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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 2 avril 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 32

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Jean-Luc Lépine, président de la CNEF (Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des INB et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs).

L’audition débute à neuf heures cinq.

M. le président François Brottes. Nos auditions sont aujourd’hui consacrées aux charges futures du nucléaire. Nous nous intéresserons en particulier, ce matin, aux aspects financiers de la question, et cet après-midi aux aspects techniques de la gestion des déchets de haute activité, à travers le projet de stockage profond Cigéo.

La Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (CNEF) a été chargée par la loi d’évaluer la façon dont les exploitants respectent leurs obligations financières pour la gestion des combustibles usés et des déchets, et pour le démantèlement de leurs installations. Les sommes nécessaires sont-elles bien provisionnées et sanctuarisées ? Correspondent-elles aux besoins qui ont été identifiés et aux solutions qui ont été imaginées ?

Le rapport de la CNEF paru en juillet 2012 offre un tableau complet de ces obligations et des problèmes qui ont surgi. Nous devons reconnaître que sa difficile mise en route n’a pas empêché la CNEF de mener à bien un travail essentiel, dont l’actualisation a peut-être déjà commencé.

Monsieur Lépine, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Luc Lépine prête serment.)

M. Jean-Luc Lépine. Créée par la loi du 28 juin 2006, la CNEF a en effet connu un démarrage un peu lent : des divergences de vues s’étant manifestées entre le Gouvernement et les assemblées sur les modalités de son fonctionnement, ses membres n’ont été nommés qu’au bout de trois ans et elle n’a pu se réunir avant le 7 juin 2011. Les textes qui instituaient la commission ne précisant pas les modalités de son fonctionnement, on imagina que la présidence pourrait échoir au président d’une commission de l’une des deux assemblées. Mais, lors de la première réunion, le président de la commission des affaires économiques du Sénat déclina la proposition. C’est pour sortir de l’impasse que j’ai accepté d’animer les travaux de la CNEF durant une année.

Notre premier rapport d’activité a été publié en juillet 2012. Conformément à la loi, le prochain devrait paraître trois ans plus tard. Mais les mandats des membres de la CNEF prennent fin le 20 juin prochain et l’avenir de celle-ci paraît incertain : peut-être un prochain texte viendra-t-il modifier ses modalités d’intervention, voire réformer le régime existant, dans le cadre d’une future loi de transition énergétique.

M. le président François Brottes. La seule certitude, c’est qu’aucun texte ne sera promulgué d’ici au 20 juin.

M. Jean-Luc Lépine. Je précise que la CNEF n’a pas coûté un centime au contribuable – hormis le remboursement des frais de transport de l’un des membres de la commission, professeur de faculté à Toulouse – et qu’elle a fonctionné grâce à l’assiduité, à la bonne volonté et au dévouement de certains de ses membres, malgré le désintérêt des représentants des deux assemblées qui, passé les premières réunions, ne sont plus réapparus.

La commission ne s’est pas réunie depuis 2012, mais j’ai fait le point à plusieurs reprises avec l’autorité administrative – principalement la direction générale de l’énergie et du climat et sa sous-direction de l’industrie nucléaire –, afin d’actualiser les constatations faites en juillet 2012 et voir comment ont été traités depuis les problèmes qui avaient été identifiés.

Le point de départ de toutes les analyses est l’évaluation du montant des provisions que doivent constituer les exploitants pour garantir les opérations futures de démantèlement et de gestion des déchets correspondants. On raisonne en ramenant des coûts qui vont s’étaler sur des périodes très longues – jusqu’à soixante-dix ans – à la valeur actuelle par l’intermédiaire d’un taux d’actualisation. Il convient de rappeler que ces évaluations sont faites sous la responsabilité des exploitants.

À la fin de 2012, l’évaluation était de 34,8 milliards d’euros. À la fin de 2013, elle était de 38,3 milliards d’euros. Deux facteurs ont contribué à cette variation : d’une part, un phénomène de « désactualisation » – si l’on ne change rien dans les séquences chronologiques de démantèlement, plus le temps passe et plus la valeur actualisée augmente ; d’autre part, la discussion sur le taux d’actualisation.

Pour les évaluations figurant dans le rapport de 2012, les exploitants avaient utilisé un taux d’actualisation de 5 %. Nous avions signalé qu’un tel taux risquait de buter sur le plafond réglementaire calculé à partir de la moyenne mobile sur une période de quatre ans du taux des obligations d’État à échéance de trente ans auquel est ajoutée une marge de 1 %. Nous signalions également que l’on pouvait s’interroger sur la pertinence du taux d’actualisation retenu et qu’il serait plus prudent de le réduire. Les exploitants ayant ensuite appliqué des taux d’actualisation de 4,75 % ou 4,80 %, la facture a augmenté de 2 milliards.

M. le président François Brottes. Aujourd’hui, l’État emprunte à 0,3 % sur trente ans.

M. Jean-Luc Lépine. Les taux se situent plutôt entre 2 et 2,5 % sur dix ans. Sur des échéances plus longues, le taux, augmenté de la marge, est à 4,6 %.

Quoi qu’il en soit, les exploitants n’appliquent pas, à l’heure actuelle, le plafond fixé par la réglementation. L’autorité administrative pourrait vous parler des négociations en cours. D’après ce que j’ai compris, il serait question de modifier le taux de référence en le faisant porter sur une période plus longue – dix ans au lieu de quatre – tout en demandant aux exploitants de constituer des marges de sécurité supplémentaires.

En second lieu, les provisions prennent en compte le coût du dispositif de stockage géologique profond sur la base d’évaluations dont le rapport estime qu’elles sont probablement sous-valorisées – ce qu’a confirmé l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans une lettre de janvier 2014.

D’autres éléments peuvent influer sur l’évaluation du coût de démantèlement et de gestion des stockages, notamment la modification de la politique énergétique – fermeture d’une centrale nucléaire ou révision de la part du nucléaire dans le mix énergétique.

Cependant, le portefeuille d’actifs constitué par les exploitants pour couvrir leurs engagements est passé de 31,6 à 38,7 milliards. Cette hausse s’explique à la fois par l’évolution générale des marchés, la baisse des taux d’intérêt, l’augmentation des valeurs des indices boursiers, mais également par les adaptations réglementaires, dont la plus importante a été, en février 2013, l’inclusion de la créance liée à la contribution au service public de l’électricité (CSPE) d’EDF – de 4,9 milliards d’euros – dans le montant de ses actifs dédiés. La créance CSPE, dont le remboursement s’étalera jusqu’en 2018, est ainsi venue s’ajouter à la prise en compte, il y a deux ans, d’une fraction de la participation d’EDF dans le Réseau de transport d’électricité (RTE). Cela explique l’augmentation, dans les portefeuilles, de la part des éléments non liquides.

Signalons, par ailleurs, que la réglementation sur la dispersion des actifs éligibles a été modifiée dans un sens qui paraît tout à fait convenable : on applique maintenant intégralement la réglementation des entreprises régies par le code des assurances.

Observons enfin que, à la suite d’une remarque faite par la CNEF en 2012, le plafond des titres non cotés a baissé de 20 % à 15 %.

Les taux de couverture découlent de la comparaison entre les évaluations des provisions et les portefeuilles des actifs dédiés : il y a deux ans, le principal problème venait d’EDF, qui avait bénéficié d’un report jusqu’à 2016 pour atteindre un taux de couverture de 100 %, taux que presque tous les grands exploitants avaient atteint à la fin de l’année 2013. Le seul qui ne l’avait pas fait – et ne l’a toujours pas fait – est Eurodif. Si vous auditionnez les représentants du CEA, ils vous expliqueront que cette situation est essentiellement liée au problème des actionnaires minoritaires d’Eurodif – dont le CEA possède 60 % – et ils vous parleront des négociations qui se poursuivent en vue de la sortie de ces actionnaires minoritaires.

Que peut-on dire du fonctionnement de l’autorité administrative au cours de ces deux dernières années ? Le jugement que je me permets de vous livrer est positif, dans la mesure où la faiblesse des moyens, qui avait été dénoncée en 2012, a été corrigée : d’une part, les moyens des équipes qui se consacrent au suivi du provisionnement ont été nettement renforcés ; d’autre part, l’administration a passé en mars 2014 une convention avec le contrôle général et financier du ministère de l’économie et des finances pour qu’il l’aide à résoudre les problèmes d’évaluation et de suivi des portefeuilles des exploitants.

Dans le rapport de 2012, nous souhaitions que l’autorité administrative puisse bénéficier du concours de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui suit les compagnies d’assurance. Le gouverneur de la Banque de France, qui préside l’ACPR, avait refusé, considérant qu’un texte de loi était nécessaire. Cette piste a été temporairement abandonnée, mais, compte tenu de son expertise en matière d’évaluation des portefeuilles d’organismes ayant des engagements longs, il paraît souhaitable qu’une disposition législative introduise l’ACPR dans le circuit de contrôle des provisions des exploitants.

D’autre part, le rapport de 2012 estimait que l’administration devait développer sa capacité d’appréciation des évaluations faites par les exploitants, en réalisant notamment des audits. Ceux qui avaient été annoncés pour la fin de 2012 ont pris du retard. Nous sommes actuellement dans un processus d’appel à la concurrence, et on peut penser que, en juin 2014, sera lancé un audit portant sur cinq thèmes. Au lieu de concerner, sur un thème, tous les exploitants, il concernera un exploitant et portera sur les cinq thèmes choisis.

Enfin, la poursuite de la coopération avec l’ASN – dont le jugement est fort précieux pour signaler les points qui méritent d’être mieux étayés et mieux assurés dans les évaluations des coûts futurs – est un autre motif de satisfaction. À ce propos, une lettre très intéressante de l’ASN, de janvier 2014, pourra servir de base à de nouvelles discussions sur la méthodologie applicable. L’ASN y évoque divers problèmes qui méritent d’être approfondis : le niveau d’assainissement complet des sites lors du démantèlement ; l’impact de la non-disponibilité éventuelle des installations de stockage lors de la constitution des paquets de déchets ; l’impact des évaluations complémentaires de sûreté ; enfin et surtout, la réévaluation ou l’évaluation des coûts de solutions de gestion à long terme des déchets. Le schéma actuellement pris en compte est fondé sur une première évaluation de 15 milliards, alors que d’autres évaluations, plus récentes, atteignent 35 milliards.

À l’époque de son introduction en Bourse, EDF était très réticente à l’idée de constituer des provisions. À la suite d’une expertise à laquelle j’avais été associé, son président accepta une mise à niveau de son provisionnement. Mais il ne s’agissait que de 12 milliards d’euros, alors que ce provisionnement tourne aujourd’hui autour de 20 milliards d’euros. Par ailleurs, à l’époque, il n’y avait quasiment pas d’équipe administrative affectée au suivi des exploitants et la CNEF n’existait pas. Ainsi, en quelques années s’est constitué un système permettant de suivre, sur le plan technique, les opérations de fin de cycle. Nous ne pouvons que nous en satisfaire.

La CNEF a joué son rôle, en mettant en lumière les éléments qui méritent d’être approfondis et améliorés. Après des débuts difficiles, elle doit faire face à des échéances incertaines, puisqu’elle ne pourra continuer son action sans des textes qui ne seront pas sortis à la fin du mandat des membres actuels.

M. le président François Brottes. Les provisions existent donc, mis à part le cas d’Eurodif.

M. Jean-Luc Lépine. Elles correspondent aux besoins évalués par les exploitants.

M. le président François Brottes. Entre 15 et 35 milliards…

M. Jean-Luc Lépine. Non, ces chiffres correspondent à l’évaluation du coût du stockage géologique profond. Ramené à l’actualisation, le montant en cause est nettement moins important.

M. le président François Brottes. Si l’on ferme des centrales et des réacteurs plus rapidement, on ne dépensera pas plus, mais on dépensera plus vite.

Enfin, toujours de votre point de vue, la CNEF fait bien son travail.

M. Jean-Luc Lépine. Elle collabore bien avec l’autorité administrative.

M. le président François Brottes. Venons-en aux taux. Les émissions d’obligations sur dix ans sont bien aujourd’hui – je l’ai vérifié – à 2,6 %.

Pensez-vous qu’il y ait urgence à enclencher le processus de stockage à long terme ? Les dispositifs de stockage existant ne permettent-ils pas d’attendre encore quelques décennies ?

M. Jean-Luc Lépine. Je n’ai pas l’expertise nécessaire pour répondre sur cet aspect technique.

M. Denis Baupin, rapporteur. Une fermeture plus précoce des réacteurs aurait-elle un impact positif ou négatif ? Je me permets de souligner que moins longtemps on produira de déchets, moins il y en aura à stocker. Plus on fermera tôt, moins cela coûtera cher. Mais il est vrai qu’il faudra alors sans doute débourser l’argent un peu plus tôt.

Le sujet dont nous traitons peut paraître aussi technique qu’abstrait : il n’en est pas moins crucial. Ce qui est en cause, en effet, c’est l’argent qu’il faudra dépenser dans vingt, trente, quarante, cinquante ou soixante ans, à un moment où il n’y aura peut-être plus de nucléaire en France. Il n’est pas question que les générations futures assument le financement des charges induites par l’électricité que nous consommons aujourd’hui. Le démantèlement des centrales et la gestion des déchets ne rapportent rien, alors que les centrales nucléaires – quoi qu’on en pense – produisent au moins de l’électricité, et que cette production est finançable. C’est donc une charge totale que nous transmettrions aux générations futures si nous ne nous mettions pas en situation de financer correctement ces activités.

Pour cela, il faut remplir trois conditions : bien évaluer les coûts ; avoir un taux d’actualisation qui ne reporte pas les charges sur les générations futures ; sécuriser les financements pour qu’ils soient disponibles le moment venu.

Permettez-moi de citer quelques éléments tirés du document de référence d’EDF, destiné à informer les investisseurs éventuels : « Les provisions constituées par le Groupe pour les opérations de traitement du combustible usé et pour la gestion à long terme des déchets pourraient s’avérer insuffisantes. […] La déconstruction du parc nucléaire existant pourrait présenter des difficultés qui ne sont pas envisagées aujourd’hui ou s’avérer sensiblement plus coûteuse que ce qui est aujourd’hui prévu. […] Les actifs dédiés constitués par le Groupe pour couvrir les coûts de ses engagements de long terme dans le nucléaire (déchets radioactifs et déconstruction) pourraient s’avérer insuffisants et entraîner des décaissements supplémentaires. »

Dans ce même document, les commissaires aux comptes notent que « l’évaluation des provisions de long terme liées à la production nucléaire, qui résulte des meilleures estimations de la Direction […] est sensible aux hypothèses retenues en termes de procédés techniques, de coûts, de taux d’inflation, de taux d’actualisation à long terme et d’échéanciers de décaissements. La modification de certains de ces paramètres pourrait conduire à une révision significative des provisions comptabilisées. »

L’Autorité des marchés financiers (AMF), que j’ai eu l’occasion de rencontrer pour évoquer, notamment, la situation d’EDF, a fait remarquer qu’il était plutôt rare qu’une telle observation figure dans le rapport des commissaires aux comptes d’une entreprise cotée au CAC 40. Lorsque c’est le cas, une solution ne tarde pas à être apportée au problème et, au bout d’un an ou deux, l’observation n’a plus lieu d’être. Or celle-ci figure dans le document de référence d’EDF depuis son introduction en Bourse : la situation n’a pas progressé depuis.

La situation actuelle ne paraît donc ni rassurante ni satisfaisante. A-t-on bien évalué le taux d’actualisation et les provisions à faire ? Ces provisions sont-elles sécurisées ? Le taux d’actualisation est actuellement fixé à 5 %…

M. Jean-Luc Lépine. C’était le cas en 2012. Pour l’exercice 2013, je crois qu’EDF l’a abaissé à 4,80 %.

M. le rapporteur. Le 23 juillet 2012, vous indiquiez devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques que, fixé à 5 %, ce taux « pourrait devoir être réévalué car un tel niveau ne permet pas de marge de précaution. Il serait prudent d’envisager une baisse du taux. » Vous dites que ce taux a été baissé à 4,80 %. Estimez-vous cette baisse suffisante ? La Cour des comptes a elle-même noté que ce taux d’actualisation reposait sur de fortes incertitudes.

D’autre part, André-Claude Lacoste, ancien président de l’ASN, a déclaré devant la commission d’enquête du Sénat sur le coût de l’électricité que le décret permettant d’affecter une partie des actifs de RTE aux provisions d’EDF constituait un contournement de l’esprit de la loi.

M. le président François Brottes. M. Lacoste, que j’admire par ailleurs, parlait en l’occurrence hors de son champ de compétences, qui se limite aux questions de sûreté.

M. le rapporteur. Ne peut-on estimer qu’un provisionnement suffisant est un élément de sûreté ? Quoi qu’il en soit, dans la mesure où RTE, qui remplit un service public, a un monopole de fait, ces actifs ne sont pas vendables, et donc pas valorisables pour financer les charges futures. En conséquence, on risque de devoir mettre en œuvre la garantie de l’État.

En ce qui concerne les actifs du CEA, les choses sont encore plus claires. Il a en effet été décidé au conseil de politique nucléaire du 12 février 2010 que le financement des dépenses de long terme du CEA serait assuré par le budget de l’État. L’État est donc totalement responsable de ces éléments.

M. le président François Brottes. RTE peut ouvrir son capital, par exemple à la Caisse des dépôts, et la loi pourrait permettre de valoriser ces actifs.

M. le rapporteur. Quant aux actifs dédiés d’AREVA, composés de titres financiers, la valeur du portefeuille a été réduite de 27 % en raison de la crise financière.

Ainsi, d’après la loi, les entreprises sont responsables, mais, en fait, les dispositifs mis en place les ont en partie déresponsabilisées. Quel est votre sentiment à cet égard ?

Enfin, est-il bien pertinent que ces fonds qui répondent à un service public et qui, s’ils n’étaient pas constitués de façon suffisante, devraient être garantis par l’État, restent au sein des entreprises ? Ne faudrait-il pas les mettre dans un fonds dédié, garanti à l’extérieur, par exemple à la Caisse des dépôts, afin de mieux les sécuriser ?

M. Jean-Luc Lépine. Je répondrai d’abord à votre question sur les actifs de RTE. Les exploitants sont soumis en permanence à des tensions contradictoires entre les fonds qui doivent être consacrés à garantir le futur démantèlement, ceux qui doivent servir au programme de développement de l’entreprise, et les charges à faire peser sur le consommateur. La tendance naturelle d’EDF est de privilégier les éléments de son propre développement, tandis que celle du Gouvernement est d’atténuer la charge à faire payer au consommateur. Au moment des arbitrages, la garantie du financement des opérations de fin de cycle n’est donc pas toujours considérée comme prioritaire. Le rôle de l’administration et de la CNEF est d’inciter les entreprises à prendre cette nécessité en compte. Cette démarche dialectique a conduit le Gouvernement à accepter des demandes d’EDF qui visaient à faire évoluer la réglementation pour inclure, dans les actifs dédiés qui représentent son provisionnement, des éléments concourant au développement de la stratégie d’entreprise.

Je comprends la réflexion du président Lacoste, mais j’observe que RTE génère des flux de revenus ; or un actif qui génère des flux de revenus peut être évalué. Nous avions donc demandé que l’administration s’assure – pour le maintien de la valorisation de RTE au sein des actifs dédiés – de la validité des hypothèses relatives à la pérennité des flux de revenus, c’est-à-dire des dividendes versés. Il est évident que, si RTE était conduit à diminuer les dividendes versés à ses actionnaires, la valeur pour laquelle elle devrait être prise au sein des actifs dédiés devrait être révisée. Cela justifie que l’administration surveille tout spécialement RTE et contrôle l’application du contrat d’origine.

Ensuite, sur les 10 milliards d’actifs dédiés du CEA, 7 ou 8 sont garantis par l’État, les 2 milliards restants représentant la valeur de la participation d’AREVA. C’est donc bien le budget de l’État qui, in fine, est le garant du financement de démantèlement ultime des installations du CEA.

S’agissant de la localisation des actifs dédiés, deux modèles extrêmes existent. Les pays scandinaves confient à des organismes extérieurs la gestion des actifs consacrés à la garantie des opérations de fin de cycle. Les États-Unis et la Grande-Bretagne, de leur côté, confient à l’entreprise la responsabilité des fonds correspondants, tout en instituant un système de contrôle extérieur.

En 2006, la France a choisi l’option de la responsabilisation des entreprises. Celles-ci sont très attachées à ce système. Mais cela nécessite qu’il y ait, en face d’elles, des capacités de contrôle suffisantes.

M. le rapporteur. Est-ce le cas ?

M. Jean-Luc Lépine. Ce n’était pas le cas à l’origine, mais le système a été renforcé. Encore une fois, c’est la capacité de l’administration à contester les assertions des entreprises qui devra être améliorée.

Mme Frédérique Massat. Dans le rapport de la CNEF, on peut lire que « l’appréciation générale de la CNEF peut être résumée de la manière suivante : par définition le véritable coût des charges de démantèlement ne sera connu que lorsque seront terminées des opérations qui vont s’étaler sur plusieurs d’années jusque vers la fin des années 2100. » Une telle remarque n’est-elle pas surprenante, s’agissant d’une commission d’évaluation des charges ?

Le même rapport fait état de la faiblesse des effectifs de l’autorité administrative et s’interroge sur les capacités de contrôle de la CNEF, s’agissant notamment des provisions pour démantèlement constituées par les entreprises. Qu’en est-il ?

M. Jean-Luc Lépine. C’est une simple observation de bon sens : nous ne connaîtrons le coût ultime de démantèlement qu’à la fin des opérations. Partout dans le monde, les opérations de démantèlement n’en sont qu’à leur début. On peut malgré tout repérer, au fur et à mesure, les facteurs d’augmentation des coûts par rapport aux prévisions.

En 2012, certaines autorités nous ont fourni des éléments de comparaison ; par exemple, la Suisse, qui est engagée dans ce processus, a vu ses coûts augmenter au fur et à mesure des opérations. Reste que nous ne pouvons que nous doter d’une méthodologie nous permettant de faire apparaître les facteurs d’incertitude et laissant le champ à la discussion.

Vous m’avez également interrogé sur la faiblesse des effectifs de l’autorité administrative. À l’origine, cette dernière était effectivement extrêmement réduite en effectifs et en compétences, ce qui ne la mettait pas en mesure de remplir une de ses missions essentielles, qui est d’expertiser les évaluations réalisées sous la responsabilité des entreprises. Or ce n’est qu’en exploitant – notamment avec le concours de l’ASN – les méthodes utilisées par les entreprises que l’on peut, au terme d’un dialogue, faire évoluer les évaluations. Depuis, les effectifs ont été consolidés et le programme d’audits, qui lui permettra de se renforcer par une compétence de conseil extérieur, va être enfin lancé.

M. le président François Brottes. Votre allusion à la CSPE m’amène à penser qu’il est parfois aussi difficile d’évaluer les fins de cycle que les débuts de cycle. Ainsi la CSPE est destinée à financer, notamment, la montée en puissance des énergies renouvelables, mais on n’a pas encore trouvé de modèle pour la prendre en compte, y compris dans la durée. Les fins de cycle sont un peu confrontées aux mêmes difficultés. D’ailleurs, les solutions comptables qui ont été trouvées, dans un cas comme dans l’autre, se ressemblent.

J’ai bien noté que vous vous interrogiez sur ce qui se passerait après le 20 juin.

M. Jean-Luc Lépine. Nous disparaîtrons collectivement !

M. le président François Brottes. Nous en ferons état dans notre rapport.

Monsieur le président, je vous remercie pour votre contribution.

L’audition s’achève à dix heures dix.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 2 avril 2014 à 9 heures

Présents. - M. Bernard Accoyer, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat

Excusés. - Mme Françoise Dubois, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Sylvie Pichot