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Commission des affaires économiques

Mardi 1er octobre 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 3

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du Redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, sur le dividende numérique et le très haut débit en France

La commission a auditionné Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du Redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, sur le dividende numérique et le très haut débit en France.

M. le président François Brottes. Madame la ministre, la Commission des affaires économiques est heureuse de vous accueillir pour aborder avec vous tous les sujets qui font l’actualité dans le domaine des télécoms, notamment le déploiement du haut débit et le dividende numérique. Le partage de fréquences entre le champ des télécommunications et celui de l’audiovisuel n’est jamais facile à organiser, mais nous sommes habitués à cette dualité d’enjeux.

Je rappelle à ce propos que deux membres de notre commission, Mme Laure de La Raudière et Mme Corinne Erhel, siègeront au sein de la nouvelle commission du dividende numérique, chargée d’attribuer les « fréquences en or ». Le secteur des télécommunications, qui relève d’une régulation très spécifique en France et en Europe, ménage encore quelques inquiétudes sur le plan social : c’est là encore l’un des sujets que nous aurons à aborder.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Je suis heureuse de pouvoir présenter à votre commission l’avancement de la politique du Gouvernement en matière de déploiement du très haut débit. Je présenterai également le déploiement du très haut débit mobile, compte tenu de la forte accélération que connaissent depuis quelque temps les investissements dans le réseau 4G. J’évoquerai enfin le deuxième dividende numérique.

Je rappellerai tout d’abord que les progrès très rapides du plan France Très haut débit témoignent d’un véritable engouement des territoires pour le déploiement du très haut débit, qui répond à une demande de nos concitoyens.

Depuis cinq mois, nous avons mis en place, comme nous nous y étions engagés, la mission Très haut débit, qui parcourt l’ensemble des territoires à la rencontre des élus, avec des moyens encore maigres, mais qui vont croissant. Cette mission a pour objet de faciliter l’instruction technique des dossiers pour les réseaux d’initiative publique et l’instruction financière déterminant le niveau de subvention auquel ont droit les collectivités présentant des projets. Elle propose également un accompagnement et un conseil financier aux collectivités désireuses de souscrire des prêts financés sur les fonds d’épargne

À ce jour, la mission Très haut débit a reçu près de 40 projets, couvrant une cinquantaine de départements, et 80 % des départements auront probablement déposé des projets d’ici à la fin de l’année. Le Premier ministre a validé l’engagement final pour la région Auvergne, d’un montant de 58 millions d’euros, soit une hausse de 65 % par rapport à ce que prévoyait le cadre précédent, le Plan national très haut débit. Six nouveaux dossiers, déposés par l’Oise, la Mayenne, l’Eure-et-Loir, le Doubs et la Somme, viennent d’obtenir l’engagement financier de l’État, pour un volume de 150 millions d’euros.

En réponse au souhait des collectivités de rendre les engagements des opérateurs plus contraignants, le mode de contractualisation retenu est celui d’une convention-type entre l’État, les collectivités porteuses de projets et les opérateurs, qui confère plus de solennité aux engagements pris par ces acteurs de tout mettre en œuvre pour une couverture rapide et efficace en très haut débit. Des avancées réalisées ce week-end encore de la part des opérateurs permettent à ce texte de répondre aux demandes des associations de collectivités locales et des collectivités elles-mêmes.

Cette convention présente des engagements significatifs de la part des opérateurs en termes de transparence sur les calendriers, sur les déploiements concrets qui sont réalisés et sur les modalités et les délais de raccordement des clients.

Elle met également en œuvre des concertations locales sur la priorité éventuellement donnée à certaines zones dans lesquelles les opérateurs vont déployer leurs réseaux, comme les zones mal couvertes en haut débit ou les zones très rurales. Concrètement, cela signifie que les élus ont leur mot à dire sur l’ordre dans lequel les zones sont couvertes par les opérateurs.

L’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse de l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (AVICCA) de l’Association des régions de France (ARF), de l’Assemblée des départements de France (ADF), de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF) ou de l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), peuvent être satisfaites du résultat de cette concertation, qui représente une avancée significative par rapport aux conventions présentées précédemment. J’aurai bientôt le plaisir de signer avec Mme Martine Aubry la première convention de ce type pour la communauté urbaine de Lille Métropole.

La mobilisation dans les territoires doit se poursuivre. L’un des cinq volets mis en avant dans le cadre des contrats de plan État-région est celui du numérique dans toutes ses dimensions : infrastructures, écosystèmes et usages. C’est un signal positif très fort.

C’est aussi l’occasion pour le Gouvernement de mobiliser les préfets de région pour avancer sur ces sujets. J’ai demandé aux préfets, lors d’une réunion qui s’est tenue la semaine dernière à Matignon, d’organiser la mobilisation pour que l’ensemble des départements fassent remonter des projets relatifs au très haut débit d’ici à la fin 2014.

Pour ce qui concerne le déploiement du très haut débit mobile, on observe, près d’un an après les décisions prises par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et par le Gouvernement – notamment l’attribution à Bouygues Telecom de la bande des 1 800 mégahertz (MHz) pour le déploiement de la 4G et les conditions financières afférentes –, un retour à la création de valeur et d’emplois. C’est bon signe. La rapidité avec laquelle les opérateurs ont investi dans les réseaux 4G montre bien que cette décision a mobilisé les énergies et les moyens financiers pour permettre à l’ensemble de nos concitoyens d’avoir accès au très haut débit mobile. Ce service est une véritable innovation et, en dépit de certains sondages selon lesquels les consommateurs ne souhaiteraient guère s’y abonner, leur adhésion sera massive lorsqu’ils auront pris conscience de la rapidité avec laquelle permet désormais de télécharger ou d’envoyer des fichiers lourds. Il s’agit là pour les télécoms d’une vraie bouffée d’air après une période d’importantes difficultés financières.

Pour ce qui concerne la bande de fréquences des 800 MHz, utilisée pour la 4G par Orange et SFR – elle aussi une « fréquence en or » permettant une très bonne pénétration dans les immeubles et des communications de bonne qualité –, les conclusions de l’expérimentation que nous avons menée à Saint-Étienne sont très positives : les brouillages affectant les fréquences utilisées par la TNT ont pu être identifiés et traités très rapidement.

La décision de l’ARCEP d’accorder à Bouygues Telecom la diffusion de services 4G dans la bande des 1 800MHz, dans des conditions financières intéressantes pour le budget de l’État, a contribué à relancer l’investissement. La couverture du territoire en 4G, qui est de 40 % pour SFR et Orange, est de 60 % pour Bouygues Télécom et devrait atteindre 75 % à 80 % d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine, ce qui met notre pays à l’égalité avec l’Allemagne, jusque-là en avance dans ce domaine.

On ne peut donc que se féliciter de cette évolution, qui laisse espérer que les opérateurs retrouveront des marges qui leur permettront d’investir, en particulier pour le deuxième dividende numérique, dans la bande des 700 MHz – autre fréquence d’excellente qualité.

Compte tenu de l’évolution des services mobiles, il est bon que nous ayons pu anticiper, grâce à la décision de principe prise par le Président de la République pour l’affectation de cette bande au secteur des télécoms. De fait, au-delà du trafic voix, un nombre croissant de personnes utilisent le téléphone mobile pour le transfert de données consommant de plus en plus de bande passante – qu’il s’agisse de regarder la télévision, de télécharger des albums de musique et des films ou d’envoyer des photos dans le cloud. Ces services ont vocation à se développer rapidement, comme l’illustre le rythme d’adhésion aux États-Unis, pays qui a précédé l’Europe en termes d’investissements dans la 4G et où la consommation double quasiment tous les ans. En Asie – notamment en Corée et au Japon, où je me suis rendue –, la 4G est déployée depuis très longtemps et de nombreux services, notamment de télémédecine, se créent par le biais de ces réseaux. Il existe donc dans ce domaine de considérables gisements de valeur, d’activité et d’emplois.

C’est pour anticiper ce progrès de la consommation de données sur les réseaux mobiles et grâce aux technologies de compression qui permettent aujourd’hui d’affecter aux chaînes de télévision des bandes de fréquence plus étroites que nous avons envisagé l’affectation de la bande des 700 MHz aux services de téléphonie mobile. La même décision a été prise non seulement par les États-Unis, mais aussi par les pays d’Afrique et du Maghreb, et l’Europe devrait également se prononcer en 2015 en ce sens, qui semble être celui de l’histoire.

Une réunion est prévue à Matignon dans les prochains jours, à laquelle participeront certains d’entre vous et plusieurs de vos collègues de la Commission des affaires culturelles et du Sénat, afin de présenter aux parlementaires l’état des travaux en cours sur ce dossier. Le Premier ministre arbitrera ensuite sur la date de libération de la bande de fréquences. J’y insiste : si la décision de principe a été prise par le Président de la République, les modalités financières techniques de la libération de la bande de fréquences et de sa cession aux opérateurs reste à discuter avec les parties prenantes – opérateurs, services de télévision et parlementaires – et feront l’objet d’une décision du Premier ministre au terme de cette consultation.

Les modalités sont une matière particulièrement technique : l’enjeu est d’assurer le passage de l’ensemble des chaînes existantes à la haute définition en économisant la bande de fréquences. Les différents scénarios sur lesquels nous avons travaillé en ce sens montrent que ce passage est techniquement faisable grâce à une compression qui pourra facilement être gérée en quelques années.

Se posera nécessairement la question du renouvellement du parc des récepteurs de télévision, qui sera plus ou moins rapide en fonction de la norme retenue au terme des discussions qui seront menées dans les prochaines semaines par les acteurs concernés avec les services de l’État.

On aurait tort d’opposer, comme on le fait parfois, le secteur de l’audiovisuel à celui des télécommunications, car chacun peut trouver un intérêt à l’affectation de la bande des 700 MHz au secteur des télécommunications. En effet, les industries des télécoms et de l’audiovisuel ne vont pas l’une sans l’autre : les fournisseurs d’accès bénéficient du fait que les consommateurs ont accès aux produits audiovisuels ou aux productions de l’esprit sur les tablettes et les terminaux, tandis que les producteurs de contenus bénéficient de l’accès à un public plus divers – a fortiori par le biais de la mobilité – grâce aux opérateurs de télécoms. Loin d’opposer ces deux secteurs, nous recherchons donc des modalités propres à préserver les intérêts de l’un et de l’autre, au grand bénéfice de nos concitoyens.

En outre, compte tenu des négociations qui vont désormais s’ouvrir à l’échelle européenne pour résoudre les problèmes de brouillage générés par des affectations différentes de fréquences dans des pays frontaliers, nous avions tout intérêt à anticiper cette décision, plutôt que de la subir. Le haut niveau d’exigence de qualité affichée par la France en matière d’infrastructures de long terme est par ailleurs un important élément de compétitivité et d’attractivité pour notre pays. Tous les sondages montrent en effet l’importance des infrastructures et réseaux de communication parmi les critères motivant l’installation d’un entrepreneur dans un pays plutôt que dans un autre. Enfin, les opérateurs ont besoin d’une visibilité à moyen terme pour anticiper les investissements financiers qu’il leur faudra consentir pour acquérir de futures bandes de fréquences.

J’en viens maintenant au principe de sobriété et à la protection des ondes, sujet sur lequel vous-même, monsieur le président, ainsi que Mme Laurence Abeille, êtes particulièrement impliqués. Cette question est liée à celle du déploiement de nouveaux réseaux.

En effet, le déploiement de ces nouveaux réseaux, qu’il s’agisse des réseaux de quatrième génération en cours de déploiement ou de ceux qui s’appuieront sur les fréquences 700MHz, nécessitera vraisemblablement le déploiement de nouvelles antennes, voire de nouveaux sites. Il est donc absolument nécessaire d’apporter rapidement une réponse globale quant au cadre de déploiement de ces réseaux, afin de prendre en compte les enjeux de sobriété, de transparence et de concertation.

Il faut distinguer deux sujets : le premier concerne le déploiement des infrastructures et des émissions électromagnétiques ; le second, les électro-hypersensibles. Le premier est une question d’acceptabilité sociale, tandis que le second est plutôt de nature sanitaire – raison pour laquelle je l’évoquerai plus brièvement.

Pour ce qui est du déploiement des infrastructures mobiles, et pour ce qui concerne les questions de transparence et de concertation, les travaux que vous avez menés, monsieur le président, dans le cadre du comité opérationnel (COMOP) qui a fait suite au Grenelle des ondes ont clairement fixé la voie et les amendements proposés par le Gouvernement lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Laurence Abeille visaient précisément à reprendre dans la loi les conclusions du rapport de ce comité.

Quant à la notion de sobriété, je m’étais engagée devant vous à approfondir le sujet pour vous apporter une réponse appropriée. Comme M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie vous en a probablement informés, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) publiera dans quelques jours la mise à jour de son rapport consacré aux ondes et, à la fin du mois, sera rendu le rapport de la mission que je m’étais engagée devant vous, dans l’Hémicycle, à mettre en œuvre.

Cette mission, confiée à MM. Jean-François Girard et Philippe Tourtelier, est en train de trouver un bon équilibre entre le développement des infrastructures dont notre pays a besoin pour assurer sa compétitivité et la nécessité d’un développement contrôlé des antennes, tout en remettant en perspective les effets de toutes les sources d’émissions, et non pas seulement des antennes.

Il importait en effet – et tel était le sens de la lettre de mission adressée à MM. Girard et Tourtelier, souligné du reste par une question de Mme Laure de La Raudière – de hiérarchiser les émetteurs d’ondes électromagnétiques afin de mieux informer nos concitoyens sur les degrés d’émission des différentes sources.

Le chemin que nous poursuivons est celui de la transparence et de la concertation, à l’image du mouvement qu’ont su initier Paris et des villes telles que Lille, Nantes et Strasbourg au moyen de chartes pour une meilleure acceptabilité des antennes de téléphonie mobile. Il nous faut privilégier un principe de modération en matière d’émissions d’ondes électromagnétiques. Nous pouvons aujourd’hui aller plus loin dans cette voie et généraliser ces pratiques. C’est là du reste une demande que les opérateurs sont en mesure d’entendre et d’appliquer.

Ces mesures, sur lesquelles travaille la mission menée par MM. Girard et Tourtelier et qui ont été présentées au groupe de liaison issue de votre Commission, devront être ancrées dans le paysage législatif et réglementaire. Je travaille par ailleurs, comme je l’ai déjà indiqué devant vous, à une loi numérique qui permettra d’accompagner d’une manière assez large et exhaustive les transformations de l’économie et de la société par le numérique. Le calendrier de cette loi n’est pas finalisé et des dispositions visant à la modération auraient toute leur place dans ce cadre législatif.

Pour ce qui concerne enfin les électro-hypersensibles, j’ai noté que l’ANSES a lancé le 3 juillet 2013 un appel à projets de recherche sur ce thème. Ces études doivent nous permettre d’améliorer notre connaissance de ces phénomènes que nous connaissons mal. Bien qu’il n’y ait pas encore de consensus scientifique en la matière, la souffrance ressentie par un certain nombre de personnes est réelle et il nous faut en tenir compte. Ma collègue Marisol Touraine, ministre de la santé, et moi-même devons, avec l’ANSES, trouver des solutions pour traiter cette douleur.

Mme Corinne Erhel. J’évoquerai trois points relatifs à votre projet de loi numérique.

Tout d’abord, le travail mené par notre Commission sur la question de la régulation a donné lieu à un rapport faisant apparaître la nécessité de concilier les intérêts du consommateur, ceux de la filière en matière d’investissement, d’emploi et d’innovation, et les objectifs de l’aménagement du territoire. Quelle suite souhaitez-vous y apporter, notamment pour clarifier le rôle de l’État et de l’autorité de régulation et pour hiérarchiser les nombreux objectifs de la régulation ?

Pouvez-vous, en deuxième lieu, nous indiquer les orientations que la France souhaite présenter en vue du projet de règlement européen, notamment en matière de régulation, de protection des données et de neutralité de l’Internet ?

En troisième lieu, il est clair que ce qui fait débat n’est pas la réallocation de la bande de fréquences des 700 MHz – car on sait que le trafic mobile sera au moins multiplié par 12 d’ici à 2018 –, mais le calendrier de cette réallocation. Là aussi, il faut concilier les intérêts de la filière et ceux du consommateur, tout en répondant aux inquiétudes des acteurs de l’audiovisuel. La place très importante qu’occupe le numérique dans les 34 plans que nous a présentés tout à l’heure M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, est une nouvelle preuve des besoins en termes de spectre.

M. Daniel Fasquelle. Le très haut débit est une bonne chose, mais n’oublions pas qu’un certain nombre de foyers de notre pays, notamment dans ma commune et dans ma circonscription, n’ont pas même accès au haut débit. Il faudrait donc d’abord résoudre ce problème. Quant au développement du très haut débit lui-même, pour lequel vous envisagez de faire appel aux collectivités locales, il présente un risque de traitement inégal sur le territoire national.

En deuxième lieu, de nombreux foyers de ma circonscription éprouvent de grandes difficultés à recevoir la TNT. Le développement de la 4G, qui permettrait de recevoir la télévision dans de bonnes conditions, est-il appelé à remplacer un jour la TNT ? On ne voit pas bien comment tout cela va se mettre en place. Mieux vaudrait donc traiter les vrais problèmes que sont ceux de l’accès au haut débit et à la TNT avant de développer de nouveaux réseaux et de nouvelles technologies.

Le projet de règlement européen sur le marché unique des télécommunications, dont vous ne parlez pas, est un projet majeur qui inquiète beaucoup, et à juste titre, les opérateurs français.

Comment réagissez-vous à l’annonce d’une nouvelle taxe sur les entreprises réalisant plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, qui affectera l’excédent brut d’exploitation (EBE) et frappera de plein fouet les entreprises du secteur, notamment celles qui développent des réseaux, car le calcul de cette taxe ne tient pas encore compte des amortissements, importants dans les bilans financiers de ces entreprises ? Ces dernières s’inquiètent de cette perspective. De fait, un taux de 1 % représente déjà des sommes colossales et l’on sait bien qu’une taxe créée avec un taux faible voit généralement ce taux augmenter par la suite. Vous devriez réagir avec les opérateurs de votre secteur pour leur éviter d’être touchés par cette nouvelle taxe. Celle-ci aurait dû s’accompagner d’une baisse de l’impôt sur les sociétés, mais cette baisse n’aura pas lieu.

Mme Jeanine Dubié. Le plan Très haut débit est ambitieux et a pour objectif de réduire l’importante fracture territoriale que fait apparaître l’aménagement numérique. Aujourd’hui, les opérateurs de très haut débit sont essentiellement attirés par les territoires urbains à forte densité démographique pour déployer la fibre optique, gage d’une rentabilité assurée à court et à moyen terme. Or, de nombreuses zones rurales et de montagne ne sont toujours pas éligibles au haut débit de qualité. On sait pourtant, et vous l’avez rappelé, que le très haut débit est un vecteur de croissance incontournable pour les territoires. C’est d’abord un outil-clé pour la compétitivité de nos entreprises, dont il facilite le développement commercial, mais c’est aussi d’un moyen fondamental de modernisation et de développement de nos services publics.

Dans les territoires ruraux et les zones de montagne, où la dispersion de l’habitat et le relief rendent les déploiements de nouveaux réseaux particulièrement coûteux, la puissance publique assumera seule de tels déploiements. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste regrette donc que l’accès à l’Internet à très haut débit n’ait pas été envisagé comme un service universel, c’est-à-dire un service de base offert à tous à des conditions tarifaires abordables et avec un niveau de qualité standard. L’État aurait pu en définir le cahier des charges et le confier, par délégation de service public, au mieux-disant des opérateurs candidats. Ainsi, l’investissement aurait été optimisé, les marchés d’attribution transparents et l’État aurait pu procéder à une péréquation tarifaire entre les territoires, garantissant effectivement l’égalité des territoires de nos concitoyens. Pourquoi ce choix a-t-il été définitivement écarté ?

Dans les zones peu denses, et notamment dans les zones rurales et de montagne, l’accès au très haut débit mobile ne sera-t-il pas un substitut à l’aménagement en fibre optique ?

Mme Laurence Abeille. Je m’associe aux observations de Mme Dubié. Il semble en effet que coexistent une très forte volonté de permettre à la population d’accéder au très haut débit et, dans les campagnes et les zones de montagne, des communications difficiles et un mauvais fonctionnement des systèmes existants. On voit donc mal comment s’organisera le déploiement du très haut débit, dont on peut craindre qu’il touche très prioritairement les zones déjà densément équipées en télécommunications, tandis que le mobile risque de s’implanter à la place des réseaux de fibre optique. Ces derniers coûtent en effet très cher, mais leur coût est néanmoins comparable à celui d’autres grands projets, comme la liaison Lyon-Turin. Or, cet accès aux communications serait peut-être plus utile en termes de service public pour tous.

Se pose également la question de la compatibilité entre les fréquences. Vous avez en effet indiqué que la réduction de la plage de fréquences consacrées à la TNT devrait permettre le déploiement de la 4G, mais la question est compliquée, car la population est encore équipée de téléviseurs relativement récents, du fait de la rapide évolution des technologies dans ce secteur. Le déploiement de la 4G ne les contraindra-t-elle pas à racheter successivement, dans les mois ou les années qui viennent, plusieurs types de téléviseurs ? Il semble que l’on privilégie Internet et que la télévision ne soit plus un secteur prioritaire.

Je vous remercie enfin des indications que vous nous avez fournies à propos de la sobriété et des ondes.

J’observerai pour conclure qu’il semble que le financement de ces opérations incombe aux collectivités territoriales, tandis que les profits iront aux opérateurs.

Mme la ministre. Madame Erhel, pour ce qui est d’abord de la clarification du rôle de l’État et de l’ARCEP dans la régulation, la démarche est aujourd’hui très pragmatique. L’important était de réaffirmer le rôle de pilotage qui incombe à l’État dans le déploiement du très haut débit, comme nous l’avons fait par le biais de la mission Très haut débit, laquelle deviendra peut-être un jour, comme l’a envisagé le Président de la République, une agence ou un établissement public. Il en va sensiblement de même pour le très haut débit mobile. L’ordonnance de simplification comportera certaines dispositions relatives au pouvoir de l’ARCEP et il n’est pas exclu que, dans le travail que nous menons sur le numérique, nous puissions à nouveau évoquer les suites qui pourraient être données au rapport dans le cadre de l’évolution de la législation. C’est là un point sur lequel nous devrons travailler dans les prochaines semaines avec les parlementaires intéressés.

J’ignore si le règlement européen que vous évoquiez est celui de Neelie Kroes ou le projet de règlement sur les données personnelles.

Mme Corinne Erhel. Celui de Neelie Kroes.

Mme la ministre. Si tel est le cas, je répondrai en même temps à la question de M. Fasquelle.

Je me suis assez longuement entretenue de cette question la semaine dernière avec mes homologues, qui semblent reconnaître assez universellement le bien-fondé des objectifs Mme Kroes – rattraper le retard de l’Europe en matière d’infrastructures 4G et de très haut débit fixe, relancer l’investissement des opérateurs et faire en sorte que ces derniers puissent concurrencer les grands opérateurs américains ou chinois.

En revanche, les solutions ou les instruments préconisés par la commissaire européenne pour obtenir ce résultat sont loin de faire l’unanimité parmi mes homologues. Nous sommes en effet dubitatifs lorsqu’on nous explique qu’il faut à la fois relancer l’investissement et réduire à zéro les frais de roaming. À quelques dispositions près, ce projet soumis aux parlements dans la hâte est loin de recueillir tous les suffrages, tant sur le fond que sur la méthode. La Grande-Bretagne a du reste émis sur ce projet de règlement une opinion assez critique et la position vers laquelle on s’oriente consistera sans doute à évoquer les sujets numériques sans réguler davantage le secteur des télécoms, au motif que quinze années de régulation n’ont pas produit de résultats à la hauteur des ambitions que l’on concevait voilà une dizaine d’années en la matière. Il conviendra donc de se donner plus de temps pour appliquer les derniers règlements et la dernière directive relative au prix de l’itinérance, sans voter dans la précipitation un texte de régulation des télécoms avant d’en avoir mesuré les conséquences sur le marché des télécommunications. Cette position de prudence sera probablement partagée par la plupart des autres grands pays avec lesquels nous avons échangé sur ces sujets.

Le Conseil européen de la fin de ce mois abordera bien évidemment d’autres questions, comme la fiscalité, la protection des données et la neutralité de l’Internet. Comme l’exprime un document diffusé à l’ensemble de nos partenaires européens, nous souhaitons promouvoir une réflexion sur la neutralité des plates-formes. De fait, au-delà de la neutralité des réseaux, les acteurs bénéficiant d’une position dominante dans les magasins d’application, les plates-formes de contenus vidéo ou les moteurs de recherche, tels qu’Apple, utilisent cette position dominante pour exercer ce qui est quasiment un droit de vie et de mort sur certains acteurs économiques latéraux ou dépendants de cette plate-forme pour exister ou avoir un modèle économique.

Cette situation heurte jusqu’aux plus libéraux de nos homologues et les Britanniques eux-mêmes sont disposés à ouvrir une véritable réflexion sur la neutralité de plates-formes. Dès lors qu’un opérateur occupe 98 % du marché et qu’il est indispensable de recourir à ses services pour accéder à d’autres services ou informations, cet opérateur devrait être tenu à certaines obligations. Une telle réflexion a vocation à prospérer.

Nous demandons également une révision du safe harbour, l’accord que nous avons conclu avec les États-Unis pour le transfert de données – je n’insisterai pas sur les raisons qui rendent opportune une telle révision. La dépendance dans laquelle nous nous trouvons vis-à-vis d’acteurs américains – et, dans une moindre mesure, asiatiques – est l’effet collatéral ou le symptôme d’une maladie : notre incapacité à créer une économie numérique performante en Europe. Nous n’aurions pas ces problèmes si nous avions su traiter cette question.

Pour ce qui concerne le haut débit de mauvaise qualité évoqué par M. Fasquelle et par Mmes Abeille et Dubié – et dont j’ai moi-même fait l’expérience jusqu’à une date assez récente –, le conventionnement doit définir avec les collectivités les zones qui doivent être couvertes en priorité par le très haut débit. Il revient donc aux collectivités de cibler les zones dépourvues d’un haut débit de qualité. L’objectif, je le rappelle, est un haut débit de qualité à l’horizon de cinq ans et le très haut débit à l’horizon de dix ans – car il serait inacceptable de demander tout simplement à certains de nos concitoyens d’attendre dix ans l’installation de la fibre. C’est également la raison de notre pragmatisme en matière de mix technologique, même si la fibre optique reste la technologie à privilégier.

M. le président François Brottes. En recourant dans l’intervalle à un filaire de bonne qualité et un peu « boosté » ?

Mme la ministre. Ce serait une solution plus acceptable que celle qui consisterait à faire attendre pendant six ou dix ans un triple play de qualité. Nous devons, je le répète, être pragmatiques et comprendre l’attente de nos concitoyens.

Bien entendu, le lancement du projet France Très haut débit ne signifie pas que tous les foyers seront équipés dès demain : il s’agit d’un projet d’infrastructure qui, comme le téléphone ou l’électricité, exige notamment des travaux de génie civil et ne saurait se déployer immédiatement. Des solutions d’attente n’en peuvent pas moins être mises en place pour répondre à l’impatience de certains territoires.

Pour ce qui est de l’articulation de la TNT et des fréquences affectées aux télécommunications, je rappelle que plus de 55 % de nos concitoyens accèdent aujourd’hui à la télévision par l’intermédiaire de leur abonnement ADSL. Ils n’en restent pas moins attachés à la possibilité d’accéder à des contenus audiovisuels sans abonnement. C’est là un point important et, au vu des problèmes de brouillage rencontrés dans la Manche et dans les Pyrénées orientales, M. Bernard Cazeneuve, ministre du budget, et moi-même avons reconduit un dispositif de subventions qui devait expirer le 15 mai dernier : ce dispositif est destiné à aider les ménages qui ne peuvent capter la télévision par les voies hertziennes et ne disposent pas d’abonnement ADSL à s’équiper de paraboles leur permettant de capter le signal par satellite.

M. Daniel Fasquelle. Des parties entières du territoire de ma circonscription du Pas-de-Calais sont privées de la TNT par le brouillage induit par les ondes venues de Grande Bretagne. Le recours à la parabole ne réglera pas ce problème. En effet, la parabole interdit par exemple de capter les éditions locales de France 3, auxquelles certains de nos concitoyens sont très attachés.

Mme la ministre. La gestion des brouillages aux frontières sera un point important des discussions que nous mènerons à propos de l’affectation de la bande des 700 MHz. Le dispositif de réception par satellite mis en place dans la Manche, où un brouillage se produisait les jours de beau temps, semble donner satisfaction. Si cependant certaines zones connaissaient des problèmes particuliers, nous pourrions bien évidemment les évoquer dans un cadre bilatéral.

Quant à la taxe sur l’excédent brut d’exploitation (EBE), elle a en effet un impact assez fort sur le secteur des télécommunications, comme du reste sur toutes les entreprises de réseau, dont EDF. Le secteur des télécommunications est déjà touché par une surfiscalité importante, de l’ordre de 900 millions d’euros, par rapport à d’autres entreprises. Je tiens donc – et c’est du reste un engagement du Président de la République – à ne pas augmenter la fiscalité affectée, c’est-à-dire prélevée sur le secteur des télécoms et affectée à d’autres secteurs, car elle ne correspond aujourd’hui à aucune logique économique. Au demeurant, s’il est vrai qu’un contribuable est assez fortement impacté par le projet de taxe sur l’EBE à un taux de 1 %, il est également vrai qu’il a aussi subi l’impact très positif du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). Nous réfléchissons parallèlement à la manière dont nous pourrions réduire d’autres formes de surfiscalité touchant le secteur des télécoms, comme la taxe Copé ou la taxe sur les services de télévision (TST), afin d’éviter d’alourdir la charge fiscale pesant sur les opérateurs de télécommunications à un moment où leur sont demandés d’énormes investissements d’infrastructures supposant qu’ils disposent de marges suffisantes. Cette taxe sera, en tout état de cause, discutée dans les jours ou les semaines qui viennent.

Madame Dubié, si nous avons renoncé à créer un opérateur unique – un « France fibre » –, nous avons modélisé, en commençant à travailler sur le déploiement du très haut débit, tous les scénarios. Celui qui consistait à scinder France Telecom en deux en séparant les infrastructures, comme cela a été fait pour ERDF ou RFF, aurait tout d’abord posé à l’entreprise d’importants problèmes sociaux liés à la gestion du changement. Surtout, ce modèle économique ne permettait pas de couvrir l’ensemble du territoire, car il n’était rentable que jusqu’à une couverture de 60 % à 70 %. En outre, certaines collectivités, comme l’Auvergne ou la Bretagne, étaient déjà assez largement engagées dans des projets qu’il aurait été difficile d’interrompre brutalement pour recommencer à zéro.

Nous avons donc préféré reprendre le cadre existant en limitant ce qui nous paraissait être des zones de faiblesse ou d’incertitude pour les collectivités, en renforçant les obligations des opérateurs et en assurant un financement pérenne sur toute la durée du plan. Celui-ci représente aujourd’hui un montant d’environ 20 milliards d’euros, dont un tiers financé par les opérateurs, un autre tiers avancé par les collectivités avant d’être remboursé par les opérateurs lorsque les activités seront devenues rentables et un troisième tiers constitué, pour couvrir ce qui n’est pas rentable, de subventions publiques. Ce dernier tiers, d’un montant de l’ordre de 6 milliards d’euros, sera partagé entre les collectivités et l’État, lequel apportera donc 3,3 milliards d’euros dont le financement est déjà précisément connu : il sera assuré par un résidu d’environ 900 millions d’euros du Fonds pour la société numérique, permettant d’engager les premiers réseaux d’initiative publique et les premiers schémas de déploiement puis, au moyen d’un véhicule financier qui reste à déterminer – budget de l’État, Caisse des dépôts ou Commissariat général à l’investissement –, par l’affectation des redevances liées à l’utilisation de la bande de fréquences des 1 800 MHz, payées aujourd’hui par Bouygues Telecom, au fonds destiné à financer la péréquation dans les zones les moins denses ou les moins rentables, soit 2,6 ou 2,7 milliards d’euros sur les dix prochaines années.

Pour ce qui est de savoir si l’accès au très haut débit mobile deviendra un substitut au très haut débit fixe, il est vrai que certaines zones seront couvertes par la 4G avant de l’être par la fibre et que le très haut débit mobile, qui offre un confort excellent, peut représenter une solution transitoire. Il ne peut cependant s’agir que d’une solution transitoire et l’État doit veiller à financer principalement des investissements visant à terme à apporter la fibre jusqu’à l’habitant. La partie du financement de la montée en débit sur le réseau cuivre, évoquée tout à l’heure, qui pourrait le cas échéant être financée grâce à des subventions de l’État, se limite à des investissements réutilisables ultérieurement pour tirer la fibre jusque chez l’habitant. Nous avons donc veillé à privilégier une technologie, même si le pragmatisme nous interdit de refuser à nos concitoyens l’accès à un haut débit de qualité dans l’attente du déploiement de la fibre.

Quant à savoir, madame Abeille, s’il faut privilégier Internet plutôt que la télévision, les usages évoluent et un nombre croissant de personnes – 55 % des usagers aujourd’hui – regardent la télévision par Internet. Il nous faut veiller à préserver pour nos concitoyens, au moins jusqu’à ce que les usages aient évolué, la capacité à regarder gratuitement la télévision sans abonnement. C’est là un scénario que nous avons envisagé, tout comme le renouvellement du parc d’équipement : tout cela se séquence dans le temps. L’expérience réussie de la gestion du premier dividende numérique, pour lequel le parc d’équipement a été renouvelé sur dix ans, avec trois ans de montée en charge et sept ans jusqu’à la disparition des anciennes normes, nous laisse penser que nous saurons assez bien gérer aussi la rotation du parc liée au deuxième dividende.

Quant au fait que les investissements iraient en priorité aux zones denses, c’est aux collectivités territoriales qu’il appartient de désigner, dans leurs schémas de déploiement et dans les conventions qu’elles passent avec les opérateurs, au besoin sous le regard de l’État, les zones qui ont besoin d’être équipées en priorité, avant les zones denses des centres-villes déjà bien couvertes en ADSL.

Mme Frédérique Massat. Le déploiement dans les zones de montagne a connu de réelles avancées. Où pouvons-nous trouver des informations sur les cinquante projets retenus ?

À la fin de 2012, en zone de montagne, 265 000 foyers étaient encore en zone blanche, non-éligibles à l’ADSL. Aujourd’hui encore, des départements tels que l’Ariège, la Lozère, l’Ardèche, la Corse et certains départements alpins présentent des taux de couverture Internet ne dépassant pas 55 % de leur territoire, ce qui correspond à un accès très inégal à l’Internet.

Aujourd’hui, 40 000 abonnés seulement utilisent le satellite pour avoir accès à l’Internet, mais sans doute pourrait-on encore travailler sur cette solution satellitaire, notamment dans les zones de montagne.

La montagne est du reste candidate à des expérimentations dans le domaine des technologies mobiles, en vue d’assurer un jour une égalité de traitement à l’ensemble de nos administrés.

Comment s’opèrera la mutualisation dans le domaine du déploiement de la 4G ? Des obligations seront-elles un jour définies par un texte pour contraindre les opérateurs – car il ne suffit pas de compter sur leur bonne volonté ?

J’ajoute pour conclure que les instances de concertation entre les habitants, les opérateurs et la puissance publique, instaurées sans caractère obligatoire, font cruellement défaut sur les territoires.

M. Antoine Herth. Ce débat présente deux hiatus. Le premier est que nos concitoyens considèrent l’accès à l’Internet comme un service public, alors qu’il s’agit d’un service commercial. Il faudra un jour clarifier ce point, car nos concitoyens interpellent parfois violemment les élus locaux, en particulier les maires. Certaines mairies s’efforcent de trouver des solutions, qui ne sont cependant que des pis-aller. Il s’agit là d’un vrai sujet politique, dont la préoccupation est partagée sur tous les bancs de notre commission, indépendamment des courants politiques.

L’autre problème est lié au schéma de déploiement de la fibre optique. Les collectivités deviennent prudentes, redoutant qu’une fois qu’elles auront investi dans la fibre optique, celle-ci ne soit dépassée par d’autres technologies. L’accélération de la révolution technologique fait peur.

M. Arnaud Montebourg nous a présenté au début de l’après-midi, parmi 34 projets industriels français, le paiement sans contact, qui devrait appliquer la technologie NFC. Ce projet bute cependant sur la tarification exorbitante pratiquée par les opérateurs pour ce type de transactions. Comptez-vous légiférer pour réguler cette situation ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Permettez-moi d’insister moi aussi sur la spécificité de la montagne.

Les 34 plans de reconquête industrielle que nous a présentés tout à l’heure M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, font une place significative au développement de l’offre industrielle française en matière d’e-santé, d’e-éducation, d’objets connectés, de services sans contact et de réalité augmentée. Avant tout, cependant, il faudra déployer les moyens nécessaires à la mise en place du très haut débit, notamment dans les territoires ruraux et de montagne, sous peine de ne pouvoir mettre en place partout la e-santé et la e-éducation, ce qui creusera encore les inégalités.

Vous avez évoqué tout à l’heure le calendrier de la convention type. Quelle échéance envisagez-vous pour ces zones ? Dans l’attente, le débit de connexion ADSL fait l’objet d’importantes disparités selon le lieu d’habitation : plus on est éloigné de l’émetteur, plus le signal est faible et le débit lent. Il en résulte, là encore, des inégalités territoriales, criantes en zone rurale et de montagne, mais aussi en secteur urbain entre les quartiers d’une même commune. Alors qu’ils acquittent des factures identiques pour un service différent, les clients concernés sollicitent une tarification progressive pour les foyers bénéficiant d’un débit limité. Envisagez-vous de soutenir auprès des opérateurs l’application de cette mesure dans l’attente du déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire national ?

M. Dino Cinieri. La Commission européenne a présenté un projet de règlement en vue de renforcer le marché unique des communications électroniques. Ce texte est désormais soumis à l’approbation du Conseil et du Parlement européen. Or, les acteurs des télécoms en France – qu’ils soient historiques ou alternatifs, qu’il s’agisse des entreprises ou du régulateur –, sont réservés sur ce texte qui complexifierait et fragiliseraient notre secteur sans s’attaquer aux sujets importants.

Le problème des opérateurs européens est en effet moins celui de la concurrence qui s’exerce entre eux que le fait qu’ils travaillent pour enrichir en amont les plates-formes de services américaines telles que Google, Facebook Amazon, Netflix ou iTunes et, en aval, les fabricants de terminaux tels que Samsung ou Apple. Ce phénomène s’accroît avec le temps et le projet de règlement n’y apporte aucune réponse. C’est un sujet qu’il faut traiter en urgence au niveau européen en agissant sur des points cruciaux – en assurant une protection des consommateurs contre le pouvoir croissant des fabricants, en interdisant les subventions aux terminaux mobiles ou, à tout le moins, en en limitant le montant, en uniformisant la fiscalité appliquée aux fournisseurs de services intra- et extracommunautaires et les obligations attachées à la diffusion audiovisuelle et en prévoyant une rémunération des opérateurs pour assurer l’acheminement des flux de données.

Les positions que prennent les acteurs américains se renforcent avec le temps et il est peu probable de voir émerger des concurrents européens à ces grandes plates-formes de services. C’est maintenant qu’il faut agir pour encadrer ces acteurs et ne pas leur abandonner l’avenir numérique des citoyens européens.

Mme Catherine Troallic. Pour ce qui concerne le dividende numérique, au-delà des ressources qui seront évidemment bienvenues pour l’État, comment veiller à ce que les gains technologiques et les biens d’usage profitent réellement à l’emploi dans notre pays ? Quel sera le niveau de vigilance du Gouvernement à ce titre au moment d’attribuer de nouvelles fréquences, notamment dans le choix des opérateurs ?

Par ailleurs, qui sera ou qui seront le chef ou les chefs de file dans le domaine de la très haute définition ?

Enfin, dans le cadre de l’attribution des fonds du Fonds national pour la société numérique (FSN), le couple Commissariat général à l’investissement et Caisse des dépôts semble souhaiter allouer les subventions à un seul porteur de projets, identifié pour chaque département. Or, certains départements, comme c’est le cas dans ma région de Haute-Normandie, notamment dans l’Eure, ont fait le choix de ne transférer au syndicat mixte que l’exploitation des réseaux, tout en permettant aux territoires de conserver la maîtrise d’ouvrage pour la construction de ceux-ci – les intercommunalités pour les réseaux de desserte et le département pour les réseaux de collecte. Le choix de cette gouvernance s’explique par une volonté d’impliquer et de responsabiliser les collectivités sur ce sujet et à chaque échelon. Malgré un risque en termes de cohérence, le choix eurois n’est pas mauvais et mérite réflexion. Il peut traduire un intérêt spécial et marqué pour cette question, avec la volonté d’avancer autrement, parfois peut-être plus rapidement.

Enfin, même si la prochaine conférence mondiale des radiocommunications ne doit se tenir qu’en novembre 2015, pourriez-vous évoquer rapidement les enjeux du deuxième dividende numérique, notamment ses avantages ?

M. Damien Abad. Madame la ministre, vous venez de nous décrire le « meilleur des mondes ». Dans mon département de l’Ain, en revanche, c’est plutôt Apocalypse Now. Vous dites que les élus ont leur mot à dire sur le déploiement un numérique et qu’il faut parfois inciter les opérateurs à intervenir sur des zones peu denses ou dans des zones rurales éloignées, mais la réalité est plus compliquée.

Mon département détient le record de contentieux sur la propriété des fourreaux, qui oppose souvent les collectivités locales et l’opérateur historique. Le Gouvernement va-t-il prendre des dispositions législatives dans ce domaine ? Nous avons eu des réunions au niveau de la préfecture de la région Rhône-Alpes et avons toujours attendu de connaître le rôle de l’État dans ce domaine.

Par ailleurs, la prudence des collectivités locales évoquée par M. Herth est certes liée en partie aux révolutions technologiques, mais en partie aussi au nombre d’abonnés. Il importe donc d’aider les collectivités, ainsi que les réseaux d’initiative publique (RIP), notamment dans le cadre du fonds de solidarité numérique. Il importe en effet que, même lorsque l’opérateur historique n’est pas présent sur un réseau, l’État puisse accompagner financièrement le déploiement de la fibre optique.

M. Fabrice Verdier. Comme mes collègues, je me réjouis de ce plan opérationnel et de son financement. Nombre de communes – pas seulement rurales, mais aussi urbaines et périurbaines – se plaignent de problèmes de téléphone et d’ADSL. Le cuivre n’est pas remplacé ni entretenu et on observe de la part de France Telecom un véritable manque de réactivité – voilà un an que j’attends des réponses de sa responsable régionale. Le très haut débit est certes très important, mais le service universel du téléphone que nous devons à nos concitoyens n’est pas pleinement opérationnel et un simple service à haut débit satisferait déjà bon nombre d’entre eux.

M. Hervé Pellois. Merci tout d’abord, madame la ministre, pour le courrier clair et bien documenté que vous nous avez fait parvenir le 18 septembre dernier.

Les collectivités bretonnes qui portent le déploiement du très haut débit dans les zones non agglomérées m’ont fait part de deux inquiétudes. Tout d’abord, elles doutent que le financement de 3,3 milliards d’euros de l’État soit suffisant et craignent que le chiffre de 20 milliards d’euros soit dépassé au niveau national. La proportion des financements restera-t-elle la même jusqu’en 2022 ?

Leur deuxième inquiétude tient au risque que les progrès réalisés à partir du cuivre via la technique VDSL2 n’en viennent à affaiblir la rentabilité des réseaux fibre et à retarder ainsi leur développement sur notre territoire.

M. Patrice Martin-Lalande. L’Internet est à la fois formidable du fait de ses progrès permanents et épouvantable parce que les calculs d’efficacité de l’investissement doivent constamment être remis en cause.

La première de mes préoccupations tient au faible taux d’abonnement dans les zones où la fibre est déployée – on a évoqué le chiffre de 20 % au niveau national. N’est-ce pas un paradoxe que d’avoir commencé l’équipement en fibres dans les zones déjà bien desservies en accès ADSL et en câble et ce paradoxe n’aura-t-il pas pour effet de différer l’investissement dans les zones moins denses, car les opérateurs ne récupéreront pas immédiatement les recettes qu’ils escomptaient ? Comme je le constate dans mon département, où je préside un comité de pilotage pour le schéma directeur d’aménagement numérique (SDAN), le VDSL2 qui vient d’être évoqué est perçu comme la promesse d’une satisfaction assez rapide dans un rayon d’un kilomètre autour de répartiteurs, mais le « fromage » dont bénéficieront les opérateurs dans ce périmètre sera autant de clientèle de moins pour la fibre, qui n’intéresse un opérateur en secteur rural qu’à partir de 3 000 prises. Je suis donc heureux pour une partie du territoire, mais très inquiet pour une autre partie.

En matière de téléphonie mobile, le déploiement de la 4G est calé au niveau national selon un calendrier prévu jusqu’à 2022 ou 2024, mais nous n’avons aucune assurance quant à ce déploiement dans les zones prioritaires au niveau départemental, ce qui nous prive, dans l’établissement de nos schémas départementaux, de toute prévisibilité quant à la possibilité de compter sur la 4G pour couvrir des zones où, par définition, la fibre est hors de portée financière.

Enfin, le Gouvernement ou l’Europe envisagent-ils de donner dans les prochains mois une suite au rapport Colin et Collin sur l’imposition des multinationales qui génèrent un chiffre d’affaires important en France et ne paient pas beaucoup d’impôts ?

M. le président François Brottes. Dans le même esprit, et puisqu’il est question de la régulation générale du secteur, la démarche engagée par la CNIL a-t-elle des chances d’aboutir ?

Mme Pascale Got. Madame la ministre, quelle est votre position sur la suppression des frais d’itinérance au sein de l’Union européenne – à laquelle le régulateur est opposé ?

Par ailleurs, les grandes firmes non communautaires du numérique, telles que Facebook, seront-elles taxées sur leurs dividendes parce qu’elles opèrent des transferts de données hors d’Europe, afin que le revenu de ces taxes soit partagé entre les États membres ?

M. François Pupponi. Au risque de casser l’ambiance, je tiens à dire que, si le discours que nous entendons est marqué par le volontarisme et la volonté d’aller de l’avant pour en finir avec la fracture numérique, ce qu’on observe dans les territoires, c’est l’anarchie – pour ne pas dire : la catastrophe. Les opérateurs, avec qui vous nous dites qu’il faudrait négocier, sont particulièrement irrespectueux des élus locaux, qu’ils traitent avec le plus grand mépris – je pense notamment à Free, qui a posé de la fibre optique sans la brancher et a disparu sans préciser quand le travail serait fini.

Certaines collectivités ont les moyens d’imposer leurs vues en payant, mais celles qui n’ont pas ces moyens sont complètement abandonnées. On trouve à 20 kilomètres de Paris des zones aussi mal couvertes que les montagnes et qui ne sont pas près de voir leur sort s’améliorer. N’y a-t-il pas moyen, dès lors que nous avons ménagé aux opérateurs une situation satisfaisante, de leur imposer au moins des relations différentes avec les collectivités locales, même si leur activité ne relève pas du service public ? Il faudrait pouvoir leur imposer des relations contractuelles, afin de savoir où nous allons.

Enfin, le classement des territoires opéré par l’ARCEP en fonction de leur densité est tout à fait opaque, les communes n’en sont jamais informées et elles ne savent même pas comment le contester. Il conviendrait que nous luttions contre cette opacité et que les opérateurs changent d’attitude. Peut-être le Gouvernement dispose-t-il d’un moyen de pression permettant d’améliorer la situation, y compris sur le plan des formes.

Mme Michèle Bonneton. Les investissements destinés aux infrastructures de haut débit feront apparaître une différence entre des financements privés destinés aux zones rentables et un financement par les collectivités territoriales destiné aux zones non rentables. On peut donc douter que les zones rurales soient couvertes dans des délais raisonnables : faudra-t-il attendre les dix ans que devrait durer le déploiement du plan – si tout va bien ? En effet, les collectivités rurales n’ont pas autant de ressources que les zones les plus denses et elles ont plus de charges à assumer, ne serait-ce que pour conserver quelques services publics, ce qui aggrave encore l’inégalité entre les territoires.

Cette situation ne pénalise pas seulement les habitants, mais aussi le développement de l’économie, car les ruraux sont de plus en plus nombreux à travailler à domicile et les très petites entreprises ont besoin d’un lien numérique performant.

L’architecture prévue garantit aux opérateurs des bénéfices dans les zones rentables. Une péréquation est-elle prévue pour partager les bénéfices avec les zones relevant de l’initiative publique, par nature non-rentables ?

Faut-il craindre que, dans les zones déficitaires, une fois le réseau mis en place par la puissance publique, la gestion en soit déléguée aux opérateurs privés qui, sans prendre en charge les coûts d’infrastructures, profiteraient des dividendes ?

Il faudra enfin veiller à ce que le développement des services publics numériques, dont le projet fait la promotion – notamment dans l’administration, les services médicaux et la e-éducation – soient un complément à l’existant et ne servent pas de prétexte pour supprimer une présence physique. Quelles assurances pouvez-vous nous donner à cet égard ?

Mme Monique Rabin. Merci, monsieur le président, de m’accueillir dans votre commission. Madame la ministre, j’ai eu l’occasion de vous entendre exprimer, dans le cadre du groupe ruralité, la chance que représentait cet investissement de 20 milliards d’euros. Dans ma circonscription aussi, où certaines zones situées à 20 kilomètres de Nantes sont très mal couvertes, de très petites entreprises sont régulièrement contraintes de quitter le territoire, faute de débit suffisant. C’est donc là une difficulté rencontrée sur tous les territoires, urbains comme ruraux.

Le chiffre de 3 milliards d’euros avancé pour la recette que l’État pourrait tirer du dividende numérique est-il confirmé ?

La taxe EBE frappant essentiellement les entreprises du numérique, ne serait-il pas utile d’investir pour financer des prêts bonifiés, accordés par exemple par la Caisse des dépôts sur les fonds d’épargne et destinés à aider les opérateurs à y faire face ? Je suis défavorable à une différenciation des taxes et considère que les entreprises du numérique doivent payer les mêmes taxes que les autres entreprises, mais des contreparties pourraient être bienvenues.

Enfin, puisqu’il est beaucoup plus difficile de poser une antenne-relais sur un terrain public que sur un terrain privé, où le seul poids de la collectivité s’exerce lors de l’octroi du permis de construire, ne faudrait-il pas envisager d’installer plutôt ces antennes sur des terrains publics ? C’est là une question d’une grande importance dans les zones rurales.

M. le président François Brottes. Le permis de construire ne peut pas être refusé si les normes d’énergie ou de volume sont respectées. Contrairement à ce que l’on croit parfois, les collectivités n’ont nullement un droit de vie ou de mort sur ces permis.

Je précise que la troisième réunion du groupe de suivi de notre Commission sur les ondes aura lieu le 9 octobre, juste avant la remise du rapport de la mission gouvernementale. La mission de Mmes Erhel et de La Raudière, qui a déjà procédé à une cinquantaine d’auditions, poursuit ses travaux et prévoit de rendre un rapport en décembre 2013, ce qui devrait permettre d’éclairer la réflexion du Gouvernement dans la préparation de son texte sur le numérique.

Mme la ministre. Madame Massat, nous pourrons bien évidemment vous transmettre une information sur l’avancement des projets retenus. Tel est d’ailleurs l’objet de l’observatoire du très haut débit que publiera très prochainement la mission sur le haut débit.

Nous sommes encore loin, avec 40 000 abonnés au satellite, d’avoir atteint le maximum possible, qui est de l’ordre de 200 000 ou 300 000. Des solutions pragmatiques devront assurément être retenues dans les zones dont le raccordement serait très coûteux ou très long, et nous y sommes très favorables.

Il me semble par ailleurs que l’un des opérateurs souhaite procéder à une expérimentation dans un village. Ce sera l’occasion de voir comment les services peuvent se déployer et comment on peut travailler à la fois sur les infrastructures sur les services. Je me ferai certainement une joie d’aller visiter le site de cette expérimentation.

L’Autorité de la concurrence, que nous avions saisie, a rendu récemment un avis confirmant la possibilité d’une mutualisation. Les opérateurs SFR et Bouygues Telecom ont du reste engagé des discussions visant à une mutualisation de certains investissements afin d’assurer un service de qualité pour tous à moindre coût pour les opérateurs. Cela posera sans doute la question d’un accord de même nature entre Orange et Free.

Monsieur Herth, il est vrai que l’Internet, à l’instar de la télévision, est perçu comme un service public. Peut-être peut-on trouver une manière d’expliquer à nos concitoyens qu’il s’agit de réseaux privés et de rappeler que le plan France Très haut débit repose sur une véritable logique industrielle, à la différence d’autres plans tels que le Plan câble. C’est la raison pour laquelle nous avons adopté une approche pragmatique et renoncé par exemple, comme je l’indiquais tout à l’heure, à créer un opérateur unique chargé de l’ensemble du déploiement. Ce dernier choix est celui qu’a fait l’Australie – qui présente des caractéristiques très différentes de celles de la France, notamment en termes de répartition de la population –, en créant un opérateur public, la société NBN, censé équiper l’ensemble du territoire en très haut débit au moyen d’un mix associant le satellite et la fibre. Il est cependant très vraisemblable que le nouveau gouvernement australien reviendra sur cette solution très contestée, en particulier par la population. Il est donc intéressant de voir que certains pays ayant fait un choix différent du nôtre soient en train de revenir sur leurs décisions.

Il n’y a pas de réponse certaine et absolue aux inquiétudes qui s’expriment quant à une obsolescence de la technologie de la fibre. Cette dernière, qui permet d’éviter les déperditions de signal liées à distance, est aujourd’hui la plus pérenne, la plus évolutive et la meilleure. Peut-être trouvera-t-on mieux dans 100 ou 200 ans, mais un consensus s’exprime pour y voir la technologie la plus pérenne dans les 10 ou 20 prochaines années. C’est précisément pour éviter l’obsolescence que notre pays a fait ce choix ambitieux tandis que d’autres pays, comme l’Allemagne, ont fait celui de la montée en débit, essentiellement pour des raisons de coût.

Pour ce qui est des solutions sans contact reposant sur la norme NFC il est certes possible d’avoir une discussion avec les opérateurs pour identifier les blocages. Cela pose la question plus générale de la normalisation, qui sera abordée dans le cadre du Conseil européen. De fait, cette norme n’est pas celle qui a été retenue aux États-Unis pour le paiement sans contact. La question est donc de savoir quelle est notre capacité à imposer nos normes, y compris aux constructeurs. Il nous faut donc à la fois travailler auprès des opérateurs pour obtenir des conditions tarifaires assurant le déploiement de ces services et nous efforcer de diffuser cette norme pour qu’elle soit utilisée par un grand nombre d’opérateurs et de fabricants d’appareils.

Madame Battistel, le calendrier de déploiement de la fibre dont s’accompagnent les conventions signées entre l’État, les collectivités et les opérateurs dans les zones rurales n’est pas encadré au niveau national, mais il doit être fixé localement, au cas par cas, en fonction des caractéristiques régionales. C’est ce qu’ont fait la Bretagne et l’Auvergne, qui ont défini des zones devant être équipées en priorité.

La tarification progressive, qui tiendrait compte de la situation des zones du territoire où la qualité du service est dégradée par rapport à celle du service proposé en centre-ville, s’applique déjà à la téléphonie mobile, mais ce n’est pas le schéma retenu pour le très haut débit fixe. Cette formule aurait du reste une incidence sur la neutralité. Mme Neelie Kroes a suggéré que les opérateurs proposent une tarification en fonction de la vitesse assurée à nos concitoyens, mais il me semble qu’il faut privilégier la rapidité du déploiement pour tous, sans créer des strates de tarification. Des tarifs sociaux existent déjà.

M. le président François Brottes. Faire payer plus cher ceux qui ont accès à un service de moindre qualité, c’est la péréquation à l’envers.

Mme la ministre. C’est la raison pour laquelle le déploiement doit être rapide.

Il est un peu tôt pour se prononcer sur les modalités précises de l’affectation des licences dans la bande des 700 MHz, qui doivent faire l’objet de l’arbitrage du Premier ministre. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir prochainement.

En matière de déploiement du très haut débit, l’échelon minimal est le département et nous offrons un bonus financier aux collectivités qui proposent un schéma collectif et harmonisé. Il n’y a donc pas à proprement parler de « chefs de file » : ce pourra être, selon les projets, tantôt la région, tantôt le département – mais pas en-dessous. Ainsi, les projets éligibles à un financement du FSN devront être au moins départementaux, les projets pluri-départementaux recevant en outre un bonus financier.

Les enjeux du deuxième dividende numérique dépendront de l’évolution des usages du téléphone et des tablettes mobiles, au moyen desquels un nombre croissant d’utilisateurs accèdent aux contenus – on constate en effet aujourd’hui une diminution des ventes d’ordinateurs. Dans certains pays qui ont pris de l’avance en matière de réseaux, ces usages explosent, qu’il s’agisse d’usages domestiques, commerciaux ou de services tels que la télémédecine. De fait, envoyer une image de scanner ou une radiographie à son médecin traitant ou à l’hôpital exige un débit important, qui nécessitera davantage de bande passante. Le fait que l’on sache aujourd’hui mieux compresser la télévision et l’acheminer dans de très bonnes conditions en haut débit sur des bandes de fréquences moins larges offre un intérêt économique qui répond aux demandes et à l’évolution du marché, permettant d’attribuer cette bande de fréquences aux opérateurs de télécommunications.

Monsieur Abad, je vous ai répondu par écrit à propos du contentieux suscité par la propriété des fourreaux. Rien ne permet aujourd’hui de nier qu’ils appartiennent à Orange et il est difficile d’envisager une expropriation.

Le modèle économique qui préside au déploiement du très haut débit suppose aussi que nous nous fixions et indiquions aux opérateurs un horizon pour l’extinction du cuivre, car l’absence de perspective à cet égard empêche de faire des prévisions économiques. Une expérimentation est en cours à Palaiseau pour mesurer l’impact de l’extinction du cuivre sur les services publics et sur l’économie. Une mission est en cours pour en préciser les modalités.

M. Verdier a souligné que le service universel rencontrait des difficultés ponctuelles. Cette observation rejoint l’évocation par M. Pupponi de relations diplomatiques parfois problématiques avec les opérateurs. Je rappelle à ce propos qu’Orange doit remplir des obligations de qualité de service pour le réseau cuivre. Les problèmes ponctuels doivent donc nous être signalés, afin que nous puissions en saisir l’opérateur historique.

Monsieur Pellois, une enveloppe budgétaire de 3,3 milliards d’euros est déjà un investissement important et nous espérons ne pas avoir à dépasser ce montant. S’il apparaissait une nécessité impérieuse de compléter ce budget par des crédits supplémentaires, j’imagine que nous ne laisserions pas le réseau inachevé et que nous ferions en sorte que l’ensemble du territoire soit convenablement équipé.

Je ne pense pas que le VDSL2, évoqué par plusieurs intervenants, doive faire craindre un ralentissement du déploiement de la fibre. Afin d’assurer la transparence sur les perspectives du VDSL2, la mission très haut débit a organisé au début du mois de juillet une table ronde à ce propos. Les opérateurs ont confirmé inconditionnellement leurs investissements dans des zones denses, ce qui exclut une cannibalisation des deux technologies. Dans la réalité, le VDSL2 sera presque exclusivement présent dans les zones denses du territoire et apportera donc un meilleur débit à des usagers bénéficiant déjà d’un bon débit. Nous ne devons cependant pas nous interdire d’utiliser cette technologie pour assurer, sans attendre le raccordement à la fibre, un accès de bonne qualité à des gens qui en sont actuellement privés.

Mme Frédérique Massat. En montagne, par exemple !

Mme la ministre. Oui, lorsqu’il n’existera pas de solution satellitaire. Surtout, l’horizon de l’extinction du cuivre permettra de fixer cette option dans les modèles économiques des opérateurs.

L’articulation du déploiement de la 4G avec les schémas directeurs doit être définie par les collectivités avec les opérateurs, qui savent maintenant à quel rythme ils procéderont à ce déploiement sur le territoire.

M. Patrice Martin-Lalande. Pas dans tous les départements.

Mme la ministre. L’Auvergne a réussi à le faire pour calibrer son plan de déploiement des réseaux fixes.

M. Patrice Martin-Lalande. Tant mieux. J’espère que cela se généralisera.

Mme la ministre. Il conviendrait en effet que cette démarche soit généralisée.

La France a inscrit la fiscalité numérique à l’ordre du jour de plusieurs sommets internationaux et la mettra à nouveau sur la table des discussions de la prochaine réunion du Conseil européen. Les travaux ont bien avancé dans le cadre de l’OCDE sur les moyens permettant d’imposer un établissement stable et virtuel aux entreprises dont seul le siège est établi dans des pays à fiscalité avantageuse. Nous devons avancer d’une manière consensuelle au sein de l’OCDE, mais cette démarche est difficile, car les États-Unis préfèrent souvent des solutions nationales pour rapatrier sur le territoire américain des liquidités des principaux opérateurs et assurer une fiscalisation des entreprises américaines sur le territoire américain. Les États-Unis se montreront donc moins désireux de voir aboutir ces discussions au sein de l’OCDE.

L’Europe a donc un rôle majeur à jouer et doit continuer à réfléchir à des actions telles que la directive relative à une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), afin de définir – en fonction par exemple des bénéfices, du chiffre d’affaires ou du nombre d’utilisateurs – une assiette taxable pour les opérateurs présents sur le territoire de l’Union et une clé de répartition entre les pays. C’est là une piste activement explorée par la Commission européenne comme par les États membres, qui souhaitent que ce dossier progresse.

Madame Got, la suppression des frais d’itinérance ne me semble pas être la meilleure idée, notamment parce qu’il serait d’abord préférable d’attendre que soit pleinement appliquée la récente directive européenne qui a fortement encadré les tarifs de l’itinérance au sein de l’Union européenne. En outre, cette mesure serait de nature à diminuer les capacités d’investissement des opérateurs à un moment où elles sont très sollicitées. Nous avons intérêt à développer nos infrastructures sensibles avant que ce déploiement soit le théâtre d’une concurrence trop forte – je pense par exemple à une société du Kansas qui, après avoir posé de la fibre dans cet État américain, envisage d’étendre ses activités au reste du monde. Mieux vaut donc que les opérateurs européens disposent des marges d’investissement leur permettant d’installer nos réseaux, avant que des entreprises over the top ne s’en chargent.

L’intervention de ces gros acteurs pose une question de régulation, car ces entreprises sont devenues une sorte de passage obligé de l’accès aux services ou à l’information, ce qui devrait leur imposer aussi des obligations. Nous sommes en train d’en convaincre progressivement nos homologues européens.

Monsieur Pupponi, vous avez évoqué des relations parfois difficiles avec les opérateurs. N’hésitez pas à nous informer des situations concrètes et précises que vous pourriez rencontrer, afin que nous puissions faire passer le message. J’espère cependant que ce n’est pas une situation universelle et qu’elle tient seulement au fait que vous ayez pu avoir affaire à de mauvais interlocuteurs.

En cas de défaillance constatée de l’opérateur au regard des engagements pris dans le cadre des conventions, comme il semble que cela se soit produit dans votre circonscription, les collectivités territoriales pourront reprendre la main sur le déploiement des réseaux. C’est là une demande formulée par les collectivités et à laquelle il sera donné suite dans le cadre d’une nouvelle convention-type.

Madame Bonneton le déploiement dans les zones rurales n’est pas seulement, en effet, une question d’aménagement du territoire, mais aussi de développement économique. De fait, de nombreuses entreprises s’enquièrent de la possibilité d’avoir accès à la fibre avant de décider de leur implantation. Les touristes font de même, par exemple dans certaines zones de montagne. Nous souhaitons donc que les zones rurales soient équipées en priorité, mais à l’initiative des collectivités territoriales. Il faut donc mobiliser les différents niveaux de collectivités afin que cela soit inscrit dans le cadre des conventions.

Quant à la péréquation, elle s’opère déjà : les 3,3 milliards d’euros apportés par l’État proviennent des redevances acquittées par les opérateurs pour l’utilisation des fréquences de la bande de 1 800 MHz. Il s’agit bien d’une ressource de l’État versée par celui-ci aux collectivités sous forme de subventions, et c’est donc bien la péréquation qui permet d’aligner le coût de la prise dans une zone de montagne ou des zones très rurales sur celui qui prévaut dans les zones denses. C’est précisément pour tenir compte de la différence des situations que nous avons pris en compte le coefficient de ruralité parmi les conditions applicables aux subventions.

Madame Rabin, le montant de 3 milliards d’euros évoqué pour le dividende numérique est une estimation fondée notamment sur le montant du premier dividende. L’ordre de grandeur est vraisemblable, mais le montant exact est difficile à prédire, car il dépend du calendrier de libération des fréquences.

Les opérateurs du secteur ont déjà accès aujourd’hui à des prêts bonifiés octroyés par la Banque européenne d’investissement – Free en a d’ailleurs contracté un cette année. Ces prêts sont beaucoup plus intéressants que ceux que distribuait le guichet mis en place par le précédent gouvernement, dont les conditions financières étaient si peu intéressantes que, pour 1 milliard d’euros disponibles, aucun opérateur n’en a sollicité. Je rappelle que, dans le cadre de l’utilisation des fonds d’épargne, le Gouvernement a décidé de réserver 20 milliards d’euros aux projets d’infrastructures des collectivités territoriales. Celles-ci pourront donc se financer à des taux vraiment intéressants, sur des maturités très longues et en bénéficiant de différés de remboursement. Des prêts à 30 ou 40 ans assortis d’intérêts très faibles ont, en réalité, un caractère subventionnel.

M. le président François Brottes. Les opérateurs de téléphonie sont proportionnellement bien moins nombreux aux États-Unis qu’en France. Assisterons-nous à un rapprochement entre Free et Orange ou entre Bouygues Telecom et SFR ? Une concentration s’annonce-t-elle, au plan national comme au plan européen, dans ce secteur ?

Mme la ministre. On compte en effet trois ou quatre opérateurs aux États-Unis, contre 120 ou 130 en Europe, ce qui pose la question d’une concentration du marché. Certains opérateurs, y compris historiques, sont d’ailleurs la cible d’OPA menées par des acteurs tels que Carlos Slim ou China Mobile. À la différence du marché américain, qui bénéficie d’une unité de langue et de pratiques de consommation, le marché européen est fragmenté. Un opérateur français proposant des services sur le marché italien devrait ainsi faire face à des coûts de transaction élevés.

L’enjeu de la consolidation se présente cependant à la fois en termes industriels et en termes de souveraineté. L’importance des infrastructures de télécommunications invite à consolider les acteurs européens afin d’éviter la situation que nous connaissons pour les plates-formes ou un scénario comparable à celui de la disparition totale des six fabricants de téléphones européens, qui représentaient 55 % du marché voilà une dizaine d’années. Il est donc vraisemblable qu’un mouvement de concentration et de consolidation transnational ou paneuropéen se produira au cours des prochaines années dans le secteur des télécommunications, afin que nous disposions d’acteurs capables de rivaliser avec des acteurs comme AT&T ou Verizon.

M. le président François Brottes. Cette question renvoie à celle des régulateurs qui doivent donner leur accord à de tels mouvements. Une concentration transnationale marque les limites de l’exercice de compétence d’un régulateur national.

Mme la ministre. Le Conseil européen sera l’occasion d’aborder la vision industrielle européenne en modifiant, le cas échéant, la conception de la régulation des concentrations. Le fait que nous nous soyons pas encore parvenus à créer des champions européens nous invite à nous interroger sur l’efficacité de la politique de régulation et de concurrence menée jusqu’à présent. C’est là l’une des choses qu’il nous faut réformer.

M. le président François Brottes. La démarche de la CNIL a-t-elle des chances d’aboutir ?

Mme la ministre. La CNIL a cet avantage que les principales de ses homologues européennes, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne, ont des positions alignées sur la sienne. Le fait que la CNIL française ait agi avant les autres tient à ce que celles-ci ne disposent pas d’une procédure de mise en demeure, mais une position européenne unifiée semble se dessiner pour faire plier Google sur la question de la protection des données personnelles. En tout état de cause, les amendes qui pourraient être prononcées sont minimes. Ajoutée à la procédure antitrust engagée par la Commission européenne et aux questions fiscales, une telle procédure permet cependant de maintenir une certaine pression. Ce mouvement montre les limites de la toute-puissance de ces grandes entreprises. De fait, malgré le rôle positif de ces dernières sur l’écosystème, l’absence totale de régulation, qui bride les autres acteurs, est inacceptable. Une intervention européenne est donc nécessaire pour limiter le pouvoir de marché des entreprises et permettre aux autres entreprises de se déployer et de créer de l’activité à l’échelle européenne.

M. le président François Brottes. Des garde-fous sont en effet nécessaires.

Madame la ministre, je vous remercie d’avoir pris le temps de répondre à toutes nos questions.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 1er octobre 2013 à 17 h 15

Présents. - M. Damien Abad, M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, M. Philippe Le Ray, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. François Pupponi, Mme Béatrice Santais, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier

Excusés. - Mme Brigitte Allain, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Armand Martin, Mme Josette Pons

Assistaient également à la réunion. - Mme Laurence Abeille, M. Christophe Léonard, M. Patrice Martin-Lalande, M. Franck Montaugé, Mme Monique Rabin