait trop long d’aborder ici la question de la transition énergétique. Ce qui est sûr, c’est que si nous voulons conserver des industries en France, il nous faut une énergie compétitive. Si nous n’y prenons garde en Europe, les grandes firmes chimiques risquent, comme elles l’ont annoncé et ont d’ailleurs commencé à le faire, de réaliser demain leurs investissements lourds aux Etats-Unis où, grâce à une nouvelle production gazière, le coût de l’énergie a diminué de 30%. Le prix de l’énergie est déterminant pour le maintien en France, et plus largement en Europe, de toutes les industries grosses consommatrices.

La sécurité de l’approvisionnement en matières premières est un autre problème dans de nombreux secteurs. Des réflexions sont en cours sur le sujet.

Bien sûr qu’il faut conserver les « anciens » dans une entreprise ! Sinon comment sauvegarder les savoir-faire ? Tout ne s’apprend pas dans les livres ! Dans le même temps, il faut savoir attirer les jeunes. La semaine de l’industrie, instituée à la suite des états généraux, est l’occasion d’une collaboration très fructueuse entre l’éducation nationale et le monde industriel. Cette année, à l’occasion de 1 500 journées « portes ouvertes », les élèves se rendront sur le terrain avec leurs professeurs. Ils pourront constater qu’aujourd’hui, même dans une usine de décolletage, les ouvriers n’ont pas les mains dans le cambouis, mais travaillent sur clavier à une production totalement automatisée. Ce n’est plus Zola ! Montrons à nos jeunes que le monde industriel est un secteur porteur, où l’on crée et où l’on fabrique.

Nous n’avons que peu parlé d’Europe. C’est pourtant souvent elle qui est source de blocages. J’ai assisté à beaucoup de réunions à Bruxelles sur la politique industrielle et les grandes filières européennes… sans que cela ait même jamais accouché d’une souris. Il n’existe toujours pas de politique industrielle européenne. Durant des décennies, l’Europe a défendu le consommateur contre l’industrie. Une évolution se fait jour, mais cela ne se traduit pas encore par la volonté de mettre en place une politique industrielle européenne. Lorsqu’elle a eu connaissance du rapport remis par Pascal Faure sur le sujet il y a quelques années, la Commission aurait souhaité qu’on organise des états généraux de l’industrie en Europe. Qu’il s’en tienne d’abord dans chaque pays !

La Commission fait valoir qu’exiger des délais de paiement n’excédant pas soixante jours contrevient au Traité, car s’il existe un accord entre donneur d’ordre et sous-traitant, il l’emporte sur tout le reste. Mais que pèse un sous-traitant qui réalise 10 ou 15 millions d’euros de chiffre d’affaires face à un donneur d’ordre qui pèse des milliards d’euros ? La relation est si déséquilibrée que le premier ne peut que se soumettre aux conditions imposées par le second, faute de quoi il n’obtient pas le marché. Il y aurait là beaucoup de points à toiletter.

Pour dérisoire qu’elle puisse paraître à certains, la promotion du made in France n’est pas vaine. Les expériences en ce domaine, trop peu nombreuses, ont toutes montré que lorsque le consommateur est bien informé, il assure aux produits made in France un vif succès. Presque tout le monde aujourd’hui connaît quelqu’un dans son entourage qui est confronté au chômage. Il n’est donc pas difficile de sensibiliser à l’importance de produire et acheter français, qui contribue à sauvegarder des emplois en France et même à en créer.

Un dernier mot sur le travail que nous pourrions conduire avec le Parlement. Combien de fois Jean-Claude Volot ou René Ricol, lorsqu’ils étaient respectivement médiateur inter-entreprises et ancien commissaire général à l’investissement, n’ont-ils pas été auditionnés à l’Assemblée nationale et au Sénat ! On avait hélas l’impression à chaque fois qu’il fallait tout réexpliquer. On avait eu au départ l’idée d’associer un député, un sénateur et un député européen aux travaux du Conseil national de l’industrie pour créer des liens. Si un petit groupe de parlementaires nationaux et européens, motivés par les questions industrielles, se réunissait régulièrement, auquel nous pourrions exposer les problèmes que nous rencontrons et avec lequel nous discuterions des solutions envisageables, on gagnerait en efficacité. Le CNI, qui bénéficie de moyens supplémentaires pour assurer ces interfaces, serait désireux d’un tel dialogue.

M. le président François Brottes. Merci de votre proposition que j’accueille bien volontiers. Nous essaierons de faire un point chaque trimestre sur le travail du CNI. Si nous avons souvent à connaître de cas particuliers lourds, comme tout récemment celui d’Arkema, fortement exposé vis-à-vis de Kem One placé en redressement judiciaire, de Petroplus qui ne trouve pas de repreneur ou bien encore du projet Ulcos à Florange, il faudrait aussi que nous parlions de tous les autres. Car nous devons être les activistes de la réindustrialisation du pays.

Au cours de ces rencontres régulières que nous appelons, comme vous, de nos vœux, voyons comment nous pouvons vous aider à trouver des solutions concrètes. Regardons à chaque fois quel véhicule législatif peut être utilisé pour, en lien avec le Gouvernement, faire œuvre utile.

Merci de cet échange, messieurs. Il sera suivi d’autres, dont la forme reste à déterminer. Mais soyez assurés que nous partageons totalement vos préoccupations.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 16 avril 2013 à 17 h 15

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, Mme Annick Le Loch, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier

Excusés. - M. Frédéric Barbier, Mme Jeanine Dubié, M. Joël Giraud, M. Thierry Lazaro, Mme Audrey Linkenheld, M. Bernard Reynès