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Commission des affaires économiques

Mercredi 4 décembre 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. François Brottes Président

– Table ronde, ouverte à la presse, avec des organisations représentatives du secteur forestier.

La commission a organisé une table ronde avec des organisations représentatives du secteur forestier.

M. le président François Brottes. Nous sommes réunis pour évoquer le volet relatif à la forêt du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, volet d’autant plus important que ce sujet devait initialement faire l’objet d’un texte spécifique.

Je suis heureux d’accueillir les acteurs des secteurs de la forêt et du bois. Ce moment est émouvant pour moi puisque je fus le rapporteur de la loi d’orientation sur la forêt de 2001 qui a été peu retouchée. Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui actualise et révise certaines de ses dispositions pour tenir compte des changements dans la filière et de l’évolution du marché du bois.

L’image du bois auprès des consommateurs a favorablement évolué, parfois davantage au bénéfice de l’importation que de la forêt française. Néanmoins, nous sommes toujours confrontés à un problème de structuration du marché

J’ai suggéré de rassembler les trois propriétaires de forêt aujourd’hui – l’État, les acteurs privés et les communes forestières – ainsi que les acteurs de la filière bois. Je propose de commencer notre table ronde en écoutant le représentant de l’aval qui est l’interface entre la forêt et le marché. Je cède la parole à M. Charmasson pour qu’il nous dise si le projet de loi est susceptible de favoriser une meilleure structuration de la filière. Je rappelle que la balance commerciale de cette dernière demeure déficitaire alors que la France peut compter sur une diversité des essences exceptionnelle et sur des compétences professionnelles remarquables. Nous ne parvenons pas à être à la hauteur des enjeux économiques d’une filière économique intégrée française, voire européenne.

M. Luc Charmasson, président de France bois industries entreprises (FBIE) et administrateur de l’Union des industries du bois (UIB). Je suis honoré d’être le premier à m’exprimer. C’est inhabituel.

France Bois industries entreprises est une interprofession de l’aval qui rassemble tous les secteurs – la scierie, la pâte à papier, le contreplaqué, la construction, l’ameublement, l’emballage et la tonnellerie. Les entreprises de l’aval représentent 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 250 000 emplois.

L’originalité des deux rapports commandés, l’un par le Premier ministre – celui de votre collègue M. Jean-Yves Caullet – l’autre par le ministère du redressement public, tient à ce qu’ils appréhendent l’ensemble de la filière à partir du marché. Les entreprises de l’aval sont satisfaites des rapports et de cette nouvelle approche qui se retrouve dans le projet de loi d’avenir.

L’enjeu pour la filière bois est de développer les marchés en faisant une plus grande place au bois dans la construction. Le décret du 15 mars 2010 sur la préférence bois, qui fixe les quantités minimales de bois que doivent comporter certaines constructions, est inapplicable depuis une décision du Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État lui-même saisi par le secteur du béton. Nous le regrettons car cette mesure modeste comportait une dimension politique en affirmant l’importance d’utiliser le bois comme matériau de construction. Nous vous encourageons à déposer un amendement sur ce sujet dans le projet de loi d’avenir.

Je veux saluer une décision importante : l’entrée de la filière bois au Conseil national de l’industrie (CNI) avec la création d’un comité stratégique de filière pour les industries de transformation du bois. La composition de ce comité, avec la présence de l’État et des syndicats, donnera une portée politique aux décisions. Ce ne seront plus seulement le ministère de l’agriculture et le ministère du redressement productif qui défendront l’intérêt de la filière. Le ministère du logement, signataire du plan national d’action, et celui du développement durable seront également à nos côtés.

J’attire votre attention sur deux autres sujets. Le premier est la mobilisation du bois. L’insuffisance des ressources entraîne des ruptures d’approvisionnement qui obligent les usines à se mettre à l’arrêt. L’hiver étant une période particulièrement difficile pour la sortie des bois, le risque de pénurie est très important pour le début de l’année 2014. La concurrence du secteur de l’énergie sur la demande de bois pénalise la production industrielle alors que l’industrie apporte dix fois plus de valeur ajoutée et sept fois plus d’emplois que l’énergie. Cette question doit absolument être abordée par le comité stratégique de filière.

Second sujet, la politique à l’égard de la filière bois doit être interministérielle. Le comité stratégique contribuera à consolider cette dimension. Nous travaillerons avec quatre ministères. Pour l’industrie, je souligne l’intérêt de recréer un fonds stratégique bois afin de soutenir l’innovation, la création, le design et l’investissement. Nous approuvons pleinement le plan national d’action présenté par M. Le Foll et M. Montebourg. Mais quels seront les moyens consacrés à sa mise en place ? Nous estimons les besoins à 150 millions d’euros alors que, pour cette année, on annonce de 20 à 30 millions.

M. le président François Brottes. Je rappelle que la suppression du fonds forestier national s’était accompagnée de la suppression de la taxe payée par les scieries pour relancer leur activité. On oublie souvent ce dernier élément.

M. Jean-Claude Monin, président de la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR). Je veux saluer les mesures importantes prises pour la forêt publique – pour le régime forestier et l’ONF–, forêt qui couvre 2,5 millions d’hectares et représente 40 % de l’approvisionnement pour la première transformation.

Le souci de l’industrie, de l’investissement et de la recherche-développement dont témoigne la création du comité stratégique de filière est important et nouveau.

Cependant, la politique forestière doit marcher sur deux jambes : l’industrie et l’investissement pour l’une ; les politiques forestières territoriales pour l’autre, à travers la mobilisation du bois et la sylviculture.

Les entreprises de l’aval de la filière bois soulignent l’insuffisance de la sylviculture pour garantir la ressource aujourd’hui et la développer demain, compte tenu de la forte demande de bois dans différents domaines – construction, énergie, industrie, chimie verte. Nous devons nous préparer à des investissements nécessaires en faveur de la ressource.

S’agissant de la mobilisation, le bois est présent dans les forêts mais il ne se retrouve pas sur le parc à grumes des scieries ou dans les silos des chaufferies. Comment y remédier ? La tâche n’est pas aisée. La loi devrait aller dans ce sens et prescrire le bois, et singulièrement le bois local. Dans la région Rhône-Alpes, le secteur du bois se développe fortement dans le domaine du logement, mais 70 % du bois est importé de nos voisins européens.

Le projet de loi doit comporter une partie consacrée à l’industrie et une autre à l’animation et à la politique forestière territoriale, au travers de la mobilisation, la prescription et la certification du bois local.

Cela suppose la création d’un fonds stratégique sur le modèle du fonds forestier national. Il a été indiqué qu’il serait doté de 18 à 30 millions d’euros alors qu’il en faudrait 150. Si les moyens ne sont pas à la hauteur, malgré toute la bonne volonté de la filière, nous ne pourrons pas réussir un changement notable dans la mobilisation et la prescription du bois ainsi que pour la sylviculture.

Les Douglas du massif central représentent une production importante, de la valeur ajoutée et de l’emploi.

On nous demande de nous satisfaire de la création du Fonds stratégique de la forêt et du bois, même s’il est insuffisamment doté. On nous fait miroiter un abondement par les crédits carbone. Mais ce n’est pas fait !

M. le président François Brottes. Et les chambres d’agriculture ?

M. Jean-Claude Monin. Les agriculteurs, qui sont très dynamiques et puissamment représentés, doivent s’occuper d’agriculture et non de la forêt. La suppression des plans pluriannuels régionaux de développement forestier (PPRDF) est un progrès considérable.

Nous sommes favorables à un aménagement unique – et non à un empilement d’aménagements, pour la chasse, l’environnement, etc –, avec un seul gestionnaire : l’ONF. Il faut aussi que les règles du jeu soient stables, au minimum pendant toute la durée de l’aménagement.

Entre le Conseil supérieur de la forêt, le comité stratégique de filière, l’intérêt de deux ministres – de l’industrie et de l’agriculture –, on ne peut que constater que les dispositifs et les objectifs se chevauchent. Il faudra donc veiller à la cohérence de l’ensemble et désigner un seul pilote afin de se prémunir contre le risque d’incompréhension.

M. Henri Plauche Gillon, président du Centre national de la propriété forestière et de la Fédération des forestiers privés de France. Trois projets de lois traitent aujourd’hui de la forêt : le projet de loi de finances pour 2014, le projet de loi de finances rectificative pour 2013 et le projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Nous avons particulièrement apprécié que la présentation du projet de loi d’avenir ait été précédée de plusieurs mois de dialogue avec le ministère de l’agriculture. Grâce aux échanges qui sont intervenus, parfois à l’occasion de visites de terrain, des solutions à certains problèmes ont pu être introduites dans le texte. Des questions demeurent néanmoins.

Je m’associe à mes collègues pour regretter l’absence dans la loi de finances pour 2014 d’un compte d’affectation spéciale, pourtant indispensable à la pérennité des crédits consacrés à la forêt. Nous sommes dans l’attente du Fonds stratégique de la forêt et du bois, dont la création est prévue par le projet de loi d’avenir. En 2014, les crédits seront inscrits sur une ligne budgétaire, par ailleurs trop faible.

S’agissant des chambres d’agriculture, il est prévu d’affecter les 3,7 millions d’euros qu’elles collectent au profit de la forêt au Fonds stratégique et de dédier cette somme à l’animation forestière. Nous pensons que chacun doit faire son métier : aux forestiers, le métier de la forêt ; aux agriculteurs, le métier de l’agriculture. Il faudra veiller au bon usage de ces 3,7 millions d’euros.

Le projet de loi de finances rectificative répond aux préoccupations des forestiers privés dans deux domaines. Le besoin d’un compte d’épargne et d’investissement – de l’argent qui vient de la forêt et repart à la forêt en obéissant aux règles fiscales de la forêt – a été entendu avec la création du compte d’investissement forestier et d’assurance. Il reste à apporter quelques améliorations afin que ce compte puisse être utilisé par tous les propriétaires forestiers, personnes physiques comme personnes morales.

En outre, les mesures d’accompagnement fiscal, qui devaient prendre fin en 2014, sont prolongées jusqu’en 2017.

Un nouvel outil est créé : le DEFI « assurance » – dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt – qui permet d’obtenir une réduction d’impôt sur la base des cotisations d’assurance versées par les propriétaires, afin de les encourager à s’assurer. Nous souhaitons que la réduction d’impôt octroyée puisse être transformée en crédit d’impôt. Sinon, certains propriétaires forestiers qui ne paient pas l’impôt sur le revenu ne pourront pas bénéficier du dispositif. Or, les propriétaires de petits patrimoines forestiers doivent aussi pouvoir s’assurer. C’est une question d’équité. Nous travaillons avec les parlementaires en ce sens.

Quant au projet de loi d’avenir, je ferai sept ou huit remarques qui ne sont pas classées par ordre d’importance.

La refonte de la politique forestière avec la déclinaison à l’échelle territoriale du Programme national de la forêt et du bois est une bonne mesure. Nous souhaitons néanmoins une meilleure prise en compte de ce qu’apporte la forêt dans la politique forestière. Nous souhaitons donc des amendements de précision sur ce sujet.

Sur le foncier forestier, le projet de loi est muet. Nous vous soumettons plusieurs propositions : s’agissant des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), nous sommes fermement opposés à ce qu’elles détiennent des droits particuliers sur la forêt ; en revanche, nous proposons que pour les biens mixtes, agricoles et forestiers, qu’elles détiennent, elles affectent la partie forestière du bien à des forestiers et non à des tiers. Par ailleurs, nous devons rendre plus efficace le droit de préférence, institué il y a quelques années, au bénéfice des propriétaires voisins en cas de vente d’une parcelle de moins de quatre hectares.

En matière de gestion forestière et de regroupement des petites propriétés, sujet récurrent, la loi innove. Elle prévoit un dispositif en deux parties qui nous donne satisfaction : le plan simple de gestion collectif qui permet à des petits propriétaires qui n’ont pas les moyens d’adopter un plan simple de gestion de se regrouper à cet effet. L’adoption de ce plan est un préalable à la création d’un groupement d’intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF), projet cher au ministre de l’agriculture. Nous serons des acteurs très constructifs dans ces efforts d’accompagnement du regroupement de la petite forêt privée.

Néanmoins, les plans simples de gestion collectifs ne pourront pas être élaborés partout car notre établissement public manque de moyens pour remplir cette mission. De nombreuses parties du territoire ne seront pas couvertes. Nous travaillons donc à l’amélioration du code de bonnes pratiques sylvicoles élaboré par les centres régionaux de la propriété forestière (CRPF). Le propriétaire adhérant à ce code bénéficie aujourd’hui d’une présomption de gestion durable. Nous souhaiterions que cette présomption devienne une garantie de gestion durable. Il conviendrait pour cela d’adjoindre au code pour chaque propriétaire un plan de travaux et un plan de coupe. Tout propriétaire disposerait ainsi d’un document de gestion et pourrait être en conformité avec les différentes normes.

À la Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, il y a de nombreuses forêts privées, mais il n’y a pas de CRPF. Dans les dispositions relatives aux DOM-TOM, il est donc prévu, à défaut d’établissement public, que le préfet joue le rôle attribué au CRPF. Nous espérons qu’un établissement public pour les DOM-TOM pourra voir le jour, probablement dans une dizaine d’années, et prendre le relais du préfet.

En matière d’assurance, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de 2010 prévoit qu’à compter de 2017, les sinistres majeurs ne donneront plus lieu à aucun concours de l’État. Nous vous demandons d’enlever cette épée de Damoclès au-dessus de la tête des propriétaires forestiers.

Enfin, les dégâts de gibiers sont la principale source de démotivation des propriétaires de forêts. Plus de la moitié de la forêt privée française ne peut pas être louée pour la chasse mais subit tous les dégâts. Nous souhaitons faire des propositions pour que cela change et que le point de vue des forestiers soit entendu dans les plans de chasse.

M. Pascal Viné, directeur général de l’Office national des forêts (ONF). L’ONF est le gestionnaire des forêts domaniales et des forêts communales.

Le projet de loi d’avenir intervient alors que la filière connaît une dynamique importante. Celle-ci lui est propre puisque jamais la filière ne s’est mobilisée de manière aussi unitaire. Nous réussissons à travailler ensemble, ce qui n’a pas toujours été le cas.

Cette dynamique de filière est accompagnée par le Gouvernement au travers du plan national d’action pour la filière, de la création d’un comité stratégique de filière au sein du CNI et des projets de la « nouvelle France industrielle ».

Aujourd’hui, à côté des enjeux de production forestière, une dynamique de transformation de la filière est en marche.

Si l’ONF a été confortée dans le projet de loi de finances initiale pour 2014, la présence à ses côtés d’une filière en mouvement donne du sens à son action de sylviculteur.

Nous nous réjouissons de pouvoir accompagner la dynamique en cours. Vous le savez, le principal rôle de l’ONF auprès des propriétaires privés et des coopératives consiste à sécuriser les approvisionnements des industriels qui investissent.

J’exprimerai quelques attentes par rapport à la loi.

Le Fonds stratégique est un élément très important de la dynamique sylvicole. Ce fonds doit être plus clairement ciblé sur les enjeux de la forêt. La politique forestière doit marcher sur deux jambes : le soutien à la forêt au travers du Fonds stratégique et des fonds d’investissement pour l’aval au travers de la BPI.

Nous sommes favorables au document unique d’aménagement – cette demande a été exprimée fortement par notre conseil d’administration le 27 juin dernier.

Afin de garantir l’équilibre agro-sylvo-cynégétique, nous proposons que le plan d’aménagement forestier soit inclus dans le plan de chasse. Nous sommes inquiets des déséquilibres entre forêt et gibier que nous observons en forêt domaniale et communale.

Enfin, s’agissant de la restauration des terrains de montagne, les missions qui nous ont été confiées par l’État nécessitent d’être confortées. Nous souhaitons qu’elles soient reconnues comme des missions de service public.

M. Germinal Peiro. En tant que rapporteur, j’ai eu la chance de recevoir tous les intervenants individuellement. De façon générale, le texte a reçu un accueil favorable malgré quelques demandes d’amélioration.

Plusieurs problèmes se posent à la forêt. Le premier d’entre eux est la production et la mobilisation des ressources, tous les participants l’ont dit. Il est paradoxal qu’un pays dont la forêt couvre 30 % du territoire fasse autant appel à l’importation pour approvisionner en bois son industrie. Il y a là une question de ressources, mais peut-être aussi de prix. Il est de même paradoxal que vous alertiez sur le risque de pénurie de bois.

Le texte vise à traduire la volonté constante du ministre de l’agriculture de faire de la forêt française une forêt non seulement multifonctionnelle, mais aussi productive.

La reconnaissance par l’article 29 du projet de loi du rôle de stockage du carbone que jouent les forêts permettra, je l’espère, d’obtenir des financements du Fonds carbone européen.

Mais la forêt a d’autres vertus et d’autres usages : en plus de ses fonctions économiques, elle est le lieu d’activités de plein air et de la chasse.

Nous n’avons pas de divergences de fond sur le texte. Je veux néanmoins insister sur deux points. Le premier tient au lien entre la forêt et les autres activités, au premier rang desquelles la chasse. Le projet de loi fait un pas en obligeant les schémas de gestion cynégétique à tenir compte des programmes régionaux de la forêt et du bois. Il est important que ce principe soit inscrit dans le texte. Les chasseurs en conviennent. Ils sont conscients des dégâts qu’ils causent en forêt comme sur les terres agricoles pour lesquels ils versent déjà des indemnisations.

Autre sujet de préoccupation : il n’y a pas assez de chasseurs pour régler le problème du gibier. La société forestière dépendant de la Caisse des dépôts, qui gère 240 000 hectares de forêts privées appartenant à de grands institutionnels, nous a ainsi fait part de ses difficultés du fait de la désaffection dont souffre la chasse.

Les industriels préconisent que la loi oblige les constructeurs et les citoyens à intégrer une part de bois dans leurs constructions. Vous le savez, le Conseil constitutionnel a censuré l’article du code de l’environnement qui fixait ce principe parce qu’il n’était pas justifié par un motif d’intérêt général. Le ministre et son cabinet sont très circonspects sur les chances de succès d’une nouvelle mesure de cette nature. On pourrait arguer que le rôle des forêts en matière de stockage de carbone concourt à l’intérêt général. On peut aussi considérer que l’utilisation de ressources renouvelables participe de l’intérêt général. En tout état de cause, des incertitudes juridiques demeurent. Elles n’empêcheraient néanmoins pas un député de déposer un amendement. Pouvez-vous préciser ce que vous souhaitez car cette mesure met en cause la liberté des citoyens ? Il nous paraît difficile d’imposer de manière unilatérale et générale l’utilisation du bois dans toutes les constructions à venir.

M. Dino Cinieri. J’associe M. Fasquelle à mes questions. Avec 285 000 emplois directs et 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires, la filière forêt bois constitue l’un des acteurs majeurs de l’économie française en participant au dynamisme et au développement de nos territoires.

Pour approvisionner son industrie, la Chine importe de plus en plus de bois alors que les premiers fournisseurs – Etats-Unis et Russie – y exportent principalement des sciages. La France, troisième fournisseur de feuillus, exporte majoritairement des grumes – 150 000 m3 de grumes de feuillus et 200 000 m3 de grumes de résineux en 2012, sans compter les volumes initialement exportés vers la Belgique puis réexpédiés. Pensez-vous que le projet de loi permettra d’endiguer cet export massif qui menace de nombreux emplois dans notre pays ?

En octobre 2012, MM. Le Foll et Montebourg lançaient un plan national pour la filière bois. Ce plan est-il assez ambitieux ? Correspond-il aux attentes des acteurs de terrain ? Débouchera t-il sur des actions concrètes ? A-t-on les moyens de le mettre en œuvre ? Que faire pour transformer le bois en France alors que nous exportons du bois brut pour le réimporter en bois travaillé ? Que pensez-vous de la pénurie de bois qui nous guette et nous obligerait à recourir aux importations dans un pays dont le territoire est couvert à 30 % de forêts ?

M. André Chassaigne. Je veux souligner l’interpénétration des intérêts des différents acteurs de la filière. Le développement de la filière ne peut pas souffrir une opposition entre l’amont et l’aval ou entre le public et le public. Il s’agit d’une démarche collective.

Un double constat a été fait par nos intervenants : d’une part, le problème de l’approvisionnement met en jeu le devenir industriel de la filière – il faut considérer ce problème comme une priorité – ; d’autre part, la forêt publique représente 25 % de la forêt française, mais contribue à près de 40 % de la récolte de bois. Compte tenu de ce double constat, la priorité doit être donnée à la forêt privée. Que peut-on faire pour garantir une meilleure mobilisation du bois dans la forêt privée ?

Je suis opposé à la remise en cause d’outils qui ont fait la preuve de leur efficacité. Dans le territoire forestier que je connais, le PPRDF a permis d’obtenir des résultats. On peut certes changer sa dénomination, mais nous avons là un outil facilitant la mobilisation du bois, je le dis d’expérience. Nous devons réfléchir aux leviers à actionner pour mobiliser davantage la forêt privée. Le texte permet-il d’aller suffisamment loin au regard de cette priorité ?

Autre sujet important, puisque le bois manque pour l’approvisionnement, on peut s’interroger sur l’exportation, qui est peut-être surestimée. Est-on capable de savoir où part le bois ? Le bois de la forêt publique gérée par l’ONF reste t-il en France pour l’industrie ? Quelle part de celui-ci est exportée ? Toutes les mesures sont-elles prises pour éviter les exportations dès lors que les ressources sont insuffisantes ?

Enfin, la question de la concurrence entre les usages du bois était pressentie depuis plusieurs années. Je ne sais pas quelle peut être la solution, mais les réseaux de chaleur bois ne doivent pas systématiquement être multipliés s’ils se font au détriment d’autres usages de la forêt. Il est temps de se poser la question. La surexploitation des ressources faciles d’accès et l’abandon, pour des raisons de coût, des secteurs plus difficiles d’accès sont un autre danger qui pèse sur les écosystèmes et menace la durabilité de la forêt.

Mme Marie-Noëlle Battistel. La France possède l’un des premiers massifs forestiers d’Europe. Des objectifs de production ambitieux ont été fixés pour la forêt française.

Si la forêt publique produit des volumes convenables, la forêt privée est globalement sous-exploitée. Un des raisons en est la difficulté d’accès aux parcelles forestières, dont est particulièrement victime la forêt de montagne. Vous l’avez dit, monsieur Plauche Gillon, il faut favoriser le droit de préférence des voisins. Les modalités de publicité, très simplifiées depuis la loi Warsmann, en cas de mise en vente d’une parcelle boisée ne sont-elles pas un obstacle à la constitution d’unités forestières de plus grande taille, plus faciles à exploiter, plus rémunératrices et donc plus intéressantes pour les investisseurs ? Je souhaiterais connaître votre avis car nous envisageons de déposer un amendement sur cette question.

S’agissant du bois énergie, d’une part, on constate le développement des chaufferies bois et la difficulté, sur certains territoires, à satisfaire la demande en terme d’approvisionnement. D’autre part, on entend dire que la filière bois énergie prend trop d’ampleur et pénalise le bois construction. Qu’en est-il ? J’ai entendu la remarque à ce sujet de M. Charmasson mais, ce qui est vrai sur certains territoires, ne l’est pas nécessairement sur d’autres.

Mme Pascale Got. M. Plauche Gillon a exprimé un avis très tranché sur le rôle des SAFER en manifestant son opposition à leur intervention dans le champ forestier. Cet avis est-il partagé ? Dans certaines régions ou départements, les SAFER mènent des actions en faveur du remembrement et de la forêt. Il ne faudrait donc pas les accabler de manière indifférenciée.

Alors que le projet de loi met en avant l’agro-écologie et l’agro-foresterie, aucun d’entre vous n’a évoqué la recherche, l’enseignement ou l’innovation.

Je rejoins les propos de ma collègue sur le bois énergie : insuffisant pour certains, envahissant pour d’autres, quelle est la réalité ? Le développement des chaufferies bois ne peut, en tout état de cause, faire l’économie d’une réflexion sur leur alimentation en bois énergie.

Sur le bois construction, je serai plus perfide que le rapporteur. Pourquoi rendre obligatoire une quantité de bois dans la construction quand les scieries ne répondent pas à la demande et alors que l’essentiel du bois utilisé est importé ? Nous ne pourrons pas donner la préférence au bois local dans la loi. Je m’interroge donc sur la mise en œuvre du principe de la préférence bois qui me paraît difficile.

Personne n’a réagi sur les GIEEF. Quelle serait, selon vous, la superficie optimale de ces groupements ?

M. le président François Brottes.  Peut-on imaginer que les GIEEF associent public et privé et que les coopératives en fassent partie ?

S’agissant de la propriété privée, certains petits propriétaires, qui parfois ignorent qu’ils le sont, ne reçoivent jamais de feuille d’impôt car l’impôt lié à la forêt est trop faible pour être collecté. Cela ne favorise pas la responsabilisation. Ces propriétaires, lorsqu’ils prennent conscience de leurs droits, décident de couper les arbres pour tirer profit de leur forêt sans demander l’autorisation nécessaire. La situation actuelle n’est pas pédagogique puisque les propriétaires ignorent le rôle de leur patrimoine et des règles qui en découlent. Seriez-vous favorable à une collecte de l’impôt tous les cinq ans ?

Je ne suis pas contre la transformation de la réduction d’impôt en crédit d’impôt, mais il faudrait d’abord responsabiliser les propriétaires. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Il est souhaitable que l’usage du code de bonnes pratiques se répande pour produire davantage d’effets qu’il n’en a aujourd’hui.

En matière de desserte – le problème concerne davantage les zones de montagne – les départements installent aujourd’hui des interdictions de circulation partout car le coût de réfection de la route est parfois supérieur à la valeur de la récolte des grumes. Je pense qu’il faudrait faire obligation aux conseils généraux, en lien avec les collectivités locales concernées, de mettre à jour chaque année un schéma de desserte autorisée. Sinon, on se trouve dans des situations inextricables dans lesquelles aucun camion ne peut aller chercher les grumes. Ce schéma devrait également prévoir des parcs à grumes. Je proposerai, par amendement, d’instaurer de tels schémas car les finances des départements ne sont pas toujours compatibles avec la remise en état des routes. Quel est votre avis ?

Les obligations de traitement des bois diffèrent selon que ceux-ci sont destinés à l’exportation ou à être transformés en France. Cette distinction crée une forme de concurrence déloyale dès la coupe des bois, qui pose problème. Il serait judicieux que la norme soit la même pour tous. J’aimerais connaître votre opinion sur ce point.

Un parquet importé, même s’il a été fabriqué à partir de grumes issues des forêts françaises, est traité avec de nombreuses substances chimiques nocives qui ne respectent ni la directive REACH ni les normes françaises. Sa mise sur le marché ne pose pourtant aucun problème puisqu’il n’y a pas de contrôle. Je considère que la taxation du consommateur à des fins écologiques est préférable à celle des industriels. En imposant aux industriels français des normes qui ne s’appliquent pas aux produits importés, on crée en effet une situation de concurrence très déloyale.

Personne n’a évoqué la fonction de loisir de la forêt. J’en déduis qu’il n’y a plus de problèmes dans ce domaine alors qu’ils étaient nombreux en 2001 – assurance, responsabilité, surfréquentation. Je me félicite de ce que le législateur n’ait plus, semble t-il, à intervenir. Il y a pourtant encore des ramasseurs de champignons, des gens qui pratiquent le trail ou le motocross, des usages qui ne sont pas toujours maîtrisés et qui mettent en jeu la responsabilité du propriétaire.

Enfin, j’étais partisan, il y a quelques années, d’imposer un quota de bois dans la construction. Je le suis moins aujourd’hui pour plusieurs raisons : d’abord, ce quota est difficile à mesurer ; ensuite, il risque de favoriser les importations plutôt que la filière locale ; en outre, il peut apparaître comme une limite maximale que personne ne dépassera – nous aurons alors atteint l’objectif inverse de celui qui était recherché ; enfin, en raison de la concurrence entre les usages du bois, si vous imposez un quota dans un domaine, les autres domaines réclameront également une norme. Nous avons donc intérêt à légiférer avec prudence sur cette question. Nous serons heureux de vous entendre avant que le Parlement ne prenne ses responsabilités.

Mme Pascale Got. Je souhaiterais également connaître votre avis sur la compensation au défrichement.

M. Pascal Viné. Nous avons souvent été interpellés sur la question de l’exportation de bois français, notamment vers la Chine. Dans ce domaine, la position de l’Office national des forêts est très claire, et j’ai d’ailleurs eu l’occasion de la rappeler dans un entretien avec le journal en ligne Bois international.

Nous vendons nos produits de deux manières. Par vente publique, tout d’abord, via un système d’adjudication auquel peuvent participer toutes les sociétés – quelques-unes sont étrangères – qui répondent aux conditions requises. Mais une fois que celles-ci en ont acquis la propriété, nous ne pouvons pas les empêcher de revendre une partie de ce bois et de l’expédier vers la Chine ou d’autres pays. Et nous n’avons aucun moyen d’estimer le volume ainsi exporté.

La seconde manière est le gré à gré. Nous avons ainsi conclu des contrats avec des entreprises françaises, mais aussi avec quelques entreprises européennes, belges ou allemandes, par exemple. Mais en dehors de nos voisins immédiats, les ventes effectuées de cette façon ne concernent pas l’étranger. Dès lors, les insinuations exprimées à l’encontre de l’ONF – pas dans cette salle, bien entendu – sont totalement infondées.

M. André Chassaigne. Je n’en doutais pas.

M. Pascal Viné. Cela étant, la question de l’export est en effet importante. Ainsi, sans exportation, nous ne pourrions pas écouler tous les hêtres produits en France, car les entreprises qui transforment cette essence n’ont qu’une faible capacité de sciage. Elles n’ont d’ailleurs pu être sauvées que grâce aux contrats passés avec l’ONF et avec d’autres acteurs de la forêt publique – communale ou domaniale –, qui leur donnent une meilleure visibilité sur les prix et permettent de sécuriser l’approvisionnement. Pour autant, malgré l’aide ainsi apportée, l’export reste une nécessité pour la préservation d’une sylviculture du hêtre.

La solution à ce problème réside dans l’industrie et dans la relocalisation de la transformation. Nous ne réduirons les volumes exportés qu’en transformant les produits sur place, ce qui est devenu plus difficile au cours des ans. L’objectif de certains plans en cours d’application est précisément d’inverser cette tendance.

C’est à juste titre que vous avez évoqué un risque de concurrence entre les différents usages du bois. L’ONF, mais aussi les responsables de la forêt communale, appliquent une hiérarchie des usages : bois d’œuvre, bois d’industrie, bois-énergie. Or l’industrie – la pâte à papier, notamment – et le bois-énergie exercent une forte concurrence, si bien qu’en certains endroits, nous n’avons pratiquement plus aucune marge d’approvisionnement. Compte tenu des enjeux de la gestion durable, la forêt domaniale a d’ailleurs presque atteint le maximum de sa capacité de production. Quant à la forêt communale, il lui reste de faibles marges de progression, mais une exploitation plus importante exigerait des soutiens financiers – d’où l’importance du Fonds stratégique –, dans la mesure où les bois concernés sont souvent difficiles d’accès – lorsqu’ils sont situés en montagne, par exemple. En outre, un effort reste nécessaire pour encourager les communes à mobiliser leur bois. En tout état de cause, les volumes concernés ne dépassent pas 1 à 2 millions de m3. Le bois mobilisable se situe donc plutôt dans la forêt privée.

Nous collaborons d’ailleurs avec cette dernière dans le cadre des coopératives forestières. J’ai ainsi visité il y a quelques jours un groupement, comprenant la coopérative Forêts et bois de l’Est, qui met du combustible à disposition de la chaufferie de Metz. La coopération se passe très bien, y compris sur le plan de la commercialisation. Il me paraît possible de généraliser cette approche et, sous la houlette des communes forestières et en adoptant des approches territoriales, de parvenir à une collaboration plus marquée entre forêts publique et privée, dont les frontières sont encore trop étanches.

J’en viens à la question des dessertes, dont vous avez eu raison de souligner, monsieur le président, qu’elles représentaient un enjeu majeur. En effet, pour des raisons budgétaires, l’ONF a dû, en 2013, diviser par six ses investissements en matière de dessertes forestières – d’où l’importance des soutiens complémentaires apportés à la forêt domaniale pour 2014. Il en résulte, dans certains territoires, des tensions entre les collectivités et l’Office, parce que des routes ou chemins forestiers ne sont plus facilement accessibles. C’est un tel sujet de préoccupation que nous avons commencé à rechercher des voies alternatives, notamment en montagne. C’est ainsi que, dans le cadre d’un des 34 « plans de reconquête » composant le programme « Nouvelle France industrielle » lancé par le Président de la République, nous sommes partenaires d’un projet visant à recourir aux dirigeables pour débarder du bois de manière écologique.

M. le président François Brottes. De mon côté, je parraine un projet de dirigeable fabriqué dans ma circonscription et dont la vocation est de servir au fret. L’intérêt du dirigeable est en effet de pouvoir tenir une position géostationnaire, tout en étant moins coûteux que l’hélicoptère.

Pour autant, je parlais moins des chemins eux-mêmes que des voies départementales d’accès aux chemins forestiers.

M. Pascal Viné. De fait, les problèmes d’accès peuvent constituer un obstacle important à la mobilisation du bois.

Par ailleurs, la chasse, monsieur Peiro, est également un enjeu majeur. Nous travaillons d’ailleurs beaucoup avec la Fédération nationale des chasseurs de France.

M. Chassaigne a souligné qu’en matière d’approvisionnement, la priorité devait être donnée à la forêt privée. Il est vrai que des efforts doivent être consentis en faveur de ce secteur, mais il est également important de renforcer la forêt publique.

M. André Chassaigne. Bien entendu !

M. Pascal Viné. Évitons de défaire ce qui fonctionne. C’est d’un mouvement général que nous avons besoin.

En outre, je tiens à rassurer tous les parlementaires : l’ONF et l’ensemble de ses 9 000 agents veillent à ce que l’exploitation des forêts ait un caractère durable en combinant accueil du public, gestion des enjeux environnementaux et production de bois. Cela signifie que la capacité de production de la forêt domaniale ne pourra pas dépasser de beaucoup le volume actuellement mis sur le marché, soit environ 6,3 millions de m3. La gestion durable est une contrainte à laquelle nous ne chercherons pas à échapper sous prétexte de mieux approvisionner la filière bois.

M. André Chassaigne. Cela va de soi !

M. Pascal Viné. Certains semblent pourtant encore en douter.

M. Dino Cinieri. De nombreux maires de ma circonscription ont évoqué le cas des petites parcelles de forêt dont les propriétaires sont inconnus et introuvables. Bien souvent, elles sont à l’abandon, et leur existence gêne les possibilités de regroupement. Quel est votre avis sur la question ?

M. le président François Brottes. La loi « forêt » a déjà prévu une procédure d’acquisition des biens sans maître. Mais celle-ci est un peu longue, et il n’est pas exclu que nous proposions des dispositions destinées à l’accélérer. Il est vrai, en effet, que l’existence de ces parcelles pose des difficultés de gestion. En outre, cela peut être très dangereux dans les régions sujettes aux incendies.

M. Luc Bouvarel, directeur général de la Fédération des forestiers privés de France. C’est non plus à l’État, mais aux maires eux-mêmes qu’il revient de déclencher la procédure d’acquisition de biens sans maître.

M. le président François Brottes. Malheureusement, la plupart l’ignorent.

M. Luc Bouvarel. Nous travaillons avec les communes forestières à l’élaboration d’un document destiné à mieux les informer sur cette procédure, qui mériterait toutefois d’être allégée.

M. Henri Plauche Gillon. J’évoquerai les questions relatives à l’approvisionnement par la forêt privée, aux SAFER et à l’imposition des petits propriétaires, laissant à Thomas Formery le soin de répondre sur l’agroécologie, la recherche et l’enseignement et les codes de bonnes pratiques sylvicoles (CBPS). Quant à Luc Bouvarel, il évoquera le droit de préférence, les GIEEF, les loisirs et le défrichement.

En ce qui concerne l’approvisionnement, il est vrai que la forêt publique, qui représente environ 25 % du territoire, mobilise 40 % des volumes.

M. Thomas Formery, directeur général de l’Institut pour le développement forestier – IDF. Cela étant, nous ne parlons ici que des volumes commercialisés, pas de la consommation totale. Si l’on tenait compte de l’autoconsommation, dont l’ampleur est très mal connue et variable, la proportion ne serait pas la même.

M. le président François Brottes. De l’autoconsommation et du black !

M. Thomas Formery. Il n’y a pas de black en forêt ; il y a des propriétaires forestiers qui vendent du bois. Cela étant, la dissimulation peut intervenir après, dans les circuits commerciaux.

M. le président François Brottes. Il reste qu’une partie de la production n’est pas enregistrée.

M. Henri Plauche Gillon. Il existe d’autres raisons à cette disproportion. Tout d’abord, la forêt publique, et notamment domaniale, possède les plus beaux massifs français, dotés d’une plus grande productivité. Inversement, la forêt méditerranéenne, qui produit peu de bois à l’hectare, est détenue essentiellement par des propriétaires privés.

Cela étant, nous reconnaissons volontiers que la ressource non mobilisée est plus importante en forêt privée. Il nous faut donc trouver les moyens de mieux l’exploiter. J’en évoquerai deux.

Tout d’abord, l’animation. Au Centre national de la propriété forestière, nous savons parfaitement réunir, animer et mobiliser les propriétaires forestiers – les plans simples de gestion concertée, le GIEEF vont d’ailleurs dans ce sens. Le gros problème est que cet établissement public s’est encore vu supprimer des moyens financiers l’année dernière. Malgré une expérience de cinquante ans en matière de réorganisation foncière et de mobilisation de la petite propriété – notamment grâce aux plans de développement de massifs –, malgré une implantation sur tout le territoire, nous n’avons pas les moyens de répondre aux besoins de la forêt française. C’est un point fondamental.

M. Luc Bouvarel. Le nombre de contrats à durée déterminée que peut signer l’établissement est d’ailleurs très limité, même lorsque ces emplois reçoivent une aide financière du conseil régional. Dès lors, il ne parvient pas à recruter le nombre de personnes suffisant pour réaliser cette animation.

M. le président François Brottes. Même lorsque les moyens étaient plus importants, on ne peut pas dire que les 4 millions de petits propriétaires bougeaient beaucoup. Nous avions inventé avec vous, monsieur Plauche Gillon, un système destiné à favoriser le regroupement des parcelles forestières, une véritable usine à gaz qui faisait intervenir les communes ainsi que des magistrats. Mais il a fallu compter avec la dimension affective de la forêt ! J’ai rencontré des agents d’un centre régional de la propriété forestière qui, en dépit de leurs brillantes qualités, ont passé la moitié de leur vie professionnelle à tracer et réaliser une route forestière de 4 kilomètres !

Vous avez donc raison au sujet des moyens, mais si on ne s’occupe pas du reste, leur augmentation ne servira à rien.

M. Henri Plauche Gillon. Je comprends vos arguments, mais alors que, depuis 2001, nous avons étendu notre savoir-faire, nous sommes aujourd’hui bloqués par le manque de moyens. Rappelons que le budget de notre établissement a été réduit, de même que son plafond d’emplois.

J’en viens au deuxième problème auquel est confrontée la forêt privée. Une partie de la superficie de celle-ci, soit un peu plus de 2 millions d’hectares, est à peuplement pauvre : soit il s’agit de taillis – donc dépourvu de bois d’œuvre de qualité –, soit de taillis sous futaie pauvre, ne donnant que quelques belles grumes. Ces zones peuvent produire du bois – surtout pour l’industrie et l’énergie –, mais souvent, leurs propriétaires n’y font rien, parfois en raison de la taille trop petite de la parcelle, le plus souvent en raison des coûts de transformation. En effet, si la coupe rapporte de 1 000 à 1 500 euros par hectare – au mieux 2 000 euros –, le reboisement, lui, coûte entre 3 000 et 5 000 euros, et même plus quand il faut se protéger contre le gibier. C’est un raisonnement imparable.

Le fonds stratégique dont nous appelons la création de nos vœux aurait justement pour rôle, à l’instar du défunt Fonds forestier national, d’accompagner financièrement la décision du propriétaire. Un tel dispositif – qui existe dans tous les grands pays forestiers, en Europe et même dans le monde – permettrait d’augmenter la production de bois, y compris dans les forêts privées.

S’agissant des SAFER, soyons clairs : nous n’avons rien contre elles. Dans certaines régions, dont la vôtre, madame Got, des partenariats ont été noués entre ces sociétés et le CRPF, qui fonctionnent bien. Mais les forestiers sont à peine présents dans leurs conseils d’administration. Ce monde n’est pas le nôtre, mais on voudrait l’ouvrir à la forêt d’une façon informelle. Nous ne voulons pas que les SAFER, dans lesquelles nous ne sommes pas représentés, puissent disposer d’un droit de préemption sur les parcelles forestières.

Pour autant, toutes les structures dépendant du CNPF travaillent en bonne entente avec les SAFER quand cela s’avère nécessaire. Il est donc inutile de prendre des dispositions législatives en la matière.

Par ailleurs, les SAFER ne devraient pas se contenter, comme actuellement, d’acheter et de vendre des grandes surfaces forestières. C’est une activité de marchand de biens, et d’autres professions sont à même de le faire. Ce dont nous aurions besoin, c’est qu’elles s’intéressent aux petites parcelles et contribuent à les restructurer. Mais leurs représentants n’aiment pas cela, parce que cela coûte cher.

M. le président François Brottes. Cela relève de l’animation !

M. Henri Plauche Gillon. Je le répète, nous n’avons rien contre les SAFER, mais nous sommes résolument hostiles à ce qu’elles puissent exercer un droit de préemption.

En ce qui concerne la fiscalité, nous sommes favorables à une meilleure collecte de l’impôt foncier, car le secteur souffre du fait que certains propriétaires ignorent leurs propres droits sur certaines parcelles. Aujourd’hui, en deçà de 12 euros par hectare, l’impôt foncier n’est pas réclamé. On pourrait imaginer d’en demander le paiement non à un rythme annuel, mais au bout d’un certain nombre d’années, dès lors que le montant total dépasserait ce seuil. Nous y sommes favorables.

M. Thomas Formery. Des questions ont été posées sur les CBPS, dont le projet de loi ne fait pas mention, ce qui est une source de préoccupation pour nous. Ces codes font en effet partie des outils de développement forestier, au même titre que les documents de gestion : plans simples de gestion, règlements types. Les codes de bonnes pratiques sylvicoles concernent les toutes petites surfaces forestières : les supprimer reviendrait à abandonner les petites surfaces ne faisant pas partie d’un groupement d’intérêt économique et environnemental forestier. Or nous ne devons pas nous faire d’illusions : les moyens manquent pour créer partout des GIEEF. Il faut donc maintenir les CBPS et, pour reprendre l’expression de M. Brottes, les normaliser, en renforcer l’usage sans l’alourdir, puisqu’ils concernent les petites parcelles. Un juste équilibre doit être trouvé, et plusieurs propositions d’amendement ont été formulées dans ce sens.

Le deuxième levier dont nous disposons est l’animation territoriale. Le débat tend à se cristalliser sur la modification des PPRDF. Derrière ces plans, en effet, ce cache la question des centimes forestiers, qui font l’objet d’une bataille de chiffonniers entre les professionnels de la forêt et les chambres d’agriculture. Cela dure depuis la création des CRPF, dont nous avons célébré hier les cinquante ans.

Aujourd’hui, la part de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti affectée aux PPRDF atteint 3,7 millions d’euros, soit 20 % des centimes forestiers, mais le dispositif va changer. Dans quel sens ? Les ressources destinées à l’animation forestière vont-elles augmenter ? Nous le souhaitons ardemment, car l’animation forestière et territoriale passe par le recrutement d’agents de terrain.

M. Henri Plauche Gillon. Les PPRDF ne sont pas réellement supprimés, monsieur Chassaigne ; simplement, ils ne seront pas renouvelés lorsqu’ils parviendront à échéance.

Quant aux 3,7 millions d’euros collectés par les chambres d’agriculture, ils viendront abonder le Fonds stratégique, qui a vocation à financer les PPRDF là où ils existent. Le problème est qu’une bonne moitié de la France n’est pas dotée de tels plans. C’est pourquoi la clé de répartition appliquée par les chambres nous semble injuste. En gros, les zones céréalières et de grand pâturage situées à l’ouest de la ligne Bordeaux-Strasbourg n’ont plus de recettes financières. Les moyens forestiers se concentrent au sud. En application de la « cuisine » propre aux chambres d’agriculture, ils sont plus particulièrement affectés aux régions à handicap naturel – en montagne, notamment.

Nous savons tous que les chambres emploient une partie des centimes forestiers pour financer des actions agricoles. C’est cela que nous, forestiers, ne pouvons accepter. Mais le projet de loi prévoit d’orienter les centimes forestiers vers une ligne budgétaire destinée à alimenter le futur Fonds stratégique. Il conviendra donc de veiller à ce que cet argent soit consacré aux PPRDF existants. Quant au solde, il permettra de financer des actions dans les communes forestières, et notamment dans celles situées dans la partie du territoire qui contribue aux centimes forestiers sans être dotée de PPRDF, et où l’on souhaite également bénéficier d’une redistribution.

M. Thomas Formery. Nous espérons que la modification du système de financement des PPRDF en 2014 ne va pas occasionner une rupture qui nous obligerait à supprimer provisoirement certains emplois.

M. André Chassaigne. Il convient en outre de ne pas envoyer un signal négatif dont la conséquence serait la suppression des procédures de cofinancement prévues par les budgets régionaux. En Auvergne, nous avons réagi suffisamment tôt pour préserver la ligne budgétaire concernée. Car même si elle change de forme, la politique qu’incarnent les PPRDF doit être poursuivie.

De même, en supprimant certains financements à l’échelle nationale, nous risquons de perdre des cofinancements européens.

M. Henri Plauche Gillon. Nous veillerons à ce que cette crainte soit dissipée. Le financement doit être maintenu partout où est menée une action de développement forestier. Quant au cofinancement, qui ne peut être apporté que s’il existe un financement national, il restera assuré non seulement par les CRPF et les chambres d’agricultures, mais aussi par les conseils régionaux. Le solde des centimes forestiers devra, lui, être consacré aux « déserts » sans PPRDF. Dans de nombreuses régions de France, les responsables me disent qu’ils ne peuvent rien faire, tout l’argent nécessaire ayant été « aspiré ».

M. Thomas Formery. Certains ont évoqué la question de la recherche et du développement. L’institut que je préside joue justement le rôle d’un service de R & D pour le Centre national de la propriété forestière. Comme d’autres, il s’est particulièrement intéressé au problème du réchauffement climatique, préoccupation majeure pour les forestiers. En effet, nous travaillons sur le long terme. Or il devient évident que les arbres que nous plantons ne bénéficieront pas, dans cinquante ans, du même climat qu’aujourd’hui.

Nous animons ainsi le réseau mixte technologique « Aforce » – Adaptation des forêts au changement climatique –, lieu d’échanges qui regroupe onze partenaires forestiers, comprenant des acteurs de la recherche, de l’enseignement ou de la gestion, dont l’ONF. Nous essayons de pousser les instituts de recherche, et principalement l’Institut national de la recherche agronomique, à mettre leurs informations à disposition des gestionnaires. Ce n’est pas toujours facile, car les chercheurs préfèrent être sûrs de leurs résultats avant de les rendre publics – ce qui, dans notre domaine, peut prendre beaucoup de temps.

Un autre sujet de préoccupation en matière de recherche et développement est la question des services écosystémiques, c’est-à-dire des produits autres que le bois et des services que procure la forêt. Pour ce qui nous concerne, les deux sujets principaux, dans ce domaine, sont la question de l’eau potable et celle du carbone.

La question sur l’agro-écologie appelle une précision sémantique : nous intervenons en matière d’agro-foresterie, c’est-à-dire de plantation d’arbres en milieu rural, ou de sylvo-pastoralisme, c’est-à-dire de pâturage en forêt, une pratique ancestrale remise au goût du jour. Sur ces sujets, nous travaillons bien évidemment en harmonie avec les chambres d’agriculture ou avec d’autres instituts de recherche qualifiés, comme l’Institut de l’élevage.

Mme Pascale Got. Permettez-moi de préciser ma question. Le projet de loi prévoit la création de l’Institut agronomique et vétérinaire de France – dont la compétence sera étendue à la forêt –, qui doit remplacer Agreenium. Qu’en pensez-vous ? Collaboriez-vous avec ce dernier ?

M. Thomas Formery. Non, pas du tout. Agreenium intervient dans le secteur agricole, pas forestier.

M. Luc Bouvarel. Je souhaite revenir sur le droit de préférence. Ce dispositif destiné à faciliter la gestion, le regroupement et le remembrement du foncier a subi plusieurs modifications, en particulier s’agissant de l’information des propriétaires voisins. Aujourd’hui, la loi prévoit de recourir soit à des lettres recommandées envoyées aux adresses figurant dans le fichier cadastral, soit à un affichage en mairie associé à une publication dans un journal d’annonces légales. Or depuis l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, l’usage du droit de préférence tend à reculer. En effet, les propriétaires ne consultent pas tous les jours le tableau d’affichage de la mairie, et s’ils ne sont pas abonnés au bon journal d’annonces légales, ils peuvent rater certaines occasions. Nous avons donc proposé un amendement afin de revenir sur ces modifications.

M. le président François Brottes. Vous voulez dire que vous avez suggéré aux députés de présenter un amendement… Je n’aime pas la formule que vous avez employée ; elle pourrait laisser croire que nous sommes aux mains des lobbies et incapables d’agir par nous-mêmes.

M. Luc Bouvarel. Loin de moi cette idée !

Notre proposition prend toutefois en compte une situation pouvant survenir à la suite d’un héritage, lorsqu’une multitude de parcelles non limitrophes se retrouvent mises en vente, si bien que de très nombreux propriétaires devraient en être informés. Nous suggérons de maintenir la possibilité d’un affichage en mairie et d’une publication dans un journal d’annonces légales lorsque le nombre de voisins concernés dépasse un certain seuil.

M. le président François Brottes. Une commune peut-elle bénéficier du droit de préférence si elle possède une parcelle voisine ?

M. Luc Bouvarel. Bien sûr. La loi, sur ce point, ne fait pas de distinction entre propriété publique et privée.

M. le président François Brottes. Et dans le cas où personne n’invoquerait le droit de préférence, une commune ne devrait-elle pas pouvoir en bénéficier et passer devant un acquéreur situé loin de la parcelle en vente ?

M. Luc Bouvarel. L’idée pourrait être intéressante, si la commune agit ainsi pour favoriser le remembrement foncier. Mais si la parcelle ainsi acquise reste isolée, cela n’aurait aucun intérêt.

M. André Chassaigne. Dans le cas où plusieurs parcelles sont mises en vente à la suite d’un héritage, les notaires ont parfois recours à un achat global pour contourner l’obligation d’informer les voisins.

M. Luc Bouvarel. Quand l’héritage se compose, par exemple, d’une dizaine de parcelles non limitrophes de moins de 4 hectares, le propriétaire peut soit les vendre individuellement – auquel cas le droit de préférence s’exerce pour chacune des parcelles –, soit procéder à une vente par lot. Dans ce dernier cas, un seul voisin peut récupérer tout le lot. Cela va dans le sens du regroupement.

Dans l’hypothèse où plusieurs voisins veulent exercer leur droit de préférence, et où l’un d’entre eux détient un document de gestion durable, nous avions suggéré de lui donner la priorité, mais le législateur, à l’époque, ne nous a pas suivis. Nous serions toutefois favorables à ce que cette idée soit reprise, dans la mesure où l’objectif, à travers les regroupements, est bien d’améliorer la gestion forestière.

J’en viens au GIEEF, dont le but est d’optimiser la gestion forestière et d’augmenter les surfaces gérées durablement et faisant l’objet de documents de gestion. En effet, en moyenne, un propriétaire doté d’un tel document mobilise à peu près 67 % du volume prévu, tandis que celui qui en est dépourvu ne mobilise que 27 % de la quantité de bois disponible dans sa forêt. Promouvoir les documents de gestion est donc une façon de répondre à l’attente de l’aval de la filière. La programmation améliore la mobilisation et facilite la gestion ; or le dispositif du GIEEF, considéré dans son ensemble, va tout à fait dans ce sens.

Le problème réside dans le seuil retenu pour pouvoir bénéficier de cette appellation et de toute la dynamique qu’elle implique – d’autant que le projet de loi prévoit d’y associer une augmentation des aides de l’État. Trois cents hectares, c’est beaucoup, surtout en montagne, où le morcellement est important. Un seuil de 100 hectares serait préférable.

On peut en tout cas observer dans certaines zones de montagne de la région Rhône-Alpes l’effet de la création d’associations syndicales libres dotées de plans de gestion concertée : mobilisation des capacités en des lieux où il n’y en avait aucune, apparition d’entrepreneurs de travaux forestiers, création d’emplois.

M. le président François Brottes. Vous n’avez pas répondu à mes questions : peut-on envisager de mélanger forêt publique et forêt privée au sein d’un GIEEF, même si le projet de loi ne le prévoit pas ?

M. Luc Bouvarel. En effet, la forêt communale n’est pas toujours unifiée. Parfois, les communes détiennent une multitude de petites parcelles disséminées qui ne font pas l’objet d’aménagements. Nous ne verrions aucun inconvénient à ce qu’elles soient gérées de façon concertée avec la forêt privée, les coopératives ou l’Office national des forêts.

M. le président François Brottes. Dans une telle hypothèse, il faudrait clarifier la gouvernance, en déterminant qui détient la part majoritaire.

M. Jean-Claude Monin. Tout le monde a posé cette question fondamentale : peut-on mobiliser plus et mieux la ressource bois, et si possible au profit du local ? En effet, dans les conditions actuelles, donner une préférence au bois reviendrait aussi à favoriser l’importation.

Les représentants de la forêt privée l’ont dit à juste titre : nous avons besoin de l’animation, pour inciter les propriétaires à mettre leur bois sur le marché.

S’agissant des PPRDF, il est temps de rappeler certains faits. Tout d’abord, la forêt publique est loin de bénéficier d’une redistribution à la hauteur des 6 millions d’euros qu’elle verse chaque année. Mais le plus scandaleux, avec cette politique, c’est qu’au moment même où l’on supprimait des emplois à l’ONF et dans la forêt privée, on en a créé dans les chambres d’agriculture, simplement pour montrer que l’on agissait en faveur de la forêt ! Bien sûr, il faut être intelligent : nous ne pouvons pas supprimer le système du jour au lendemain. Mais de grâce, ne cherchons pas à le faire durer, car il n’est pas bon !

J’en reviens à ma question principale : peut-on mieux mobiliser la ressource ? Je réponds que c’est possible, mais pas en s’adressant individuellement à chaque propriétaire. Il faut massifier l’offre, et donc regrouper les parcelles, non seulement dans la forêt privée, mais aussi dans les communes, et même entre plusieurs communes. Peut-être même faudrait-il, quand c’est nécessaire, regrouper le public et le privé. L’important est de pouvoir mettre des volumes importants sur le marché.

Comment motiver les propriétaires ? Il est difficile de le faire par les prix, compte tenu de l’évolution constatée au cours du temps. En outre, les communes subissent des pressions, notamment de la part des populations urbaines, qui les incitent à ne pas mobiliser le bois. De mon point de vue, la solution réside dans les politiques territoriales de massifs et les chartes forestières de territoire. Pour mobiliser l’ensemble des acteurs, y compris la forêt privée et les collectivités territoriales, il faut offrir une vision sur les objectifs à atteindre en termes de transformation du bois dans le massif. On en a parlé à propos du hêtre : il faut trouver le moyen d’approvisionner les scieries qui offrent une plus grande valeur ajoutée et génèrent de l’emploi. Il faut une démarche fondée sur le développement du territoire et l’emploi, dans le cadre d’une politique territoriale forestière.

On a parlé de concurrence entre bois d’industrie et bois d’œuvre, mais en général, on produit les deux à la fois. Quand on cherche à produire du bois-énergie, on peut avoir du bois d’œuvre en plus, et inversement. On ne va donc pas réglementer, même s’il y aura nécessairement des tensions, compte tenu de la demande.

La Fédération nationale des communes forestières a favorisé l’installation de 1 000 chaufferies à bois et de 100 constructions en bois à usage de démonstration. Il faut donner l’exemple ! La mutation énergétique et écologique est un élément considérable à prendre en compte. Mettons donc des moyens dans les politiques territoriales ! La forêt privée peut s’inscrire dans une telle politique grâce aux plans de développement de massif (PDM).

Pour favoriser l’usage du bois – et particulièrement du bois local – dans la construction, il faut faire dans le démonstratif. C’est ainsi que deux collègues, dans l’est de la France, ont fait le choix de construire en hêtre, avec le bois qu’ils ont produit, afin de donner l’exemple et de trouver, dans le secteur de la construction, un débouché pour cette essence.

Il n’est pas nécessaire de pousser la prescription, puisque dans certains départements de la région Rhône-Alpes, la construction en bois connaît une croissance à deux chiffres. Ce qu’il faut, c’est favoriser l’usage du bois provenant de nos massifs.

Pour cela, nous devons recourir à la certification. C’est ainsi que l’on peut, aujourd’hui, faire mention de l’appellation « Bois des Alpes » dans un permis de construire ou un appel d’offres. C’est légal : le Comité français d’accréditation – COFRAC – a donné son accord.

L’objectif est donc moins d’augmenter la consommation de bois que de donner, en matière d’approvisionnement, une préférence au bois local.

En ce qui concerne le bois-énergie, nous avons également besoin de plans d’approvisionnement territoriaux – PAT –, car faute d’une sécurisation suffisante, les grands groupes feront venir par bateau des plaquettes en provenance d’Amérique latine. Le PAT indique la quantité de bois dont on peut disposer, le prix de mobilisation, les investissements à réaliser.

Je le répète, les politiques territoriales sont le seul cadre possible pour déterminer les aménagements et les investissements nécessaires. Il n’y a pas d’autre solution.

M. Luc Charmasson. S’agissant de la fixation d’un quota de bois dans le bâtiment, je voudrais tenter de lever vos incertitudes, même si je comprends que vous vous demandiez s’il faut persister à légiférer dans ce domaine. Tout d’abord, il ne s’agissait que d’imposer une faible quantité minimale de ce matériau dans la construction. Ensuite, cette disposition, porteuse d’une volonté politique forte, s’apparentait à un geste citoyen fait en faveur de l’environnement. En effet, le bois est le seul matériau utilisé dans le bâtiment à pouvoir se prétendre naturel et renouvelable. De plus, il faut rappeler que le bois est un moyen de stocker le carbone. Les produits de la forêt absorbent chaque année 22 % des émissions de CO2, produites principalement par le logement et le transport. C’est cette vertu qu’il faut mettre en avant.

Si on ne peut pas mettre en place un quota, peut-être serait-il nécessaire de recourir à d’autres systèmes pour encourager la construction en bois, fondés sur la défiscalisation, par exemple.

M. le président François Brottes. Ce n’est pas de saison !

M. Luc Charmasson. Dans ce cas, on y repensera plus tard.

J’en viens à la question de l’approvisionnement qui, vous l’avez compris, préoccupe toute la filière. Il est bien évidemment nécessaire d’améliorer la sortie du bois, mais dans ce domaine, on ne peut pas faire de miracle : les progrès seront lents.

Si nous connaissons une crise d’approvisionnement, c’est d’abord parce que le bois accroît ses parts de marché dans le secteur de la construction, mais surtout parce que les industriels ont davantage recours au bois français qu’auparavant. En effet, depuis que l’on a aidé les scieurs à investir dans de nouveaux outils de production, les industriels français ont atteint un niveau comparable à celui de leurs homologues européens. Non seulement ils s’approvisionnent en bois local, mais ils proposent des produits à forte valeur ajoutée : des bois séchés, des bois boutés, des bois contrecollés.

Mon entreprise en donne un bon exemple : leader en matière de charpentes industrielles, elle transforme 400 000 m3 par an. Or alors qu’il y a cinq ans, 95 % de notre bois était importé, nous avons renversé la tendance : le bois est désormais français à plus de 60 %. Lorsqu’on leur fait une bonne offre, les industriels ont intérêt à se fournir localement.

L’autre source de perturbation de l’approvisionnement, c’est l’augmentation de l’usage du bois comme source d’énergie, qui a entraîné un appel d’air trop important. Les subventions et la construction de chaudières de trop grande capacité ont conduit à déstabiliser le marché. La solution, on l’a dit, réside dans la hiérarchisation des usages. En termes de valeur ajoutée comme en termes d’emplois, les gains procurés par les produits industriels sont sans comparaison avec ceux de l’énergie. C’est pourquoi le bois d’œuvre et le bois d’industrie doivent passer avant le bois-énergie, d’autant que ce dernier, s’il n’est pas subventionné, peut être produit en tant que déchet des deux autres.

J’en viens à la question des importations, dont vous avez laissé entendre qu’elles pouvaient être motivées par la volonté d’échapper à certaines contraintes. Il est vrai que nous sommes soumis à des normes rigoureuses : en ce qui concerne les poussières de bois, par exemple, la réglementation française est la plus stricte d’Europe. De même, le bois qui subsiste après transformation industrielle – issu des scieries, et qui n’a donc subi aucun traitement – est considéré en France comme un déchet. Il ne peut pas donc servir de combustible pour une chaudière. Voilà une aberration à laquelle il faut rapidement mettre fin.

Sur le plan environnemental, en vertu de la directive sur les émissions industrielles entrée en vigueur cette année, les industriels du bois – scieurs, constructeurs de maisons en bois, spécialistes de produits de charpente –, auparavant classés ICPE – installation classée pour la protection de l’environnement –, sont désormais placés dans la même catégorie que les grands industriels de la chimie. Là encore, c’est une aberration. Et bien évidemment, nos confrères de Chine ou même d’autres pays européens, qui exportent du bois vers la France, ne sont pas soumis à de telles contraintes.

M. le président François Brottes. Qu’en est-il du traitement chimique des bois ? Des produits transformés d’importation sont mis en œuvre en France alors qu’ils ont subi des traitements strictement interdits au sein de l’Union européenne.

M. Luc Charmasson. Parce qu’il n’y a pas de contrôle, ni de certification.

M. le président François Brottes. Le problème est qu’il n’est même pas interdit de les mettre en œuvre, ce qui pénalise nos propres transformateurs. Ne faudrait-il pas y remédier.

M. Luc Charmasson. Il faudrait une vérification, par les douanes, de la nature des produits utilisés pour traiter le bois importé, ce qui paraît difficile.

M. le président François Brottes. Nos industriels sont obligés d’appliquer une directive qui interdit l’usage, dans les produits transformés, d’un grand nombre de produits chimiques jugés dangereux. Pourtant, d’autres sociétés peuvent mettre en œuvre, en toute impunité, du bois contenant de tels produits. Le problème ne se pose donc pas tant au moment de l’entrée du bois dans le pays qu’à celui de sa mise en œuvre. C’est comme les klaxons italiens, que vous avez le droit d’acheter, mais pas d’installer sur votre voiture.

M. Luc Charmasson. La difficulté, dans une chaîne de production, c’est que si une partie du produit est assemblée dans un autre pays européen et revendue sur notre territoire, on ne peut pas contrôler. Pour l’instant, je n’ai pas de proposition à faire pour résoudre ce problème. Mais nous allons y réfléchir.

Enfin, en ce qui concerne la recherche, les industriels du bois disposent de leur propre centre technique, l’institut technologique FCBA – forêt, cellulose, bois-construction, ameublement. À ce propos, le projet de supprimer les taxes affectées nous inquiète, car leur produit est la source majeure de financement de tels instituts.

M. le président François Brottes. Notre collègue Clotilde Valter est justement chargée d’une mission sur l’organisation des centres techniques industriels. Elle devra proposer une remise à plat des différents modes de financement – chaque filière ayant sa propre méthode – et réfléchir aux moyens de mutualiser leur extraordinaire savoir-faire. L’objectif n’est pas de les fragiliser, bien au contraire : il faut en conforter l’existence, car ils jouent, auprès de nos PME, un rôle majeur en matière de développement et d’innovation.

M. Luc Charmasson. Nous allons déjà dans ce sens, puisque le FCBA est issu d’un mariage entre le Centre technique du bois et de l’ameublement – CTBA – et l’Association forêt cellulose – Afocel. Nous sommes d’ailleurs prêts à nouer d’autres alliances.

M. le président François Brottes. Y compris avec d’autres métiers, pour combiner les matériaux et être plus performant ?

M. Luc Charmasson. Oui. C’est dans ce but que nous avons conclu un partenariat avec le Centre scientifique et technique du bâtiment.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs, de cette contribution au débat sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture. N’hésitez pas à nous soumettre d’autres idées ou à faire part de vos éventuels désaccords.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 4 décembre 2013 à 17 heures

Présents. - M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Germinal Peiro, Mme Béatrice Santais, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Jeanine Dubié, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, Mme Frédérique Massat, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau