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Commission des affaires économiques

Mercredi 17 juillet 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 102

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet, président du Groupe GDF-Suez, et M. Pierre Sigonney, chef économiste chez Total, sur la transition énergétique

– Information relative à la commission

La commission a auditionné M. Gérard Mestrallet, président du Groupe GDF-Suez, et M. Pierre Sigonney, chef économiste chez Total, sur la transition énergétique.

M. le président François Brottes. Avant de procéder à l’audition de MM. Mestrallet et Sigonney, j’ai quelques annonces à faire à l’intention de nos collègues. D’une part, notre commission examinera, durant la seconde quinzaine de septembre, la proposition de loi de M. Serge Larcher visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques et à faciliter la reconstitution des titres de propriété en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin. Cette proposition de loi a été adoptée au mois de mai dernier par le Sénat et l’examen en séance publique à l'Assemblée nationale est prévu pour le début du mois d’octobre.

Je vous propose de nommer Serge Letchimy comme rapporteur de ce texte. En l’absence d’opposition, je considère que cette nomination est effective.

D’autre part, l’ensemble des membres du bureau s’est accordé à considérer, afin de laisser plus de possibilités d’échanges dans le cadre d’auditions telles que celle d’aujourd’hui, que le temps consacré à l’expression des représentants des groupes devait être éludé au profit des questions des commissaires, de façon à entrer directement dans le débat. Les plus petits groupes pourraient poser deux voire trois questions. Le principe de l’expression des groupes serait maintenu dans le cadre des textes de loi.

Je remercie M. Gérard Mestrallet, qu’on ne présente plus, et M. Pierre Sigonney, chef économiste chez Total, d’avoir accepté de participer à l’une de nos réunions de travail préparatoires au grand texte attendu sur la transition énergétique. Avec vous, monsieur Mestrallet, on n’est jamais déçu : non seulement vous ne pratiquez pas la langue de bois, mais vous avez su trouver les mots pour féliciter l’Europe de son incapacité chronique à gérer les questions énergétiques et pour avoir échoué à mettre en œuvre une politique dans ce domaine. C’est un point de vue que je partage totalement. En outre, votre groupe ayant des activités sur toute la planète, vous avez une vision mondiale des choses. Vous pourrez peut-être nous expliquer les raisons pour lesquelles vous procédez actuellement à certains aménagements, au nombre desquelles j’imagine que figure le développement du gaz de schiste. Je compte sur vous pour être aussi franc que d’habitude et nous dire ce que vous pensez. C’est ainsi que nous pouvons espérer éclairer nos débats.

Total n’est pas moins mondial que GDF Suez, et son implication est peut-être même plus ancienne. Le fait que Christophe de Margerie se montre parfois plus polémique et vindicatif que son homologue de GDF Suez, nous laisse espérer, monsieur Sigonney, même si vous n’avez peut-être pas reçu l’autorisation de tout nous dire, que vous nous tiendrez le propos le plus franc possible. À toutes fins utiles, je vous rappelle que ces auditions sont publiques : elles sont suivies sur internet et peuvent faire l’objet de twitts. Dans le contexte actuel, l’important, pour nous, est d’entendre la réalité des choses, pas un discours conforme à nos religions respectives.

M. Gérard Mestrallet, président du groupe GDF Suez. Mesdames, messieurs les députés, merci de m’avoir invité à venir discuter de la transition énergétique, débat qui, au sein du groupe GDF Suez, nous tient à cœur et auquel nous nous efforçons de contribuer à travers des réflexions et des propositions.

Permettez-moi d’entrer en matière en vous exposant le regard que nous portons sur un monde de l’énergie en pleine transformation sur l’ensemble de la planète. Avec les nouvelles technologies et quelques autres secteurs, c’est probablement l’un des domaines dans lequel les transformations sont les plus rapides et les plus profondes, et cela depuis une quinzaine d’années alors que la situation avait relativement peu évolué depuis la guerre.

En simplifiant, en matière d’énergie, je vois un monde à trois vitesses. D’abord, le monde émergent, qui a soif d’énergie pour accompagner la croissance économique : sans croissance de l’offre énergétique, il n’y a pas de croissance économique. Nous y participons dans les domaines de l’électricité et du gaz. GDF Suez est présent pour un tiers de son chiffre d’affaires – de l’ordre de 100 milliards d’euros – dans l’électricité, pour un tiers dans le gaz et pour un tiers dans les services, notamment d’efficacité énergétique. Même si la vente de gaz en France est importante, puisqu’elle représente 10 % de notre chiffre d’affaires, notre activité est très diversifiée. Les besoins du monde émergent sont autant quantitatifs que qualitatifs, c’est-à-dire qu’ils doivent être satisfaits par des modes de production adaptés faisant intervenir davantage de renouvelables. La majorité des productions d’énergie renouvelable dans le monde viendra du monde émergent.

Ensuite, l’univers nord-américain, qui est aujourd’hui transformé par le gaz de schiste, demain peut-être par le pétrole de schiste. Les Américains disposent maintenant d’un gaz abondant et bon marché, grâce auquel est également produite de l’électricité abondante et bon marché, ce qui exclut dorénavant la production à base charbon. Dès lors, celui-ci est exporté à bas prix en Europe, entraînant la substitution exactement inverse. Alors qu’aux États-Unis l’élimination du charbon par le gaz a pour effet de faire baisser les émissions de CO2, l’Europe connaît le phénomène contraire.

En Europe, enfin, la transformation du monde de l’énergie, entamée depuis quinze ans, a connu une accélération depuis quelques années. Cette transformation est spectaculaire sous l’effet de ce que j’appelle les quatre « D » : dérégulation, décentralisation, digitalisation et déclin de la consommation.

La dérégulation a amené la fin juridique des systèmes anciens de monopole.

La décentralisation découle des nouvelles technologies de production de l’électricité, notamment des énergies renouvelables. Le monde ancien des grandes unités très centralisées, gérées par un acteur unique, a fait place à des modes de production de plus petite dimension, beaucoup plus répartis sur le territoire et beaucoup plus proches des consommateurs. Le rapport à l’énergie change aussi. Autrefois, les gens faisaient preuve d’une grande indifférence vis-à-vis du mode de production de l’électricité. Je me souviens d’un sondage effectué il y a quelques années auprès d’Américains de la rue. À la question « d’où vient l’électricité ? », ils étaient plus de 50 % à répondre : de la prise de courant dans le mur ! C’est dire s’ils faisaient peu de cas de ce qui se passait de l’autre côté du mur. Aujourd’hui, le public veut savoir si l’électricité est nucléaire ou verte ; certains veulent la produire eux-mêmes avec de petites unités éoliennes ou solaires, de la micro-cogénération, de la micro-géothermie ou encore de la biomasse. Cette décentralisation de la distribution d’énergie sur le territoire amène très naturellement les collectivités territoriales à vouloir jouer un rôle plus actif dans la gestion de cette énergie.

Pardonnez-moi de recourir à un anglicisme pour désigner mon troisième « D » : la digitalisation – la numérisation en français. Les technologies numériques s’appliquent désormais complètement à l’énergie avec les compteurs intelligents que sont Linky pour l’électricité ou Gazpar pour le gaz, les capteurs ou les réseaux intelligents. En matière de gestion des consommations, notamment dans la correspondance entre consommations intermittentes et productions intermittentes, le numérique va révolutionner les usages.

Enfin, le déclin de la consommation. Alors qu’elle était en constante augmentation depuis la guerre, la consommation d’électricité et de gaz a amorcé une diminution depuis 2008-2009, d’une part, en raison de la faible croissance économique, voire de la décroissance, d’autre part en raison des gains en efficacité énergétique et des économies d’énergie réalisés. À croissance économique zéro, on attend une demande en baisse d’un ou deux points en matière d’énergie. C’est en tout cas ce qu’on constate pour l’électricité et le gaz depuis 2008. C’est donc un monde nouveau que cette Europe dans laquelle la commodité elle-même est en mode de décroissance.

Transition énergétique, transformation énergétique, révolution énergétique même, toutes ces expressions sont une réalité qui n’a rien de temporaire : on ne reviendra plus au monde ancien. Si l’entreprise est très présente dans ce monde ancien, GDF Suez a fait le choix de ne pas s’y accrocher et d’accompagner, voire d’anticiper, le passage vers le monde nouveau, la mutation énergétique. Désormais, en Europe, nos deux priorités sont l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.

Dans le domaine de l’efficacité énergétique, nous avons bâti, au cours des quinze dernières années, une branche complètement dédiée dans laquelle travaillent 80 000 personnes. C’est dire si le secteur est créateur d’emplois. En France, nous avons créé près de 2 000 emplois l’année dernière, et nous sommes à la tête de 40 000 emplois répartis dans nos sociétés Cofely – Ineo, Endel et Axima.

Nous souhaitons être non pas simplement un fournisseur de commodité en électricité ou gaz, mais le partenaire de nos clients dans la transition énergétique. À travers cette branche, nous sommes déjà près des collectivités et du secteur tertiaire. Nous gérons énergétiquement les tours de la Défense, les plus grandes tours de Londres, Barcelone et Montréal, les plus grandes tours du monde à Dubaï. Nous venons de signer avec Sanofi un accord par lequel nous allons aider chacun des 120 sites de la société à consommer moins d’énergie tout en émettant moins de CO2. De la même manière, nous voulons aussi aider les collectivités territoriales dans le cadre de contrats de performance énergétique. C’est ainsi que nous développons le concept de TEPOS – territoires à énergie positive – qui peut aussi bien s’appliquer à un village qu’à une ville, une communauté de communes, un département ou une région. Après avoir posé un diagnostic, nous préconisons des mesures pour atteindre l’énergie positive et la neutralité de l’empreinte carbone.

GDF Suez propose un mix énergétique très diversifié et faiblement carboné. Dans le secteur de la chaleur, nous disposons de 140 réseaux pour la plupart alimentés par de la biomasse ou des déchets. Bien entendu, nous sommes présents dans l’électricité et le gaz. En France, plus de 50 % de notre électricité est d’origine renouvelable, et nous sommes le premier acteur de l’éolien terrestre, avec 1 200 mégawatts installés. Nous revendiquons donc d’accompagner la transition énergétique pour être le partenaire énergétique de nos clients qui le souhaitent, qu’ils soient industriels, collectivités territoriales ou particuliers.

L’efficacité énergétique est le premier pilier de la transition énergétique. Les principaux consommateurs d’énergie sont les secteurs résidentiel et tertiaire, qui représentent 40 % de la consommation en France. À ce propos, je reprendrai deux des vingt-deux propositions que nous avons faites à la Commission.

Nous désignons la première sous le nom de passeport de rénovation énergétique. Ce passeport consisterait en un audit énergétique approfondi du logement suivi d’une proposition de travaux personnalisés standardisés, qui ciblerait en particulier les 4 millions de logements les plus énergivores en France. Le parcours rénovation comporterait, pour les collectivités territoriales, la charge d’installer des guichets uniques locaux dédiés à l’efficacité énergétique ; pour les fournisseurs d’énergie, tels que nous, l’obligation de financer un volume minimum de passeports rénovation se substituant à leurs obligations actuelles de délivrance de certificats d’économies d’énergie, relativement peu efficaces pour le secteur du chauffage individuel. Les filières de rénovation proposeraient des travaux simples et standardisés, et l’État ciblerait ses aides – crédit d’impôt, prêt à taux zéro. Les contrats de performance énergétiques sont très adaptés. Nous avons signé un contrat avec la région Alsace portant sur la réduction de la consommation énergétique des lycées alsaciens. Alors que nous nous étions engagés sur une réduction de 30 %, nous en sommes à 35 % au bout de dix-huit mois. Ces contrats sont donc très efficaces, ce qui est révélateur du potentiel d’économies d’énergie dans de nombreux domaines, dont celui des bâtiments publics.

Deuxième proposition, les ENR thermiques doivent être intégrées dans la politique de développement des énergies renouvelables. En particulier, nous avons en France un potentiel considérable en matière de biogaz, dit gaz vert, qui est produit par la dégradation des déchets organiques d’origine agricole, urbaine ou industrielle, grâce à l’étendue de notre territoire et à notre grande agriculture. Le biogaz peut être utilisé pour chauffer, pour faire de l’électricité ou pour la cogénération, qui associe les deux. Après épuration, il peut aussi devenir du biométhane et revenir dans le circuit du gaz. C’est le schéma que nous avons mis en place tout récemment à Forbach : le biogaz issu de la méthanisation des déchets urbains est valorisé pour faire, d’un côté, de la cogénération, de l’autre côté, du biométhane qui alimente une flotte de véhicules de collecte des déchets. La boucle est ainsi bouclée, on est déjà là dans l’économie circulaire. À Dunkerque, une expérimentation de power to gas est en cours. Le procédé consiste à produire de l’hydrogène à partir de l’électricité surabondante issue des éoliennes – au point qu’elle atteint parfois des prix négatifs. L’hydrogène est ensuite mélangé au gaz naturel à proportion de 10 à 15 %. Ce nouveau mélange, dénommé Hythane, va à la fois alimenter une flotte de bus de la communauté urbaine de Dunkerque et être distribué comme gaz de ville dans un micro-quartier. C’est une façon de mixer gaz et électricité. On sait utiliser le gaz pour faire de l’électricité, on essaie de développer l’inverse pour pouvoir stocker l’électricité, ce qui sera le grand problème d’avenir.

Nous nous félicitons de la mise en place d’outils incitatifs en faveur du biogaz. Le tarif de rachat est financé par une contribution du biométhane sur le gaz naturel. On n’en est qu’au démarrage mais on peut viser un objectif ambitieux. Alors que l’Ademe envisage d’atteindre 15 % de gaz vert en 2030, nous pensons qu’on pourrait même monter à 20 %, en passant par 20 térawattheures en 2020, ce qui porterait la part du gaz vert à 5 %. Cela me semble important pour l’image du gaz, l’effet sur la balance commerciale et la possibilité de réduire notre dépendance extérieure.

En matière de production électrique, nous sommes face à trois défis à relever résultant du triple échec de la politique énergétique européenne. D’abord, sur le plan du climat, qui était pourtant la priorité de ces cinq dernières années, avec l’augmentation des émissions de CO2 due à l’utilisation du charbon qui se substitue à celle du gaz dans le secteur de l’énergie, dans certains pays comme l’Allemagne. Ensuite, l’échec est patent sur le plan de la compétitivité, avec des prix de l’électricité sur le marché libre au plus bas – jusqu’à être divisés par deux en Europe – mais dont les consommateurs n’ont jamais profité puisque, pour eux, les prix n’ont cessé d’augmenter. En comparaison, ils baissent aux États-Unis grâce à la production d’électricité à partir de gaz bon marché. Enfin, l’échec est constaté sur le plan de la sécurité d’approvisionnement. Le charbon éliminant le gaz, les centrales à gaz, même les plus modernes, extrêmement performantes et offrant des rendements incroyables, ne tournent plus et sont fermées les unes après les autres. Elles sont complètement déficitaires et rendues inutiles en période de fonctionnement normal. En France, le grand débat est de savoir s’il faut fermer Fessenheim ; pour notre part, nous avons fermé plus de cinq fois Fessenheim en capacité, E.ON a fermé six fois Fessenheim en centrales à gaz. Or ces centrales vont manquer au moment des pointes, car la rapidité de leur mise en route les rend très flexibles et donc très complémentaires du renouvelable intermittent. Si l’Europe du Nord était prise sous un anticyclone glacial en hiver, sans vent ni beaucoup de soleil, il n’y aurait pas de centrale de pointe pour couvrir les énormes besoins de chauffage. Cela risque de créer des problèmes.

Nous pensons qu’il faut rénover le bouquet de production électrique en le rendant plus diversifié et plus équilibré par le biais d’une politique de soutien aux ENR électriques coordonnée au niveau européen. Le coût de soutien des énergies renouvelables en Europe devient très élevé dans certains pays. Il faut favoriser les énergies renouvelables qui sont les plus proches de l’équilibre, celles qui coûtent le moins cher à financer. De ce point de vue, l’éolien terrestre est la plus mature des technologies renouvelables. Par ailleurs, vous l’avez compris, je suis inquiet de la fermeture en Europe des centrales à gaz remplacées par les centrales à charbon. Je crois que notre rôle est d’alerter les pouvoirs publics. À la veille du sommet européen consacré à l’énergie, j’ai pris l’initiative de réunir les plus grands énergéticiens européens pour rédiger une déclaration commune mettant les pouvoirs publics européens face à l’échec de la politique européenne, qui s’est soldée par la destruction d’une partie de l’industrie énergétique européenne. On le voit un peu moins en France, mais en Allemagne, les grands groupes énergétiques ont souffert. Il y a trois ans, E.ON était le premier groupe allemand ; aujourd’hui, il est le quinzième. RWE ne s’en tire pas mieux.

Parmi les solutions que nous avons préconisées figurent le développement plus convergent du renouvelable ; un signal CO2 qui soit pertinent – aujourd’hui, un tel signal n’existe même plus : puisque le marché du CO2 s’est effondré, brûler du charbon n’expose à aucune pénalité ; un marché de capacité qui permette de maintenir en vie l’appareil industriel de centrales à gaz ; le durcissement de la réglementation européenne en matière d’émission de CO2 pour les centrales à charbon. En raison des dérogations accordées aux centrales fonctionnant au charbon local, essentiellement en Allemagne, vous l’aurez compris, la consommation massive de charbon n’est pas pénalisée.

En conclusion, nous avons deux propositions phares pour la transition énergétique : le passeport rénovation, qui se montrerait très efficace pour la rénovation de 500 000 logements par an ; un objectif ambitieux de développement du biométhane – 5 % à l’horizon 2020 et 20 % à l’horizon 2030.

M. Pierre Sigonney, chef économiste chez Total. La transition énergétique est d’abord un enjeu mondial, avec des effets très différents selon les niveaux de développement. Sur les vingt prochaines années, on s’attend à une hausse de la demande énergétique de plus de 30 % tirée par les pays émergents, en particulier la Chine, les pays asiatiques, les pays africains. Le changement climatique dépendra plus des politiques de ces pays que de celles des pays développés.

Permettez-moi de présenter rapidement le mix énergétique que nous envisageons à l’horizon 2035. D’abord, un développement important des énergies renouvelables, avec des taux de croissance supérieurs à 10 % pour l’éolien et le solaire. Partant aujourd’hui d’une base extrêmement faible, on s’attend à une part de l’éolien et du solaire ne représentant que 5 ou 6 % du mix en 2035. Sur le plan du nucléaire, les attentes et les évolutions sont très fortes depuis l’accident de Fukushima. En face d’une réduction dans les pays développés, en premier lieu au Japon, certains pays émergents, notamment la Chine, l’Inde et la Russie misent toujours sur son développement. La part du nucléaire dans le mix global devrait donc rester au voisinage aussi de 6 %. Dans les domaines de l’hydroélectricité et de la biomasse, on s’attend à une croissance modérée. D’une part, le potentiel hydroélectrique a été très utilisé dans les pays développés et la construction de grands barrages devient de plus en plus difficile, même dans un pays comme la Chine. D’autre part, la composante traditionnelle de la biomasse, non bénéfique à l’environnement, sera abandonnée au profit de la composante plus moderne, dont le développement dépendra néanmoins des arbitrages rendus sur l’utilisation de certaines matières premières agricoles à des fins énergétiques ou alimentaires.

Il faut en conclure que les énergies fossiles resteront prépondérantes dans les vingt ans qui viennent et qu’elles représenteront environ 75 % du mix contre 80 % aujourd’hui, la part du pétrole descendant légèrement autour de 30 % et une incertitude persistant sur les rôles respectifs du gaz naturel et du charbon. Comme Gérard Mestrallet l’a indiqué, on s’attend à des évolutions différenciées de ces énergies, avec une très forte progression du gaz naturel aux États-Unis et un rôle toujours majeur du charbon en Chine et pour l’instant en hausse en Europe. Nous considérons que cette montée est sans doute transitoire.

M. le président François Brottes. Pour un groupe comme Total, le transitoire s’évalue en combien de siècles ?

M. Pierre Sigonney. En deux ou trois ans maximum.

L’exploitation du gaz de schiste est une révolution – qui est totale en Amérique du Nord, que l’on attend en Asie et en Chine, mais aussi en Argentine où Total pense pouvoir développer prochainement une production – en ce qu’elle produit en abondance du gaz naturel qui va devenir la deuxième énergie au niveau mondial, dépassant le charbon. Le gaz naturel sera sans doute le vecteur essentiel de la transition énergétique en favorisant le passage d’énergies fortement émettrices de CO2 vers des énergies faiblement émettrices, sachant que la production électrique à partir du gaz est beaucoup plus efficace qu’avec le charbon et que les émissions de CO2 par kilowattheure produit sont divisées par deux.

La transition énergétique est un processus de très long terme. Il est déjà engagé et requiert à la fois une maturité technologique et une compétitivité économique des nouvelles filières. La durée de vie d’une centrale électrique est de l’ordre de trente à cinquante ans. Arrêter des centrales avant leur fin de vie accroît très fortement les coûts pour les consommateurs et peut peser sur la croissance économique. Une transition énergétique nécessite à la fois du temps, des efforts de recherche et développement, et d’innovation très importants.

Même si la politique européenne en matière énergétique n’est pas toujours un succès, il est très difficile pour la France de gérer une transition énergétique indépendamment des choix retenus au niveau de l’Europe. Les choix faits en France devront préserver la compétitivité de l’industrie française à la fois vis-à-vis de ses concurrents européens mais aussi de ses concurrents extérieurs. Ce point de la compétitivité est particulièrement important pour l’industrie lourde, notamment dans les secteurs du raffinage ou de la chimie.

La transition énergétique doit s’appuyer sur les éléments les plus efficaces et les mieux adaptés. Permettez-moi de parler du pétrole en lien avec l’industrie automobile. Celle-ci s’est montrée très efficace au regard de la consommation automobile, particulièrement en France, où la consommation moyenne est passée de 6,4 litres aux 100 kilomètres en 2000 à 5 litres aux 100 kilomètres en 2011, soit une baisse de 22 % en onze ans. Cela a contribué à faire baisser la demande en pétrole, sur la même période, de 10 % en Europe et de 13 % en France. On peut donc dire que, en matière de pétrole, la transition a déjà commencé en Europe. Pour un groupe comme Total, le pétrole continuera à moyen terme, peut-être même à long terme, d’être le meilleur vecteur pour le transport.

M. le président François Brottes. Même question que tout à l’heure : combien de siècles pour le long terme ?

M. Pierre Sigonney. Quelques dizaines d’années. Les progrès attendus sur les moteurs à explosion et sur l’hybridation feront sans doute des véhicules fonctionnant avec des produits pétroliers toujours les meilleurs vecteurs de la mobilité.

Nous considérons que le développement des énergies renouvelables en Europe va continuer. Reste à savoir si les processus d’incitation sauront s’adapter aux conditions économiques pour éviter de créer des rentes et de peser sur le consommateur final, notamment au regard du prix de l’électricité. Si nous avons la même analyse sur le gaz naturel et les difficultés à attendre du charbon aujourd’hui en Europe, on peut néanmoins considérer que l’utilisation du charbon marque le succès du développement des énergies renouvelables. Dans certains pays, la reprise de cette consommation est due à un très fort développement des énergies renouvelables. À terme, des évolutions vont se produire sous l’effet des directives européennes, notamment la Large Combustion Plant Directive, dite LCPD, qui va entraîner la fermeture, à la fin de 2015, de centrales à charbon. Ces fermetures seront massives au Royaume-Uni. En France particulièrement, avec une réduction de la part du nucléaire, l’utilisation du gaz naturel sera absolument indispensable pour diversifier le mix électrique et compléter la production liée aux énergies renouvelables.

Total n’a pas attendu le grand débat sur la transition énergétique pour s’engager dans ce domaine, à la fois dans ses métiers traditionnels, dans l’efficacité énergétique et dans les énergies nouvelles. Dans le monde, Total cherche à limiter ses émissions de gaz à effet de serre, notamment en réduisant le torchage sur ses sites de production de pétrole et de gaz. Nous engageons une démarche d’amélioration de l’efficacité énergétique de nos installations industrielles du raffinage et de la pétrochimie. Nous cherchons à contribuer globalement aux efforts d’efficacité énergétique en développant des carburants plus efficaces, plus économes, comme Excellium. Total est la seule grande compagnie pétrolière internationale à avoir investi massivement dans le secteur photovoltaïque en acquérant 60 % de la deuxième compagnie américaine de fabrication de cellules photovoltaïques, SunPower. Nous considérons que le solaire photovoltaïque a beaucoup d’avenir. J’ai parlé de 6 % du mix énergétique en 2030 pour le solaire et l’éolien mais, pour nous, au-delà de cette date, le solaire continuera à se développer de façon très importante. Déjà, dans certaines régions du monde, comme la Californie, où la demande électrique est maximale en été, l’énergie solaire, qui est plus efficace en cette période, devient compétitive.

M. le président François Brottes. En raison de faits d’actualité, que je veux ici déplorer et condamner, Mme Marie-Hélène Fabre s’exprimera avant que nous ne passions aux questions.

Mme Marie-Hélène Fabre. Un attentat a été perpétré à Carcassonne, dans l’Aude, contre le siège du parti socialiste, par le Comité d’action viticole. Je déplore totalement cette action. Depuis un an, le gouvernement et le ministre de l’agriculture s’attachent à peser, par une action rigoureuse, sur la politique viticole et ont obtenu des retombées positives en France, notamment en matière d’autorisations de plantation, et encore dernièrement dans le cadre de la PAC. Un tel acte est totalement inadmissible, et je le dénonce. (Applaudissements.)

M. le président François Brottes. Je veux le faire aussi au nom de la commission, comme nous l’avons fait, en d’autres temps, lorsque les permanences de collègues de l’UMP avaient été attaquées. Dans cette commission, nous travaillons de façon assez unanime sur ces questions, notamment celle de l’arrachage des vignes, et nous luttons pour que la régulation continue au niveau européen. Rien ne peut justifier une action d’une telle violence.

M. Daniel Fasquelle. Indépendamment du fond du sujet, il est inadmissible qu’on s’en prenne à la permanence d’un parti politique. La démocratie a besoin des partis politiques pour exister. Bien évidemment, nous sommes tout à fait solidaires.

M. Denis Baupin. Je m’associe à l’indignation suscitée par l’attentat contre la permanence du parti socialiste de Carcassonne. Comme les autres groupes, les écologistes condamnent toute agression contre des partis politiques.

En écoutant nos invités de ce matin, je buvais du petit-lait. M. Mestrallet notamment a désigné les énergies centralisées et épuisables comme celles du vieux monde qu’il fallait quitter pour aller vers le monde nouveau des énergies renouvelables décentralisées et de l’efficacité énergétique. Je partage cette conception ainsi que les observations sur les dégâts suscités par l’absence de prix du CO2. C’est la porte ouverte au développement du charbon qui est une vraie plaie pour les politiques énergétiques et qui a un effet dévastateur sur les centrales au gaz dont nous avons besoin. En entendant parler de Power to Gas, je me suis presque cru à une présentation du scénario négaWatt. Bref, sur beaucoup de points, je me suis retrouvé en accord. J’y vois le signe qu’il y a eu une évolution et qu’une partie des acteurs énergétiques, notamment français, ont commencé à prendre de bons chemins.

Si le passeport de rénovation énergétique est une bonne idée, il ne faut pas qu’il se substitue au certificat d’économies d’énergie. L’un fait de l’efficacité énergétique alors que l’autre va tenter d’organiser un système et n’aura pas de résultat concret. Il faut faire évoluer ce projet vers plus d’efficacité.

Par ailleurs, il y devrait y avoir de la gêne chez Total à prétendre qu’aujourd’hui de gros efforts ont été fournis en matière d’efficacité automobile : on est loin de l’ambitieux projet du Premier ministre d’atteindre 2 litres aux 100 kilomètres.

Mme Frédérique Massat. Je remercie nos invités de leur présence ainsi que de leur contribution au débat sur la transition énergétique.

Le Gouvernement est en train de préparer un dispositif transitoire aux certificats d’économies d’énergie. De votre côté, avez-vous idée d’un dispositif qui pourrait lui succéder ?

À votre avis, comment va évoluer le gel des quotas de CO2 au niveau européen ?

Quelles solutions pouvez-vous avancer pour le stockage de l’énergie, notamment celle d’origine renouvelable ?

La CRE a autorisé le développement du compteur intelligent Gazpar sur le territoire français. Comment allez-vous procéder ? Quels seront les coûts de cette opération pour l’entreprise et pour le consommateur ? Quelles économies d’échelle en attendez-vous ?

L’extension à plus de 4 millions de ménages des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz a été adoptée dans la loi Brottes. Comment l’entreprise s’y prépare-t-elle ?

M. Éric Straumann. Je salue le partenariat entre GDF Suez et la région Alsace grâce auquel, sans perte de confort pour les usagers des lycées, la consommation d’énergie a diminué de 35 %. Le contrat de performance énergétique me semble donc être un bel exemple à suivre.

La forte hausse des tarifs de l’électricité annoncée par le Gouvernement, moindre toutefois que celle réclamée par la CRE, est-elle la conséquence des surcoûts engendrés par le développement des énergies renouvelables répercutés sur les consommateurs via la contribution au service public de l’électricité (CSPE) ?

Mme Marie-Lou Marcel. GDF Suez dit préparer la transition énergétique en développant les énergies renouvelables, plus particulièrement le solaire et la biomasse. Quelles sont les actions menées dans ce domaine depuis les dix dernières années, et quelle est leur part dans le chiffre d’affaires du groupe ?

« L’idée reçue selon laquelle les nappes phréatiques peuvent être contaminées est fausse », « Le problème de l’exploitation de gaz de schiste provient du code minier » : vous êtes, monsieur Mestrallet, à l’origine de ces deux affirmations. Pouvez-vous les expliciter ?

M. Thierry Benoit. Par ma voix, l’UDI condamne, elle aussi, avec la plus grande fermeté l’acte de violence qui vient d’être porté à notre connaissance. Aucune raison ne justifie qu’on s’attaque aux biens publics, à ceux des particuliers, des entreprises ou des mouvements politiques. Le climat dans notre pays a beau être tendu, il faut condamner avec la plus grande fermeté tout acte de violence.

Je me réjouis et nous devons nous féliciter que des groupes français d’envergure internationale jouent un rôle majeur dans le domaine de l’énergie au niveau mondial.

La transition énergétique est un sujet qui anime le pays depuis une dizaine d’années. Malgré le volontarisme de la puissance publique, malgré les services R&D performants de nos grands groupes, nous avons du mal à passer de la recherche aux travaux pratiques et à démocratiser les technologies alternatives fort diverses : géothermie, photovoltaïque, éolien, biomasse, biogaz, cogénération ou biométhane. Que pouvez-vous proposer pour aller dans ce sens ?

Sous l’ancienne mandature, le photovoltaïque a été victime d’une bulle spéculative. Vos entreprises ont-elles des propositions quant à la structuration de filières dans le monde et plus particulièrement en France ?

Que ce soit les particuliers ou les entreprises, les consommateurs ne me semblent pas préparés à la transition énergétique. Alors que le Parlement met en place l’écotaxe poids lourds, dans le même temps, il ne propose rien qui puisse encourager les transporteurs à une quelconque conversion.

Les questions d’énergie créent, dans notre pays, d’étranges blocages. Le Parlement a autorisé hier la recherche sur l’embryon humain, mais le Président de la République s’est prononcé pour l’interdiction d’explorer ou de faire des recherches sur le gaz de schiste, alors qu’il pourrait s’agir là d’une nouvelle voie susceptible d’être ouverte grâce à des techniques alternatives.

Mme Catherine Troallic. La Haute-Normandie, dont je suis élue, est une terre d’énergie, l’une des toutes premières régions en termes d’emplois et d’activité dans ce domaine : première pour le raffinage, troisième pour la production d’énergie nucléaire, la filière énergie employant près de 11 000 personnes. La région Haute-Normandie bénéficie aussi de ressources importantes en énergies renouvelables, aussi bien en éolien onshore et offshore qu’en biomasse. Le Havre verra bientôt la construction d’usines d’assemblage d’éolien offshore. C’est dire si la transition énergétique est pour notre région un sujet majeur.

Sur ma circonscription, Total est un très gros employeur – près de 2 500 personnes. Une importante réorganisation autour d’une plate-forme Normandie a eu lieu en 2011 et 2012, avec d’importants investissements, notamment pour améliorer l’efficacité énergétique des installations. Pas très loin du Havre est implantée l’usine Petroplus bien connue de tous. Quel est, monsieur Sigonney, l’avenir du raffinage en France, et plus précisément en Haute-Normandie et au Havre ?

La réglementation thermique 2012 place le gaz naturel parmi les énergies les plus intéressantes en matière d’émission de gaz à effet de serre. Pourtant, il semblerait que les investissements de GDF Suez sur le réseau de distribution du gaz naturel en France soient en baisse, certaines de ses filiales privilégiant même la distribution par camions. M. Mestrallet peut-il nous apporter plus de précisions sur les investissements du groupe sur ces réseaux de distribution ?

GDF Suez se dit très sensible au prix juste de l’électricité pour les particuliers et entend, à son niveau, lutter contre la précarité énergétique. Voilà qui est excellent, sachant que le gaz est un bien précieux dont le coût ne cesse d’augmenter. S’il est exact que du gaz est actuellement brûlé au terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne, quelles en sont les raisons ? Quel est le volume du gaz ainsi brûlé, donc perdu, chaque année ? Quelle est la politique du groupe s’agissant de la gestion des stocks de gaz ?

M. Jean-Claude Mathis. Monsieur Mestrallet, malgré vos préoccupations en matière d’approvisionnement, dont vous avez fait part dans vos propos liminaires, vous avez récemment déclaré avoir pris toutes les dispositions pour assurer la continuité de fourniture de vos clients en France pour l’hiver 2013-2014, et cela même en cas de situation climatique extrême dite « risque cinquantenaire ». Quelles sont ces mesures ?

Vous avez, l’un et l’autre, beaucoup parlé du charbon mais très peu de l’exploitation du gaz de houille. Qu’en pensez-vous ?

Mme Jeanine Dubié. Le groupe RRDP apporte tout son soutien à la fédération socialiste de l’Aude ainsi qu’à Marie-Hélène Fabre, et condamne avec fermeté l’acte de violence inadmissible qui les a visées.

Je vous remercie, monsieur le président Brottes, d’avoir invité M. Mestrallet et M. Sigonney ainsi que de votre engagement durable sur les sujets énergétiques. Les auditions auxquelles nous procédons sont des apports précieux pour les travaux de notre commission.

Vous soutenez, messieurs, l’exploration et l’exploitation des gaz et huiles de schiste. Les spécialistes sont divisés au sujet de leur impact sur les prix, certains modèles l’estimant nul en Europe. Quelles sont les réflexions de vos deux groupes sur ce sujet ? Peut-on prétendre effectuer des explorations à des fins d’inventaire sans que s’ensuive nécessairement une phase d’exploitation ?

Croyant au principe de la tarification progressive de l’énergie, nous avons soutenu la proposition de loi de notre président. Sur ce sujet, on ne vous a pas beaucoup entendu. Que pensez-vous du principe ?

Je voudrais me faire le porte-parole de nos concitoyens dont les factures ne cessent d’augmenter, notamment des plus fragiles qui souffrent davantage de la crise et des fortes hausses, depuis dix ou quinze ans, de ces dépenses contraintes. Quels mécanismes de tarification sociale seraient les plus efficaces à soulager les plus défavorisés sans les dissuader d’économiser l’énergie ?

Mme Michèle Bonneton. La France et l’Allemagne sont les deux premiers pays producteurs d’énergies renouvelables en Europe. L’Allemagne s’est fixé comme objectif d’atteindre 50 % de renouvelables dans la production électrique d’ici à 2030 ; en France, l’objectif est bien inférieur.

On ne parle quasiment plus de la géothermie alors qu’elle était très citée à un moment. Est-elle à développer, particulièrement en Île-de-France ?

Qu’appelez-vous gaz vert ? J’ai cru comprendre qu’il s’agissait de méthane, de biogaz. Est-ce aussi l’hydrogène ? S’agissant du méthane, qui accompagne le gaz de schiste, j’observe que, du point de vue du dérèglement climatique, son impact est vingt-cinq fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. Les fuites sont toujours à surveiller de très près.

En matière d’énergies renouvelables, des coopérations vous semblent-elles envisageables avec des banques telles que la Banque publique d’investissement (BPI) ou la Banque européenne d’investissement (BEI) ?

Ces énergies renouvelables vont de pair avec une certaine décentralisation, avez-vous dit. Que pensez-vous d’une gouvernance de l’énergie beaucoup plus territoriale qu’à l’heure actuelle ?

Notre facture d’achat d’hydrocarbures pour les transports s’est élevée à 61 milliards d’euros en 2012, soit l’équivalent de notre déficit annuel. La Commission européenne risque de déclencher une procédure de contentieux contre la France au regard des émissions de particules dues essentiellement aux moteurs diesel. Parmi les solutions possibles, préconiseriez-vous des véhicules hybrides ? Que pensez-vous d’une fiscalité pollution et d’un développement important des transports en commun ?

M. Frédéric Roig. Notre commission s’interroge souvent sur la compétitivité des entreprises, qu’elles soient multinationales ou PME, dans le cadre de la transition énergétique. En 2010, la norme internationale ISO 26000 intégrait un volet environnemental ; en septembre 2012, la conférence environnementale mettait en place une plate-forme sur la responsabilité sociétale des entreprises renforçant notamment leur bilan environnemental et la lutte contre le changement climatique. La responsabilité sociétale des entreprises est-elle, pour vous, un nouveau modèle de développement économique et durable dans les stratégies internes aux grands groupes et aux PME ? En quoi contribue-t-elle à la transition énergétique ? Je vous pose la question car je sais, pour avoir assisté à Montpellier à un colloque avec l’un de vos collaborateurs, que vous avez, monsieur Mestrallet, fortement développé la RSE au sein de GDF Suez et jusqu’aux plus petites de vos filiales.

M. le président François Brottes. J’ai cru comprendre que le commissaire européen souhaitait supprimer les tarifs d’achat des énergies renouvelables ou quelque chose d’approchant. Puisque, généralement, vous n’hésitez pas à dire le fond de votre pensée aux commissaires européens, cette intention suscite-t-elle une réaction de votre part ?

M. Gérard Mestrallet. Plutôt que de s’intéresser à la seule modalité des tarifs d’achat, je préfèrerais que le commissaire européen ait une vue beaucoup plus large des énergies renouvelables et de la politique de développement qu’il convient de leur appliquer en Europe. Je souhaiterais que l’Union puisse avoir une vision transversale sur le rythme du développement et sur la nature des énergies renouvelables à favoriser, ce qui suppose un cadrage général. Nous sommes favorables à ce que l’on fixe une perspective de réduction des émissions de CO2 de moins 40 % à l’horizon 2030. C’est notre objectif. Certains peuvent le trouver excessif, d’autres insuffisant. C’est dans le cadre d’un objectif global qu’on devra ensuite bâtir une politique européenne en matière d’énergies renouvelables, une politique qui précisera la nature exacte du système de soutien. Quant à savoir s’il faut un tarif d’achat ou un crédit d’impôt, cette question, à ce stade en Europe, me paraît complètement secondaire. La politique européenne s’avère un tel champ de ruine qu’il faut reconstruire de manière globale, en abandonnant toute vision partielle.

Nous constatons sur le terrain que les certificats d’économies d’énergie sont adaptés pour l’industrie et pour les entreprises, mais qu’ils ne sont finalement pas très efficaces pour les particuliers. Le certificat est délivré par l’artisan à la fin des travaux d’isolation, ce n’est donc pas ce document qui a eu l’effet déclencheur. Nous pensons que le passeport, qui comporte une obligation en volume pour les fournisseurs d’aller chez les particuliers, d’élaborer un diagnostic sur l’efficacité énergétique du logement, ainsi que des recommandations de travaux aurait plus d’effet. Libre, ensuite, au locataire ou au propriétaire d’effectuer les travaux en fonction des aides dont il pourra bénéficier. Pour identifier celles-ci, les collectivités locales auront un rôle d’accompagnement à travers les guichets uniques qui présenteraient ce que peuvent faire l’Ademe et l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat.

S’agissant du marché des quotas, nous souhaitons que le backloading, c’est-à-dire la mise à l’écart des certificats, souhaité par la Commission européenne mais retoqué par le Parlement européen, puisse se faire. Ce serait toutefois un pas assez minime puisqu’il faudrait ensuite éliminer définitivement des quantités importantes de certificats. Pour la suite, il faut avoir une vision à terme, ne plus se contenter d’appliquer des sparadraps sur le système qui s’est écroulé. Sa reconstruction passe par la fixation d’objectifs à l’horizon 2030 et de points de passage de manière à envoyer un signal carbone clair aux entreprises.

Le pire pour une entreprise, c’est de ne pas savoir. Aujourd’hui, le système ne marche plus ; au-delà de 2020, on ne sait pas ce qu’il va se passer, c’est le vide sidéral. Or investir dans l’énergie demande deux ou trois ans d’études, quatre à cinq ans de construction : on est déjà en 2020 ! En conséquence de quoi, il n’y a pas d’investissement aujourd’hui. M. Van Rompuy évaluait à 1 000 milliards les besoins d’investissement en Europe dans le secteur de l’énergie. Qui va les faire ? Ni les États ni les entreprises. Nous avons donc un vrai problème.

Le stockage de l’électricité est un sujet absolument majeur et il faudrait y consacrer une bonne partie des ressources de la recherche. Cet aspect est plus important que jamais parce que les nouvelles énergies développées sont complètement intermittentes, ce qui entraîne une volatilité des prix de l’électricité qui n’est pas stockable en l’état. Une bande d’électricité vaut 40 euros aujourd’hui ; au moment des pointes de consommation, elle peut monter à 1 000 voire 3 000 euros ; lorsqu’il y a, comme à Noël dernier, beaucoup de vent et des températures pas trop froides, le prix de l’électricité peut être négatif. D’où l’intérêt de pouvoir stocker l’électricité issue d’énergies intermittentes. On sait stocker du gaz et de l’eau pour produire de l’électricité, mais le processus inverse est beaucoup plus difficile. Les stations de pompage hydroélectriques, extrêmement flexibles, sont les meilleurs instruments possibles pour stocker de l’électricité. Or ce sont des investissements très lourds difficiles à réaliser aujourd’hui dans nos pays européens : ils nécessitent deux réservoirs – un bas qui est généralement existant, un haut qui est complètement artificiel, ce qui pose beaucoup de problèmes techniques et environnementaux.

Une autre voie consiste à faire du gaz à partir de l’électricité. Nous travaillons dessus, de même que les Allemands. Cette formule présente un intérêt pour le transport, car, aujourd’hui, le public est très hostile à la construction de nouvelles lignes de haute tension. En Allemagne, la production éolienne est implantée dans le Nord alors que la consommation d’électricité la plus importante a lieu en Bavière, dans le Sud. De fortes oppositions s’expriment contre la construction de lignes qui relieraient le Nord et le Sud. Or si l’on pouvait transformer l’électricité produite par les éoliennes du Nord en gaz que l’on transporterait vers le Sud par les gazoducs qui existent, on aurait une amorce de solution. Je me livre là à de l’anticipation technologique, mais il faut travailler sur ce stockage des énergies renouvelables.

Le déploiement du compteur de gaz intelligent Gazpar s’effectuera sur une période relativement longue. Nous y travaillons avec le régulateur. C’est GRDF qui aura la charge de le développer.

S’agissant des tarifs sociaux, le président Brottes sait que nous préconisons leur extension depuis des années. Bien sûr, si la majorité des consommateurs doit payer le gaz à son vrai coût, il faut prendre en compte la situation de millions de foyers qui sont en précarité énergétique. J’avais proposé cette extension à M. Fillon, mais il craignait qu’elle ne se propage à d’autres domaines ; puis elle a été mise en place à l’occasion de la réforme des tarifs du gaz. C’est un bon complément et nous nous préparons à cette extension parce qu’il faut que les gens sachent qu’ils peuvent en bénéficier.

Si je devais répondre aussi rapidement que M. Straumann m’a posé la question sur les tarifs de l’électricité, je ne pourrais qu’escamoter le sujet. Je préfère sortir mon joker. Ce que je peux dire, c’est que le coût de l’électricité renouvelable doit être payé par l’électricité ; le coût des énergies renouvelables gaz, par exemple le biogaz, doit être payé par le gaz. Il ne doit pas y avoir de tarification croisée.

M. Pierre Sigonney. Chez Total, nous sommes convaincus que le solaire a beaucoup d’avenir. Nous avons investi dans la compagnie américaine SunPower parce qu’elle produit des cellules à très fort rendement et qui devraient être très compétitives par rapport à celles produites en Chine. Nous avons fait le pari de la technologie, de l’efficacité et du rendement plutôt que du moindre coût avec un moins bon rendement. Ainsi, à surface installée identique, on est capable de produire environ 20 % d’électricité en plus, ce qui est quand même intéressant.

Il me paraît important d’avoir en tête que le gaz de schiste est produit à 2 000 mètres sous terre et que la nappe phréatique se trouve à cinquante mètres.

M. Germinal Peiro. Dans ma circonscription, on va chercher l’eau à 800 mètres !

M. Pierre Sigonney. Dans certains cas, aux États-Unis, on va même le chercher à 3 000 mètres. Le gaz que l’on va récupérer a été stocké pendant des centaines de milliers d’années, voire des millions, dans le sous-sol, parfaitement piégé par les couches successives. La fracturation est opérée à cinquante mètres autour du puits et les produits injectés sous terre sont composés d’eau, de sable et de produits chimiques de nature de plus en plus agroalimentaire, donc comestibles.

M. le président François Brottes. Qu’est-ce qu’un produit chimique agroalimentaire ?

M. Pierre Sigonney. C’est un produit qui peut entrer dans la composition de produits de consommation courante.

M. le président François Brottes. Si on le mange, on n’est pas malade ?

M. Pierre Sigonney. Absolument. Quand les représentants de l’entreprise américaine Halliburton présentent les produits qu’ils utilisent pour la fracturation, ils sont toujours munis d’un gobelet pour les boire. Cela pour dire que la contamination des nappes phréatiques peut se produire seulement au moment où l’eau qui a été injectée revient à la surface du sol sans avoir été traitée. Mais ce ne sont pas là les bonnes pratiques usuelles de production du gaz de schiste. Un film circule dans lequel quelqu’un met le feu à de l’eau qui sort du robinet. S’il s’agit bien d’eau issue de la nappe phréatique, il faut savoir qu’un certain nombre de ces nappes contiennent du méthane résultant de la dégradation des matières naturelles dans l’eau. Ce genre de réaction peut se produire si l’on n’applique pas un traitement pour éliminer ce méthane, mais il est absolument faux que la contamination de l’eau présentée dans ce film était liée au gaz de schiste. Ce qui est clair, c’est que la plus faible concentration du gaz de schiste impose, par rapport au gaz conventionnel, le forage de puits en nombre beaucoup plus important et des contraintes sans doute plus fortes au regard de l’utilisation du terrain. Dans le système américain, les propriétaires du terrain étant aussi propriétaires du sous-sol, ils ont une incitation très forte au développement de leurs ressources minières, ce qui n’est pas le cas en France où les propriétaires ne sont pas intéressés aux revenus du sous-sol.

M. Gérard Mestrallet. Ce sont les modalités et le coût des technologies qui font que celles-ci se démocratisent un peu toutes seules. Elles s’individualisent aussi parce que les unités de production d’électricité sont de taille de plus en plus réduite. C’est vrai pour les éoliennes – encore faut-il avoir un jardin –, mais c’est vrai aussi pour la géothermie et le solaire. Ce dernier a cette caractéristique de voir ses coûts régulièrement baisser, dans des proportions qui ont été spectaculaires au cours des quinze dernières années, et qui vont continuer à baisser. Je souhaite de tout cœur que Total réussisse, avec SunPower, sa percée dans ce domaine.

En revanche, il faudrait faire de la pédagogie en faveur des technologies de gestion de l’énergie qui vont bientôt devenir accessibles aux particuliers dans leur intérieur, où ils pourront installer des capteurs, des systèmes de gestion et de programmation des consommations d’énergie. La domotique est en train de pénétrer la maison et de se développer grâce notamment aux technologies numériques et de production d’électricité. Le solaire va représenter un levier considérable et, à cet égard, il faudra faire de la pédagogie partagée. Du point de vue des filières, l’Europe a raté le coche de la cellule de production photovoltaïque, laissant détruire l’industrie européenne pourtant forte, notamment en Allemagne, par la concurrence chinoise. Q-Cells et d’autres sont tombées en faillite ; nous-mêmes avons eu une expérience commune avec Total d’une usine en Belgique qu’il a fallu fermer. Du point de vue des consommateurs, la faiblesse des prix, à cause des Chinois ou grâce à eux, va permettre la diffusion de l’usage de la technologie à grande échelle. Le développement est relativement rapide, même s’il faut l’accompagner de pédagogie pour que ces technologies disponibles en France et en Europe soient utilisées au maximum de leur considérable potentiel.

Mme Troallic, la Haute-Normandie est, il est vrai, une région d’énergie. Nous essayons d’y apporter notre contribution, et travaillons beaucoup, une nouvelle fois d’ailleurs, sur l’offshore normand. La RT 2012 est faite par l’administration ; elle est le reflet des coûts et de l’efficacité comparés du gaz naturel par rapport aux autres sources d’énergie. Nous espérons que la pénétration du gaz, notamment pour les usages domestiques de chauffage, va se poursuivre. Comme l’a dit M. Sigonney, de façon générale, dans la quasi-totalité des pays du monde, le développement du gaz est synonyme de développement d’une énergie propre. Il est le principal vecteur de la transition énergétique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le monde. GRDF a des projets de développement et ne ralentit pas ses investissements de croissance. Il est vrai que des industriels, plutôt petits, sont installés relativement loin des réseaux de distribution, cela en France et en Europe comme aux États-Unis. Nous réfléchissons à un mode d’alimentation sous forme de gaz naturel liquéfié, dit LNG, pour de telles entités éloignées des réseaux et qui ont besoin de gaz naturel. Nous le faisons déjà aux États-Unis et nous l’étudions aujourd’hui en Europe.

Nous essayons également de réduire le torchage qui est techniquement nécessaire sur les terminaux méthaniers pratiquement du monde entier lorsqu’ils sont à l’arrêt ou en fonctionnement réduit, ce qui est malheureusement le cas actuellement : puisque les centrales à gaz marchent moins, les terminaux méthaniers marchent moins. Il y a techniquement aujourd’hui nécessité de torcher de temps en temps pour des raisons de sécurité. On ne le fait pas de gaîté de cœur, évidemment, si on pouvait utiliser ce gaz à autre chose, nous le ferions. Nous étudions des moyens de réduire ce torchage, quitte peut-être à réinvestir pour produire de l’électricité avec le gaz en question.

Je suis heureux que la question du stockage de gaz ait été soulevée. J’avais, en son temps, saisi Mme Delphine Batho du risque que le faible remplissage des stockages de gaz en France à ce moment de l’été pouvait faire encourir à la sécurité d’approvisionnement gazier pour l’hiver prochain. La direction générale de l’énergie s’est saisie de la question ; GRDF a été sollicité ; nous-même travaillons sur le sujet parce qu’il nous préoccupe. Or GDF Suez représente aujourd’hui moins de 50 % des parts de marché du gaz pour les grandes entreprises. Il faudra veiller à ce que les autres fournisseurs aussi respectent leurs engagements de stockage de gaz.

M. Mathis, la sécurité d’approvisionnement que j’ai évoquée dans mon exposé liminaire concernait l’électricité. Depuis trente-cinq ans, la sécurité d’approvisionnement du gaz en France est assurée. Elle l’a été même au plus fort de la crise entre la Russie et l’Ukraine ; elle l’a été même au moment de la grande crise d’approvisionnement gazier en Europe : alors que les Anglais manquaient de gaz en plein hiver, jamais les Français n’en ont manqué. Nous travaillons pour que cela continue. En matière d’électricité, ce n’est pas nous qui sommes en charge de la sécurité d’approvisionnement. En France, une entité est nommément désignée : le Réseau de transport d’électricité (RTE). Je voulais signaler que la fermeture des centrales à gaz dans toute l’Europe va priver le système électrique européen d’unités faites pour les pointes. Nous demandons aux pouvoirs publics de trouver une solution. Des systèmes de capacité sont déjà en place, qui demandent toutefois à être ajustés et calibrés, pour pouvoir maintenir en vie des entités qui seront utiles au moment des pointes d’hiver. Je crois qu’il faut le faire vite. La loi NOME a bien prévu un système de capacité, mais il ne fonctionnerait qu’à partir de 2016. D’ici là, nous aurons quelques hivers à passer...

S’agissant du gaz de houille, GDF et Suez, chacun de son côté avant la fusion, s’étaient penchés sur les projets du Nord qui n’avaient pas paru extraordinairement intéressants. Nous allons regarder à nouveau puisque les promoteurs des exploitations en question ont remis le sujet, très habilement d’ailleurs, sur la place.

Je laisserai M. Sigonney aborder l’impact du gaz de schiste sur les prix. Je dirai simplement que GDF Suez se penche sur le sujet dans d’autres pays que la France pour étudier les technologies et éventuellement voir avec leurs gouvernements ce qu’il y a lieu de faire. La production américaine de gaz étant abondante et bon marché, nous travaillons, avec un groupe américain et les groupes japonais Mitsui et Mitsubishi, sur un projet d’usine de liquéfaction de gaz qui serait basée en Louisiane et qui exporterait le méthane produit vers l’Asie via le canal de Panama, dont d’ailleurs notre groupe a réalisé l’élargissement des écluses.

S’agissant de la tarification progressive de l’énergie, le président Brottes connaît bien notre position et depuis longtemps. Bien avant l’élection présidentielle, nous avions mis en place, dans un certain nombre de municipalités qui le souhaitaient, une tarification progressive de l’eau. Avec plusieurs années de recul, on peut dire que cela marche bien. Lorsque l’idée a été lancée de la tarification progressive de l’énergie, nous avons été auditionnés et avons indiqué que cela pouvait tout à fait fonctionner, même si, pour des raisons pratiques, le système est un peu plus compliqué que pour l’eau.

Dans le domaine de la géothermie, on distingue deux types. L’un produit des eaux extrêmement chaudes, à 200 ou 250 degrés. C’est ce type de procédé qui est mis en œuvre aux Philippines ou en Indonésie où nous avons les plus grands projets du monde en la matière. Cette eau, cette vapeur plus précisément, est utilisée pour produire de l’électricité. En France, la géothermie est utilisée pour chauffer. À Paris, par exemple, nous avons proposé à la ville de compléter le réseau de chaleur, que nous gérons via la CPCU, par une ressource géothermique afin d’atteindre les fameux 50 % d’énergies renouvelables permettant de bénéficier d’une TVA réduite sur la chaleur vendue. À Bruxelles, le siège de notre filiale Electrabel est chauffé en totalité avec la géothermie, de type source froide celle-là. Même avec des températures relativement modestes de 50 à 60 degrés, on peut extraire de la chaleur et chauffer une maison. Avec la géothermie, on peut aussi, à l’inverse, refroidir la maison en remettant la chaleur soustraite dans les eaux du sous-sol. Je crois beaucoup au développement de la géothermie thermique.

Ce que l’on appelle gaz vert est du méthane. Soit on le trouve dans le sol, à l’état de gaz naturel ; soit on le produit par la méthanisation de matières végétales – déchets urbains, de stations d’épuration, industriels ou encore déchets agricoles dont le potentiel est très important. La méthanisation est dix fois plus développée en Allemagne qu’en France, ce qui n’est pas normal. Elle constitue pour le monde agricole un revenu supplémentaire. En Allemagne, une quantité significative d’exploitations agricoles tirent la moitié de leurs revenus de la production d’énergie. En France, un plan de développement vient d’être lancé pour faire mille méthaniseurs. Nous comptons bien apporter notre contribution à ce plan. Sur cette question, j’ai rencontré M. Le Foll, et GDF Suez a également signé un accord avec la FNSEA pour être le partenaire énergétique du monde agricole en mettant l’accent sur la méthanisation précisément.

L’hydrogène, c’est autre chose. S’il est produit par électrolyse de l’eau qui consomme une électricité d’origine éolienne, on peut dire que c’est de l’hydrogène produit avec de l’air et de l’eau, et que ce sera naturel. Simplement, bien entendu, le mélange hydrogène et méthane ne peut se faire que dans des proportions extrêmement contrôlées.

Sur plusieurs projets, nous travaillons avec la BPI et la BEI.

Nous sommes favorables à une énergie territorialisée, plus décentralisée. Il est normal que les collectivités territoriales, à la fois pour réduire la consommation d’énergie de leurs bâtiments publics et leur empreinte carbone, soient plus impliquées dans la gouvernance de l’énergie sur leur territoire.

La responsabilité sociale de l’entreprise, on le constate à l’intérieur même de notre groupe, s’applique au domaine énergétique dans toutes ses composantes – transition énergétique, dimension sociale, accès à l’énergie pour tous. Nous avons lancé une initiative intitulée Rassembleurs d’énergies, qui vise, en utilisant à la fois notre fondation, nos 2 000 volontaires internes et un fonds solidaire que nous avons créé de 100 millions d’euros, à participer à des opérations de soutien d’entrepreneurs sociaux dans le domaine de l’énergie.

M. le président François Brottes. Je me propose de donner suite à la demande de MM. Peiro et Verdier de désigner une mission d’information visant à mesurer l’impact de la montée en puissance du gaz de schiste sur le marché du gaz des points de vue du stockage, du marché SPOT et des contrats de long terme, ainsi que sur l’équilibre général des systèmes de gestion des réseaux. Pour la commission des affaires économiques, il ne peut y avoir de sujet tabou. L’audition de M. Mestrallet, ce matin, montre bien qu’on ne peut pas regarder les choses sans essayer de les comprendre ni envisager les réponses à apporter.

Mme Marie-Noëlle Battistel. De plus en plus de collectivités souhaitent aller vers une plus grande autonomie énergétique de leur territoire : c’est le concept du territoire à énergie positive qui combine à la fois l’efficacité énergétique, la sobriété, la production d’énergies renouvelables, la production d’énergies décentralisées, la valorisation des richesses locales et la création d’emplois non délocalisables, contribuant ainsi très largement à l’attractivité des territoires. Croyez-vous au développement de ce concept ? Quelles difficultés y trouvez-vous ? À quelle échéance aura-t-il un impact significatif ?

M. Alain Marc. Vous avez dit, monsieur Mestrallet, que l’élément essentiel de la transition énergétique est le gaz naturel. Nous avons reçu ici M. Arnaud Montebourg dont, à mon avis, les propos ont été largement surinterprétés. Il a bien dit qu’aujourd’hui la technique de la fracturation hydraulique par microfissures présentait des risques et que, en l’occurrence, nous ne devions pas fermer la porte à de nouvelles recherches. Il semblerait que cette surinterprétation ait engendré une forme d’obscurantisme conduisant à ce que, demain, nous ne cherchions plus rien.

M. le président François Brottes. Je partage votre point de vue sur la surinterprétation.

M. Alain Marc. En la matière, j’ai approuvé les propos d’Arnaud Montebourg.

Je sais que le groupe Total travaille en lien avec des chercheurs de l’université de Pau pour développer une technique exempte de pollution des nappes phréatiques. Où en sont ces études ?

M. Yves Blein. S’il est intéressant que la mission d’information examine l’impact du gaz de schiste sur les prix de l’énergie, il conviendrait aussi de considérer de façon large ses effets sur la concurrence à laquelle seront confrontées nos industries électro-intensives ou gazo-intensives. Ce sont des effets indirects qu’on ne verra pas forcément en analysant le coût des marchés de l’énergie mais qui, pour autant, sont violemment ressentis par notre industrie.

S’il est possible de raisonner en la matière, quelle est, selon le groupe Total, l’évolution probable du prix du baril de pétrole dans les années qui viennent ? Avec un baril entre 100 et 120 dollars aujourd’hui, à quel horizon peut-on situer le peak oil, sachant que ce sont les coûts de production qui déterminent l’évaluation des réserves en pétrole de la planète ? Avez-vous, monsieur Sigonney, des simulations de l’effet qu’aurait sur vos activités une fiscalité différente sur le gazole, dont il est question aujourd’hui ?

Quelle est la stratégie de votre compagnie en matière d’exploration-production ? En prenant ses fonctions, le président de Margerie avait dit vouloir redonner à Total de l’énergie et du dynamisme sur ce plan. On a vu, depuis, que vous vous étiez retirés de l’exploitation des sables bitumineux dans le nord canadien, que les projets conduits en Russie, avec Gazprom notamment, étaient compliqués. Quelles sont aujourd’hui les zones à enjeu important pour vous ? Total est, je crois, partie prenante minoritaire dans le projet d’exploitation en Guyane. Où en est ce projet ?

Que présumez-vous de l’exploitation des gaz de schiste au Royaume-Uni et en Pologne puisqu’on commence à disposer d’éléments d’évaluation assez précis de l’importance des sous-sols dans ces deux pays ?

Enfin, vous avez tous deux parlé de l’hydrogène. J’ai vu que l’Institut des plasmas et de fusion nucléaire (IFPN) travaillait en relation avec la Russie sur l’exploitation de sources d’hydrogène. Est-ce un dossier auquel vous êtes intéressés ?

M. Philippe Armand Martin. Nous avons tous conscience aujourd’hui qu’il est indispensable de concilier la contrainte climatique avec l’augmentation des besoins énergétiques. Dans ce contexte, les partenariats de transition énergétique que vous développez, notamment avec des modes de production de plus petite taille, sont positifs. Toutefois, sera-ce suffisant pour répondre à demande ? Vous avez évoqué la soif d’énergie du monde émergent. N’oublions pas qu’en 2050, nous serons 9 milliards d’individus sur la planète, la population aura augmenté de 50 %. Comment fournir toujours plus d’énergie propre et renouvelable pour répondre aux besoins d’une population de plus en plus urbaine –réseaux d’eau, traitement des déchets, logements, transports – et assurer également l’accès à l’énergie aux plus démunis ? N’est-il pas inévitable que les énergies renouvelables coûtent plus cher ?

Mme Corinne Erhel. La transition énergétique associée à la conversion numérique va modifier en profondeur à la fois les métiers et les compétences, avec des cycles d’innovations de plus en plus courts et de plus en plus rapides. Comment abordez-vous cette question de l’évolution des métiers, de la gestion prévisionnelle des compétences et de la formation sur ces thématiques au sein de vos entreprises ? Vous semble-t-elle suffisamment posée dans le cadre du débat sur la transition énergétique ? Comment est-elle traitée dans d’autres pays ? Est-elle suffisamment anticipée en France ?

Dans les Côtes-d’Armor, un projet hydrolien et un projet éolien offshore sont en cours de réalisation, qui nécessiteront la mise en place d’une filière pour leur suivi. Des besoins de formation se feront donc sentir dans le domaine de la maintenance mais également en compétences croisées, par exemple l’optique avec les énergies marines. Il me semble que cette question de la formation et de l’évolution des compétences n’est pas suffisamment prise en compte en amont alors qu’elle est essentielle. Quel regard portez-vous sur ce point particulier ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Le prix de l’électricité a baissé, mais il a continué d’augmenter pour les consommateurs, avez-vous dit. Pouvez-vous préciser ce point ?

Sans charbon, sans gaz, sans atome que reste-t-il pour fournir de l’énergie ? Les courbes sur trente ans montrent que le photovoltaïque et l’éolien resteront assez marginaux. Ce serait comme vouloir nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 avec la seule agriculture biologique.

Une remarque à l’attention du président de notre commission. J’observe que l’eau que nous buvons en réunion vient des Ardennes belges. Y aurait-il des projets secrets d’expérimentation des gaz de schiste en France pour que vous preniez déjà des précautions ou est-ce un pur hasard ? Cela tendrait à démontrer que, en France, aujourd’hui, seul le hasard peut encore être pur.

M. le président François Brottes. En ce jour de votre anniversaire, je comprends que vous auriez préféré du champagne, mais la commission n’en a pas les moyens. Je me renseignerai auprès de la questure sur la provenance de l’eau. Cela dit, accueillant aujourd’hui un groupe franco-belge, voyons-y là une marque d’élégance.

M. Alain Suguenot. En plein contexte de transition énergétique, on n’a jamais vu autant de centrales à charbon tourner à plein régime. Je partage votre inquiétude quant à la fermeture des centrales à gaz – 8 000 mégawatts de perdus en très peu de temps. Ne serait-il pas temps de durcir la réglementation sur les centrales à charbon européennes les plus polluantes, qui sont totalement contradictoires avec les objectifs ? Il est dommage que certains fassent des efforts dont d’autres s’exonèrent – et je ne parle pas des pays émergents.

Je fais partie de ceux qui pensent que c’est au niveau territorial qu’on peut économiser la ressource, mais également que l’on peut avoir des idées et produire de l’énergie. On m’interroge souvent sur la rentabilité de la méthanisation, qui ne serait viable qu’à condition d’intégrer un produit subventionné dans le processus de production. Notamment, si l’on ne complète pas les produits agricoles avec des déchets ménagers, on ne peut pas mettre en place une structure de méthanisation. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Luc Laurent. Dans le cadre de l’élaboration de la fiscalité verte, qui est l’un des points en débat sur la transition énergétique, que pensez-vous d’une extension de la CSPE au gaz ? Quelles relations doivent entretenir, selon vous, les énergies que vous représentez avec vos externalités dans le cadre de la transition énergétique ?

Comment envisagez-vous les évolutions à venir dans le cadre de la transition énergétique, notamment au regard de l’idée présentée ici par le ministre du redressement productif, et que je partage, sur la nécessité de se préparer à la recherche ? Quelles dispositions prenez-vous pour être prêts lorsque les esprits auront évolué ?

M. le président François Brottes. M. Jibrayel, qui a dû s’absenter, m’a chargé de poser à M. Sigonney la question suivante : quel est l’avenir de la raffinerie de La Mède, menacée de fermeture puisque les approvisionnements se font à partir du golfe avec des produits déjà raffinés ?

M. Gérard Mestrallet. Je crois au concept de territoire à énergie positive, qui recouvre l’efficacité énergétique et la production décentralisée, sources de création d’emploi. Non seulement nous y croyons, mais nous avons conceptualisé cette idée, qui correspond à la fois à l’usage des technologies aujourd’hui disponibles et à une aspiration de nos clients, qu’ils soient collectivités locales, industriels, entreprises, centres tertiaires, particuliers. Nous avons développé cette idée tout récemment et avons signé le premier contrat la semaine dernière, avec la communauté de communes du pays de Meslay-Grez en Mayenne. Nous discutons de ce sujet également avec des villes françaises, mais aussi avec des villes comme Barcelone.

La principale difficulté est d’avoir des ambitions raisonnables en la matière. Dans certaines villes, il sera plus facile d’atteindre l’équilibre énergétique, dans d’autres, ce sera toujours impossible à des coûts raisonnables. Cela dit, les premières ne sont pas forcément les petites villes et les secondes les grandes villes. Qu’on fasse des économies partout, c’est sûr. Qu’on se fixe comme objectif systématique pour toutes les villes d’atteindre l’équilibre énergétique, voire de produire plus d’énergie qu’on n’en consomme, ce ne sera pas possible partout. D’ailleurs, ce n’est pas souhaitable. Des villes peuvent faire des efforts sur d’autres domaines que sur l’énergie. Les villes du Nord dépensent plus d’énergie à s’éclairer et à se chauffer que les villes du Sud. Il faut donc avoir des ambitions raisonnables et diversifiées.

À quelle échéance en ressentira-t-on l’impact ? Je dirais dès aujourd’hui, avec une montée en régime progressive et continue. Je le répète, la transition énergétique crée de l’emploi, dès aujourd’hui et pas seulement dans les territoires à énergie positive, qui sont un des instruments d’accélération de la transition énergétique. C’est ainsi qu’au seul niveau du groupe GDF Suez, au cours de l’année 2012, dans le domaine des services d’efficacité énergétique, qui sont liés à la transition énergétique, nous avons créé en France 1 900 emplois nets sur un total d’une vingtaine de milliers de recrutements.

Avec 9 milliards d’habitants dans le monde en 2050, il est clair que l’alimentation en énergie est un problème absolument majeur. Aujourd’hui déjà, près de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’électricité. On ne couvrira les besoins que par un mix énergétique diversifié. Longtemps encore, le charbon représentera dans le monde une source d’énergie dominante pour la production d’électricité. Les Chinois construisent une centrale à charbon toutes les semaines. Dans l’Asie du Sud-Est, comme dans beaucoup d’autres parties du monde, le charbon représente une source de production qui va rester importante.

Les pays émergents vont développer aussi le renouvelable parce que leur demande d’énergie est forte, mais aussi parce qu’ils ont des ressources hydrologiques ou éoliennes. Ainsi, dans certaines parties du monde, l’énergie éolienne est d’ores et déjà à parité réseau. Sur la côte sud du Maroc, où il y a beaucoup de vent, nous construisons la plus grande ferme éolienne de tout le continent africain. Dans d’autres parties, c’est le solaire qui représentera, à l’horizon 2030-2050, une part très importante de la production. Dans d’autres encore, ce sera la biomasse. Bref, il n’y a pas une source d’énergie qui va s’imposer partout dans le monde, il faudra un mix diversifié.

La gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, pour un groupe qui est actif dans le domaine, est une exigence absolue. Les formations du système éducatif et de l’enseignement professionnel sont-elles aujourd’hui adaptées à l’ampleur de la transition énergétique ? Non. Cette transition a été si rapide que notre système de formation n’a pas encore répondu quantitativement à l’ampleur des besoins, mais nous ne sommes pas les seuls. L’Allemagne, qui a connu l’évolution la plus brutale avec une rupture et une discontinuité considérables, n’est pas prête à sa propre transition énergétique. En tout cas, il faudrait mettre en chantier l’adaptation du système de formation initiale et professionnelle à ces nouveaux métiers que crée la transition énergétique.

Pour revenir sur le mix énergétique dans le monde, il serait dangereux pour un pays de reposer trop exclusivement sur une ressource. Le Brésil a beaucoup développé son hydroélectricité mais cela présente des inconvénients en période de grande sécheresse. Il s’attache à diversifier son mix énergétique mais, entre le constat de la sécheresse et le moment où les centrales thermiques seront opérationnelles, cinq à sept ans se seront écoulés. Voilà pourquoi chaque pays doit avoir un mix énergétique diversifié et adapté.

La rentabilité de la méthanisation peut effectivement être mise en question. D’ailleurs, l’Allemagne l’a développée en la subventionnant très généreusement, ce qui a permis de créer une filière industrielle qui n’existe pas en France aujourd’hui. Ce n’est pas une raison pour négliger la méthanisation. Même s’il est vrai que les toutes petites unités ne sont pas rentables, je crois à ce mode de production pour peu que les agriculteurs se regroupent et qu’on apporte un complément de matière avec les déchets ménagers, dont la production est régulière quand les productions agricoles sont intermittentes, sauf dans l’élevage.

S’agissant de la CSPE, nous sommes fermement opposés à son extension au gaz. La CSPE, c’est la couverture du service public de l’électricité. Le gaz a ses propres obligations de service public sur la sécurité d’approvisionnement ou le financement des énergies renouvelables gazières – méthanisation ou biogaz. Chaque énergie doit payer pour ses propres domaines.

M. le président François Brottes. Ces domaines sont quand même un peu imbriqués : quand on fabrique de l’électricité avec du gaz, on ne peut pas dire que les ponts sont totalement coupés.

M. Gérard Mestrallet. Je ne le nie pas. Mais on court le risque de pénaliser le gaz par rapport à l’électricité et de favoriser l’usage de celle-ci pour le chauffage. Or ce serait un véritable danger pour le système énergétique français que de recourir au chauffage électrique par convecteurs. Aujourd’hui, ceux-ci fonctionnent au moment des pointes et sont alimentés, puisqu’on n’a plus de centrales à gaz, par de l’électricité importée et produite avec du charbon allemand. Dans les autres pays d’Europe, on n’utilise pas le chauffage électrique, on utilise le chauffage au gaz. L’intensité de tirage sur le réseau électrique n’est donc pas comparable. Les grandes pointes de consommation en France sont toujours intervenues au moment des pics de froid, ceux-ci entraînant des risques pour l’équilibre du réseau et des grandes pannes. Jamais il n’y en a eu sur le réseau du gaz depuis trente-cinq ans que les grandes villes de France s’alimentent massivement à cette énergie. Je précise que GDF Suez réalise le même chiffre d’affaires dans l’électricité et dans le gaz et qu’il est le deuxième électricien mondial. Il ne s’agit donc pas de défendre un fonds de commerce en nous opposant à l’extension de la CSPE. Simplement, pour avoir observé la réalité des systèmes électrique et gazier dans pas mal de pays, je peux dire que le chauffage électrique est une caractéristique de la France, qui date d’une époque où il fallait absolument écouler l’énorme surcapacité de l’électricité nucléaire.

M. le président François Brottes. Il faut dire que les logements très mal isolés enlèvent toute vertu au chauffage électrique.

M. Pierre Sigonney. Le marché du pétrole en France et en Europe est en décroissance, entraînant une situation difficile pour les raffineries et une adaptation progressive des capacités de raffinage. Total investit bien dans le raffinage en France et croit en son avenir. Ses positions régionales en Normandie et en Provence sont importantes. Il ne faudrait pas que la transition énergétique représente une difficulté de plus pour le secteur du raffinage déjà en proie à la décroissance, ainsi que pour le secteur de l’industrie lourde.

L’arrivée du gaz de schiste américain a permis de rendre disponible du gaz naturel liquéfié produit au Moyen-Orient, réduisant les tensions sur le marché mondial du gaz et favorisant une baisse du prix du gaz en Europe, qui reste très inférieur à celui pratiqué en Asie. Face à cela, la forte baisse du prix du gaz aux États-Unis a conféré aux industries lourdes américaines, notamment chimiques, un avantage particulièrement fort sur les entreprises européennes.

Nous avons engagé des recherches sur le gaz de schiste et sur des technologies permettant d’en produire sans utiliser la fracturation hydraulique, mais il faut bien voir qu’elles n’aboutiront qu’à un horizon d’au moins une dizaine d’années sinon plus. Ces technologies complètement nouvelles, qui ne sont pas du tout utilisées, ne verront peut-être jamais le jour, d’ailleurs. Il s’agit vraiment de recherche fondamentale.

Même en travaillant chez Total, il est très difficile de prédire avec précision le prix du baril de pétrole. Le pétrole de schiste, arrivé récemment aux États-Unis et produit avec les mêmes technologies que le gaz de schiste, a changé considérablement la donne sur le continent nord-américain, puisque les États-Unis et le Canada devraient être pratiquement à l’équilibre pétrolier, c’est-à-dire ne plus avoir besoin d’importer, dans dix ou quinze ans. Cela contribue sans doute à relâcher les tensions sur le pétrole : alors qu’on attendait une montée très forte du prix du baril il y a trois ou cinq ans, il apparaît maintenant qu’on pourrait rester dans la fourchette de 100-120 dollars. C’est un prix qui reste cher et qui est sans doute de nature à favoriser l’efficacité énergétique. Il correspond aux coûts marginaux de production des pétroles les plus difficiles, comme les huiles lourdes du Canada, mais il n’est pas très éloigné non plus du prix de production du pétrole de schiste aux États-Unis, qui est relativement cher. Par ailleurs, avec les révolutions en Tunisie et en Égypte, les pays de l’OPEP ont plutôt accru leurs dépenses budgétaires. Ils ont besoin aujourd’hui d’un prix supérieur à celui qu’ils demandaient il y a trois ans. Pas de baisse de prix, donc, à l’horizon : un baril à au moins 100 dollars paraît une vision juste.

En matière d’exploration, les annonces de Christophe de Margerie ont bien été respectées par Total. Le groupe a nettement accru son effort mais il s’agit d’une démarche de longue haleine. Il faut d’abord acquérir du domaine minier puis monter des campagnes de forage, ce qui est difficile. Des résultats ont été obtenus en Guyane, où un premier forage a permis de découvrir du pétrole. Toutefois, nous sommes toujours dans une phase dite de délinéation, c’est-à-dire d’analyse du champ pétrolier. Un deuxième forage s’est malheureusement soldé par un échec, mais les opérations continuent pour déterminer l’étendue de ce champ de pétrole.

En Europe, nous nous intéressons au gaz de schiste en Pologne et au Danemark ; pour l’instant, nous ne sommes pas présents au Royaume-Uni où des évolutions se dessinent. En Pologne, la difficulté est qu’on commence seulement à analyser le sous-sol, contrairement aux États-Unis où il était très bien connu. S’il y a eu des découvertes, on s’est aussi rendu compte que les techniques de production ne pouvaient pas être transposées directement des États-Unis en Pologne sans être adaptées. Le temps de développement sera très long. On aura une meilleure vision dans cinq ans et la production commencera au plus tôt après 2020. Ces processus sont relativement longs mais comparables toutefois au projet de Guyane où, entre le moment de la découverte et la mise en production, huit à dix ans se seront écoulés.

M. le président François Brottes. Merci à l’un et à l’autre pour la qualité de vos réponses et l’attention que vous avez portée à nos questions.

Pour ceux qui twittent, je donne l’intitulé précis de la mission d’information annoncée : Impact du gaz de schiste sur le marché du gaz et sur l’équilibre de nos systèmes européens de production et de distribution d’énergie. Cette mission d’information aura vocation à s’intéresser au stockage, au marché SPOT et aux contrats de long terme, entre autres. Le spectre de cette mission sera donc assez large, aussi ne faites pas de twitts raccourcis.

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Serge Letchimy rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques et à faciliter la reconstitution des titres de propriété en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin (n° 1048).

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 17 juillet 2013 à 9 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Franck Gilard, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Razzy Hammadi, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter

Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, M. Antoine Herth, M. Armand Jung, M. Serge Letchimy, M. Bernard Reynès, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. - M. Denis Baupin, Mme Virginie Duby-Muller