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Commission des affaires économiques

Mardi 17 septembre 2013

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 113

Présidence de M. François Brottes Président

– En application de l’article 13 de la Constitution, audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Wahl dont la nomination en qualité de président-directeur général du groupe La Poste est envisagée par le Président de la République puis vote sur cette nomination

– Présentation ouverte à la presse, du rapport sur l’hydroélectricité (Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Éric Straumann, rapporteurs)

La commission a auditionné, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Philippe Wahl dont la nomination en qualité de président-directeur général du groupe La Poste est envisagée par le Président de la République.

M. le président François Brottes. La commission des affaires économiques doit rendre un avis préalable à la nomination, envisagée par le Président de la République, de M. Philippe Wahl, personnalité pressentie pour occuper les fonctions de Président du Conseil d'administration de La Poste, que nous auditionnons aujourd'hui et qui, actuel président de la Banque postale, n’est pas à proprement parler un inconnu pour nous.

Sur les cinquante et une personnalités énumérées par la loi organique, treize doivent faire l'objet d'un avis de la commission des affaires économique, ce qui la place au deuxième rang des commissions les plus sollicitées sur le fondement de l'article 13 de la Constitution. Je rappelle que, conformément au dernier alinéa du même article, le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l'Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Voici quelques indications sur le déroulement de la procédure : l'audition est publique ; le scrutin, secret, doit avoir lieu hors la présence de la personne auditionnée ; il ne peut donner lieu à délégation de vote ; il sera effectué par appel public et des bulletins vous seront distribués à cet effet ; le dépouillement du scrutin, qui sera effectué par deux scrutateurs, aura lieu simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat, conformément à l'article 5 modifié de l'ordonnance du 17 novembre 1958. La commission des affaires économiques du Sénat ayant prévu d’auditionner M. Philippe Wahl mercredi 18 septembre à 10 heures 30, le dépouillement se tiendra demain, dans mon bureau, aux alentours de midi, à l'issue de notre réunion de commission, nos collègues sénateurs étant alertés pour procéder simultanément à la même opération. Il m'appartiendra ensuite de communiquer le résultat du vote à la présidence de l'Assemblée nationale, puis de vous en informer lors de la prochaine réunion de notre commission.

Je salue, en notre nom à tous, la présence de M. Michel Rigolet, le directeur du bureau de La Poste de notre Assemblée, que je remercie, ainsi que ses collaborateurs, pour le service rendu en nos murs.

La Poste doit faire face à des enjeux cruciaux. La banque, avec de nouveaux métiers – le financement de collectivités locales et des entreprises, l’assurance, le prêt à la consommation – est presque devenue son activité dominante, le volume du courrier transporté ayant décru dans des proportions significatives ; pour ce qui est des colis, la vente par correspondance a également diminué mais le commerce électronique commence à prendre le relais. Dans un autre domaine, la présence postale dans les régions demeure une préoccupation constante des élus. Par ailleurs, à La Poste, une des plus grandes entreprises de France et la plus grande entreprise publique en nombre de salariés, le climat social n’est pas toujours très facile ; la mutation des métiers suscite beaucoup d’inquiétudes. Chacun sait le profond attachement des Français à leur relation quotidienne avec leur facteur ou avec la postière ou le postier qui se trouve derrière le bureau de poste le plus proche de chez eux – je ne dis pas « de leur village » car une profonde évolution a eu lieu, avec l’installation de nombreuses agences postales communales et de points relais, dont le nombre est théoriquement protégé par la loi.

Si votre nomination est confirmée, monsieur Wahl, vous n’arriverez pas en inconnu à la tête d’un groupe dont vous étiez le banquier – mais vous n’étiez pas postier, et pour cette raison certains vous attendent au tournant ; faut-il être postier pour présider La Poste ? M. Jean-Paul Bailly a souhaité partir un peu plus tôt que prévu, préférant que sa succession s’organise au moment où un nouveau contrat entre l’État et l’entreprise prenait sa course. Hommage peut lui être rendu pour cette décision, car il était en effet préférable que le nouveau projet stratégique du groupe soit mené à bien sous la conduite d’un seul homme, plutôt que de devoir lui trouver un successeur au bout d’un an seulement.

La partition ne sera pas facile à jouer. Nous sommes tous très attachés à La Poste et à ses métiers, et très reconnaissants aux femmes et aux hommes d’une entreprise qui est d’abord une entreprise de proximité, ce qui donne quelques obligations au management. Or, une fois toutes les optimisations achevées, il est difficile de continuer à trouver des solutions. Comment, monsieur Wahl, envisagez-vous ce défi ? Comment entendez-vous prendre en compte des paramètres beaucoup plus larges que la seule Banque postale, le secteur le plus profitable du groupe ?

Le bureau de notre commission a décidé, je le rappelle, que lors des auditions de ce type, la parole serait donnée à tous les orateurs qui souhaitent interroger notre invité sans que des porte-parole des groupes soient d’abord entendus. Aussi, après que nous aurons écouté M. Philippe Wahl, j’inviterai ceux de vous qui le veulent à lui poser des questions, avec la concision requise.

M. Philippe Wahl. Je suis très honoré de présenter devant vous ma candidature à la responsabilité de président du groupe La Poste, dont je commencerai par décrire la situation actuelle. La Poste est une grande entreprise publique de services de proximité – et parler de « services de proximité » est un acte fondateur au regard de postes étrangères qui n’ont pas fait ce choix. La Poste est une entreprise publique dont toutes les activités, courrier compris, sont soumises à la concurrence et qui, en même temps, a la responsabilité de quatre missions de service public. L’entreprise est fondée sur les valeurs postales de l’accès à tous et de la proximité et elle développe ces services publics.

Le groupe est aujourd’hui organisé en quatre métiers principaux : le courrier, le colis, la banque et enfin l’Enseigne, c’est-à-dire le réseau des bureaux de poste. Le groupe dans son entier et chacun de ces métiers séparément ressentent profondément l’impact de la révolution numérique. Elle ne fait pas que modifier les méthodes de production et de distribution comme dans tous les autres secteurs de l’économie : bien davantage est en jeu, car nos métiers mêmes – le transport physique de biens et de services – sont remis en cause sinon menacés. Cette grande entreprise de plus de 250 000 personnes, dont le chiffre d’affaires s’est établi, en 2012, à 21,5 milliards d’euros avec un résultat d’exploitation de 816 millions d’euros et un résultat net de 571 millions, confrontée à des changements majeurs, doit faire face à un défi industriel, à un défi économique et à un défi social.

Le défi industriel se mesure en quelques nombres. Entre 2007 et 2012, le volume du courrier transporté a chuté de 18,7 %. Entre 2007 et 2015 il aura décru de 30 % et, selon nos projections, de moitié entre 2008 et 2020 : alors qu’en 2007 nous transportions 18 milliards d’objets, en 2020 nous n’en transporterons plus que 9 milliards. L’enjeu industriel est donc considérable. Dans le même temps, alors que le taux de fréquentation physique des bureaux de poste continue de décroître régulièrement, le développement du commerce électronique entraîne une augmentation des flux qui peut représenter une opportunité pour le groupe. On constate donc une concomitance d’opportunités et de défis industriels pour La Poste.

Le défi économique n’est pas moindre, la baisse des volumes de courrier et celle de la fréquentation des bureaux de poste induisant de très importantes modifications. L’année 2012, bonne en résultat et en chiffre d’affaires, n’a pas complètement éclairé l’avenir ; c’est plutôt le premier semestre 2013 qui montre que nous sommes sans doute, cette année, à un point d’inflexion de notre histoire économique et sociale. En effet, le chiffre d’affaires a été stable au premier trimestre, mais le résultat d’exploitation a reculé de 24 %. Le défi économique que nous devons relever pour compenser la révolution industrielle est de trouver de nouvelles activités permettant à la fois d’assurer l’emploi et de développer notre chiffre d’affaires et notre résultat d’exploitation.

Le troisième défi est d’ordre social. La Poste emploie plus de 250 000 personnes ; l’évolution en cours représente une opportunité mais aussi une menace pour les emplois des postiers. Notre objectif est d’affronter l’avenir par le dialogue social et un projet partagé, mais le défi social est très lourd pour La Poste et nous nous y préparons.

Telle est la situation actuelle du groupe, et l’on peut dire que les postières et les postiers ont, depuis 2002, déjà largement porté un projet de modernisation de leur groupe. Je rends hommage à Jean-Paul Bailly qui a conduit depuis cette date les mutations que les postiers ont déjà réalisées. J’en rappelle certaines : le règlement de la difficile question de la retraite des postières et postiers ; les investissements et la modernisation des plateformes industrielles du courrier ; l’internationalisation du colis ; la création de la Banque postale ; la modernisation, saluée par la population, des bureaux de poste, assortie pour l’essentiel de la disparition des files d’attentes, deux jours au début du mois exceptés ; l’augmentation de capital de 2,7 milliards d’euros, qui donne au groupe les moyens d’investir et de progresser avec son nouvel actionnaire et nouveau partenaire, la Caisse des dépôts ; la capacité de développer une politique d’entreprise responsable dont témoignent notre politique d’achat, notre empreinte carbone et la volonté d’exemplarité des postières et postiers dans la transition écologique ; enfin, le lancement en 2012 et 2013, du « grand dialogue » et des réalisations qui lui sont liées. Voilà ce qui a été réalisé sous la conduite de Jean-Paul Bailly dans le passé récent, et l’on peut caractériser cette période en disant que les postiers ont déjà beaucoup changé.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le président, la difficulté à laquelle doit faire face La Poste maintenant est celle de l’accélération, avec les transformations qu’elle implique. Compte tenu de la taille de nos effectifs, de l’ampleur des problèmes à gérer et de la complexité des équations stratégiques, je ressens comme un honneur d’être proposé à la nomination à la présidence du groupe par le Premier ministre, et je pense avoir, par mon parcours professionnel, les moyens de conduire cette mutation.

Je suis un postier puisque, depuis janvier 2011, j’ai la responsabilité de la Banque postale, devenue le premier contributeur au résultat d’exploitation du groupe. Depuis 2011, toute mon action a consisté à mettre la Banque dans La Poste : nous sommes la banque des postiers. J’ai mené les choses en accélérant le développement de la Banque et en répondant à certaines exigences de l’intérêt public – comme lorsqu’en 2011, à la demande du Gouvernement, la Banque postale, avec la Caisse des dépôts, les élus et leurs associations, a construit, ex nihilo, une banque des collectivités locales qui, en moins d’un an, a pu répondre à l’impasse de financement que connaissaient les collectivités territoriales après la résolution ordonnée de Dexia. Outre cela, mon parcours professionnel m’avait amené à croiser La Poste par deux fois déjà. En 1990, j’ai participé à l’élaboration du rapport Prévot et de la réforme Quilès des postes et télécommunications ; puis, en 2004, alors consultant, j’ai, à la demande de M. Jean-Paul Bailly, travaillé à deux rapports : l’un sur la Banque et son réseau, l’autre sur l’organisation des fonctions « corporate » de La Poste dès lors qu’elle aurait une banque. Je connaissais donc bien le groupe avant même de devenir postier.

Mon parcours professionnel a été double, se déroulant dans le service public et dans le secteur privé. Dans le service public d’abord : je suis fonctionnaire, j’ai été élève de l’ENA et membre du Conseil d’État et j’ai participé, en tant que conseiller technique auprès de M. Michel Rocard, alors Premier ministre, à quelques réformes importantes pour notre pays : l’élaboration de la contribution sociale généralisée ; la réunion des ailes de la France –Air France, Air inter, UTA – ; la création de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale ; la négociation, particulièrement complexe, du nouveau régime de TVA européen ; d’autres dossiers de modernisation encore.

Puis, à partir de 1991, j’ai entrepris dans le secteur privé une carrière de banquier, à la Compagnie bancaire d’abord, avant de prendre les fonctions de directeur général du groupe des Caisses d’épargne, participant à sa transformation. Aux côtés d’un très grand entrepreneur français, M. Vincent Bolloré, j’ai aussi redressé, en qualité de directeur général, la société Havas, alors en extrême difficulté, avant de revenir à la banque pour exercer de 2007 à 2010 les fonctions de directeur général pour la France de la Royal Bank of Scotland, qui a elle-même connu des difficultés.

Banquier j’ai donc été, mais banquier-manager, puisque j’ai dirigé de nombreuses sociétés qui comptaient un nombre impressionnant d’employés : 11 000 à la Compagnie bancaire, plus de 40 000 à l’Écureuil, plus de 50 000 à la Banque postale… J’ai enfin une double expérience française et à l’étranger, ayant passé au Royaume-Uni l’année 2008.

Tel a été mon parcours professionnel, diversifié et marqué par mon goût pour la transformation, apparent dans chacune des responsabilités que j’ai exercées. Si vous confirmez la confiance qui m’est accordée par le Premier ministre, j’essayerai de mettre mon expérience, mon énergie et mon engagement au service du groupe La Poste pour le faire grandir et s’adapter à des mutations qui seront encore plus difficiles au cours des années à venir qu’elles ne l’ont été au cours de la décennie écoulée.

Le socle de l’action que je pourrais conduire, c’est le projet stratégique actuel de La Poste, dit « Confiance partagée », dont la définition a fait l’objet d’une démarche participative. À ce stade, c’est encore un projet, qui deviendra un plan d’actions dans quelques mois. Il a été défini après que 150 000 postiers ont été consultés. En exprimant leur avis sur les grands défis que doit affronter le groupe, ils ont donné des indications très puissantes. Leur première demande a été que nous exploitions mieux les synergies du groupe. Montrant qu’ils ont conscience de nos enjeux commerciaux, ils nous ont dit aussi qu’il nous fallait vendre mieux, et plus. Leur troisième demande était une de mande de reconnaissance et de responsabilisation, qu’ils souhaitent voir mise en œuvre par une plus grande autonomie dans l’action des diverses entités du groupe. Si je vous parle des demandes des postiers, ce n’est pas par hasard mais parce que je considère le dialogue social avec eux et avec les organisations syndicales comme la clef de notre réussite actuelle et future.

Par le biais de ce projet, nous avons défini quatre orientations qui devront être approfondies. La première est de faire de La Poste le leader de la distribution de services de proximité et de services à domicile ; avec plus de 80 000 facteurs et 17 000 points de contact, auxquels nous sommes tous attachés, comme nous le sommes au développement du territoire, nous en avons les moyens. Le deuxième axe de la confiance partagée, c’est le développement d’une offre numérique et la numérisation de certaines de nos méthodes et organisations. Nous souhaitons aussi approfondir et accélérer ce que nous faisons déjà en termes de métiers, et nous voulons enfin accélérer la croissance interne et externe par des acquisitions, notamment dans le colis, à l’international, sur une base européenne.

Cet ensemble d’actions que nous estimons particulièrement efficaces mais aussi lourdes pour l’avenir du groupe devra être conduit dans le respect de trois objectifs : la satisfaction du client ; la bonne santé de La Poste, sans laquelle il ne peut y avoir d’avenir pour les emplois et pour le service public ; la qualité de vie au travail pour les 250 000 collaborateurs qui accompagnent les changements en cours.

Si je devais exercer la présidence de La Poste, je le ferais dans cet esprit. Aussi ma priorité irait-elle au développement commercial, économique et financier de l’entreprise car c’est de lui que viendra la capacité d’investir, de créer des emplois, de faire face à la disparition de certains métiers et de préparer l’avenir d’un service public essentiel à l’avenir de notre pays.

D’autre part, les transformations sociales en cours montrent la nécessité de moderniser chaque service public dont nous avons la responsabilité, voire d’en inventer de nouveaux. Nous avons des responsabilités en matière d’aménagement du territoire, avec 17 000 points de contact ; de transport et de distribution de la presse ; d’accessibilité bancaire ; et aussi, bien sûr, en matière de service postal universel, responsabilité que nous exerçons pour quinze ans depuis le 1er janvier 2011. Le service public est évidemment au cœur de nos valeurs ; il rassemble les postiers, qui seront d’autant plus confiants et engagés qu’ils auront le sentiment que ces valeurs seront modernisées.

Enfin, je crois au dialogue social et, au-delà, au progrès social. Débattre, convaincre, disputer : c’est là une philosophie propre à mobiliser l’engagement du personnel et une méthode partagée. Au-delà, une entreprise publique comme La Poste, où tout est affaire de grands nombres – quand elle passe commande de véhicules électriques, elle en commande dix mille ; quand elle investit, c’est un milliard d’euros… – a une responsabilité sociétale, c’est-à-dire sociale et économique. Elle l’exerce en contribuant au développement responsable de notre pays – ainsi l’empreinte carbone de tous nos métiers de transport est-elle nulle, soit que nous ayons très nettement diminué nos émissions de gaz à effet de serre, soit que nous les compensions par des actions menées en Afrique ou en Amérique du Sud. En témoigne aussi une politique d’achat responsable visant à faire de La Poste un acteur de la transition écologique de notre pays. En fera preuve enfin la liaison que nous opérerons entre les hommes et l’entreprise pour participer au développement de la France. Voilà ce que signifie être une entreprise publique, et tel serait l’esprit de mon action : priorité au développement, modernisation du service public, participation au progrès social.

M. le président François Brottes. Je vous remercie. La parole est pour commencer à Mme Michèle Bonneton, rapporteure pour avis du budget de La Poste.

Mme Michèle Bonneton. On constate que la présence territoriale de La Poste continue malheureusement de se dégrader : la tournée des facteurs ne cesse de s’allonger dans certaines zones rurales ou certains quartiers des agglomérations, ce qui pose de réels problèmes ; certains jours, la distribution du courrier n’est pas faite ; les bureaux de poste de plein exercice voient trop souvent leur horaire d’ouverture diminuer ; le remplacement des salariés par des machines est loin de satisfaire tous les usagers. De plus, le nombre de bureaux de poste de plein exercice se réduit, soit en raison de regroupements soit par transformation en « point de contact », qu’il s’agisse d’agences postales communales ou, beaucoup moins satisfaisant, de relais commerce. Comment envisagez-vous d’utiliser au mieux l’extraordinaire richesse que constitue le réseau des bureaux de poste pour le maillage du territoire afin de remplir au mieux la mission fondamentale de La Poste, service public de proximité ? Envisagez de nouvelles activités et si oui, lesquelles ?

Dans un autre domaine, alors que le volume du courrier transporté n’a cessé de baisser, vous l’avez dit, les émissions de gaz à effet de serre de La Poste ont augmenté de 40 % en huit ans. Dans le même temps, La Poste a supprimé 80 de ses 120 centres de tri ; n’y a-t-il pas une relation entre ces deux phénomènes ? Pour remédier à cette situation, vous évoquez des compensations par des opérations en Afrique, l’achat de véhicules électriques et l’entrée en vigueur du timbre « vert », mais cela ne suffit pas : ne faut-il pas plutôt réduire la longueur des circuits de distribution, et ainsi les distances parcourues en véhicules à moteur ?

Enfin, le nombre de suicides demeure élevé à La Poste. Cet été encore, trois ont été signalés, directement liés aux conditions de travail, et l’on continue d’en recenser 40 en moyenne par an depuis 2008, selon le service de veille que La Poste a créé à cette date, alors que le nombre de salariés a, depuis, baissé dans des proportions considérables. Confirmez-vous ce chiffre ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour remédier à cette situation et pour améliorer la satisfaction au travail des postiers ?

M. Antoine Herth. La première question que je vous poserai, monsieur Wahl, est celle que se poseront tous les candidats aux élections municipales en zones rurales ou en banlieue : « Quel est l’avenir du bureau de poste de ma commune ? ». Les candidats s’engageront à défendre la présence du service public – que pouvez-vous leur dire ?

Vous serez à la tête d’une entreprise de 250 000 salariés ; combien prévoyez-vous de départs à la retraite chaque année ? Y aura-t-il des recrutements ? Quelle est votre politique de formation ? Nous avons compris que la mutation dans laquelle l’entreprise est déjà lancée va s’accélérer ; vous êtes-vous engagé auprès du Premier ministre à ne pas réduire les emplois dans le groupe ?

Enfin, vous avez évoqué l’ouverture à la concurrence mais vous avez été très peu prolixe sur la situation de La Poste française dans le contexte européen ; quelle est-elle ?

Mme Frédérique Massat. Bien des élus de montagne constatent un même enchaînement. Il s’enclenche avec la diminution, dans nos communes, de l’horaire d’ouverture du bureau de poste. Mais quand un bureau de poste n’est plus ouvert que 4 heures par semaine, il est difficile pour les usagers de s’y rendre, si bien qu’ils vont à la poste de la commune voisine, ce qui justifie ensuite que l’on argue devant nous de la désaffection qui atteint le premier bureau pour finir par le fermer. Vous avez, monsieur Wahl, parlé de moderniser le service postal ; cela se fera-t-il au détriment de la qualité du service rendu ?

Vous avez aussi fait allusion à de nouvelles activités pour La Poste, et le journal Les Échos évoque à ce sujet divers services à domicile mais aussi un rapprochement avec les compagnies d’assurance ; quels nouveaux métiers, plus précisément, pourraient être confiés aux facteurs et conforter la présence postale dans les territoires ?

Sur le plan social, La Poste a connu une vague de suicides qui ne semble pas complètement terminée. Quelle analyse faites-vous de ces événements et quelles mesures envisagez-vous de prendre pour améliorer le dialogue social dans l’entreprise ? Qu’en sera-t-il enfin des fonctionnaires « reclassés », que leur statut handicape ?

M. Dino Cinieri. Nul n’ignore la place que tient La Poste dans nos campagnes. Nos concitoyens apprécient particulièrement les relais postaux installés dans les commerces de proximité, souvent ouverts six jours sur sept et de 7 heures à 19 heures ; prévoyez-vous un plan de développement de ce réseau, afin de maintenir les activités postales même dans les zones très rurales ? Une forte concurrence internationale et la révolution numérique annoncent des difficultés pour La Poste. Quel est votre projet de développement industriel et commercial ? Comment comptez-vous répondre au défi social que représentent vos 250 000 salariés ? Quels sont vos objectifs à court et moyen termes ?

M. Henri Jibrayel. Je remercie nos collègues postiers avec, à leur tête, le directeur du bureau de poste du Palais Bourbon, pour le sérieux et la disponibilité avec lesquels ils assurent le service public. J’aimerais, monsieur Wahl, vous entendre faire le point sur les crédits à la consommation distribués par La Poste. Je souhaite par ailleurs revenir sur la situation des postiers qui, lors de la réforme de 1990, ont souhaité demeurer fonctionnaires de l’État. Ils font le même travail que leurs collègues mais n’ont pas le même avancement et n’auront donc pas la même pension de retraite, et ils ont perdu vingt ans de carrière, ce qui est une injustice. J’ai interpellé M. Jean-Paul Bailly à leur sujet, et déjà son prédécesseur, et notre commission et son président s’inquiètent de ces cas. L’équité commande de remettre à niveau ces 4 800 personnes - sur un effectif de 250 000 - qui sont presque toutes sur le point de partir en retraite. Je ne parle pas de reconstituer leur carrière mais de leur permettre de progresser. Que comptez-vous faire à ce sujet ?

M. le président François Brottes. La question s’adresse à un expert de la réforme Quilès…

M. Joël Giraud. J’insiste à mon tour : la manière dont les agents de l’État qui, au moment de la réforme, avaient choisi de conserver leur statut en sachant qu’ils renonçaient ainsi à une revalorisation salariale, ont ensuite vu leur carrière bloquée, n’est pas la démonstration d’une volonté de dialogue social ou de progrès social dans l’entreprise. La préoccupation exprimée par notre collègue Henri Jibrayel est largement partagée sur nos bancs.

Le souvenir de Dexia et des emprunts toxiques qui ont durablement meurtri les finances de certaines collectivités, est encore vivace. Les collectivités territoriales ont de très fortes attentes en matière de financement : il leur faut des outils fiables pour investir et jouer leur rôle, considérable, dans l’économie française et elles ont pour cela besoin de garanties que La Poste devrait pouvoir leur apporter. Or, actuellement, La Poste n’examine même pas les dossiers de certaines collectivités qui ne sont pas situées à proximité immédiate d’un chef-lieu de canton ; il est heureux pour elles que les réseaux bancaires fonctionnent ! Que ferez-vous pour mettre véritablement l’ensemble des compétences au service de toutes les collectivités locales, sans exclusive ?

Enfin, étant donné l’effondrement annoncé du volume de courrier transporté, comment ferez-vous de La Poste le leader des services à domicile pour éviter que, demain, un certain nombre de salariés du noble service courrier ne se trouvent de fait sans emploi ?

M. Alain Marc. Monsieur le futur président, les services rendus dans les agences postales communales et dans les relais commerces, où se rendent beaucoup de personnes âgées, sont souvent moindres que ceux que l’on obtient dans les bureaux de poste traditionnels, singulièrement pour le montant possible des retraits en espèces. Peut-on améliorer la sécurité ou l’approvisionnement de ces structures, qui doivent par ailleurs être maintenues dans nos campagnes ?

M. Frédéric Barbier. Il ressort du rapport de La Poste intitulé « Résultats de la qualité du service universel postal 2012 » que, pour le courrier, quelque 887 000 réclamations ont été enregistrées, soit huit réclamations pour 100 000 courriers transportés, ce qui reflète le très bon service assuré. Mais l’acheminement des colis a fait l’objet de 447 000 réclamations, soit 1,34 réclamation pour 100 colis transportés ; quelle explication voyez-vous à un résultat en décalage complet avec la qualité du service assuré pour le courrier ?

D’autre part, quel avenir envisagez-vous pour le plan d’actionnariat salarié cher à M. Jean-Paul Bailly ? Que répondre enfin à ceux des employés La Poste qui, comme dans le Doubs, s’inquiètent de ce qu’un financier prenne les rênes du groupe ?

Mme Jacqueline Maquet. Le rapport Kaspar, commandé par M. Jean-Paul Bailly, préconise 5 000 embauches de plus que celles initialement prévues d’ici 2014 ainsi que la réduction de la métiérisation pour renforcer l’unité du groupe. La direction de La Poste a effectivement annoncé 5 000 embauches supplémentaires entre 2012 et 2014 et d’autres initiatives dont la création d’un Observatoire national des changements. Si vous devenez le prochain président de La Poste, monsieur Wahl, poursuivrez-vous la politique de votre prédécesseur en ce domaine ou la ferez-vous évoluer ?

Mme Catherine Troallic. Comme mon collègue Jibrayel, j’estime urgent de reconsidérer la situation des fonctionnaires dits « reclassés » de La Poste.

Les restructurations intervenues ont pu dégrader le climat social dans l’entreprise, les suppressions de postes et le non-remplacement des départs en retraite accentuant les pressions sur les salariés. Suivrez-vous les recommandations du rapport Kaspar, particulièrement pour les 5 000 embauches supplémentaires jugées nécessaires d’ici 2014 ?

Au Havre et alentour, douze bureaux de poste ont été attaqués en 18 mois. Une réflexion sur la sécurisation des bureaux est en cours avec les services de l’État ; les agents, très choqués, réclament la présence de vigiles, et l’on sait qu’une expérience de bureau automatisé est faite en Seine-Saint-Denis. Que ferez-vous pour assurer la sécurité des salariés et des clients de La Poste ?

Mme Annick Le Loch. M. Jean-Paul Bailly aimait à dire que toute évolution du réseau postal est le fruit du dialogue permanent et d’une concertation partagée. Pourtant, dans la réalité, les élus locaux ont le sentiment que les projets de réorganisation sont ficelés avant tout échange sincère et constructif. C’est le cas, dans ma circonscription, tant pour les centres de courrier que pour les horaires d’ouverture des bureaux de poste. N’y a-t-il pas là, monsieur le futur président, une marge de progression ? Sera-t-il possible de débattre des projets territoriaux de La Poste avec les élus et les usagers, au sein d’instances existantes ou à créer ?

M. Frédéric Roig. On dit souvent que le postier est un vecteur de cohésion sociale dans les territoires ruraux. Je siège à la Commission départementale de présence postale territoriale – CDPPT – et nous constatons que des bureaux de poste sont transformés en agences postales communales, ce qui offre parfois des perspectives mais qui a aussi une incidence sur les horaires d’ouverture. Quelle est votre position, monsieur Wahl, sur les CDPP elles-mêmes et sur les questions y afférentes ?

J’approuve la teneur des interventions précédentes relatives aux fonctionnaires « reclassés » de La Poste. Ce problème doit être réglé dans les meilleurs délais car il s’agit de situations très difficiles sur le plan humain. Ce serait la meilleure façon de traduire votre volonté affirmée de dialogue social.

Mme Marie-Lou Marcel. La manière dont sont réorganisés les services de La Poste semble contredire les préconisations du rapport Kaspar. Ainsi est-il est envisagé dans l’Aveyron de fermer une plateforme industrielle du courrier et de transférer ces activités de tri à deux cents kilomètres, en Haute-Garonne. Vous avez qualifié d’« acte fondateur » le fait que La Poste, grande entreprise publique, assure un service de proximité. Or la plateforme courrier aveyronnaise assure bel et bien un service postal de proximité aux entreprises, ce qui justifie leur maintien dans le département et aussi des implantations nouvelles. Ce transfert aurait donc des conséquences économiques et en termes d’emplois ; il entraînerait de plus la multiplication des manutentions et celle des intervenants routiers. Quelle est votre approche de la réorganisation des plateformes courrier ? Comment envisagez-vous de maintenir les bureaux de poste en zones rurales ?

Mme Marie-Hélène Fabre. L’un des objectifs du nouveau contrat d’entreprise est de maintenir et développer le service public postal dans les zones rurales. Toutefois, en dépit de cette volonté affirmée, la délivrance du courrier dans certains cantons, notamment dans ma circonscription, n’est pas assurée tous les jours. Comment comptez-vous résoudre la contradiction entre l’énonciation d’un principe de portée générale et son application au niveau local, qui se traduit par des bureaux de poste réduits à une taille propre à n’assurer le service qu’au strict minimum ?

Par ailleurs, la direction de La Poste et les organisations syndicales ont signé, le 21 janvier dernier, un accord relatif à la qualité de vie au travail. Étant donné la multiplication des risques psychologiques et des suicides, qu’en sera-t-il de ces engagements à l’égard des représentants du personnel dans les CHSCT ?

Enfin, j’insiste, comme mes collègues, sur la nécessité de régler la situation des fonctionnaires « reclassés ». La question a été abordée plusieurs fois ici même et nous avons eu des réponses diverses : « ce choix a été fait à un moment donné » ou « il revient à l’État de se saisir de la question ». Mais pour le ministre du redressement productif, que j’ai saisi, le sujet est du ressort de La Poste et non de l’État.

Mme Pascale Got. Si vous devenez le nouveau président de La Poste, nous vous recevrons avec plaisir en cette qualité, monsieur Wahl, pour fêter à Pauillac le centenaire du premier vol de l’Aéropostale.

Vous avez parlé avec insistance de la proximité comme axe futur de votre action mais nous ressentons surtout, pour l’instant, un sentiment général de retrait. Par ailleurs, comment le banquier que vous êtes envisage-t-il les relations avec ses services d’une part, et avec les élus d’autre part, qu’il s’agisse d’aménagement du territoire ou de questions bancaires ?

M. le président François Brottes. La liste des orateurs est épuisée. Avant de vous donner la parole pour leur répondre, je souhaite revenir un instant sur le contrat 2013-2017 qui a été signé entre l’État et La Poste. Je ne doute pas que vous avez participé à son élaboration au titre de la Banque postale mais, auriez-vous été président de La Poste, l’auriez-vous négocié de la même manière ? Considérez-vous qu’un avenant sera nécessaire ?

M. Philippe Wahl. Oui, j’aurais négocié le contrat comme il l’a été, et je suis solidaire du comité exécutif de La Poste qui a mené cette négociation sous la conduite de Jean-Paul Bailly. En même temps, je vous l’ai dit, nous avons défini le projet « Confiance partagée » qu’il nous faudra approfondir, en remettant sur le métier différents sujets tels que la modernisation du service public, le modèle social de La Poste, la proximité que vous avez presque tous évoquée et, bien sûr, la compensation des missions de service public.

Actuellement, chacun des services publics dont La Poste a la responsabilité fait l’objet d’une compensation. La compensation de l’accessibilité bancaire a d’ailleurs été validée en janvier par la Commission européenne, ce qui montre qu’elle ne porte pas atteinte aux règles de la concurrence. Il n’empêche : en dépit de ces compensations, un déficit très important subsiste, que La Poste est tenue de supporter. C’est le cas pour le transport de la presse, pour l’accessibilité bancaire et aussi pour l’aménagement du territoire, les 170 millions d’euros de dépenses fiscales que vous votez en diminuant la charge des taxes locales pour La Poste étant inférieurs à ce que nous coûte, selon le chiffrage de l’ARCEP, le service public d’aménagement du territoire. Quant à la presse, elle représente 22 % du volume des sacoches des facteurs, 8 % du nombre des objets acheminés mais 4 % seulement du chiffre d’affaires. Les tarifs appliqués aux éditeurs de presse sont donc très inférieurs à nos coûts et ce surcoût pèse sur la dynamique future de l’entreprise.

Vous avez, nombreux, évoqué la présence postale de proximité et fait part d’un sentiment de dégradation et de retrait éventuel de La Poste. Je rappelle que nous sommes tenus à l’obligation législative de maintenir 17 000 points de contacts et j’affirme ici que le principe fondateur de la gestion de ces 17 000 points de contacts est la concertation, c’est-à-dire la nécessité d’avoir l’accord du maire et du conseil municipal avant toute transformation d’un bureau de poste en une autre forme de point de contact. S’il n’en va pas ainsi, il me reviendra d’examiner la situation et je vous appelle à m’alerter, puisque nous ne pouvons transformer un bureau de poste en un autre format que si nous avons un accord local, que nous devons discuter avec vous. Dans le même temps, la réalité économique s’impose à nous, et la diminution de 9 %, en 2012, du trafic aux guichets n’est pas que l’effet de la substitution d’automates au service humain : c’est aussi que, à l’ère numérique, les bureaux de poste, comme l’ensemble des commerces du pays, sont moins visités. C’est donc là un sujet et pour vous, élus, et pour nous : la réponse passe par la concertation préalable, principe absolu auquel je m’engage.

Nous distribuons au maximum 300 euros par semaine dans les agences postales communales et il n’est pas possible de faire davantage, singulièrement dans les zones rurales isolées. Chacun comprendra qu’accorder davantage d’espèces, c’est faire de nos postiers et nos clients des cibles. Le cas du Havre, où plusieurs braquages ont été commis récemment, tout comme à Marseille, a été évoqué. La solution, c’est la construction de murs d’automates qui suppriment toute manipulation d’espèces par les postiers, seule manière, dans les zones les plus difficiles, de protéger à la fois nos clients et nos postiers. Mais les bureaux de postes ainsi sécurisés coûtent trois à quatre fois plus cher qu’un bureau de poste « normal ». J’ai inauguré en juin dernier, dans le quartier du Merlan à Marseille, un bureau ainsi automatisé après qu’il a été l’année précédente l’objet de deux braquages à la kalachnikov ; le coût des travaux a été particulièrement élevé. Chacun doit garder à l’esprit que la proximité coûte cher. Nous devrons donc trouver avec les CDPPT – que je considère comme l’organe central de la gestion de ce réseau décentralisé – les accords et les financements permettant les changements nécessaires.

Nous cherchons effectivement à développer de nouvelles activités dans les bureaux de poste. Nous avons commencé de le faire avec La Poste Mobile et nous espérons avoir atteint un million d’abonnés à la fin de l’année 2013, un chiffre considérable. Ce produit présente le double avantage d’alimenter le trafic dans les bureaux de postes et de fournir de nouveaux services. Nous allons aussi développer des tablettes numériques, y compris dans les agences postales communales, pour permettre aux clients d’accéder de cette manière à la totalité des services du groupe. C’est une manière d’articuler présence physique et évolution numérique.

Les chiffres dont je dispose à propose des émissions de gaz à effet de serre diffèrent des vôtres, madame la députée. Selon les indications qui m’ont été fournies par nos services, la réorganisation de la distribution du courrier depuis 2008 s’est traduite par une baisse de 4,7 % du nombre de kilomètres parcourus par nos véhicules et de 13 % des émissions de CO2. Ce sont les indications que nous communiquerons à votre commission dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Quoi qu’il en soit, nous sommes à la recherche de l’empreinte carbone nulle, ce à quoi nous tendons en utilisant moins d’avions – nous allons ainsi supprimer cinq dessertes en France – et plus de trains et en optimisant la collecte et la distribution du courrier. Je rappelle que La Poste sera à la tête de la principale flotte de véhicules électriques européenne, avec 10 000 véhicules et 1 500 quads. De plus, d’ici la fin de l’année 2015, tous les vélos des facteurs seront munis d’un système électrique d’aide au gravissement des côtes.

Le sujet majeur des emplois a été plusieurs fois abordé. Les métiers de La Poste sont fortement utilisateurs de main-d’œuvre. Pour la maison mère, qui regroupe 222 000 postières et postiers, les frais de personnel représentent ainsi 72 % du chiffre d’affaires et, pour la totalité du groupe, la masse salariale s’élève à 12,6 milliards d’euros, soit 60 % du chiffre d’affaires. Cela explique que lorsque le chiffre d’affaires baisse, l’un des principaux facteurs d’adaptation, pour éviter la crise économique et des difficultés plus importantes encore, soit l’ajustement des effectifs, non par suppressions d’emplois mais par le non-remplacement partiel des départs à la retraite et par les reclassements. La mutation que les postiers ont conduite depuis 2002 s’est faite sans plans de licenciement, ce qui suppose évidemment de la souplesse de la part du personnel et de nos organisations, l’invention permanente de nouveaux métiers et un dispositif de formation très important. Nous avons lancé en Eure-et-Loir une expérimentation dite de « facteur guichetier » : après avoir fini sa tournée, le facteur tient des guichets dans les zones rurales les plus isolées. Nous essayons donc de trouver des solutions, mais, pour l’entreprise de main-d’œuvre que nous sommes, la contrainte économique est l’une des plus fortes qui soit.

Je vous donnerai deux exemples de nouveaux métiers. À Rennes, nous avons développé une plateforme Docapost de traitement numérique des infractions au code de la route. Deux cent cinquante postiers du bassin d’emploi breton y sont employés ; le service public est ainsi assuré pour le ministère de l’intérieur. D’autre part, dans le cadre de l’économie circulaire, que je pense appelée à un grand avenir, La Poste vient de lancer un service innovant : les facteurs récupèrent les papiers usagés dans les petites entreprises et les livrent à l’industrie papetière. C’est un moyen de remplir la sacoche des facteurs, exigence majeure. Nous songeons également à de nouveaux produits numériques.

Je ne répondrai pas à la question qui m’a été posée sur le nombre des suicides car si une « tour de contrôle » interne nous permet de suivre quotidiennement la totalité des événements qui se produisent dans l’entreprise, nous n’avons pas de cellule de suivi spécifique à ce sujet. Un suicide est toujours un drame pour l’entreprise. Notre premier devoir est d’essayer de comprendre ce qui a pu amener un collègue à mettre fin à ses jours, le deuxième est d’accompagner la famille, les proches, les collègues et les managers du mieux possible. Nous participons enfin de manière approfondie à toutes les enquêtes, et leurs conclusions donnent lieu à une application directe dans les procédures de prévention et de modification des organisations du travail.

Nous avons fait nôtres toutes les conclusions du rapport Kaspar. Par le biais de l’accord de janvier 2013 dont vous avez fait état, nous avons recruté des directeurs de ressources humaines de proximité, renforcé la médecine du travail et la formation de tous les managers, auxquels nous avons donné des référents « ressources humaines ». Nous avons donc traduit dans la réalité les orientations de la Commission Kaspar, à laquelle chaque organisation syndicale de La Poste a participé. M. Jean Kaspar élabore en ce moment un nouveau rapport sur la manière dont nous avons tiré les conclusions du grand dialogue et dont nous avons mis en œuvre les préconisations de son précédent rapport. Il sera remis en octobre et ses conclusions rendues publiques.

Vous avez, très nombreux, fait référence à la situation des fonctionnaires dits « reclassés » de La Poste. À peu près 5 000 personnes sont concernées, qui peuvent opter pour un mouvement dans la fonction publique d’État, mais elles n’ont été que 52 à le faire. Nous considérons qu’il faut négocier avec ce personnel et avec les organisations syndicales, mais nous sommes soumis à deux contraintes. La première est que le juge administratif ne veut pas d’une reconstitution de carrière ; la seconde est que les mesures que nous pourrions prendre ne devraient pas paraître porter atteinte à l’équité à l’égard de ceux qui ont choisi, au moment de la réforme, les corps de classification, soit 90 % du personnel des PTT de l’époque. J’ajoute enfin que les pourcentages de promotion chez les reclassés et chez les classifiés sont pratiquement identiques et que les reclassés peuvent toujours rejoindre les groupes de reclassification et bénéficier ainsi de promotions. Nous nous efforcerons de débattre de ce sujet, en tenant compte des contraintes susdites.

Vous avez évoqué la création de l’Observatoire des changements. J’ajoute qu’en octobre un Institut du management sera installé tout près du siège de La Poste, précisément pour prendre en charge tous les besoins de formation au management.

La Banque postale a respecté les engagements pris devant votre Commission en 2011 : fin juillet 2013, 1,2 milliard d’euros de financement à long terme ont été accordés aux collectivités locales alors même que, avant le début de l’année 2012, nous ne leur avions jamais prêté un euro. Nous nous étions par ailleurs engagés devant vous à abaisser le seuil d’intervention de la Banque postale ; c’est fait. Nous avons commencé en juin 2012 avec un seuil d’intervention fixé à 200 000 euros ; il est descendu à 100 000 euros fin 2012 et, depuis le 1er juin 2013, il est établi à 50 000 euros, de manière que les plus petites communes puissent y accéder. Le taux de refus a quant à lui déjà très sensiblement diminué depuis le début de l’année. Lorsqu’on apprend un métier, on est plus exigeant au début ; c’est ce qui s’est passé pour la Banque postale, mais je n’ai aucune inquiétude, notamment pour les communes de montagnes : je suis persuadé que nous saurons leur répondre au fur et à mesure. Nous vous avions aussi promis d’élargir le périmètre des institutions publiques qui pourraient bénéficier du financement de la Banque postale ; cet engagement est également rempli et, depuis juin, nous avons financé des hôpitaux et des sociétés d’économie mixte. En bref, au regard des engagements pris il y a moins de deux ans et aux objectifs fixés à la Banque postale, nous sommes au rendez-vous.

Les prêts à la consommation se développent bien dans le réseau de la Banque postale. Nous avons intégré le crédit renouvelable à nos produits mais nous ne l’avons pas encore lancé publiquement. Il fait l’objet d’un test national mais nous attendons pour en faire la publicité d’être certains qu’il soit parfaitement conforme aux dispositions de la loi Hamon.

Je pense avoir traité, dans le temps que vous m’avez imparti, la plupart des sujets abordés.

M. le président François Brottes. Monsieur Wahl, je vous remercie pour vos réponses.

*

* *

Après le départ de M. Philippe Wahl, il est procédé au vote sur la nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets.

Les résultats du scrutin sont les suivants :


Nombre de votants


Bulletins blancs ou nuls


Suffrages exprimés


Pour


Contre


Abstention

*

* *

La commission a présenté les travaux de la mission d’information sur l’hydroélectricité sur le rapport de Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann.

M. François Brottes, président. Avant de passer la parole à nos rapporteurs, Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann, je vais brièvement rappeler le contexte et les raisons qui nous avaient amenés à lancer un travail sur l’hydroélectricité. Il relevait de la responsabilité de notre commission de savoir si la remise en concurrence des concessions hydrauliques, sur la voie de laquelle la France s’était engagée, était une impérieuse nécessité ou, au contraire, si nous pouvions réfléchir à l’élaboration de scénarios alternatifs. Nous avions évoqué cette question en commission élargie en présence de Mme Delphine Batho, alors ministre de l’écologie et qui est aujourd’hui parmi nous. Elle avait largement soutenu cette initiative.

Le travail qui s’en est suivi s’est révélé particulièrement long, conséquent, et a nécessité beaucoup de réflexion. C’est la raison pour laquelle nous avons procédé en deux temps : une phase de diagnostic, en avril dernier, et un temps d’élaboration de différents scénarios alternatifs, avec l’ambition de s’écarter de la voie unique. Ce soir vous sont présentés les scénarios du possible, pour ces barrages qui constituent un enjeu majeur pour le mix électrique, les territoires et le développement durable. Nous aurons la possibilité d’obtenir une réponse du gouvernement lors de l’audition de M. Philippe Martin qui se tiendra dans la soirée.

M. Éric Straumann, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, lors d’un point d’étape, le 3 avril dernier, nous faisions état de difficultés majeures inhérentes au processus de remise en concurrence des concessions hydroélectriques tel qu’il avait été lancé en 2010.

Ces difficultés majeures étaient au nombre de cinq : la non-réciprocité du processus de remise en concurrence, la France étant le seul pays à ouvrir ses barrages à des producteurs étrangers de la façon proposée ; la hausse mécanique du prix de l’électricité, pour les ménages comme pour les électro-intensifs, qu’une telle remise en concurrence produirait mécaniquement ; les incertitudes pour le personnel des concessionnaires sortants non directement affecté aux ouvrages sous concession ; le manque de garanties offertes par la formule du cahier des charges en matière de régulation locale des usages de l’eau ; les risques qu’entraînerait une fragmentation des vallées pour la sécurité de notre système électrique.

Face à un tel constat, la nécessité d’élaborer des scénarios alternatifs à la remise en concurrence telle qu’elle avait été prévue s’imposait. Comment, en effet, se lancer dans un processus aussi lourd de conséquences pour notre mix énergétique, comment prendre une décision de politique énergétique aussi décisive, tout en ayant mené un travail soulignant les nombreuses imperfections de la solution envisagée ?

C’est à cette tâche que nous nous sommes attelés au cours des cinq mois qui ont suivi notre première présentation. Il devait s’agir d’une « mission flash ». Mais devant l’importance du sujet, nous avons demandé au président de la Commission, très impliqué dans notre réflexion, de nous octroyer un temps supplémentaire, de façon à approfondir nos recherches et notre travail. L’objet de la présentation d’aujourd’hui est de vous retranscrire les résultats auxquels nous sommes parvenus. 

Confrontés à un choix de politique énergétique majeur, nous avons d’abord mené une réflexion sur les objectifs poursuivis. Bien sûr, nous avons particulièrement étudié le cadre juridique posé par le droit communautaire de la concurrence, dont nous nous sommes attachés à respecter les contraintes. Mais il nous a semblé qu’une approche où l’on définirait une politique à partir de contraintes juridiques, n’était pas suffisante, ou du moins n’était pas ce que l’on pouvait attendre d’une mission parlementaire. A travers une démarche constituant le « pendant positif » de notre travail critique sur le processus de remise en concurrence des concessions, nous avons tenté de mener une réflexion de politique énergétique. Cela impliquait de définir quels étaient les critères que devait remplir un scénario idéal de transition vers un nouveau mode de gestion des ouvrages hydrauliques.

Premier objectif : limiter la hausse des prix de l’électricité pour les ménages. Conséquence d’une succession de décisions passées, nous sommes désormais acculés à une gestion énergétique de l’urgence. La hausse des tarifs réglementés de 5 % du 1er août n’est qu’une étape, et sans doute faut-il s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres d’une ampleur similaire. Il n’est que de rappeler les montants d’investissements à réaliser sur le parc nucléaire – 55 milliards d’euros –, le poids du financement des énergies renouvelables et des tarifs sociaux – couverts par les charges de CSPE, qui atteindront 10 milliards d’euros annuels en 2020 – pour mesurer à quel point les inquiétudes de nos concitoyens sur la hausse de leur facture d’électricité sont fondées. Vous les relayez d’ailleurs ici-même, lors de chaque réunion de commission dédiée au secteur de l’énergie, prouvant ainsi qu’il s’agit d’un enjeu économique et social central.

Dans un tel contexte, toute mesure permettant de nous donner un peu d’air sur les tarifs est la bienvenue. La proposition de loi du président de notre commission proposait de rebrasser les cartes par une facturation moins aveugle des énergies de réseau, qui aurait été fonction des besoins de chaque ménage. Mais l’on connaît tous quel fut son sort, en raison de la trop grande complexité du mécanisme.

Deuxième objectif : donner accès aux électro-intensifs à une électricité bon marché en période de pointe. Les ménages ne sont pas les seuls consommateurs à subir la hausse des prix de l’électricité. Alors que les électro-intensifs installés sur notre territoire disposaient autrefois d’un environnement très compétitif, avec un prix de l’électricité rivalisant avec les concurrents mondiaux, c’est de moins en moins le cas.

Lorsque nous avons rencontré leurs représentants au cours de la mission, ils nous ont fait part de la nécessité qu’ils avaient, pour maintenir une implantation durable en France, de disposer à la fois d’une grande visibilité, avec un cadre clair dès aujourd’hui et pour plusieurs décennies, et d’une électricité au coût de production, comme dans le cadre de l’ARENH.

Historiquement, nous sommes toujours parvenus à trouver des solutions pour maintenir une activité électro-intensive sur notre territoire. C’est ainsi que la France a longtemps compté parmi les pays leaders en matière de production de l’aluminium, par exemple.

Le processus de libéralisation du marché de l’électricité nous prive peu à peu de toute possibilité de faire du « sur-mesure », que ce soit par la suppression des tarifs verts ou par la très grande difficulté pour EDF de conclure des contrats de long terme,… Ainsi, dans le cas de Rio Tinto Alcan à Saint-Jean de Maurienne, il a été nécessaire d’investir en capital pour avoir le droit de fournir de l’électricité au coût de production. Vous voyez donc bien à quelles constructions contre-nature – ce n’est pas le métier d’EDF que de devenir producteur d’aluminium – nous sommes contraints de recourir pour que la métallurgie demeure une force de nos vallées de montagne …

Les choix effectués sur l’avenir du parc hydroélectrique français constituent un élément déterminant de notre politique énergétique à destination de l’industrie : souhaitons-nous, oui ou non, conserver des marges de manœuvre pour sauver nos sites en difficulté ? Avons-nous l’ambition d’en attirer de nouveaux sur notre territoire ?

Nos concurrents européens – ceux-là même qui réclament l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques –, ne se privent pas d’utiliser tous les moyens à leur disposition. La lecture du très récent rapport de la CRE (juin 2013), dressant une analyse comparative de la compétitivité des entreprises intensives en énergie en France et en Allemagne, est à cet égard très instructive. Les électro-intensifs allemands peuvent ainsi bénéficier, outre d’un éventail très large d’exonérations fiscales particulièrement avantageuses, d’une exonération partielle ou totale du tarif d’accès au réseau. La Commission européenne a annoncé, le 6 mars 2013, qu’elle allait procéder à une enquête approfondie sur l’aide potentielle que cela constituait en faveur des gros consommateurs allemands ; mais d’ici à ce que le processus aboutisse… Ainsi, alors qu’en 2013 le prix payé par un industriel Outre-Rhin était encore supérieur à celui acquitté par un industriel français, la situation devrait s’inverser en 2014.

Comme on peut le constater, il y a urgence ! Nous devons agir pour conserver l’un des éléments qui, historiquement, a joué en faveur de l’attractivité du territoire français : le prix de l’électricité.

Troisième objectif : parvenir à une gestion moderne et collaborative des usages de l’eau, bien public par excellence. Les barrages sont au centre d’un écosystème en permanente évolution, impliquant les habitants, leurs élus, les agriculteurs, les industriels, les professionnels du tourisme et leur public. Désormais, l’exploitant des barrages ne peut plus prendre tout seul les décisions de gestion de ses ouvrages, dès lors que celles-ci ont un impact décisif sur l’activité et la vie quotidienne de nombre d’acteurs.

Quel que soit le futur de nos barrages électriques, l’échelon local doit être associé de façon étroite à leur gestion. Nous vivons sur l’héritage d’un ancien système, si bien que tout reste encore à construire et que les situations diffèrent sensiblement selon les régions.

Fruit d’un processus particulier, le modèle de la CNR offre aux collectivités du Rhône un modèle particulièrement attractif. Elles sont présentes au conseil d’administration de la société et bénéficient de financements pour des missions d’intérêt général qui ont atteint 160 millions d’euros  pour la période 2009-2013.

Certaines collectivités, parmi lesquelles l’Alsace, ont obtenu des conditions particulières lors d’un renouvellement récent de concessions ; mais ce fut au prix d’âpres négociations avec le concessionnaire sortant. Le conseil général du Haut-Rhin vient d’ailleurs de saisir le gouvernement sur la question des concessions hydroélectriques de la chaîne d’aménagement du canal d’Alsace sur le Rhin amont. En effet un chapelet de quatre installations hydroélectriques situées sur un canal latéral au Rhin, dont la prise d’eau se situe à Kembs et le rejet à Vogelgrun, est exploité par EDF, selon des concessions établies sans tenir compte du plancher de redevance de 25 % de la production défini dans l’article 35 de la Loi du 30 décembre 2006. Ces quatre installations produisent en moyenne 3 400 gigawattheures par an et devraient, de ce fait, générer une redevance de près de 42,5 millions d’euros par an, dont la moitié, soit 21,25 millions d’euros reviendraient aux Collectivités locales haut-rhinoises. Le rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et des Conseils généraux des mines et des ponts de novembre 2006 préconisait que, dans le cas de chaînes d’aménagement, l’ensemble de la chaîne soit mis en concurrence. Cette disposition aurait donc dû être appliquée lors de la renégociation de la concession de Kembs, tête d’aménagement. Cette procédure s’est, de plus, faite sans concurrence contrairement à ce qu’exigeait la loi du 29 janvier 1993. Le fait que l’État n’ait pas jugé utile de relancer l’ensemble des concessions de cette chaîne hydroélectrique lors du renouvellement de la concession de Kembs en décembre 2010, et n’a de surcroît, pas souhaité appliquer les critères de la loi de 2006, prive le territoire d’une source importante de revenus. Cette situation est d’autant plus anormale que les aménagements similaires du Rhône, ont, eux, bénéficié d’une renégociation de leur concession en 2003, avant la date d’échéance des concessions, qui permet aux collectivités de ce secteur de percevoir annuellement 90 millions d’euros de redevance Cette renégociation au niveau des ouvrages du Rhône a pourtant été menée sept ans avant le nouvel arrêté de la concession de Kembs qui concerne des ouvrages en tout point similaire. Il y a eu un traitement différencié de deux régions françaises dans une République garante de l’application des mêmes règles sur l’ensemble du territoire national. La renégociation des concessions du Canal d’Alsace aurait donc, par parallélisme des procédures, dû être menée lors de la transformation en société anonyme d’EDF le 19 novembre 2004 lors de la publication du décret du 17 novembre 2004 et, en tout état de cause, au plus tard lors du renouvellement de la concession de Kembs en décembre 2010. Le référé de la Cour des Comptes du 21 juin 2013 recommande de renouveler au plus vite les concessions ne bénéficiant pas, a minima, des retombées de la loi de 2006. C’est pourquoi, je sollicite à titre personnel le renouvellement immédiat des concessions des quatre chutes du Rhin amont situées le long du canal d’Alsace entre Kembs et Vogelgrun, ou à défaut, l’ouverture immédiate de négociations avec l’exploitant pour, a minima, percevoir les retombées que notre territoire est en droit d’obtenir tant au titre de la loi de 2006 qu’au titre des mesures compensatoires soit au minimum plus de 50 millions d’euros par an pour les collectivités territoriale alsaciennes.

Le renouvellement des concessions a également pu être l’occasion de mettre en route des projets d’investissement très ambitieux, comme celui de Romanche-Gavet, où nous nous sommes rendus. De tels projets sont particulièrement bénéfiques pour l’ensemble de la vallée, à tous les points de vue (économique, environnemental, etc.).

Les collectivités territoriales qui ont sur leur territoire des ouvrages inclus dans les lots qui doivent être mis en concurrence prochainement pourront bénéficier d’une redevance sur le chiffre d’affaires ; mais la remise en concurrence ne concerne que 20 % de l’ensemble du parc hydraulique français. Pour les autres territoires, aucun changement n’est à venir d’ici de très longues années !

Il nous semble que de telles divergences de situation posent un véritable problème au regard du principe d’égalité, si cher au Conseil constitutionnel.

Quatrième objectif : préparer la transition vers un nouveau système énergétique, axée sur la montée en puissance des énergies intermittentes.

L’objectif fixé par le Président de la République est de diminuer la part du nucléaire dans le mix électrique pour la porter à 50 %. Si l’on prend comme hypothèse le maintien de la part de l’hydroélectricité à hauteur de 10 %, cela signifie que les sources de production intermittentes devront représenter 30 à 40 % du mix électrique si l’on ne veut pas voir augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

Parvenir à de tels niveaux d’intermittence dans le système électrique exige de contrôler des moyens de production de pointe rapidement mobilisables, susceptibles d’assurer le back-up en période sans vent ou sans soleil. Ce rôle, seules les installations hydroélectriques sont aujourd’hui à même de le remplir. Elles joueront donc un rôle stratégique à l’avenir, que notre responsabilité est de ne pas sous-estimer.

Cinquième objectif : donner des garanties sur les emplois. L’hydroélectricité est une énergie produite localement. Les barrages et les centres techniques régionaux sont une source d’emploi importante dans des régions dont certaines sont en difficulté économique.

Les règles de gestion de notre parc hydroélectrique futures devront maximiser le potentiel d’emploi que constitue l’hydroélectricité, en donnant des garanties aux salariés des concessionnaires sortants sur leur maintien en poste, en favorisant le lancement de travaux d’optimisation de nos ouvrages et en contribuant à renforcer la position des industriels français dans le secteur de l’hydroélectricité.

Sixième objectif : contribuer à la construction d’une Europe de l’énergie. Le droit communautaire encadre fortement le régime des concessions, et ce dans tous les domaines. Mais les concessions hydrauliques sont-elles des concessions comme les autres ? De nombreux éléments nous ont incités à répondre par la négative à cette question, lors de notre présentation d’étape.

Il faut également s’interroger sur le cycle infernal dans lequel nous nous engageons. Jusqu’à présent, des dérogations nous permettent de sauvegarder le fonctionnement de notre réseau de distribution d’électricité, pierre angulaire de la péréquation tarifaire. Mais pour combien de temps encore ?

Derrière la question des règles juridiques réside une question de fond : vers quelle Europe de l’énergie nous dirigeons-nous ? Notre travail de recherche de solutions alternatives ne doit pas être vu comme une opposition de principe à l’Europe, mais comme une contestation du chemin emprunté, qui est de faire de la concurrence la seule méthode possible. Il y a une voie vers une véritable Union de l’énergie, qui ne soit pas un simple succédané des règles de la concurrence mais nous rapprocherait de la véritable ambition des pères fondateurs de la CECA : sortir de la compétition entre États membres pour aller vers une mutualisation des moyens.

Au sein du labyrinthe juridique dans lequel nous nous sommes aventurés, les six objectifs que nous avons dégagés ont joué le rôle de fil d’Ariane : c’est en partant d’eux que nous avons élaboré des scénarios alternatifs. Ils nous ont permis d’étalonner les mérites respectifs de chacune des pistes envisagées, pour ne retenir que celles qui apportaient de réelles améliorations au processus actuel de remise en concurrence barrage par barrage.

Le premier scénario est celui de la méthode du barycentre. Ainsi que l’a laissé entendre la réponse ministérielle, en date du 27 août dernier, à un référé de la Cour des comptes sur le retard dans le renouvellement des concessions hydroélectriques, il s’agit du scénario privilégié à ce stade par le gouvernement.

La méthode des barycentres consiste à aménager le processus de remise en concurrence en favorisant la création de lots unifiés sur une même vallée.

Aux termes de la note adressée par les ministres de l’économie et des finances, du budget et de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la méthode du barycentre « consiste à regrouper les concessions préalablement à la mise en concurrence, de façon à créer un ensemble cohérent avec une date d’échéance unique. Cette date serait obtenue en pondérant les dates d’échéance des différents contrats au prorata des différents revenus générés ». En des termes moins administratifs, il s’agit de raccourcir la durée des contrats les plus longs et de rallonger celle des contrats les plus courts d’une même vallée pour les faire se terminer à une même date.

Les avantages d’une telle solution ont été pointés par le document adressé par le gouvernement à la Cour des comptes.

Premier avantage, en permettant un regroupement par vallées, la méthode des barycentres permet d’améliorer la gestion future des ouvrages hydrauliques situés sur une même chaîne. Le processus de remise en concurrence initial propose des vallées qui ne sont pas toutes cohérentes hydrauliquement. Des regroupements de concessions ont déjà été effectués en choisissant la solution de l’alignement « au plus tôt » : l’harmonisation des dates d’échéance des concessions d’une même vallée se fait sur la date d’échéance la plus proche et les candidats doivent racheter la durée du contrat restant au concessionnaire sortant en lui versant des indemnités d’éviction.

Mais cette méthode n’a pu être appliquée partout : lorsque la date d’échéance de certains ouvrages de la vallée était vraiment trop éloignée, le coût du rachat de la durée de contrat restant à courir était trop élevé. C’est pourquoi certains regroupements proposés sont insatisfaisants car ils ne conduisent pas à l’attribution d’un lot cohérent à un concessionnaire unique.

La solution de l’alignement « au plus tard » est impossible juridiquement : proroger les contrats qui arrivent à échéance le plus tôt jusqu’à la date d’échéance des contrats les plus tardifs constitue une modification substantielle du contrat non justifiée d’un point de vue économique, et donc une atteinte au droit de la concurrence. Cela peut en outre être considéré comme une aide d’État attribuée au concessionnaire sortant.

Dans le cas de vallées dont les contrats ont des dates d’échéance très éloignées entre elles, comme le Drac, Bissorte ou Brillane-Largue, la solution du barycentre permet de repousser la date de changement de concessionnaire de plusieurs années et ainsi de former des ensembles hydrauliquement cohérents.

Deuxième avantage, elle accroît les retombées financières pour l’État en supprimant les pertes engendrées par les délais glissants et les indemnités d’éviction. L’origine du référé de la Cour des comptes se trouve dans ce phénomène des délais glissants. Ainsi la Cour écrivait-elle que certaines concessions « n’ont pas été renouvelées et sont prorogées aux conditions antérieures, ce qui retarde d’autant l’application de la redevance. C’est le cas, notamment, pour les concessions arrivées à échéance en 2011 et 2012 et pour lesquelles une mise en concurrence était prévue. »

La méthode des barycentres apporte une réponse particulièrement astucieuse au retard pris par l’État dans la procédure. En effet, comme elle est calculée à partir des dates d’échéance contractuelles, et ce peu importe que ces dates aient été dépassées, tout se passe comme si l’on percevait des redevances à partir de la date d’échéance du contrat, même si celui-ci a tardé à être renouvelé.

La suppression des indemnités d’éviction accroît également les recettes pour l’État. Ces indemnités sont certes payées par les concessionnaires, mais plus elles sont élevées, plus le montant de redevance qu’ils sont prêts à payer diminue. Or, le rachat des indemnités d’éviction s’effectue à un taux d’actualisation du secteur privé (de l’ordre de 6 %), contre un taux d’actualisation de 4 % généralement admis pour l’État.

Troisième avantage, elle permet de diminuer l’engorgement de l’administration en retardant la date de remise des ouvrages. La remise en concurrence est un processus particulièrement lourd, très risqué pour l’État, dont les moyens humains sont sans cesse rognés. Par conséquent, elle a pris un retard important : les premières remises d’ouvrage au nouveau concessionnaire pourraient intervenir, dans le meilleur des cas, en 2017.

Mais grâce à la méthode des barycentres, la date effective de remise des ouvrages pourra être la même que dans le cas de la remise en concurrence classique, et ce en gommant tout retard !

Quatrième élément, que nous hésitons à qualifier d’avantage : elle favorise les nouveaux entrants en supprimant les indemnités d’éviction. La méthode des barycentres est particulièrement favorable à la concurrence, car elle permettra aux entreprises de toutes tailles de candidater. Dans la période de grande fragilité financière que traversent les énergéticiens européens, ces derniers apprécieront sans doute le geste effectué par la France.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. La méthode du barycentre constitue une amélioration par rapport à la remise en concurrence telle qu’elle avait été envisagée au départ. Mais, comme elle ne constitue qu’une déclinaison de cette dernière, elle ne permet pas d’en supprimer tous les défauts.

Premier inconvénient, il s’agit d’un processus administratif complexe et qui s’étale sur plusieurs décennies.

Dans le programme actuel de mise en concurrence, hormis le processus classique de remise en concurrence – réalisation du cahier des charges, examen des offres, remise de l’ouvrage au concurrent entrant –, seule est nécessaire une négociation avec le concessionnaire sortant sur les indemnités d’éviction.

La mise en œuvre de la solution du barycentre nécessiterait au contraire de passer par un long chemin juridique, chacune des étapes suivantes étant porteuse de risques : d’abord, une saisine préalable de la Commission européenne au titre du contrôle des aides d’État ; ensuite, des modifications législatives – insérées dans le projet de loi sur la transition énergétique ? – avec leur texte d’application. Ces dispositions auraient pour objet d’autoriser l’État à imposer le regroupement en un contrat unique de l’ensemble des contrats de concession formant une chaîne hydraulique. Enfin, la modification par avenant de chacun des contrats concernés. La charge de travail que cela représente et le manque de moyens humains du ministère de l’écologie ont ainsi conduit l’État à se faire assister pour mener le processus, dès 2010, de cabinets de conseil privés aux honoraires élevés.

Solution astucieuse, la méthode du barycentre n’en demeure pas moins une alternative coûteuse en moyens humains et dont l’issue n’est pas garantie à 100 %.

Deuxième inconvénient, une telle solution revient à perdre la main sur le parc hydroélectrique français pour 40 ans. Une fois les concessions attribuées, l’État ne pourra reprendre la main sur les concessions que par le versement d’une très lourde indemnité d’éviction. Lorsque l’on connaît l’importance des ouvrages hydrauliques pour la sécurité du système électrique, une telle situation a de quoi inquiéter…

Troisième inconvénient, la seule garantie apportée aux collectivités est le cahier des charges des concessions. Nous avions déjà relevé une telle difficulté : le cahier des charges des concessions permettra de mieux encadrer l’action du concessionnaire sur les cours d’eau, mais seulement sur le court terme. Comment prévoir les besoins et les usages pour les 40 prochaines années ? L’objectif de modernisation des relations entre les usagers locaux de l’eau n’est pas atteint.

Quatrième inconvénient, le problème du transfert des salariés est laissé de côté. Il s’agit d’un rappel des conclusions de notre présentation d’étape : seuls les salariés d’EDF ou de la SHEM qui sont affectés exclusivement ou essentiellement à la concession cédée seront transférés automatiquement au nouveau concessionnaire. En l’absence de définition précise de la notion de salarié « essentiellement » affecté à une concession, il faudra se référer au critère jurisprudentiel du pourcentage, dont les implications sont difficiles à prévoir.

Cinquième inconvénient, le gain financier pour l’État et les collectivités territoriales est à relativiser. Ainsi que le relève elle-même la Cour des comptes, les recettes de redevance espérées ne deviendront réellement significatives que dans plusieurs années. La perte due au retard de redevance perçu était de 3 M€, elle sera de 50 M€ en 2013, et n’atteindra même pas 100 M€ en 2020.

En outre, les calculs de la Cour des comptes mettent de côté un élément majeur : la participation de l’État dans le capital d’EDF à hauteur de 84 % ! Il paraît difficile de soutenir sérieusement que les délais glissants, dont bénéficie EDF, constituent une perte sèche pour le budget de l’État. Est-il besoin de rappeler que, pour l’exercice 2012, EDF a versé à ce même budget 1,950 Md€ de dividendes ?

Enfin, nous sommes au regret de décevoir nos collègues que cela pourrait intéresser : en raison de la longueur de la procédure de mise en concurrence, le 1er euro ne sera pas versé aux collectivités territoriales avant 2017. Et nous ne parlons que des collectivités faisant partie du « premier paquet » de mise en concurrence. Pour les autres, la perspective d’une redevance est encore plus éloignée…

Sixième inconvénient, l’impact sur le prix de l’électricité, lui, sera réel. Selon les termes de la Cour des comptes, « la mise en concurrence constitue un moyen adapté pour ne pas abandonner aux concessionnaires la rente hydroélectrique ». Cette affirmation repose sur une analyse que nous estimons partielle de la réalité économique du marché de l’électricité. En effet, comment peut-on considérer que la rente hydroélectrique soit abandonnée au concessionnaire sortant dès lors que celui-ci est obligé, dans les tarifs réglementés de vente, de fournir l’électricité au coût de production ? Il nous semble plutôt que le bénéficiaire de la rente hydroélectrique est le consommateur, et c'est très bien, directement concerné par la question du pouvoir d’achat…

Mais ce ne sera bientôt plus tout à fait le cas. Plus le portefeuille hydroélectricité d’EDF diminuera, plus ses coûts de production augmenteront. Selon le rapport de la CRE sur les coûts d’EDF, une diminution de 1 % de la production hydraulique augmente le coût de production d’EDF de 0,1 %. Or, ce sont sur ces coûts que les tarifs réglementés sont calculés par la CRE… Ajoutons que la redevance constitue en réalité une nouvelle taxe sur l’électricité. Cela revient à perdre l’avantage comparatif de l’électricité hydraulique. Même l’électricité hydraulique produite par EDF, dont le coût de production sera pris en compte pour les tarifs réglementés, sera de l’ordre de 25 % plus chère.

En résumé, la remise en concurrence des concessions conduit à perdre l’avantage compétitif dont dispose la France grâce à l’électricité hydraulique : les concessionnaires devront payer une taxe, la redevance, qui augmentera le coût du mégawattheure hydraulique. Pour rentabiliser leur investissement, ils valoriseront leur production sur le marché au prix du marché de gros, et non au coût de production. Contrairement à ce qui est prévu pour l’ARENH, aucune clause de destination n’est prévue, c'est-à-dire que si un concessionnaire veut signer un contrat de long terme avec un industriel étranger, on ne pourra pas l’en empêcher !

Dernier inconvénient, l’euro-compatibilité d’une telle solution ne fait en réalité que repousser d’autres échéances bien plus douloureuses. Nous tenons ici à rappeler à quel point fut insistante la pression d’opérateurs étrangers qui souhaitent pénétrer le marché français sans être menacés sur leur propre marché. Lorsque nous les avons interrogés, ils ont été bien en peine de répondre à nos questions sur la réciprocité. Aucun autre État membre n’est amené à mettre en concurrence un parc hydraulique conséquent dans les mêmes conditions que la France. Les ouvrages sont soit sous la propriété des opérateurs – régime d’autorisation –, soit sous un régime mixte combinant autorisation et concession, soit sous un régime de concession mais avec des dates d’échéance très éloignées (Espagne et Italie). Ajoutons que certains candidats à la reprise des concessions françaises sont suisses et norvégien, donc extra-communautaires. En Norvège, tout candidat à l’attribution d’une concession doit être au minimum à 70 % public, ce qui oblige un exploitant étranger, s’il souhaite pénétrer ce marché à intégrer un consortium avec une entreprise publique ou une collectivité locale norvégienne. En Suisse, les directives sectorielles sur l’énergie ne sont même pas applicables.

La solution de la remise en concurrence a été présentée comme la seule à même de satisfaire la Commission européenne. Mais cette dernière, une fois la remise en concurrence « digérée », demandera de toute façon des garanties supplémentaires. Ne nous leurrons pas : la remise en concurrence n’est pas un élément d’un accord intangible. Donner des gages ne sert à rien car, comme elle l’a indiqué aux rapporteurs de la mission lorsqu’ils se sont rendus à Bruxelles, la Commission a déjà ciblé sa prochaine victime : les tarifs réglementés de vente aux particuliers.

En résumé, il nous semble que le choix de la méthode des barycentres reposerait sur une analyse stratégique erronée : sacrifier la compétitivité du prix de l’énergie sur l’autel de la réduction des déficits publics.

Si la remise en concurrence apportait des recettes budgétaires immédiates, nous pourrions comprendre les raisons d’un tel choix. Mais ça n’est pas le cas : l’impact sur le déficit public ne se fera pas sentir avant 2017, lorsque la trajectoire des finances publiques aura été stabilisée. Dans le même temps, l’effet de la remise en concurrence impactera progressivement le prix de l’électricité, se cumulant avec d’autres effets qui rendront leur facture insupportable aux ménages et aux entreprises…

Mais pour que l’analyse avantages-inconvénients ait un sens, encore faut-il qu’il existe des alternatives, c'est ce que nous nous sommes attachés à démontrer.

Par manque d’anticipation, la France s’est placée dans une situation difficile et s’est restreint le champ des possibles. La transformation d’EDF en société anonyme constitue un tournant historique. Ainsi que nous le signalions dans notre présentation d’étape, la transformation d’EDF en société anonyme, par la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, a changé la donne du tout ou tout. Perdant son statut d’établissement public, EDF ne pouvait plus désormais être considérée comme un opérateur particulier du système électrique français.

La conséquence directe de cette évolution a été de faire rentrer les concessions hydroélectriques dans le droit commun des délégations de service public. Le droit actuel prévoit que le régime de la concurrence entre opérateurs s'impose désormais sans réserve dans le renouvellement des concessions hydroélectriques.

Sans revenir sur le bien-fondé de la transformation en société anonyme, qui est un tout autre débat, le prolongement des contrats de concession avant le vote de la loi de 2004 aurait « soldé » le problème de l’hydraulique pour une durée de 40 ans.

La future directive « concessions » constitue également une occasion manquée. La Commission européenne a déposé, en décembre 2011, un projet de directive tendant à harmoniser les règles européennes en matière de concessions.

Le périmètre du texte a fait l’objet de discussions très nombreuses discussions. Sous l’influence d’un lobbying de l’Allemagne, soucieuse de préserver son modèle particulier, et d’une mobilisation populaire sans précédent – une pétition a recueilli 1,5 million de signatures –, c’est l’ensemble du secteur de l’eau qui a finalement été sorti du champ de la directive. Il a ainsi été considéré que, compte tenu des spécificités d’une telle activité, les règles générales du droit de la concurrence ne pouvaient pas s’appliquer.

La nouvelle directive « concessions » aurait pu constituer une occasion en or pour sécuriser le régime juridique applicable aux concessions hydrauliques françaises. Au lieu de cela, le sujet n’a été que très peu évoqué. Comment soutenir une ouverture de notre parc de barrages aux énergéticiens européens lorsque l’on sait que les opérateurs français de l’eau n’auront pas accès au marché allemand ? Une telle situation ne manque pas d’interroger sur notre capacité à défendre l’intérêt de notre économie dans le cadre européen.

Difficile, la recherche d’alternatives n’est cependant pas impossible. Il faut bien souligner à ce stade à quel point vos rapporteurs ont dû sans cesse batailler contre la tendance à se retrancher derrière le confort des arguments juridiques posés comme l’ultime et unique vérité pour s’épargner l’effort de l’élaboration de solutions alternatives ayant un sens politique.

Nous allons désormais tenter de vous démontrer qu’il n’existe pas de fatalité juridique : trois solutions alternatives sont tout à fait possibles. Vous présentant leur principe, leurs avantages et inconvénients respectifs, vous serez ainsi en mesure d’apprécier par vous-même la pertinence des choix effectués.

Le deuxième scénario est celui que nous appelons « concession unique ». Il consiste à justifier auprès de la Commission européenne de l’existence d’un SIEG.

La notion de service d’intérêt économique général (SIEG) permet de déroger au droit commun de la concurrence. Le deuxième alinéa de l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que :

« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. »

Cet article prévoit de façon claire la possibilité de désigner une entreprise investie d’une mission d’intérêt général par un acte de la puissance publique dès lors qu’il est démontré, d’une part, le caractère économique du service en question, ce qui ne soulève pas de difficultés dans le cas présent et, d’autre part, que l’attribution d’un droit exclusif est nécessaire pour remplir les missions d’intérêt général confiées à l’opérateur bénéficiaire.

La remise en concurrence des concessions fait échec à l’accomplissement de la mission particulière impartie au concessionnaire historique pour trois raisons.

La première est qu’elle porte atteinte à la bonne gestion hydroélectrique des cours d’eau ; il est inévitable que la mise en concurrence conduise, dans certains cas, à confier la gestion d’une même vallée à plusieurs opérateurs.

La seconde est qu’elle menace la sécurité d’approvisionnement en électricité, dont les ouvrages hydroélectriques sont un élément essentiel. Avec la remise en concurrence, un opérateur peut « tenir le système en otage ». En l’état actuel des caractéristiques techniques des réseaux, les capacités d’importation sont limitées à environ 9000 MW, ce qui fait de l’hydroélectricité une composante majeure du service public de l’électricité. La directive n° 2003/54 du 26 juin 2003 prévoit à cet égard que les États peuvent imposer aux entreprises du secteur, dans l’intérêt économique général, des « obligations de service public » qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement.

La troisième est qu’elle remet en cause la garantie des prix offerte au consommateur. Avec la remise en concurrence, chaque concessionnaire peut disposer comme il l’entend de l’électricité produite.

Nous pensons donc qu’il y aurait un espace pour la qualification de la production hydroélectrique en SIEG, à la condition que l’hydroélectricité produite soit gérée selon des modalités économiques spécifiques. L’opérateur public chargé de l’exploitation des concessions mettrait cette électricité à disposition des consommateurs, selon deux directions : par la vente de 75 % de l’électricité produite au consommateur via les tarifs réglementés de vente ; par l’intégration à l’ARENH des 25 % restants, L’ARENH ne signifierait plus alors « Accès régulé à l’électricité nucléaire historique », mais « Accès régulé à l’électricité nucléaire et Hydraulique ». Précisons que ce ratio de 75 % / 25% correspond au ratio d’électricité nucléaire intégré à l’ARENH, selon les dispositions de la loi NOME, et que ce montage peut être bien évidemment modifié.

L’élargissement de l’ARENH à l’électricité d’origine hydraulique (25 %) est une garantie incontestable donnée à la Commission européenne. Cette solution favorise même davantage la concurrence qu’une simple remise en concurrence de l’ensemble des concessions. Car ici, le résultat est certain : un quart de la production va à la concurrence.

Les avantages de cette solution sont nombreux.

Premier avantage : elle serait très facile à mettre en œuvre et nécessiterait très peu d’adaptations par rapport à la situation actuelle. Le processus de mise en concurrence, très long et coûteux, serait abandonné. Quant à l’ARENH, il s’agit d’un dispositif qui existe déjà et qui a été validé par la Commission européenne. La question du renouvellement des concessions serait donc réglée « en douceur », en s’inscrivant pleinement dans le cadre juridique du système électrique français ;

Deuxième avantage : elle réduirait considérablement la problématique sociale de la mise en concurrence des barrages, les salariés ayant désormais des perspectives claires sur leur avenir.

Troisième avantage : le principe d’un parc hydraulique intégré serait réaffirmé, ce qui sécuriserait le processus de transition énergétique.

Quatrième avantage : il pourrait être défini un cadre national unique définissant les relations entre le concessionnaire et les collectivités territoriales.

Cinquième avantage : l’intégration de 25 % de l’hydroélectricité à l’ARENH constituerait un signal fort pour les électro-intensifs. Ils auraient directement accès à une électricité de pointe au coût de production.

Dernier avantage : le consommateur particulier continuerait de bénéficier de la rente hydraulique à travers les tarifs réglementés de vente.

Mais cette solution nécessite une négociation avec la Commission européenne pour pouvoir être mise en œuvre.

La qualification de l’hydroélectricité en service d’intérêt économique général peut être juridiquement contestée car elle repose sur des éléments d’appréciation. La mise en œuvre d’une telle solution nécessite donc l’approbation de la Commission européenne. Cette dernière a toujours admis l’existence de droits exclusifs aux profits des entreprises de transport et de distribution d’énergie, mais s’est refusée à faire entrer dans le champ des SIEG les activités de production.

Il faudrait donc parvenir à lui démontrer que les contraintes posées au concessionnaire unique en termes de mise à disposition de l’électricité hydraulique sont suffisantes. Les chances d’y parvenir semblent réduites, au vu de la position ferme de la Commission européenne en faveur de la mise en concurrence. En réalité, un tel scénario aurait mérité d’être poussé dans le cadre de la discussion du projet de directive sur les concessions.

Troisième scénario : l’exploitation des concessions hydrauliques par un établissement public.

La transformation de EDF en société anonyme nous a privés d’une solution simple, le renouvellement automatique des concessions. Mais la Cour de justice européenne a reconnu de façon constante la possibilité de déroger au principe de mise en concurrence lorsque l’exploitation du service public s’effectue en quasi-régie. Les juristes parlent d’une exploitation « in-house ». Une telle dérogation à l’obligation de mise en concurrence, permise par la loi Sapin, est cependant soumise à deux conditions. D’une part, la collectivité publique concédante doit exercer sur l’établissement chargé de l’exploitation un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. D’autre part, le concessionnaire doit exercer l’essentiel de son activité pour elle.

Le principe de ce 3ème scénario alternatif à la mise en concurrence est de proposer un schéma qui respecte les critères jurisprudentiels de l’exploitation « in-house ». L’activité hydraulique d’EDF serait filialisée, puis rachetée par l’État et transformée en établissement public.

Un établissement public dont l’activité exclusive est l’exploitation des concessions hydroélectriques et qui n’entre pas en concurrence avec d’autres producteurs remplit l’ensemble des critères pour être déchargé de l’obligation de publicité et de remise en concurrence. Cette solution est donc parfaitement compatible avec le droit communautaire.

Les avantages de cette solution sont assez similaires à ceux de la solution précédente. Comme dans le deuxième scénario, il est possible de faire profiter de la rente hydraulique les consommateurs et les électro-intensifs.

Alors que dans le système de mise en concurrence, le concessionnaire qui remporte l’appel d’offre, moyennant le paiement d’une redevance, peut bénéficier de l’électricité produite à sa guise, l’établissement mettrait cette électricité à disposition des consommateurs, selon deux directions : par la vente à EDF de 75 % de son électricité, à la condition qu’elle serve à alimenter les clients au tarif réglementé de vente ; par l’intégration à l’ARENH des 25 % restants.

L’hydroélectricité continuerait donc de tirer à la baisse les tarifs des ménages. Dans le même temps, en laissant aux électro-intensifs l’accès à l’ARENH, ces derniers pourraient bénéficier d’une électricité en période de pointe au coût de production. Du point de vue de la maîtrise des prix de l’électricité, ce 2ème scénario s’avère donc particulièrement convaincant.

Deuxième avantage : ce scénario permet d’associer directement les collectivités territoriales à la gestion de l’opérateur unique des concessions.

La création d’un opérateur dédié à l’exploitation des concessions serait l’occasion de renouveler la gouvernance des cours d’eau. Le modèle de la CNR pourrait être transposé à l’identique. Il pourrait être envisagé la présence des élus locaux au conseil d’administration national et aux conseils locaux ainsi que le financement de missions d’intérêt général, dont le contenu ferait l’objet d’un travail de concertation.

Que l’opérateur soit spécialisé, et non une simple branche d’activité d’EDF, favoriserait également la prise en compte de la problématique environnementale.

Troisième avantage : se donner un contrôle total de l’outil de production hydroélectrique dans la perspective de la transition énergétique.

L’exploitation en quasi-régie sous la forme d’un établissement public constituerait une garantie particulièrement forte de maintien du contrôle public des ouvrages hydrauliques. A terme, il n’y aurait pas non plus de concurrence entre opérateurs situés sur une même chaîne, l’ensemble des ouvrages étant destinés à intégrer le portefeuille de l’établissement public.

Dans un contexte de libéralisation croissante, la sanctuarisation du contrôle public sur les actifs stratégiques que sont les barrages constitue une garantie forte.

Quatrième avantage : régler dès aujourd’hui l’avenir de l’ensemble du parc hydroélectrique. L’établissement public serait doté du portefeuille de contrats de concession auparavant propriété d’EDF. Chacun de ces contrats pourrait être renouvelé à échéance, du fait de l’exonération de l’obligation de mise en concurrence. Dans le schéma proposé, nous avons donc la garantie que le parc hydraulique sera exploité par le même acteur, et ce sans limite de durée.

Cinquième avantage : donner aux salariés de l’hydroélectricité une perspective claire sur leur avenir. Selon l’article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par cession, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Toutefois, avant que la cession n’intervienne, il est possible de signer un protocole d’accord qui prévoie un droit de reprise. Lors du changement de contrôle de la filiale hydroélectricité, les salariés auraient le choix de rester salariés d’EDF ou bien de changer d’employeur au moment du transfert des ouvrages.

De ce point de vue, la situation peut sembler proche du schéma d’une mise en concurrence classique. Cependant, la différence d’approche serait bien différente car ils auraient la possibilité d’intégrer un opérateur national, spécialisé dans l’hydroélectricité, exploitant l’ensemble du parc, et non un énergéticien étranger, ayant la concession d’une poignée d’ouvrages en France et disposant de la plupart de ses fonctions support hors des frontières.

Dernier avantage : animer la concurrence du marché de l’électricité, selon les vœux de la Commission européenne, par l’intégration de 25 % de l’électricité produite à l’ARENH. Il est probable que cette solution satisfasse davantage les desseins de la Commission européenne que la remise en concurrence des concessions, dont l’issue est aléatoire. Après tout, rien n’exclut que les concessionnaires sortants remportent tous les appels d’offre !

Les inconvénients de cette solution sont au nombre de deux. Le premier est le coût du rachat par la puissance publique. Cette solution imposerait le rachat de l’activité hydraulique d’EDF par l’État. L’actif des concessions hydroélectriques est valorisé à 7,2 milliards d’euros dans le bilan d’EDF, dont l’État possède 84 % du capital. Le coût net d’un tel rachat s’élève donc à 1,150 milliard d’euros.

Le second est la perte de l’activité hydroélectrique pour EDF. Il est clair qu’une telle solution demanderait de gros efforts d’adaptation de la part de l’entreprise EDF, qui a déjà été fortement déstabilisée par les règles issues des directives européennes en matière d’énergie.

Cette évolution n’en est pas moins réalisable : c’est le processus qui a donné lieu à la CNR telle que nous la connaissons aujourd’hui, c'est-à-dire un exploitant d’électricité indépendant, disposant de sa propre salle de marché.

Dernier scénario : passer du régime de la concession à celui de l’autorisation pour évoluer vers la création d’une société bâtie sur le modèle de la CNR.

Si le régime de la concession est soumis à des obligations de remise en concurrence, rien n’est prévu pour des ouvrages qui seraient la propriété de l’exploitant. C’est grâce à ce régime que la plupart des grands pays européens de l’hydraulique arrivent à échapper à l’obligation de remise en concurrence.

En France, seules les installations d’une puissance inférieure à 4,5 MW sont soumises au régime d’autorisation. Le principe de ce troisième scénario serait de l’étendre à l’ensemble des installations hydroélectriques.

Une fois de plus, nous nous sommes inspirés de mécanismes qui avaient déjà été utilisés auparavant, en l’espèce à deux reprises : lors du transfert à EDF de la propriété du réseau de transport d’électricité (article 4 de la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997 portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier) ; lors du transfert à GDF du réseau de transport de gaz (article 81 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de Finances rectificative pour 2001).

Trois étapes seraient nécessaires. D’abord, la résiliation de l’ensemble des contrats de concession et le paiement d’indemnités d’éviction au concessionnaire sortant. Le calcul des indemnités serait réalisé par un magistrat de la Cour des comptes (tel que c’était prévu lors du transfert à GDF du réseau de transport de gaz). Ensuite, le transfert des actifs hydrauliques à une « compagnie nationale hydraulique », dont les statuts prévoient qu’elle doit rester majoritairement publique. Enfin, la prise de participation du concessionnaire sortant dans la société créée, sur le modèle de la CNR – dont GDF détient actuellement 49,9 % du capital.

Les avantages de cette solution, sont proches de ceux de la solution précédente. Le premier est de faire profiter de la rente hydraulique aux consommateurs et aux électro-intensifs, selon le même schéma que dans le scénario précédent.

Le deuxième avantage est de régler dès aujourd’hui l’avenir de l’ensemble du parc hydroélectrique. Le passage à un régime d’autorisation nous libèrerait de la question du calendrier d’échéance des contrats de concession. Désormais, l’exploitation des ouvrages serait confiée à la compagnie nationale hydraulique sans limite de durée.

Le troisième avantage est d’associer directement les collectivités territoriales à la gestion de l’opérateur unique des concessions. Il pourrait être envisagé le même type de participation des collectivités territoriales que dans la solution précédente : une présence au conseil d’administration de la compagnie nationale et un financement de missions d’intérêt général, dont le contenu serait défini en concertation avec les collectivités.

Le quatrième avantage est de se donner un contrôle total de l’outil de production hydroélectrique dans la perspective de la transition énergétique. Si la formule d’une compagnie nationale donne moins de garanties que celle d’un établissement public, elle présente tout de même l’avantage de maintenir le principe d’un exploitant national du parc hydraulique.

Le cinquième avantage est de donner aux salariés de l’hydroélectricité une perspective claire sur leur avenir. Ce schéma offrirait une configuration favorable aux salariés. Conformément au droit du travail, les contrats de travail seraient transférés au nouvel employeur, tandis que la présence au capital d’EDF faciliterait les passerelles entre les deux entités, leur garantissant ainsi des possibilités d’évolution de carrière intéressantes.

Dernier avantage, cela animerait la concurrence du marché de l’électricité, selon les vœux de la Commission européenne. Comme dans la solution précédente, le fait d’alimenter l’ARENH avec l’électricité hydraulique offre des possibilités supplémentaires aux fournisseurs alternatifs de concurrencer l’opérateur historique.

Cette solution présenterait un seul inconvénient : la sortie du régime de la concession. La sortie du régime de la concession signifie que l’État perd la propriété des actifs hydrauliques. Le risque est qu’en cas de privatisation de l’établissement, ces actifs soient cédés à un opérateur privé. Si un tel risque ne doit pas être sous-estimé, rappelons tout de même que le réseau de transport d’électricité qui constitue un enjeu de sécurité et d’indépendance nationale encore plus important, est lui aussi sous le régime d’autorisation. De plus, il est possible d’envisager des dispositions législatives imposant que le capital de la compagnie nationale créée soit à majorité publique. L’introduction de plusieurs acteurs au capital de la société (CDC, collectivités, EDF) et l’attribution à l’État d’une action spécifique – golden share –pourraient également constituer des garanties.

Mes chers collègues, nous avons terminé la présentation des solutions alternatives que nous avons élaborées, en espérant que cette présentation ne vous ait pas paru trop complexe. Il nous semblait essentiel, dans un contexte de fort développement des énergies renouvelables, de garder la maîtrise de notre outil de production hydraulique, seul moyen de stockage dont nous disposons aujourd’hui. Enfin, est-il besoin de rappeler le précédent de la libéralisation des concessions autoroutières, récemment mis en exergue par la Cour des comptes ? Nous ne sommes pas obligés de répéter nos erreurs…

En conclusion, je souhaiterais remercier le président François Brottes, qui était déjà convaincu de la nécessité de creuser d’autres pistes au moment du lancement de la mission, qui a été à l’écoute de nos demandes de report et qui nous a accompagnés dans cette difficile tâche sans jamais remettre en cause la confiance qu’il nous portait.

M. le président François Brottes. Merci pour ces mots agréables. Je voudrais d’abord saluer le travail considérable effectué par nos rapporteurs et notre équipe, d’autant que nous n’avons pas eu toutes les aides qu’on pouvait attendre : quand on va fouiller dans des coins où personne n’a envie d’aller chercher, les choses sont parfois un peu compliquées.

Je vous propose que chacune de la dizaine de questions d’une minute prévues puisse être posée et que l’on fasse ensuite une coupure, Mme Battistel répondant lors de l’audition du ministre, lui-même pouvant alors donner le point de vue du gouvernement.

Mme Michèle Bonneton. Une question préalable : doit-on se prononcer sur un ou des scénarios ici en commission ?

M. le président François Brottes. Non, il s’agit d’un travail d’investigation fait par une mission, rendu à la fois pour nous et pour le gouvernement. Il n’y a pas de choix particulier à effectuer ce soir. L’ensemble des avantages et inconvénients sont présentés de la manière la plus objective possible. Cela permet d’alimenter la réflexion, mais il n’y a pas de vote sur le rapport.

Mme Frédérique Massat. Merci aux rapporteurs de nous avoir présenté, dans un contexte difficile, un rapport "costaud" quant à ses implications. Malgré l’objectivité de la présentation des avantages et inconvénients des différents scénarii, on peut quand même déceler votre préférence, notamment pour la rapporteure de la mission. Surtout en ce qui concerne les numéros 2 et 3, quel serait l’impact sur les territoires de montagne, sur les élus, les populations et les consommateurs, ainsi que l’impact social ?

M. Antoine Herth. Merci pour ce travail et merci monsieur le président de nous donner l’occasion d’enrichir nos connaissances avec ce genre d’investigation. Je regrette à chaque fois que notre commission ne s’appelle plus « Production et échanges ». Car la question demeure : voulons-nous que la richesse d’un pays, sur le long terme, se fasse sur la production ou sur les échanges ? La commission européenne, évidemment, a choisi les échanges. Je pense, comme d’autres dans cette salle, qu’il ne faut pas oublier la production et peut-être même qu’il faut lui donner la priorité. Ce rapport nous permettra-t-il d’engager un dialogue avec le gouvernement pour qu’en découle une stratégie de long terme en faveur de la production électrique et pas seulement du commerce ?

M. le président François Brottes. Vous pourrez poser la question au ministre dans la foulée ce soir.

Mme Michèle Bonneton. Il s’agit de l’eau : ce n’est pas n’importe quel sujet. Nous devons raisonner sur le long terme sur une ressource très particulière. Il est indispensable de penser à préserver l’avenir par une gestion collaborative avec tous les acteurs, à ajuster au fil des années. Il faut à notre avis préserver le contrôle public de cette ressource fondamentale et stratégique pour qu’un seul opérateur ne puisse s’en emparer, donner des perspectives claires pour les salariés et assurer un prix de l’électricité tiré vers le bas pour les ménages et les électro-intensifs. Il me semble que le scénario 1 ne répond pas du tout à ces objectifs. De même le scénario 4 implique-t-il des risques trop importants de perte du parc hydroélectrique en cas de privatisation. Donc, reste pour nous, si choix il doit y avoir, les scénarios 2 et 3. C’est particulièrement regrettable que le gouvernement ait quasiment déjà annoncé son choix. Comment faire pour lui exprimer de façon claire et forte le nôtre ?

M. le président François Brottes. Vous êtes là tout à l’heure j’imagine.

M. Joël Giraud. Je remercie les rapporteurs, ainsi que le staff technique, réduit à une personne, pour un travail indispensable parce que l’eau est vraiment notre patrimoine le plus précieux. Les installations hydroélectriques dont nous sommes les dépositaires sont un patrimoine de très grande valeur. Elles ne doivent pas devenir des installations hors sol parce qu’elles sont liées à des ressources, à des investissements, à des enjeux économiques et touristiques locaux. Sans tomber dans le panneau du protectionnisme et du repli sur soi, il faut obtenir des garde-fous, imaginer des outils de gestion et d’exploitation pertinents et innovants comme vous l’avez fait. L’expérience nous montre qu’un cahier des charges n’est pas l’outil le plus performant pour garantir la qualité d’un dialogue et d’une concertation, surtout dans un pays comme la France, où la culture du cahier des charges est un petit peu défaillante. Vous proposez des pistes, des montages juridiques, etc. Il ne faut tout simplement pas court-circuiter le temps du débat, comme l’a dit Michèle Mme Bonneton. Je regrette que le gouvernement ait fait des annonces ; nous devons recevoir les ministres en charge de ce dossier, le ministre de l’écologie et le ministre de l’économie et des finances, de façon à ce que le temps du débat se fasse maintenant en commission.

Mme Béatrice Santais. Je voudrais m’associer à toutes les félicitations : avoir cherché le sens politique des choses sans se retrancher derrière l’argumentation juridique européenne très contrainte et frustrante était un beau travail. Ma seule question : et maintenant ? Après ces propositions très élaborées, innovantes et courageuses, que va-t-il se passer à la fois avec le gouvernement et avec l’Europe pour aboutir à une vraie solution nouvelle pour la France ?

M. Dino Cinieri. À mon tour je salue le travail des rapporteurs. Notre opérateur historique a démontré sa compétence en matière de sécurité des installations hydroélectriques. L’ouverture à la concurrence ne risque-t-elle pas d’affecter le niveau de sécurité des barrages ? Tout candidat à l’attribution d’une concession devrait être au minimum à 70 % public, ce qui obligerait un exploitant étranger qui souhaiterait pénétrer ce marché à intégrer un consortium avec un établissement public. Il en va de la pérennité de notre avenir économique et social. Enfin, qu’en est-il de la réciprocité avec les pays étrangers ?

Mme Delphine Batho. Je voudrais saluer le travail remarquable des rapporteurs. C’est l’archétype du sujet sur lequel existe une tendance à vouloir imposer l’idée qu’il n’y aurait qu’une seule politique possible. La démonstration a été faite que des alternatives existent. L’hydroélectricité est un trésor national que l’on ne peut libéraliser, encore moins au moment où l’on veut engager la transition énergétique. Je salue en particulier la démonstration faite au sujet des impacts tarifaires et des impacts sur la production industrielle. Il s’agit d’un apport décisif qui, je l’espère, permettra au gouvernement de reconsidérer sa décision. Lequel des trois autres scénarios auriez-vous tendance à considérer comme étant la solution à retenir ?

M. Michel Sordi. Moi aussi je remercie les rapporteurs. Il y a sur le territoire deux poids deux mesures. Sur le Rhône, la compagnie nationale du Rhône verse des redevances aux collectivités. Y a-t-il également reversement sur le Rhin ? Si tel n’est pas le cas, nous payons deux fois l’addition : non-reversement aux collectivités de redevances sur les barrages ; projet de fermeture de la centrale de Fessenheim nous privant de retombées fiscales.

Mme Marie-Lou Marcel. Je m’associe aux remerciements pour le formidable travail effectué. La libéralisation de l’énergie représenterait une perte d’autonomie et de maîtrise de l’énergie, qui pourrait se comparer à une délocalisation virtuelle. Il n’y aurait pas de recettes avant 2017 au plus tôt, si ce n’est 2020 ou 2021. Ne peut-on envisager un prolongement des concessions qui permettrait à l’opérateur historique de réaliser les projets ? Deux milliards d’euros d’investissements sont bloqués sur le Lot et sur le Rhin (un milliard sur chacun de ces secteurs) : une simple prolongation avec l’opérateur historique permettrait de réaliser ces investissements. Les grands barrages font de l’électricité, mais ont aussi une vocation dans le cadre des débits d’étiage, de l’irrigation et du tourisme. Toute une économie est liée à ces concessions.

M. Alain Marc. Dossier complexe ; rapport remarquable. Je soutiendrai quant à moi toutes les propositions que vous ferez : il n’y a pas lieu de faire de politique politicienne. L’opérateur historique est excellent. Quand la décision sera-t-elle prise ? Des collectivités attendent la redevance. Certaines installations sont arrivées au terme de leur concession. Quel que soit le scénario choisi, les concessionnaires qui ont vu leur concession prolongée devront-ils s’acquitter de la redevance pendant cette période intermédiaire ? Nous attendons cela avec impatience. Le département de l’Aveyron a vu, dans le domaine social, la facture passer de 140 à 152 millions d’euros : la redevance sera la bienvenue.

M. Jean-Luc Laurent. Moi aussi je voudrais me joindre aux félicitations pour les deux co-rapporteurs. Je constate la nécessité de contrer cette pensée unique européenne d’une mise en concurrence, cette fameuse « concurrence libre et non faussée » qui met en cause et l’intérêt national et un atout productif au moment où il faut se battre pour remonter la pente de la réindustrialisation de la France. Je ne comprends pas pourquoi on se priverait ou on dégraderait l’atout que constitue la filière de l’hydroélectricité. Cela mettrait en cause l’indépendance de la France, mais, au-delà même, cela conduit l’Union européenne à une forme de dépendance qui a été fort bien montrée par les deux co-rapporteurs, puisque cela ferait entrer des opérateurs extérieurs. Les propositions alternatives qui sont faites permettent de maintenir une énergie à bon marché, ainsi que le contrôle public et la sécurité de l’approvisionnement. Il y a un enjeu de souveraineté. Je ne peux partager les déclarations du gouvernement. Alors même que nous avons engagé un travail au niveau parlementaire, la moindre des choses était d’attendre avant de prendre des initiatives intempestives. Ma liberté d’expression, reconnue au sein du groupe SRC, me permet de le dire, et peut-être de le dire plus fortement. Les options 2 et 3 apparaissent les meilleures. Mais une autre solution serait d’en rester au dispositif actuel, avec la poursuite de la durée de concession. Cette piste n’est-elle pas à creuser davantage ?

M. le président François Brottes. Devant l’heure avancée, je vous propose que les rapporteurs répondent aux questions lors de la séance de ce soir.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 17 septembre 2013 à 18 heures

Présents. – Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Franck Gilard, M. Joël Giraud, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier

Excusés. – Mme Corinne Erhel, Mme Laure de La Raudière, M. Lionel Tardy, Mme Clotilde Valter

Assistait également à la réunion. – Mme Delphine Batho